A‑210‑05
2005 CAF 417
Sukhdev Singh (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)
Répertorié : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Linden, Noël et Sexton, J.C.A.—Toronto, 29 novembre; Ottawa, 9 décembre 2005.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a confirmé la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle l’art. 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une disposition transitoire concernant l’interdiction de territoire, s’appliquait à l’appelant — L’appelant est un résident permanent du Canada qui a été interdit de territoire pour grande criminalité après avoir été reconnu coupable de vol qualifié — Il a été frappé d’une mesure d’expulsion mais, en appel, la Commission a accordé un sursis à l’exécution du renvoi — Le sursis était assorti de conditions, notamment celle de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » — L’appelant a violé cette condition lorsqu’il a plus tard commis une agression armée — Il a été déclaré coupable environ 17 mois plus tard — Entre la date de l’agression et celle de la déclaration de culpabilité, la Loi sur l’immigration a été remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) le 28 juin 2002 — Un avis d’annulation du sursis et de classement de l’appel a été délivré en vertu de la LIPR — La Commission a confirmé l’avis et l’appelant a été renvoyé du Canada — La Cour fédérale a certifié une question quant à savoir a) si la date de l’inobservation dont parle l’art. 197 est la date de la déclaration de culpabilité ou celle à laquelle l’infraction a été commise, et b) si l’art. 197 peut être appliqué rétroactivement dans un cas où l’infraction a été commise avant l’entrée en vigueur de la LIPR mais où la déclaration de culpabilité a été prononcée après — L’art. 197 de la LIPR définit les personnes qui sont visées par l’art. 68(4) — L’art. 68(4) prescrit l’annulation des sursis et le classement des appels des individus interdits de territoire pour grande criminalité qui ont obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux mais qui sont ensuite reconnus coupables d’une autre infraction grave — C’est l’infraction elle‑même qui constitue la violation de la condition — La Cour fédérale a eu raison de conclure que l’appelant a violé la condition du sursis lorsqu’il a commis l’infraction — L’art. 197 ne spécifie pas que l’appelant sera assujetti aux dispositions de l’art. 68(4) s’il viole une condition du sursis au moment de ou après l’entrée en vigueur de la Loi — L’art. 197 est destiné à s’appliquer à ceux à qui un sursis a été accordé dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration qui violent une condition de ce sursis — Par conséquent, l’art. 197 s’applique à l’appelant, sous réserve de l’art. 68(4) — Appel rejeté.
Interprétation des lois — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a confirmé la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle l’art. 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une disposition transitoire concernant les interdits de territoire, s’appliquait à l’appelant même s’il a commis une infraction grave et s’il a violé une condition au sursis à l’exécution de son renvoi avant que l’article soit adopté — Ni la Commission ni la Cour fédérale n’ont semblé se rendre compte que l’art. 197 de la LIPR pouvait avoir un effet rétroactif — En règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive — Cependant, malgré cette présomption, le libellé de la loi peut exiger, expressément ou implicitement, une application rétroactive — Les tribunaux doivent respecter l’effet rétroactif d’une loi lorsque le législateur a clairement indiqué que la loi doit avoir un tel effet — L’art. 197 est destiné à s’appliquer à tous ceux à qui un sursis a été accordé dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui violent une condition de ce sursis, peu importe le moment où cela se produit — L’effet rétroactif de l’art. 197 est évident lorsqu’on l’examine dans le contexte des autres dispositions transitoires de la LIPR — Les art. 190, 192 et 197 agissent ensemble pour définir les personnes auxquelles la LIPR s’applique rétroactivement — La présomption de non‑rétroactivité ne s’applique pas à l’art. 197 — Cette règle d’interprétation législative n’est pas pertinente pour les lois qui visent à protéger le public — Les art. 197 et 68(4) de la LIPR visent à protéger le public — Il est clair que l’art. 197 est destiné à avoir un effet rétroactif, car il s’applique dans les cas où une infraction a été commise avant le 28 juin 2002, mais où la déclaration de culpabilité a été prononcée plus tard — La date de la violation pour l’art. 197 est celle de l’infraction.
Il s’agissait d’un appel du rejet, par la Cour fédérale, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que l’article 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) s’appliquait. L’article 197, une disposition transitoire, prévoit que la disposition de la LIPR (article 192) qui entraîne l’annulation du sursis et le classement de l’appel vise les intéressés qui ont obtenu un sursis au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui n’ont pas respecté les conditions du sursis. L’appelant, un citoyen indien, était résident permanent du Canada, mais il a été interdit de territoire pour grande criminalité après avoir été reconnu coupable de vol qualifié. Après avoir été frappé d’une mesure d’expulsion, il a interjeté appel de son expulsion devant la Commission et a obtenu un sursis à l’exécution du renvoi. Le sursis était assorti de plusieurs conditions, notamment celle de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». L’appelant a ensuite commis une agression armée et a été reconnu coupable de ce crime 17 mois plus tard. Entre la date de l’agression et celle de la déclaration de culpabilité de l’appelant, la Loi sur l’immigration, à laquelle était soumis jusque là l’appelant, a été remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés le 28 juin 2002. Un avis d’annulation du sursis et de classement de l’appel a été signifié à l’appelant en vertu de la LIPR. L’avis reposait sur le fait que l’appelant n’avait pas respecté une condition de son sursis, soit « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». En conséquence, son sursis a été révoqué de plein droit et l’appel relatif à son expulsion a été classé. La Commission a confirmé l’avis et l’appelant a été renvoyé du Canada peu de temps après. Avant de conclure qu’une disposition transitoire de la LIPR (article 197) s’appliquait à l’appelant, la Commission a déterminé que l’appelant avait fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qu’il avait violé une condition de ce sursis le jour de l’entrée en vigueur de la LIPR ou après cette date. La Commission a statué que la violation a eu lieu lorsque la déclaration de culpabilité a été inscrite et que la déclaration de culpabilité a déclenché l’application de l’article 197. Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a statué que la « violation » est définie d’après la date de la perpétration de l’infraction, mais elle a estimé que le paragraphe 68(4) où figurent les mots « reconnu coupable » permettait d’interpréter de manière appropriée l’article 197. Elle a certifié une question quant à savoir a) si la date de l’inobservation ou violation dont parle l’article 197 est la date de la déclaration de culpabilité ou la date à laquelle l’infraction a été commise et b) si l’article 197 peut être appliqué rétroactivement dans un cas où l’infraction a été commise avant l’entrée en vigueur de la LIPR, mais où l’auteur de l’infraction a été reconnu coupable après l’entrée en vigueur de la Loi.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Ce sont en réalité les gestes constituant l’infraction, même si la responsabilité pour ces derniers n’est imputée qu’au moment de la déclaration de culpabilité, qui troublent la paix et l’ordre public de la société canadienne. Même si ce n’est qu’au moment de la déclaration de culpabilité que l’on est en mesure de déterminer que l’appelant a violé une condition du sursis, c’est néanmoins l’infraction elle‑même qui constitue la violation de la condition. La Cour fédérale a eu raison de conclure que la condition du sursis a été violée au moment où l’infraction a été commise. L’article 197 ne mentionne pas quand la violation doit avoir été commise. Il fixe essentiellement un critère préliminaire et il définit les intéressés qui, parmi ceux qui ont déposé un avis d’appel au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration sont visés par le paragraphe 68(4) de la LIPR. Ce paragraphe prescrit l’annulation des sursis et le classement des appels des individus interdits de territoire pour grande criminalité qui ont obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux et qui sont reconnus coupables d’une autre infraction grave. Même si l’on concluait que l’article 197 s’applique à l’appelant, il faut quand même que les conditions énoncées au paragraphe 68(4) soient remplies avant que ce dernier puisse servir à annuler le sursis de l’appelant et à classer son appel. Il est inopportun de s’appuyer sur les conditions énoncées au paragraphe 68(4) pour déterminer si l’article 197 s’applique.
Cependant, ni la Commission ni la Cour fédérale ne semblent s’être rendues compte que l’article 197 pouvait en réalité avoir un effet rétroactif. Règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive. Cependant, il se peut que le libellé de la loi exige, expressément ou implicitement, une telle interprétation. Les tribunaux sont tenus de respecter la volonté clairement énoncée du législateur que la loi ait un effet rétroactif. L’article 197 ne spécifie pas que l’appelant sera assujetti aux dispositions du paragraphe 68(4) s’il « viole une condition du sursis après l’entrée en vigueur de la présente loi ». Le législateur n’a pas mentionné à l’article 197 quand la violation devait survenir parce qu’il ne voulait pas restreindre l’application de cette disposition. L’article 197 est destiné à s’appliquer à tous ceux à qui l’on a accordé un sursis dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui violent une condition de ce sursis, peu importe le moment où cela se produit. Par ailleurs, l’effet rétroactif de l’article 197 est évident lorsqu’on l’examine dans le contexte des autres dispositions transitoires de la LIPR. Essentiellement, les articles 190, 192 et 197 agissent ensemble pour définir les personnes auxquelles la LIPR s’appliquait rétroactivement. Suivant l’article 190, la LIPR s’appliquait aux demandes et procédures présentées ou instruites ainsi qu’aux autres questions soulevées dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration avant l’entrée en vigueur de la LIPR. C’est donc dire qu’à première vue, la LIPR s’appliquait à l’appel interjeté par l’appelant. Cependant, suivant l’article 192, qui prévoit une exception à l’article 190, si un avis d’appel a été déposé, l’appel est continué sous le régime de la Loi sur l’immigration. L’article 197, qui prévoit une exception à l’exception énoncée à l’article 192, vise les personnes protégées en vertu de l’article 192 qui violent une condition de leur sursis. Ces personnes, y compris l’appelant, sont assujetties à l’article 64 et au paragraphe 68(4) de la LIPR et leurs droits d’appel sont régis par la LIPR.
Même si l’intention du législateur n’était pas limpide, la présomption de non‑rétroactivité ne s’applique pas à l’article 197. Cette règle d’interprétation législative n’est pas pertinente pour les lois qui visent à protéger le public. L’article 197 et le paragraphe 68(4) de la LIPR ne visent pas à punir l’appelant, mais à protéger le public. Il est clair que l’article 197 était destiné à avoir un effet rétroactif. L’appelant a violé une condition de son sursis en commettant une agression avec une arme dangereuse. Par conséquent, l’article 197 s’appliquait dans son cas et a entraîné l’application du paragraphe 68(4).
La réponse à la question certifiée a été la suivante : a) la date de la violation, pour l’article 197 de la LIPR, est celle de l’infraction, et b) l’article 197 s’applique rétroactivement dans un cas où l’infraction a été commise avant le 28 juin 2002, mais où son auteur a été reconnu coupable après l’entrée en vigueur de la LIPR.
lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 344 (mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 149).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i), 36(1), 64, 68(4), 74d), 190, 192, 197.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
British Columbia c. Imperial Tobacco Canada Ltd., [2005] 2 R.C.S. 473; 2005 CSC 49; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301.
décisions examinées :
Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 1159 (QL); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] D.S.A.I. no 1267 (QL); Psyrris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 588 (QL); Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51.
décisions citées :
Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189; 2003 CFPI 211; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48; 2004 CAF 85; conf. par [2005] 2 R.C.S.539; 2005 CSC 51; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.
doctrine citée
Black’s Law Dictionary, 7th ed. St. Paul, Minn. : West Group, 1999, « breach ».
Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1996 « violation ».
Sullivan, Ruth, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.
APPEL du rejet par la Cour fédérale (2005 CF 137) d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que l’article 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquait même si l’appelant avait violé une condition du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi qui avait été prise contre lui avant que cet article ne soit édicté le 28 juin 2002. Appel rejeté.
ont comparu :
J. Norris Ormston pour l’appelant.
Marina Stefanovic et Lisa J. Hutt pour l’intimé.
avocats inscrits au dossier :
Ormston, Bellissimo, Younan, Toronto, pour l’appelant.
Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Sexton, J.C.A.: Il s’agit d’un appel du rejet, par la Cour fédérale [2005 CF 137], d’une demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant, Sukhdev Singh (Singh). L’appelant était résident permanent du Canada. Après avoir été reconnu coupable de vol qualifié, il a été interdit de territoire pour grande criminalité et frappé d’une mesure d’expulsion. Il a interjeté appel de son expulsion et a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi assorti, notamment, de la condition de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». L’appelant a plus tard commis une autre infraction grave, une agression armée cette fois, et il a été reconnu coupable de ce crime.
[2]Entre la date de l’agression et celle de la déclaration de culpabilité, le 28 juin 2002, la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (la Loi sur l’immigration), à laquelle était soumis jusque‑là l’appelant, a été remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Une disposition de la LIPR vise les individus qui, comme l’appelant, sont interdits de territoire pour grande criminalité, ont obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux et sont ensuite reconnus coupables d’une autre infraction grave. Cette disposition prescrit l’annulation de leur sursis et le classement de leur appel.
[3]L’appelant soutient qu’il continue d’être assujetti à l’ancienne Loi sur l’immigration, qui n’aurait pas mené à l’annulation de son sursis et au classement de son appel après la perpétration de la seconde infraction. Dans leurs décisions, la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) [[2003] D.S.A.I. no 1159 (QL)] et la Cour fédérale ont toutes deux exprimé leur désaccord et conclu que la disposition de la LIPR s’appliquait à l’appelant. Elles ont fondé leur conclusion sur une disposition transitoire de la LIPR, l’article 197. Suivant cet article, la disposition de la LIPR qui entraîne l’annulation du sursis et le classement de l’appel vise les intéressés qui ont obtenu un sursis au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui n’ont pas respecté les conditions du sursis. Le principal point en litige dans le présent appel est celui de savoir s’il convient de considérer que l’article 197 s’applique à une violation d’une condition qui s’est produite avant la promulgation de l’article 197 de la LIPR.
[4]À mon avis, le législateur voulait clairement que la disposition de la LIPR qui entraîne l’annulation du sursis et le classement de l’appel s’applique aux individus tels que l’appelant, peu importe que la condition du sursis ait été violée avant ou après l’entrée en vigueur de la LIPR.
LES FAITS
[5]L’appelant, qui est de nationalité indienne, est devenu résident permanent du Canada en 1986. En décembre 1998, il a été reconnu coupable de vol qualifié, en application de l’article 344 [mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 149] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Il a par la suite été interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. L’appelant a interjeté appel de son expulsion devant la Commission. Le 28 juin 2000 [[2000] D.S.A.I. no 1267 (QL)], la Commission lui a accordé un sursis à l’exécution de cette mesure. Le sursis était assorti d’un certain nombre de conditions, dont celle de [au paragraphe 31] « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ».
[6]Le 20 janvier 2001, l’appelant a agressé une personne. Il a plaidé coupable à l’infraction d’agression armée au mois d’août de l’année suivante. Il a été reconnu coupable de ce crime le 26 août 2002 et condamné à la peine d’emprisonnement déjà purgée, soit 20 mois. L’infraction dont il a été reconnu coupable faisait partie des infractions de grande criminalité, visées par les dispositions du paragraphe 36(1) de la LIPR.
[7]Le 28 juin 2002, soit environ 17 mois après l’agression et deux mois avant la déclaration de culpabilité, la LIPR est entrée en vigueur et a remplacé la Loi sur l’immigration. Le 14 février 2003, un avis d’annulation du sursis et de classement de l’appel (l’avis) a été délivré à l’appelant en vertu de la LIPR. L’avis reposait sur le fait que l’appelant n’avait pas respecté une condition de son sursis, soit « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». Le sursis a donc été révoqué de plein droit et l’appel relatif à son expulsion a été classé. La Commission a confirmé l’avis le 18 décembre 2003 [[2003] D.S.A.I. no 1159 (voir paragraphe 3)]. Environ deux mois plus tard, l’appelant a été renvoyé du Canada.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[8]Les dispositions suivantes de la LIPR traitent des objets de la loi, de la grande criminalité ainsi que de l’annulation du sursis.
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
[. . .]
h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;
i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;
[. . .]
36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :
a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;
[. . .]
68. [. . .]
(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.
[9]Les dispositions suivantes de la LIPR traitent de la transition entre l’ancien régime établi par la Loi sur l’immigration et le régime actuel prévu par la LIPR.
*190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.
*[Note : article 190 en vigueur le 28 juin 2002, voir TR/2002‑97.]
[. . .]
*192. S’il y a eu dépôt d’une demande d’appel à la Section d’appel de l’immigration, à l’entrée en vigueur du présent article, l’appel est continué sous le régime de l’ancienne loi, par la Section d’appel de l’immigration de la Commission.
* [Note : article 192 en vigueur le 28 juin 2002, voir TR/2002‑97.]
[. . .]
197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.
DÉCISIONS DES JURIDICTIONS INFÉRIEURES
I. Les conclusions de la Commission
[10]La Commission a formulé deux questions qui, selon elle, devaient recevoir une réponse affirmative si l’article 197 s’appliquait à l’appelant :
1. L’appelant a‑t‑il fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration?
2. Si oui, l’appelant a‑t‑il violé une condition de ce sursis le ou après le 28 juin 2002, date d’entrée en vigueur de la LIPR?
[11]En l’espèce, la première condition a été manifestement remplie. Le 28 juin 2000, l’appelant avait obtenu un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, assorti de conditions, en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration.
[12]La seconde condition indiquait que la Commission croyait implicitement que le législateur ne voulait pas que l’article 197 ait un effet rétroactif. C’est donc dire que, pour la Commission, seules les violations postérieures à l’entrée en vigueur de la LIPR déclenchaient l’application de l’article 197.
[13]Quant au sens à donner au mot « violation », la Commission a assimilé, en l’espèce, la violation à la déclaration de culpabilité du crime. Elle a reconnu que cette interprétation représentait une dérogation par rapport à la jurisprudence antérieure. Dans Psyrris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 588 (QL), il a été jugé que la principale question était de savoir si la date de la perpétration de l’infraction—et donc de la violation—était antérieure ou postérieure au 28 juin 2002.
[14]Cependant, en l’espèce, la Commission a jugé qu’il y avait eu violation de la condition de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » au moment de la déclaration de culpabilité. Elle a estimé que, pour que l’article 197 s’applique, une autorité pertinente, comme une cour criminelle, devait conclure que l’action fautive était de nature criminelle ou avait perturbé ou troublé la paix ou l’ordre public de la société canadienne. Les simples allégations non corroborées de méfait qui existaient avant qu’une telle conclusion soit tirée ne pouvaient être assimilées à une violation de la condition.
[15]Dans ce contexte, la Commission a examiné l’argument selon lequel il ne peut pas y avoir de violation (ou de manquement) tant qu’une cour criminelle ne prononce pas la condamnation et que, lorsque cette condamnation est prononcée, la violation remonte à la date de la perpétration de l’infraction. La Commission a conclu qu’il y avait dans cet argument « une incohérence fondamentale ». À son avis [au paragraphe 21], « un manquement est un manquement lorsqu’il est estimé être un manquement », c’est‑à‑dire lorsqu’une déclaration de culpabilité est inscrite.
[16]Pour ce qui est de l’application de l’article 197, la date cruciale était donc celle de la condamnation au criminel, et non celle de la perpétration de l’infraction. En l’espèce, les exigences de la seconde condition étaient remplies car l’appelant a été reconnu coupable d’agression armée le 26 août 2002. Il avait donc violé, après l’entrée en vigueur de la LIPR, une condition du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui. L’article 197 s’appliquait, déclenchant ainsi l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR. Cette dernière disposition vise les individus interdits de territoire pour grande criminalité qui ont obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux et qui sont reconnus coupables d’une autre infraction grave. Elle prescrit l’annulation de leur sursis et le classement de leur appel. Le sursis accordé à l’appelant a donc été révoqué de plein droit et son appel classé.
II. Les conclusions de la Cour Fédérale
[17]Au départ, la Cour fédérale [au paragraphe 21] a examiné le sens du mot « violation ». Pour ce faire, elle s’est fondée sur le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 1996, qui définit le mot « violation » comme « l’action de violer un engagement ou un droit ». La « violation » a donc été définie d’après la date de perpétration de l’infraction. Considérer la date de la déclaration de culpabilité comme déterminante reviendrait à reformuler la définition comme suit : [traduction] « le constat de l’action de violer un droit ou un engagement » [soulignement ajouté].
[18]Cependant, l’article 197 ne mentionne pas quand la violation doit avoir été commise. La Cour fédérale a donc examiné si la LIPR s’appliquait rétroactivement pour englober les cas où une violation a eu lieu avant son entrée en vigueur alors que la déclaration de culpabilité a été prononcée après son entrée en vigueur.
[19]Pour conclure que l’article 197 s’appliquait à l’appelant, la Cour fédérale [au paragraphe 23] s’est inspirée du passage suivant, tiré de Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002) :
[traduction] Aujourd’hui, il y a un seul principe ou une seule approche, à savoir ce qui suit : il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[20]La Cour fédérale a ensuite eu recours à une approche contextuelle pour déterminer si la date cruciale, pour l’application de l’article 197, était celle de la perpétration de l’infraction ou celle de la déclaration de culpabilité. Par exemple, elle a fait remarquer que la LIPR pouvait s’appliquer rétroactivement : LIPR, article 190; Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189 (1re inst.), au paragraphe 35. Elle a estimé que la disposition qui permettait d’interpréter de manière appropriée l’article 197 était le paragraphe 68(4), où figurent les mots « reconnu coupable ». Cela signifiait que la date à retenir pour déterminer si l’article 197 s’appliquait était celle de la déclaration de culpabilité, et non celle de l’infraction.
[21]La date à retenir pour déterminer l’application de l’article 197 et du paragraphe 68(4) était donc celle de la déclaration de culpabilité de l’appelant, soit le 26 août 2002. L’article 197 ayant été promulgué avant la date de la déclaration de culpabilité, il s’appliquait à l’appelant, de sorte que la Cour fédérale a confirmé la décision de la Commission d’annuler le sursis accordé à l’appelant et de classer son appel.
[22]Enfin, conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, la Cour fédérale a certifié la question grave de portée générale qui suit [au paragraphe 10] :
[traduction] a) quelle est la date de l’inobservation ou violation dont parle l’article 197 de la LIPR? Est‑ce la date de la déclaration de culpabilité ou la date à laquelle l’infraction a été commise; et
b) comment l’article 197 peut‑il être appliqué rétroactivement dans un cas où l’infraction a été commise avant le 28 juin 2002 mais où son auteur a été reconnu coupable après l’entrée en vigueur de la LIPR.
ANALYSE
I. Norme de contrôle
[23]Les parties conviennent que la norme de contrôle à appliquer dans l’analyse de l’interprétation donnée par la Commission aux dispositions pertinentes de la LIPR est celle de la décision correcte (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48; conf. par [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 18).
[24]La question de savoir si la Cour fédérale a choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la Commission est une question de droit. Cette question est donc également susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43).
[25]La Cour fédérale n’a pas analysé de façon explicite la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce, mais elle a tout de même offert une interprétation nouvelle de la loi. Il faut donc considérer qu’elle a examiné la décision de la Commission selon la norme de la décision correcte, et il s’agissait effectivement de la bonne façon de procéder.
[26]Il incombe à la Cour d’appel de contrôler la manière dont la Cour fédérale a interprété la LIPR. Les questions d’interprétation législative sont des questions de droit et la norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).
II. La justesse des décisions des juridictions inférieures
[27]Même si, en bout de ligne, la Commission et la Cour fédérale sont toutes deux arrivées à une conclusion identique—et que je crois correcte—ni l’une ni l’autre n’ont suivi tout à fait la même voie pour y arriver. Malheureusement, selon moi, les deux voies choisies les ont amenées à s’écarter quelque peu de l’objectif à atteindre, de façons différentes toutefois.
[28]La Commission a assimilé une déclaration de méfait prononcée par une autorité (une déclaration de culpabilité) au fait que l’appelant avait effectivement troublé l’ordre public et s’était mal conduit. Cela me semble paradoxal. Malheureusement, la Commission n’a pas explicité ses doutes à propos de l’argument subsidiaire selon lequel la déclaration de méfait faisant autorité confirme simplement à des fins juridiques que l’infraction, et donc le fait d’avoir troublé l’ordre public et de s’être mal conduit, a été commise dans le passé. À mon avis, ce sont en réalité les gestes constituant l’infraction, même si la responsabilité pour ces derniers n’est imputée qu’au moment de la déclaration de culpabilité, qui troublent la paix et l’ordre public de la société canadienne. Autrement dit, même si ce n’est qu’au moment de la déclaration de culpabilité que l’on est en mesure de déterminer que l’appelant a violé une condition du sursis, c’est néanmoins l’infraction elle‑même qui constitue la violation de la condition. On pourrait toutefois établir une violation sans qu’il y ait déclaration de culpabilité lorsqu’il y a d’autres preuves évidentes du comportement fautif.
[29]Je crois que la Cour fédérale a eu raison de conclure que la condition du sursis a été violée au moment où l’infraction a été commise. Cependant, c’est l’utilisation qu’elle fait du paragraphe 68(4) pour appliquer l’article 197 à l’appelant qui me préoccupe.
[30]L’article 197 fixe essentiellement un critère préliminaire. Il définit les intéressés qui, parmi ceux qui ont déposé un avis d’appel au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration, sont visés par le paragraphe 68(4) de la nouvelle LIPR. Même si l’on conclut que l’article 197 s’applique à l’appelant, il faut quand même que les conditions énoncées au paragraphe 68(4) soient remplies avant que ce dernier puisse servir à annuler le sursis de l’appelant et à classer son appel. Par exemple, une fois le sursis, il faut que l’appelant ait été reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR pour que le paragraphe 68(4) s’applique dans son cas.
[31]Il m’apparaît inopportun de s’appuyer sur les conditions énoncées au paragraphe 68(4), comme le fait d’être « reconnu coupable d’une autre infraction », pour déterminer si l’article 197 s’applique à l’appelant. Après tout, ce n’est que si les conditions énoncées à l’article 197 sont remplies que celles qui sont prévues au paragraphe 68(4) deviennent pertinentes dans le cadre de l’analyse juridique. Utiliser les étapes suivantes de l’analyse pour définir le critère préliminaire ferait perdre tout son sens à ce critère.
[32]Devant la Cour d’appel, l’appelant combine essentiellement des fragments des décisions de la Commission et de la Cour fédérale pour concocter une issue qui lui est favorable. Par exemple, il souscrit à la décision de la Cour fédérale selon laquelle la violation a lieu au moment où l’infraction est commise. Ensuite, il invoque l’approche en deux étapes suivie par la Commission à l’égard de l’article 197 et fait remarquer que les conditions de la seconde étape ne sont pas remplies en l’espèce. Après tout, la « violation » de la condition, que la Cour fédérale définit comme étant l’infraction elle‑même, n’a pas eu lieu le ou après le 28 juin 2002, date à laquelle la LIPR est entrée en vigueur. De ce fait, l’article 197 n’entraîne pas l’application du paragraphe 68(4) à l’appelant.
[33]Cette approche est erronée. Le principal problème que pose le raisonnement de la Commission et de la Cour fédérale est que ni l’une ni l’autre n’ont semblé se rendre compte que l’article 197 pouvait en réalité avoir un effet rétroactif. Il est certain que, règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive. Cependant, il se peut que le libellé de la loi exige, expressément ou implicitement, une telle interprétation (Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 279). Lorsque le législateur voulait manifestement que la loi ait un effet rétroactif, les tribunaux sont tenus de respecter cette volonté. Comme l’a récemment expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, au paragraphe 69 :
Sauf en droit criminel, où l’al. 11g) de la Charte limite le caractère rétrospectif et la rétroactivité de la législation, le principe de la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution n’exigent aucunement que les lois aient seulement un caractère rétrospectif. Le professeur P. W. Hogg expose avec précision l’état du droit sur ce point (dans Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 48‑29) :
[traduction] Sous réserve de l’al. 11g), le droit constitutionnel canadien n’interdit pas la rétroactivité (ex post facto) des lois. En matière d’interprétation législative, il faut présumer qu’une loi n’a pas d’effet rétroactif, mais si cet effet est clairement exprimé, il n’y a alors place à aucune interprétation et la loi prend effet au moment prévu. Les lois rétroactives sont en fait courantes. [Non souligné dans l’original.]
[34]À mon avis, c’est le cas de l’article 197. Cet article ne spécifie pas que l’appelant sera assujetti aux dispositions du paragraphe 68(4) s’il « viole une condi-tion du sursis après l’entrée en vigueur de la présente loi ». Le législateur n’a pas mentionné à l’article 197 quand la violation devait survenir parce qu’il ne voulait pas restreindre l’application de cette disposition. Autrement dit, l’article 197 est destiné à s’appliquer à tous ceux à qui l’on a accordé un sursis dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration et qui violent une condition de ce sursis, peu importe le moment où cela se produit.
[35]L’effet rétroactif de l’article 197 est évident lorsqu’on l’examine dans le contexte des autres dispositions transitoires de la LIPR. Essentiellement, les articles 190, 192 et 197 agissent ensemble pour définir les personnes auxquelles la LIPR s’applique rétroactivement.
[36]Suivant l’article 190, la LIPR s’applique aux demandes et procédures présentées ou instruites ainsi qu’aux autres questions soulevées dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration avant son entrée en vigueur. Plus précisément, cette disposition manifestement rétroactive prévoit ce qui suit :
190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.
C’est donc dire qu’à première vue, la LIPR s’applique à l’appel interjeté par l’appelant.
[37]L’article 192 prévoit cependant une exception à l’article 190 pour les personnes qui ont déposé un avis d’appel. Leur appel est continué sous le régime de la Loi sur l’immigration :
192. S’il y a eu dépôt d’une demande d’appel à la Section d’appel de l’immigration, à l’entrée en vigueur du présent article, l’appel est continué sous le régime de l’ancienne loi, par la Section d’appel de l’immigration de la Commission.
Cette exception, sans rien d’autre, signifierait que le droit d’appel de l’appelant serait régi par l’ancienne Loi sur l’immigration.
[38]L’article 197 prévoit une exception à l’exception prévue par l’article 192. Il vise les personnes protégées en vertu de l’article 192 qui violent une condition de leur sursis. Ces personnes sont assujetties à l’article 64 et au paragraphe 68(4) de la LIPR :
197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.
Cette exception fait intervenir de nouveau la LIPR, ce qui signifie que les droits d’appel de l’appelant sont régis par la LIPR.
[39]Chacune de ces trois dispositions transitoires, lues successivement, vise un groupe plus restreint de personnes dont les avis d’appel en instance ont été initialement présentés dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration. L’article 190 prescrit que la LIPR s’applique à toutes les personnes faisant partie de cette catégorie. L’article 192 exclut de ces personnes un groupe auquel la LIPR ne s’applique pas. Enfin, l’article 197 précise que l’article 64 et le paragraphe 68(4) de la LIPR s’appliquent à certaines personnes faisant partie du groupe visé par l’article 192. Ensemble, ces dispositions font en sorte que la LIPR s’applique rétroactivement aux personnes comme l’appelant.
[40]Même si on ne pourrait pas dire que l’intention du législateur au sujet de l’application de l’article 197 est limpide, selon moi, la présomption de non‑ rétroactivité ne s’applique pas à cette disposition. Cette règle d’interprétation législative n’est pas pertinente pour les lois qui visent à protéger le public. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, à la page 320 :
Elmer Driedger résume la question dans « Statutes : Retroactive, Retrospective Reflections » (1978), 56 R. du B. can. 264, à la p. 275 :
[traduction] Finalement, il faut se tourner vers l’objet de la loi. Si l’intention est de punir ou de pénaliser une personne pour ce qu’elle a fait, la présomption joue, parce qu’une nouvelle conséquence se rattache à un événement antérieur. Toutefois, si la nouvelle punition ou peine est destinée à protéger le public, la présomption ne joue pas.
[41]L’article 197 et le paragraphe 68(4) de la LIPR ne visent pas à punir l’appelant, mais à protéger le public. Selon le paragraphe 3(1) de la LIPR, la loi a pour objet :
3. (1) [. . .]
h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;
i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité.
[42]Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a reconnu la nature protectrice de la LIPR :
Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. [Non souligné dans l’original.]
[43]En fait, lorsqu’il a déposé la LIPR, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a dit souhaiter [traduction] « que l’on renvoie le plus rapidement possible […] les personnes qui constituent un risque pour la sécurité du Canada » (ibid., au paragraphe 12). Comme la Cour l’a fait remarquer, la LIPR a pour objet de « protéger l’intérêt public en autorisant le renvoi rapide du Canada de ceux qui ont, notamment, commis des crimes graves » (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48 (C.A.F.), au paragraphe 52; conf. par [2005] 2 R.C.S. 539).
[44]En conclusion, il est clair que l’article 197 de la LIPR est destiné à avoir un effet rétroactif et, de toute façon, la présomption de non‑rétroactivité ne s’applique pas à cette loi de nature protectrice. L’appelant a violé une condition de son sursis en commettant une agression avec une arme dangereuse le 20 janvier 2001. Par conséquent, l’article 197 s’applique dans son cas et entraîne l’application du paragraphe 68(4). La Commission et la Cour fédérale ont eu raison de confirmer l’annulation du sursis et le classement de l’appel de l’appelant.
[45]J’aimerais aussi souligner qu’on obtiendrait des résultats absurdes si on devait considérer que l’article 197 n’a pas d’effet rétroactif. Par exemple, de grands criminels ne seraient pas assujettis aux normes plus strictes de la LIPR pour le simple motif qu’ils ont commis leurs crimes avant le 28 juin 2002. Par ailleurs, d’autres grands criminels verraient leurs appels classés et leurs sursis annulés parce qu’ils ont violé les conditions de leur sursis après le 28 juin 2002. À l’évidence, il n’y a pas de raison logique pour faire une distinction entre ces deux groupes.
[46]Enfin, j’aimerais commenter un argument subsidiaire de l’intimé, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. L’intimé soutient que l’article 197 vise l’appelant, même si cette disposition n’a pas d’effet rétroactif. Il allègue que l’appelant a violé à deux reprises la condition de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». Tout d’abord, il l’a fait avant l’entrée en vigueur de la LIPR, quand il a commis l’infraction. Ensuite, il l’a fait de nouveau lorsqu’il a été reconnu coupable de l’infraction. La seconde de ces deux violations—la déclaration de culpabilité—est survenue après l’entrée en vigueur de la LIPR. Cela suffit pour déclencher l’application de l’article 197 et, par conséquent, du paragraphe 68(4).
[47]Compte tenu du raisonnement qui précède, il n’est pas strictement nécessaire d’analyser cet argument. Je dois dire néanmoins que ce dernier me pose quelques difficultés. Il m’apparaît illogique de conclure qu’un même geste se solde par deux violations. Supposons, par exemple, que l’article 197 exige que, pour que le paragraphe 68(4) s’applique, l’appelant doit avoir violé à deux reprises une condition de son sursis. Pourrait‑on dire que cet appelant a commis deux violations? Je pense que non parce qu’il n’a posé qu’un seul geste qui a troublé l’ordre public. Il a fait preuve de mauvaise conduite quand il a commis l’infraction. Dans les procé-dures criminelles, il n’a pas troublé l’ordre public de la société canadienne. Il a plutôt été reconnu coupable par une cour de justice. Je ne vois pas comment le fait que l’appelant soit impliqué dans des procédures judiciaires puisse être interprété comme une mauvaise conduite. La déclaration de culpabilité représente simplement la reconnaissance judiciaire du fait que l’appelant a commis une infraction dans le passé. Cette infraction a consisté à troubler la paix et l’ordre public de la société canadienne et elle constituait donc une violation d’une condition du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre l’appelant.
RÉPONSE À LA QUESTION CERTIFIÉE
[48]La date de la violation, pour l’article 197 de la LIPR, est celle de l’infraction. L’article 197 s’applique rétroactivement dans un cas où l’infraction a été commise avant le 28 juin 2002, mais où son auteur a été reconnu coupable après l’entrée en vigueur de la LIPR. Il ressort du libellé de la disposition, surtout lorsqu’il est lu dans le contexte des dispositions transitoires connexes de la LIPR, que le législateur voulait que l’article 197 ait un effet rétroactif. Même si l’intention du législateur sur ce point n’était pas claire, la présomption de non‑rétroactivité ne s’appliquerait pas à l’article 197, car cette disposition est conçue pour protéger le public.
DÉCISION
[49]Par conséquent, le paragraphe 68(4) de la LIPR s’applique à l’appelant par suite de l’application de l’article 197 de la LIPR. L’appel devrait être rejeté avec dépens.
Le juge Linden, J.c.a. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.