T‑507‑05
2007 CF 205
Pfizer Canada Inc. et Warner‑Lambert Company, LLC (demanderesses)
c.
Le ministre de la Santé et Ranbaxy Laboratories Limited (défendeurs)
Répertorié : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)
Cour fédérale, juge Phelan—Toronto, 29 janvier; Ottawa, 22 février 2007.
Brevets — Pratique — Appel de la décision du protonotaire autorisant la modification de l’avis de demande pour y ajouter des allégations qui avaient auparavant fait l’objet d’un désistement en raison de fausses déclarations et prorogeant le délai de 24 mois prévu à l’art. 7(1)e) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) — Appel rejeté — Le Règlement ne constitue pas un code exhaustif — De nombreux aspects des instances intentées en vertu du Règlement sont régis par la Loi sur les Cours fédérales ou les Règles des Cours fédérales, sauf s’il y a conflit avec le Règlement — La règle 77 autorise une modification malgré l’expiration du délai de prescription — L’art. 7(4) du Règlement dispose que l’art. 7(1)e) cesse de s’appliquer à l’égard de la demande visée à l’art. 6(1) si celle‑ci fait l’objet d’un désistement — Cela ne signifie pas que les désistements obtenus par suite de fausses déclarations ou de fraude devraient avoir un effet juridique, privant une personne de bonne foi de ses droits — Néanmoins, le Règlement ne vise qu’une demande dans son ensemble et non des modifications partielles — Qui plus est, une instance peut reprendre son cours.
lois et règlements cités
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).
Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 77.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 6(1) (mod. par DORS/2006‑242, art. 3), 7(1)e) (mod. par DORS/98‑ 166, art. 6), (4) (mod., idem), (5) (mod., idem).
jurisprudence citée
décision appliquée :
Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1049.
décision examinée :
Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc., [1997] 2 C.F. 561(C.A.).
décisions citées :
Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1997] A.C.F. no 344 (1re inst.) (QL); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1993] A.C.F. no 1106 (C.A.) (QL).
APPEL de la décision du protonotaire permettant à Pfizer de modifier son avis de demande pour y ajouter des allégations qui avaient auparavant fait l’objet d’un désistement en raison de fausses déclarations de Ranbaxy et prorogeant le délai de 24 mois prévu à l’alinéa 7(1)e) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Appel rejeté.
ont comparu :
John B. Laskin et W. Grant Worden pour les demanderesses.
Ronald E. Dimock et Angela M. Furlanetto pour la défenderesse Ranbaxy Laboratories Limited.
Aucune comparution pour le défendeur le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier :
Torys LLP, Toronto, pour les demanderesses.
Dimock Stratton LLP, Toronto, pour la défenderesse Ranbaxy Laboratories Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Phelan :
I. VUE D’ENSEMBLE
[1]La Cour est saisie d’un appel d’une décision par laquelle le protonotaire a accordé à Pfizer l’autorisation de déposer et de signifier un nouvel avis de demande modifié et a prorogé le délai de 24 mois prévu à l’alinéa 7(1)e) [mod. par DORS/98-166, art. 6] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133] (le Règlement).
[2]Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :
a) Est‑il possible de relancer une instance portant sur un avis de conformité lorsque cette instance a fait l’objet d’un désistement?
b) Le protonotaire a‑t‑il régulièrement exercé sa compétence en matière de prorogation de délais?
[3]Le principal argument de Ranbaxy Laboratories Limited (Ranbaxy) est qu’une fois qu’une instance portant sur un brevet a fait l’objet d’un désistement, le délai de 24 mois relatif à ce brevet expire et le Règlement empêche de façon absolue de reprendre l’instance en ce qui concerne le brevet en question. Ranbaxy affirme qu’indépendamment du motif du désistement, l’empêchement est absolu (même en cas de fraude, de tromperie ou de fausse déclaration) et que la seule autre voie de recours pourrait être une action en contrefaçon.
II. LES FAITS
[4]Par lettre datée du 31 janvier 2005 (l’avis d’allégation), Ranbaxy a formulé, en vertu du Règlement, certaines allégations relativement aux six brevets alors inscrits par Pfizer pour ses comprimés d’atorvastatine calcique. Plus précisément, Ranbaxy a présenté des allégations d’absence de contrefaçon et d’invalidité relativement aux brevets ′018 et ′455.
[5]Dans son avis de demande du 17 mars 2005, Pfizer a contesté les allégations de Ranbaxy relativement aux deux brevets en question.
[6]Avant même le dépôt de la demande, il y a eu en mars un échange d’information entre les parties, portant notamment sur les données dites de « Spectra mars » qui, selon Ranbaxy, auraient dû permettre à Pfizer de savoir quels brevets et quels procédés seraient en litige.
[7]Néanmoins, le 30 mars 2005, Pfizer a demandé qu’on lui confirme que les données de mars étaient censées comprendre tous les détails relatifs à la formulation et à la fabrication du produit de Ranbaxy.
[8]Ranbaxy a effectivement confirmé, le 4 avril 2005 que [traduction] « les documents joints à la lettre du 11 mars comprennent tous les renseignements dont nous disposons pour le moment et qui se rapportent à la formulation et à la fabrication du produit de Ranbaxy ».
[9]Par suite de cette confirmation et des éléments produits par Ranbaxy, Pfizer a modifié sa demande et a renoncé aux moyens qu’elle invoquait relativement aux brevets ′018 et ′455. Un des dirigeants de Pfizer a témoigné—ce qui n’a pas été contesté—que cette renonciation n’aurait pas eu lieu sans les actes et les assurances de Ranbaxy.
[10]Dans une autre instance connexe ultérieure, les éléments produits par Ranbaxy montraient que les assurances données à Pfizer n’étaient pas exactes. Ranbaxy a d’ailleurs reconnu que certaines des déclarations qu’elle avait faites à Pfizer n’étaient pas exactes en raison d’un problème de communication entre la société et l’avocat qui la représentait alors.
[11]Lorsque Pfizer a été mise au courant de la vérité, c’est‑à‑dire du fait que les assurances reçues n’étaient pas tout à fait exactes, elle a tenté de modifier son avis de demande en vue de réintégrer les deux brevets dans la présente instance.
[12]Outre la présente instance, les parties sont également impliquées dans deux autres instances portant sur l’atorvastatine calcique, de sorte que le délai de 24 mois prévu par la loi n’expirera, dans les deux cas, qu’en mai ou en juin 2008.
[13]Le protonotaire a permis à Pfizer de modifier sa demande pour y inclure de nouveau des allégations portant sur les brevets ′018 et ′455, en plus de proroger le délai de 24 mois.
III. ANALYSE
A. Norme de contrôle
[14]Comme la décision relative à la modification de la demande constitue une question de droit qui, si elle était infirmée, trancherait de façon définitive et sans appel tous les points litigieux se rapportant aux deux brevets, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, en ce qui concerne la compétence de la Cour (voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).
[15]De plus, si la Cour a compétence, l’exercice de cette compétence est tellement important et irrévocable en ce qui concerne les deux brevets que j’estime qu’il faut la considérer comme une compétence de novo. La décision de proroger le délai prévu par la loi n’est pas à ce point vitale ou déterminante et elle ne devrait donc être révisée que s’il y a eu application d’un mauvais principe ou que si l’on s’est fondé sur une appréciation erronée des faits ou si la décision rendue était manifestement erronée.
B. Compétence
[16]En toute déférence, je n’accepte pas les arguments de Ranbaxy suivant lesquels le Règlement constitue un code exhaustif qui n’intègre rien des Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] ou des principes des Règles. Je n’accepte pas non plus l’approche constructionniste stricte proposée, qui aurait pour effet de priver la Cour de sa compétence pour réparer un déni de droits causé par les agissements de la partie adverse, surtout lorsque ce déni de droits est attribuable à de fausses déclarations.
[17]Le Règlement ne constitue pas un code exhaustif. Les instances relatives à un avis de conformité comportent de nombreux aspects qui sont régis soit par la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] soit par ses Règles. Le Règlement ne bénéficie de la primauté qu’en ce qui concerne les questions qui entrent en conflit avec les dispositions plus générales de la Loi ou des Règles.
[18]L’exigence fondamentale que prévoit le Règle-ment est que toute demande présentée à la Cour doit être introduite dans les 45 jours de l’avis d’allégation. La Cour n’a pas compétence pour proroger ce délai de 45 jours, parce que le principe général régissant les prorogations de délais entrerait directement en conflit avec le paragraphe 6(1) [mod. par DORS/2006-242, art. 3] du Règlement (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1997] A.C.F. no 344 (1re inst.) (QL)).
[19]Toutefois, dès lors que l’instance est introduite dans les délais prescrits par la loi, les Règles des Cours fédérales s’appliquent, sauf en cas d’incompatibilité. La Loi et les Règles s’appliquent à plusieurs questions qui ne sont pas spécifiquement abordées dans le Règlement, y compris le droit d’appel (Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1993] A.C.F. no 1106 (C.A.) (QL), au paragraphe 10).
[20]La règle applicable en l’espèce est la règle 77 :
77. La Cour peut autoriser une modification en vertu de la règle 76 même si le délai de prescription est expiré, pourvu qu’il ne l’ait pas été à la date du début de l’instance.
La disposition pertinente du Règlement est le paragraphe 7(4) [mod. par DORS/98-166, art. 6], qui dispose :
7. [. . .]
(4) L’alinéa (1)e) cesse de s’appliquer à l’égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle‑ci est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi.
[21]Il n’y a rien dans le Règlement qui permette de penser que celui‑ci devrait être interprété aussi strictement que ce que suggère Ranbaxy. L’interpré-tation du Règlement est toujours assujettie à l’article 12 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21].
12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
[22]Je ne vois aucune raison de principe pour laquelle la règle 77 ne devrait pas être invoqué le cas échéant, surtout dans un cas comme celui‑ci, pour remettre Pfizer dans la situation où elle se trouverait n’eut été des assurances inexactes de Ranbaxy. Je ne vois rien dans le paragraphe 7(4) [du Règlement] qui oblige un tribunal à passer sous silence une iniquité ou une injustice et je ne crois pas qu’agir ainsi serait conforme aux principes d’interprétation des lois.
[23]Le Règlement n’interdit pas directement ou indirectement de modifier une demande. Il suspend seulement l’effet d’un sursis lorsque la demande est retirée, fait l’objet d’un désistement ou est rejetée par la Cour.
[24]On ne saurait interpréter le paragraphe 7(4) comme signifiant que les désistements ou les retraits obtenus par suite de fausses déclarations ou même de fraude devraient quand même avoir un effet juridique, privant ainsi une personne de bonne foi de ses droits.
[25]Même en appliquant la méthode d’interprétation stricte du Règlement proposée par Ranbaxy, force est de reconnaître que la demande en litige n’a pas été retirée ou rejetée et n’a pas fait l’objet d’un désistement. Suivant l’interprétation que je lui donne, le Règlement ne vise qu’une demande dans son ensemble et non des modifications partielles ou de nouvelles modifications.
[26]De plus, comme la Cour l’a expliqué dans la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1049, une instance peut reprendre son cours. Dans cette affaire, une requête en radiation avait été accueillie et le délai de 24 mois ne s’appliquait plus, en raison du paragraphe 7(4) du Règlement. La décision a toutefois été infirmée par la Cour d’appel, qui a ordonné la reprise de l’instance et ce, parce qu’à tout le moins, en droit, l’instance n’avait jamais véritablement disparu étant donné que la demande n’avait pas été régulièrement rejetée par un tribunal.
[27]De même, dans le cas qui nous occupe, n’eut été les fausses déclarations de Ranbaxy, Pfizer n’aurait jamais voulu mettre fin à l’instance relative aux deux brevets si elle avait était au courant des faits véritables.
[28]Le protonotaire a donc eu raison de conclure que la Cour était compétente pour permettre à Pfizer de modifier sa demande en vue de reprendre l’instance portant sur les brevets ′018 et ′455.
C. Modification
[29]Peu importe que l’on considère, après avoir reconnu la compétence de la Cour, que la décision de permettre la modification était une décision discrétionnaire, ou que l’on estime qu’elle devrait être réexaminée de novo, la décision doit être confirmée.
[30]La raison de la modification était la fausse déclaration de Ranbaxy. On ne devrait pas permettre à Ranbaxy de profiter de ses propres agissements. Dans la mesure où Pfizer doit assumer une part quelconque de responsabilité relativement à la modification en question (ce que je ne conclus pas), lui permettre de modifier de nouveau sa demande ne causerait aucun préjudice appréciable.
D. Prorogation du délai
[31]Le paragraphe 7(5) [mod. par DORS/98-166, art. 6] du Règlement confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de 24 mois si elle conclut qu’une partie n’a pas, au cours de l’instance relative à la demande, collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de celle‑ci. Il s’agit là d’une décision qui relevait du pouvoir discrétionnaire du protonotaire et cette décision n’est susceptible de révision que si elle est entachée d’une erreur de droit ou de principe ou si elle est fondée sur une appréciation erronée des faits.
[32]Il n’existe pas de liste d’agissements qui constitueraient un défaut de collaborer au règlement expéditif de l’instance. Les définitions que l’on trouve dans les dictionnaires ont une utilité limitée. Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc., [1997] 2 C.F. 561, au paragraphe 13, la Cour d’appel donne seulement quelques exemples. Ces exemples ont certaines caractéristiques en commun en ce sens qu’il s’agit d’actes unilatéraux et injustifiés qui ont un effet préjudiciable sur la partie adverse ou le déroulement de l’instance, comme c’est le cas en l’espèce.
[33]Dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas eu de malveillance ou de tromperie frauduleuse. Il n’est pas rare que l’on confonde les avocats et les clients, surtout lorsque plusieurs avocats occupent pour un client dans des dossiers connexes. Il n’est pas nécessaire de conclure à la malveillance ou à la fraude. En l’espèce, la déclaration était inexacte et, dans le contexte du Règlement, on ne peut dire que quelqu’un collabore lorsqu’il fait des déclarations inexactes pour inciter quelqu’un d’autre à agir contre ses intérêts. Il s’en est suivi un retard dans le déroulement de l’instance parce que ces agissements ont causé une modification inutile et une opposition à une nouvelle modification visant à rétablir la situation antérieure.
[34]Je ne vois donc aucune raison de remettre en question la façon dont le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire et de remplacer son opinion par la mienne, en supposant qu’elle diffère de la sienne, ce qui n’est pas le cas.
IV. CONCLUSION
[35]Pour ces motifs, le présent appel est rejeté avec dépens.
ORDONNANCE
IL EST ORDONNÉ QUE le présent appel soit rejeté avec dépens.