2005 CF 1172
T-1996-01
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau- Brunswick (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
T-490-02
Marie-Claire Paulin (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
et
La commissaire aux langues officielles (intervenante)
Répertorié : Société des acadiens et acadiennes du Nouveau-Brunswick c. Canada (C.F.)
Cour fédérale, juge Gauthier--Ottawa, 19 et 20 avril; 26 août 2005.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits linguistiques -- Demandes en vertu de l'art. 24 de la Charte canadienne des droits et libertés qui soulevaient des questions relativement aux obligations linguistiques de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) lorsqu'elle fournit les services de police provinciaux décrits dans son contrat avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick -- La Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick est une corporation à but non lucratif qui poursuit son mandat de porte-parole de la communauté acadienne du Nouveau- Brunswick et elle assume un rôle de protection et de promotion des droits et intérêts de cette communauté -- Elle a contesté une réduction proposée des obligations de la GRC en matière de communications orales au Nouveau-Brunswick -- La demanderesse Paulin, citoyenne du Nouveau- Brunswick, a été arrêtée par un agent de la GRC sur la route transcanadienne au Nouveau-Brunswick pour excès de vitesse -- L'agent était incapable de parler français -- Le billet de contravention a été émis en français et la demanderesse a payé l'amende -- 1) La GRC a-t-elle l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées aux art. 16.1, 16(2) et 20(2) de la Charte; 2) la GRC doit-elle tenir compte et se conformer aux art. 16.1, 16(2) et 20(2) lorsqu'elle interprète et met en oeuvre, au Nouveau-Brunswick, l'art. 20(1) de la Charte, la Loi sur les langues officielles du Canada (la LLO) et le Règlement sur les langues officielles -- communications avec le public et la prestation de services? -- 1) La Charte s'applique à la GRC, car celle-ci relève de l'autorité constitutionnelle du Parlement -- L'interprétation institutionnelle des mots « gouvernement et législature » à l'art. 32 de la Charte en étend l'application à tous les organismes sur lesquels le gouvernement exerce un contrôle suffisant -- L'interprétation fonctionnelle étend leur application à tous les organismes qui exercent une « fonction gouvernementale » -- L'agent de la GRC accomplissait une fonction gouvernementale lorsqu'il a arrêté la demanderesse et émis le billet de contravention -- Lorsqu'elle fournit les services de police prévus au contrat, la GRC doit respecter les obligations prévues pour les institutions de cette province à l'art. 20(2) de la Charte -- L'interprétation institutionnelle de l'art. 20(1) de la Charte ne limite pas une interprétation fonctionnelle de l'art. 20(2) -- La réponse à la première question est affirmative, puisque la GRC a l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées à l'art. 20(2) de la Charte -- 2) Les obligations linguistiques prévues par la Charte représentent un seuil et non pas un plafond -- Les art. 16(2) et 20(2) ne sont pas pertinents à l'interprétation de la LLO du Canada et du Règlement -- Toutefois, l'art. 16.1(1) énonce un principe d'application générale à l'intérieur de la province du Nouveau-Brunswick -- L'art. 16.1(1) lie le Parlement et le gouvernement fédéral en vertu du principe général de l'art. 32 -- Le gouverneur général en conseil a exercé le pouvoir de définir le concept de demande importante dans le Règlement -- La GRC doit donc référer au Règlement, et non à l'art. 16.1(1) de la Charte pour interpréter et mettre en oeuvre ses obligations constitutionnelles -- La spécificité du Règlement ne permet pas une interprétation particulière quant aux bureaux situés dans le Nouveau-Brunswick -- L'expression « demande importante » dans la Charte réfère à la demande dont fait l'objet un bureau d'une institution fédérale.
Langues officielles -- La GRC a-t-elle l'obligation de se conformer aux obligations linguistiques énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi sur les langues officielles du Canada (la LLO) et le Règlement lorsqu'elle fournit les services de police provinciaux en vertu de son contrat avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick? -- Mais l'art. 20(2) de la Charte traite de prestation de services -- L'étendue et la qualité de la prestation des services au public par la GRC sur le territoire du Nouveau-Brunswick sont des questions de niveau de services, et non pas de régie interne -- En vertu du contrat, le ministre responsable des services de police dans la province du Nouveau-Brunswick a un contrôle important à l'égard du niveau de services -- Le ministre et le Commissaire aux langues officielles fixent le niveau de services -- Il n'y avait aucune preuve que le contrat fixait une obligation linguistique différente de celle généralement prévue à l'art. 20(1) de la Charte, ainsi que dans la LLO et son Règlement -- Il n'est pas évident que les droits collectifs reconnus aux deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick ont un impact sur le droit individuel des membres du public de communiquer ou de recevoir des services en français ou en anglais -- La preuve était insuffisante pour déterminer si le Règlement créait une inégalité entre les deux communautés linguistiques.
GRC -- La GRC fournit des services de police provinciaux au Nouveau-Brunswick, conformément au contrat conclu avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick -- L'art. 16.1 de la Charte accorde des statuts égaux aux communautés francophone et anglophone au Nouveau-Brunswick -- En vertu de l'art. 16(2) de la Charte, le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick -- L'art. 20(2) donne au public, au Nouveau-Brunswick, le droit de recevoir des services du gouvernement en français ou en anglais -- La GRC est une institution fédérale -- Elle avait l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées à l'art. 20(2) -- Les art. 16.1 et 16(2) peuvent servir à interpréter l'obligation établie à l'art. 20(2) -- La GRC devait aussi tenir compte de l'art. 16.1 pour interpréter et mettre en oeuvre l'art. 20(1).
Il s'agissait de deux demandes, présentées en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), dans lesquelles la Cour devait répondre à des questions spécifiques relativement aux obligations linguisti-ques de la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) lorsqu'elle fournit les services de police provinciaux décrits dans son contrat avec le gouvernement du Nouveau- Brunswick. Le contrat prévoit que la GRC est sujette au contrôle du procureur général provincial ou du ministre responsable des services de police lorsqu'elle offre les services de police provinciaux en vertu de ce contrat. En vertu du paragraphe 16(1) de la Charte, le français et l'anglais ont des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du gouvernement du Canada. En vertu du paragraphe 16(2), le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick. L'article 16.1 accorde une égalité de statut aux deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick. Le paragraphe 20(1) accorde au public le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions du gouvernement du Canada, ou pour en recevoir les services, là où l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante ou cela se justifie par la vocation du bureau. Aussi, le paragraphe 20(2) accorde au public, au Nouveau- Brunswick, le droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour recevoir des services de tout bureau des institutions du gouvernement. Enfin, la Charte s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada (alinéa 32(1)a)) et à la législature et au gouvernement de chaque province (alinéa 32(1)b)). En vertu de la partie V de la Loi sur les langues officielles (la LLO) du Canada, le Nouveau-Brunswick est désigné comme étant bilingue. La demanderesse Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick est une corporation à but non lucratif qui agit à titre de porte-parole de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick et elle assume un rôle de protection et de promotion des droits et intérêts de cette communauté. Elle contestait une réduction proposée des obligations de la GRC en matière de communications orales dans la division du Nouveau- Brunswick. La demanderesse Marie-Claire Paulin (la demanderesse) est une citoyenne du Nouveau-Brunswick. Elle a été arrêtée le 26 avril 2000 par un agent de la GRC sur la route transcanadienne, dans la province du Nouveau- Brunswick, pour excès de vitesse. L'agent de la GRC ne pouvait s'adresser à elle en français et il n'a fait aucune offre en ce sens. Le billet de contravention a été émis en français et la demanderesse a payé l'amende. Les questions posées à la Cour étaient : 1) La GRC a-t-elle l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées à l'article 16.1, et aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte? 2) Doit-elle tenir compte et se conformer à l'arcile 16.1, et aux paragraphes 6(2) et 20(2) lorsqu'elle interprète et met en oeuvre, au Nouveau-Brunswick, le paragraphe 20(1) de la Charte, la LLO et le Règlement sur les langues officielles -- communications avec le public et la prestation de services?
Jugement : les questions ont été répondues comme il est indiqué ci-dessous.
Les principes d'interprétation des droits linguistiques sont enchâssés dans la Constitution. La Cour suprême du Canada a déclaré que les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada. Ils sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale. La LLO bénéficie aussi d'un statut particulier. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu et elle obéira aux règles d'interprétation de la Charte.
1) La Charte s'applique à la GRC, laquelle relève de l'autorité constitutionnelle du Parlement. Pour ce qui est des questions de régie interne, comme celle de la classification des postes, la GRC est et demeure en tout temps une institution fédérale. Par contre, le paragraphe 20(2) de la Charte traite d'abord et avant tout de prestations de services. Ce n'est que par ricochet que le niveau de prestations de services a un impact sur l'administration interne et la classification des postes parce que ce niveau de prestations est un des facteurs objectifs dont tient compte le Commissaire aux langues officielles. L'étendue et la qualité de la prestation des services au public sur le territoire du Nouveau-Brunswick sont plus des questions de niveau de services que de régie interne et, en vertu du contrat, le ministre responsable des services de police dans la province du Nouveau-Brunswick a un contrôle important à l'égard de ces questions. Le ministre fixe, en consultation avec le commissaire, le niveau des services. Il n'y avait aucune preuve devant la Cour qu'une obligation linguistique différente de celle généralement prévue au paragraphe 20(1) de la Charte, et dans la LLO du Canada et son Règlement, avait été fixée par contrat. Les obligations linguistiques prévues dans la Charte représentent un seuil, et non pas un plafond.
L'interprétation institutionnelle des mots « gouvernement et législature » à l'article 32 de la Charte en étend l'application à tous les organismes sur lesquels le gouvernement exerce un contrôle suffisant. En plus, ces mots ont reçu une interprétation fonctionnelle qui étend leur application à tous les organismes qui exercent une « fonction gouvernementale », c.-à-d. ceux qui exercent, en vertu d'une loi ou d'une autre autorité statutaire, le pouvoir de contraindre de façon unilatérale les comportements humains. Le langage des articles 16, 18 et 20 de la Charte diffère quelque peu de celui de l'article 32, mais les critères utilisés en vertu de l'article 32 ont aussi été appliqués pour déterminer quel organisme est une institution du gouvernement au sens de ces articles.
En arrêtant la demanderesse et en lui remettant une contravention, l'officier de la GRC accomplissait une fonction gouvernementale, plus particulièrement une fonction du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Lorsque la GRC accomplit des actes relatifs aux services de police prévus au contrat, elle doit, quant à ces actes seulement, respecter les obligations prévues pour les institutions de cette province au paragraphe 20(2) de la Charte. Le fait que la GRC soit aussi une institution fédérale soumise au respect des obligations précisées au paragraphe 20(1) lorsque l'on applique l'interprétation institutionnelle ne limite pas l'application d'une interprétation fonctionnelle du paragraphe 20(2) de la Charte. Donc, si les services sont fournis en vertu d'un contrat similaire avec une province qui n'a aucune obligation linguistique, la GRC doit naturellement respecter les obligations prévues au paragraphe 20(1) de la Charte qui lui sont applicables parce qu'elle est une institution fédérale. Par conséquent, la GRC a l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées au paragraphe 20(2) de la Charte, étant entendu que l'article 16.1 et le paragraphe 16(2) peuvent servir à interpréter l'obligation établie au paragraphe 20(2).
2) La deuxième question devait être analysée à l'égard des obligations des institutions du gouvernement fédéral seulement. En outre, la Cour ne pouvait examiner cette question que par rapport au concept de la demande importante que l'on retrouve à l'alinéa 20(1)a) de la Charte et à l'article 22 de la LLO du Canada. Les paragraphes 16(2) et 20(2) énoncent les obligations constitutionnelles des institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick et ne sont pas pertinentes à l'interprétation de la LLO du Canada et du Règlement. L'objet de la LLO du Canada et du Règlement est de mettre en oeuvre les obligations constitutionnelles linguistiques du Parlement et du gouvernement fédéral. Le législateur canadien ne peut être tenu de tenir compte de ces dispositions dans la mise en oeuvre de ses propres obligations, puisque la Charte ne s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada que dans les domaines relevant de leur juridiction.
Toutefois, la situation est différente quant au paragraphe 16.1(1) en ce qu'il énonce un principe d'application générale à l'intérieur de la province du Nouveau-Brunswick. Il lie donc en principe le Parlement et le gouvernement fédéral en vertu du principe général exposé à l'article 32. Le mécanisme bilatéral de l'article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour la modification de la Constitution, ne peut être utilisé que pour modifier les dispositions relatives à l'usage du français et de l'anglais dans une province, que l'on interprète le paragraphe 16.1(1) comme liant les deux paliers de gouvernement ou seulement le gouvernement du Nouveau- Brunswick. Dans le cadre du fédéralisme canadien, le droit fédéral peut, pour des motifs légitimes, être appliqué de façon différente dans certaines provinces. Compte tenu de la preuve, la Cour ne pouvait pas conclure que la règle générale de l'article 32 ne s'appliquait pas à l'énoncé de principe du paragraphe 16.1(1). Le gouvernement fédéral doit donc en tenir compte.
Néanmoins, dans le contexte factuel devant elle, la Cour n'était pas tenue de répondre à la deuxième question par l'affirmative. La question était de déterminer si la GRC, en tant qu'institution fédérale, était tenue de tenir compte du paragraphe 16.1(1) dans l'interprétation du concept de demande importante aux termes de l'alinéa 20(1)a) de la Charte, et de l'article 22 de la LLO du Canada et de son Règlement. Le législateur canadien a donné au gouverneur général en conseil le pouvoir de définir ce concept de demande importante en tenant compte, entre autres, des critères énoncés à l'article 32 de la LLO du Canada. Celui-ci ayant exercé son pouvoir, c'est donc au texte du Règlement que la GRC, en tant qu'institution fédérale, doit référer pour interpréter et mettre en oeuvre ses obligations constitution-nelles. S'il existe une ambiguïté ou si le langage du Règlement se prête à deux interprétations, elle pourra et devra adopter l'interprétation qui serait plus conforme aux obligations décrites dans la Charte. Vu la spécificité du Règlement, on ne pourrait permettre une interprétation particulière quant aux bureaux situés au Nouveau-Brunswick et la GRC doit l'appliquer tel quel. Les obligations prévues dans ces lois constituent un seuil et rien n'empêche une institution fédérale d'aller au-delà de ses obligations statutaires si cela est approprié.
Quant à l'interprétation de l'expression « demande importante », il n'était pas évident que les droits collectifs reconnus aux deux communautés linguistiques au Nouveau- Brunswick ont eu un impact sur le droit individuel des membres du public de communiquer ou de recevoir des services en français ou en anglais, comme le décrit l'alinéa 20(1)a). En outre, la Charte réfère à la demande importante dont fait l'objet un bureau d'une institution fédérale. Aussi, la preuve était insuffisante pour déterminer si dans les faits le Règlement crée une inégalité entre les deux communautés linguistiques.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16, 16.1 (édicté par TR/93-54, art. 1), 18, 20, 24, 32.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92(14), 93, 93A (édicté par TR/97-141). |
Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 43. |
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 18, 20. |
Loi sur la Police, L.N.-B. 1977, ch. P-9.2, art. 2 (mod. par L.N.-B. 1981, ch. 59, art. 2; 1984, ch. 54, art. 1(F); 1996, ch. 18, art. 2; 1997, ch. 60, art. 3; 2002, ch. 54, art. 25). |
Loi sur les langues officielles, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5, art. 1 « agent de la paix », 27, 30, 31. |
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 2, 22, 23(1), 25, 32. |
Loi sur les municipalités, L.R.N.-B. 1973, ch. M-22. |
Loi sur les véhicules à moteur, L.R.N.-B. 1973, ch. M-17. |
Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, art. 5, 6(1),d). |
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46; 194 F.T.R. 181; 2001 CFPI 239; Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671; (2004), 260 F.T.R. 61; 2004 CF 1444; Potter c. Québec (Procureur général), [2001] R.J.Q. 2823 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2002] 3 R.C.S. x; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 156 N.R. 81.
décisions examinées :
R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; (1999), 173 D.L.R. (4th) 193; 121 B.C.A.C. 227; 134 C.C.C. (3d) 481; 238 N.R. 131; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; (1990), 123 N.R. 83 (C.A.); Gautreau c. Nouveau-Brunswick (1989), 101 R.N.-B. (2e) 1(B.R. (1re inst.)); infirmée (1990), 109 R.N.-B. (2e) 54; 60 C.C.C. (3d) 332 (C.A.); R. c. Haché (1993), 139 R.N.-B. (2e) 81 (C.A.); Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada (Gendarmerie Royale) (2001), 244 R.N.-B. (2e) 366 (B.R. (1re inst.)); Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.) et autre, [1979] 1 R.C.S. 218; (1979), 90 D.L.R. (3d) 161; 43 C.C.C. (2d) 49; 6 C.R. (3d) 145; 24 N.R. 1; Procureur général de l'Alberta et autre c. Putnam et autre, [1981] 2 R.C.S. 267; (1981), 28 A.R. 387; 123 D.L.R. (3d) 257; [1981] 6 W.W.R. 217; 62 C.C.C. (2d) 51; R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1; 2003 NSSCF 256; Regina v. Lerke (1986), 67 A.R. 390; 25 D.L.R. (4th) 403; [1986] 3 W.W.R. 17; 43 Alta. L.R. (2d) 1; 24 C.C.C. (3d) 129; 49 C.R. (3d) 324; 20 C.R.R. 31 (C.A.).
décisions citées :
Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3; (2000), 184 Nfld. & P.E.I.R. 44; 181 D.L.R. (4th) 1; 70 C.R.R. (2d) 1; 249 N.R. 140; 2000 CSC 1; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773; (2002), 214 D.L.R. (4th) 1; 289 N.R. 282; 2002 CSC 53; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844; (1997), 152 D.L.R. (4th) 577; 43 M.P.L.R. (2d) 1; 219 N.R. 1; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 260 N.R. 1; 2000 CSC 44; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; (1990), 76 D.L.R. (4th) 545; 91 CLLC 17,004; 2 C.R.R. (2d) 1; 118 N.R. 1; 45 O.A.C. 1; Stoffman c. Vancouver General Hospiral, [1990] 3 R.C.S. 483; [1991] 1 W.W.R. 577; (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 1; 91 CLLC 17,003; Moncton (Ville) c. Charlebois (2001), 242 R.N.-B. (2e) 259; 25 M.P.L.R. (3d) 171; 2001 NBCA 117; R. v. Chang (2003), 339 A.R. 278; [2004] 6 W.W.R. 260; 26 Alta. L.R. (4th) 227; 180 C.C.C. (3d) 330; 112 C.R.R. (2d) 125; 2003 ABCA 293; R. v. N.S. (2002), 97 C.R.R. (2d) 103 (C.J. Ont.); R. v. Jones, [2004] N.B.J. no 510 (C.P.) (QL); Houle c. Maschouche (Ville), [1999] R.J.Q. 1894; (1999), 179 D.L.R. (4th) 90 (C.A.).
doctrine citée
Brun, Henri et Guy Tremblay. Droit constitutionnel, 4e éd. Cowansville (Qc) : Éditions Y. Blais, 2002.
Gendarmerie royale du Canada. Entente sur les Services de police provinciaux : Interprétation et administra-tion, 1er avril 1992, art. 2.1, 3.1, 4.1, 4.2, 7.1, 7.3, 7.4.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 4th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1997.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 4th ed. loose-leaf. Scarborough, Ont. : Carswell, 1997.
Pelletier, Benoît. « Les modalités de la modification de la Constitution du Canada » (1999), 33 R.J.T. 1.
Il s'agissait de deux demandes, présentées en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans lesquelles la Cour devait répondre à des questions spécifiques relativement aux obligations linguistiques de la Gendarmerie royale du Canada lorsqu'elle fournit les services de police provinciaux décrits dans son contrat conclu avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick.
ont comparu :
Michel Doucet pour la demanderesse.
G. Robert Basque, c.r. pour la défenderesse.
François Boileau pour l'intervenante.
avocats inscrits au dossier :
Patterson Palmer, Moncton, pour la demanderesse.
Forbes Roth Basque, Moncton, pour la défenderesse.
Commissariat aux langues officielles, Ottawa, pour l'intervenante.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
[1]La juge Gauthier: La Cour est saisie de deux demandes, l'une de Mme Marie-Claire Paulin et l'autre de la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc., (la Société), en vertu de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [[L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (ci-après la Charte). Dans ce cadre, la Cour doit répondre à certaines questions spécifiques formulées par les parties relativement aux obligations linguistiques de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lorsqu'elle fournit les services de police provinciaux décrits dans son contrat avec le gouvernem ent du Nouveau-Brunswick.
[2]Ces deux actions intentées contre Sa Majesté ont été réunies pour les fins du procès et les parties s'entendent que les réponses aux questions présentées s'appliquent également dans les deux dossiers.
[3]Le Commissaire aux langues officielles a eu la permission d'intervenir dans le dossier T-490-02, mais seulement quant à l'interprétation à donner à l'alinéa 6(1)d ) du Règlement sur les langues officielles-- communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement) et son application au détachement de la GRC de Woodstock, au Nouveau-Brunswick.
[4]Un avis de question constitutionnelle a été signifié aux procureurs génér aux de toutes les provinces et territoires du Canada. Aucun n'est intervenu.
[5]Lors de la conférence préparatoire tenue en présence du juge Simon Noël, les parties avaient indiqué leur intention de faire entendre plusieurs témoins. Toutefoi s depuis, elles se sont entendues sur plusieurs admissions quant aux faits et ont déposé conjointement 23 documents. De plus, la défenderesse a déposé avec le consentement des autres parties l'affidavit de M. Ricciardi. Finalement, les parties se sont auss i entendues sur la formulation des trois questions soumises à la Cour.
[6]Même si certains des faits admis ne sont pas vraiment utiles ou pertinents aux fins de déterminer les questions sur lesquelles les parties se sont entendues, il est op portun de reproduire le texte soumis de commun accord par les parties :
A) La Société des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. est un corps dûment constitué aux termes de la Loi sur les compagnies du Nouveau- Brunswick . Elle est une corporation sans capital social et à but non lucratif. Elle poursuit son mandat de porte-parole de la communauté acadienne du Nouveau- Brunswick et elle assume un rôle de protection et de promotion des droits et intérêts de cette communauté. |
B) Marie-Claire Paulin est une citoyenne du Nouveau-Brunswick, dont la résidence est située au [ ], dans la ville de Moncton dans la province susmention-née. |
C) La Gendarmerie royale du Canada (la GRC) est une force policière du Cana da constituée aux termes de l'article 3 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi). Elle se subdivise en plusieurs régions dont la division « J » (le Nouveau-Brunswick). Selon le paragraphe 20(1) de la Loi , « avec l'agrément du gouverneur en co nseil, le ministre (Solliciteur général du Canada) peut conclure, avec le gouvernement d'une province, des arrangements pour l'utilisation de la [GRC], ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la province et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur ». En vertu d'arrangements pris sous l'article 20 de la Loi , la GRC assure, pour le compte du gouvernement du Nouveau-Brunswick et pour certaines municipalités de la province, l'administration de la justice dans la prov ince et la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur, dont plus précisément celles liées à la prévention du crime, le maintien de l'ordre, l'application des règlements de la circulation, l'application du Code criminel et autres lois en vigueur au Nouveau- Brunswick. |
D) La GRC est une institution fédérale au sens de l'article 3 de la Loi sur les langues officielles du Canada , L.R.C. (1985), ch. O-3 (ci-après la « LLO du Canada »).[. . .] Aux termes d'arrangement pris sous l'article 20 de la Loi , elle met en exécution les lois de la province du Nouveau-Brunswick et de certaines municipalités de cette province. Cependant, la GRC n'est pas un « corps de police » provincial au sens de la Loi sur la police , L.R.N.-B. 1977, ch. P-9.2 [sic]. |
E) Le Solliciteur général (ministre de la Sécurité publique) du Nouveau-Brunswick émet des directives à la Gendarmerie royale du Canada quant aux termes des arrangements pris en vertu de l'article 20 mentionné dans le paragraphe précédent. |
F) La province du Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue du Canada. Les deux commu-nautés linguistiques officielles ont un statut et des droits et privilèges qui sont égaux. En ce sens, la Province du Nouveau-Brunswick a un statut particulier notamment parce qu'elle est soumise aux obligations énoncées à l'article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. |
G) La LLO du Canada et son Règlement, le Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et la prestation de services, DORS/92-48 (ci-après le « Règlement ») déterminent les points de service de la GRC qui sont tenus d'offrir leur services au public et de communiquer dans l'une ou l'autre des langues officielles au Nouveau-Brunswick. |
DOSSIER T-490-02
H) Marie-Claire Paulin a été arrêtée le 26 avril 2000 par un agent de la GRC sur la route transcanadienne dans la région de Woodstock, plus particulièrement à Debec, dans la province du Nouveau-Brunswick, pour excès de vitesse. L'agent de la GRC en question ne pouvait s'adresser en français à Madame Paulin et aucune offre active en ce sens ne fut faite. Le billet de contravention a été émis en français. |
I) Le détachement de la GRC de Woodstock n'est pas situé à un lieu d'entrée au Canada; il se trouve à proximité (15 km) d'un poste frontalier. À ce poste frontalier, la GRC offre ses services dans les deux langues officielles. |
J) Marie-Claire Paulin a payé l'amende qui lui a été imposée le 26 avril 2000. |
K) [] |
DOSSIER T-1996-01
L) Le consultant Robin S. Wilson a été mandaté par la (sic ) GRC en vue d'effectuer une révision des fonctions de tous les postes de la GRC en Atlantique, entres autres, ceux du Nouveau-Brunswick, pour détermin er si les exigences linguistiques de ces postes ont été établies conformément aux dispositions de la LLO du Canada et des politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor. |
M) Vers le milieu des années 1990, les quatre divisions de la GRC pour l'Atlantique la division « H » de la Nouvelle-Écosse, la division « B » de Terre-Neuve et Labrador, la division « L » de I'Île-du-Prince-Édouard et la division « J » du Nouveau-Brunswick-sont regroupées. Ce regroupement a pour objectif de répartir le nombre de postes administratifs entre les divisions. |
N) Au sein de la GRC, la division « J » est la seule division de l'Atlantique où les deux langues officielles sont reconnues comme langue de travail. En effet, en vertu de la Partie V de la LLO du Canada port ant sur la langue de travail au sein des institutions fédérales, certaines régions sont désignées comme étant bilingues. C'est le cas du Nouveau-Brunswick. Dans ces régions dites « bilingues » pour les fins de la langue de travail, les institutions fédéral es ont le devoir de veiller à ce que leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif du français et de l'anglais et que leurs employés puissent exercer le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles, sous réserve des obligations de ser vir le public et d'autres employés. Dans les autres régions, la situation des deux langues en milieu de travail doit être comparable entre les régions ou secteurs où l'une ou l'autre prédomine. |
O) La question des langues officielles fait l'objet de discu ssions lors des réunions de l'équipe de transition de la Région Atlantique. La décision fut alors prise de former un sous-comité pour examiner en profondeur la question des langues officielles dans le cadre de la régionalisation. Le sous-comité en est venu à la conclusion que les autorités de la division « J » ont fait preuve de « trop de zèle » dans la mise en oeuvre des obligations linguistiques imposées par la LLO du Canada. |
P) Le sous-comité a donc fait certaines recommandations au Comité directeur de la région Atlantique, lesquelles doivent, selon le sous-comité, « permettre une application juste et équitable » des obligations linguistiques dans cette région. La principale recomman-dation est de procéder immédiatement à un examen de tous les postes, ta nt administratifs qu'opérationnels, pour déterminer les besoins en matière de postes désignés bilingues. Cet examen doit comprendre une évaluation de l'application des critères du Secrétariat du Conseil du Trésor pour chaque groupe d'employés et pour chaqu e détachement. Il doit aussi indiquer la raison de leur applicabilité et de leur mise en oeuvre ainsi que le niveau, le profil et le nombre minimal de postes pour les services bilingues. |
Q) La gestion de la GRC en Atlantique accepte de donner suite à la r ecommandation du sous-comité et de faire appel à un consultant de l'extérieur, Robin S. Wilson, pour qu'il effectue un examen de l'interprétation, de l'application et de la mise en oeuvre de la LLO du Canada et de son Règlement dans la région Atlantique. |
R) À la suite de son enquête, le consultant recommande une réduction générale des obligations linguistiques de la GRC en matière de communications orales. Plus précisément, il propose le niveau BBB comme niveau de compétence linguistiques appropriée pour l a grande majorité des postes de gendarmes dans la division « J » en remplacement du niveau BBC qui était autrefois en vigueur; le sigle « B » indiquant un niveau de compréhension moyen à l'interaction orale, alors que le sigle « C » indique un niveau supér ieur. |
S) La demanderesse, la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc., soutient que toute révision des fonctions des postes de la GRC au Nouveau- Brunswick afin d'en déterminer les exigences linguistiques, notamment celle entreprise p ar le consultant en l'espèce, doit tenir compte de la spécificité linguistique de la province du Nouveau-Brunswick et, plus spécifiquement, de l'article 16.1 et des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. |
T) La position des défenderesses est que l'article 16.1 et les paragraphes 16(2) et 20(2) ne s'appliquent pas en l'espèce et que de toute manière, les conclusions du rapport Wilson n'ont pas été mises en vigueur.1 » |
Questions en litige
[7]Tel qu'indiqué, les parties ont expressément limité les questions à être déterminées par la Cour aux questions suivantes :
A) La GRC a-t-elle l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau-Brunswick telles qu'énoncées à l'article 16.1 [édicté par TR/93-54, art. 1] et aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte? |
B) La GRC doit-elle tenir compte et se conformer à l'article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) lorsqu'elle interprète et met en oeuvre le paragraphe 20(1) de la Charte, la LLO du Canada [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] et le Règlement au Nouveau-Brunswick? |
C) L'alinéa 6(1)d) du Règlement impose-t-il à la GRC l'obligation d'offrir ses services dans les deux langues officielles et ce, sur l'ensemble du territoire desservi du détachement de Woodstock? |
Législation pertinente
[8]Les dispositions législatives les plus pertinentes sont reproduites à l'annexe A.
Position des parties
[9]Les demanderesses admettent que la GRC est une institution fédérale. Toutefois, elles soumettent que lorsque l'on applique l'approche téléologique et que l'on interprète de façon large et libérale les articles 16, 16.1 et 20 de la Charte en fonction de leurs objets et de façon compa tible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langues officielles du Canada et plus particulièrement celles du Nouveau-Brunswick, on doit répondre par l'affirmative aux deux premières questions proposées pour les raisons suivantes :
A) même si elle demeure une institution fédérale, lorsqu'elle accepte par contrat de fournir des services de police provinciaux au Nouveau-Brunswick et qu'elle agit comme agent de la paix pour le compte de la province au sens de la Loi sur les langues officielles du Nouveau Brunswick, L.N.-B. 2002, ch. O-0.5 (LLO du N.-B.), la GRC doit servir les citoyens et citoyennes du Nouveau-Brunswick dans la langue officielle de leur choix puisqu'elle est pour ces fins seulement, assimilée à une institution du Nouveau-Brunswick soumise aux obligations énoncées aux articles 16.1, paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte;
De toute façon ou alternativement;
B) le principe énoncé à l'article 16.1 de la Charte lie le gouvernement fédéral et ses institutions de la même façon qu'il lie le gouvernement et les institutions de la province du Nouveau-Brunswick. Il doit donc servir à interpréter les obligations des institutions fédérales en vertu du paragraphe 20(1) de la Charte lorsqu'elles offrent des services dans la province du Nouveau- Brunswick.
[10]La défenderesse conteste ces deux conclusions et soumet que :
A) l'article 16.1 de la Charte s'applique à la législature et aux institutions du Nouveau-Brunswick seulement.
B) alternativement, même si les institutions fédérales devaient tenir compte du principe énoncé à l'article 16.1, les obligations constitutionnelles de la GRC, lorsqu'il s'agit d'offrir des services dans un bureau situé à l'extérieur de la capitale, sont clairement définies au paragraphe 20(1) de la Charte et à l'article 22 de la LLO du Canada et dans le Règlement. Ces textes sont les seuls qui définissent les obligations de la GRC, que la prestation de services soit faite dans le cadre d'un contrat avec la province du Nouveau-Brunswick ou autrement.
C) le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne peut s'ingérer dans l'administration de la GRC, une institution fédérale, par le biais d'une loi ou d'un règlement qui vise à lui imposer des obligations linguistiques supérieures à celles prévues par le législateur fédéral. L'article 31 de la LLO du N.-B. est donc inopérant quant à elle.
D) la province du Nouveau-Brunswick n'a prévu aucune norme linguistique dans son contrat avec la GRC et aucune indemnisation quant aux coûts additionnels qu'engendrerait la fixation d'une norme linguistique supérieure à celle applicable de plein droit en vertu de la Charte, de la LLO du Canada et du Règlement. La province ne peut unilatéralement changer les termes de cette entente par le biais de la LLO du N.-B. ou autrement.
Analyse
a) Principes généraux d'interprétation
[11]Même si les parties en viennent à des conclusions différentes, les principes d'interprétation mis de l'avant par les demanderesses et fondés sur l'approc he téléologique ne sont pas contestés.
[12]L'approche en matière d'interprétation des droits linguistiques enchâssés dans la Constitution fut clairement énoncée par le juge Michel Bastarache dans R. c. Beaulac , [1999] 1 R.C.S. 768, aux paragraphes 24 et 25 :
Il signifie également que l'exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d'accommodement. Cela dit, il faut noter que la présen te affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d'origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi.
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur o bjet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850. Dans la mesure où l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu'une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l'expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d'interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s'appliquent. Il est également utile de réaffirmer ici que les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale. Ils ont un objectif différent et une origine différente. Je reviens plus tard sur ce point.
[13]Cette méthode a aussi été adoptée dans Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 27.
[14]Quant à la LLO du Canada, il s'agit aussi d'un texte qui bénéficie d'un statut particulier comme le souligne le juge Robe rt Décary dans Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), aux pages 386 et 387 :
La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte t elles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa pri mauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment « certains objectifs fondamentaux de notre société » et qui doivent être interprétées « de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent. » Dans la mesure, enfin, où elle constitue une loi relative à des droits linguistiques qui, au Canada, ont pris valeur de droits fondamentaux mais n'en demeurent pas moins le fruit d'un compromis social et politique fragile, elle invite les tribunaux à faire preuve de prudence, et à « hésiter à servir d'instruments de changement » ainsi que le rappelait le juge Beetz dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres ([1986] 1 R.C.S. 549, à la p. 578).
[15]Cette façon d'interpréter la LLO du Canada a été confirmée par la Cour Suprême dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles) , [2002] 2 R.C.S. 773, au paragraphe 23.
[16]Finalement, cette méthode a été appliquée de façon consistante par la Cour fédérale, en autre, dans Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46 (C.F. 1re inst.) et dans Doucet c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 671. C'est celle que j'entends suivre.
b) Première question : La GRC a-t-elle l'obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau- Brunswick telles qu'énoncées à l'article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte? |
[17]Pour les demanderesses, il ne fait aucun doute que les citoyens et les citoyennes du Nouveau- Brunswick et particulièrement Mme Paulin auraient le droit de communiquer dans la langue de leur choix si le service de police dans la région de Woodstock était offert par un corps de police mis sur pied par la municipalité ou par la province.
[18]À cet égard, elles s'appuient sur les décisions dans Gautreau c. Nouveau-Brunswick (1989), 101 R.N.-B. (2e) 1 (B.R. (1re inst.))2 et R. c. Haché (1993), 139 R.N.-B. (2e ) 81 (C.A.).
[19]Elles soutiennent que les dispositions de la Charte qui sont d'application générale sur le territoire du Nouveau Brunswick (article 16.1, paragraphes 16(2) et 20(2)) de même que les dispositions claires de la LLO du N.-B. ne peuvent êtres appliquées de façon discriminatoire en fonction de l'organisme qui est effectivement chargé par le gouvernement du Nouveau-Brunswick de l'application des lois de la province. Ce principe a déjà été reconnu par la Cour fédérale dans Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice).
[20]Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si le gouvernement ontarien et les municipalités qui agissaient dans le cadre d'un pouvoir délégué par le gouvernement fédéral quant à l'administratio n des poursuites engagées quant à des infractions à des lois et règlements fédéraux, étaient tenus au respect des exigences en matière de langues prévues dans la LLO du Canada.
[21]À cet égard, le juge Pierre Blais indique (aux paragraphes 1 16, 137, 140 et 141) :
Tel que suggéré par le procureur de la partie demanderesse, l'article 253 de la LLO ne fait que confirmer le principe constitutionnel voulant qu'un gouvernement ne peut pas, en déléguant certaines responsabilités, se défaire de ses obligations constitutionnelles imposées par la Charte. L'obligation incombant au procureur général du Canada d'offrir les services administratifs reliés aux poursuites de contraventions fédérales dans les deux langues officielles est non seulement imposée par la partie IV de la LLO mais également par la Charte. La partie demanderesse suggère qu'une obligation constitutionnelle ne peut pas être évitée par le biais d'une délégation ou par renvoi par incorporation ou tout autre procédé.
[. . .]
Il apparaît d onc important de s'assurer que les obligations légales du déléguant, soit le gouvernement fédéral ou des délégués, le gouvernement de l'Ontario et les gouvernements municipaux, particulièrement en regard des droits linguistiques qui ont été précédemment qu alifiés de droits constitutionnels, soient encadrées et spécifiées suffisamment afin de s'assurer que tout justiciable puisse voir ses droits respectés, que la loi en matière de contravention soit gérée par le gouvernement fédéral, le gouvernement de l'Ont ario ou encore les autorités municipales.
[. . .]
Il faut se rappeler que le procureur général de l'Ontario, dans l'application de la LC [Loi sur les contraventions ], applique une loi fédérale sur le territoire de sa province. Les justiciables sont en dr oit de s'attendre à ce que leurs droits linguistiques leur soient garantis au même titre que si l'application de la LC était faite par le procureur général du Canada.
L'application d'une loi fédérale d'application générale sur l'ensemble du territoire canadien telle que la LLO, ne peut être appliquée de façon discriminatoire en fonction de la personne qui est chargée de l'application de la LC. Ainsi, les garanties linguistiques prévues à la LLO et au Code criminel s'appli-queront peu importe que ce soit le procureur général du Canada ou le procureur général de l'Ontario, ou encore les municipalités qui seront chargées de l'application de la LC.
[22]Pour sa part, la défenderesse soumet que son entente av ec la province du Nouveau-Brunswick daté du 1er avril 1992 (le Contrat) [Entente sur les Services de police provinciaux : Interprétation et administration] prévoit expressément que :
2.1 [. . .]
b) Par la présente, le Canada est autorisé par la province à exercer les pouvoirs et fonctions d'un corps de police provincial dans le but de fournir des services de police provinciaux en conformité avec les termes de l'entente. |
[. . .]
3.1 a) La gestion interne du Service de police provincial, y compris l'administration ainsi que l'établissement et l'application des méthodes professionnelles demeurera sous le contrôle du Canada. |
[23]La défenderesse ne conteste pas que les services policiers assurés par les municipalités et sujet à la Loi sur les municipalités, L.R.N-B. 1973, ch. M-22 et ceux établis en vertu de la Loi sur la Police , L.N-B. 1977, ch. P-9.2 peuvent être considérés comme des institutions provinciales soumises à l'application des dispositions de l'article 16.1, et les paragraphes 16( 2) et 20(2) de la Charte. Ceci parce que la province exercerait probablement dans ces cas un contrôle suffisant pour justifier une telle interprétation. Mais vis-à -vis la GRC, le gouvernement provincial n'exerce pas de contrôle car ce corps policier ne relève pas de sa compétence. Il n'est pas sujet à la Loi sur la Police et n'est pas un mandataire de la couronne provinciale.
[24]Selon la défenderesse, le Contrat qui est en vigueur jusqu'en 2012 ne fait pas de la GRC une institution provincia le. À cet égard, la défenderesse s'appuie sur la décision de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc. c. Canada (Gendarmerie Royale) (2001), 244 R.N.-B. (2e) 366. Cette décision a été rendue dans le cadre de procédures intentées par la Société avant qu'elle n'intente son recours dans le dossier T-1996-01. La Cour y confirme que seule la Cour fédérale a juridiction pour entendre un contrôle judiciaire concernant des décisions ou actes administratifs de la GRC. À cet égard, le juge Réginald Léger dit, aux paragraphes 16 à 19 :
La requérante soutient que la Gendarmerie Royale du Canada est à toutes fins pratiques une institution du gouvernement du Nouveau-Brunswick puisqu'elle assure, po ur le compte du gouvernement du Nouveau-Brunswick et certaines municipalités, les services policiers englobant la prévention du crime, le maintien de l'ordre, lapplication des règlements de la circulation, l'application du Code criminel et des lois du Nouveau-Brunswick, dont, entre autres, la Loi sur les véhicules à moteur, et les services d'urgence. Je ne peux accepter cette position.
La Gendarmerie Royale du Canada ne perd pas son statut fédéral en mettant en oeuvre des lois provinciales et municipales su ite à une entente de services avec la Province du Nouveau-Brunswick et certaines municipalités.
À mon avis, il est clair que la Gendarmerie Royale du Canada est un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale.
Je conclus également que la Gen darmerie Royale du Canada demeure en tout temps une institution fédérale et qu'elle ne peut être transposée en institution provinciale en agissant pour le compte du gouvernement du Nouveau- Brunswick.
[25]La défenderesse cite aussi les décisions de la Cour Suprême du Canada dans Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.) et autre, [1979] 1 R.C.S. 218 et dans Procureur général de l'Alberta et autre c. Putnam et autre, [1981] 2 R.C.S. 267 qui confirment que la compétence de la province en matière d'administration de la justice et quant à l'application des lois provinciales et municipales sur son territoire, ne lui donne pas juridiction pour intervenir dans l'administration de la GRC, même lorsque celle-ci rend des services en vertu d'un contrat similaire à celui signé avec la province du Nouveau-Brunswick. Selon elle, c'est exactement ce que la province du Nouveau-Brunswick tente de faire par le biais de la LLO du N.-B.
[26]Quant à la Charte, il ne fait aucun doute que celle-ci s'applique car la GRC relève de l'autorité constitutionnelle du parlement fédéral. Mais selon la défenderesse, c'est le paragraphe 20(1) de la Charte, et lui seul, qui définit la norme applicable. Sur ce dernier point, la défenderesse cite la décision du juge Edmond Blanchard dans Doucet c. Canada , où il indique au paragraphe 35 que :
Le fait que la GRC exerce les fonctions d'un service policier en Nouvelle-Écosse en vertu d'un contrat avec la province ne change en rien s on statut d'institution fédérale. La Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada [. . .], au paragraphe 20(1), prévoit la possibilité d'un tel contrat.
[27]En cela, le juge Blanchard était d'accord avec la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse où l e juge Allan Boudreau a dit dans R. c. Doucet (2003), 222 N.S.R. (2d) 1, au paragraphe 32 :
A mon avis un contrat avec une province ne change rien à l'égard du statut de la G.R.C. Elle demeure une institution fédérale. Juger autrement permettrait la G.R.C . d'éviter ses obligations linguistiques envers les citoyens, telles que garanties par la Charte. Cela ne s'accorderait certainement pas avec l'objet des droits linguistiques constitutionnels.
[28]À mon avis, il ne fait aucun doute que pour ce qui est des questions de régie interne, la GRC est et demeure en tout temps une institution fédérale.
[29]Dans le dossier T-1996-01, la défenderesse soutient que la classification des postes est une question de régie interne. Je suis d'accord. Toutefois, cette conclusion n'a pas l'impact que lui prête la défenderesse sur l'analyse de cette première question puisque le paragraphe 20(2) de la Charte traite d'abord et avant tout de prestations de services. Hors, ce n'est que par ricochet que le niveau de prestations de services a un impact sur l'administration interne et la classification des postes parce que ce niveau de prestations est un des facteurs objectifs dont tient compte le commissaire.
[30]L'étendue et la qualité de l a prestation des services au public sur le territoire du Nouveau- Brunswick sont plus des questions de niveau de services que de régie interne et, le Contrat permet clairement au ministre responsable des services de police dans la province du Nouveau-Bruns wick (le ministre) d'intervenir sur ces questions. De fait, il lui donne un contrôle important à cet égard. C'est lui qui fixe en consultation avec le commissaire, le niveau des services. (Voir par exemple les articles 3.1b), c), d), 4.1, 4.2, 7, 7.1a), 7. 3 et 7.4 du Contrat jointes en annexe B aux présents motifs.)
[31]Toutefois, comme l'a souligné la défenderesse, il n'y a aucune preuve devant la Cour qu'une obligation linguistique différente de celle généralement prévue au paragraphe 20(1) de la Charte et dans la LLO du Canada et son Règlement, a été fixée par contrat.
[32]Il ne fait aucun doute que la GRC pouvait dans le Contrat accepter de fournir des services dans les deux langues partout sur le territoire de la province du Nouveau-Brunswick puisque les obligations prévues dans la Charte représentent un seuil et non pas un plafond et ce, même si la GRC est soumise à l'obligation prévue au paragraphe 20(1) de la Charte seulement.
[33]Il ne fait aucun doute non plus que depuis l'adoption de la LLO du N.-B. en 2002, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a l'obligation de s'assurer que les agents de la paix communiquent avec le public du Nouveau-Brunswick dans les deux langues et ceci, même lorsque ce service est a ssuré par un tiers en vertu d'un contrat.
[34]Eu égard à la preuve produite devant moi et aux représentations de la défenderesse à l'effet qu'aucune instruction n'a été reçu à cet égard du ministre, il semble qu'en l'espèce cette obligation n'a pas été respectée. Toutefois, comme je l'ai dit, le procureur général de la province du Nouveau-Brunswick n'est pas intervenu après avoir reçu l'avis constitutionnel et il n'a pas été constitué partie à aucune des actions devant la Cour.
[35]Par ailleurs, comme l'argument à l'effet que l'article 31 de la LLO du N.-B. est inopérant et inopposable à la GRC en tant qu'institution fédérale n'a pas été soulevé dans l'avis de question constitutionnelle, il ne peut être examiné par la Cour.
[36]Le fait que la GRC soit et demeure de par sa nature et sa constitution une institution fédérale en soi ne répond pas à la question proposée par les parties. Comme l'a indiqué la Cour Suprême du Canada dans de nombreuses déc isions (Eldridge c. Colombie- Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307) la Charte s'applique à toute l'administration publique fédérale et provinciale. En plus de l'interprétation institutionnelle des mots « gouvernement et législature » qui en étend l'application à tous les organismes sur lesquels le gou vernement exerce un contrôle suffisant (Lavigne ; Douglas / Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483), les mots « gouve rnement et législature » à l'article 32 de la Charte ont reçu une interprétation fonctionnelle qui étend leur application à tous les organismes, même privés, qui exercent une « fonction gouvernementale », c'est-à -dire ceux qui exercent en vertu d'une loi o u d'une autre autorité statutaire, le pouvoir de contraindre de façon unilatérale les comportements humains (Constitutional Law of Canada 4e éd. feuilles mobiles, Peter Hogg, volume 2, aux pages 34-12.1 à 34-15).
[37]Le langage des articles 16, 18 et 20 de la Charte diffère quelque peu de celui de l'article 32, mais les critères utilisés en vertu de l'article 32 ont aussi été appliqués pour déterminer quel organisme est une institution du gouvernement au sens de ces articles (Moncton (Ville) c. Charlebois (2001), 242 R.N.-B. (2e) 259 (C.A.), aux paragraphes 97 et suivants; Droit constitutionnel, Henri Brun et Guy Tremblay, 4e édition, à la page 844).
[38]Dans les deux décisions citées par les demanderesse s (Haché et Gautreau ), les services de police étaient offerts par la province directement ou par un organisme sous son contrôle, soit une municipalité. Il s'agissait donc de déterminer en fonction de l'interprétation institutionnelle du mot « gouvernement » si ces services étaient des services d'une institution couverte par le paragraphe 20(2) de le Charte. Ces décisions sont de peu d'utilité ici sauf quant aux commentaires du juge Angers [dans l'arrêt Haché] auxquels souscrit le juge Ayles à l'effet que le service de police est un service du gouvernement parce que la province détient le pouvoir d'établir des services policiers en vertu de son pouvoir constitutionnel d'administrer la justice et qu'en droit commun, les gouvernements établissent des services p oliciers pour assurer l'ordre et maintenir le respect des lois au pays.
[39]Comme l'indique Peter Hogg dans Constitutional Law of Canada , 4e édition, à la page 514, la prestation des services de police provinciaux et municipaux en vertu d'un contrat entre la GRC et une province, est autorisé par un statut de la province (l'article 2 [mod. par L.N.-B. 1981, ch. 59, art. 2; 1984, ch. 54, art. 1(F); 1996, ch. 18, art. 2; 1997, ch. 60, art. 3; 2002, ch. 54, art. 25] de la Loi sur la Police du Nouveau-Brunswick) de même que par un statut fédéral (l'article 20 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [L.R.C. (1985), ch. R-10]) et découle en partie du pouvoir de la province d'administrer la justice en vertu du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 , [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1)] L.R.C. (1985), appendice II, no 5. Selon cet auteur, en principe la GRC est sujette au contrôle du procureur général provincial ou du ministre responsable des services de police lorsqu'elle offre les services de police provinciaux en vertu de son contrat. C'est exactement ce que prévoit les dispositions du Contrat énumérées au paragraphe 30 ci-des sus.
[40]En arrêtant Mme Paulin et en lui remettant une contravention en vertu de la Loi sur les véhicules à moteur, L.R.N.-B. 1973, ch. M-17 l'officier de la GRC accomplissait une fonction gouvernementale, plus particulièrement une fonction du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
[41]À cet égard, je note que la Cour d'appel d'Alberta dans Regina v. Lerke (1986), 67 A.R. 390 (C.A.) cité dans R. v. Chang (2003), 339 A.R. 278 (C.A.) et suivi dans R. v. N.S. (2002), 97 C.R.R. (2d) 103 (C.J. Ont.); R. v. Jones, [2004] N.B.J. no 510 (C.P.) (QL) et Houle c. Mascouche (Ville), [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.), a conclu que l'arrestation d'un citoyen est une fonction gouvernementale que la personne qui fait l'arrestation soit un agent de la paix ou un simple citoyen. De ce fait, cet acte, même lorsqu'il est accompli par un simple individu, est sujet à l'application de la Charte.
[42]Compte tenu des dispositions du Contrat et du fait que la GRC remplit une fonction du gouvernement du Nouveau-Brunswick lorsqu'elle fournit les services de police prévus au Contrat, je suis satisfaite que la GRC doit, quant à ces actes seulement, respecter les obligations prévues pour les institutions de cette province au paragraphe 20(2) de la Charte.
[43]Je ne vois pas pourquoi le fait que la GRC soit par ailleurs une institution fédérale soumise au respect des obligations précisées au paragraphe 20(1) lorsque l'on applique l'interprétation institutionnelle limiterait l'application d'une interprétation fonctionnelle du paragraphe 20(2) de la Charte en l'espèce.
[44]Naturellement, et comme je l'ai déjà dit, les obligations linguistiques prévues au paragraphe 20(1) constituent un seuil. Donc, quant aux services fournis en vertu d'un contrat similaire avec une province qui n'a aucune obligation linguistique, la GRC doit naturelle-ment respecter les obligations prévues au paragraphe 20(1) de la Charte qui lui sont applicables parce qu'elle est une institution fédér ale (Doucet).
[45]Cette conclusion est d'ailleurs tout à fait en accord avec celle adoptée par mon collègue le juge Pierre Blais dans Canada (Commissaire aux langues officielles) . Comme lui, il me semble essentiel d'assurer que le gouverneme nt du Nouveau-Brunswick ne puisse éviter de remplir ses obligations constitutionnelles en chargeant une institution fédérale de maintenir l'ordre et d'appliquer les lois sur son territoire plutôt qu'une municipalité ou une entité privée.
[46]Je réponds donc « oui » à cette question quant au paragraphe 20(2), étant entendu que les paragraphes 16.1 et 16(2) peuvent servir à interpréter l'obligation établie au paragraphe 20(2).
c) Deuxième question : La GRC doit-elle tenir compte et se conformer à l'article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) lorsqu'elle interprète et met en oeuvre le paragraphe 20(1) de la Charte, la LLO du Canada et le Règlement au Nouveau-Brunswick? |
[47]Pour répondre à cette deuxième question, il ne s'agit évidemment pas de reprendre le raisonnement adopté lors de l'examen de la première. La Cour comprend des parties que cette deuxième question doit être analysée à l'égard des obligations des institutions du gouvernement fédéral seulement, sans tenir compte d u fait que la GRC peut autrement être tenue aux obligations constitutionnelles de la province quant aux actes posés dans le cadre de son Contrat.
[48]Dans leurs représentations additionnelles contenues dans une lettre du 27 mai 2005, les demanderesses précisent :
Cette deuxième question ne vise pas à établir l'application stricte des dispositions retrouvées à l'article 16.1 ou aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Char te à l'égard de la défenderesse, mais plutôt à déterminer si la défenderesse doit tenir compte de ces dispositions pour déterminer l'application du Règlement découlant de la LLO pour ce qui est des citoyens du Nouveau-Brunswick qui ont un statut constituti onnel particulier. Il se peut effectivement que d'un point de vue strico-sensus (sic ), ces dispositions ne s'appliquent pas à la défenderesse mais que cette dernière doit néanmoins en tenir compte dans l'application de ces obligations linguistiques, retrou vé notamment au sein de la LLO [. . .] Cette deuxième question pose le problème différemment selon les demanderesses. En effet, quelque soit la nature des actes posés par la Gendarmerie Royale du Canada, la position des demanderesses est que celle-ci ne peut, étant donné l'objet de la LLO, ignorer le cadre linguistique bonifié visant les deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick dans la mise en oeuvre de la LLO et de ses règlements dans cette province.
[49]Il est important de noter que les demanderesses n'attaquent pas la validité constitutionnelle du Règlement qui établit des règles très précises pour déterminer s'il existe une demande importante au sens du paragraphe 20(1) de la Charte et de l'article 22 de la LLO du Canada. Elles ne demandent pas à la Cour de le déclarer invalide. Elles ont plutôt pris la position que la LLO du Canada et le Règlement pouvaient être valablement interprétés à la lumière du paragraphe 16.1(1) de la Charte si la Cour en venait à la con clusion que celui-ci devait être pris en compte par la GRC en tant qu'institution fédérale. Par contre, elles n'ont donné aucun détail à savoir comment le langage précis du Règlement se prêtait à une telle interprétation.
[50]De plus, malgré la généralité de la question proposée, il faut préciser que compte tenu de la preuve et du contexte factuel devant moi, la Cour n'examine cette question que par rapport au concept de la demande importante que l'on retrouve à l'alinéa 20(1)a ) de la Charte et à l'article 22 de la LLO du Canada.
[51]Disons d'abord quant aux paragraphes 16(2) et 20(2) que ces dispositions énoncent les obligations constitutionnelles des institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Br unswick, alors que la LLO du Canada et le Règlement furent adoptés par le législateur canadien afin de mettre en oeuvre (même si elles vont parfois plus loin) les obligations constitutionnelles linguistiques du Parlement et du gouvernement fédéral. Je ne vo is pas pourquoi et comment le législateur canadien peut être tenu d'en tenir compte dans la mise en oeuvre de ses propres obligations. La Charte ne s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada que dans les domaines relevant de sa juridiction (articl e 32 de la Charte).
[52]Ces dispositions ne sont pas non plus pertinentes à l'interprétation de la LLO du Canada et du Règlement.
[53]De toute façon, même si l'on tenait compte du paragraphe 20(2) pour interpréter le paragraph e 20(1), je ne vois pas comment cela pourrait mener à la conclusion mise de l'avant par les demanderesses que le concept de « demande importante » couvre nécessaire-ment tout le territoire du Nouveau-Brunswick. Au contraire, si l'on considère que les const ituants ont clairement choisi d'utiliser un langage différent pour définir leurs obligations respectives, on devrait plutôt conclure que le concept de « demande importante » ne signifie pas nécessairement que les services soient donnés dans les deux langue s partout sur le territoire du Nouveau-Brunswick.
[54]Quant au paragraphe 16.1(1), la situation est différente en ce que cette disposition énonce un principe d'application générale à l'intérieur de la province du Nouveau-Brunswick. Donc en p rincipe, en vertu de l'article 32 de la Charte, elle lie de la même façon que les autres dispositions générales de la Charte, le Parlement et le gouvernement fédéral.
[55]La défenderesse argue que la Cour ne devrait pas appliquer cette règle générale parce qu'il est clair que l'énoncé de principe au paragraphe 16.1(1) qui est une initiative de la législature du Nouveau-Brunswick et qui réfère expressément à des exemples qui sont du champ de compétence provinciale, ne peut s'appliquer au Parle ment et au gouvernement fédéral, entre autres, parce qu'on a utilisé le mécanisme d'amendement bilatéral prévu à l'alinéa 43b ) de la Loi constitutionnelle de 1982.
[56]Selon les demanderesses, ce mécanisme ne peut être utilisé pour modifier les obligations constitution-nelles du Parlement et du gouvernement fédéral. La Cour a examiné très attentivement la doctrine et la jurisprudence citées par la défenderesse et elle ne peut accepter sa position.
[57]Il est évident que le méca nisme bilatéral de l'article 43 ne peut être utilisé que pour modifier les dispositions relatives à l'usage du français et de l'anglais dans une province, ici le Nouveau-Brunswick. C'est bien le cas que l'on interprète le paragraphe 16.1(1) comme liant les deux paliers de gouvernement, fédéral et provincial, ou seulement le gouvernement du Nouveau- Brunswick.
[58]Dans Potter c. Québec (Procureur général), [2001] R.J.Q. 2823 (C.A.)4 , la Cour d'appel du Québec a rejeté un argument similaire à l'effet que l'amendement constitutionnel de 1997 par lequel on ajouta l'article 93A [édicté par TR/97-141] qui soustrait le Québec de l'application des dispositions des paragraphes 93(1) à (4) [de la Loi constitutionnelle de 1867 ], était invalide parce qu'on avait utilisé le mécanisme de l'article 43 [de la Loi constitutionnelle de 1982 ] alors que cet ajout modifie le partage des compétences entre le fédéral et le provincial.
[59]Au paragraphe 23, le juge Jean-Louis Baudouin dit :
Ensuite, la modification de 1997 n'a pas eu pour effet de réduire à néant ce pouvoir ancillaire puisque le gouvernement fédéral peut continuer à l'exercer à l'endroit d'autres provinces que le Québec. En somme, cette modification n'a fait que limiter l'étendue de l'exercice du pouvoir ancillaire.
[60]Comme la Cour d'appel du Québec, je crois que le législateur fédéral peut modifier ses propres obligations vis-à -vis une province, en particulier par le biais de l'article 43.
[61]Dans son article, « Les modalités de la modification de la Constitution du Canada » (1999), 33 R.J.T . 1, aux pages 35et 36, Benoît Pelletier souligne que cette disposition a un énorme potentiel car elle peut « autoriser un certain nombre d'asymétries constitution-nelles. Il pourrait s'agir, par exemple, de certaines ententes bilatérales ou multilatérales que l'on voudrait "enchâsser" dans la Constitution du Canada, ou encore d'autres dispositions constitutionne lles que l'on désirerait ajouter à nos textes actuels ». L'auteur ajoute que naturellement, de telles ententes devraient pouvoir répondre à une condition essentielle « à savoir : n'être applicables, tant dans leur esprit que dans leur libellé, qu'à une ou à quelques-unes des provinces canadien-nes ».
[62]Une telle interprétation est par ailleurs en accord avec la nature du fédéralisme canadien qui selon la Cour suprême du Canada, permet pour des motifs légitimes une application différente du droit fédéral dans certaines provinces.
[63]Dans Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, aux pages 1046 et 1047, la juge Claire L'Heureux-Dubé s'exprimant au nom de la majorité indique :
Manifestement, dans un système fédéral, les distinctions entre les provinces ne donnent pas automatiquement naissance à une présomption de discrimination. Le paragraphe 15(1) de la Charte , bien qu'interdisant la discrimination, n'apporte aucune modification au p artage des pouvoirs entre les gouvernements ni n'exige que toutes les lois fédérales s'appliquent toujours de façon uniforme à toutes les provinces. Il convient de souligner que, comme le fait remarquer le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. S. (S.) , précité, aux pp. 289 à 292, des différences dans l'application d'une loi fédérale d'une province à l'autre peuvent représenter un moyen légitime de promouvoir les valeurs propres à un système fédéral. Les différences existant entre les provinces font rati onnellement partie de la réalité politique d'un régime fédéral. Ce sont deux concepts distincts que ceux de différence et de discrimination et la première n'emporte pas inéluctablement la seconde.
[64]Compte tenu des principes d'interprétat ion que j'ai énoncé au début de ces motifs et de la preuve devant moi, rien ne me permet de conclure que la règle générale prévue à l'article 32 ne s'applique pas à l'énoncé de principe du paragraphe 16.1(1). Le gouvernement fédéral doit donc en tenir comp te.
[65]Ceci étant dit, cette conclusion ne signifie pas que la Cour doit donner une réponse positive à la question proposée par les demanderesses dans le contexte factuel devant moi. En effet, la question proposée n'est pas de déterminer si les dispositions législatives et règlementaires adoptées par le législateur canadien sont valides mais plutôt si une institution fédérale telle que la GRC est tenue de tenir compte du paragraphe 16.1(1) dans l'interprétation du concept de demande importan te que l'on retrouve à l'alinéa 20(1)a ) de la Charte et 22 de la LLO du Canada et dans le Règlement.
[66]Le législateur canadien a donné au gouverneur général en conseil le pouvoir de définir ce concept de demande importante en tenant compte , entre autres, des critères énoncés à l'article 32 de la LLO du Canada. Celui-ci ayant exercé son pouvoir, c'est donc au texte du Règlement que la GRC en tant qu'institution fédérale doit référer pour interpréter et mettre en oeuvre ses obligations constit utionnelles. Tant que le Règlement est valide, elle est tenue de l'appliquer.
[67]Naturellement, s'il existe une ambiguïté ou si le langage du Règlement se prête à deux interprétations dont l'une serait plus conforme aux obligations décrites dans la Charte y inclus l'énoncé de principe au paragraphe 16.1(1), ou dans la LLO, elle pourra et devra l'adopter.
[68]Ici, vu la spécificité du Règlement qui selon moi ne permet pas une interprétation particulière quant aux bureaux situés au Nouveau-Brunswick, la GRC n'a pas cette discrétion et elle doit l'appliquer tel quel. Naturellement et comme je l'ai déjà dit, les obligations prévues dans ces lois constituent un seuil et rien n'empêche une institution fédérale d'aller au-delà de ses obligations statutaires si elle le juge appropriée.
[69]La Cour tient à noter avant de terminer, que le fait que le gouvernement doive considérer le principe énoncé au paragraphe 16.1(1) ne signifie pas que la Cour accepte ou supporte impli citement ou de quelque façon la conclusion mise de l'avant par les demanderesses quant à l'interprétation de « demande importante ».
[70]En effet, il n'est pas évident que les droits collectifs reconnus aux deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick aient l'impact suggéré par les demanderesses sur le droit individuel des membres du public de communiquer ou de recevoir des services en français ou en anglais qui est décrit spécifiquement à l'alinéa 20(1)a ).
[71]De plus, la Charte réfère à la demande importante dont fait l'objet un bureau d'une institution fédérale.
[72]Et, la Cour n'a pas suffisamment de preuve devant elle pour déterminer si dans les faits le Règlement crée une inégalité entre les deux communau-tés linguistiques. Les lacunes constatées par le commissaire aux langues officielles dans les divers rapports devant la Cour, quant à l'offre active de service et la qualité du service effectivement offert, semblent s'appliquer que le service soit offert en français ou en anglais. À cet égard, il est aussi important de noter que ces lacunes ont trait à la qualité du service (niveau de la langue des officiers appelés à fournir le service) et que la Cour n'est aucunement saisie de cet te question5.
d) Troisième question : L'alinéa 6(1)d) du Règlement impose-t-il à la GRC l'obliga-tion d'offrir ses services dans les deux langues officielles et ce, sur l'ensemble du territoire desservi du détachement de Woodstock? |
[73]À l'audience, il est devenu évident que la défenderesse n'admet pas que les critères de l'alinéa 6(1)d ) dont l'interprétation n'est pas contestée, s'appliquent au détachement de Woodstock. Pour permettre à la Cour de répondre à la troisième question, les dema nderesses devaient donc faire une preuve sur ces questions de fait. Cette preuve n'était pas disponible lors de l'audience puisque les demanderesses et l'intervenante croyaient que ces faits n'étaient pas contestés.
[74]Pour minimiser les frais et éviter que l'examen des autres questions soit retardé, les parties ont demandé que l'audience soit ajournée et que la Cour réponde dans un premier temps aux deux premières questions, car la réponse à cette troisième question pourrait bien devenir in utile.
[75]Il a été entendu que les parties auront 10 jours après la réception des motifs sur les deux premières questions pour aviser la Cour de la nécessité de reprendre l'instance pour disposer de la troisième question. Les présents motif s sont circulés à ce stade-ci pour cette seule raison.
[76]Afin d'éviter que le délai d'appel quant à la décision portant sur les deux premières questions ne commence à courir avant que les parties n'obtiennent une décision sur la troisième question, si elles jugent un tel appel approprié, la Cour n'émettra aucune ordonnance à ce stade-ci. Si les parties avisent la Cour qu'il n'y a pas lieu de reprendre l'instance pour décider de la troisième question, une ordonnance visant les deux premières questions sera émise immédiatement.
[77]Toutefois, si les parties demandent à la Cour de fixer une date pour entendre la preuve pertinente à la troisième question, une seule ordonnance sera émise et ce, une fois que la Cour aura conclu sur la troisième question.
1 Dans les faits, à l'audience, les parties ont précisé à la Cour qu'elles ne s'entendent pas sur ce point.
2 Renversé pour des motifs procéduraux dans (1990), 109 R.N.-B. (2e) 54 (C.A.).
3 Je note que l'article 25 de la LLO du Canada prévoit une obligation pour les institutions fédérales de veiller à ce que les services offerts au public par un tiers pour leur compte le soient dans une langue ou dans l'autre des langues officielles dans les cas ou elles seraient elles-mêmes tenues au titre de la présente partie à une telle obligation. Cette disposition est très semblable à celle que l'on retrouve à l'article 30 de la LLO du N.-B.
4 L'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été refusée, [2002] 3 R.C.S. x.
5 Quant à la qualité de la langue, voir le par. 43 dans Doucet.
6 Ces dispositions de la Loi sur les langues officielles ont toutes été adoptées avant l'incorporation de l'article 16.1 dans la Charte.
7 Ce Règlement a été adopté avant l'incorporation de l'article 16.1dans la Charte.
ANNEXE A
Charte canadienne des droits et libertés
16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
(2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.
16.1 (1) La communauté lin guistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur p rotection et à leur promotion.
(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.
[. . .]
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces instit utions là où, selon le cas :
a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;
b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.
(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.
[. . .]
32. (1) La présente charte s'applique :
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
(2) Par dérogation au par agraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du présent article.
Loi constitutionnelle de 1982
43. Les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que pa r proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l'assemblée législative de chaque province concernée. Le présent article s'applique notamment :
a) aux changements du tracé des frontières interprovinciales;
b) aux modifications des dispositions relatives à l'usage du français ou de l'anglais dans une province.
Loi sur les langues officielles du Canada6
2. La présente loi a pour objet :
a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;
b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais;
c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
[. . .]
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux -- auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services -- situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.
23. (1) Il est entendu qu'il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.
[. . .]
32. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :
a) déterminer, pour l'application de l'article 22 ou du paragraphe 23(1), les circonstances dans lesquelles il y a demande importante; [. . .]
(2) Le gouverneur en conseil peut, pour déterminer les circonstances visées aux alinéas (1)a ) ou b), tenir compte :
a) de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie, de la spécificité de cette minorité et de la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région;
b) du volume des communications ou des services assurés entre un bureau et les utilisateurs de l'une ou l'autre langue officielle;
c) de tout autre critère qu'il juge indiqué.
Règlement sur les langues officielles--communications avec le public et prestation des services7
5.(1)h) [. . .]
(i) il a une aire de service dont la population de la minorité francophone ou anglophone compte au moins 500 personnes et représente au moins cinq pour cent de l'ensemble de la population de cette aire,
[. . .]
(4) Sont soustraits à l'application des p aragraphes (1) à (3) :
a) les services visés à l'alinéa 6(1)a);
b) les bureaux visés aux alinéas 6(1)b) à e), au paragraphe 6(2) et à l'article 7.
[. . .]
6.(1) [. . .]
d) le bureau offre des services autres que des services d'immigration, il est situé à un lieu d'entrée au Canada, à l'exclusion d'un aéroport et d'une gare de traversiers, dans une province dont la population de la minorité francophone ou anglophone représente au moins cinq pour cent de l'ensemble de la population de la province, et au moins cinq pour cent de la demande de services faite par le public à ce bureau, au cours d'une année, est dans cette langue;
Loi sur la Police
2(1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut conclure des accords avec le Canada en vue de faire appel à la Gendarmerie royale du Canada pour appliquer la loi et concourir à l'administration de la justice dans la province.
[. . .]
(2) Sur tout le territoire du Nouveau-Brunswick et lorsqu'il exerce ses fonctions pour le compte de la province, chaque membre de la Gendarmerie royale du Canada, chaque membre d'un corps de police et chaque constable auxiliaire nommé en vertu de la présente loi est investi de tous les pouvoirs, autorité, privilèges, droits et immunités d'un agent de la paix et d'un consta ble; de plus, il est d'office un inspecteur en vertu de la Loi sur les transports routiers , un agent de la paix en vertu de la Loi sur les véhicules à moteur et un agent de conservation en vertu de la Loi sur le poisson et la faune, et lorsqu'il a au moins le grade de caporal, il peut également exercer les pouvoirs qu'accorde l'article 9 de la Loi sur la prévention des incendies.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
18. Sous réserve des ordres du commissaire, les membres qui ont qualité d'agent de la p aix sont tenus :
a) de remplir toutes les fonctions des agents de la paix en ce qui concerne le maintien de la paix, la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et à celles en vigueur dans la province où ils peuvent être employés, ainsi que l'arrestation des criminels, des contrevenants et des autres personnes pouvant être légalement mises sous garde;
b) d'exécuter tous les mandats -- ainsi que les obligations et services s'y rattachant -- qui peuvent, aux termes de la présente loi, des autres lois fédérales ou de celles en vigueur dans une province, légalement l'être par des agents de la paix;
c) de remplir toutes les fonctions qui peuvent être légalement exercées par des agents de la paix en matière d'escorte ou de transfèrement de condamnés, ou d'autres personnes sous garde, à destination ou à partir de quelque lieu que ce soit : tribunal, asile, lieu de punition ou de détention, ou autre;
d) d'exercer les autres attributions déterminées par le gouverneur en conseil ou le commissaire.
[. . .]
20. (1) Avec l'agrément du gouverneur en conseil, le ministre peut conclure, avec le gouvernement d'une province, des arrangements pour l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la province et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur.
(2) Avec l'agrément du gouverneur en conseil et du lieutenant-gouverneur en conseil d'une province, le ministre peut conclure, avec toute municipalité de cette province, des arrangements pou r l'utilisation de la Gendarmerie, ou d'un élément de celle-ci, en vue de l'administration de la justice dans la municipalité et de la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur
(3) Avec l'agrément du Conseil du Trésor, le ministre peut, dans le cadre des arrangements visés aux paragraphes (1) ou (2), convenir avec la province ou la municipalité du montant à payer pour les services de la Gendarmerie.
Loi sur les langues officielles
1 [. . .]
« agent de la paix » s'entend d'un agent de l a paix, au sens de l'article 1 de la Loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales, qui dessert le public que ce soit pour le compte de la Province, d'une municipalité ou en vertu d'un contrat pour la prestation de services de police conclu avec la Province ou une de ses institutions et comprend un agent de police au sens de cette même loi;
[. . .]
27 Le public a le droit de communiquer avec toute institution et d'en recevoir les services dans la langue officielle de son choix.
[. . .]
30 Il incombe à la province et à ses institutions de veiller à ce que les services offerts au public par des tiers pour le compte de la province ou ses institutions le soient dans l'une et l'autre des langues officielles.
31(1) Tout membre du public a le droit, lorsqu'il communique avec un agent de la paix, de se faire servir dans la langue officielle de son choix et il doit être informé de ce choix.
31(2) Lorsque l'agent de la paix n'est pas en mesure d'assurer la prestation des services dans la langue o fficielle choisie en vertu du paragraphe (1), il doit prendre les mesures nécessaires et ce dans un délai raisonnable pour lui permettre de répondre au choix fait par le membre du public au paragraphe (1).
31(3) Il incombe aux agences responsables ou aux corps policiers, le cas échéant, de veiller à mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour répondre au choix fait par un membre du public en vertu du paragraphe (1) et pour appuyer l'obligation de l'agent de la paix au sens du paragraphe (2).
ANNEXE B
3.1 b) Les normes minimales du Service de police provincial en matière de services de police doivent correspondre aux normes établies par le commissaire, en consultation avec le ministre. |
[. . .]
3.1 c) le niveau des services de police fournis par le Se rvice de police provincial devra correspondre au niveau établi par le ministre, en consultation avec le commissaire. |
[. . .]
3.1 d) le niveau des services de police déterminé par le ministre en vertu de l'alinéa c) ne devra pas être inférieur aux normes minimales établies par le commissaire en vertu de l'alinéa b). |
4.1 Pour les besoins de l'entente, le commandant divisionnaire agira sous la direction du ministre pour l'administration de la justice dans la province et la mise en oeuvre des lois qui y sont en vigueur. |
[. . .]
4.2 Le commandant divisionnaire doit : |
a) s'efforcer de réaliser les objectifs, les priorités et les buts établis par le ministre en vertu du paragraphe 3.3, y compris, dans la mesure du possible, le déploiement du personnel et du matériel du Service de police provincial en fonction des priorités de la province; |
b) fournir régulièrement au ministre des informations sur les activités et l'administration du Service de police provincial, au moment jugé op portun, mais jamais mois d'une fois tous les trois mois ou, en ce qui concerne les renseignements sur la situation financière prévues à l'alinéa 15.1 (f), jamais moins d'une fois par mois; |
c) soumettre au ministre, avant le 1er juillet de chaque année, u n rapport annuel sur la réalisation des objectifs, des priorités et des buts en matière de services de police dans la province au cours de l'exercice précédent; |
d) dans un délai raisonnable transmettre au ministre ou au procureur générale tout renseignem ent qui tombe en possession d'un membre employé dans la province et qui touche l'administration de la justice dans la province; les renseignements seront transmis de la manière et selon la forme déterminées conjointement par le commandant divisionnaire et le ministre ou le procureur général; |
e) fournir au ministre, tous les mois, les détails de toute nouvelle plainte ou de toute plainte en suspens présentée à la Gendarmerie contre le Service par tout citoyen; la forme et le fonds des renseignements seront déterminés conjointement par le commandant divisionnaire et le ministre. |
[. . .]
7.1 a) Sous réserve de l'alinéa b), le nombre et l'emplacement des détac hements et des unités ainsi que tout changement à la structure organisationnelle du Service seront déterminés conjointement par le ministre et le commissaire. |
[. . .]
7.3 Pour les besoins de la planification des ressources humaines pour l'exercice suivant, le commandant divisionnaire consultera le ministre et obtiendra son assentiment ou une approbation de principe, le ou avant de 1er septembre de chaque année, quant au nombre de membres et d'employés de soutien requis pour maintenir le Ser vice de police provincial au niveau établi par le ministre en vertu de l'alinéa 3.1 c). |
[. . .]
7.4 Le commandant divisionnaire, sur réception d'un préavis raisonnable, fournira au ministre des renseignements additionnels sur les ressources humaines et la planification organisationnelle du Service. |