A‑546‑05
2006 CAF 327
Le procureur général du Canada (demandeur)
c.
Charles Savard (défendeur)
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Savard (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Décary, Létourneau et Nadon, J.C.A.—Montréal, 14 septembre; Ottawa, 13 octobre 2006.
Assurance‑emploi — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un juge‑arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral accueillant l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada refusant d’établir une période de prestations pour le défendeur parce qu’il ne rencontrait pas le nombre d’heures d’emploi assurable, un avis de violation grave ayant été émis à son égard — Le conseil et le juge‑arbitre se sont mépris lorsqu’ils ont conclu que la majoration du nombre d’heures d’emploi assurable découlant de l’art. 7.1 de la Loi sur l’assurance‑emploi par suite d’une violation ne s’appliquait pas au défendeur parce que l’avis de violation ne lui avait pas été signifié — La majoration découle de la responsabilité de l’assuré pour une violation, et non de la connaissance qu’il a de l’avis de violation — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un juge‑arbitre a confirmé la décision d’un conseil arbitral d’accueillir un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada et portant que la majoration du nombre d’heures d’emploi assurable (de 420 heures à 630 heures) dont le défendeur avait besoin pour être admissible au bénéfice des prestations ne s’appliquait pas parce que le défendeur n’avait pas reçu l’avis de violation que la Commission avait émis à son égard en application du paragraphe 7.1(4) de la Loi sur l’assurance‑emploi. La violation que le défendeur a commise (défaut de déclarer des gains) était visée par l’article 38 de la Loi, qui conférait à la Commission le droit d’émettre un avis de pénalité et un avis de violation grave contre le défendeur. L’avis de violation grave emportait une majoration du nombre d’heures d’emploi assurable en vertu du paragraphe 7.1(1) de la Loi parce que la violation était survenue au cours des 260 semaines précédant la demande initiale de prestations du défendeur. En conséquence, le défendeur ne rencontrait pas le nombre d’heures d’emploi assurable nécessaire pour être admissible aux prestations. Le défendeur a interjeté appel de la décision de la Commission refusant de lui établir une période de prestations, mais il n’a pas porté la décision le tenant responsable d’une violation grave en appel.
Arrêt : la demande doit être accueillie.
Le conseil arbitral et le juge‑arbitre ont mal interprété le paragraphe 7.1(4) (émission d’un avis) lorsqu’ils ont cru que la responsabilité pour des violations de l’article 7.1 ne naît que lorsque l’avis de violation est signifié. Cette conclusion est contraire au texte même du paragraphe 7.1(4) et à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Szczech (C.A.). Il n’est fait aucunement mention d’une signification dans la version anglaise ou française du paragraphe 7.1(4). La Loi renferme une foule de dispositions où le terme anglais « issues » ou « issued » est utilisé, et ce terme n’a jamais été rendu par « signifié » en français, comme il l’a été à tort dans la version française de l’arrêt Szczech. Dans les cas où le législateur a voulu qu’un avis soit signifié, il l’a expressément prévu.
Somme toute, la majoration prévue au paragraphe 7.1(1) découle de la responsabilité de l’assuré pour une ou des violations qualifiées (c.‑à‑d. mineures, graves, très graves ou subséquentes), et non de la connaissance qu’il a de l’avis de violation. Si la violation n’est pas contestée, la décision devient exécutoire et, s’il s’agit d’une violation qualifiée, emporte une majoration des heures d’emploi assurable. En l’espèce, l’avis de violation fut émis le 17 octobre 2003 et le délai de cinq ans du paragraphe 7.1(1) a commencé à courir à cette date. Comme le défendeur n’avait pas contesté le bien‑fondé de la responsabilité qu’on lui avait imputé pour une violation grave, la décision de la Commission le tenant responsable d’une violation grave demeurait avec plein effet et satisfaisait aux exigences du paragraphe 7.1(1).
lois et règlements cités
Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 7.1, 12(4.1) (édicté par L.C. 2003, ch. 15, art. 17), 23.1 (édicté, idem, art. 19), 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 5, art. 8), 39, 40, 41.1, 46.1(5), 48(3), 49(3), 52(2), 53, 54f.4) (édicté par L.C. 2003, ch. 15, art. 20), 65.1 (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 78(F)), 77(2) (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 79(A)), 85, 88, 91, 92, 102(6), (13) (mod. par L.C. 2005, ch. 38, art. 90), 114, 125, 126(4), (11), (12), (14), (18), 134(1)b)(i), 135, 138(4), 190(3.1).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Canada (Procureure générale) c. Limosi, [2003] 4 C.F. 481; 2003 CAF 215; Canada (Procureur général) c. Szczech, 2004 CAF 366; Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370.
décisions examinées :
Canada (Procureure générale) c. Geoffroy, 2001 CAF 105; Canada (Procureur général) c. Piovesan, 2006 CAF 245.
doctrine citée
Guide de la détermination de l’admissibilité, chapitre 18 « Déclarations fausses ou trompeuses ». Ottawa : Ressources humaines et Développement social Canada, en ligne <http ://www.rhdsc.gc.ca/fr/ae/guide/chp18. shtml>.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un juge‑arbitre confirmant la décision du conseil arbitral accueillant l’appel que le défendeur a interjeté à l’encontre d’une décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada refusant de lui établir une période de prestations. Demande accueillie.
ont comparu :
Carole Bureau pour le demandeur.
Jean‑Pierre Marcotte pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Le sous‑procureur général du Canada pour le demandeur.
Chabot, Marcotte & Paquin, Amos (Québec) pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1]Le juge Létourneau, J.C.A. : Pour une cinquième fois nous sommes saisis d’une demande d’interprétation de l’article 7.1 de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi) qui traite des conditions requises pour recevoir des prestations et de la majoration du nombre d’heures d’emploi assurable requis lorsqu’un prestataire est responsable d’une ou de plusieurs violations prévues à cet article. Les quatre demandes précédentes ont fait l’objet de décisions dans les arrêts Canada (Procureuer générale) c. Geoffroy, 2001 CAF 105; Canada (Procureure générale) c. Limosi, [2003] 4 C.F. 481 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Szczech, 2004 CAF 366; et Canada (Procureur général) c. Piovesan, 2006 CAF 245.
[2]Le litige en l’espèce porte sur l’interprétation du paragraphe 7.1(4) alors que le défendeur soumet qu’il ne peut y avoir majoration des heures dans son cas puisqu’il n’a pas reçu l’avis de violation que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Com-mission) a émis le concernant. Il appert que l’adresse à laquelle la Commission l’a fait parvenir était inexistante parce qu’incomplète du fait qu’elle avait omis d’y inscrire le nom de la ville où se trouvait la rue indiquée sur l’enveloppe destinée au défendeur.
[3]Pour une meilleure compréhension du litige, je reproduis les dispositions pertinentes de la Loi [art. 38(3) (mod. par L.C. 2001, ch. 5, art. 8] :
7.1 (1) Le nombre d’heures d’emploi assurable requis au titre de l’article 7 est majoré conformément au tableau qui suit, en fonction du taux régional de chômage applicable, à l’égard de l’assuré autre qu’une personne qui devient ou redevient membre de la population active s’il est responsable d’une ou de plusieurs violations au cours des deux cent soixante semaines précédant sa demande initiale de prestations.
Tableau
Violation
Taux régional de mineure grave très grave subséquente
chômage
[. . .]
Plus de 13% 525 630 735 840
[. . .]
(4) Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis de violation parce que, selon le cas :
a) il a perpétré un ou plusieurs actes délictueux prévus à l’article 38, 39 ou 65.1 pour lesquels des pénalités lui ont été infligées au titre de l’un ou l’autre de ces articles, ou de l’article 41.1;
[. . .]
(5) À l’exception des violations pour lesquelles un avertissement est donné, chaque violation est qualifiée de mineure, de grave, de très grave ou de subséquente, en fonction de ce qui suit :
a) elle est mineure, si sa valeur est inférieure à 1 000 $, grave, si elle est inférieure à 5 000 $, et très grave, si elle est de 5 000 $ ou plus;
b) elle est subséquente si elle fait l’objet d’un avis de violation donné dans les deux cent soixante semaines suivant une autre violation, même si l’acte délictueux sur lequel elle est fondée a été perpétré avant cette dernière.
(6) La valeur d’une violation correspond à la somme des montants suivants :
a) le versement excédentaire de prestations lié à l’acte délictueux sur lequel elle est fondée;
b) si le prestataire est exclu ou inadmissible au bénéfice des prestations, ou si l’acte délictueux en cause a trait aux conditions requises au titre de l’article 7, le montant obtenu, sous réserve du paragraphe (7), par multiplication de son taux de prestations hebdomadaires par le nombre moyen de semaines à l’égard desquelles des prestations régulières sont versées à un prestataire, déterminé conformément aux règlements.
[. . .]
38. (1) Lorsqu’elle prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent que le prestataire ou une personne agissant pour son compte a perpétré l’un des actes délictueux suivants, la Commission peut lui infliger une pénalité pour chacun de ces actes :
a) à l’occasion d’une demande de prestations, faire sciemment une déclaration fausse ou trompeuse;
b) étant requis en vertu de la présente loi ou des règlements de fournir des renseignements, faire une déclaration ou fournir un renseignement qu’on sait être faux ou trompeurs;
c) omettre sciemment de déclarer à la Commission tout ou partie de la rémunération reçue à l’égard de la période déterminée conformément aux règlements pour laquelle il a demandé des prestations;
d) faire une demande ou une déclaration que, en raison de la dissimulation de certains faits, l’on sait être fausse ou trompeuse;
e) sciemment négocier ou tenter de négocier un mandat spécial établi à son nom pour des prestations au bénéfice desquelles on n’est pas admissible;
f) omettre sciemment de renvoyer un mandat spécial ou d’en restituer le montant ou la partie excédentaire comme le requiert l’article 44;
g) dans l’intention de léser ou de tromper la Commission, importer ou exporter, ou faire importer ou exporter, un document délivré par elle;
h) participer, consentir ou acquiescer à la perpétration d’un acte délictueux visé à l’un ou l’autre des alinéas a) à g).
(2) La pénalité que la Commission peut infliger pour chaque acte délictueux ne dépasse pas :
a) soit le triple du taux de prestations hebdomadaires du prestataire;
b) soit, si cette pénalité est imposée au titre de l’alinéa (1)c), le triple :
(i) du montant dont les prestations sont déduites au titre du paragraphe 19(3),
(ii) du montant des prestations auxquelles le prestataire aurait eu droit pour la période en cause, n’eût été la déduction faite au titre du paragraphe 19(3) ou l’inadmissibilité ou l’exclusion dont il a fait l’objet;
c) soit, lorsque la période de prestations du prestataire n’a pas été établie, le triple du taux de prestations hebdomadaires maximal en vigueur au moment de la perpétration de l’acte délictueux.
(3) Il demeure entendu que les semaines de prestations régulières remboursées par suite de la perpétration d’un acte délictueux visé au paragraphe (1) sont considérées comme des semaines de prestations régulières versées pour l’application du paragraphe 145(2).
[. . .]
40. Les pénalités prévues aux articles 38 et 39 ne peuvent être infligées plus de trente‑six mois après la date de perpétration de l’acte délictueux ni si une poursuite a déjà été intentée pour celui‑ci.
[. . .]
41.1 (1) La Commission peut, en guise de pénalité pouvant être infligée au titre de l’article 38 ou 39, donner un avertissement à la personne qui a perpétré un acte délictueux.
(2) Malgré l’article 40, l’avertissement peut être donné dans les soixante‑douze mois suivant la perpétration de l’acte délictueux.
[. . .]
125. (1) Une dénonciation ou plainte prévue par la présente loi, à l’exception de la partie IV, peut être déposée ou formulée par un membre de la Gendarmerie royale du Canada ou toute personne agissant pour le compte de la Commission. Lorsqu’une dénonciation ou plainte est présentée comme ayant été déposée ou formulée en vertu de la présente loi, à l’exception de la partie IV, elle est réputée l’avoir été par une personne agissant pour le compte de la Commission et ne peut être contestée pour défaut de compétence du dénonciateur ou du plaignant que par la Commission ou une personne agissant pour elle ou pour Sa Majesté.
[. . .]
135. (1) [. . .]
(2) Il ne peut être intenté de poursuite pour une infraction prévue au présent article si une pénalité a été infligée pour cette infraction en vertu de l’article 38, 39 ou 65.1.
[4]Des cinq contestations entreprises, je dois dire que celle‑ci est la première où, grâce à l’Aide juridique du Québec, le prestataire est représenté par avocat, en l’occurrence Me Jean‑Pierre Marcotte. Nous avons donc pu bénéficier d’un éclairage qui jusqu’à présent, en l’absence de débats contradictoires, était manquant. Des arguments nouveaux présentés à la Cour et de la documentation nouvelle produite par le procureur du défendeur m’ont convaincu de la nécessité de revisiter les quatre autres décisions antérieures. Je suis satisfait que trois de ces décisions, sous certains aspects, n’auraient pas été les mêmes si cette information additionnelle dont nous avons pu bénéficier avait pu être portée à la connaissance des membres des diverses formations qui les ont entendues. Il s’agit d’une situation qui rencontre le test de l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 et où nous sommes justifiés d’apporter à ces décisions les rectifications requises.
LES FAITS ET LA PROCÉDURE EN L’ESPÈCE
[5]Le défendeur habite le nord‑ouest du Québec où, pour les périodes en litige, le taux de chômage oscillait autour de 16%. Il a, le 11 février 2005, demandé des prestations d’assurance‑emploi. Au cours de sa période de référence se situant du 1 février 2004 au 22 janvier 2005, il a accumulé 428 heures de travail du 24 mai 2004 au 27 août 2004.
[6]Normalement, il aurait eu besoin de 420 heures seulement pour se qualifier pour des bénéfices. Mais la Commission a pris connaissance du fait que le défendeur avait omis de déclarer des gains de 1 472 $ (pour la période du 2 juillet 2001 au 19 juillet 2001) et 624 $ (pour la période du 6 août 2001 au 10 août 2001) alors qu’il avait déclaré n’avoir reçu aucune rémunération (dossier du demandeur, à la page 36).
[7]Comme il s’agissait d’un premier acte délictueux, lequel est prévu à l’article 38 de la Loi, la Commission lui a infligé une pénalité de 1 632 $. En outre, elle a émis au défendeur un avis de violation grave vu que la valeur de la violation se chiffrait à 1 632 $. L’avis fut émis le 17 octobre 2003 (dossier du demandeur, à la page 38).
[8]L’avis de violation se situant au cours des 260 semaines précédant la demande initiale de prestations faite par le défendeur le 11 février 2005, il emportait une majoration du nombre d’heures d’emploi assurable conformément à l’article 7.1 de la Loi. En conséquence, l’admissibilité du défendeur au bénéfice des prestations dépendait de sa capacité d’établir qu’il avait travaillé 630 heures au lieu des 420 qui normalement auraient été suffisantes.
[9]L’avis de pénalité et l’avis de violation grave ont tous deux été émis le même jour et envoyés sous un même pli au défendeur qui affirme ne pas les avoir reçus. Il ne fait aucun doute cependant qu’il a été informé de leur existence lorsque la Commission lui a refusé le bénéfice de prestations demandé en février 2005.
[10]Le défendeur a contesté devant le Conseil arbitral la décision de la Commission refusant de lui établir une période de prestations. On apprend dans la lettre qu’il a fait parvenir au Conseil arbitral, et dans la décision du Conseil, qu’il a payé le montant de la pénalité et remboursé le trop‑payé. Mais il n’y a pas eu appel de la décision le tenant responsable d’une violation grave comme le permet l’article 114 de la Loi. Cet appel devait être logé dans les 30 jours suivant la date où il a reçu communication de la décision.
[11]Il est évident, et c’est un fait non contesté, que le défendeur a été informé des motifs du refus d’établir une période de prestations exprimé par la Commission, soit l’insuffisance des heures assurables par suite de l’avis de violation grave. Son appel a plutôt porté sur le fait qu’il n’avait pas été informé de la majoration des heures requises et, en conséquence, même s’il n’utilise pas ces termes, que l’avis de violation lui était inopposable.
[12]Le Conseil arbitral a conclu que la majoration du nombre d’heures assurable ne pouvait être appliquée au défendeur du fait qu’il n’avait pas reçu l’avis de violation.
[13]Se fondant sur la version française de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Szczech, le juge‑arbitre a conclu que cet arrêt exigeait qu’un avis de violation soit signifié à un prestataire avant de prendre effet. Il a rejeté l’appel de la Commission au motif que le Conseil arbitral s’était livré à une appréciation des faits qui était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier.
[14]À la décharge du juge‑arbitre, je dois dire que la version française de l’arrêt Szczech, sur laquelle il s’est fondé et qui est une traduction des motifs rédigés en anglais, comporte une importante erreur répétée à plus d’un endroit dans la décision. Alors que le juge Evans parle dans la version anglaise de « l’émission d’un avis » (the issue of a notice), le concept a été rendu en français par « la signification d’un avis » (the service of a notice). Le paragraphe 7.1(4) de la Loi réfère également au fait que la Commission « issues a notice of violation ». Il n’y est fait aucunement mention d’une signification (service of a notice) dans la version anglaise ou française.
SCHÉMA ET FONCTIONNEMENT DES DISPOSI-TIONS EN CAUSE
[15]En 1996, le Parlement a voulu donner davantage de mordant à la Loi en permettant une nouvelle forme de sanction administrative pour la commission d’actes délictueux, soit la majoration du nombre d’heures d’emploi assurable requis pour être admissible au bénéfice des prestations. Cette sanction s’ajoutait aux peines pécuniaires traditionnelles.
[16]Le Parlement s’y est pris de façon plutôt maladroite en introduisant un nouveau concept, celui de violation, qui se superpose à celui d’actes délictueux et qui engendre de la confusion. Car la violation est ici en fait une sanction administrative, une pénalité imposée pour l’acte délictueux. Et cette violation peut elle‑même engendrer cette autre forme de sanction qu’est la majoration des heures d’emploi assurable. Le fait que cette sanction n’ait pas été placée dans la partie de la Loi qui traite des pénalités (article 38 et suivants), mais plutôt dans celle relative à l’admissibilité n’améliore guère les choses, pour utiliser un euphémisme.
[17]À plusieurs reprises la Cour s’est plainte de la confusion générée par les termes choisis, mais jusqu’à ce jour en vain.
[18]À la lumière du Guide de la détermination de l’admissibilité—Chapitre 18 (Guide), publié par Ressources humaines et Développement social Canada et porté pour la première fois à notre connaissance dans le présent dossier, et sur lequel je reviendrai, je crois être en mesure enfin de décrire avec, je l’espère, une certaine cohérence le système adopté par le législateur et son fonctionnement.
[19]La perpétration d’actes délictueux décrits à l’article 38 de la Loi (le plus connu étant la déclaration fausse ou trompeuse) peut entraîner, outre le remboursement du trop‑payé, l’imposition de l’une ou l’autre des pénalités suivantes lorsque la Commission est d’avis qu’il y a matière à sanction :
a) les pénalités d’ordre pécuniaire traditionnelles décrites au paragraphe 38(2);
b) une pénalité d’ordre non pécuniaire, soit l’avertissement de l’article 41.1, soit une violation en vertu de l’article 7.1 qui, selon qu’elle est qualifiée ou non entraîne ou n’entraîne pas une majoration du nombre d’heures d’emploi assurable, ou les deux; et
c) les poursuites pénales de l’article 125.
[20]Le tableau ci‑après reproduit illustre le cheminement critique de la répression et dissuasion des actes délictueux :
Cheminement critique de la répression
et de la dissuasion d’actes délictueux
Actes délictueux : Poursuites
pénales, art. 125
Sanctions
administratives
— pénalités : peine
pécuniaire,
art. 38 et 39
peine non pécuniaire : avertissement,
art. 41.1(1)
violation : qualifiée, —majoration
art. 7.1(5) des heures,
art. 7.1(1)
non‑—pas de
qualifiée, majoration
des heures,
art. 7.1(5)
[21]Je fais ici abstraction des poursuites pénales qui ne sont pas en cause dans le présent dossier. Je note toutefois au passage qu’en vertu de l’article 40 de la Loi, aucune pénalité d’ordre pécuniaire des articles 38 et 39 ne peut être infligée si une poursuite pénale a été intentée. De même, à l’inverse cette fois, une poursuite pénale ne peut être intentée si des pénalités d’ordre pécuniaire ont été imposées en vertu des articles 38, 39 et 65.1 [mod. par L.C.1999, ch. 31, art. 78(F)] (voir le paragraphe 135(2)).
[22]De ce tableau représentant le cheminement critique de la répression et dissuasion des actes délictueux, on peut voir que la Commission décide dans un premier temps de l’opportunité d’imposer une sanction pénale ou une sanction administrative. Tant l’article 125 qui traite de la poursuite pénale que l’article 38 qui s’adresse à la pénalité administrative couchent l’autorité de la Commission en terme de pouvoir discrétionnaire.
[23]Lorsque la Commission opte pour une sanction administrative, elle décide alors s’il s’agira d’une pénalité d’ordre pécuniaire, d’ordre non pécuniaire seulement ou une pénalité des deux ordres. Dans le cas d’une pénalité d’ordre pécuniaire, la Commission émettra un avis de pénalité en vertu de l’article 38 de la Loi.
[24]S’il s’agit d’une pénalité d’ordre non pécuniaire, la Commission peut, en vertu du paragraphe 41.1(1), émettre un avertissement à l’auteur de l’acte délictueux. Encore là, le pouvoir de la Commission est conféré en termes discrétionnaires par le paragraphe 41.1(1).
[25]Devant la gravité des actes délictueux posés, la Commission peut décider qu’il y a lieu d’imposer une sanction additionnelle et de tenir l’auteur des actes responsable d’une violation au sens de l’article 7.1. Cette sanction se concrétise par l’émission (issue) d’un avis de violation selon le paragraphe 7.1(4). Lorsque la violation, dont la Commission tient l’auteur de l’acte délictueux responsable, est une violation qualifiée soit de mineure, grave, très grave ou subséquente, selon le cas, il en résulte une majoration des heures d’emploi assurable : voir les paragraphes 7.1(5) et 7.1(1).
[26]Mais une lettre d’avertissement peut aussi donner lieu à un avis de violation. Il s’agit toutefois d’une violation non qualifiée qui, à elle seule, n’emporte pas une majoration des heures d’emploi assurable : voir le paragraphe 7.1(5). Je dis à elle seule parce que, si après avoir reçu une lettre d’avertissement, un assuré se rend responsable d’une violation qualifiée dans les 5 ans de l’avertissement, celle‑ci sera obligatoirement qualifiée de subséquente et, de ce fait, entraînera une majoration accrue des heures d’emploi assurable. Il en est ainsi parce que l’avertissement est une violation, si un avis de violation est émis (alinéa 7.1(4)a), et parce que l’alinéa 7.1(5)b) qualifie dans ces circonstances la nouvelle violation de subséquente : voir le Guide, au paragraphe 18.4.1 « Inscription d’un avis de violation au dossier ».
[27]On peut voir la complexité du modèle adopté par le législateur et ici je passe sous silence d’autres raffinements qui ne font qu’augmenter celle‑ci et ajouter à la confusion. Dans le cas qui nous occupe, deux avis ont été émis : l’un de pénalité en vertu de l’article 38 de la Loi et l’autre de violation grave en vertu de l’article 7.1.
L’AFFAIRE LIMOSI
[28]J’ai déjà évoqué le fait que l’emploi du mot « violation » pour désigner une sanction ou une pénalité administrative est malheureux et confondant. Tel que déjà mentionné, cette violation se superpose à l’acte délictueux reproché, mais ne doit pas être confondue avec ce dernier comme ce fut le cas dans l’arrêt Limosi, au paragraphe 14. C’est à juste titre que, dans un arrêt subséquent, Canada (Procureur général) c. Szczech, la Cour a dissipé la confusion en statuant sur la foi du texte du paragraphe 7.1(4) qu’une violation existe lorsque (if en anglais) la Commission émet un avis de violation consécutif à des actes délictueux. Selon le Guide, au chapitre 18 sur les « Déclarations fausses ou trompeuses », au paragraphe 18.4.0 « Violations », « il n’y a pas de violation tant que l’avis de violation n’est pas émis » et « [l]a date de violation est la date à laquelle l’avis de violation est émis ». Ce Guide, qui ne lie pas la Cour, non seulement énonce l’intention législative à cet égard, mais reflète correctement la teneur du paragraphe 7.1(4).
[29]Le Conseil arbitral et le juge‑arbitre se sont mépris lorsqu’ils ont cru que la responsabilité pour des violations de l’article 7.1 ne naît que lorsque l’avis de violation est signifié. Non seulement une telle conclusion est contraire au texte même du paragraphe 7.1(4) et à l’arrêt Szczech, mais, si elle devait prévaloir, elle serait injustement et indûment punitive pour la personne responsable des violations. En effet, le délai de cinq ans du paragraphe 7.1(1) ne commencerait à courir que du jour où l’avis de violation est porté à la connaissance de l’auteur des violations. Or, si pour une raison ou une autre, l’avis de violation ne peut être porté à sa connaissance que deux ans plus tard, il perd alors, pour les fins du calcul du délai de l’article 7.1, le bénéfice de ces deux années pendant lesquelles il peut avoir travaillé et payé ses contributions à l’assurance‑emploi. Le délai de cinq ans du paragraphe 7.1(1) en devient pour lui un de sept ans.
[30]La Loi renferme une foule de dispositions où le terme anglais « issues » ou « issued » est utilisé : voir les paragraphes 7.1(4), 12(4.1) [édicté par L.C. 2003, ch. 15, art. 17], article 23.1 [édicté, idem, art. 19], alinéas 38(1)g), 39(1)d), paragraphe 41.1(1), alinéa 54f.4) [édicté, idem, art. 20], paragraphe 77(2) [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 79(A)], article 88, paragraphe 102(13) [mod. par L.C. 2005, ch. 38, art. 90], article 125, paragraphes 126(11) et (12), sous-alinéa 134(1)b)(i), alinéa135(1)f), paragraphes 138(4) et 190(3.1). Ce terme a été rendu en français tantôt par « donné », tantôt par « délivré », tantôt par « décerner », tantôt par « prévu » et tantôt par « établi », mais jamais par « signifié ». Dans le cas du paragraphe 46.1(5), le terme semble avoir été perçu comme inutile puisqu’il n’est pas repris dans la version française.
[31]Il est évident que, dans tous ces articles auxquels je réfère, il n’est aucunement question de « signification » et le terme anglais « issues » ne signifie pas « serves ». Lorsque, par exemple, l’article 88 énonce que le juge « may issue a warrant » permettant d’entrer dans une maison d’habitation, il va sans dire qu’on ne saurait y lire que le juge peut « signifier » (serve) un mandat à la personne à qui l’autorisation d’entrer est accordée! D’ailleurs, lorsqu’il a voulu qu’un avis soit signifié, le législateur l’a dit expressément : voir le paragraphe 88(5) « par avis signifié » (by notice served), les paragraphes 102(6) et 125(6) « signification à personne [. . .] d’un avis » (personal service of a . . . notice), les paragraphes 126(4) et (14) « par avis signifié à personne » (by notice served personnally), le paragraphe 126(18) « [l]e tiers à qui un avis est signifié » (a third party on whom it is served).
[32]Enfin, dans les cas où le législateur a voulu qu’un avis ou qu’une décision soit porté à la connaissance d’une personne, il l’a expressément prévu : voir les articles 48(3), 49(3), 52(2), 53, 85, 91 et 92 « lui notifie sa décision » (notify the claimant of its decision), « il reçoit notification de cette décision » (the person is notified of the ruling).
LES ARRÊTS GEOFFROY ET PIOVESAN
[33]Dans l’affaire Canada (Procureure générale) c. Geoffroy, la Cour a conclu que la majoration du nombre d’heures d’emploi assurable est automatique dès lors qu’un prestataire commet une ou plusieurs violations au cours des 260 semaines précédant sa demande initiale de prestations.
[34]Lors de l’audition de cette affaire, il ne fut pas porté à la connaissance de la Cour que l’avertissement de l’article 41.1 de la Loi est une violation pour les fins de l’article 7.1 si un avis de violation est émis. Au surplus, il ne fut nullement mentionné qu’il s’agissait d’une violation non qualifiée qui n’entraîne pas une majoration des heures requises pour l’admissibilité. Ce fait important eût‑il été signalé que la Cour n’aurait pas conclu à une majoration automatique du seul fait qu’un avis de violation est émis.
[35]La question même de savoir si un avertissement émis à un prestataire en raison de fausses déclarations qu’il a faites entraîne l’application de l’article 7.1 de la Loi s’est posée dans l’affaire Piovesan. La Cour a statué qu’un avertissement émis au lieu d’une peine pécuniaire et suivi d’un avis de violation était une violation au sens de l’article 7.1 et a appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Geoffroy, quant à une majoration automatique des heures requises pour l’admissibilité. Rien ne permet, dans cette courte décision rendue oralement à l’audience, d’inférer encore là que la Cour fut alertée au fait qu’un avertissement n’était pas une violation qualifiée et qu’elle ne donne pas lieu à une majoration, encore moins à une majoration automatique.
[36]Je crois qu’il n’est pas inutile de résumer sommairement mes conclusions quant au schéma et au fonctionnement des dispositions des articles 7.1, 38 et 41.1 de la Loi.
[37]La Commission possède un pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions lorsqu’un ou des actes délictueux prévus au paragraphe 38(1) ont été commis. Elle possède également, dans les limites prévues par la Loi, la discrétion de choisir la ou les mesures dissuasives appropriées dans les circonstances, si plus d’une mesure de sanction s’avère nécessaire pour rencontrer les objectifs de la Loi. Plutôt que d’imposer une peine pécuniaire, elle peut choisir, comme le lui permet le paragraphe 41.1, de donner au prestataire un avertissement, qu’elle peut faire suivre d’un avis de violation tel que défini à l’article 7.1. Cet avis à lui seul n’entraîne pas une majoration des heures d’emploi assurable, mais peut servir à accroître la qualification d’une nouvelle violation qualifiée qui sera alors qualifiée de subséquente et entrainera une augmentation accrue des heures d’emploi assurable, pourvu que cette nouvelle violation survienne dans les cinq ans de l’avertissement.
[38]Par contre, si les circonstances de la perpétration des actes délictueux requièrent, de l’avis de la Commission, plus qu’une sanction pécuniaire, celle‑ci peut renforcer ou bonifier la sanction pécuniaire en émettant un avis de violation conformément au paragraphe 7.1(4). La violation prend alors naissance du jour où l’avis est émis et la date de cette violation est celle à laquelle l’avis est émis.
[39]Du moment de l’émission de l’avis commence à courir le délai de cinq ans prévu au paragraphe 7.1(1) : voir Szczech. Cette violation, lorsque qualifiée conformément au paragraphe 7.1(5), emporte une augmentation des heures d’emploi assurable selon le tableau contenu au paragraphe 7.1(1).
[40]La majoration prévue au paragraphe 7.1(1) découle de la responsabilité de l’assuré pour une ou des violations qualifiées, et non de la connaissance qu’il a de l’avis de violation. La connaissance d’un tel avis est importante pour lui permettre d’exercer son droit de contester la décision de la Commission qui le tient responsable. En cas de défaut de la contester, la décision de la Commission devient exécutoire et, s’il s’agit d’une violation qualifiée, emporte une majoration des heures d’emploi assurable : voir l’arrêt Limosi, aux paragraphes 16 et 17.
APPLICATION DES PRINCIPES DÉGAGÉS AUX FAITS DE L’ESPÈCE
[41]Dans le cas qui nous occupe, l’avis de violation fut émis le 17 octobre 2003 et porté au dossier du défendeur. Il tenait ce dernier responsable d’une violation grave. Selon les principes de l’arrêt Szczech, à cette date du 17 octobre 2003, le délai de cinq ans du paragraphe 7.1(1) s’est enclenché. Il s’ensuit une majoration des heures d’emploi assurable si la responsabilité de l’assuré, pour la violation qu’on lui impute, survient au cours des cinq ans précédant sa demande initiale de prestations. C’est précisément le cas en l’instance. En d’autres termes, comme je le mention-nais précédemment, la majoration du paragraphe 7.1(1) découle de la responsabilité de l’assuré pour une ou des violations, et non de la connaissance qu’il a de l’avis de violation.
[42]Je ne peux donc retenir l’argument du procureur du défendeur voulant que la majoration des heures ne peut être opposée à son client puisqu’il n’a été informé de l’avis de violation que le 15 février 2005, soit quatre jours après avoir déposé sa demande initiale de prestations.
[43]Comme le défendeur n’a pas contesté le bien‑fondé de la responsabilité qu’on lui impute pour une violation grave, mais a plutôt choisi, comme dans l’affaire Limosi, de se plaindre qu’il n’avait pas reçu l’avis de violation, la décision de la Commission le tenant responsable d’une violation grave demeure avec plein effet et satisfait aux exigences du paragraphe 7.1(1).
[44]Le juge‑arbitre aurait dû intervenir pour corriger les erreurs de droit commises par le Conseil arbitral dans l’interprétation de l’article 7.1 de la Loi.
[45]Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge‑arbitre et je retournerais l’affaire au juge‑arbitre en chef, ou à la personne qu’il désignera, pour qu’elle soit décidée à nouveau en tenant pour acquis que le défendeur ne rencontre pas le nombre d’heures d’emploi assurable prévu au paragraphe 7.1(1) de la Loi pour faire établir une période de prestations à son profit.
[46]Dans les circonstances, j’accorderais au procureur du défendeur des dépens au montant de 2 000 $, incluant honoraires, déboursés et frais de déplacement.
Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.