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IMM‑3395‑05

2005 CF 1180

Nydia Munar (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)

Répertorié : Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge de Montigny—Ottawa et Toronto (téléconférence), 5 août; Ottawa, 9 novembre 2005.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de visiteurs — Requête pour obtenir une ordonnance de sursis du renvoi de la demanderesse jusqu’à l’examen de sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire (CH), ou jusqu’à ce qu’on ait tranché sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente de renvoi — La demanderesse est venue au Canada en visiteur en 1996 et elle est ici sans statut depuis 1997 — La demanderesse a donné naissance à deux enfants au Canada et a demandé que son renvoi soit reporté au motif que les enfants seraient soumis à de graves difficultés s’ils étaient séparés d’elle — L’agente de renvoi a refusé de reporter le renvoi, nonobstant le fait qu’elle savait que les enfants n’avaient pas de titres de voyage et que la demanderesse cherchait à obtenir la garde exclusive, au motif que l’art. 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés l’obligeait à appliquer la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettaient — L’art. 48 de la Loi laisse très peu de discrétion à l’agent de renvoi et une demande CH ne constitue pas un empêchement automatique à l’exécution d’une ordonnance de renvoi — Il faut toutefois examiner jusqu’à un certain point l’intérêt supérieur des enfants si leur père ou leur mère ou les deux doivent être renvoyés — Cet examen est moins élaboré que dans le cas d’une demande CH et il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme — En l’espèce, personne ne semblait prêt à s’occuper des enfants à part la demanderesse, qui ne pouvait pas les prendre avec elle tant que la garde exclusive ne lui serait pas accordée — Les critères pour obtenir le sursis ont été remplis : une question sérieuse à trancher a été soulevée; un préjudice irréparable a été établi; la prépondérance des inconvénients était en faveur de la demanderesse — Requête accueillie.

Il s’agissait d’une requête pour obtenir une ordonnance de sursis du renvoi de la demanderesse du Canada jusqu’à l’examen de sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire (CH), ou jusqu’à ce qu’on ait tranché sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente de renvoi de ne pas surseoir à son renvoi.

La demanderesse, une citoyenne des Philippines, est venue au Canada en visiteur en 1996. Son visa de visiteur a expiré en 1997, mais elle est demeurée au Canada illégalement. La demanderesse s’est vue refuser le statut de réfugiée en 2000, on a jugé en mars 2002 qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie de demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada et elle ne s’est pas présentée à l’entrevue de renvoi d’avril 2002. Sa demande CH a par la suite été déposée. Dans l’intervalle, elle a fait la connaissance d’un compagnon avec qui elle a eu deux enfants au Canada. À plusieurs occasions, il a fallu fixer une nouvelle date pour le renvoi de la demanderesse, parce qu’elle avait omis de faire des demandes de passeport pour ses enfants. Le 31 mai 2005, la demanderesse a demandé que son renvoi, prévu pour le 3 juin 2005, soit reporté au motif qu’elle voulait partir avec ses enfants parce qu’ils seraient soumis à de graves difficultés s’ils étaient séparés d’elle. L’agente de renvoi a refusé de reporter le renvoi, nonobstant le fait qu’elle savait que les enfants n’avaient pas de titres de voyage et que la demanderesse cherchait à obtenir la garde exclusive de ses enfants afin que ceux‑ci puissent voyager avec elle, au motif que l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés l’obligeait à appliquer la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettaient.

La demanderesse a fait valoir que l’agente n’avait pas démontré qu’elle était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle ne s’était pas intéressée à la question de savoir ce qui arriverait aux enfants s’ils ne pouvaient partir avec leur mère.

Jugement : la requête doit être accueillie.

Il y a entente sur le fait que l’article 48 laisse très peu de discrétion à l’agent de renvoi et que la seule existence d’une demande CH ne peut pas empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi. La Convention relative aux droits de l’enfant, laquelle ne fait pas partie du droit interne du Canada mais peut être utilisée pour faciliter son interprétation, vise à protéger le bien‑être de l’enfant plutôt qu’à empêcher un gouvernement d’expulser ou d’emprisonner ses parents. Le fait de déposer une demande CH ne constitue pas en soi un empêchement automatique à l’exécution d’une ordonnance de renvoi, même si le résultat est la séparation d’un enfant de ses parents. De la même façon, on ne peut pas exiger des agents de renvoi qu’ils se livrent à un examen approfondi des motifs humanitaires que l’on doit examiner dans le cadre d’une évaluation CH. Il faut toutefois examiner jusqu’à un certain point l’intérêt supérieur des enfants si leur père ou leur mère ou les deux doivent être renvoyés du Canada. Cette analyse sera moins élaborée que l’analyse approfondie nécessaire dans le contexte d’une demande CH. L’agent de renvoi doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme, comme de savoir si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. En l’espèce, personne ne semblait prêt à s’occuper des enfants de la demanderesse à part celle‑ci, qui ne pouvait pas prendre ses enfants avec elle puisqu’elle n’en avait pas encore la garde exclusive. Les critères pour obtenir un sursis ont donc été remplis. La demanderesse a soulevé une question sérieuse à trancher. Ses enfants subiraient un préjudice irréparable si elle était renvoyée du Canada. Aussi, la prépondérance des inconvénients était en faveur de la demanderesse.

lois et règlements cités

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 25, 48, 49, 50.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682; 2001 CFPI 148.

décisions examinées :

Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1341; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162; 2004 CF 1276; Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); Francis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL); Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555; 2002 CAF 475.

décisions citées :

Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618; (1956), 3 D.L.R. (2d) 641; 56 DTC 1077; Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 420; Mensah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 78; Buchting c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 953; Parsons c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 913; Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL); Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161.

doctrine citée

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Traitement des demandes au Canada (IP). Chapitre IP 5 : Demandes d’établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH). Citoyenneté et Immigration, feuilles mobiles.

REQUÊTE pour obtenir une ordonnance de sursis du renvoi de la demanderesse jusqu’à l’examen de sa demande CH, ou jusqu’à ce qu’on ait tranché sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente de renvoi de ne pas surseoir à son renvoi. Requête accueillie.

ont comparu :

Geraldine MacDonald pour la demanderesse.

Tamrat Gebeyehu pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

Geraldine MacDonald, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de lordonnance modifiés à deux reprises rendus par

[1]Le juge de Montigny : La demanderesse, une citoyenne des Philippines, a présenté une requête pour obtenir une ordonnance de sursis de son renvoi du Canada jusqu’à l’examen de sa demande CH [pour des motifs d’ordre huminitaire], ou jusqu’à ce qu’on ait tranché sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er juillet 2005 par l’agente de renvoi, Mme Gina Farrauto, de ne pas surseoir au renvoi de la demanderesse.

[2]À l’origine, le renvoi devait avoir lieu le 3 juin 2005. Après avoir entendu les avocats des deux parties par conférence téléphonique à Ottawa à cette date, j’ai ordonné un sursis temporaire et demandé que l’on me présente des allégations écrites quant à l’application des conventions internationales ratifiées par le gouvernement du Canada dans le contexte des mesures de renvoi décrétées par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC).

[3]Le 5 août 2005, j’ai entendu les avocats des deux parties dans le cadre d’une téléconférence. Ils ont fait le point sur la situation de la demanderesse et ont longuement exposé leurs points de vue au sujet du rôle approprié des agents de renvoi, notamment la question de savoir s’ils devaient prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dont le père ou la mère devait être renvoyé du pays, et dans quelle mesure. À la fin de l’audience, j’ai ordonné la prolongation du sursis jusqu’à mon jugement définitif. Après examen des prétentions des deux parties et de la situation de la demanderesse, j’ai décidé de lui accorder le sursis demandé. Les motifs de ma décision sont les suivants.

Le contexte

[4]La demanderesse est venue au Canada en visiteur en septembre 1996. Elle a quitté son mari et ses six enfants, au motif que son mari était violent et qu’il la battait régulièrement. Son visa de visiteur de six mois a été prolongé pour un autre six mois, à savoir jusqu’en septembre 1997. Par la suite, elle est demeurée au pays illégalement.

[5]Le 13 juillet 1999, elle a présenté une revendica-tion du statut de réfugié. Une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été prise contre elle le 23 décembre 1999. Le 29 septembre 2000, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elle n’était pas une réfugiée au motif principal qu’elle n’avait pas demandé la protection de son pays, bien qu’elle pouvait l’obtenir, et qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur. De plus, la Commission a considéré que son témoignage n’était pas crédible.

[6]Par la suite, on a jugé le 13 mars 2002 que la demanderesse ne faisant pas partie de la catégorie de demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Elle ne s’est pas présentée à l’entrevue de renvoi du 8 avril 2002. Un mandat d’arrestation a été délivré à son égard le 10 avril 2002.

[7]Par suite d’une enquête policière, les fonctionnaires de l’immigration ont pu la trouver et elle a été arrêtée le 7 août 2003. Le même jour, elle a été relâchée sous certaines conditions. Parmi ces conditions, on trouvait l’obligation d’aviser de tout changement d’adresse, de se présenter aux autorités deux fois par mois sur demande, entre autres, pour fixer les détails de son renvoi, de coopérer à l’obtention de documents de voyage et de ne pas détenir un emploi.

[8]Le 7 août 2003, on l’a avisée personnellement qu’elle pouvait présenter une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Elle a fait une demande d’ERAR le 17 août 2003. Le 26 janvier 2004, elle a été jugée ne pas être exposée au risque d’être persécutée ou torturée, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait dans son pays d’origine.

[9]Vers la fin de 2003, elle a payé un consultant pour qu’il dépose une demande CH en son nom. Plusieurs mois plus tard, elle a découvert que rien n’avait été fait dans son dossier. Elle a alors retenu les services d’un avocat, qui a présenté la demande en novembre 2004.

[10]Dans l’intervalle, elle a fait la connaissance d’un compagnon et a donné naissance à deux enfants au Canada, Dennis Russell Balayo, né le 4 janvier 2003, et Hygel Nicholas Felicidario, né le 1er août 2000. Malheureusement pour elle, ce compagnon a épousé une autre femme le 4 février 2002. Même s’il a déclaré dans un affidavit qu’il s’intéresse de façon active à la vie de ses enfants et qu’il les rencontre une ou deux fois par semaine, les enfants n’ont jamais vécu avec lui car son épouse ne le désire pas. Il est sans emploi et ne pourrait s’occuper d’eux.

[11]Les fonctionnaires de l’immigration sont entrés en contact avec la demanderesse pour lui demander de se présenter à leurs bureaux le 22 avril 2004. À cette occasion, on lui a dit d’obtenir des passeports canadiens pour ses enfants et de faire une demande de passeport pour elle‑même, le sien étant expiré.

[12]Le 31 mai 2004, la demanderesse s’est présentée aux bureaux de l’immigration, mais elle n’avait pris aucune mesure pour obtenir des passeports pour ses enfants. Son renvoi était prévu pour le 1er juillet 2004. Le 25 juin 2004, elle s’est présentée à une entrevue de renvoi sans passeports pour ses enfants. Par conséquent, les arrangements du renvoi ont été annulés.

[13]Le 28 septembre 2004, la demanderesse s’est présentée à nouveau à une entrevue de renvoi. Elle n’avait toujours pas de passeports pour ses enfants. On lui a à nouveau dit de faire des demandes de passeport pour ses enfants et de se présenter à l’immigration le 22 octobre 2004. Son renvoi était prévu pour le 4 novembre 2004.

[14]La demanderesse ne s’est pas présentée aux fonctionnaires de l’immigration le 22 octobre 2004. Il a fallu annuler à nouveau les arrangements du renvoi prévu pour le 4 novembre 2004, après que l’agent de renvoi eut appelé à la résidence de la demanderesse et qu’on lui eut dit que personne de ce nom ne vivait à cette adresse.

[15]La demanderesse ne s’est pas présentée à une nouvelle entrevue de renvoi le 9 novembre 2004 et un mandat d’arrestation a été délivré à son encontre le 17 novembre 2004. Elle a aussi cessé de se présenter au Centre de contrôle‑cautionnements, comme elle le devait, et elle a changé d’adresse sans en aviser Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) non plus que l’ASFC.

[16]Par suite d’une enquête policière, les autorités d’immigration ont pu la trouver et elle a été arrêtée le 6 mai 2005. Elle est en détention depuis cette date, en attente de son renvoi. Il semble que, pour le moment, le père s’occupe des enfants.

[17]Son avocate a écrit à l’agente d’exécution, Mme Farrauto, le 31 mai 2005. Elle demandait que l’on reporte le renvoi de la demanderesse, prévu pour le 3 juin 2005. Elle a soutenu que si la demanderesse devait quitter le Canada, elle voulait partir avec ses enfants parce qu’ils seraient soumis à de graves difficultés s’ils étaient séparés d’elle. Elle a expliqué qu’un autre avocat avait présenté une demande pour que la demanderesse obtienne la garde exclusive de ses enfants et que le père était d’accord. Elle a aussi fait savoir que le père cherchait à obtenir les certificats de naissance des enfants pour qu’ils puissent voyager avec elle.

[18]Dans sa réponse, datée du 1er juin 2005, Mme Farrauto déclare que l’article 48 de la LIPR [Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27] l’oblige à appliquer la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Elle ajoute ceci : [traduction] «Après avoir examiné votre demande, je ne crois pas qu’il soit approprié dans les circonstances de différer l’application de la mesure de renvoi».

[19]Il est clair qu’en termes humains cette histoire est triste à fendre le cœur. Par ailleurs, on peut facilement comprendre l’exaspération et la frustration des fonctionnaires de l’immigration au vu des manœuvres évidentes de la demanderesse pour contourner la loi et pour utiliser toutes les options se présentant à elle pour éviter d’être renvoyée du pays. Il y a toutefois autre chose en cause, puisque l’intérêt de deux tiers innocents doit aussi être pris en compte.

[20]Si la demanderesse doit avoir gain de cause, elle doit répondre aux trois volets du critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123. En d’autres mots, la Cour doit être convaincue que la demanderesse a soulevé une question sérieuse à trancher, qu’elle subira un préjudice irréparable si elle est renvoyée du Canada et que la prépondérance des inconvénients est en sa faveur.

[21]Dans le cas d’une demande de surseoir à l’exécution de la décision de l’agent de renvoi, la Cour n’a pas seulement à décider si on a soulevé une question sérieuse à trancher. Elle doit aller plus loin et examiner le fond de la demande, ainsi que la vraisemblance qu’elle soit accueillie. Comme l’explique le juge Pelletier dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.), au paragraphe 10, cette norme plus élevée est justifiée lorsque le résultat de la requête interlocutoire serait assimilable à une décision définitive :

La Cour suprême du Canada a déclaré que le critère d’une « question  sérieuse  à trancher » consiste tout simplement dans  la  détermination que la question soulevée n’est pas futile : RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, au paragraphe 44. Par contre, pour obtenir gain de cause dans le cadre du contrôle judiciaire sous‑jacent, le demandeur doit démontrer que la décision de ne  pas  différer  l’exécution doit faire l’objet d’un contrôle par suite d’une erreur de droit, d’une erreur quant à la compétence,  d’une  conclusion  de  fait  erronée  tirée de façon arbitraire ou d’un déni de justice naturelle : Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. En conséquence, si le sursis est accordé, la réparation aura été obtenue sur une conclusion que la question soulevée n’est pas futile. Si le sursis n’est pas accordé et que la demande de contrôle judiciaire est examinée, le demandeur devra démontrer au fond  qu’il  y a un motif d’accorder la réparation demandée. La structure du processus fait que le demandeur peut obtenir la  réparation  sollicitée dans sa demande interlocutoire sur une base moins exigeante, nonobstant le fait que cette réparation est justement celle qui est sollicitée dans le cadre du contrôle judiciaire. C’est le fait qu’on sollicite la même réparation dans la demande interlocutoire et dans la demande finale qui me porte à conclure que, comme on sollicite la même réparation, on devrait l’obtenir sur une même base. Par conséquent, je suis d’avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous‑jacente.

[22]C’est au vu de cette norme que je vais maintenant analyser le premier volet du critère de l’arrêt Toth. L’avocate de la demanderesse soutient que l’agent de renvoi doit considérer l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’on envisage le renvoi de leur père ou de leur mère. Elle soutient que Mme Farrauto a refusé de reporter le renvoi, nonobstant le fait qu’elle savait que les enfants n’avaient toujours pas de titres de voyage et que la mère cherchait à obtenir la garde exclusive afin que ses enfants puissent l’accompagner si elle devait quitter. Elle a soutenu que l’agente n’avait pas démontré qu’elle était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle ne s’était pas intéressée à la question de savoir ce qui arriverait aux enfants s’ils ne pouvaient partir avec leur mère.

[23]On a beaucoup parlé de la décision de notre Cour dans Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2003 CF 1341, dans laquelle ma collègue la juge Simpson a conclu que lorsque l’un des parents fait l’objet d’une mesure de renvoi et que les enfants restent au Canada, l’agent de renvoi devrait reporter l’exécution de la mesure de renvoi en attendant la décision concernant la demande CH, de manière à donner effet à l’obligation qu’a le Canada en vertu de l’article premier de la Convention relative aux droits de lenfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3]. La juge Simpson était d’avis que l’alinéa 3(3)f) de la LIPR a « incorporé » la Convention dans notre droit interne [au paragraphe 13] « dans la mesure où la LIPR doit être interprétée et appliquée d’une façon qui soit compatible avec la Convention ». Cette Convention traite des droits des enfants et reconnaît dans son préambule que l’enfance à droit à une aide et à une assistance spéciales.

[24]En conséquence, elle a conclu qu’il serait contraire à la Convention d’utiliser les dispositions de la LIPR pour séparer le demandeur et ses enfants avant qu’une décision soit prise concernant la demande CH, parce que ce n’est que pendant l’examen de cette demande que l’intérêt supérieur des enfants peut être pleinement étudié et traité comme une considération primordiale. Elle a donc conclu qu’il y avait une question sérieuse dans cette affaire, à savoir si l’existence d’une demande CH pendante constitue un empêchement au renvoi du demandeur parce que l’étude de la demande CH doit être menée à terme afin de satisfaire aux obligations du Canada au vu de la Convention.

[25]Il va de soi que l’avocat des défendeurs s’est vigoureusement opposé à cet argument. Premièrement, il n’est pas d’accord que l’alinéa 3(3)f) aurait incorporé la Convention dans notre droit interne, puisque cette disposition n’est ni assez précise ni assez détaillée pour qu’on puisse assimiler au droit canadien les traités internationaux sur les droits de la personne dont le Canada est signataire. Cette disposition n’est qu’une codification du principe d’interprétation des lois qui veut que le droit interne doit, dans la mesure du possible, être interprété au vu de nos obligations internationales. L’existence de l’alinéa 3(3)f) ne peut être invoquée pour écarter ou récrire de façon fondamentale les dispositions de la LIPR. Or, c’est ce qui arriverait si l’existence d’une demande CH pendante constituait un empêchement au renvoi.

[26]Il est clair que les traités et conventions internationaux ne font pas partie du droit canadien, à moins d’y avoir été incorporés par une loi (voir notamment Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618; Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141). Néanmoins, on reconnaît maintenant que le droit international portant sur les droits de la personne peut être utilisé pour faciliter l’interprétation du droit interne, même s’il n’a pas été adopté de façon formelle par une loi. Ceci a été énoncé clairement par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[27]Le juge Kelen a correctement résumé le droit dans l’affaire De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2005] 2 R.C.F. 162 (C.F.), au paragraphe 53 :

J’ai conclu que l’alinéa 3(3)f) de la LIPR codifie le principe fondamental d’interprétation législative en common law selon lequel les lois internes devraient être interprétées de façon à refléter les valeurs contenues dans les conventions internationales portant sur les droits de l’homme auxquelles le Canada a adhéré. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a statué, au paragraphe 70, que les valeurs exprimées à l’égard des droits de la personne dans les conventions internationales peuvent « être prises en compte dans l’approche contextuelle » de l’interprétation des lois. Cependant, l’alinéa 3(3)f) de la LIPR n’incorpore pas les conventions internationales portant sur les droits de l’homme dans la législation canadienne pas plus qu’il n’énonce qu’elles outrepassent les termes simples d’une loi. L’alinéa 3(3)f) de la LIPR signifie que les conventions devraient être considérées par la Cour comme un « contexte » lorsqu’elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d’immigration.

[28]Il n’y a pas de contradiction entre cette déclara-tion et ce que la juge Simpson a déclaré dans Martinez, nonobstant la confusion qui peut exister parce qu’elle a utilisé le terme « incorporé ». La question n’est pas vraiment de savoir si la Convention relative aux droits de lenfant peut être utilisée en application de l’alinéa 3(3)f) pour faciliter l’interprétation de dispositions ambiguës de la LIPR, mais bien de savoir s’il y a ambiguïté au sujet du rôle que l’agent de renvoi devrait jouer.

[29]Le paragraphe 48(2) de la LIPR déclare que « [l]’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent ». Il y a entente sur le fait que cette disposition laisse très peu de discrétion à l’agent de renvoi. Comme le juge Nadon l’a déclaré dans Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigra-tion), [2000] A.C.F. no 936, au paragraphe 12 :

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face.

[30]On convient aussi généralement que la seule existence d’une demande CH ne peut pas empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi. Comme le juge Noël l’a avec raison fait remarquer : « Décider autrement reviendrait en fait à permettre aux demandeurs de surseoir automatiquement et unilatérale-ment à l’exécution de mesures de renvoi valablement prises en déposant la demande appropriée et ce, selon leur volonté et à leur loisir. Cette conséquence n’est certainement pas celle visée par le législateur ». (Francis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1997] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL), au paragraphe 2).

[31]La jurisprudence de notre Cour n’est pas unanime sur la question de savoir si l’agent de renvoi a l’obligation d’examiner l’intérêt supérieur d’un enfant lorsqu’il évalue quand il sera possible d’exécuter une ordonnance de renvoi. Dans certaines affaires, on a rejeté sans ambages l’existence d’une telle obligation (voir, par exemple, John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2003 CFPI 420; Mensah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2004 CF 78), alors que dans d’autres affaires, on s’est appuyé sur le fait qu’il n’y avait pas une preuve claire quant à l’impact du renvoi sur l’enfant pour justifier la non‑intervention dans la décision de l’agent de procéder au renvoi (voir, par exemple, Buchting c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2003 CF 953; Parsons c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2003 CF 913).

[32]Il existe de toute évidence un certain inconfort face à l’idée d’un empêchement absolu au renvoi d’un père ou d’une mère qui a des enfants canadiens avant qu’on ait tranché sa demande CH. Si le législateur avait voulu introduire un sursis automatique lorsqu’une demande de droit d’établissement pour motifs humanitaires a été déposée et qu’il y a des enfants en cause, il aurait pu le préciser, comme il l’a fait dans certaines circonstances (voir les articles 49 et 50 de la LIPR).

[33]En effet, la Cour suprême du Canada n’est pas allée aussi loin dans l’arrêt Baker. Dans ses motifs, la juge L’Heureux‑Dubé a reconnu explicitement qu’une décision d’ordre humanitaire est importante, non seulement parce qu’elle a des conséquences capitales sur l’avenir des intéressés, mais parce qu’« [e]lle peut également avoir des répercussions importantes sur la vie des enfants canadiens de la personne qui a fait la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire puisqu’ils peuvent être séparés d’un de leurs parents ou déracinés de leur pays de citoyenneté, où ils se sont installés et ont des attaches » (paragraphe 15). Il est clair au vu de ce texte qu’une décision CH négative peut mener à la séparation d’un enfant de son père ou de sa mère.

[34]De plus, il faut insister sur le fait que la Convention relative aux droits de lenfant n’exclut pas totalement la possibilité qu’un enfant soit séparé de ses parents. Comme l’a fait remarquer le juge Nadon dans Simoes, après avoir renvoyé à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Langner c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration), [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL) :

[. . .] cela confirme que l’intérêt de l’enfant est une considéra-tion importante, mais pas une considération qui en soi et à elle seule peut empêcher l’application de la loi—par exemple, sous la forme d’une mesure de renvoi. C’est ce que montre la Convention relative aux droits de lenfant, R.T. Can. 1992 no 3,  qui non seulement traite, au paragraphe 3(1), de l’intérêt des enfants, mais qui prévoit aussi la possibilité que les enfants  soient  séparés  de leurs parents dans le contexte d’une détention, d’une expulsion, d’un emprisonnement ou d’un décès. Comme le prévoit le paragraphe 9(4) de la Convention :

[. . .]

Lorsque la séparation [des enfants et de leurs parents] résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’État partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien‑être de l’enfant. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas en elle‑même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées. [Notes de bas de page omises)

[35]À mon avis, il est clair que la Convention vise à protéger le bien‑être de l’enfant plutôt qu’à empêcher un gouvernement d’expulser ou d’emprisonner ses parents. Bref, au contraire de ce que la demanderesse affirme, la présence d’un enfant ne peut pas empêcher un gouvernement d’appliquer ses lois d’une façon absolue.

[36]Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que le fait de déposer une demande CH ne constitue pas un empêchement automatique à l’exécution d’une ordonnance de renvoi, même si le résultat est la séparation d’un enfant de ses parents. De la même façon, on ne peut pas exiger des agents de renvoi qu’ils se livrent à un examen approfondi des motifs humanitaires que l’on doit examiner dans le cadre d’une évaluation CH. Ceci constituerait non seulement une « demande préalable » CH, comme le dit le juge Nadon dans l’affaire Simoes, mais il y aurait double emploi jusqu’à un certain point avec la vraie évaluation CH. Ce qui est plus important encore, c’est que les agents de renvoi n’ont aucune compétence ou autorité déléguée pour décider d’une demande de résidence permanente présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR. Ils sont employés par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui est sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et non par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ils n’ont pas la formation requise pour faire une évaluation CH.

[37]Ceci étant, si on veut prendre au sérieux l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut examiner jusqu’à un certain point ce qui lui arriverait si son père ou sa mère ou les deux devaient être renvoyés du Canada. Comme c’est souvent le cas, je crois que la solution se trouve quelque part entre les positions extrêmes adoptées par les parties. Bien qu’il n’y ait pas lieu de décréter un empêchement absolu au renvoi, il serait tout aussi inacceptable d’adopter l’approche où l’agent de renvoi n’examine pas du tout la situation de l’enfant.

[38]Je partage l’avis de ma collègue la juge Snider que l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une question de tout ou rien, mais bien une question de degré. Alors qu’une analyse approfondie est nécessaire dans le contexte d’une demande CH, un examen moins élaboré peut suffire dans le contexte d’autres décisions à prendre. Au vu de l’article 48 de la Loi, ainsi que de l’économie générale de celle‑ci, je partage aussi son avis que l’obligation de l’agent de renvoi d’examiner l’intérêt des enfants nés au Canada se situe du côté d’un examen moins élaboré (John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration)).

[39]Lorsque qu’il évalue une demande CH, l’agent d’immigration doit pondérer l’intérêt de l’enfant à long terme. On trouve un guide utile quant aux facteurs dont on peut tenir compte dans le chapitre IP 5 (Demandes d’établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH) du Guide de limmigration publié par Citoyenneté et Immigration Canada. Les facteurs liés au bien‑être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération. Parmi les exemples de facteurs à prendre en compte, on trouve : l’âge de l’enfant; le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH; le degré d’établissement de l’enfant au Canada; les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH; les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant; les conséquences sur l’éducation de l’enfant; et les questions relatives au sexe de l’enfant. Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), au paragraphe 6, le juge Décary résume brièvement le tout : «l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent».

[40]Il est clair que ce n’est pas ce genre d’évaluation qu’un agent de renvoi doit faire lorsqu’il doit décider quand « les circonstances [. . .] permettent » d’appliquer une ordonnance de renvoi. Toutefois, il doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Par exemple, il est clair que l’agent de renvoi a le pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi jusqu’à ce que l’enfant ait terminé son année scolaire, si l’enfant doit quitter avec l’un de ses parents. De la même façon, je ne peux tirer la conclusion que l’agent de renvoi ne devrait pas vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. Il est clair que ceci est dans son mandat, dans la mesure où l’article 48 de la LIPR doit s’accorder avec les dispositions de la Convention relative aux droits de lenfant. Le fait de s’enquérir de la question de savoir si on s’occupera correctement d’un enfant ne constitue pas une évaluation CH approfondie et ne fait en aucune façon double emploi avec le rôle de l’agent d’immigration qui doit par la suite traiter d’une telle demande (voir Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2004 CF 1161).

[41]En l’espèce, les deux enfants de la demanderesse sont très jeunes et personne ne semble prêt à s’en occuper à part leur mère. Pourtant, elle ne peut pas les prendre avec elle puisque sa demande d’ordonnance de garde exclusive n’a pas encore été tranchée. Par conséquent, j’arrive à la conclusion que la demanderesse a soulevé une question sérieuse, même en appliquant la norme plus exigeante qui est requise dans un tel cas, lorsqu’elle soutient que l’agente de renvoi n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et qu’elle n’a pas été «réceptive, attentive et sensible» à l’intérêt supérieur des enfants.

[42]Il n’y a aucun doute dans mon esprit que les deux enfants de la demanderesse nés au Canada subiront un préjudice irréparable si elle est renvoyée du Canada et qu’ils ne peuvent pas partir avec elle. La preuve démontre clairement que leur situation serait au mieux précaire, puisque ni leur père ni le compagnon actuel de la demanderesse ne semblent disposés à s’en occuper à long terme, sans parler de leur fournir un environnement affectueux et stable. Une telle violation des intérêts d’un enfant et de ses droits les plus fondamentaux doit nécessairement être qualifiée de préjudice irréparable.

[43]Finalement, je suis d’avis que la prépondérance des inconvénients est en faveur de la demanderesse au vu des circonstances très particulières de la présente affaire.

Conclusion

[44]En conséquence, il y a lieu de surseoir au renvoi de la demanderesse jusqu’à ce qu’on ait tranché l’une ou l’autre des procédures suivantes,

1) une évaluation pleine et entière des intérêts des enfants de la demanderesse au vu de la possibilité du renvoi de la demanderesse du Canada et dans le contexte de la demande CH pendante; ou

2) une décision sur la demande de contrôle judiciaire de la décision de ne pas surseoir au renvoi de la demanderesse.

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