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IMM-8183-04

2005 CF 1473

Miklosne Kovacs, Anett Nagy, Gergo Miklos Kovacs (demandeurs)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié : Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Snider--Toronto, 19 octobre; Ottawa, 31 octobre 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- Contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) statuant que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger -- La Commission a aussi jugé que la demanderesse principale était exclue de la protection des réfugiés, en application de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur le statut de réfugié) -- Elle a conclu qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada (l'enlèvement de son fils) -- La demanderesse principale est hongroise et elle a demandé asile pour elle et ses deux enfants mineurs à son arrivée au Canada -- La demande était fondée sur l'appartenance à un groupe social, les Roms, et sur les mauvais traitements infligés par son deuxième mari -- Avant l'audition de la demande d'asile, le mari de la demanderesse principale a saisi la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la CSJO) d'une demande fondée sur la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (Convention de La Haye) visant le retour de son fils en Hongrie en exécution d'une ordonnance de garde rendue dans ce pays -- La CSJO a rejeté la demande au motif que le fils courait un risque sérieux de préjudice psychologique -- La Commission s'est demandée si le crime commis correspondait à la notion de « crime grave de droit commun » évoquée à l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur le statut de réfugié -- Cette disposition n'exige pas une accusation ou une condamnation pour le crime en cause -- L'absence de condamnation ne signifie pas qu'il n'y a pas de « crime grave de droit commun » -- La Commission n'a pas commis d'erreur dans les conclusions qu'elle a tirées relativement aux demandeurs.

Juges et Tribunaux -- Contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) statuant que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger -- L'instance civile devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la CSJO) influe-t-elle sur la décision de la Commission? -- Bien que la décision de la CSJO constituait une preuve utile et importante plaçant la demande d'asile dans son contexte, elle ne liait pas la Commission -- La Commission a le droit de prendre les conclusions de la CSJO en considération et elle devrait le faire lorsqu'elles se rapportent directement aux faits qui lui sont présentés -- La Commission doit effectuer sa propre analyse et tirer ses propres conclusions -- Elle ne peut être liée par les décisions de la CSJO, en particulier lorsque les questions et les rôles diffèrent -- La CSJO avait à déterminer quels étaient les droits des parties sous le régime de la Convention de La Haye, tandis que la Commission devait se prononcer sur le statut de réfugié en fonction de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Pratique -- Res judicata -- Contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) statuant que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger -- Même si la cour supérieure de justice de l'Ontario (la CSJO) a jugé dans une demande fondée sur la Convention de La Haye que le fils de la demanderesse principale vivrait dans un climat présentant un risque de préjudice psychologique s'il était renvoyé auprès de son père en Hongrie, il n'était pas interdit à la Commission de formuler des conclusions sur le statut du fils en tant que personne à protéger -- Les éléments que la CSJO prend en considération dans le cadre d'une demande fondée sur la Convention de La Haye diffèrent manifestement de ceux que la Commission examine dans le cadre d'une demande d'asile -- La CSJO devait se prononcer sur l'existence d'un « risque grave » de danger, tandis que la Commission devait décider s'il s'agissait d'un risque de « traitements ou peines cruels et inusités » au sens de la LIPR -- Les conclusions de la CSJO pouvaient être pertinentes pour la question de savoir si le fils serait exposé au type de risque dont il est question à l'art. 97 de la LIPR, mais elles n'établissaient pas s'il était une personne à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Cette demande de contrôle judiciaire visait la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) statuant que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La Commission avait également jugé que la demanderesse principale était exclue de la protection des réfugiés, en application de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur le statut de réfugié), parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada, soit l'enlèvement de son fils. La demanderesse principale, citoyenne hongroise, était arrivée au Canada et avait demandé asile pour elle et pour ses deux enfants mineurs, un garçon et une fille. Les demandeurs disaient craindre avec raison d'être persécutés à cause de leur appartenance à un groupe ethnique et social, c'est-à-dire les Roms, et parce qu'ils étaient victimes de mauvais traitements de la part du deuxième mari de la demanderesse principale. Toutefois, après l'arrivée des demandeurs au Canada, mais avant l'audition de la demande d'asile, le mari de la demanderesse principale avait saisi la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la CSJO) d'une demande fondée sur la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (Convention de La Haye) visant le retour de son fils en Hongrie en exécution d'une ordonnance de garde rendue dans ce pays. La CSJO avait rejeté la demande en raison, principalement, de problèmes de crédibilité et parce que le fils courait un risque sérieux de préjudice psychologique du fait que son père était un fugitif recherché par les autorités et avait des antécédents criminels. Les questions soulevées étaient : 1) le jugement de la CSJO liait-il la Commission et pouvait-il servir de fondement à sa décision et 2) la Commission avait-t-elle commis une erreur a) en concluant que la demanderesse principale était exclue de la protection des réfugiés en application de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur les réfugiés, b) en tirant une conclusion défavorable aux demandeurs en matière de crédibilité, c) en statuant que le demandeur n'était pas une personne à protéger sur la base des conclusions de la CSJO et d) en concluant qu'il était invraisemblable que les demandeurs aient été victimes de persécution en raison de leur origine rom.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Bien que la décision de la CSJO constituat une preuve utile et importante plaçant la demande d'asile dans son contexte, elle ne liait pas la Commission. La Commission a le droit de prendre les conclusions de la CSJO en considération et, de fait, elle devrait le faire lorsqu'elles se rapportent directement aux faits qui lui sont présentés. Toutefois, la Commission doit effectuer sa propre analyse et tirer ses propres conclusions; elle ne peut être liée par les décisions de la CSJO, en particulier lorsque les questions diffèrent.

2)a) La Commission n'a pas conclu à tort à l'exclusion de la demanderesse principale. L'article 98 de la LIPR énonce qu'une personne visée à la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. Après avoir examiné les faits se rapportant au retrait de Hongrie du demandeur, la Commission a conclu que la demanderesse principale avait commis un crime. Puis, la Commission s'est demandée si le crime commis correspondait à la notion de « crime grave de droit commun évoquée à la section F, alinéa b) de l'article premier de la Convention » en appliquant la présomption selon laquelle « un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s'il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l'imposition d'une peine d'emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans ». Sa conclusion que la demanderesse principale avait enlevé son fils sans le consentement du père avec qui elle en partageait la garde reposait sur la décision de la CSJO. Toutefois, l'examen que devait réaliser la Commission différait substantiellement de celui de la CSJO, puisqu'elle devait établir s'il avait été satisfait au critère des « raisons sérieuses de penser », relativement au crime grave de droit commun allégué, tandis que la CSJO devait déterminer quels étaient les droits des parties sous le régime de la Convention de La Haye, et non s'il y avait eu enlèvement relevant du droit criminel. En outre, l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur les réfugiés n'exige pas qu'une poursuite ait été intentée ou une condamnation prononcée pour le crime en cause. L'absence de condamnation ne signifie pas qu'il n'y a pas de « crime grave de droit commun ». Même sans la preuve d'une accusation ou condamnation, la Commission disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'un crime grave de droit commun avait été commis. La conclusion que la demanderesse principale était exclue en vertu de l'alinéa Fb) de l'article premier interdisait la reconnaissance du statut de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger.

b) La Commission n'a pas commis d'erreur en tirant une conclusion défavorable aux demandeurs en matière de crédibilité. L'évaluation de la crédibilité entre dans le champ d'expertise de la Commission et relève de sa compétence exclusive. La Cour doit s'abstenir d'intervenir dans cette évaluation à moins qu'elle ne soit arbitraire, abusive ou manifestement déraisonnable. La Commission avait des motifs valables de douter de la version des faits présentée par la demanderesse principale. Elle a cité des contradictions et invraisemblances manifestes appuyées par des exemples.

c) La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'était pas une personne à protéger. Même si la CSJO a jugé que le fils de la demanderesse principale vivrait dans un climat présentant un risque de préjudice psychologique s'il était renvoyé auprès de son père en Hongrie, il n'était pas interdit à la Commission de formuler des conclusions sur le statut du fils en tant que personne à protéger. Les parties et les questions en cause n'étaient pas les mêmes. Lorsqu'elle a rejeté la demande d'ordonnance de retour en application de la Convention de La Haye, la CSJO exerçait sa compétence parens patriae, dont l'unique objet est de veiller aux intérêts de l'enfant et de déterminer s'il existe un « risque grave » de « préjudice imminent ». Les éléments à prendre en considération dans le cadre d'une demande fondée sur la Convention de La Haye et dans une demande d'asile sont manifestement différents. Dans le premier cas, il faut se prononcer sur l'existence d'un « risque grave » de danger, tandis que dans le second, il s'agit d'un risque de « traitements ou peines cruels et inusités » jumelé à une absence de protection de l'État. Bien que les conclusions de la CSJO pouvaient être pertinentes pour la question de savoir si le fils serait exposé au type de risque dont il est question à l'article 97 de la LIPR, elles n'établissaient pas s'il était une personne à protéger au sens de la LIPR. Enfin, comme le témoignage de la demanderesse principale avait été jugé non crédible, la Commission n'a pas conclu à tort que la présomption relative à la protection de l'État n'a pas été réfutée.

d) La Commission n'a pas conclu à tort qu'il était invraisemblable que les demandeurs aient été victimes de persécution en raison de leur origine rom. Pour les raisons qu'elle a exposées, dont le fait qu'ils ne semblaient pas posséder les traits distinctifs normalement associés aux Roms, la Commission a conclu qu'il était peu probable que des étrangers considèrent les demandeurs comme des roms et les persécutent.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 283 (mod. par L.C. 1993, ch. 45, art. 5), 285 (mod., idem, art. 6).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb).

Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le 25 octobre 1980, [1983] R.T. Can. no 35, art. 13.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 97, 98.

jurisprudence citée

décision appliquée :

Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39.

décision différenciée :

Tubacos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 225 (en fonction des faits).

décisions examinées :

Kovacs v. Kovacs (2002), 59 O.R. (3d) 671; 212 D.L.R. (4th) 711; 21 Imm. L.R. (3d) 205; [2002] O.T.C. 287 (C.S.J.); Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1462; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.); Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; 2003 CSC 63.

décisions citées :

Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761; 2003 CAF 178; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593; Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 149; Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) (QL); Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 535 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié statuant que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ont comparu :

Peter G. Ivanyi pour les demandeurs.

Robert Bafaro pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Rochon Genova, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance rendus par

[1]La juge Snider : La demanderesse principale, citoyenne hongroise, est arrivée au Canada le 29 mars 2001, et a présenté une demande d'asile pour elle et pour ses deux enfants mineurs, un garçon et une fille (retournée, depuis, en Hongrie). Les demandeurs disent craindre avec raison d'être persécutés à cause de leur appartenance à un groupe ethnique et social, c'est-à-dire les Roms, et parce qu'ils sont victimes de mauvais traitements de la part du deuxième mari de la demanderesse principale.

[2]Dans une décision rendue le 19 août 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La Commission a sérieusement mis en doute la crédibilité du témoignage de la demanderesse principale et de la preuve qu'elle a présentée et, vu l'absence de preuve corroborative indépendante, elle n'a pu être convaincue de la véracité des faits relatés. La Commission a également jugé que la demanderesse principale était exclue de la protection des réfugiés, en application de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention sur le statut de réfugié), parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada, à savoir l'enlèvement de son fils.

[3]C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Questions en litige

[4]Cette demande soulève les questions suivantes :

1. La Commission a-t-elle conclu à tort que la demanderesse principale était exclue de la protection des réfugiés en application de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable aux demandeurs en matière de crédibilité?

3. La Commission a-t-elle eu tort de se considérer liée par les conclusions formulées par la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans Kovacs v. Kovacs (2002), 59 O.R. (3d) 671 et de statuer en conséquence que le demandeur n'était pas une personne à protéger?

4. La Commission a-t-elle conclu à tort qu'il était invraisemblable que les demandeurs aient été victimes de persécution en raison de leur origine rom?

[5]À toutes ces questions se superpose celle de la mesure dans laquelle le jugement de la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans l'affaire Kovacs, dont les parties étaient les demandeurs et le mari de la demanderesse principale, liait la Commission et pouvait servir de fondement à sa décision

Analyse

Quel est l'effet de la décision Kovacs sur la Commission?

[6]Puisque beaucoup des questions soulevées par la présente demande recoupent celles de l'affaire Kovacs entendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario, il est utile de résumer cette décision et d'examiner dans quelle mesure elle lie la Commission ou peut servir de fondement à sa propre décision. Voici donc les faits de cette affaire et les principaux éléments de la décision.

[7]Après l'arrivée des demandeurs au Canada, mais avant l'audition de la demande d'asile, le mari de la demanderesse principale a saisi la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la CSJO) d'une demande fondée sur la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (25 octobre 1980, Convention de La Haye) [[1983] R.T. Can. no 35] visant le retour de son fils en Hongrie en exécution d'une ordonnance de garde rendue dans ce pays. Le juge Ferrier a rejeté la demande le 23 avril 2002. Pour les besoins de la présente décision, les conclusions suivantes du juge revêtent une pertinence particulière :

· il existait de graves problèmes de crédibilité de part et d'autre (la demanderesse principale et son mari),

· le fils du couple a été emmené hors de Hongrie en contravention des droits du père en matière de garde,

· le fils ne pouvait être renvoyé en Hongrie en raison d'un risque sérieux de préjudice psychologique découlant de ce que son père était un fugitif recherché par les autorités et avait des antécédents criminels.

[8]Pour parvenir à cette décision, le juge Ferrier a minutieusement examiné et soupesé la preuve. À une exception près, cette preuve était pratiquement la même que celle qui a été soumise à la Commission pour l'audition de la demande d'asile, l'exception étant que le dossier présenté à la Commission comportait une importante documentation relative à la situation du pays.

[9]Dans la décision Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1462, au paragraphe 83, la juge Heneghan a fourni des précisions sur l'utilisation des décisions d'un autre tribunal dans le contexte des demandes d'asile :

De plus, l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario fait maintenant partie de la jurisprudence. J'imagine que, lorsque cette affaire sera de nouveau instruite, la Commission étudiera scrupuleusement cet arrêt. Le jugement de la Cour supérieure de l'Ontario avait été présenté comme preuve à la Commission, et donc l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, qui infirme ce jugement, devra faire partie du dossier lorsque le nouveau groupe de commissaires instruira de nouveau cette affaire. La Commission ne rend pas ses décisions dans le vide. L'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario ne s'imposera pas à la Commission, mais il constitue une preuve utile et importante qui ne peut que donner une meilleure idée de la situation du demandeur. [Non souligné dans l'original.]

[10]Je dirais pareillement, en l'espèce, que la décision de la CSJO ne lie pas la Commission mais qu'elle constitue néanmoins une preuve utile et importante pouvant donner une meilleure idée de la situation des demandeurs. La Commission a le droit de prendre les conclusions de la CSJO en considération et, de fait, elle devrait le faire lorsque ces conclusions se rapportent directement aux faits qui lui sont présentés. Toutefois, la Commission doit effectuer sa propre analyse et tirer ses propres conclusions; elle ne peut être liée par les décisions de la CSJO, en particulier lorsque les questions diffèrent.

Question no 1  : La Commission a-t-elle conclu à tort que la demanderesse principale était exclue de la protec-tion des réfugiés?

[11]Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) est intervenu à l'audition de la demande d'asile pour invoquer l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), lequel incorpore l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur le statut de réfugié. Le ministre a soutenu que la demanderesse principale devrait être exclue de la protection des réfugiés parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada, à savoir l'enlèvement de son fils.

[12]L'alinéa Fb) de l'article premier de cette convention prévoit ce qui suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[. . .]

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés.

[13]L'article 98 de la LISR énonce qu'une personne visée à la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[14]En l'espèce, la Commission a conclu, après avoir examiné les faits se rapportant au retrait de Hongrie du demandeur, que la demanderesse principale :

[. . .] a enlevé les demandeurs mineurs en quittant la Hongrie avec eux sans le consentement du père, avec qui elle partageait la garde. Le tribunal souligne que, conformément au principe de l'équivalence, si l'enlèvement [du fils] s'était produit au Canada, il s'agirait d'une infraction aux termes du paragraphe 283(1) du Code criminel. Enfin, le tribunal estime que la demandeure principale n'est pas disculpée par l'article 285 du Code criminel.

[15]Puis, la Commission s'est demandée si le crime commis par la demanderesse principale correspondait à « la notion de crime grave de droit commun évoquée à la section F, alinéa b) de l'article premier de la Convention ». Appliquant la présomption formulée au paragraphe 9 de l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), selon laquelle « un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s'il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l'imposition d'une peine d'emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans », la Commission a conclu que :

En l'espèce, l'infraction équivalente suivant le paragraphe 283(1) du Code criminel est un acte criminel punissable d'une peine de dix ans. De plus, l'enlèvement international d'un enfant tombe sous le coup d'une convention internationale et du droit international, d'où sa gravité du point de vue du droit criminel et civil.

[16]En bref, la Commission a effectué une analyse en trois étapes :

a) La preuve démontre-t-elle que la demanderesse principale a enlevé son fils, c'est-à-dire qu'elle lui a fait quitter la Hongrie sans le consentement du parent qui en avait la garde conjointe?

b) Dans l'affirmative, si cet enlèvement s'était produit au Canada, aurait-il constitué un crime prévu par le Code criminel du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-46] et, plus particulièrement, par le paragraphe 283(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 45, art. 5]?

c) Dans l'affirmative, s'agit-il d'un crime grave de droit commun au sens de l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur les réfugiés?

[17]Globalement, la Commission doit évaluer et peser les éléments de preuve qu'elle considère crédibles ou dignes de foi dans les circonstances et décider si le critère préliminaire des « raisons sérieuses de penser » a été satisfait relativement aux crimes graves de droit commun allégués (voir Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), aux pages 309 et 311). La norme de preuve applicable à ce critère préliminaire est plus exigeante que le simple soupçon mais moins que la norme civile de la prépondérance de preuve (voir Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761 (C.A.), au paragraphe 174).

[18]La question de la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission portant sur l'alinéa Fb) de l'article premier a été examinée par le juge Décary dans l'arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39. Le juge a exposé ce qui suit au paragraphe 14 :

Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression « manifeste-ment déraisonnable »). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées. (Sur la norme de contrôle : voir Shrestha c. The Minister of Citizenship and Immigration, [2002] A.C.F. no 1154, 2002 FCT 887, j. Lemieux, aux para. 10, 11 et 12.)

[19]J'examinerai donc chacune des trois questions analysées par la Commission afin de déterminer si celle-ci a commis les erreurs alléguées par les demandeurs.

a)    Enlèvement

[20]Relativement à la conclusion de la Commission que la demanderesse principale a enlevé son fils sans le consentement du père avec qui elle en partageait la garde, les demandeurs affirment que la Commission s'est appuyée à tort sur la décision Kovacs pour déterminer qu'il y avait eu enlèvement et atteinte aux droits du père en matière de garde, soulignant que le juge Ferrier n'avait pas expressément conclu à l'existence d'un enlèvement. Je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur.

[21]Comme on l'a déjà indiqué, la Commission était admise à prendre en considération les conclusions formulées par la CSJO dans Kovacs. Toutefois, l'examen que devait réaliser la Commission différait substantiellement de celui qu'avait effectué le juge Ferrier. Ce dernier avait à déterminer quels étaient les droits des parties sous le régime de la Convention de La Haye, tandis que la Commission devait établir s'il avait été satisfait au critère des « raisons sérieuses de penser », relativement aux crimes graves de droit commun allégués. En conséquence, le juge Ferrier n'avait pas à se demander s'il y avait eu enlèvement au sens du droit criminel, alors que c'est précisément la question à laquelle la Commission devait répondre. Il s'ensuit que l'absence de conclusion expresse de la Cour sur l'enlèvement du fils par sa mère est sans pertinence.

[22]J'estime que la conclusion de la Commission selon laquelle le fils avait été enlevé n'était pas manifestement déraisonnable.

b) Crime au Canada

[23]Les demandeurs prétendent que la Commission a erronément conclu que le moyen de défense prévu à l'article 285 [mod. par L.C. 1993, ch. 45, art. 6] du Code criminel à l'égard de l'infraction d'enlèvement décrite au paragraphe 283(1) du Code ne s'appliquait pas. L'article 285 crée la défense de « danger imminent » et il énonce que nul ne peut être déclaré coupable de l'infraction prévue à l'article 283 si le tribunal est convaincu que l'enlèvement était « nécessaire[] pour protéger la jeune personne en question d'un danger imminent ». Suivant les demandeurs, la Commission aurait dû prendre en considération la conclusion du juge Ferrier que le fils courrait un [traduction] « grave danger » ou se trouverait dans une [traduction] « situation intolérable » s'il retournait en Hongrie. Pour eux, cela suffit pour établir le moyen de défense prévu à l'article 285 du Code criminel.

[24]Encore une fois, les demandeurs ne tiennent pas compte des différences qui existaient entre les tâches respectives de la CSJO et de la Commission. Le juge Ferrier devait établir si, malgré l'enlèvement, le fils devait être renvoyé en Hongrie, en appliquant le critère énoncé dans la Convention de La Haye. Par contre, la Commission, elle, devait déterminer s'il existait des raisons sérieuses de penser que les éléments de l'infraction énoncés au Code criminel avaient été établis. La Commission a estimé que puisqu'elle ne croyait pas que la demanderesse principale ou les enfants avaient été victimes de mauvais traitements de la part du mari, le moyen de défense prévu à l'article 285 ne s'appliquait pas. Autrement dit, la Commission ne croyait pas que le fils courait un danger imminent lorsque sa mère l'a emmené hors de Hongrie. Je ne vois rien de déraisonnable ou d'illogique dans la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale ne pouvait se prévaloir du moyen de défense prévu à l'article 285.

c) Crime grave de droit commun

[25]Les demandeurs affirment que la Commission a erré en statuant que l'enlèvement est un crime grave de droit commun.

[26]Ils soutiennent, en premier lieu, que la preuve n'établit pas que la demanderesse sera poursuivie pour ses actes en Hongrie et que, si elle était passible de poursuites, la police n'aurait pas permis qu'elle parte. Toutefois, l'alinéa Fb) de l'article premier de la Convention sur les réfugiés n'exige pas qu'une poursuite ait été intentée ou une condamnation prononcée pour le crime en cause. Le dépôt d'accusations ou la condamnation à l'étranger peuvent certes constituer des éléments de preuve convaincants de l'existence d'un crime, mais il ne s'ensuit pas que l'absence de condamnation signifie qu'il n'y a pas de « crime grave de droit commun ». La Commission peut disposer de suffisamment d'éléments de preuve, même sans accusation ou condamnation, pour conclure à l'existence de raisons sérieuses de penser qu'une personne a commis un crime grave de droit commun. Ce fut le cas en l'espèce.

[27]Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a eu tort de s'appuyer sur l'arrêt Chan, pour la définition de crime grave de droit commun. Selon eux, cet arrêt affirme uniquement que les crimes commis à l'extérieur du Canada n'entraînent pas l'exclusion lorsque la peine a déjà été purgée, à moins que le demandeur d'asile n'ait été déclaré un danger pour le public. À mon avis, les demandeurs se sont mépris sur l'utilisation faite par la Commission de l'arrêt Chan. La Commission, lorsqu'elle a cité cet arrêt dans sa décision, examinait si l'enlèvement d'un enfant était un « crime grave de droit commun ». Dans son analyse, elle a signalé que, suivant l'arrêt Chan, une peine d'emprisonnement minimal de 10 ans permettait de conclure qu'il s'agissait d'un crime grave. La Commission a également vu dans l'existence de la Convention de La Haye la démonstration que la communauté internationale considérait l'enlèvement international comme une affaire sérieuse. Selon moi, la Commission n'a pas commis d'erreur dans son utilisation de l'arrêt Chan ni dans son examen de la question de savoir si l'enlèvement international d'un enfant constitue un crime grave de droit commun.

[28]La question de l'exclusion détermine l'issue de la demande d'asile. Si la Commission conclut que le motif d'exclusion prévu à l'alinéa Fb) de l'article premier s'applique, elle ne peut reconnaître à un demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Toutefois, j'examinerai les autres questions soulevées par les demandeurs, pour le cas où je serais dans l'erreur sur cette question. En outre, l'exclusion de la demanderesse principale n'a pas d'incidence sur la demande de son fils; les questions le concernant doivent donc être examinées.

Question no 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable aux demandeurs en matière de crédibilité?

[29]La Commission a conclu que les allégations de la demanderesse principale relativement à des « mauvais traitements aux mains de son mari ne sont pas dignes de foi ». L'absence de toute preuve corroborant ces allégations a influé considérablement sur la décision de la Commission. Celle-ci a relevé que, plus de deux ans auparavant, le juge Ferrier, dans Kovacs, avait formulé des commentaires négatifs au sujet de l'absence complète de toute preuve de mauvais traitement, et elle a écrit :

[. . .] au moment de l'audience, soit environ deux ans après la décision du juge Ferrier, il n'existait toujours aucun élément de preuve neutre confirmant les allégations de la demandeure : ni rapport médical, ni rapport de la police hongroise, ni rapport d'un conseiller ou d'un médecin ou d'un témoin ou de quiconque à qui elle aurait parlé de la soi-disant violence dont elle aurait été victime de la part de son mari [. . .]

[30]Dans ses raisons, la Commission a expliqué pourquoi elle avait rejeté les allégations à cause de l'absence de preuve corroborante.

[31]L'évaluation de la crédibilité entre dans le champ d'expertise de la Commission et relève de sa compéten-ce exclusive. C'est pourquoi notre Cour doit s'abstenir d'intervenir dans cette évaluation à moins qu'elle ne soit arbitraire, abusive ou manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)).

[32]Les demandeurs soutiennent que le témoignage d'un demandeur doit être présumé véridique à moins qu'il n'existe des motifs valables de réfuter cette présomption, et qu'il y a lieu de lui accorder le bénéfice du doute sauf si de bonnes raisons s'y opposent (Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305; Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 129). Les demandeurs ajoutent qu'en l'absence de motifs valables de douter de la crédibilité, il n'est pas nécessaire de fournir une corroboration documentaire (Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 149, au paragraphe 16). Ce qui rend problématique l'application de ces principes en l'espèce, c'est que la Commission a expliqué que l'absence de preuve corroborante n'était pas la seule raison pour laquelle elle doutait de la crédibilité de la demanderesse principale, citant des contradictions et invraisemblances manifestes appuyées par des exemples. Autrement dit, il existait des motifs valables--autres que l'absence de preuve corroborante--pour douter de la version des faits présentée par la demanderesse principale.

[33]C'est aux demandeurs qu'il incombait de fournir des éléments de preuve à l'appui de leur demande d'asile (Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 9 et 10; Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL), au paragraphe 8). Bien qu'ils aient eu amplement le temps de se procurer des éléments de preuve, ils n'en ont pas fournis. Cette omission, comme l'a souligné la Commission, est d'autant plus troublante que les motifs de la décision Kovacs auraient dû leur indiquer que la preuve corroborante était insuffisante. La Commission a aussi signalé que l'explication donnée par la demanderesse principale relativement à l'absence de rapports de police et de rapports médicaux n'était pas plausible (sa crédibilité étant déjà entachée) et qu'elle n'indiquait pas pourquoi la demanderesse ne s'était pas procuré de déclarations corroborantes de membres de sa famille ou d'autres personnes qui auraient, selon elle, été au courant de ses problèmes familiaux.

[34]Les demandeurs font également valoir que la Commission s'est appuyée en partie sur les conclusions de la décision Kovacs, mais qu'elle les a mal comprises. Ils prétendent, plus particulièrement, que le juge Ferrier n'a pas formulé de conclusion générale sur le manque de crédibilité de la demanderesse principale, et soutiennent que, dans les commentaires cités par la Commission, le juge n'énonce pas de conclusions de fait mais rapporte le témoignage du mari (demandeur dans cette instance) qu'il déclare ensuite non convaincant. À mon avis, la Commission a correctement apprécié la preuve qui lui a été présentée et a bien interprété les conclusions de la CSJO dans Kovacs. Bien que le juge Ferrier n'ait pas formulé de conclusion générale sur la non-crédibilité de la demanderesse principale, il fait état de multiples problèmes soulevés par le témoignage de cette dernière. Les passages mentionnés par les demandeurs ne contiennent pas, comme ceux-ci le prétendent, uniquement des extraits du témoignage du mari. Le juge inclut, dans la suite de paragraphes se rapportant aux déclarations du mari, une analyse dans laquelle il relève explicitement les problèmes dont souffre la version des faits de la demanderesse principale.

[35]Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a erré lorsqu'elle a déclaré qu'aucun élément de preuve documentaire n'appuyait les allégations de la demanderesse principale. Ils invoquent le rapport médical que leur avocat a tenté de produire à la fin de l'audience. Selon moi, la Commission n'était pas tenue de recevoir ces documents tardifs ni de les prendre en considération. Ils n'étaient pas traduits, et les demandeurs les avaient semble-t-il en leur possession depuis un bon moment.

[36]Bref, on ne m'a pas convaincue, relativement à cette question, que la Commission a erronément conclu que les allégations de mauvais traitements n'étaient pas crédibles.

Question no 3 : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas une personne à protéger?

a)     Chose jugée ou théorie de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée

[37]La Commission a conclu que la preuve n'établissait pas que les demandeurs avaient subi des mauvais traitements aux mains du mari ou qu'ils étaient persécutés du fait de leur origine ethnique et elle a rejeté la demande d'asile. Elle a conclu en outre que la preuve n'était pas suffisante pour réfuter la présomption de la protection étatique.

[38]Les demandeurs invoquent la conclusion du juge Ferrier selon laquelle le fils de la demanderesse principale vivrait dans un climat présentant un risque de préjudice psychologique s'il était renvoyé auprès de son père en Hongrie. Le juge [au paragraphe 237] a également indiqué qu'il [traduction] « ne croyait pas que, si le fils était placé auprès d'un tuteur, son père ne commettrait pas un autre crime--l'enlèvement--en Hongrie, en le soustrayant à quiconque en aurait la garde dans ce pays ». Suivant le juge [au paragraphe 238], le retour du fils en Hongrie [traduction] « le placerait dans une situation intolérable, qu'il soit avec sa mère ou avec un tiers ». Les demandeurs soutiennent que la Commission aurait dû appliquer la théorie de la chose jugée à la question du statut du fils comme personne à protéger et aurait dû considérer qu'il lui était interdit de formuler des conclusions concernant les éléments subjectifs de la demande d'asile (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77).

[39]Dans l'arrêt Toronto, la Cour suprême du Canada a examiné la notion de « préclusion découlant d'une question déjà tranchée », un élément de la théorie de la chose jugée. Pour que la préclusion s'applique, trois conditions doivent être réunies : 1) il doit s'agir de la même question que celle qui a fait l'objet de la décision antérieure, 2) la décision antérieure doit avoir été finale et 3) les parties aux deux instances doivent être les mêmes ou des ayants droit (Toronto, au paragraphe 23). Il est manifeste que les parties ne sont pas les mêmes puisque les demandeurs et le ministre ont comparu devant la Commission et qu'il s'agissait des demandeurs et du mari devant la CSJO.

[40]En outre, les questions ne sont pas les mêmes non plus. Lorsqu'il a rejeté la demande d'ordonnance de retour en application de la Convention de La Haye, le juge Ferrier exerçait la compétence parens patriae du tribunal (Kovacs, au paragraphe 116), dont l'unique objet est de veiller aux intérêts de l'enfant (au paragraphe 140) et de déterminer s'il existe un [traduction] « risque grave » de « préjudice imminent ». La décision Kovacs porte principalement sur la question de savoir si une demande relevant du droit de la famille fondée sur la Convention de La Haye peut avoir préséance sur une demande d'asile à venir, et il ressort de la longue analyse du juge Ferrier qu'il s'agit là de questions de nature très différente. Au paragraphe 238 de sa décision, le juge Ferrier ne présume pas que sa décision aurait des incidences sur le processus décisionnel relatif à la demande d'asile.

[41]De façon plus importante, je ne perds pas de vue que le libellé de la disposition de la Convention de La Haye constituant un moyen de défense, l'article 13b), diffère de celui de l'article 97 de la LIPR.

Convention de La Haye

Article 13

Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit :

[. . .]

b) qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

[. . .]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

[42]Les éléments à prendre en considération dans le cadre d'une demande fondée sur la Convention de La Haye et dans une demande d'asile sont manifestement différents. Dans le premier cas, il faut se prononcer sur l'existence d'un « risque grave » de danger dont la nature n'est pas précisée, tandis que dans le second, il s'agit d'un risque, qui n'a pas nécessairement à être « grave », de « traitements ou peines cruels et inusités » jumelé à une absence de protection de l'État. Bien que les conclusions du juge Ferrier puissent être pertinentes pour la question de savoir si le fils serait exposé au type de risque dont il est question à l'article 97, elles n'établissent pas s'il est une personne à protéger au sens de la LIPR.

[43]La préclusion découlant d'une question déjà tranchée et, par suite, le principe de la chose jugée, ne s'applique pas.

b)    Caractère raisonnable de la conclusion

[44]Comme je l'ai indiqué, la Commission a jugé que les demandeurs n'ont pas réfuté la présomption qu'ils pouvaient se réclamer de la protection de leur pays. Elle n'a pas mentionné explicitement le danger d'enlèvement par le mari si les demandeurs retournaient en Hongrie. Il s'agissait d'un danger possible évoqué par le juge Ferrier. Il se peut que la Commission ait simplement rejeté cette possibilité puisqu'elle avait jugé non crédible l'allégation de mauvais traitements. Il aurait été préférable que la Commission traite directement de cet aspect de la décision de la CSJO. Autrement dit, la Commission aurait dû examiner la question de savoir s'il existait un risque que le fils soit enlevé de nouveau, par le mari, lors du retour de la famille en Hongrie. Toutefois, même s'il s'agit là d'une erreur, l'analyse de la Commission relative à la protection du pays lui fait perdre toute importance. Le juge Ferrier n'avait pas à examiner l'efficacité de la protection contre la violence familiale offerte par la Hongrie à ses citoyens. Aucun élément de preuve ne semble lui avoir été présenté au sujet de la capacité de ce pays d'empêcher un nouvel enlèvement ou de protéger le fils. Il s'agissait toutefois d'une étape essentielle de l'examen de la Commission.

[45]Selon les demandeurs, la Commission a analysé superficiellement la question de la protection. Je ne partage pas ce point de vue. D'abord, la Commission est admise à s'appuyer sur la présomption de l'existence d'une protection de l'État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Comme le témoignage de la demanderesse principale a été jugé non crédible, la présomption n'a pas été réfutée. En outre, la Commission s'est appuyée sur de nombreux éléments de preuve documentaire indiquant que la Hongrie avait établi des mesures de protection adéquates en matière de violence familiale et de persécution ethnique.

[46]Je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur.

Question no 4 : La Commission a-t-elle conclu à tort qu'il était invraisemblable que les demandeurs aient été victimes de persécution en raison de leur origine rom?

[47]Malgré les doutes sérieux qu'elle avait au sujet de l'origine rom de la demanderesse principale, la Commission a statué sur la demande en considérant que la demanderesse était Rom, mais elle a conclu que les demandeurs ne seraient pas perçus comme des Roms.

[48]Selon les demandeurs, cette conclusion procède d'une analyse étroite fondée sur des stéréotypes physiques et ne tenant pas compte d'éléments de preuve documentaire indiquant que, malgré leur assimilation à la culture hongroise, les Roms continuent d'être identifiables sur la base de caractéristiques non physiques et que même des Roms à la peau plus claire peuvent être victimes de discrimination. Ils citent Tubacos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 225, aux paragraphes 12 et 13.

[49]Tubacos ne s'applique pas en l'espèce. Il s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si la Commission avait eu raison de rejeter l'affirmation des demandeurs qu'ils étaient d'origine ethnique rom en se fondant uniquement sur leur apparence. En l'espèce, la Commission a accepté l'affirmation des demandeurs concernant leur origine ethnique, malgré des réserves, et sa conclusion quant à l'absence de persécution ne reposait pas uniquement sur l'apparence physique des demandeurs.

[50]Je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur. Elle n'a pas fondé ses conclusions sur la seule apparence physique des demandeurs. Elle a déterminé que ces derniers ne semblaient pas posséder « les traits distinctifs normalement associés aux Roms ». Fait important, elle a également signalé la preuve selon laquelle aucun des deux maris de la demanderesse principale ne savait qu'elle était Rom, même après avoir partagé son intimité pendant plusieurs années. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure qu'il était peu probable que des étrangers considèrent les demandeurs comme des Roms et les persécutent.

[51]La Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.

Conclusion

[52]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n'ayant pas soumis de question à certifier, aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

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