A‑480‑04
2005 CAF 404
Le procureur général du Canada (appelant)
c.
Diane Sketchley (intimée)
Répertorié : Sketchley c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Décary, Linden et Sexton, J.C.A.—Vancouver, 15 septembre; Ottawa, 9 décembre 2005.
Droits de la personne — Appel d’une décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée à l’encontre de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter les plaintes qu’elle a déposées contre le Conseil du Trésor (CT) et Développement des ressources humaines Canada (DRHC) — En janvier 1997, l’intimée, une employée de DRHC, a pris un congé non rémunéré à temps plein pour cause de maladie — Selon la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales, les cas de congé non rémunéré doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé — La demande qu’a présentée l’intimée en mai 1999 en vue d’obtenir que son congé soit prolongé d’un an a été refusée — L’intimée a pris sa retraite pour des raisons médicales, mais a déposé devant la Commission une plainte dans laquelle elle a allégué que la politique du CT était discriminatoire à l’égard des employés atteints d’une déficience puisque la limite de deux ans ne s’applique pas aux employés qui bénéficient d’un congé non rémunéré pour d’autres motifs — Elle a également déposé une plainte dans laquelle elle a allégué que DRHC avait refusé de tenir compte de sa déficience et lui avait appliqué la politique du CT de façon discriminatoire — Le fondement juridique et factuel de la décision de la Commission se trouve dans les rapports de l’enquêteur — Le juge de la Cour fédérale a conclu à juste titre que les rapports représentaient les motifs de la décision de la Commission — Les principes qui sous‑tendent la détermination de la norme de contrôle ont été examinés — Plainte concernant le CT — La question dont était saisie la Cour fédérale consistait à savoir si la plainte établissait l’existence d’une discrimination à première vue — L’application des facteurs de l’approche pragmatique et fonctionnelle à la décision de la Commission favorisait la norme de contrôle de la décision correcte — Le juge a eu raison de dire que l’inflexibilité de la politique du CT relative aux congés pour des raisons médicales établissait l’existence d’une discrimination à première vue — Il revenait ensuite à l’employeur de démontrer que la discrimination était une exigence professionnelle justifiée (EPJ) — La Commission n’a pas tenu compte du critère relatif à l’EPJ tel que requis — Une distinction a été faite d’avec certaines décisions selon lesquelles la politique du CT a été jugée non discriminatoire en vertu de l’art. 15 de la Charte parce que, notamment, la Cour suprême du Canada n’a pas expressément dit que l’analyse fondée sur l’art. 15 de la Charte et l’analyse de la discrimination doivent nécessairement être identiques — Plainte concernant DRHC — Cette plainte concernait l’équité procédurale (c.‑à‑d. qu’elle concernait la manière dont la Commission a pris sa décision) — Le juge a conclu que l’enquête sur la plainte n’était pas valable parce qu’elle manquait de rigueur — Le contenu de l’obligation d’équité a été déterminé en fonction des facteurs établis dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — Le fait que, lorsque le congé a été accordé, il n’a plus été question d’accommodement, le fait que l’enquêteur n’a pas examiné la question de savoir si le congé aurait dû être prolongé et le fait qu’il ne s’est pas interrogé sur la manière dont la politique avait été appliquée à l’intimée constituent un manquement à l’obligation d’équité — Le rapport ne pouvait constituer le fondement de la décision de la Commission, et la preuve omise était à ce point cruciale et fondamentale que l’intimée ne pouvait compenser son absence par ses observations en réponse — Appel rejeté.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Appel d’une décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter des plaintes déposées contre le Conseil du Trésor (CT) et Développement des ressources humaines Canada (DRHC) — Le deuxième niveau d’appel (c.‑à‑d. la Cour) doit déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le juge de révision a choisi et appliqué la norme pertinente — En l’espèce, le juge de la Cour fédérale a appliqué les normes pertinentes, mais n’a pas fait l’analyse pragmatique et fonctionnelle — La cour de révision (c.‑à‑d. la Cour fédérale) doit effectuer l’analyse pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’une instance administrative rend une décision et non seulement pour chaque type de décision que rend un décideur en particulier en vertu d’une disposition précise — Cette approche s’appliquait à la plainte concernant le CT, mais non à celle concernant DRHC puisque cette dernière concernait l’équité procédurale, ce qui nécessitait que les éléments de la décision qui touchent à l’équité procédurale soient isolés et examinés comme des questions de droit — La question de savoir si la plainte concernant le CT établissait l’existence d’une discrimination à première vue était une question de droit, et la Cour suprême du Canada a affirmé, dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), que la norme de révision de la décision correcte s’applique à l’égard de ces questions, mais la Cour trouva préférable, jusqu’à ce que la question soit clarifiée, d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle comme l’a clairement indiqué la Cour suprême du Canada dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia — Les quatre facteurs de l’approche pragmatique et fonctionnelle favorisaient, tout bien pesé, l’application de la norme de la décision correcte.
Il s’agissait d’un appel interjeté contre une décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée à l’encontre de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter les plaintes qu’elle a déposées contre le Conseil du Trésor (CT) et Développement des ressources humaines Canada (DRHC).
L’intimée a occupé un poste permanent à DRHC de 1975 à l’an 2000. Un médecin ayant diagnostiqué en novembre 1987 qu’elle était atteinte du syndrome de fatigue chronique, et de fibromyalgie en octobre 1994, elle a pris un congé non rémunéré à temps plein en janvier 1997. Selon la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales, les cas de congé non rémunéré doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, sauf dans des circonstances exceptionnelles. En mai 1999, après que l’appelant lui eut demandé de retourner au travail ou de prendre sa retraite pour des raisons médicales, l’intimée a demandé que son congé soit prolongé d’un an. L’appelant a répondu que si l’intimée ne démontrait pas, au moyen d’une preuve médicale, qu’elle serait en mesure de retourner au travail dans un délai raisonnable ou si elle ne prenait pas sa retraite pour des raisons médicales ni ne donnait sa démission, elle serait congédiée pour incapacité. Enfin, en avril 2000, l’intimée a demandé et obtenu de prendre sa retraite pour des raisons médicales, puis a déposé deux plaintes devant la Commission. Dans la première plainte, qui concernait le CT, l’intimée a allégué que la politique de celui‑ci sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales est discriminatoire à l’égard des employés atteints d’une déficience parce que la limite de deux ans prévue par la politique du CT ne s’applique pas aux employés qui bénéficient d’un congé non rémunéré pour des raisons autres que médicales. Dans la deuxième plainte, qui concernait DRHC, elle a allégué que son employeur avait refusé de tenir compte de sa déficience et qu’il avait fait preuve de discrimination à son égard en appliquant la politique du CT.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Le juge de la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en concluant que les motifs de la Commission à l’appui de sa décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (quant à savoir si l’examen de la plainte est justifié) se trouvaient dans les rapports de l’enquêteur. L’enquêteur établit ces rapports à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission. Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise de décision en vertu du paragraphe 44(3).
Le juge a traité la décision de la Commission concernant la plainte relative au CT comme une question de droit, et la décision relative à la plainte concernant DRHC comme une question d’équité procédurale, et il semble avoir appliqué, à l’égard de ces deux questions, la norme de la décision correcte, qui constituait la norme pertinente. Toutefois, comme le juge a mentionné la norme de la décision raisonnable simpliciter au début de son analyse, et que l’analyse pragmatique et fonctionnelle n’a pas été effectuée, il était nécessaire de décider de l’approche qu’il convient d’adopter dans un cas comme celui‑ci.
La Cour a appliqué diverses normes de contrôle à diverses décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Cela est dû au fait que la cour de révision doit effectuer de nouveau l’analyse pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’une instance administrative rend une décision et non seulement pour chaque type de décision que rend un décideur en particulier en vertu d’une disposition précise. L’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique toutefois pas au contrôle judiciaire fondé sur des motifs d’équité procédurale. L’équité procédurale concerne la manière dont une décision est prise (par opposition à la décision définitive sur le fond). Les éléments de la décision qui touchent à l’équité procédurale doivent être isolés et examinés comme des questions de droit, à l’égard desquelles aucune déférence n’est nécessaire. L’obligation qui incombe au décideur dans un contexte en particulier sera déterminée en fonction des facteurs établis par la Cour suprême du Canada. Si l’obligation d’équité a été violée, la décision sera annulée. Il importe également de se rappeler que le critère approprié au deuxième niveau d’appel s’applique selon des principes différents de l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par un tribunal inférieur. La Cour doit déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le juge de révision a choisi et appliqué la norme de contrôle pertinente. Si le juge a commis une erreur, la Cour doit corriger l’erreur, appliquer la norme pertinente et évaluer ou renvoyer sur ce fondement la décision de l’instance administrative.
L’appel interjeté par l’intimée devant la Cour fédérale relativement à la plainte déposée contre le CT concernait la conclusion finale de la Commission (qu’il n’y avait aucune discrimination à première vue). Il s’agissait de savoir si cette plainte établissait l’existence d’une discrimination à première vue. Cette question sera parfois une question mixte de fait et de droit, mais en l’espèce, plusieurs facteurs, comme le fait que la décision de la Commission dépendait essentiellement des conclusions de droit de l’enquêteur, permettaient d’affirmer que la question en cause était une pure question de droit. Cela dit, et nonobstant l’affirmation de la Cour suprême du Canada dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) portant que, selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la norme de révision de la décision correcte devrait s’appliquer à l’égard des questions de droit, il était préférable, jusqu’à ce que la question soit clarifiée, d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle, compte tenu surtout des directives claires données par la Cour suprême dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, selon lesquelles on doit appliquer cette approche chaque fois qu’il faut déterminer la norme de contrôle.
Lorsque le paragraphe 18.1(4) (motifs de contrôle applicables à une demande de contrôle judiciaire) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, dans la mesure où la décision en cause est une question de droit, le premier facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle (la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi) donne à penser que la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, cette norme ne s’applique peut‑être pas automatiquement au contrôle de toutes les questions de droit, puisque d’autres facteurs pragmatiques et fonctionnels pourraient, dans certains cas, l’emporter. En l’espèce, compte tenu de la nature abstraite du raisonnement de la Commission, la question de l’existence d’une discrimination à première vue était très certainement une question de droit. Pour ce qui est du deuxième facteur, la Commission n’a pas une expertise plus grande que les tribunaux dans le domaine des droits fondamentaux de la personne (c.‑à‑d. quant à la question de l’existence d’une discrimination à première vue). En ce qui concerne le troisième facteur (objet de la Loi et de la disposition), la décision de la Commission a été prise dans l’exercice par celle‑ci de sa fonction d’examen en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Lorsqu’il s’agit de l’appréciation de questions pratiques et pécuniaires, la Commission est bien mieux placée que la Cour fédérale pour apprécier si une plainte en particulier devrait se rendre plus loin. Quant à la nature du problème (le quatrième facteur), la décision de la Commission de rejeter une plainte touche aux droits subjectifs. Dans la mesure où la Commission décide de rejeter une plainte en s’appuyant sur une conclusion qu’elle a tirée au sujet d’une question fondamentale de droit, le degré de déférence qui sera exercé dans le contrôle de la décision sera moins élevé. Les quatre facteurs susmentionnés favorisaient, tout bien pesé, l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.
Le juge a eu raison de dire que l’inflexibilité relative du délai de deux ans imposé par la politique du CT relative aux congés non rémunérés pour des raisons médicales, en comparaison avec l’absence de délai dans la politique applicable aux congés non rémunérés pour d’autres motifs, suffisait à établir une discrimination à première vue en vertu de l’article 10 de la Loi, et que cette discrimination était fondée sur un motif illicite. Dans les affaires concernant les droits de la personne, une fois que le plaignant a établi qu’il y a eu discrimination à première vue, il incombe à l’employeur de démontrer que la discrimination est une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Après avoir conclu à tort que la preuve n’avait pas établi une discrimination à première vue, la Commission n’a pas tenu compte du critère relatif à l’EPJ comme elle devait le faire. Une distinction a été faite d’avec les décisions rendues dans les affaires Scheuneman c. Canada (Procureur général), dans lesquelles la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont statué que la politique du CT n’était pas discriminatoire selon l’article 15 de la Charte. D’abord, ces décisions ont été rendues en vertu de la Charte et non de la Loi, et la Cour suprême, dans ses arrêts récents concernant les codes sur les droits de la personne, n’a pas expressément dit que l’analyse de l’égalité fondée sur l’article 15 et l’analyse de la discrimination doivent toujours être identiques. Ensuite, contrairement au plaignant dans l’affaire Scheuneman, l’intimée ne voulait pas un congé non rémunéré indéfini. Enfin, le rôle de la Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie dans l’application stricte du délai de deux ans prévu par la politique du CT, un facteur important en l’espèce, n’a pas été examiné dans les affaires Scheuneman.
La plainte relative à DRHC concernait la manière dont la Commission a pris sa décision. Le juge a à juste titre examiné la décision de la Commission concernant cette plainte comme s’il s’agissait d’une question d’équité procédurale. Lorsqu’une enquête appropriée n’a pas été faite pour examiner la plainte, une décision de la Commission fondée sur cette enquête ne peut être raisonnable puisque le défaut découle de la preuve même utilisée par la Commission pour prendre sa décision. Pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité en l’espèce (c.‑à‑d. le degré de rigueur que devait avoir l’enquête), les facteurs établis dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) ont été appliqués. La décision de la Commission à l’étape de l’examen est très importante pour le plaignant puisque la décision de rejeter une plainte empêche, en effet, le plaignant d’obtenir réparation en vertu de la Loi, et il s’agit donc d’une décision qui touche aux droits subjectifs. En outre, le plaignant n’a d’autre choix que de soumettre une plainte à la Commission pour revendiquer ses droits. Compte tenu du rôle indispensable de l’enquête dans le traitement d’une plainte par la Commission, ce facteur indiquait qu’une plus grande protection procédurale s’imposait, tout comme le fait que la Commission présente suffisamment d’arguments pour que les plaignants s’attendent légitimement à ce que leur plainte fasse l’objet d’une enquête approfondie qui tient compte des allégations de fond sur lesquelles cette plainte est fondée. Une description appropriée du contenu de l’équité procédurale a été donnée dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) : « Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose [. . .] [L]es circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre [. . .] les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ». En l’espèce, le fait que, lorsque le congé non rémunéré a été accordé, il n’a plus été question d’accommodement, le fait que l’enquêteur n’a pas examiné la question de savoir si le congé aurait dû être prolongé et le fait qu’il ne s’est pas interrogé sur la manière dont la politique avait été appliquée à l’intimée étaient des lacunes suffisantes pour constituer un manquement à l’obligation d’équité. Compte tenu de ces lacunes et du fait que l’employeur n’avait tout simplement pas compris la demande de l’intimée (visant à obtenir que son congé soit prolongé d’un an), le rapport ne pouvait constituer le fondement de la décision de la Commission au moment de l’examen préalable. La preuve omise était à ce point cruciale et fondamentale que l’intimée ne pouvait d’aucune façon compenser son absence par ses observations en réponse. Le juge a donc eu raison de statuer que l’enquête de la Commission sur la plainte de l’intimée visant DRHC manquait de rigueur et, par conséquent, constituait un manquement à l’équité procédurale.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 7, 10 (mod., idem, art. 13(A)), 43(4) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44 (mod., idem, art. 64; 1998, ch. 9, art. 24), 54 (mod., idem, art. 28).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
décisions différenciées :
Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] 2 C.F. 365 (1re inst.); conf. par [2000] A.C.F. no 1997 (C.A.) (QL); Scheuneman c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1157; [2004] A.C.F. no 1383 (QL).
décisions examinées :
Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.); Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.); conf. par [1996] A.C.F. no 385 (C.A.) (QL); Connolly c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 185; [2002] A.C.F. no 242 (QL); conf. par 2003 CAF 47; [2003] A.C.F. no 140 (QL); Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113; [2005] A.C.F. no 543 (QL); Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2003 CAF 222; [2003] A.C.F. no 763 (QL); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1; infirmant [2000] 2 C.F. 592 (C.A.); Bourgeois c. Banque canadienne impériale de commerce, [2000] A.C.F. no 1655 (C.A.) (QL); Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100; 2005 CSC 40; Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111; [2005] A.C.F. no 544 (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] S.C.C.A. no 239 (QL).
décisions citées :
Canada (Commission des droits de la personne c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.); Société Radio‑Canada c. Paul, 2001 CAF 93; [2001] A.C.F. no 542 (QL); Bradley c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 370 (C.A.) (QL); Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 4; [2002] A.C.F. no 12 (QL); Singh c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 247; [2002] A.C.F. no 885; Gardner c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 284; [2005] A.C.F. no 1442 (QL); St‑Onge c. Canada, [2000] A.C.F. no 1523 (C.A.) (QL); Elkayam c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 101; [2005] A.C.F. no 494 (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; Zündel c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2057 (C.A.) (QL); Canada (Commission des droits de la personne) c. Banque Toronto‑Dominion, [1998] 4 C.F. 205 (C.A.); Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407; Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada — Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13; [2004] A.C.F. no 186 (QL).
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2004 CF 1151) accueillant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée à l’encontre de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter les plaintes qu’elle a déposées contre le Conseil du Trésor et Développement des ressources humaines Canada. Appel rejeté.
ont comparu :
Jan E. Brongers pour l’appelant.
Andrew J. Raven pour l’intimée.
avocats inscrits au dossier :
Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP, Ottawa, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Linden, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par le procureur général du Canada (appelant) de l’ordonnance datée du 20 août 2004 (2004 CF 1151), par laquelle un juge de la Cour fédérale (le juge des requêtes) a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP ou Commission), datée du 7 février 2003, de rejeter les plaintes déposées par Mme Diane Sketchley (intimée) contre le Conseil du Trésor du Canada (CT) et Développement des ressources humaines Canada (DRHC).
[2]L’intimée a déposé auprès de la Commission deux plaintes dans lesquelles elle a allégué avoir été forcée de prendre sa retraite de la fonction publique et avoir fait l’objet de discrimination à cause d’une déficience. Dans la première plainte, qui concernait le CT, l’intimée a allégué que la politique du CT relative aux congés non rémunérés pour des raisons médicales était discrimina-toire à l’égard des employés atteints d’une déficience. Dans la deuxième plainte, qui visait son employeur, DRHC, l’intimée a allégué que son employeur avait refusé de tenir compte de sa déficience et qu’il avait fait preuve de discrimination à son égard en appliquant la politique du CT.
[3]Par souci de commodité, voici la table des matières qui précise les questions examinées dans les présents motifs. *
A. LES QUESTIONS EN LITIGE
[4]Le présent appel soulève les questions suivantes :
(i) Le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur de droit en décidant que les motifs de la décision de la Commission étaient ceux qui se trouvaient dans le rapport de l’enquêteur?
(ii) Relativement aux deux plaintes, le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur de droit dans son choix et dans son application de la norme de contrôle à la décision de la Commission?
(iii) Relativement à la plainte concernant le CT, le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur en concluant que la politique du CT est discriminatoire à première vue à l’égard des employés atteints d’une déficience qui ne sont pas en mesure de préciser la date de leur retour au travail?
(iv) Relativement à la plainte concernant DRHC, le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur en statuant que la Commission avait violé les principes d’équité procédurale pendant son enquête?
* Note de L’arrêtiste : L’arrêtiste en chef du Recueil des décisions des Cours fédérales a décidé de ne pas reproduire cette table des matières pour des raisons d’efficicité.
[5]Pour les motifs qui suivent, les quatre questions reçoivent une réponse négative et l’appel sera rejeté.
B. LES FAITS
[6]L’intimée a occupé un poste permanent à DRHC du 1er avril 1975 jusqu’en 2000. Un médecin a diagnostiqué en novembre 1987 qu’elle était atteinte du syndrome de fatigue chronique et de fibromyalgie en octobre 1994.
[7]En août 1988, l’intimée a obtenu un congé de maladie à plein temps, congé qui a duré sept semaines. Elle est retournée au travail en octobre 1988, à temps partiel puis, elle a graduellement repris le travail à temps plein en 1990. En janvier 1993, elle a présenté une demande de réaffectation à un poste moins stressant en invoquant la détérioration de son état de santé, réaffectation qui lui a été accordée en avril 1994. Son employeur lui a également permis de réduire ses heures de travail, d’essayer un nouveau clavier ergonomique et il a offert de lui acheter un appui pour le dos. En novembre 1994, sur les conseils de son médecin et après le diagnostic de fibromyalgie, l’intimée a commencé à travailler à temps partiel.
[8]En janvier 1997, sur la recommandation de son médecin, l’intimée a pris un congé non rémunéré à temps plein. En mars 1997, l’appelant a recommandé à l’intimée de prendre sa retraite pour des raisons médicales. L’intimée a refusé parce qu’elle voulait avoir la possibilité de retourner au travail quand elle en serait capable.
[9]En mars 1999, pendant que l’intimée était en congé sans solde depuis deux ans, la compagnie d’assurance‑invalidité, la Sun Life, a demandé par écrit à l’employeur de faire enquête et de mettre fin au congé de l’intimée [traduction] « si opportun ». La lettre que la Sun Life a fait parvenir à l’employeur faisait suite à l’entente intervenue entre l’assureur et le Secrétariat du Conseil du Trésor en 1996, laquelle entente prévoyait que l’appelant appliquerait activement la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales. Selon la politique du CT, les cas de congé non rémunéré doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, sauf dans des circonstances exceptionnelles.
[10]En mai 1999, l’appelant a demandé à l’intimée de choisir entre la retraite pour des raisons médicales et le retour au travail. L’intimée a demandé que son congé non rémunéré soit prolongé d’un an. En juin 1999, l’appelant a répondu que si l’intimée ne démontrait pas, au moyen d’une preuve médicale, qu’elle serait en mesure de retourner au travail dans un délai raisonnable ou si elle ne prenait pas sa retraite pour des raisons médicales ni ne donnait sa démission, elle serait congédiée pour incapacité.
[11]L’intimée a déposé un grief qui a été rejeté au troisième palier en décembre 1999. En février 2000, elle a sollicité un congé pour raisons personnelles afin de pouvoir récupérer et décider si elle serait en mesure de reprendre le travail par la suite. L’appelant a refusé ce congé au début du mois de mars 2000. Il a ensuite demandé à l’intimée de se soumettre à une évaluation médicale par Santé Canada afin de déterminer si elle était en mesure de reprendre le travail immédiatement ou dans un avenir raisonnable. L’intimée a refusé de subir cette évaluation.
[12]Enfin, en avril 2000, l’intimée a demandé de prendre sa retraite pour des raisons médicales, demande qui a été accordée par Santé Canada le 4 avril 2000. Pour être admissible à la retraite pour des raisons médicales, l’intimée a fourni une attestation de son médecin personnel indiquant qu’elle était incapable, de façon permanente, d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. L’intimée prétend avoir demandé de prendre sa retraite pour des raisons médicales parce qu’on l’y a contrainte et qu’il s’agissait de la seule possibilité qui lui était offerte.
[13]En novembre 2000, l’intimée a déposé deux plaintes devant la CCDP.
C. L’HISTORIQUE DES PROCÉDURES JUDICIAI-RES
1. Décision de la Commission
[14]Au moins quatre enquêteurs différents ont examiné les deux plaintes de l’intimée. Le 21 juin 2002, 19 mois après le dépôt des plaintes, le dernier enquêteur chargé de les examiner a présenté ses rapports à la Commission.
[15]Le 7 février 2003, la CCDP a rendu une brève décision dans laquelle elle a rejeté les deux plaintes. En ce qui concerne la plainte contre le CT visant la politique de l’appelant en matière de congés non rémunérés pour des raisons médicales, la CCDP, citant textuellement les recommandations tirées du rapport sur la plainte, a écrit :
[traduction]
· la politique du défendeur en matière de congédiement comporte des dispositions qui permettent de tenir compte des besoins des personnes atteintes d’une déficience;
· le traitement différent réservé aux employés atteints d’une déficience qui sont en mesure de préciser la date de leur retour au travail et à ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n’est pas fondé sur un motif de distinction illicite.
[16]Quant à la plainte relative à DRHC, au sujet de l’omission alléguée de l’appelant de tenir compte des besoins de l’intimée, la Commission a encore une fois repris les termes du rapport et a écrit :
[traduction]
· la preuve n’étaye pas l’allégation de la plaignante selon laquelle le défendeur n’a pas tenu compte de ses besoins dans le cadre de son travail;
· la preuve révèle que le médecin de la plaignante a attesté qu’elle n’était pas en mesure d’avoir un emploi régulier rémunérateur.
[17]Le fondement juridique et factuel sur lequel s’est appuyée la Commission pour rendre sa décision se trouve dans les rapports de l’enquêteur. Selon le juge des requêtes, il fallait conclure que les motifs de la Commission étaient ceux qui se trouvaient dans les rapports de l’enquêteur. L’appelant conteste cette conclusion dans le présent appel et cette question est examinée plus loin. Le contenu des rapports est crucial en l’espèce. En voici donc un bref résumé.
2. Rapport de l’enquêteur - plainte concernant le CT
[18]Dans cette plainte, l’intimée a allégué que la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales qui s’applique aux employés atteints d’une déficience est discriminatoire parce qu’elle impose une rupture de la relation employeur‑employé deux ans après le début du congé et est susceptible d’annihiler les chances d’emploi de ces personnes à cause d’une déficience, ce qui contrevient à l’article 10 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 13(A)] de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] (Loi).
[19]Le rapport mentionne tant la politique du CT que l’entente de 1996 conclue avec la Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie et souligne que l’allégation de discrimination vise et la politique et l’entente. Le rapport mentionne l’allégation de l’intimée selon laquelle la limite de deux ans prévue par l’entente avec la Sun Life et la politique du CT ne s’applique pas aux employés qui bénéficient d’un congé non rémunéré pour des raisons autres que médicales; il mentionne également que l’intimée conteste la politique qui exige que l’employé soit en mesure de préciser la date à laquelle il pourra reprendre le travail, dans les deux ans à compter du début du congé.
[20]Le rapport résume les observations faites par l’appelant pour réfuter les allégations de l’intimée : sa politique tient raisonnablement compte des besoins des employés atteints d’une déficience, la politique respecte les exigences de la Loi en ce qu’elle permet une certaine souplesse dans les cas exceptionnels et l’employeur n’est plus légalement tenu de tenir compte des besoins de l’employé et de maintenir la relation employé‑ employeur quand il a été établi que l’employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible.
[21]Le rapport cite une seule décision, Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] 2 C.F. 365 (1re inst.) (Scheuneman no 1), confirmée par la Cour d’appel fédérale [2000] A.C.F. no 1997 (QL), à l’appui de son analyse selon laquelle la politique du CT n’est pas discriminatoire à première vue, et il souligne queScheuneman no 1 visait des allégations semblables à celles avancées par l’intimée. (Cette décision sera examinée, plus loin dans les présents motifs.)
[22]Dans la section analyse du rapport, il est mentionné que [traduction] « [l]a Cour fédérale a statué [dans Scheuneman no 1] que des allégations semblables à celles avancées par la plaignante n’établissent pas un cas de discrimination à première vue » (au paragraphe 16). Le rapport conclut ensuite que [traduction] « le traitement différent réservé aux employés atteints d’une déficience qui sont en mesure de préciser la date de leur retour au travail et à ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n’est pas fondé sur un motif de distinction illicite. Au contraire, il repose sur le fait qu’il est impossible de préciser la date de retour au travail » (au paragraphe 17).
[23]Le rapport poursuit en disant qu’un congé non rémunéré a pour but de permettre aux employés de s’absenter du travail pendant une certaine période de temps tout en préservant leur emploi et qu’il faut donc que cette période de temps soit limitée plutôt qu’indéfinie. Le rapport conclut donc que [traduction] « il est contraire à l’objectif du congé non rémunéré de préserver l’emploi d’une personne qui n’a aucune possibilité raisonnable de reprendre le travail » (au paragraphe 18). En outre, le rapport ajoute que la politique du CT ne traite pas d’une manière différente les employés atteints d’une déficience qui sont en congé non rémunéré et les personnes qui sont en congé non rémunéré pour d’autres motifs.
[24]Le rapport conclut en recommandant le congédiement de la plaignante. Les motifs sont exposés dans deux paragraphes qui ont été reproduits textuellement dans la décision de la Commission et qui sont cités au paragraphe 15 des présents motifs.
3. Rapport de l’enquêteur ‑ plainte concernant DRHC
[25]Dans cette plainte, l’intimée a allégué que son employeur, DRHC, a fait preuve de discrimination à son égard en ne tenant pas compte de sa déficience et en refusant de continuer de l’employer, en contravention de l’article 7 de la Loi.
[26]La rapport contient un exposé des relations entre l’intimée et l’appelant depuis l’apparition des problèmes de santé. Il reprend ensuite les plaintes spécifiques de la demanderesse [intimée en l’espèce] : premièrement, DRHC n’a pas du tout essayé de tenir compte de ses besoins à partir du congé non rémunéré ni de faciliter son retour au travail; au contraire, il a insisté pour qu’elle prenne sa retraite pour des raisons médicales, retardant ainsi son rétablissement et la possibilité de son retour au travail; deuxièmement, l’appelant a appliqué la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales d’une manière discriminatoire à son égard puisque d’autres employés ont bénéficié d’un congé non rémunéré pour maladie ou invalidité pendant plus de deux ans.
[27]Le rapport résume la réponse de l’appelant à ces allégations, soulignant en particulier les mesures prises par l’appelant avant le congé non rémunéré de l’intimée, ainsi que la preuve médicale obtenue du médecin de l’intimée attestant son incapacité permanente d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Au sujet de l’allégation de l’intimée concernant l’application différente de la politique du CT à son égard, le rapport reprend les propos du défendeur [appelant en l’espèce] qui a reconnu que certains employés en congé avaient pu conserver leur poste pendant plus de deux ans, mais qu’il existait maintenant un programme qui permettait de déterminer si des employés pouvaient retourner au travail et, en cas contraire, de les aider à accepter de prendre leur retraite pour des raisons médicales.
[28]Dans la brève section du rapport qui porte sur l’analyse, il est dit que l’intimée touche des prestations d’assurance‑invalidité depuis 1995, que l’appelant a tenté de tenir compte de ses besoins avant qu’elle prenne, sur l’avis de son médecin, un congé à temps plein en 1997 et qu’en avril 2000, son médecin a déclaré qu’elle était incapable pour des raisons de santé d’occuper un emploi rémunérateur. Le rapport conclut donc que [traduction] « la preuve recueillie au cours de l’enquête n’étaye pas l’allégation de la plaignante selon laquelle le défendeur [appelant devant la Cour] applique la politique du Conseil du Trésor d’une manière discriminatoire » (au paragraphe 30).
[29]Le rapport termine en recommandant le congédiement de l’intimée dans des motifs comportant deux paragraphes qui sont identiques aux motifs de décision de la Commission relativement à la présente plainte, tels que cités plus haut, au paragraphe 16.
[30]Comme l’a souligné le juge des requêtes (au paragraphe 16 de ses motifs), le rapport ne mentionne aucune enquête concernant l’application de la politique du CT aux autres employés en congé non rémunéré. Selon le rapport, la seule source de renseignements sur ce point serait l’appelant. En outre, il n’est pas mentionné que, pendant que l’intimée était en congé non rémunéré, son employeur n’a rien fait pour trouver un moyen de lui permettre de retourner au travail.
4. Décision de la Cour fédérale
[31]L’analyse du juge des requêtes repose sur sa conclusion selon laquelle la Commission a adopté le raisonnement de l’enquêteur : « La décision est brève; il faut donc en déduire que les motifs de la Commission sont ceux qui se trouvent dans les rapports de l’enquêteur dont la recommandation et le raisonnement se reflètent dans la décision » (au paragraphe 12).
[32]Dans ses motifs, le juge des requêtes examine deux questions, chacune correspondant à une plainte : premièrement, concernant la plainte relative au CT : « La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit quand elle a conclu que, lorsqu’il s’agit d’un employé atteint d’une incapacité qui n’est pas en mesure de préciser la date de son retour au travail, son congédiement n’est pas, à première vue, un acte discriminatoire? »; et deuxièmement, concernant la plainte relative à DRHC : « La Commission a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle ou d’‘équité procédurale quand elle n’a pas effectué une analyse et un examen complets des allégations de discrimination de la demanderesse? » (au paragraphe 3). Le juge a conclu qu’il fallait répondre par l’affirmative aux deux questions.
[33]En ce qui concerne la discrimination à première vue, le juge des requêtes a conclu que la politique du CT est discriminatoire puisqu’elle prévoit un traitement différent pour deux motifs : premièrement, entre les personnes en congé non rémunéré pour des raisons médicales et les personnes en congé pour d’autres motifs; deuxièmement, compte tenu du degré d’invalidité, entre les personnes qui peuvent préciser leur date de retour au travail après deux ans et celles qui ne le peuvent pas. Le juge des requêtes souligne également que l’enquêteur n’a pas fait correctement l’analyse requise quant aux difficultés excessives puisqu’il a estimé, à tort, que les mesures d’accommode-ment prises par l’appelant constituaient un moyen de défense empêchant de conclure à l’existence de discrimination à première vue. Par voie de conséquence, le juge des requêtes a conclu que la Commission avait commis une erreur de droit qui entachait irrémédia-blement sa décision.
[34]Quant à l’équité procédurale, le juge des requêtes souligne, relativement à la plainte qui vise DRHC, que l’enquêteur « ne s’est pas penché sur le fond de la plainte, qui était que lorsque le congé non rémunéré avait été accordé, il n’avait plus été question d’accommodement » (au paragraphe 52). Au contraire, l’enquêteur semble avoir accepté la position du défendeur [appelant en l’espèce] selon laquelle il avait pris toutes les mesures d’accommodement possibles. Le juge des requêtes fait remarquer que le rapport concernant la plainte qui vise DRHC ne fournit aucune preuve que d’autres solutions ont été envisagées après le départ en congé de l’intimée, ni aucune preuve que l’enquêteur a tenté de vérifier comment la politique du CT avait été appliquée à d’autres employés en congé non rémunéré pour des raisons médicales. Les « allégations [. . .] graves » soulevées par l’intimée ont été « rejetées du revers de la main » par l’enquêteur (au paragraphe 58). Le juge des requêtes a donc conclu que la décision de la Commission était erronée sur le plan de la procédure parce que l’affaire n’avait pas été examinée avec suffisamment de rigueur et parce que l’enquêteur n’avait pas analysé correctement les allégations de l’intimée.
[35]En conséquence, le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire, annulé la décision de la Commission relativement aux deux plaintes et renvoyé la question à la Commission pour nouvel examen par un autre enquêteur.
D. ANALYSE
1. Les motifs de la Commission étaient ceux du rapport d’enquête
[36]Le juge des requêtes a dit qu’il considérait que l’analyse faite dans les rapports d’enquête représentait les motifs de la décision de la Commission et il a invoqué, comme facteur justifiant cette conclusion, la brièveté de la décision de la Commission (au paragraphe 12). L’appelant prétend qu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’une telle conclusion ne reconnaîtrait pas les rôles distincts et séparés de l’enquêteur et de la Commission.
[37]Selon moi, l’argument de l’appelant à cet égard doit être rejeté. Il est vrai que l’enquêteur et la Commission sont deux entités « à bien des égards distinctes » (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.), au paragraphe 21, le juge MacGuigan (avec l’appui du juge Décary)), mais il est également bien établi qu’aux fins d’une décision de la Commission en conformité avec le paragraphe 44(3) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64; 1998, ch. 9, art. 24] de la Loi, l’enquêteur n’est pas qu’un simple témoin indépendant devant la Commission (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 898 (SEPQA)). L’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission (SEPQA, à la page 898). Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission aux fins de la prise de décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi (SEPQA, aux pages 902 et 903; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), au paragraphe 30 (Bell Canada); Société Radio‑Canada c. Paul, 2001 CAF 93, au paragraphe 43).
[38]Cette approche n’est pas, comme le prétend l’appelant, incompatible avec le principe bien établi selon lequel les lacunes dont serait entaché le rapport de l’enquêteur ne vicieront pas la décision de la Commission, pourvu que lesdites lacunes ne soient pas à ce point fondamentales que les observations complémentaires présentées par les parties ne suffisent pas à y remédier (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), confirmée par [1996] A.C.F. no 385 (C.A.) (QL) (Slattery)). En vertu de cette approche, une cour de révision doit, en fin de compte, se pencher sur l’examen de la Commission et faire preuve de beaucoup de déférence à l’égard de l’appréciation des faits; ce n’est que si la Commission a commis une erreur de droit, a apprécié les faits d’une manière manifestement déraisonnable ou a contrevenu aux principes d’équité procédurale qu’il sera justifié d’intervenir lors d’un contrôle (Bell Canada, au paragraphe 38; Connolly c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 185, au paragraphe 28, confirmée par 2003 CAF 47 (Connolly)). Presque par définition, ces erreurs appartiennent à la catégorie des erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier. La norme qui s’applique dans le cadre du contrôle de la rigueur d’une enquête est donc équivalente à celle qui s’applique au contrôle d’une décision de la Commission prise en vertu du paragraphe 44(3). Par conséquent, il n’y a donc pas nécessairement incohérence si, dans des circonstances appropriées comme celles dont il s’agit en l’espèce, le rapport de l’enquêteur est présumé constituer les motifs de la Commission.
[39]Par conséquent, j’estime que le juge des requêtes n’a commis aucune erreur en concluant que les motifs de la Commission à l’appui de sa décision en vertu du paragraphe 44(3) se trouvaient dans les rapports de l’enquêteur.
2. La norme de contrôle
[40]Au début de son analyse, le juge des requêtes mentionne que « [l]es deux parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce [une décision de la Commission de rejeter une plainte] est celle de la décision raisonnable simpliciter » (au paragraphe 32). C’est pourquoi il a conclu que « la norme qui s’applique est de savoir si la décision de la Commission résisterait à “un examen assez poussé” de ses motifs » (au paragraphe 32).
[41]À l’audience, les parties ont convenu que la Cour devait faire preuve de beaucoup de déférence relativement au pouvoir d’examen conféré à la Commission par le paragraphe 44(3). Toutefois, l’appelant soutient que le juge des requêtes n’a pas fait preuve d’une [traduction] « autodiscipline » suffisante dans l’examen de la décision de la Commission et qu’il s’est fondé sur les lacunes qui, selon lui, existaient dans le rapport de l’enquêteur, sans se demander si la décision de la Commission était, dans l’ensemble, raisonnable. L’intimée a manifesté son désaccord en soutenant que le juge des requêtes avait fait preuve de la déférence appropriée, mais qu’il avait conclu que la décision de la Commission était déraisonnable.
[42]Une lecture attentive des motifs du juge des requêtes révèle que, même s’il a mentionné, au début de ses motifs, la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, il n’a pas appliqué cette norme dans son analyse subséquente des deux décisions de la Commission. Au contraire, il a traité expressément la décision de la Commission concernant la plainte relative au CT comme une question de droit, et la décision relative à la plainte concernant DRHC comme une question d’équité procédurale. À l’égard de ces deux questions, il semble en fin de compte que le juge des requêtes a appliqué, sans avoir fait l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de la décision correcte, même s’il n’explique pas en détail son choix.
[43]Selon moi, les normes de contrôle qu’auraient implicitement adoptées le juge des requêtes dans ses motifs sont inattaquables. Autrement dit, le juge des requêtes a appliqué les normes de contrôle pertinentes dans ses motifs, même si la norme générale de contrôle qu’il a énoncée au début de son analyse (celle de la décision raisonnable simpliciter) n’était pas celle à appliquer en l’espèce. Toutefois, comme le juge des requêtes a mentionné une norme différente de celle qu’il a finalement appliquée, à bon droit, et comme cette question a été longuement débattue devant la Cour et que le juge des requêtes n’a pas effectué l’analyse fonctionnelle et pragmatique relativement à la première question en litige, il est important de rappeler les principes de base qui régissent la détermination de la norme de contrôle dans le présent contexte pour décider de l’approche qu’il convient d’adopter dans un cas comme celui‑ci.
[44]Les avocats ont attiré l’attention de la Cour d’appel sur des décisions apparemment contradictoires qu’elle a rendues concernant la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de renvoyer ou non une plainte à un tribunal conformément au paragraphe 44(3) de la Loi. La norme de la décision raisonnable simpliciter a été appliquée dans certaines décisions (Bradley c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 370 (C.A.) (QL), au paragraphe 9; Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 4, au paragraphe 13; Singh c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 247, au paragraphe 7 (Singh); Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 6 (Tahmourpour); et Gardner c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, au paragraphe 21), mais la norme de la décision manifestement déraisonnable a été appliquée dans un grand nombre d’autres décisions (Bell Canada, au paragraphe 37; St‑Onge c. Canada, [2000] A.C.F. no 1523 (C.A.) (QL), au paragraphe 1; Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), 2003 CAF 222, au paragraphe 4 (Murray); Elkayam c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 101, au paragraphe 4). Cette apparente incohérence est un résultat prévisible de l’application de l’analyse pragmatique et fonctionnelle.
[45]Puisque des décisions différentes commandent un niveau de déférence différent, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel fédérale ait appliqué diverses normes de contrôle à diverses décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’ailleurs, c’est l’unanimité sur la norme à appliquer qui serait étonnante. Si la même norme avait toujours été appliquée, cela pourrait indiquer une application servile des précédents, plutôt qu’une application réfléchie et nuancée de l’approche pragmatique et fonctionnelle, cas par cas. D’ailleurs, quelle que soit la norme adoptée en l’espèce, les cours de révision qui auront dans l’avenir à examiner des décisions prises en vertu du paragraphe 44(3) devront, à chaque fois, reprendre l’analyse pragmatique et fonctionnelle.
[46]Un examen des principes qui sous‑tendent la détermination de la norme de contrôle dans ce contexte pourrait clarifier la question. Comme je l’explique un peu plus loin dans la présente section, la cour de révision doit effectuer de nouveau l’analyse pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’une instance adminis-trative rend une décision et non seulement pour chaque type de décision que rend un décideur en particulier en vertu d’une disposition précise. L’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique toutefois pas aux allégations concernant l’équité procédurale qui font toujours l’objet d’un contrôle à titre de question de droit.
[47]En règle générale, lorsqu’elle est appelée à prendre une décision en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi, la Commission doit trancher une question de fait ou une question mixte de droit et de fait. Comme la décision dépend énormément, dans de tels cas, des faits de l’espèce, elle n’aura qu’une faible valeur jurispruden-tielle. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’analyse pragmatique et fonctionnelle entraînera probablement dans de tels cas l’application de la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, si, comme en l’espèce, la décision de la Commission soulève une question de droit qui a une valeur jurisprudentielle générale ou si elle soulève une question d’équité procédurale, la norme appropriée pourrait bien être celle de la décision correcte. Je vais maintenant effectuer cette analyse.
a) La primauté de l’approche pragmatique et fonctionnelle
[48]La Cour suprême du Canada a clairement dit que le juge de révision doit effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle « [c]haque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle » (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 21 (Dr Q)). Il convient de rappeler que l’« objectif global [de l’approche pragmatique et fonctionnelle] est de cerner l’intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité » (Dr Q, au paragraphe 26). L’analyse pragmatique et fonctionnelle doit donc avoir pour objet de trancher la question fondamentale qu’est le degré de déférence dont les tribunaux doivent faire preuve à l’égard d’une instance administrative décisionnelle.
[49]Je souligne que, dans aucune des décisions invoquées par les parties pour déterminer la norme de contrôle applicable (y compris celle‑ci), la cour de révision n’a appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle qui doit l’être en l’espèce.
b) L’importance de préciser la question en litige dans la décision visée par le contrôle
[50]Premièrement, l’obligation d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle dans tous les cas fait ressortir l’importance de préciser la question en litige dans la décision visée par le contrôle. Comme l’a dit le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan), « l’accent est [. . .] mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal » (au paragraphe 28, non souligné dans l’original). Les facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle sont spécifiques à l’affaire en cause et la Cour suprême du Canada a insisté sur l’importance de ne pas y voir un « rite vide de sens » ou « machinal » (Dr Q, au paragraphe 26). Par conséquent, aussi complexe soit‑elle, l’analyse doit être effectuée de nouveau pour chaque décision et non seulement pour chaque type général de décision d’un décideur en particulier en vertu d’une disposition législative précise. Même lorsque la décision semble avoir été réglée dans la jurisprudence « [les cours] ne doivent sauter aucune étape de l’analyse pragmatique et fonctionnelle » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 21 (Ryan)).
[51]Impossible donc de conclure qu’étant donné que, dans une affaire antérieure, une norme a été appliquée à une décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3), la même norme doit nécessairement s’appliquer lors de l’examen d’une autre décision de la Commission en vertu de la même disposition législative. Dans le même ordre d’idées, on ne saurait conclure que la même norme de contrôle s’appliquera nécessairement à tous les aspects d’une décision de la Commission, surtout si (comme en l’espèce) elle est saisie de plusieurs plaintes à la fois. Ce sont les caractéristiques propres à la décision en cause, dans une affaire donnée, qui régissent la norme de contrôle que doit appliquer la cour de révision.
c) Distinction entre l’analyse de l’équité procédu-rale et l’analyse de la norme de contrôle
[52]Deuxièmement, il faut faire une distinction entre le contrôle judiciaire découlant d’un manquement aux principes d’équité procédurale et la norme de contrôle qui s’applique dans d’autres types de contrôle sur le fond puisque l’approche pragmatique et fonctionnelle ne s’applique que dans le deuxième type de situation. Il est vrai que l’arrêt Dr Q semble dire que l’analyse pragmatique et fonctionnelle doit être effectuée chaque fois qu’il y a contrôle judiciaire; cependant, il n’en est rien. Les observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539 (SCFP), rendu peu après Dr Q, clarifient la question. Dans SCFP, le juge Binnie a expliqué en ces termes l’interaction entre l’équité procédurale et l’analyse pragmatique et fonctionnelle (aux paragraphes 100, 102, 103) :
Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. Seul l’exercice en dernière analyse du pouvoir discrétionnaire de désignation conféré au ministre par le par. 6(5) est assujetti à l’analyse « pragmatique et fonctionnelle » qui vise à déterminer le degré de déférence dont le législateur a voulu que les tribunaux judiciaires fassent montre à l’égard du décideur légal, lequel degré constitue ce qu’on appelle la « norme de contrôle ».
[. . .]
L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations.
La tentative de maintenir séparés ces différents genres de questions peut parfois engendrer une certaine confusion. Force est de constater que certains « facteurs » utilisés pour déterminer les exigences de l’équité procédurale servent également à déterminer la « norme de contrôle » applicable à la décision discrétionnaire elle‑même [. . .] Il reste que, même s’il existe certains « facteurs » communs, l’objet de l’examen du tribunal judiciaire diffère d’un cas à l’autre. [Souligné dans l’original.]
(Voir également les motifs dissidents du juge Bastarache dans SCFP, au paragraphe 5, où il convient avec les juges de la majorité que l’examen relatif de l’équité procédurale et l’examen de la norme de contrôle sont différents et « sont [. . .] effectués séparément et visent des objectifs différents » et ajoute que, pour ce qui concerne l’obligation d’équité procédurale, « il n’est pas nécessaire d’établir un degré de déférence ».)
[53]Selon l’arrêt SCFP, la cour de révision doit, lorsqu’elle examine une décision contestée pour des motifs d’équité procédurale, isoler les actes ou omissions qui touchent à l’équité procédurale (au paragraphe 100). La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation.
[54]Il ressort clairement de l’arrêt SCFP qu’une décision peut faire l’objet d’un contrôle tant à l’égard de l’équité procédurale que selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle, relativement à divers aspects de la décision (le processus décisionnel par rapport à la décision définitive sur le fond). L’équité procédurale concerne la manière dont une décision est prise. L’obligation qui incombe au décideur dans un contexte en particulier sera déterminée en fonction des facteurs établis notamment dans les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28 (Baker), et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 115 (Suresh). Si l’obligation d’équité a été violée dans le cadre du processus décisionnel, la décision en cause doit être annulée. Par contre, l’analyse de la norme usuelle de contrôle ne concerne que la décision définitive sur le fond et cette norme de contrôle est déterminée selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle.
[55]La distinction entre l’analyse de l’équité procédurale et l’analyse de la norme de contrôle s’inscrit dans la logique de plusieurs arrêts de la Cour concernant des décisions de la Commission en vertu du paragraphe 44(3). Ces décisions insistaient précisément sur la distinction entre l’équité procédurale et la norme de contrôle. Par exemple, dans Tahmourpour, le juge Evans a expliqué la norme de contrôle en ces termes (aux paragraphes 6 et 7) :
[. . .] la Cour n’interviendra que si la conclusion de la Commission est jugée déraisonnable, lorsqu’il n’y a pas eu violation de l’obligation d’équité ou d’autres erreurs de droit [. . .]
Une cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence dans la détermination de l’équité procédurale d’un organisme administratif [. . .] Pourtant, la cour ne remettra pas en question les choix en matière de procédure qui sont faits dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’organisme et qui respectent l’obligation d’équité.
La Cour a tenu un raisonnement semblable dans Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. no 1655 (C.A.) (QL), au paragraphe 3, dans Connolly, au paragraphe 5, et dans Murray, au paragraphe 4.
d) Les rôles différents d’un deuxième niveau d’appel et d’un tribunal inférieur en matière de contrôle
[56]Troisièmement, il faut tenir compte des rôles distincts d’un deuxième niveau d’appel et d’un tribunal inférieur en matière de contrôle. Aux paragraphes 43 et 44 de l’arrêt Dr Q, il est dit clairement que le critère approprié au deuxième niveau d’appel s’applique selon des principes différents de l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par un tribunal inférieur : puisque, en l’espèce, la Cour examine le contrôle effectué en appel d’une décision d’un tribunal inférieur, et non le contrôle d’une décision d’une instance administrative décisionnelle, les règles de l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, s’appliquent.
[57]La question de la norme de contrôle applicable est une question de droit et c’est donc un juge de révision d’un tribunal inférieur qui doit trancher cette question. La Cour doit ensuite déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le juge de révision a choisi et appliqué la norme de contrôle pertinente. Si le juge de révision a commis une erreur dans le choix ou l’application de la norme de contrôle, la Cour doit corriger l’erreur, appliquer la norme pertinente et évaluer ou renvoyer sur ce fondement la décision de l’instance administrative.
3. La norme de contrôle en l’espèce
a) La plainte concernant le CT
[58]Dans la plainte susmentionnée, l’intimée a allégué que la politique du CT sur les congés non rémunérés pour des raisons médicales est discrimina-toire à l’endroit des employés atteints d’une déficience. L’appel interjeté par l’intimée devant la Cour fédérale relativement à cette plainte concernait la décision finale de la Commission, à savoir qu’il n’y avait aucune discrimination à première vue, et non la façon dont la décision avait été prise. Il faut donc appliquer dans l’examen de la décision de la Commission sur la plainte concernant le CT la norme de contrôle établie par l’analyse pragmatique et fonctionnelle.
[59]Avant d’entreprendre l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour doit préciser la question qui se pose relativement à la décision concernant le CT. J’ai déjà mentionné que le juge des requêtes a analysé la décision de la Commission sur la plainte concernant le CT et a précisé qu’il s’agissait d’une question de droit, soit celle de savoir si la plainte établissait l’existence de discrimination à première vue. À mon avis, le juge des requêtes a conclu à juste titre que la question en litige aux fins du contrôle de la plainte concernant le CT était une question de droit. La question de savoir si la discrimination à première vue a été établie dans une plainte sera, dans certains cas, une question mixte de fait et de droit et, dans d’autres, une question de droit. Il peut s’avérer quelquefois très difficile de faire une distinction entre ces deux types de questions (Pushpanathan, au paragraphe 37; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 35), mais il faut néanmoins préciser le type de question en cause pour pouvoir déterminer la norme de contrôle appropriée.
[60]En l’espèce, plusieurs facteurs permettent d’affirmer que la question en cause est une pure question de droit. L’analyse effectuée par la Commission au sujet de la plainte concernant le CT reposait sur la réponse à la question de savoir si la discrimination à première vue avait été établie et son examen de cette question essentielle était fondé uniquement sur une analyse abstraite de la politique du CT. Le raisonnement de la Commission (tiré, par déduction, du rapport de l’enquêteur) révèle que sa décision dépendait essentiel-lement de ses conclusions de droit relatives à la valeur déterminante, à titre de précédent, de l’arrêt Scheuneman no 1 et de la question de savoir si le traitement différent réservé aux employés atteints d’une déficience qui étaient en mesure de préciser la date de leur retour au travail et à ceux qui ne le pouvaient pas, était fondé sur un motif de distinction illicite. L’analyse de la Commission à cet égard n’a pas porté sur les détails de la situation de l’intimée et n’était pas non plus « liée étroitement à [des] conclusions de fait et inférences » concernant une situation exceptionnelle (Ryan, au paragraphe 41). En l’espèce, en décidant si la plainte formulée par l’intimée à l’endroit du CT avait établi la discrimination à première vue, la Commission n’appliquait pas un principe de droit faisant intervenir un critère de pondération comptant de multiples facteurs et, en fin de compte, elle n’a même pas examiné « si les faits satisfont au critère juridique » (Southam, au paragraphe 35). Au contraire, la Commission a décidé que, dans l’absolu, la politique en cause ne saurait révéler l’existence de discrimination à première vue pour un motif de distinction illicite.
[61]Il a donc été déterminé que la question en cause dans l’examen de la décision de la Commission en l’espèce concernant la plainte relative au CT était une question de droit, à savoir si la politique du CT était discriminatoire à première vue. En effectuant l’examen préalable prévu au paragraphe 44(3) de la Loi, la Commission n’a, en fait, tranché que la question de droit concernant la discrimination à première vue. Je vais maintenant examiner les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle applicables à la question en cause dans ce contexte particulier, puisque le juge des requêtes ne l’a pas fait.
i) Présence ou absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi
[62]Le premier facteur que doit considérer la Cour est la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi. En l’espèce, la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui régit la décision en cause porte :
44. [. . .]
(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :
a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_ :
(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,
(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);
b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,
(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).
[63]La Loi ne donne donc aucune directive concernant l’appel ou le contrôle de ce type de décision. Comme il a été souligné dans Dr Q, au paragraphe 27, « le silence est neutre et “n’implique pas une norme élevée de contrôle” » (citant Pushpanathan, au paragraphe 30).
[64]Toutefois, les dispositions législatives qui habilitent la Cour à contrôler les décisions de la Commission—à savoir les articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]—sont également pertinentes. Le paragraphe 18.1(4) prévoit :
18.1 [. . .]
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas_ :
a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;
b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;
f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.
[65]Il convient de souligner que, même s’il existe six motifs de contrôle, les normes de contrôle à appliquer ne sont pas précisées, sauf en ce qui concerne les conclusions de fait erronées (alinéa 18.1(4)d)) qui font l’objet d’un contrôle si elles ont été tirées de façon de abusive ou arbitraire. Il s’agit d’une norme de preuve qui s’apparente à celle de la décision manifestement déraisonnable. On a toujours considéré que les autres motifs énumérés, y compris notamment l’erreur de droit, étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, le droit administratif canadien contemporain est fondé sur la reconnaissance —comme l’indique l’approche pragmatique et fonctionnelle—que la déférence judiciaire sera nécessaire, dans certaines circonstances, relativement à l’interprétation de certaines questions de droit faite par un tribunal administratif (Société canadienne de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Pushpanathan).
[66]Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, un arrêt récent concernant le contrôle, sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale [maintenant la Loi sur les Cours fédérales], d’une décision dans laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel) devait interpréter des dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], la Cour suprême du Canada, sans avoir analysé la jurisprudence antérieure, semble indiquer qu’elle est maintenant disposée à prêter une certaine influence, sinon une influence déterminante, aux termes utilisés par le législateur dans la Loi sur la Cour fédérale lorsqu’il s’agit de déterminer la norme de contrôle applicable aux questions de droit. La Cour suprême a écrit (au paragraphe 37) :
L’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale régit la demande de contrôle judiciaire visant une décision administrative rendue sous le régime de la Loi sur l’immigration. Les alinéas 18.1(4)c) et d) disposent plus particulièrement que les mesures prévues ne peuvent être prises que si l’office fédéral a commis une erreur de droit ou fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Pour les besoins de ces dispositions, la norme de révision de la décision correcte s’applique à l’égard des questions de droit. [Non souligné dans l’original.]
[67]Malgré ce passage péremptoire et apparemment sans équivoque tiré de l’arrêt Mugesera, j’estime qu’il serait néanmoins sage, du moins jusqu’à ce que la question soit clarifiée, de continuer d’appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions de droit lors d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. Il en est ainsi à cause des directives claires données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr Q, selon lesquelles il faut appliquer l’approche pragmatique et fonctionnelle chaque fois qu’il faut déterminer la norme de contrôle.
[68]Toutefois, le paragraphe 37 de l’arrêt Mugesera, permet de penser que, lorsque la Loi sur les Cours fédérales s’applique, comme en l’espèce, il faudrait, à tout le moins, examiner les dispositions de cette loi dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Il est clair que la loi qui confère compétence est pertinente en rapport avec les questions que soulève, en fin de compte, le contrôle judiciaire, c’est‑à‑dire, l’intention du législateur et la légalité (Dr Q, au paragraphe 21).
[69]Par conséquent, lorsque le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, dans la mesure où la décision en cause est une question de droit, le premier facteur de l’analyse pragmatique et fonction-nelle donne à penser que la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, cette norme ne s’applique peut‑être pas automatiquement au contrôle de toutes les questions de droit, puisque d’autres facteurs pragmatiques et fonctionnels, notamment l’expertise relative, pourraient, dans certains cas, l’emporter.
[70]En l’espèce, compte tenu de la nature abstraite du raisonnement de la Commission, la question de savoir si la preuve a établi une discrimination à première vue est très certainement une question de droit. Le présent contrôle relève du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales et c’est pourquoi, à mon avis, le premier facteur favorise l’application de la norme de la décision correcte.
ii) Expertise relative
[71]L’évaluation du deuxième facteur, l’expertise relative, exige une analyse qui « comporte trois dimensions : la cour doit qualifier l’expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise » (Pushpanathan, au paragraphe 33, cité dans Dr Q, au paragraphe 28).
[72]La question précise dont était saisie la Commission relativement à la plainte contre le CT était une pure question de droit, à savoir si la politique du CT était discriminatoire à première vue. Cette détermination est très étroitement liée au domaine d’expertise fondamentale de la Commission puisque la question découle directement de sa loi habilitante, mais la Commission n’a pas une expertise plus grande que les tribunaux dans le domaine des droits fondamentaux de la personne. Comme l’a expliqué le juge La Forest dans Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 585 :
L’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales de droit [. . .] Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. [Non souligné dans l’original.]
(Voir également Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, aux paragraphes 23 à 29.) Ces commentaires visaient une décision rendue par le Tribunal à la suite d’une enquête, mais le même raisonnement s’applique d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une décision de la Commission de rejeter une plainte à l’étape de l’examen.
[73]Ce facteur favorise donc également l’application de la norme de la décision correcte.
iii) Objet de la Loi en général et de la disposition en particulier
[74]L’objet de la Loi, décrit à l’article 2 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9], est essentiellement d’empêcher les pratiques discriminatoires fondées sur une série de motifs de distinction illicite. La protection des droits humains et individuels est une valeur fondamentale au Canada et les institutions, organismes ou personnes qui ont reçu le mandat, en vertu de la loi, d’examiner ces questions sont assujettis à un certain contrôle de la part des autorités judiciaires.
[75]La décision en cause relativement à la plainte concernant le CT a été prise dans l’exercice par la Commission de sa fonction d’examen en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Pour une plainte donnée, la décision prise par la Commission en vertu de l’article 44 constitue un seuil important pour avoir accès aux pouvoirs de redressement du Tribunal en vertu de l’article 54 [mod., idem, art. 28] : à cette étape, la décision de la Commission de ne pas traiter une plainte a pour effet de refuser au plaignant la possibilité d’obtenir une mesure de redressement en vertu de la Loi. Les activités de la Commission relativement à l’enquête concernant des plaintes individuelles ainsi que leur renvoi sélectif devant un tribunal touchent directement les droits individuels des parties relativement à une plainte en particulier. Cet aspect laisse à penser qu’il convient d’appliquer une norme qui commande une moins grande déférence.
[76]Dans le même ordre d’idées, il est notoire que le nombre de plaintes que reçoit la Commission dépasse de loin le nombre de plaintes qu’elle peut, pour des raisons pratiques et pécuniaires, renvoyer devant un tribunal pour enquête supplémentaire. Comme l’a dit le juge Décary dans Bell Canada, au paragraphe 38 :
La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête [. . .] Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comporte, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape. [Non souligné dans l’original.]
En règle générale, du moins lorsqu’il s’agit de l’appréciation de questions pratiques et pécuniaires, la Commission est bien mieux placée que la Cour fédérale pour apprécier si une plainte en particulier devrait se rendre plus loin. Ce facteur penche donc en faveur d’une plus grande déférence.
iv) Nature du problème
[77]Comme l’a souligné le juge Sopinka dans SEPQA, à la page 899, à la fin du processus d’examen, la Commission doit déterminer si « la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante ». Pour l’essentiel, l’enquêteur a pour mission de découvrir les faits mais la Commission elle‑même, lorsqu’elle prend une décision en se fondant sur le rapport de l’enquêteur, applique néanmoins les faits dans le contexte des exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision qui en résulte sera, en règle générale, une question mixte de fait et de droit qui appelle « une déférence plus grande si la question est principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de droit » (Dr Q, au paragraphe 34).
[78]Toutefois, dans une affaire comme la présente espèce, la décision finale de la Commission dépend entièrement de sa conclusion sur une question précise et distincte de droit. Cette question de droit préalable est d’importance générale et susceptible d’intéresser d’autres personnes à l’avenir. La nature de la question indique donc qu’il y a lieu d’appliquer une norme de contrôle stricte à la question de droit préalable.
[79]Dans ce contexte, il est également important de faire une distinction entre la décision de la Commission, lors de l’examen, de rejeter une plainte en conformité avec l’alinéa 44(3)b), et la décision d’accueillir une plainte et de la renvoyer à un Tribunal en conformité avec l’alinéa 44(3)a). Dans ce dernier type de décision, la Commission n’est pas un organisme décisionnel qui se prononce sur la question de savoir si une plainte est fondée (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 54). Dans ces circonstances, les « présomptions juridiques adoptées par la Commission pour décider de demander la constitution d’un tribunal n’équivalent pas à des décisions sur l’état du droit applicable ou ses effets sur les intéressés » (Zündel c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 2057 (C.A.) (QL), au paragraphe 4).
[80]Toutefois, lorsque la Commission décide de rejeter une plainte, sa conclusion est « à proprement parler une décision qui touche aux droits subjectifs » (Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 697 (Latif)). Toutes les présomptions juridiques formulées par la Commission quand elle décide de rejeter un plainte seront définitives pour ce qui concerne leurs répercussions sur les parties. Par conséquent, dans la mesure où la Commission décide de rejeter une plainte en s’appuyant sur une conclusion qu’elle a tirée au sujet d’une question fondamentale de droit, le degré de déférence qui sera exercé dans le contrôle de la décision sera moins élevé.
[81]Si on applique l’approche pragmatique et fonctionnelle à la décision de la Commission concernant la plainte relative au CT, les quatre facteurs favorisent, tout bien pesé, l’application de la norme de contrôle de la décision correcte. Pour que sa décision concernant cette plainte puisse être confirmée, il fallait que la Commission ait tranché correctement la question de savoir si la politique du CT était discriminatoire à première vue, une question que je vais examiner plus loin.
b) La plainte concernant DRHC
[82]Dans cette plainte, l’intimée a allégué que DRHC avait fait preuve de discrimination à son égard en omettant de tenir compte de sa déficience et en refusant de continuer de l’employer. L’appel interjeté par l’intimée devant la Cour fédérale relativement à cette plainte concernait la manière dont la décision a été prise, c’est‑à‑dire la rigueur de l’enquête de la Commission. La Cour doit donc examiner la décision de la Commission sur la plainte concernant DRHC comme s’il s’agissait d’une question d’équité procédurale, une question à laquelle l’analyse pragmatique et fonction-nelle ne s’applique pas.
[83]Dans ses motifs [au paragraphe 3], le juge des requêtes a dit que la question en litige était « La Commission a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale quand elle n’a pas effectué une analyse et un examen complets des allégations de discrimination de la demanderesse [intimée]? » Il ressort clairement des motifs du juge des requêtes qu’il a effectivement, mais non expressément, examiné la décision concernant la plainte relative au DRHC comme s’il s’agissait d’une question d’équité procédurale plutôt que d’une question qu’il fallait trancher par l’application de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Il a eu raison de le faire.
[84]La Cour doit donc examiner la décision de la Commission sur la plainte concernant DRHC comme une question d’équité procédurale : elle doit donc, tout d’abord, établir en quoi consiste l’obligation d’équité procédurale dans le présent contexte pour ensuite décider si l’enquête de la Commission a violé cette obligation. S’il y a eu manquement à l’obligation, la décision de la Commission doit être annulée.
[85]Puisque l’examen de la décision de la Commission sur la plainte concernant DRHC n’exige pas une analyse fonctionnelle et pragmatique de la norme de contrôle, je reviendrai à cette question plus tard.
4. L’application de la norme de contrôle de la décision correcte à la conclusion concernant la nature discriminatoire à première vue de la politique du CT
[86]Je dois commencer par rappeler les principes fondamentaux du critère établi dans l’arrêt Colombie‑ Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, (Meiorin), en vertu duquel les affaires concernant les droits de la personne doivent être tranchées. Au départ, il incombe au plaignant d’établir qu’il y a eu discrimination à première vue. Une preuve prima facie est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley) c. Simpson‑Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558). La preuve ayant été faite, il incombe ensuite à l’employeur de démontrer que la discrimination est une exigence professionnelle justifiée (EPJ).
[87]Une EPJ n’a pas pour effet « d’éliminer » la discrimination, mais elle constitue un moyen de défense que peut invoquer l’employeur, lorsqu’il existe une preuve prima facie de discrimination, pour être relevé de sa responsabilité. (Voir le juge Robertson dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Banque Toronto‑Dominion, [1998] 4 C.F. 205 (C.A.), au paragraphe 130.) Une EPJ est établie au moyen d’une preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’existence des éléments décrits dans le critère Meiorin : premièrement, le but est rationnelle-ment lié à l’exécution du travail en cause; deuxième-ment, la norme particulière a été adoptée parce que l’employeur croyait sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; troisième-ment, la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail en ce que l’accommodement n’est pas possible sans que l’employeur subisse une contrainte excessive (Meiorin, au paragraphe 54).
[88]Dans la présente affaire, la norme en cause—la politique du Conseil du Trésor sur le congé non rémunéré—prévoit ce qui suit (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 33) :
Le congé non rémunéré ne peut être accordé qu’en vertu des documents habilitants, lesquels comprennent la convention collective et les conditions d’emploi appropriées.
Les ministères doivent se conformer à la norme figurant à l’Appendice A de la présente politique lorsque le congé non rémunéré est accordé pour les raisons suivantes :
- maladie ou blessure;
- emploi dans le cabinet d’un ministre;
- instruction au sein des Forces de réserve :
[89]L’appendice A prévoit les conditions suivantes applicables aux congés non rémunérés pour cause de blessure ou de maladie (motifs de l’ordonnance de la Cour fédérale, au paragraphe 34) :
Les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré aux employés qui ne peuvent travailler pour cause de blessure ou de maladie et qui ont épuisé leurs crédits de congé de maladie ou de congé d’accident du travail.
S’il est clair que l’employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, les gestionnaires doivent envisager d’accorder un congé non rémunéré d’une durée suffisante pour permettre à l’employé de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d’emploi de la fonction publique pour raisons médicales.
Si la direction est convaincue qu’il y a de bonnes chances que l’employé retourne au travail dans un délai raisonnable (dont la durée variera selon les circonstances), un congé non rémunéré peut être considéré afin qu’il n’y ait pas d’interruption d’emploi. La direction doit réexaminer tous ces cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non rémunéré n’est pas prolongé sans raisons médicales valables.
La direction doit régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, mais cette période peut être prolongée si des circonstances exceptionnelles le justifient.
La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d’un recyclage.
[90]Le juge des requêtes a statué qu’en concluant que la politique du CT n’était pas à première vue discriminatoire, la Commission a « commis une erreur de droit qui lui est fatale » (au paragraphe 49). Cette conclusion reposait sur la détermination, par le juge des requêtes, de deux façons dont la politique du CT établissait une distinction fondée sur la déficience. Comme je l’ai mentionné plus haut, la norme de contrôle de cette conclusion relative à la discrimination à première vue est celle de la décision correcte.
[91]Relativement au premier motif de distinction, le juge des requêtes a dit (aux paragraphes 35 et 36, 38) :
L’obligation pour la direction de « régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé » ne s’applique qu’en cas de blessure ou de maladie. Ainsi, il est clair que la politique prévoit un traitement différent entre les personnes en congé non rémunéré à cause d’une incapacité médicale et celles qui prennent un tel congé pour d’autres raisons.
Cette différence est l’essence même de la discrimination. La discrimination n’est pas définie dans la Loi, mais dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 174, la Cour suprême du Canada l’a définie en ces termes :
[. . .] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société [. . .]
[. . .]
La politique mentionne clairement que dans certaines situations de congé non rémunéré, la direction doit se conformer à la norme figurant à l’Appendice A. Ce n’est que lorsqu’il s’agit d’un congé pour des raisons de maladie ou de blessure que le Conseil du Trésor insiste pour dire qu’un congé non rémunéré doit prendre fin après une période de deux ans; on peut supposer que les autres situations relèvent du pouvoir discrétionnaire de la direction des ministères. [Souligné dans l’original.]
Je suis d’accord avec cette analyse. Le juge des requêtes a eu raison de dire que l’inflexibilité relative du délai de deux ans imposé par la politique du CT relative aux congés non rémunérés pour des raisons médicales, en comparaison avec l’absence de délai dans la politique applicable aux congés non rémunérés pour d’autres motifs, suffit à établir une discrimination à première vue en vertu de l’article 10 de la Loi.
[92]Quant au deuxième motif de distinction, le juge des requêtes a dit (aux paragraphes 39 à 41) :
Les travailleurs qui souffrent d’une incapacité et qui peuvent confirmer la date de leur retour au travail seraient moins incapables à ce moment‑là que les travailleurs qui ne peuvent pas encore préciser la date de leur retour au travail. La différence est fondée sur le degré d’incapacité, un motif de distinction illicite.
Dans l’arrêt Battlefords and District Co‑operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, la Cour suprême du Canada a dit, très clairement, que la création de catégories en rapport avec un motif illicite peut en soi constituer de la discrimination [. . .]
En l’espèce, l’enquêteur a dit que puisque les personnes souffrant d’une incapacité qui étaient en mesure de préciser la date de leur retour au travail n’étaient pas congédiées, il n’y avait aucune discrimination à l’égard des personnes atteintes d’une incapacité; il n’a pas tenu compte des personnes atteintes qui, à cause de leur incapacité, ne pouvaient pas confirmer la date de retour. [Souligné dans l’original.]
Encore une fois, je suis tout à fait d’accord avec cette analyse.
[93]Après avoir conclu à tort que la preuve n’avait pas établi une discrimination à première vue, la Commission n’a pas examiné la question de l’accommodement ni celle de savoir si les éléments essentiels d’une EPJ avaient été établis. Comme l’a dit le juge des requêtes (au paragraphe 42), la conclusion erronée de la Commission relativement à la discrimination à première vue semblait rendre inutile l’analyse de l’EPJ :
Il est clair que, lorsque l’enquêteur a conclu que la politique n’était pas discriminatoire, il ne s’est pas du tout penché sur les nécessités du service et les difficultés excessives. Parce que la politique permet un accommodement et que la Cour d’appel fédérale a dit, dans l’arrêt Scheuneman, que la politique n’était pas discriminatoire, l’enquêteur n’a pas du tout reconnu la possibilité d’une violation à première vue, et il a coupé court à son analyse.
[94]L’avocat de la Couronne a reconnu devant la Cour que l’analyse de l’EPJ faite par la Commission était purement et simplement insuffisante en ce que le rapport ne contenait ni une conclusion expresse de discrimination à première vue ni un examen exprès des éléments du critère relatif à l’EPJ. La Couronne a toutefois affirmé que la conclusion de la Commission devait néanmoins être maintenue puisqu’elle estimait que la politique du CT est fondée « nécessairement » et « implicitement » sur une EPJ qui prévoit un accommodement qui n’impose pas à l’employeur de contraintes excessives. Il s’agit du principe selon lequel [traduction] « aucun employeur ne devrait être tenu de préserver un lien d’emploi avec un employé qui sera incapable, de façon permanente, d’occuper un emploi rémunérateur régulier » (avis d’appel, D.A., à la page 3).
[95]Le principe avancé par la Couronne pourrait représenter un énoncé exact du droit sur cette question et une analyse de l’EPJ pourrait, dans certains cas limités, être possible—et je ne tire aucune conclusion sur l’une ou l’autre de ces questions—cependant, l’interprétation proposée par la Couronne constitue manifestement un résumé erroné de la norme de travail qui ressort de la politique du CT. En l’espèce, la norme en cause a un effet plus large que celui que propose l’appelant : sauf en cas de circonstances « exceptionnelles », elle défavorise les employés qui sont en congé non rémunéré pour des raisons médicales et qui ne peuvent, après deux ans, confirmer leur retour au travail dans un avenir prévisible. Le juge des requêtes a conclu, à juste titre, que cette distinction est discriminatoire à première vue parce que la politique du CT forcera probablement la retraite prématurée d’employés atteints d’une déficience qui, à cause de la nature de cette déficience, ne peuvent pas, dans le délai de deux ans, préciser la date de leur retour au travail tout en n’étant pas encore en mesure, encore une fois à cause de la nature de leur déficience, de savoir si celle‑ci les empêchera, de façon permanente, d’occuper un emploi rémunérateur régulier. En rendant sa décision préalable dans cette affaire, la Commission n’a certainement pas tenu compte du critère relatif à l’EPJ et elle ne s’est pas prononcée sur cette importante question. Dans ces circonstances, les exigences du critère Meiorin n’ont pas été établies tel que requis, et la Cour ne tiendra pas pour acquis qu’elles l’ont été comme le demande l’appelant.
a) Scheuneman no 1 et Scheuneman no 2
[96]Le dernier argument de l’appelant sur cette question est que le juge des requêtes a commis une erreur en n’appliquant pas certaines décisions de la Cour fédérale du Canada et de la Cour d’appel, à savoir Scheuneman no 1 et Scheuneman c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1157 (Scheuneman no 2). L’appelant soutient que ces décisions lient la Cour. Ces deux décisions concernaient, en partie, des problèmes découlant de la politique attaquée en l’espèce.
[97]Dans Scheuneman no 1, il s’agissait du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a rejeté le grief présenté par le demandeur. Le demandeur, qui était atteint du syndrome de fatigue chronique, s’est représenté lui‑même et l’affaire a, pour l’essentiel, été tranchée sur dossier, à la demande du demandeur qui, invoquant son invalidité, a sollicité l’autorisation de fournir des prétentions écrites en remplacement de sa plaidoirie orale (voir le paragraphe 2 des motifs de Scheuneman no 1).
[98]Le juge des requêtes original, feu le juge Cullen, a soigneusement examiné les nombreux arguments de droit, notamment au sujet des droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il a expliqué que, comme il s’agissait d’une affaire « assez exceptionnelle », il n’a pas « consid[éré] [. . .] que la question de [. . .] violation du paragraphe 15(1) de la Charte pourrait faire jurisprudence » et il a abordé la question comme une question « mixte de fait et de droit » (paragraphe 52). Le juge des requêtes dans Scheuneman no 1 a ajouté que, en rapport avec « l’entêtement » du demandeur, la politique a été mise en œuvre d’une manière « sympathique et humaine » et n’était pas discriminatoire puisque le demandeur avait été en congé sans solde pendant huit ans et qu’il était incapable de retourner travailler dans un avenir prévisible. Le juge Cullen a écrit (au paragraphe 58) :
La politique en cause ne ressemble pas à d’autres qui avaient été appliquées sans nuances au détriment d’un petit nombre de personnes; voir Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536. La politique est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d’une maladie prolongée. Cette politique n’est donc pas discriminatoire à l’encontre du demandeur.
[99]La question a été portée en appel devant la Cour et le juge Evans a maintenu la décision en ces termes (au paragraphe 7) :
Selon moi, ces faits n’établissent pas qu’il y a eu manquement à l’article 15. L’appelant a été congédié parce qu’il n’était capable d’accomplir aucun travail et qu’il était improbable qu’il puisse travailler dans un avenir prévisible. L’un des éléments fondamentaux de la relation employeur‑employé est que l’employé soit capable d’accomplir un travail pour l’employeur ou de recommencer à travailler dans un délai raisonnable, s’il est temporairement invalide pour une cause médicale. Le congédiement d’une personne qui ne remplit pas cette condition ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience physique au sens de la Constitution.
[100]M. Scheuneman a ensuite tenté, sans succès, d’avoir recours à d’autres voies d’appel puis il a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, en invoquant les articles 7 et 10 de la Loi. La Commission a rejeté sa plainte. M. Scheuneman a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada qui l’a rejetée. Le juge de la Cour fédérale dans Scheuneman no 2 a expliqué (au paragraphe 19) :
Quant à la preuve prima facie, le demandeur n’a pas laissé entendre et je n’ai relevé aucune différence importante entre la méthode à adopter en vertu de la Charte et celle à adopter en vertu de la LCDP. Par conséquent, j’ai conclu que, une fois que la Cour d’appel fédérale a eu maintenu la décision Cullen et que la Cour suprême du Canada a eu refusé l’autorisation d’interjeter un pourvoi dans la procédure de règlement des griefs, la décision de la Cour d’appel portant que le demandeur n’avait pas établi prima facie une preuve de discrimination découlant de son licenciement était finale. En tirant cette conclusion, j’ai souligné que les faits se rapportant à la question préliminaire de savoir si une preuve prima facie a été établie sont les mêmes dans la procédure de règlement des griefs que dans la procédure de la Commission et que la question de la preuve prima facie avait précisément été traitée par le juge Cullen et par la Cour d’appel fédérale de la manière décrite plus haut, au paragraphe 9 ainsi qu’aux paragraphes suivants. J’estime que la décision de la Cour d’appel est un arrêt de principe qui tranche la présente question [. . .]
[101]S’appuyant notamment sur les décisions Scheuneman, l’appelant prétend maintenant que la Cour est tenue en l’espèce d’annuler la décision du juge des requêtes puisqu’il serait « insensé » qu’une politique qui a été jugée non discriminatoire en vertu de l’article 15 de la Charte puisse être discriminatoire en vertu des articles 10 et 15 de la Loi.
[102]On pourrait s’attendre à un certain degré de cohérence entre des décisions rendues sur des faits semblables en vertu de l’article 15 de la Charte et en vertu des articles 10 et 15 de la Loi, mais la jurisprudence n’a pas établi que de telles décisions doivent toujours être identiques. Je constate que, dans aucun de ses arrêts récents concernant les codes sur les droits de la personne, la Cour suprême du Canada n’a expressément dit que l’analyse de l’égalité fondée sur l’article 15 et l’analyse de la discrimination doivent toujours être identiques. Il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce.
[103]Selon moi, la décision Scheuneman no 2, qui a été publiée le même jour que la décision qui fait l’objet du présent appel, ne contenait pas une analyse complète du rapport entre l’article 15 de la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne, en partie peut‑être parce que le demandeur n’était pas représenté par avocat et que, par conséquent, ses arguments n’étaient pas suffisamment détaillés.
[104]En l’espèce, le juge des requêtes a fait une distinction avec la décision Scheuneman no 1 en s’appuyant sur d’autres motifs que le fait que l’affaire avait été tranchée en vertu de la Charte et non en vertu de la Loi, et ces motifs sont suffisants pour rejeter l’argument de l’appelant à cet égard. Le juge des requêtes a cité l’analyse du juge Cullen qui était le juge des requêtes dans Scheuneman no 1 et a écrit au paragraphe 59 :
Les actions des fonctionnaires du Ministère dans la mise en œuvre de la politique ne peuvent donc être qualifiées de discriminatoires. En conséquence, on ne peut pas dire que le traitement accordé au demandeur est discriminatoire à première vue au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. L’arbitre avait donc raison de conclure comme il l’a fait sur la question de savoir s’il y avait une preuve suffisante pour étayer l’existence d’une discrimination. [Non souligné dans l’original.]
[105]Le juge des requêtes en l’espèce a conclu ce qui suit (au paragraphe 48) :
Avec égards, la politique n’est pas mentionnée en tant que telle. Quand le juge Cullen écrit : « La politique est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d’une maladie prolongée », il parle de la mise en application de la politique et non de son contenu. [Non souligné dans l’original.]
[106]Lorsque la Cour a confirmé Scheuneman no 1 dans une brève décision de deux pages, elle n’a pas mentionné spécifiquement la politique contestée et, par conséquent, la décision ne saurait constituer un précédent d’application obligatoire à cet égard.
[107]En outre, la Cour a compris que M. Scheuneman voulait que le congé non rémunéré se poursuive indéfiniment et elle a rendu sa décision en tenant compte de ce fait. L’avocat de l’appelant en l’espèce a tenté de convaincre la Cour que l’intimée voulait, elle aussi, un congé indéfini, mais ce n’était pas le cas; elle voulait tout simplement conserver son emploi pendant une autre année et demeurer en congé pour des raisons médicales afin de pouvoir récupérer et de retourner travailler puisque, selon une certaine preuve, des personnes atteintes de la même maladie s’étaient rétablies après quatre ou cinq ans.
[108]Il faut également souligner que, dans les affaires Scheuneman, le rôle de la Sun Life du Canada compagnie d’assurance-vie dans l’application stricte du délai de deux ans prévu par la politique du CT, rendant ainsi la politique moins flexible, n’a pas du tout été examiné puisque l’entente avec la société n’avait pas encore été conclue. En l’espèce, il s’agit d’un élément important qui doit être examiné dans le cadre des circonstances distinctes en cause, particulièrement dans le contexte de l’analyse de l’EPJ.
[109]Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le juge des requêtes a eu raison, en droit, de conclure que la politique du CT est discriminatoire à première vue dans le cas des employés atteints d’une déficience qui ne peuvent pas préciser la date de leur retour au travail.
5. L’équité procédurale dans le cadre de l’enquête de la Commission
[110]Le juge des requêtes a considéré l’examen de la plainte de l’intimée concernant DRHC comme une question d’équité procédurale et a statué que l’enquête sur la plainte n’était pas valable parce qu’elle manquait de rigueur; en effet, il a été jugé que l’enquêteur ne s’était pas « penché sur le fond de la plainte » (au paragraphe 52) et que les « allégations graves » de l’intimée avaient été « rejetées du revers de la main » (au paragraphe 58). Dans ses motifs, le juge des requêtes souligne trois domaines dans lesquels l’enquête comporte des lacunes particulières : premièrement, il n’a plus été question d’accommodement lorsque le congé non rémunéré a été accordé (aux paragraphes 52, 57 et 58); deuxièmement, l’enquêteur n’a pas examiné la question de savoir s’il y avait lieu de prolonger le congé, conformément à la politique du CT, pour tenir compte des « besoins spéciaux de l’employé pour récupérer » (aux paragraphes 53 et 54; 57 et 58); troisièmement, il n’a pas interrogé d’autres fonctionnaires qui, selon l’intimée, avaient obtenu un congé sans solde pour des raisons médicales pour des périodes plus longues que celle qui lui avait été accordée (aux paragraphes 55 à 58).
[111]Comme je l’ai expliqué plus haut, l’approche pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale. La Cour doit donc déterminer si le juge des requêtes a eu raison de décider que l’enquête effectuée sur la plainte de l’intimée relative à DRHC constituait un manquement à l’obligation d’équité requise dans les circonstances.
[112]Il est clair que, dans ses enquêtes sur des plaintes individuelles, la Commission a une obligation d’équité procédurale puisque la question de savoir « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (SEPQA, à la page 899) ne peut être examinée si l’enquête est viciée à la base. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans SEPQA, « [d]’une manière générale, les plaignants comptent sur la Commission pour produire des preuves devant un tribunal constitué en vertu de l’article 39 [aujourd’hui, l’article 49]. Une enquête sur la plainte est donc indispensable pour permettre à la Commission de remplir ce rôle » (à la page 898). Le même facteur, à savoir la nature indispensable de l’enquête concernant le traitement de chaque plainte par la Commission, s’applique également à une enquête entreprise avant le rejet d’une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b). Lorsqu’une enquête appropriée n’a pas été faite pour examiner la plainte, une décision de la Commission fondée sur cette enquête ne peut être raisonnable puisque le défaut découle de la preuve même utilisée par la Commission pour prendre sa décision (Singh, au paragraphe 7).
[113]En l’espèce, l’existence de l’obligation d’équité ne détermine pas les exigences qui s’appliqueront dans ce contexte puisque la notion d’équité procédurale est variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker, au paragraphe 21). Dans Baker, la juge L’Heureux‑Dubé a dressé, aux paragraphes 22 à 28, une liste non exhaustive de facteurs à examiner pour déterminer le contenu de l’équité procédurale dans un contexte donné. La Cour suprême du Canada et cette Cour [[2000] 2 C.F. 592 (C.A.)] ont toutes deux confirmé ces facteurs dans Suresh et Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, autorisation d’interjeter appel devant la C.S.C. refusée, [2005] S.C.C.A. no 239.
[114]La question du contenu de l’obligation d’équité dans le contexte d’une décision de la Commission de rejeter une plainte a été examinée dans plusieurs affaires, plus particulièrement dans SEPQA; Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407 (Radulesco) et Latif. En outre, le contenu de l’obligation, dans le contexte particulier d’une enquête entraînant un congédiement en vertu de l’alinéa 44(3)b), a fait l’objet d’un examen complet par la Cour fédérale du Canada dans Slattery, décision que la Cour a récemment qualifiée d’« arrêt‑clé à l’égard de cette question » (Tahmourpour, au paragraphe 8; voir également Singh, au paragraphe 4). Ces affaires ont toutes été tranchées avant que la Cour suprême ne résume et ne réaffirme dans Baker les règles de droit applicables en matière d’équité procédurale. Toutefois, la conclusion dans ces affaires quant au contenu de l’obligation dans ce contexte reste valide.
[115]Pour déterminer le degré de rigueur que devait avoir l’enquête en l’espèce, il faut appliquer les facteurs de l’arrêt Baker. Premièrement, il s’agit de la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire. Comme l’a dit la Cour suprême dans SEPQA, à l’étape de l’examen en vertu du paragraphe 44(3) [auparavant le paragraphe 36(3)], « [l]e but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires »; la Commission doit plutôt déterminer « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (à la page 899). Dans le contexte de la fonction d’examen de la Commission, l’enquêteur doit être considéré comme le « prolongement de la Commission » qui « établit un rapport à l’intention de la Commission » (SEPQA, à la page 898). À cette étape, la Commission adopte très souvent les recommandations de l’enquêteur. Toutefois, les parties obtiennent une copie du rapport de l’enquêteur et elles peuvent présenter des observations par écrit avant qu’une décision soit prise (SEPQA, à la page 899; Radulesco, à la page 410). Ce facteur commande donc un degré moindre de protection procédurale.
[116]Le deuxième facteur est la nature du régime législatif. Dans Baker, la juge L’Heureux‑Dubé a écrit (paragraphe 24) que des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes. En l’espèce, il n’y a aucune clause privative et la décision de la Commission peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En outre, la Loi ne contient aucune disposition législative concernant le déroulement d’une enquête ou les obligations minimales des enquêteurs; le paragraphe 43(4) prévoit que des règlements peuvent être pris à cet égard par le gouverneur en conseil, mais aucun règlement n’a été pris. En même temps, toutefois, l’enquête est une étape très importante dans le traitement des plaintes par la Commission (SEPQA, aux pages 897 et 898). Ce facteur conduit donc à des solutions contradictoires et il ne donne en fin de compte aucune indication sur le degré de protection procédurale qui s’impose.
[117]Le troisième facteur est l’importance de la décision pour la personne visée. Il n’y a aucun doute que la décision de la Commission à l’étape de l’examen est très importante pour le plaignant. La décision de la Commission de rejeter une plainte à ce stade empêche, en effet, le plaignant d’obtenir réparation en vertu de la Loi et il s’agit donc « à proprement parler, [d’]une décision qui touche aux droits subjectifs » (Latif, à la page 697). En outre, dans la mesure où le plaignant est empêché d’intenter directement une action civile relativement à la discrimination alléguée (Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181), le plaignant n’a d’autre choix que de soumettre une plainte à la Commission pour revendiquer ses droits. Compte tenu du rôle « indispensable » de l’enquête dans le traitement d’une plainte par la Commission (SEPQA, à la page 898), ce facteur indique qu’une plus grande protection procédurale s’impose.
[118]Le quatrième facteur énoncé dans Baker concerne les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des promesses ont été faites relativement à la procédure à suivre. Selon moi, la Commission présente suffisamment d’arguments pour que les plaignants s’attendent légitimement à ce que leur plainte fasse l’objet d’une enquête approfondie qui tient compte des allégations de fond sur lesquelles cette plainte est fondée. L’enquête est le seul mécanisme du processus établi par la Loi grâce auquel la Commission peut obtenir la preuve dont elle a besoin pour renvoyer une plainte à un tribunal, si elle décide que l’examen de celle‑ci est justifié, ou pour rejeter la plainte. En vertu de la Loi, c’est à la Commission, et non au plaignant, qu’il appartient au premier titre de constituer le dossier de la preuve puisque c’est la Commission qui, en fin de compte, soumet la plainte au Tribunal. Dans le même ordre d’idées, la lettre habituelle que la Commission envoie au plaignant après le rejet de sa plainte à l’étape de l’examen préalable contient l’assurance selon laquelle [traduction] « les commissaires ont examiné votre plainte très soigneusement avant de prendre ces décisions » (voir le dossier d’appel, onglet 4). Ce facteur indique qu’un niveau plus élevé de protection procédurale s’impose.
[119]Finalement, le choix de procédure par l’instance administrative décisionnelle doit être pris en considération lorsque, comme en l’espèce, la loi est muette à l’égard de cette question. Dans Baker, la juge L’Heureux‑Dubé a dit que, bien que ce facteur « ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l’organisme lui‑même et à ses contraintes institutionnelles » (au paragraphe 27). La Commission reçoit plus de plaintes qu’elle ne peut, pour des raisons pratiques et budgétaires, renvoyer à un tribunal pour nouvelle enquête. Une certaine déférence s’impose à l’égard des choix de la Commission en matière de procédure puisqu’elle reste maître de sa propre procédure tant et aussi longtemps que celle‑ci ne contrevient pas à l’obligation d’équité. Ce facteur constitue donc une indication claire qu’un degré moindre de protection procédurale s’impose.
[120]Dans Slattery, le juge des requêtes a examiné le degré de rigueur requis pour que l’enquête satisfasse aux règles d’équité procédurale dans ce contexte. Il a souligné le « rôle essentiel que les enquêteurs sont appelés à jouer lorsqu’il s’agit de déterminer le bien‑fondé de chaque plainte » (à la page 599) et les intérêts respectifs du plaignant, de l’intimé et de l’appareil administratif dans son ensemble (à la page 600). Il a conclu en ces termes (aux pages 600 et 601) :
Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose [. . .]
Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait. [Non souligné dans l’original.]
[121]Eu égard aux facteurs de l’arrêt Baker, je conviens qu’il s’agit d’une description appropriée du contenu de l’équité procédurale en l’espèce.
[122]Pour ce qui est de la plainte concernant DRHC en l’espèce, le juge des requêtes a dit que l’enquête comportait trois lacunes particulières. Par souci de commodité, je vais les répéter : premièrement, l’enquêteur ne s’est pas penché sur le fait que, lorsque le congé non rémunéré a été accordé, il n’a plus été question d’accommodement (aux paragraphes 52, 57 et 58); deuxièmement, il n’a pas examiné la question de savoir si le congé aurait dû être prolongé, conformément à la politique du CT, pour tenir compte « des besoins particuliers de réadaptation » de l’intimée (paragraphes 53 et 54; 57 et 58); troisièmement, il ne s’est pas interrogé sur la manière dont la politique avait été appliquée à l’intimée par rapport aux autres fonctionnaires en ne vérifiant pas auprès de ceux qui, selon l’intimée, avaient obtenu un congé non rémunéré pour des raisons médicales, pour des périodes plus longues que celle qui lui avait été accordée (paragraphes 55 à 58). Le juge des requêtes a également conclu que l’enquêteur avait mal compris la demande de l’intimée en laissant entendre que celle‑ci avait demandé un congé sans solde indéfini alors qu’elle n’avait « jamais demandé qu’on la garde indéfiniment; elle a demandé plus de temps pour récupérer et pour examiner les solutions possibles » (au paragraphe 61).
[123]Selon moi, ces lacunes dans l’enquête sont suffisantes pour constituer un manquement à l’obligation d’équité applicable dans les circonstances et justifient donc l’annulation de la décision de la Commission. Puisque l’enquête comportait des lacunes et que l’employeur n’avait tout simplement pas compris la demande de l’intimée, le rapport ne pouvait constituer le fondement de la décision de la Commission au moment de l’examen préalable.
[124]Les lacunes de l’enquête ne sont pas, comme le prétend l’appelant, de simples erreurs peu importantes qui n’influent en rien sur le « caractère raisonnable » de la décision de la Commission. Au contraire, la preuve omise est à ce point cruciale et fondamentale que l’intimée ne pouvait d’aucune façon compenser son absence par ses observations en réponse, même si ces dernières représentent un effort louable pour ce faire. Par exemple, comment l’intimée pouvait‑elle établir que l’appelant ne lui avait proposé aucun accommodement à compter du congé, comme elle l’alléguait, alors que l’enquêteur ne s’était aucunement penché sur cette allégation? De même, comment pouvait‑elle étayer l’allégation selon laquelle la politique du CT avait été appliquée d’une manière rigide et discriminatoire à son endroit alors que l’enquêteur n’avait pas examiné comment cette politique avait été appliquée dans le cas d’autres employés dans une situation semblable?
[125]Je conclus donc que le juge des requêtes a eu raison de statuer que l’enquête de la Commission sur la plainte de l’intimée visant DRHC manquait de rigueur et, par conséquent, constituait un manquement à l’équité procédurale. Dans ces circonstances, la question de savoir si la décision finale de la Commission était raisonnable n’est plus pertinente, puisque, lorsqu’il est établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la décision est habituellement annulée, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas accorder de redressement lorsque le même résultat serait inévitable. Voir : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada— Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux pages 228 et 229; Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13, au paragraphe 13.
E. CONCLUSION
[126]Pour les motifs susmentionnés, je rejetterais l’appel et je renverrais l’affaire à la Commission pour que la plainte de l’intimée soit examinée par un enquêteur différent, en conformité avec les présents motifs. L’intimée a droit aux dépens.
Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.