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A‑409‑05

2006 CAF 1

Kremikovtzi Trade, également appelée Kremikovski Trade (appelante)

c.

Phoenix Bulk Carriers Limited, la cargaison de charbon chargée sur le navire « M/V Swift Fortune » et les propriétaires de la cargaison de charbon chargée sur le navire « M/V Swift Fortune » et toutes autres personnes intéressées dans ladite cargaison (intimés)

Répertorié  : Kremikovtzi Trade c. Swift Fortune (Le) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Malone, J.C.A.—Ottawa, 5 octobre 2005 et 6 janvier 2006.

Droit maritime — Contrats — Appel formé contre la décision de la Cour fédérale qui a rejeté la requête de l’appelante en radiation de la déclaration in rem et en annulation du mandat de saisie de la cargaison — L’appelante a conclu une convention d’affrètement avec l’intimée Phoenix Bulk Carriers Limited pour l’expédition d’une cargaison de charbon — L’appelante a par la suite conclu un contrat avec les propriétaires d’un autre navire pour l’expédition de la même cargaison — Phoenix a allégué la rupture du contrat, a déposé une déclaration in rem contre la cargaison et l’a fait saisir — L’appelante a soutenu que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le) était applicable et que, par conséquent, qu’il n’était pas possible d’introduire une instance  in rem contre la cargaison, puisque l’action ne « portait » pas sur celle‑ci comme l’exige l’art. 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales — Cet arrêt, dont les faits sont presque identiques à ceux de la présente affaire, a été critiqué mais il était contraignant — Appel accueilli.

Compétence de la Cour fédérale — L’appelante a conclu une convention d’affrètement avec l’intimée Phoenix Bulk Carriers Limited pour l’expédition d’une cargaison de charbon — Phoenix a déposé une déclaration in rem contre la cargaison après que l’appelante aurait contrevenu à ses obligations contractuelles en concluant un contrat avec les propriétaires d’un autre navire concernant la même cargaison — L’appelante s’est fondée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le) pour faire valoir qu’une instance in rem ne pouvait pas être introduite contre la cargaison — Les faits dans l’arrêt Paramount étaient presque identiques à ceux de l’espèce — Il a été jugé dans l’arrêt Paramount que l’exigence de l’art. 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales, selon laquelle l’action devait « porter » sur la cargaison pour qu’il y ait compétence in rem aux termes de l’art. 22, n’avait pas été observée, puisque cela supposait que les biens saisis devaient être la « cause de » l’action, et que le fait qu’il y ait eu une charte‑partie se rapportant à la cargaison saisie ne constituait pas un lien suffisant — Les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas d’infirmer l’arrêt Paramount — L’arrêt Paramount a été critiqué mais il était contraignant — La Cour aurait tranché l’affaire en faveur de Phoenix, puisqu’elle était d’avis que l’art. 43(2) de la Loi ne requérait pas de lien matériel entre la cargaison et le navire pour donner naissance à des droits in rem — Le recours in rem doit plutôt se rapporter au bien précis envisagé dans le contrat en cause — En l’espèce, la cargaison étant le bien envisagé dans le contrat, l’action « portait » donc sur elle.

Il s’agissait d’un appel formé contre la décision de la Cour fédérale qui avait rejeté la requête de l’appelante en radiation de la déclaration in rem de l’intimée Phoenix Bulk Carriers Limited (Phoenix) introduite contre la cargaison de l’appelante et en annulation du mandat de saisie de cette cargaison. Phoenix avait présenté cette demande en réponse à une présumée rupture de contrat de la part de l’appelante  : celle‑ci, qui avait conclu une convention d’affrètement avec Phoenix en juillet 2005 pour l’expédition d’une cargaison de charbon, a conclu un contrat avec les propriétaires d’un autre navire relativement à la même cargaison, qu’elle a fait embarquer sur ce navire en septembre 2005. Le point soulevé était de savoir si la non‑livraison d’une cargaison à un navire nommément désigné pouvait conduire à la saisie de la cargaison en cause par les propriétaires et/ou les exploitants du navire nommément désigné.

Arrêt  : l’appel doit être accueilli.

Les faits en l’espèce étaient, à toutes fins utiles, identiques à ceux de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le). Dans cette affaire, le juge Décary a jugé que la demande entrait dans la compétence de la Cour fédérale aux termes de l’alinéa 22(2)i) de la Loi sur les Cours fédérales (« une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire  [. . .]  par  charte‑partie »),  mais  les  exigences  du paragraphe 43(2) de la Loi, qui prévoit que « [s]ous réserve du paragraphe (3), elle peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire [. . .] ou d’autres biens », n’avaient pas été observées parce que l’action ne « portait » pas sur la cargaison en cause. Il a déclaré que les mots « toute action portant sur » supposent que les biens saisis doivent être la « cause de » l’action et qu’«  [i]l faut [. . .] que l’on puisse dire que c’est l’utilisation de ce navire ou le transport de cette cargaison qui justifie l’action in rem prise contre le bien saisi ». Le fait que la charte‑partie se rapportait à la cargaison saisie n’était pas, de l’avis du juge Décary, un lien suffisant.

L’arrêt Paramount était peut‑être erroné, mais il était contraignant, puisque la Cour n’infirmera une décision antérieure que dans des cas exceptionnels. Le juge Décary avait adopté une vue trop étroite des mots « toute action portant sur » et il avait faussé le sens ordinaire de ces mots. Le fait que le contrat d’affrètement se rapportait au transport de la cargaison saisie et qu’il avait censément été rompu suffisait à faire de la cargaison l’objet de l’action selon ce que prévoit le paragraphe 43(2). Le paragraphe 43(2) ne requiert pas un lien matériel entre la cargaison et le navire pour donner naissance à des droits in rem. Ce qu’il requiert, c’est que le recours in rem se rapporte au bien précis envisagé dans le contrat en cause. La cargaison était au cœur même de la relation contractuelle, tant dans l’arrêt Paramount que dans la présente affaire. Ces actions se rapportaient à un manque à gagner sur le fret, manque à gagner qui ne se serait pas produit si les propriétaires de la cargaison avaient respecté leurs engagements contractuels. Dans la mesure où la cargaison pouvait être clairement localisée comme le bien envisagé dans le contrat, alors l’« action port[ait] sur » la cargaison saisie.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 22(1) (mod., idem, art. 31), (2)i) (mod., idem), o) (mod., idem (A)), 43 (mod., idem, art. 40).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 221.

jurisprudence citée

décision suivie  :

Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), [2001] 2 C.F. 551 (C.A.).

décision appliquée  :

Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; [2002] A.C.F. no 1375 (QL).

décisions examinées  :

Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), [1997] A.C.F. no 1269 (1re inst.) (QL); Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), [1997] A.C.F. no 1770 (1re inst.) (QL); Mathew c. Canada, 2003 CAF 371; [2003] A.C.F. no 1470 (QL); Wannan c. Canada, 2003 CAF 423; [2003] A.C.F. no 1693 (QL); Amado‑Cordeiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 120; [2004] A.C.F. no 514 (QL).

doctrine citée

Petit Robert  : dictionaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition revue, corr. et mise à jour en 1991. Paris  : Le Robert, 1991, « porter sur ».

Tetley, William, c.r. « Arrest, Attachment, and Related Maritime Law Procedures » (1999), 73 Tul. L. Rev. 1895.

APPEL formé contre une décision de la Cour fédérale qui a rejeté la requête de l’appelante visant à obtenir la radiation de la déclaration in rem de l’intimée Phoenix Bulk Carriers Limited introduite contre sa cargaison et l’annulation du mandat de saisie de cette cargaison. Appel accueilli.

ont comparu  :

J. William Perrett pour l’appelante.

Jean‑Marie Fontaine pour les intimés.

avocats inscrits au dossier  :

Bromley Chapelski, Vancouver, pour l’appelante.

Borden Ladner Gervais LLP, Montréal, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Il s’agit d’un appel formé contre la décision du juge Rouleau, de la Cour fédérale, en date du 15 septembre 2005, qui rejetait la requête de l’appelante en radiation de la déclaration in rem de l’intimée Phoenix Bulk Carriers Limited (Phoenix) et en annulation du mandat de saisie de la cargaison.

[2]L’appel met en cause l’interprétation de l’article 43 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 40] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] (la Loi), et en particulier celle du paragraphe 43(2). L’article 43 prévoit ce qui suit :

43. (1) Sous réserve du paragraphe (4), la Cour fédérale peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière personnelle dans tous les cas.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), elle peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d’autres biens, ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.

(3) Malgré le paragraphe (2), elle ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l’article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2)e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur. [Non souligné dans l’original.]

[3]Le paragraphe 22(1) [mod., idem, art. 31] et l’alinéa 22(2)i) [mod., idem] de la Loi intéressent eux aussi la question soulevée dans cet appel. Ils sont ainsi rédigés :

22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas—opposant notamment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

[. . .]

i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte‑partie; [Non souligné dans l’original.]

[4]La présente instance découle de la présumée rupture d’un contrat d’affrètement daté du 22 juillet 2005, par lequel l’appelante s’engageait à faire embarquer sur le navire de l’intimée Phoenix, le Far Eastern Marina, une cargaison d’environ 70 000 à 75 000 tonnes métriques de charbon (la cargaison), pour un transport depuis Vancouver, au Canada, jusqu’à Bourgas, en Bulgarie.

[5]Phoenix dit que, au mépris de ses obligations contractuelles, l’appelante a conclu un contrat avec les propriétaires du navire Swift Fortune et a fait embarquer sa cargaison sur ce navire, à Vancouver, entre le 3 et le 5 septembre 2005.

[6]Le 13 septembre 2005, Phoenix déposait une déclaration in rem contre ladite cargaison, et in personam contre les propriétaires de la cargaison et toutes autres personnes intéressées dans ladite cargaison et, le même jour, Phoenix faisait saisir la cargaison alors qu’elle se trouvait à bord du Swift Fortune, à Vancouver.

[7]Le 14 septembre 2005, l’appelante priait la Cour fédérale d’ordonner la radiation de la déclaration in rem et l’annulation du mandat de saisie et, le 15 septembre 2005, le juge Rouleau rejetait la requête de l’appelante. C’est de ce jugement qu’il est fait appel.

[8]Je dois faire remarquer que, puisque la requête originale soumise à la Cour est une requête en radiation présentée conformément à la règle 221 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, art. 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], j’ai présumé, sans trancher la question, que l’appelante était, pendant toute la période intéressant le présent appel, le véritable propriétaire de la cargaison. Le point de savoir si cette présomption est juste ou non sera l’un des points qui devront être décidés au procès.

[9]L’appelante invoque plusieurs moyens pour dire que l’ordonnance du juge Rouleau devrait être annulée. Pour les motifs qui suivent, il me suffira d’examiner l’un de ces moyens, lequel, à mon avis, suffit pour trancher l’appel en faveur de l’appelante.

[10]L’appelante dit que, vu les circonstances de l’affaire, Phoenix ne pouvait pas introduire une instance in rem contre la cargaison de charbon et que la cargaison ne pouvait donc pas être saisie. Au soutien de cet argument, l’appelante se fonde sur la décision rendue par la Cour dans l’affaire Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), [2001] 2 C.F. 551 (C.A.), et, selon elle, rien ne distingue l’affaire Paramount de celle dont nous sommes saisis. Je suis du même avis.

[11]Le point soulevé dans l’affaire Paramount était de savoir si, comme c’est le cas dans la présente affaire, la non‑livraison d’une cargaison à un navire nommément désigné pouvait conduire à la saisie de la cargaison en cause par les propriétaires et/ou les exploitants du navire nommément désigné.

[12]Dans l’affaire Paramount, l’expéditeur des marchandises, Beston Chemical Corporation, s’était entendu avec Paramount Enterprises pour faire charger sur le navire de Paramount Enterprises, le Len Speer, une cargaison de dynamite en vue de son transport depuis la Chine jusqu’à Grande-Anse, au Québec. De par ses obligations selon l’entente susdite, Paramount avait pris des mesures pour présenter son navire au port d’embarquement entre le 10 avril et le 12 avril 1997. Toutefois, avant l’arrivée du navire au port d’embarquement, Beston informa Paramount que sa cargaison de dynamite ne serait pas chargée sur le Len Speer, mais plutôt sur le navire An Xin Jiang, dont un autre armateur était le propriétaire et/ou l’exploitant.

[13]Paramount a donc introduit, entre autres, une procédure in rem à la fois contre la cargaison et contre le navire An Xin Jiang, devant la Cour fédérale, en alléguant que les propriétaires de la cargaison avaient violé le contrat d’affrètement et que les propriétaires du An Xin Jiang s’étaient ingérés indûment dans son contrat d’affrètement.

[14]Le 9 mai 1997, un mandat de saisie était décerné et signifié à la fois contre la cargaison et contre le An Xin Jiang.

[15]Les défendeurs ont déposé une requête en radia-tion de la déclaration in rem et en annulation du mandat de saisie. La requête fut instruite par le protonotaire Morneau qui, le 30 septembre 1997, y fit droit dans son intégralité. Cette décision est reproduite en français : [1997] A.C.F. no 1269 (1re inst.) (QL).

[16]Paramount a fait appel de la décision du protonotaire Morneau et, le 17 décembre 1997, la juge Tremblay‑Lamer accueillait en partie l’appel de Paramount. Selon elle, le protonotaire avait erré en radiant la procédure in rem introduite contre la cargaison et donc en annulant le mandat de saisie de la cargaison. Cette décision est reproduite en français : [1997] A.C.F. no 1770 (1re inst.) (QL).

[17]Beston a fait appel de la décision de la juge Tremblay‑Lamer et, le 15 décembre 2000, la Cour rétablissait l’ordonnance du protonotaire.

[18]Avant d’examiner l’arrêt de la Cour dans l’affaire Paramount, il est utile d’exposer brièvement les motifs à l’origine de la décision du protonotaire Morneau et de celle de la juge Tremblay‑Lamer. Puisque le présent appel ne concerne pas la saisie du navire sur lequel la cargaison d’abord destinée au Far Eastern Marina fut embarquée, c’est‑à‑dire le Swift Fortune, j’omettrai, dans mes propos concernant l’affaire Paramount, les parties des deux décisions qui portent sur la saisie du navire An Xin Jiang.

[19]Le protonotaire a commencé son analyse en disant qu’une procédure in rem ne pouvait être introduite contre un navire ou une cargaison que si le navire ou la cargaison était « visé par la convention sur laquelle se fonde l’action de la partie demanderesse » (paragraphe 10 de ses motifs). Puis il a entrepris d’appliquer ce principe aux faits qu’il avait devant lui, ce qui le conduisit à conclure que les exigences du paragraphe 43(2) de la Loi n’avaient pas été observées parce que la cargaison de dynamite n’était pas le bien sur lequel portait l’action. De l’avis du protonotaire, il n’y avait pas entre Paramount et la cargaison un lien suffisant qui eût permis à Paramount d’exercer des droits in rem, et cela parce que la cargaison n’avait pas été embarquée à bord du Len Speer ni n’avait été transportée par ce navire.

[20]La juge Tremblay‑Lamer n’a pas souscrit à la position adoptée par le protonotaire à propos du recours in rem déposé contre la cargaison, et elle a donc annulé cette partie de son ordonnance. Le raisonnement de la juge Tremblay‑Lamer apparaît dans les paragraphes 24 et 28 de ses motifs, où elle écrit :

En l’espèce, le paragraphe 43(2) n’est pas ambigu. Le mot « biens » est clairement défini à l’article 2 de la Loi. Il désigne les « biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, notamment les droits et les parts ou actions ». Le paragraphe 43(2) permet donc un recours in rem contre une cargaison qui est un bien meuble. Le libellé n’exige ni que la cargaison soit à bord d’un navire ou non, ni qu’il y ait un privilège maritime ou possessoire pour donner lieu à une action in rem contre la cargaison. Si le législateur avait voulu imposer une telle condition, il l’aurait indiquée expressément dans la Loi.

[. . .]

Ainsi, selon le paragraphe 43(2), il suffit que la cargaison soit le sujet de l’action pour que la demanderesse exerce ses droits in rem, ce qui est le cas en l’espèce. C’est le défaut des défenderesses de remplir leurs obligations contractuelles en vertu de la charte‑partie Conlinebooking qui a donné naissance à l’action de la demanderesse. La cargaison de dynamite était le sujet même de cette charte‑partie. De plus, la demanderesse avait commencé à exécuter ses obligations contractuelles.

[21]Comme je l’ai dit plus haut, la Cour, pour les motifs exposés par le juge Décary, a rétabli l’ordonnance du protonotaire Morneau. Selon le juge Décary, puisque l’on ne pouvait pas dire que l’action de Paramount portait sur la cargaison de dynamite, il ne pouvait pas être exercé de droits in rem à l’encontre de la cargaison, et il s’ensuivait donc nécessairement que la déclaration in rem devait être radiée et le mandat de saisie annulé.

[22]La conclusion ultime du juge Décary découle du raisonnement suivant. D’abord, il reconnaît que la Cour n’est saisie d’aucune question intéressant la compétence de la Cour fédérale, puisque la demande de Paramount est, sans aucun doute, une demande fondée sur une convention, c’est‑à‑dire une charte‑partie sous la forme Conlinebooking, relative au transport de marchandises à bord d’un navire. La demande entre donc manifeste-ment dans le champ de l’alinéa 22(2)i) de la Loi.

[23]Le juge Décary reconnaît aussi que, puisque les mots « autres biens », dans le paragraphe 43(2), comprennent une cargaison, un recours in rem peut être déposé contre ce genre de biens.

[24]Après avoir dit que, dans la mesure où l’action ne « porte » pas sur la cargaison, le recours in rem sera radié, le juge Décary entreprend alors d’examiner le sens de ces mots, qui, selon lui, doivent être examinés « en fonction du champ de compétence applicable dans un cas donné » (paragraphe 17 de ses motifs), en l’occurrence, pour l’affaire qu’il avait devant lui, en fonction de l’alinéa 22(2)i) de la Loi.

[25]Il pose alors, au paragraphe 23 de ses motifs, la question à laquelle il faut répondre : « Peut‑on dire de cette réclamation qui se “fonde” sur une charte‑partie, qu’elle “porte” sur le navire et la cargaison, de manière à permettre un recours in rem? Dit autrement, le navire et la cargaison sont‑ils “l’objet” ou “la cause” de l’action? »

[26]Un examen des mots « fondée sur », dans l’alinéa 22(2)i), et des mots « toute action portant sur », dans le paragraphe 43(2), a conduit le juge Décary à faire observer que les mots du paragraphe 43(2) ont une portée plus étroite que ceux de l’alinéa 22(2)i). Il dit ensuite que les mots « toute action portant sur » supposent que les biens saisis doivent être la « cause de » l’action, et donc qu’il doit exister un lien entre le bien saisi et la cause d’action. Il dit ensuite, à la fin du paragraphe 24 de ses motifs, que « [i]l faut, à mon avis, que l’on puisse dire que c’est l’utilisation de ce navire ou le transport de cette cargaison qui justifie l’action in rem prise contre le bien saisi ».

[27]Il applique alors ces principes aux faits qu’il a devant lui et il conclut que l’action ne porte pas sur la cargaison, mais plutôt, selon lui, sur la charte‑partie et sur les agissements personnels des défendeurs. Il reconnaît que la charte‑partie se rapporte à la cargaison saisie, mais il est d’avis que cela ne constitue pas un lien suffisant, puisque « le seul lien qui existe entre l’action et la cargaison est le fait que c’est cette cargaison qui aurait été transportée si le contrat avait été respecté » (paragraphe 28 de ses motifs). Pour étayer sa position, il précise alors que le contrat n’avait pas été exécuté, que le transport n’avait jamais commencé, que la cargaison n’avait pas été l’objet d’un privilège maritime et que Paramount n’avait jamais été en possession de la cargaison. Il ajoute aussi que la cargaison n’a causé aucun dommage, qu’elle n’a bénéficié d’aucun avantage et qu’elle n’a été impliquée dans aucun incident se rapportant à l’action.

[28]Les paragraphes 22 à 24, 28 et 29 des motifs du juge Décary, qui constituent le cœur de son analyse, se présentent ainsi :

Le paragraphe 43(2) ne permet pas l’action in rem dans tous les cas où la Cour a par ailleurs compétence en vertu de l’article 22. Si tel avait été le cas, le législateur eût utilisé à l’égard de l’action in rem les termes généraux qu’il a utilisés au paragraphe 43(1) à l’égard de l’action in personam. Le texte même du paragraphe 43(2) indique que l’action in rem n’est possible, par définition dans un champ de compétence visé par l’article 22, que si l’action « porte » sur le navire ou la cargaison (j’exclus, pour simplifier la formulation, l’aéronef ou les biens autres que la cargaison).

En l’espèce, la compétence de la Cour qu’invoque Paramount est celle décrite à l’alinéa 22(2)i), soit « une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte‑partie ». Les parties s’accordent à dire, ici, que la réclamation de Paramount se fonde sur semblable convention et qu’en conséquence la Cour a compétence, qu’elle peut exercer par voie d’action in personam aux termes du paragraphe 43(1). Peut‑on dire de cette réclamation qui se « fonde » sur une charte‑partie, qu’elle « porte » sur le navire et la cargaison, de manière à permettre un recours in rem? Dit autrement, le navire et la cargaison sont‑ils « l’objet » ou « la cause » de l’action?

Les mots « fondée », « arising out », à l’alinéa 22(2)i) ont une large portée. (voir Cormorant Bulk‑Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.), à la page 78). Les mots « portant sur », « subject of », au paragraphe 43(2) ont un sens plus limité. Ils supposent que le bien saisi soit « en cause » dans l’action (comme le dit si bien le paragraphe 43(3)), donc qu’il y ait une connexité certaine entre le bien saisi et la cause d’action. Il faut, à mon avis, que l’on puisse dire que c’est l’utilisation de ce navire ou le transport de cette cargaison qui justifie l’action in rem prise contre le bien saisi.

[. . .]

L’action in rem de Paramount contre la cargaison de Beston est fondée sur une allégation de nature contractuelle de non‑exécution par Beston d’un contrat de charte‑partie. Il est vrai que ce contrat visait cette cargaison, mais le seul lien qui existe entre l’action et la cargaison est le fait que c’est cette cargaison qui aurait été transportée si le contrat avait été respecté. Or le contrat n’a pas été respecté, le transport n’a jamais commencé, la cargaison n’est pas grevée d’un privilège maritime et Paramount n’a jamais été en possession de la cargaison. La cargaison en tant que telle n’a causé aucun dommage, elle n’a bénéficié d’aucun avantage et elle n’a été impliquée dans aucun incident qui soient reliés à l’action. L’action pour bris de contrat, si elle doit réussir, réussira peu importe que la cargaison ait été par la suite transportée ou non et peu importe, si elle a été transportée, le navire sur lequel elle l’aura été. Permettre la saisie de la cargaison, en l’espèce, serait permettre la saisie de tout bien appartenant à un défendeur quand bien même aucun bien ne serait en cause dans l’action.

Bref, j’en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas, entre l’action et le navire et la cargaison saisis, ce « lien de causalité » qui permettrait de dire de ce navire ou de cette cargaison qu’ils sont « l’objet » de l’action ou qu’ils sont « en cause » dans l’action. L’objet de l’action est la charte‑partie et les agissements personnels des défendeurs. Si lien il y a entre l’action et le navire et la cargaison saisis, il est « simplement accidentel ou fortuit », pour reprendre les mots du juge Major.

[29]Phoenix dit que l’arrêt Paramount, se distingue de la présente affaire. Malheureusement, je ne vois nul bien‑fondé dans cet argument. À mon avis, rien ne distingue les circonstances de l’affaire Paramount des circonstances de la présente affaire. Au contraire, dans les deux cas, les faits sont, à toutes fins utiles, identiques.

[30]Subsidiairement, Phoenix fait valoir que, si les circonstances de l’affaire Paramount ne peuvent être distinguées de celles de la présente affaire, alors nous devons réexaminer le sens des mots « toute action portant sur », dans le paragraphe 43(2) de la Loi. Autrement dit, Phoenix nous demande de désavouer l’arrêt Paramount.

[31]Dans plusieurs décisions récentes, diverses formations de la Cour ont clairement fait savoir que nous n’infirmerions pas une décision antérieure à moins qu’elle ne soit manifestement erronée, c’est‑à‑dire à moins que la Cour n’ait passé outre à une disposition légale applicable ou à un précédent qui aurait dû être suivi.

[32]Dans l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, aux paragraphes 8 à 10, la Cour expliquait ainsi sa manière de voir :

Il n’y a aucun doute que notre Cour peut renverser [sic] ses propres décisions. Toutefois, les valeurs de certitude et de cohérence sont très près du cœur même de l’administration de la justice dans un système de droit et de gouvernement fondé sur la primauté du droit. En conséquence, une formation de notre Cour ne devrait pas s’écarter d’une décision d’une autre formation simplement parce qu’elle considère que l’affaire s’est soldée par une décision erronée. C’est la Cour suprême du Canada qui est normalement l’instance appropriée pour corriger les erreurs commises par des cours d’appel intermédiaires.

La jurisprudence portant sur le renversement [sic] de décisions antérieures a été examinée par le juge Urie dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.), aux pages 278 à 282. Ses commentaires ont été cités avec approbation dans des arrêts subséquents, par exemple l’arrêt Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 197 N.R. 291 (C.A.F.), à la page 293. En bref, la jurisprudence citée par le juge Urie a établi qu’afin d’assurer la constance et l’uniformité, une saine administration de la justice exige que les cours d’appel intermédiaires suivent leurs précédents, sauf circonstances exceptionnelles. La Cour a la responsabilité d’assurer la stabilité, l’uniformité et l’invariabilité du droit.

Le critère utilisé pour renverser [sic] la décision d’une autre formation de notre Cour exige que la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté : voir, à titre d’exemple, les arrêts Eli Lilly and Co., et Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (1997), 208 N.R. 395 (C.A.F.), à la page 396. Les cours d’appel provinciales ont utilisé ce même critère : voir, à titre d’exemple, R. c. White (1996), 29 O.R. (3d) 577 (C.A.), aux pages 604 et 605; Bell c. Cessna Aircraft Co. (1983), 149 D.L.R. (3d) 509 (C.A.C.-B.), à la page 511; R. c. Grumbo (1988), 159 D.L.R. (4th) 577 (C.A. Sask.), au paragraphe 21; et Lefebvre c. Québec (Commission des affaires sociales) (1991), 39 C.A.Q. 206.

[33]Dans l’arrêt Mathew c. Canada, 2003 CAF 371; l’arrêt Wannan c. Canada, 2003 CAF 423; et l’arrêt Amado‑Cordeiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 120, diverses forma-tions de la Cour ont réaffirmé les principes exposés dans l’arrêt Miller.

[34]Par conséquent, pour soutenir avec succès qu’un arrêt antérieur de la Cour devrait être réformé, il ne suffira pas de dire simplement, comme le fait Phoenix devant nous, que cet arrêt était erroné. Je n’ai donc pas été persuadé que l’arrêt Paramount, est l’un des cas exceptionnels où la Cour réformera la décision rendue par une autre formation.

[35]Avant de conclure toutefois, je voudrais ajouter que, si je n’étais pas lié par l’arrêt Paramount, j’aurais incliné à statuer en faveur de Phoenix. Je soupçonne que la question dont nous sommes saisis présente quelque importance pour les milieux maritimes, et donc qu’un pourvoi pourrait bien être déposé devant la Cour suprême du Canada, et c’est la raison pour laquelle je crois utile d’expliquer pourquoi, selon moi, l’arrêt Paramount fut une décision erronée.

[36]Comme dans l’affaire Paramount, le point à décider ici est de savoir si l’« action port[e] sur » la cargaison, selon ce que prévoit le paragraphe 43(2) de la Loi. Je dois dire d’entrée de jeu que je souscris totalement à la manière dont la juge Tremblay‑Lamer interprète le paragraphe 43(2), en particulier lorsqu’elle dit, au paragraphe 24 de ses motifs, que le paragraphe 43(2) n’est pas ambigu. À son avis, le paragraphe 43(2) ne peut pas être interprété comme une disposition exigeant, pour l’exercice de la compétence en matière réelle, que la cargaison soit embarquée à bord du navire, qu’elle soit transportée ou qu’il existe un privilège maritime ou possessoire. Le fait que le contrat d’affrètement se rapporte au transport de la cargaison saisie et que ce contrat a censément été rompu suffit à faire de la cargaison l’objet de l’action selon ce que prévoit le paragraphe 43(2).

[37]Je suis d’avis que le raisonnement de la juge Tremblay‑Lamer représente la bonne manière d’interpréter le paragraphe 43(2) de la Loi. Je fais donc mien son raisonnement, me limitant à ajouter les remarques suivantes.

[38]À mon avis, le juge Décary a adopté une vue trop étroite des mots « toute action portant sur ». Dire, comme il le fait, que l’action porte sur le contrat de transport même et sur les agissements personnels du défendeur, plutôt que sur la cargaison, c’est, à mon humble avis, fausser le sens ordinaire de ces mots.

[39]Le juge Décary utilise les mots de l’alinéa 22(2)i) pour limiter le champ d’application des mots du paragraphe 43(2). Ayant dit que les mots « fondée sur » sont de large portée et que les mots « portant sur » ont un sens plus étroit, il exprime l’avis que les biens à saisir en application du paragraphe 43(2) doivent être la « cause du litige ». Il arrive donc à la conclusion que, pour justifier la saisie de biens, il faut de quelque manière que l’on puisse dire que « c’est l’utilisation de ce navire ou le transport de cette cargaison » qui justifie le recours in rem déposé contre le bien saisi.

[40]À mon avis, cette manière de voir ne repose tout simplement sur aucun fondement. Autrement dit, je ne puis voir de raison d’interpréter les mots « toute action portant sur » par référence aux mots « fondée sur », dans l’alinéa 22(2)i). En raisonnant comme il l’a fait, le juge Décary n’a pas donné leur sens ordinaire aux mots toute action « portant sur ». L’une des définitions données dans le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition revue, corrigée et mise à jour en 1991, à la page 1488, définit ainsi l’expression « porter sur » : « avoir pour objet ».* Je trouve cette définition tout à fait à propos. Me fondant sur cette définition générale, je ne vois aucune raison de limiter la portée des mots « toute action portant sur ». Il m’est donc impossible de voir comment l’on pourrait soutenir que la cargaison ou autre bien doit être la cause du litige pour que l’action « porte sur » ladite cargaison ou ledit bien.

[41]L’alinéa 22(2)i) prévoit simplement que la Cour fédérale a compétence concurrente en première instance à l’égard d’une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire ou au louage d’un tel navire. Lorsqu’un demandeur a franchi cet obstacle, il peut alors, conformément aux paragraphes 43(1) et (2), prier la Cour fédérale d’exercer sa compétence in personam et in rem. S’agissant des recours in personam, la Cour peut exercer sa compétence dans tous les cas qui relèvent de l’article 22. S’agissant du paragraphe 43(2), la Cour peut exercer sa compétence in rem si « l’action port[e] sur » le bien contre lequel le demandeur entend exercer ses droits in rem. La seule exception à cette règle est celle qui est énoncée dans le paragraphe 43(3), lequel prévoit que, pour certaines demandes, la Cour ne peut exercer la compétence en matière réelle que lui confère l’article 22 que si, lorsque l’action est intentée, « le véritable propriétaire du navire [. . .] ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur ».

[42]Il convient de noter toutefois que, pour certaines demandes, la Cour peut exercer sa compétence en matière réelle même si le véritable propriétaire du navire et/ou de la cargaison que l’on veut faire saisir n’est pas le même qu’au moment du fait générateur. Par exemple, la Cour peut exercer sa compétence en matière réelle à l’égard des demandes invoquant les alinéas 22(2)i) et o) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 31(A)] de la Loi, c’est‑à‑dire les demandes d’indemnisation pour sauvetage et les demandes de versement des salaires de l’équipage, et cela même si le véritable propriétaire du navire ou de la cargaison n’est pas le même qu’au moment du fait générateur. J’ai choisi délibérément ces deux exemples parce qu’il s’agit de deux demandes qui entrent dans la catégorie des privilèges maritimes, que le professeur William Tetley, c.r., a définis ainsi dans son article intitulé  « Arrest, Attachment, and Related Maritime Law Procedures  », Tul. L. Rev., vol. 73, 1999, page 1895, aux pages 1909 et 1910 :

[traduction] Les privilèges maritimes naissent avec les créances qu’ils garantissent, sans qu’il soit besoin d’un enregistrement, d’une notification ou d’autres formalités, ils ne dépendent pas de la possession et suivent le navire en quelques mains qu’il se trouve (ils survivent donc à la vente du navire par entente mutuelle, mais non par décision de justice); et ils prennent rang immédiatement après les droits spéciaux d’origine légale, les coûts de la saisie et de la vente judiciaire, les frais custodia legis et les privilèges possessoires prioritaires. Ils ont donc priorité sur les hypothèques maritimes dans la distribution du produit de la vente judiciaire de la chose saisie. En droit maritime anglais, les privilèges maritimes se limitent aux sauvetages, aux avaries, aux salaires des marins et du capitaine, aux débours du capitaine, aux prêts à la grosse aventure et aux prêts sur la cargaison (ces deux sortes de prêts sont pour ainsi dire obsolètes).

[43]Le professeur Tetley, dans le passage ci‑dessus, parle du droit anglais, mais aucune distinction véritable ne peut être faite pour ce qui concerne le droit canadien (voir Tetley, aux pages 1920 à 1924).

[44]Ainsi, après que l’on a déterminé que l’action se rapporte à une convention qui ressortit à l’article 22, il faut ensuite se demander ce qui constitue l’objet de cette action donnée. Dans l’affaire Paramount, comme dans la présente affaire, les demanderesses poursuivaient les propriétaires de la cargaison qui avaient prétendument refusé, au mépris de leurs obligations contractuelles, d’embarquer leur cargaison à bord des navires des demanderesses. Celles‑ci ont donc entrepris de saisir la cargaison qui était au cœur même de la relation contractuelle. Il ne faut pas oublier que les deux actions se rapportaient à un manque à gagner sur le fret, manque à gagner qui ne se serait pas produit si les propriétaires de la cargaison avaient respecté leurs engagements contractuels. Dans le cas dont nous sommes saisis, le fret, qui comprend le bénéfice, était payable à raison du nombre de tonnes métriques. Le contrat d’affrètement prévoyait d’ailleurs que le fret était de 24,25 $US la tonne métrique. Ce chiffre présente un rapport direct avec la quantité de charbon qui aurait dû être chargée sur le navire nommément désigné. Par conséquent, dans cette perspective, j’ai beaucoup de mal à souscrire à l’opinion du juge Décary selon laquelle il n’existe pas un lien suffisant entre le bien saisi et la cause d’action.

[45]Il serait difficile de prétendre que l’« action port[e] » sur tout sauf la cargaison saisie. Selon moi, il n’est pas possible de séparer l’action de la cargaison, et cela parce qu’il existe un lien étroit entre la rupture du contrat et la cargaison.

[46]Inutile de dire que je ne partage pas les propos du juge Décary lorsqu’il affirme qu’il faut tenir compte du fait que la cargaison n’a jamais été embarquée à bord du navire prévu, ou que cette cargaison n’était pas l’objet d’un privilège maritime ou possessoire. Le seul point pertinent est celui de savoir si l’action portait sur le bien que l’on voulait faire saisir.

[47]Je suis donc d’avis que le paragraphe 43(2) ne requiert pas un lien matériel entre la cargaison et le navire pour donner naissance à des droits in rem. Le paragraphe 43(2) dit plutôt que le facteur déterminant est le caractère unique du bien, de telle sorte que le champ du recours in rem ne soit pas indûment élargi. Autrement dit, le recours in rem doit se rapporter au bien précis envisagé dans le contrat en cause. Dans la mesure où la cargaison peut être clairement localisée comme le bien envisagé dans le contrat, dont Phoenix allègue la rupture dans sa déclaration (et dont Paramount avait allégué la rupture dans l’affaire Paramount), alors l’« action port[e] sur » la cargaison saisie. Je dois souligner qu’il n’est pas contesté dans le présent appel que la cargaison saisie est celle envisagée dans le contrat en cause.

[48]En conclusion, vu l’arrêt Paramount rendu par la Cour, et en dépit de mon propre point de vue sur le paragraphe 43(2) de la Loi, j’accueillerais l’appel, avec dépens devant la Cour et devant la Cour fédérale, j’annulerais le mandat de saisie et je radierais la déclaration in rem. J’ordonnerais aussi que la garantie déposée dans le compte en fidéicommis du cabinet Bromley Chapelski, les avocats de l’appelante, soit remise à l’appelante, mais non avant l’expiration d’un délai de 60 jours à compter de la date du jugement.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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