A-464-04
2005 CAF 283
Genex Communications Inc. (appelante)
c.
Le procureur général du Canada et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadien-nes (CRTC) (intimés)
et
L'Association canadienne des libertés civiles et Cogeco Diffusion Inc. et l'Association canadienne des radiodiffuseurs et l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) (intervenantes)
Répertorié : Genex Communications c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juge en chef Richard, juges Létourneau et Nadon, J.C.A.--Québec, 24, 25, 26 et 27 mai; Ottawa, 1er septembre 2005.
Radiodiffusion -- Appel de la décision prise par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de ne pas renouveler la licence de radiodiffusion de la station de radio commerciale de langue française CHOI-FM Québec (CHOI-FM) -- La licence exclusive de l'appelante relative à la fréquence 98.1 FM prenait fin le 31 août 2002 -- Plaintes de la part du public parce que les animateurs de la station tenaient sur les ondes des propos offensants, sexistes, hargneux, discriminatoires et dégradants -- Après une audience publique, le CRTC a renouvelé la licence pour 24 mois -- Il a imposé des conditions conçues pour assurer le respect de la Loi sur la radiodiffusion et du Règlement de 1986 sur la radio : l'appelante a proposé de respecter le Guide déontologique qui donnerait des lignes directrices concernant les créations orales des programmes, et d'établir un comité consultatif chargé d'étudier les plaintes -- Il y a eu de nouvelles plaintes concernant les propos proférés par les animateurs radio après le renouvellement de la licence -- Le CRTC a tenu une deuxième audience publique au terme de laquelle elle a décidé de ne pas renouveler la licence -- 1) Compétence du CRTC -- Les pouvoirs légaux du CRTC ont notamment trait à la mise en oeuvre de la politique de radiodiffusion au Canada, il a le pouvoir exclusif de délivrer des licences et de prendre des règlements concernant les normes des émissions -- Les art. 3, 9(1)b) de la Loi sur la radiodiffusion et l'art. 3 du Règlement de 1986 sur la radio confèrent au CRTC le pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression afin de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion tout en protégeant d'autres droits fondamentaux garantis par la Charte -- Le CRTC doit vérifier la qualité des programmes et des émissions afin de vérifier le respect des normes -- Dans l'exercice de ses fonctions de réglementation et de surveillance, le CRTC a aussi l'obligation d'étudier les plaintes portées contre les détenteurs de licence, d'examiner les demandes de renouvellement de licence et de se prononcer sur celles-ci -- Le CRTC est aussi maître de sa propre procédure -- Aux termes de l'art. 21 de la Loi, le CRTC a le pouvoir d'établir des règles de procédure encadrant les demandes de renouvellement de licence, l'étude des plaintes et le déroulement des audiences publiques -- 2) La décision du CRTC n'était pas contraire aux principes de justice naturelle, aux normes d'équité procédurale et à ses propres règles de procédure -- Le CRTC a pris en compte les restrictions fixées par la loi (art. 9(1)(b) de la Loi sur la radiodiffusion, art. 3 du Règlement de 1986 sur la radio), et a exercé sa compétence dans les limites fixées par la loi -- Lors de la deuxième demande de renouvellement, il a suivi la même procédure prescrite, comme lors de la première demande -- Le rejet de la demande était justifié vu que l'appelante n'a pas respecté les conditions assortissant la licence imposées dans l'intérêt public lors du premier renouvellement -- Le CRTC a tenu compte des facteurs pertinents et n'a pas tenu compte de facteurs sans pertinence lorsqu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire -- Le CRTC a agi dans le cadre de son champ d'expertise et de sa compétence, et la Cour a dû faire preuve de retenue -- La décision du CRTC n'était pas entachée d'erreur de droit, et il a exercé son pouvoir discrétionnaire judiciairement.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Norme de contrôle -- Le contrôle judiciaire de la décision du CRTC de rejeter la demande de renouvellement de la licence de radiodiffusion de l'appellante nécessite deux normes de contrôle distinctes : l'une constitutionnelle, l'autre administrative -- En ce qui a trait à la première, avec un tribunal spécialisé comme le CRTC, qui agit dans les limites de son champ d'expertise et de sa compétence, la retenue judiciaire s'impose, même en l'absence de clause privative et même si la loi prévoit un droit d'appel -- En matière de renouvellement de licences, la norme de contrôle demeure la même, qu'il y ait demande de contrôle judiciaire ou appel -- La décision de renouveler une licence de radiodiffusion est discrétionnaire -- Il faut examiner les questions de droit qui se rapportent au champ de compétence et à l'expertise du CRTC selon la norme de la décision raisonnable -- En ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux erreurs de droit qui auraient été commises au cours du processus ayant abouti à la décision du CRTC et à la validité constitutionnelle de la décision, la Cour ne peut qu'examiner la manière dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire -- Le CRTC doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à s'en tenir à des limites raisonnables à la liberté d'expression et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Droit constitutionnel -- Charte des droits et libertés -- Libertés fondamentales -- L'appelante a soutenu que le refus du CRTC de renouveler la licence de radiodiffusion de la station de radio portait atteinte à la liberté d'expression garantie par l'art. 2b) de la Charte -- La décision du CRTC n'était pas constitutionnellement invalide -- Le non-respect de la condition assortissant la licence peut éventuellement justifier le refus de renouvellement de la licence de radiodiffusion sans qu'il y ait atteinte à la liberté d'expression -- Liberté d'expression, liberté d'opinion et liberté de parole ne veulent pas dire liberté de diffamation, liberté d'oppression et liberté d'opprobre -- Le CRTC a exercé sa discrétion dans le cadre des paramètres des art. 3 et 9 de la Loi sur la radiodiffusion -- Il n'est pas allé au-delà des limites à la liberté d'expression que ces deux dispositions autorisent dans le respect de l'art. premier de la Charte.
Pratique -- Parties -- Qualité pour agir -- Appel interjeté du refus du CRTC de renouveler la licence de radiodiffusion -- Le statut des parties à l'appel est régi par l'art. 338 des Règles des Cours fédérales -- Le CRTC était l'organisme juridictionnel appelé à statuer sur la demande de renouvellement de la licence -- Sauf exception prévue par la loi, l'organisme dont la décision est contestée ne peut pas comparaître à l'instance en appel ou en contrôle judiciaire pour défendre ou justifier la décision rendue -- Les interventions du CRTC étaient limitées à un exposé objectif de sa compétence, du cadre réglementaire, de la procédure et du déroulement de la demande de renouvellement.
Il s'agissait d'un appel de la décision prise par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de ne pas renouveler la licence de radiodiffusion de la station de radio commerciale de langue française CHOI-FM Québec (CHOI-FM), dont était titulaire l'appelante. En février 1997, l'appelante s'est vue délivrer une licence de radiodiffusion à usage exclusif sur la fréquence FM 98.1; elle prenait fin le 31 août 2002, mais elle pouvait être renouvelée. Elle était aussi assortie de conditions, notamment celle de respecter les lignes directrices relatives à la représentation non sexiste des personnes exposées. L'exploitation de cette première licence par l'appelante a donné lieu à de nombreuses plaintes de la part du public parce que les animateurs de la station tenaient sur les ondes des propos offensants, sexistes, hargneux, discriminatoires et dégradants. En 2002, l'appelante a demandé le renouvellement de sa licence, et le CRTC a tenu une audience publique à ce sujet. En dépit de sérieuses réserves dues aux manquements flagrants à l'objectif de haute qualité de la programmation de l'appelante, le CRTC a renouvelé la licence pour une durée de 24 mois mais il a imposé un certain nombre de conditions particulières visant à assurer le respect de la Loi sur la radiodiffusion et du Règlement de 1986 sur la radio. L'appelante devait notamment respecter le Guide déontologique qu'elle avait elle-même proposé. L'appelante devait aussi établir un comité consultatif chargé d'examiner les plaintes portées contre elle. Après que le CRTC eut renouvelé la licence, de nouvelles plaintes ont été portées concernant les propos tenus par les animateurs de la station, notamment par l'intervenante Cogeco Diffusion Inc., une concurrente de l'appelante, au sujet de remarques désobligeantes faites sur les ondes contre ses employés et ses dirigeants. Certains se sont aussi plaints qu'un animateur ait encouragé le piratage des signaux de télévision, par exemple ceux de Bell ExpressVu. Ces plaintes ont été ultérieurement étudiées lors de la deuxième audience publique portant sur la demande de renouvellement de licence faite par l'appelante. En outre, certains des propos dégradants visant une journaliste météo québécoise bien connue ont donné lieu à une poursuite en dommages-intérêts contre l'appelante devant la Cour supérieure de Québec, qui a accordé à la demanderesse des dommages-intérêts. Le CRTC a décidé de ne pas renouveler la licence de l'appelante (décision 2004-271).
L'appelante a soutenu qu'il y avait eu atteinte à sa liberté d'expression garantie par l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et que la décision du CRTC était entachée de nombreuses erreurs. Les questions en litige étaient les suivantes : le CRTC a-t-il rendu une décision illégale ou erronée en droit lorsqu'il a refusé de renouveler la licence de radiodiffusion de l'appelante? Lorsqu'il a pris sa décision, a-t-il omis de respecter les principes de justice naturelle, les règles d'équité procédurale et ses propres règles de procédure?
Arrêt : l'appel est rejeté.
Vu que l'appelante a allégué que la décision du CRTC était inconstitutionnelle ou qu'elle était entachée d'erreurs de droit intrajuridictionnelles, pour effectuer son analyse, le CRTC devait faire appel à deux normes de contrôle distinctes : l'une constitutionnelle, l'autre administrative. En ce qui a trait à cette dernière, la jurisprudence enseigne que, avec un tribunal spécialisé comme le CRTC, qui agit dans les limites de son champ d'expertise et de sa compétence, la retenue judiciaire s'impose, même en l'absence de clause privative et même si la loi prévoit un droit d'appel. La norme de contrôle demeure la même, que la révision des décisions du CRTC s'effectue par voie de demande de contrôle judiciaire ou par voie d'appel. La décision de renouveler ou non une licence de radiodiffusion est discrétionnaire; c'est une question qui est au coeur même de l'expertise du CRTC. Il faut examiner les questions de droit qui se rapportent à son champ de compétence et d'expertise selon la norme de la décision raisonnable; la Cour ne peut intervenir que si la conclusion ou la décision qui en découle est à tout le moins déraisonnable.
La norme de contrôle applicable à la validité constitutionnelle de la décision du CRTC est déterminée selon différents facteurs. En l'absence d'un pouvoir conféré par la loi, expressément ou par implication nécessaire, de porter atteinte à un droit protégé, une décision discrétionnaire du CRTC ne saurait être contraire à la Charte. En l'espèce, étaient en jeu des dispositions conférant au CRTC le pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression en fixant des conditions de licence restrictives. Puisque le CRTC n'a fait qu'exercer la discrétion qui lui était conférée par la Loi, la Cour pouvait examiner la manière dont il l'a exercée, plus précisément, vérifier s'il n'avait imposé à la liberté d'expression que des limites raisonnables et dont la justification pouvait se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
La question de la qualité pour agir du CRTC mettait en cause son droit de participer à l'instance aux procédures et, le cas échéant, la nature de son intervention. Le statut des parties à l'appel est régi par l'article 338 des Règles des Cours fédérales. Lors de la demande de renouvellement de la licence de l'appelante devant le CRTC, ce dernier n'était pas une partie à cette première instance : il était l'organisme juridictionnel. Sauf exception prévue par la loi, l'organisme dont la décision est contestée n'a pas qualité pour comparaître au cours de l'instance en appel ou en contrôle judiciaire : il n'est pas habilité à venir défendre sa décision, encore moins à se justifier. Les interventions du CRTC étaient limitées à un exposé objectif de sa compétence, du cadre réglementaire dans lequel il oeuvre, de sa procédure et des faits indiquant la manière dont l'instance s'est déroulée devant lui.
La Loi sur la radiodiffusion et le Règlement de 1986 sur la radio confèrent au CRTC, un organisme autonome, tous ses pouvoirs légaux. Le CRTC est chargé de la mise en oeuvre de la politique de radiodiffusion au Canada et il lui a été conféré le pouvoir exclusif de délivrer des licences, de prendre des règlements concernant les normes des émissions et de la publicité, de définir les catégories de personnes pouvant se voir attribuer une licence de radiodiffusion et de prescrire les conditions d'exploitation des stations de radiodiffusion. Les alinéas 9(1)b) et d) de la Loi confèrent au CRTC le pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression en assortissant les licences de conditions restrictives. L'article 3 de la Loi définit la politique canadienne de radiodiffusion, et l'alinéa 3b) du Règlement de 1986 sur la radio interdit au titulaire de la licence de tenir des propos offensants qui risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine. Ces dispositions confèrent au CRTC le pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression afin de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion tout en protégeant d'autres droits fondamentaux garantis par la Charte. Avant de refuser de renouveler la licence de l'appelante en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il devait prendre en compte ces restrictions et exercer sa compétence dans les limites prescrites par la Loi et le Règlement. Le CRTC avait aussi l'obligation, dans l'exercice de ses fonctions de réglementation et de surveillance, d'étudier les plaintes portées contre les détenteurs de licence. En cas de suspension, de révocation ou de renouvellement d'une licence, le devoir de surveillance du CRTC englobe la vérification de la qualité de la programmation et des émissions afin de déterminer si celles-ci respectent les normes fixées par la Loi, le Règlement, les Codes de déontologie et les conditions de la licence. Il est donc nécessaire de vérifier les allégations ou plaintes relatives aux manquements à ces normes. Dans les cas de renouvellement, de suspension ou de révocation d'une licence, une vérification de ce genre est une modalité d'exercice du pouvoir de contrôle et de surveillance du CRTC. Enfin, le CRTC est maître de sa propre procédure. Selon l'article 21 de la Loi, il peut établir les règles régissant l'instruction des affaires dont il est saisi, notamment la procédure encadrant la présentation de demandes de renouvellement de licences, la présentation des observations et des plaintes et le déroulement des audiences.
La décision 271 du CRTC n'était pas contraire aux principes de justice naturelle, aux normes d'équité procédurale et à ses propres règles de procédure. Le CRTC a rendu sa décision après presque cinq mois de délibérations et il a exposé les motifs pour lesquels il a rejeté la requête préliminaire en contestation de sa compétence. La thèse de l'appelante relative aux atteintes qu'elle aurait subies repose sur le postulat suivant : elle n'a pas eu la possibilité de présenter une défense pleine et entière. L'appelante a été amplement informée des questions en litiges et des allégations figurant à son dossier et on l'a informée des plaintes relatives au caractère insultant des propos diffusés au cours de ses programmes. On l'a informée des mesures qui pouvaient être prises, et il lui a été donné la possibilité de s'expliquer lors d'une audience publique, conformément aux règles établies par le CRTC. La procédure suivie lors de la deuxième demande de renouvellement fut la même que celle suivie lors de la première. On ne saurait évaluer l'équité, pour l'appelante, de la procédure suivie lors de la deuxième demande de renouvellement de licence soulevant la même question fondamentale que la première uniquement en fonction du caractère favorable ou défavorable de la décision définitive.
Les pratiques, la conduite, et les déclarations du CRTC n'ont pas pu raisonnablement amener l'appelante à croire qu'elle conserverait sa licence. La question même du non-renouvellement de la licence était à l'ordre du jour de l'audience puisque le pouvoir discrétionnaire de renouveler englobe celui de ne pas renouveler. La licence de l'appelante avait été délivrée pour une durée déterminée et l'appelante n'avait pas un droit au renouvellement automatique, surtout dans les circonstances.
Le choix de la mesure prise par le CRTC afin de faire respecter la Loi et le Règlement ne constituait pas une erreur de droit ou de compétence. Le manquement à la condition assortissant une licence imposée dans l'intérêt public constitue un agissement qui peut justifier le refus de la renouveler sans qu'il y ait atteinte à la liberté d'expression qui est protégée par la Charte. Si la mesure administrative retenue est autorisée par le législateur, il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la justesse de la mesure prise et encore moins de se prononcer sur le mérite et l'opportunité de choisir telle ou telle mesure. Tout au plus la Cour peut s'assurer que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le CRTC a tenu compte des facteurs pertinents, et écarté les autres. C'est au CRTC qu'il revient de soupeser ces facteurs, qui généralement relèvent de son champ d'expertise. La sanction disciplinaire appropriée est celle qui est justifiée par les faits et les circonstances de l'espèce. Si les faits justifient le retrait de la licence d'exploitation plutôt qu'une simple suspension, la première mesure peut être prise sans qu'il y ait violation de la loi.
Le CRTC a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire au cours de la demande de renouvellement. Il a scrupuleusement examiné et soupesé tous les facteurs qui étaient selon lui pertinents. Il s'est penché sans précipitation sur la mesure à prendre, le peu d'efficacité des mesures qui avaient été retenues lors du premier renouvellement, l'attitude de l'appelante et la gravité et la fréquence des infractions signalées. En raison du champ d'expertise du CRTC, la retenue s'imposait à la Cour. En outre, la décision 271 n'était pas constitutionnellement invalide. Le manquement à une condition de licence peut justifier le non-renouvellement d'un permis de radiodiffusion sans qu'il y ait forcément atteinte à la liberté d'expression et à la Charte. Liberté d'expression, liberté d'opinion et liberté de parole ne veulent pas dire liberté de diffamation, liberté d'oppression et liberté d'opprobre. La décision du CRTC était fondée sur un certain nombre de conclusions ayant trait aux agissements de l'appelante, notamment à ses violations de son propre Guide déontologique, et aux mesures visant à faire en sorte qu'elle respecte le régime réglementaire. Le CRTC a exercé sa discrétion dans le cadre des paramètres des articles 9 et 3 de la Loi et il n'est pas allé au-delà des limites à la liberté d'expression que ces deux dispositions autorisent dans le respect de l'article premier de la Charte. L'appelante n'a pas pu faire la preuve d'une erreur juridictionnelle ou d'une erreur de droit matérielle rendant déraisonnable la décision 271 de non-renouvellement; il n'y a donc pas lieu de l'annuler.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b), 15, 24(1), 27.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 22(1.1) (édicté par L.C. 1998, ch. 26, art. 9). |
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92(10), (13),(16), 93. |
Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « entreprise de programmation », « entreprise de radiodiffusion », « radiodiffusion », (3), 3, 5(1),(2), 6, 9(1)b),c),d),e), 10(1)c),k), 12, 18(2), 21, 31, 32, 33. |
Loi sur la radiodiffusion, S.C. 1967-68, ch. 25, art. 2, 15, 16. |
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 28 (mod., idem, art. 35). |
Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982, art. 3 (mod. par DORS/91-586, art. 1). |
Règles de procédure du CRTC, C.R.C., ch. 375, art. 32, 33, 34. |
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art. 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 2 « parties », 65, 70 (mod. par DORS/2002-417, art. 9), 104, 109, 303, 338. |
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Société Radio-Canada c. Métromédia CMR Montréal Inc., [1999] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL); Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée (La), [1967] R.C.S. 60; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223; 2636-5205 Québec Inc. (Re), [1993] R.J.Q. 2522; (C.A.); 2620-5443 Québec Inc. c. Québec (Régie des alcools, des courses et des jeux), [1997] R.J.Q. 2059 (C.A.); Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2004] 2 R.C.F. 42; 2003 CAF 454.
décisions examinées :
R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45; 2001 CSC 2; Renouvellement à court terme de la licence de CHOI-FM (16 juillet 2002), Décision de radiodiffusion CRTC 2002-189; Genex Communications Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2004 CAF 279; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Chiasson c. Fillion, [2005] R.J.Q. 1066; (C. sup.); CHOI-FM re Le monde parallèle de Jeff Fillion, [2003] D.C.C.N.R. no 21 (QL); Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2; CRTC c. CTV Television Network Ltd. et autres, [1982] 1 R.C.S. 530; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146; 2002 CSC 31; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; 2003 CSC 36; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249; 2002 CSC 11; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29.
décisions citées :
Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644 (C.A.); VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2005] 1 R.C.F. 205; 2004 CAF 194; Réseau de Télévision Star Choice Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CAF 153; Acquisition d'actif (27 février 1997), Décision sur la radiodiffusion CRTC 97-86; R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3; 2001 CSC 1; Re C.F.R.B. and Attorney-General for Canada (1973), 38 D.L.R. (3d) 335 (C.A. Ont.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée le 13-11-73; National Indian Brotherhood c. Juneau (no 3), [1971] 1 C.F. 498 (1re inst.); Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3; 2001 CSC 35; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Plaintes et dossiers d'examen public (18 mai 1982), Avis public CRTC 1982-36; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; CJMF-FM Ltée c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes -- CRTC, [1984] A.C.F. no 244 (C.A.) (QL); Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281; 2001 CSC 41; Coaticook FM Inc. (17 septembre 1987), Décision CRTC 87-756; CJMF-FM Ltée (29 février 1984), Décision CRTC 84-209; conf. par [1984] A.C.F. no 244 (C.A.) (QL); Communications communautaires des Portages (17 septembre 1987), Décision CRTC 87-754; Félicien Messier, faisant affaires sous les noms et les raisons sociales de « Cablo-Vision Saint-François-Xavier-des- Hauteurs Enr. » et « Cablo-Vision Saint-Valérien Enr. » (20 août 1991), Décision CRTC 91-610; Fundy Broadcasting Co. Limited, CRTC-77-148; Radio communautaire du Bas St-Laurent (17 septembre 1987), Décision CRTC 87 753; Riverport Satellite T.V. Limited (7 juin 1995), Décision CRTC 95-296.
doctrine citée
Avis d'audience publique sur la radiodiffusion CRTC 2001-14, 14 décembre 2001 (CRTC).
Avis d'audience publique de radiodiffusion CRTC 2003-11, 18 décembre 2003 (CRTC).
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Circulaire no 444. « À toutes les titulaires d'entreprises de programmation radiophonique : Pratiques relatives à la non-conformité d'une station de radio » (7 mai 2001).
Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2000 , « censure ».
Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 2000, « censure ».
APPEL de la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CHOI-FM-- Non-renouvellement de licence (13 juillet 2004), Décision de radiodiffusion CRTC 2004-271), prise en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, de ne pas renouveler la licence de radiodiffusion de l'appelante au motif qu'elle n'avait pas respecté les conditions de délivrance de celle-ci. Appel rejeté.
ont comparu :
Guy Bertrand pour l'appelant.
René LeBlanc et Bernard Letarte pour l'intimé le procureur général du Canada.
Caroline Matte et Guy J. Pratte pour l'intimé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Frédéric Bachand pour l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles.
Eric Mongeau pour l'intervenante Cogeco Diffusion Inc.
Personne n'a comparu pour l'intervenante l'Associa-tion canadienne des radiodiffuseurs.
Stefan Martin pour l'intervenante l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ).
avocats inscrits au dossier :
Guy Bertrand et associés, Québec, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé le procureur général du Canada.
Borden Ladner Gervais s.r.l., Montréal, pour l'intimé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Shadley Battista, s.e.n.c., Montréal, pour l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles.
Stikeman Elliot s.e.n.c.r.l., s.r.l., Montréal, pour les intervenants l'Association canadienne des radiodif-fuseurs et Cogeco Diffusion Inc.
Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l., Montréal, pour l'intervenante Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
Létourneau, J.C.A. :
Les motifs d'appel
[1]Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommu-nications canadiennes (CRTC) a-t-il rendu une décision illégale ou erronée en droit lorsqu'il a refusé de renouveler la licence de radiodiffusion de la station de radio commerciale de langue française CHOI-FM Québec (CHOI-FM), propriété de l'appelante?
[2]Le CRTC a-t-il, dans sa prise de décision, omis de respecter les principes de justice naturelle, les règles d'équité procédurale et ses propres règles de procédure?
[3]Ce sont là, en résumé, les deux questions principales qui, dans le présent appel, sous-tendent les 11 motifs d'appel invoqués par l'appelante pour faire annuler la décision du CRTC. Avant de m'engager dans une présentation plus élaborée des motifs d'appel, j'inclus, pour fin de référence et pour le bénéfice des parties, des intervenantes et des lecteurs, une table des matières des sujets traités :
Table des matières
Para.
Les motifs d'appel 1
Objet et limites de la procédure dont la Cour est saisie
et définition de la question en litige 20
Norme de contrôle applicable en appel à la révision
de la décision du CRTC de ne pas renouveler la licence
de l'appelante 47
1. Identification de la norme de contrôle |
applicable à des erreurs intrajuridiction- |
nelles du CRTC 48 |
2. Identification de la norme de contrôle |
applicable à la validité constitutionnelle |
de la décision du CRTC 55 |
Le statut et le rôle du CRTC dans les présentes
procédures d'appel 61
Faits et procédures 68
La décision CRTC 2004-271 104
1. Les facteurs dont le CRTC a tenu compte |
dans l'exercice de sa discrétion judiciaire 105 |
2. Les conclusions du CRTC 111 |
3. Les procédures suivies devant le CRTC 112 |
Analyse des motifs d'appel 125
1. La compétence du Parlement de légiférer |
en matière de radiodiffusion 129 |
2. L'allégation que le CRTC s'est illégalement |
posé en censeur du contenu des émissions de |
l'appelante 144 |
3. La violation des principes de justice naturelle, |
des règles d'équité procédurale et des Règles |
de procédure du CRTC 149 |
a) l'audition devant un tribunal indépendant |
et impartial 153 |
b) le droit d'être entendu, l'équité procédurale |
et les Règles de procédure du CRTC 155 |
Le CRTC a-t-il commis une erreur de droit ou juridic-
tionnelle dans le choix de la mesure de contrainte du
respect de la Loi et du Règlement? 176
1. La violation du principe de la gradation |
des mesures de contrainte 181 |
2. L'expectative raisonnable et légitime quant |
à la mesure de contrainte qui serait appliquée |
et l'omission d'y donner suite 190 |
3. Une mesure sans précédent et d'extrême sévérité 204 |
Le CRTC a-t-il exercé sa discrétion judiciairement? 210
1. L'absence d'erreur de droit dans la prise en compte |
des facteurs pertinents à l'exercice de la discrétion 210 |
2. La nullité de l'alinéa 3b) du Règlement et |
l'impact de cette nullité sur la décision |
CRTC 2004-271 214 |
3. L'invalidité constitutionnelle de la décision |
CRTC 2004-271 223 |
Conclusion 225
La remise en circuit du respirateur judiciaire 227
[4]Selon l'appelante, se situe au coeur du présent débat la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (Charte), liberté qui, je le précise tout de suite, n'est toutefois pas absolue comme le confirme l'article premier de la Charte, lequel permet d'y apporter des restrictions légales raisonnables et justifiables dans une société libre et démocratique : voir R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, aux paragraphes 22 et 80. À ce dernier paragraphe, la juge en chef McLachlin écrit :
L'article premier de la Charte contredit l'argument que tout droit garanti par la Charte est si absolu que sa restriction ne peut jamais être justifiée. Selon cet argument, certains droits sont si fondamentaux que, par principe, ils ne peuvent jamais être restreints, ce qui empêche toute évaluation fondée sur l'article premier. Cela n'est ni souhaitable ni nécessaire. Ce n'est pas souhaitable en raison du risque qui en résulte que des textes législatifs susceptibles d'être justifiés soient invalidés à cause de la façon dont ils ont été qualifiés. Ce n'est pas nécessaire parce que l'article premier constitue un moyen de procéder à une évaluation équitable qui confirme la validité des seuls textes qui ne sapent pas de manière injustifiable des libertés fondamentales.
[5]Plus précisément, l'appelante soumet que l'article 3 [mod. par DORS/91-586, art. 1] du Règlement de 1986 sur la radio [DORS/86-982] (Règlement) et les alinéas 3(1)g), 10(1)c) et k) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11 (Loi) sont inconstitutionnels en raison de leur incompatibilité avec l'alinéa 2b) de la Charte et, dans le cas de l'article 3 du Règlement, avec les catégories 13 et 16 de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].
[6]L'inconstitutionnalité en regard de la Charte tiendrait au fait d'abord que les dispositions en litige briment indûment, illégalement et injustement la liberté d'expression garantie par la Charte.
[7]Ensuite, ces dispositions seraient trop vagues et trop imprécises pour qu'une personne puisse connaître leur portée et les paramètres des obligations qu'elles renferment, bref pour que le titulaire des obligations ou le sujet des interdictions puisse adapter son comportement à la norme et, ainsi, la respecter. Elles seraient donc injustes parce qu'elles sanctionnent l'inconnu et l'imprévisible. Elles seraient également de portée excessive, donnant par le fait même ouverture à l'arbitraire.
[8]Quoique j'aie pu pour l'instant centrer le débat autour des deux grandes questions ci-auparavant définies, il demeure utile d'indiquer pour le lecteur les 11 motifs d'appels soumis par l'appelante, sous forme de questions, et autorisés par cette Cour :
Question no 1
[9]La décision CRTC 2004-271 [CHOI-FM--Non-renouvellement de licence] (ci-après identifiée comme la décision 271) doit-elle être déclarée nulle et sans effet parce que non conforme avec les alinéas 2b) et 1b) de la Charte, justifiant l'appelante d'obtenir une réparation convenable et juste en vertu de son paragraphe 24(1)?
Question no 2
[10]La Loi donne-t-elle le pouvoir au CRTC de légiférer sur le contenu de la radiodiffusion ou d'agir comme censeur du contenu des émissions de radio?
Question no 3
[11]En conséquence, l'article 3, notamment l'alinéa b) du Règlement, le Code de déontologie imposé par la décision CRTC 2002-189 [Renouvellement à court terme de la licence de CHOI-FM] et la décision CRTC 2004-271 du 13 juillet 2004, sont-ils nuls et de nul effet?
Question no 4
[12]Subsidiairement, l'article 3 du Règlement est-il inconstitutionnel en raison de son incompatibilité avec l'alinéa 2b) de la Charte et avec les paragraphes 92(13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Question no 5
[13]Subsidiairement, les alinéas 3(1)g), 10(1)c) et k) de la Loi sont-ils inconstitutionnels en raison de leur incompatibilité avec l'alinéa 2b) de la Charte?
Question no 6
[14]Le CRTC a-t-il violé les termes du paragraphe 5(2) de la Loi en ne faisant pas preuve de souplesse dans la surveillance de CHOI-FM?
Question no 7
[15]Le CRTC a-t-il prononcé la décision 271 sans exercer sa compétence prévue aux alinéas 5(2)g), 3(1)d) et 9(1)d) de la Loi?
Question no 8
[16]Le CRTC a-t-il refusé ou omis d'exercer sa compétence par la voie d'ordonnance, en vertu de l'article 12 de la Loi?
Question no 9
[17]Le CRTC a-t-il refusé ou omis d'exercer sa compétence par voie de poursuite pénale, en vertu des articles 32 et 33 de la Loi?
Question no 10
[18]Le CRTC a-t-il interprété de façon erronée et absurde l'alinéa 3b) du Règlement portant sur l'interdiction de diffuser des propos offensants?
Question no 11
[19]Le CRTC a-t-il violé, de façon manifeste, les principes de justice naturelle, les règles d'équité procédurale et les Règles de procédure du CRTC [C.R.C., ch. 375], tant avant que pendant et après l'audience publique portant sur le renouvellement de la licence de CHOI-FM?
Objet et limites de la procédure dont la Cour est saisie et définition de la question en litige
[20]Afin de dissiper toute ambiguïté pouvant entourer le présent appel, il importe de définir et de préciser, dès le départ, l'objet de la procédure dont nous sommes saisis, les limites qui la gouvernent et la véritable question en litige.
[21]Le débat s'étant considérablement élargi tant au niveau de l'argumentation écrite qu'orale, je me dois d'en redéfinir les paramètres. Il ne s'agit pas là d'un simple caprice ou de la recherche d'un exutoire. L'exercice m'est dicté, comme on pourra le voir, à la fois par l'objet de la procédure en cause, la nature de la décision prise et la nature de l'organisme qui a rendu la décision, en l'occurrence le CRTC.
[22]L'appelante recherche plusieurs conclusions, y compris celle de déclarer nulle et sans effet la décision 271 du CRTC, datée du 13 juillet 2004. Or, il faut comprendre que cette décision du CRTC en est une de ne pas renouveler la licence de l'appelante qui a pris fin par le seul écoulement du temps.
[23]Comme je le mentionnais à l'audience, l'appelante fonctionne, pour la durée de l'appel, sous respirateur judiciaire par suite de ce qui équivaut, à toutes fins pratiques, à une licence judiciaire consécutive à la décision de cette Cour de faire droit à l'autorisation d'appel : voir l'ordonnance Genex Communications Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2004 CAF 279, où la licence accordée à l'appelante est réputée être demeurée en vigueur afin de lui permettre d'exercer utilement son droit d'appel devant cette Cour et ce jusqu'à ce que jugement au mérite intervienne. Le fait de rendre la décision au mérite dans le présent appel met un terme à l'appel et équivaut à débrancher le respirateur, peu importe que la décision soit favorable ou défavorable à l'appelante.
[24]Aussi l'appelante demande-t-elle à cette Cour d'ordonner au CRTC d'accepter sa demande de renouvellement de licence pour la période que la Cour voudra bien fixer.
[25]Subsidiairement, l'appelante demande dans ses procédures écrites de retourner le dossier au CRTC pour qu'il procède à un réexamen de la demande de renouvellement de l'appelante et tienne une nouvelle audience. Cette conclusion subsidiaire contient implicitement, j'imagine, une demande de brancher à nouveau le respirateur judiciaire pour que la licence judiciaire soit prolongée et permette à l'appelante d'opérer pendant la durée de la procédure de réexamen.
[26]Au début de l'audience, l'appelante a abandonné cette conclusion subsidiaire, déclarant emphatiquement avoir perdu toute confiance dans la capacité du CRTC d'agir avec impartialité à son égard, compte tenu du mémoire des faits et du droit soumis à la Cour par le CRTC. Elle a donc requis de cette Cour qu'elle lui octroie une licence de radiodiffusion ou, alternativement, qu'elle supervise les négociations qu'elle entreprendrait avec le CRTC et que, par la suite, la Cour homologue l'entente à intervenir. Je ne peux que m'étonner de cette position où l'appelante considère que le CRTC jouit d'assez de neutralité et de crédibilité pour négocier un renouvellement de licence, mais insuffisamment de l'une et de l'autre pour décider de cette même question.
[27]Ceci dit, devant le peu de réceptivité accordée à ses propositions, particulièrement celle relative à une période de négociation, l'appelante s'en est remise à ses deux conclusions originales que l'on retrouve dans ses procédures écrites et que j'ai énoncées plus haut. Elle se dit prête à retourner devant le CRTC pourvu que l'audience ait lieu devant une formation différente de la précédente.
[28]Nous pouvons constater, si la preuve nous y conduit, que le CRTC a commis des erreurs de droit ou n'a pas agi équitablement ou judiciairement, ou les deux à la fois. Si l'erreur de droit ou la dérogation aux principes de justice naturelle ou aux normes régissant l'exercice de la discrétion judiciaire sont suffisamment sérieuses pour entacher la décision du CRTC, nous pouvons, au mieux, l'annuler et ordonner au CRTC de reprendre l'exercice en vue d'en arriver à une nouvelle décision qui n'est pas empreinte des vices qui affectaient la précédente. En somme, nous ne pouvons renouveler la licence de l'appelante et les raisons de cette incapacité ou impuissance sont multiples.
[29]Tout d'abord, la compétence d'octroyer, de révoquer ou de renouveler une licence a été expressément et exclusivement confiée par le législateur au CRTC qui est le seul organisme public autonome à qui le Parlement a confié la réglementation et la surveillance du système canadien de la radiodiffusion : voir le paragraphe 3(2) de la Loi. Nous ne pouvons nous l'approprier.
[30]Deuxièmement, l'exercice de cette compétence fait appel à une expertise ainsi qu'à une connaissance du milieu des communications, des politiques de programmation et de diffusion que la Cour ne possède pas. Dans l'affaire Société Radio-Canada c. Métromédia CMR Montréal Inc., [1999] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), cette Cour rappelle au paragraphe 6 qu'une demande d'attribution d'une licence, laquelle s'apparente à une demande de renouvellement, « met en cause des éléments de politique économique et culturelle qui relèvent de l'expertise du CRTC et à l'égard desquels l'organisme possède une discrétion ».
[31]Troisièmement, cet exercice doit prendre en compte l'intérêt public qui est reflété dans les nombreux objectifs de la Loi et de la politique de radiodiffusion canadienne. Encore là, la définition de l'intérêt public et la protection que le législateur veut lui accorder nécessitent des connaissances particularisées du domaine des communications et de la politique de la radiodiffusion. À cet égard, la Cour écrit au paragraphe 5 de l'affaire Société Radio-Canada :
[. . .] la Loi (art. 3) identifie une quarantaine d'objectifs, parfois conflictuels qui doivent guider l'exercice par le CRTC de ses pouvoirs. Il en découle un processus d'adjudication polycentrique impliquant une multitude d'intervenants aux intérêts opposés, lequel processus vise l'implantation des politiques de radiodiffusion définies par la Loi.
[32]Quatrièmement, le renouvellement ou le refus de renouveler une licence sont la résultante de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La règle de droit en semblable matière est sans équivoque : la Cour n'a pas le pouvoir de substituer sa propre discrétion à celle de l'organisme qui fait l'objet d'une révision. Je reviendrai plus loin et plus en détail sur la norme légale de contrôle d'une décision discrétionnaire.
[33]Enfin (et je m'arrête avec ce dernier motif car je crois que les limites des pouvoirs de notre Cour tant au plan légal que de l'opportunité sont assez évidentes), la décision du CRTC fut rendue au terme d'une audience où l'appelante et d'autres intervenants furent entendus sur le mérite et l'opportunité du renouvellement. L'appel devant nous n'a pas porté et ne pouvait porter sur ces questions d'opportunité car le droit d'appel à l'encontre de décisions du CRTC ne s'exerce que sur des questions de droit. L'article 31 de la Loi restreint le contrôle judiciaire des décisions et ordonnances du CRTC en ces termes :
31. (1) Sauf exceptions prévues par la présente partie, les décisions et ordonnances du Conseil sont définitives et sans appel.
(2) Les décisions et ordonnances du Conseil sont susceptibles d'appel, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour d'appel fédérale. L'exercice de cet appel est toutefois subordonné à l'autorisation de la cour, la demande en ce sens devant être présentée dans le mois qui suit la prise de la décision ou ordonnance attaquée ou dans le délai supplémentaire accordé par la cour dans des circonstances particulières.
(3) L'appel doit être interjeté dans les soixante jours suivant l'autorisation.
(4) Les documents émanant du Conseil sous forme de décision ou d'ordonnance, s'ils concernent l'attribution, la modification, le renouvellement, l'annulation, ou la suspen-sion d'une licence, sont censés être, pour l'application du présent article, des décisions ou ordonnances du Conseil.
[34]Le débat en appel, beaucoup plus restreint donc qu'un débat portant sur l'opportunité d'un renouvellement de licence, n'a pour seul objectif que celui de vérifier si le CRTC a commis des erreurs de droit dans l'analyse de la demande de renouvellement de la licence de l'appelante et dans l'exercice de la discrétion dont il jouit à cette occasion.
[35]En somme, l'appelante, tout au plus, peut espérer que nous ordonnions une nouvelle audition devant le CRTC. Voilà donc une première limite au niveau du remède recherché et possible. Il en existe une autre, toute aussi importante, au niveau de l'appel lui-même.
[36]Il ne fait pas de doute que, pour moult raisons, l'appel logé par l'appelante est important pour elle, ses auditeurs et le monde des communications en général. Mais il ne faut pas perdre de vue l'objet de l'appel. Il faut bien comprendre que cet appel n'engage ni de plein fouet, ni en général un débat sur la liberté d'expression comme semble le croire et le vouloir l'appelante. La question en litige est, et demeure, celle de savoir si la décision discrétionnaire du CRTC de ne pas renouveler la licence de l'appelante fut prise judiciairement et dans le respect des principes de justice naturelle, des normes d'équité procédurale et de ses propres procédures.
[37]Un pouvoir discrétionnaire s'exerce judiciairement lorsque le titulaire de ce pouvoir agit de bonne foi, conformément à la loi, ne prend pas en considération des facteurs non pertinents et n'omet pas de prendre en compte des facteurs pertinents : voir Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644 (C.A.).
[38]Il y a manquement aux règles de justice naturelle ou aux normes d'équité procédurale lorsqu'une partie devant un tribunal ou un organisme administratif, dont les intérêts seront affectés par la décision qui sera rendue, est privée du droit de se faire entendre par un tribunal impartial et indépendant.
[39]Bien sûr, dans l'exercice par le CRTC de son pouvoir discrétionnaire, la liberté d'expression est une composante pertinente. D'ailleurs, le paragraphe 2(3) de la Loi, que je reproduis, énonce que l'interprétation et l'application de la Loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d'expression :
2. [. . .]
(3) L'interprétation et l'application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d'expression et l'indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion.
Mais il s'agit d'un facteur important, j'en conviens, parmi d'autres, tous aussi objectifs les uns que les autres, dont il lui faut tenir compte.
[40]Parmi ces autres facteurs, on notera en particulier :
a) les avis et les mises en garde donnés à l'appelante de se conformer à la Loi, au Règlement et à ses conditions de licence;
b) la réaction de cette dernière à ces mises en demeure et les efforts déployés pour apporter des correctifs;
c) le respect des engagements pris de la Loi, de son propre Code de déontologie et du Règlement;
d) les mesures prises par l'appelante pour contrôler et discipliner son personnel dont elle est responsable;
e) la nature et la gravité des gestes posés et des propos reprochés;
f) leur fréquence et la récidive;
g) le caractère délibéré, intentionnel ou grossièrement négligent des manquements reprochés;
h) l'acceptation par l'appelante de ses responsabilités statutaires et réglementaires en tant que titulaire d'une licence et la coopération offerte et apportée au CRTC pour respecter le cadre normatif;
i) l'attitude cavalière ou défiante de l'appelante, s'il en fut une;
j) l'organisation structurelle de l'appelante, cette organisation pouvant influer sur la volonté et la capacité d'apporter des correctifs appropriés; et
k) l'efficacité des mesures alternatives au non-renouvellement qui furent ou qui pourraient être employées par le CRTC.
[41]L'objet même de l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le CRTC, soit l'opportunité dans les circonstances de renouveler la licence de l'appelante, vient donc délimiter les paramètres de l'appel dont nous sommes saisis, un appel qui ne saurait, sans qu'il n'en résulte une dénaturation substantielle, être transformé en une croisade pour la liberté d'expression.
[42]Une troisième limite qu'il importe de signaler : ce n'est pas parce qu'une ou plusieurs erreurs de droit ont pu être commises par le CRTC dans l'exercice des pouvoirs que la Loi lui confère que sa décision doit nécessairement être annulée. Encore faut-il, au minimum, que ces erreurs soient matérielles, c'est-à-dire qu'elles aient eu un impact sur la prise de décision et sur la décision rendue. Une erreur est matérielle si la décision rendue eût probablement été différente en l'absence de cette erreur ou, dans le contexte de l'application de la norme de la décision raisonnable, si ces erreurs affectent la décision dans son ensemble : voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, à la page 270. Sinon, la décision doit être maintenue. J'aurai l'occasion de revenir sur cette question plus tard lorsque je discuterai de la norme de contrôle applicable à la révision en appel d'une décision du CRTC.
[43]Enfin, et il s'agit là d'une considération fort importante comme nous le verrons plus tard, l'appel devant nous ne met pas en cause une décision du CRTC qui prive ou déchoit l'appelante d'un droit. L'appel a trait à une décision de ne pas renouveler un privilège qui avait été consenti à l'appelante. Or, l'obtention et l'exercice d'un privilège sont généralement assortis de conditions que le titulaire s'engage à respecter sous peine de sanctions, dont celle d'un non-renouvellement et de la perte du privilège. En d'autres termes, l'appelante non seulement n'a pas de droit à une licence de radiodiffusion, elle n'a aussi pas de droit acquis au privilège à terme qui lui fut octroyé : voir l'affaire Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée (La), [1967] R.C.S. 60 où la Cour écrit [à la page 76] : [traduction] « il n'y avait pas de relation contractuelle entre la couronne et l'intimée, et cette dernière n'avait pas de droit acquis ou de droit de propriété dans la licence qu'elle détenait ».
[44]Par contre, je m'empresse d'ajouter que si l'appelante n'a pas de droit acquis au renouvellement du privilège accordé, elle a cependant un droit acquis à ne pas en être privée arbitrairement ou inéquitablement. « Le fait qu'une décision soit administrative et touche "les droits, privilèges ou biens d'une personne" suffit pour entraîner l'application de l'obligation d'équité » : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20. L'existence de ce droit conditionne et encadre l'analyse des récriminations de l'appelante à l'endroit de la décision du CRTC de ne pas renouveler sa licence.
[45]En conclusion, la véritable question en litige dans cet appel s'avère beaucoup plus concise et limitée qu'il n'apparaît à première vue, et certes beaucoup plus restreinte que les questions qui nous furent proposées par l'appelante. Elle se résume à ceci : le CRTC a-t-il exercé judiciairement sa discrétion, dans le respect des principes de justice naturelle, des normes d'équité procédurale et de ses propres règles de procédure lorsqu'il a décidé de ne pas renouveler la licence de l'appelante? J'ai rajouté, dans la formulation de la question, le respect des principes de justice naturelle, des normes d'équité procédurale et des règles de procédure quoique ce ne soit pas vraiment nécessaire. Car exercer un pouvoir discrétionnaire en violation de ces principes, normes et règles n'est pas agir conformément à la loi et donc judiciairement. Mais comme l'appelante a fait de ces trois questions des motifs d'appel distincts, je les traiterai ensemble, mais séparément de la question de l'exercice judiciaire de la discrétion.
[46]Ceci m'amène à discuter de la norme de contrôle applicable à l'appel de cette décision.
Norme de contrôle applicable en appel à la révision de la décision du CRTC de ne pas renouveler la licence de l'appelante
[47]L'appelante allègue que la décision du CRTC est inconstitutionnelle ou, si elle ne l'est pas, qu'elle est viciée par des erreurs de droit intrajuridictionnelles. L'analyse de la décision du CRTC, compte tenu de ces allégations, fait appel à deux normes de contrôle distinctes : l'une constitutionnelle, l'autre administra-tive. Je débuterai par cette dernière.
1. Identification de la norme de contrôle applicable à des erreurs intrajuridictionnelles du CRTC |
[48]Dans l'affaire Société Radio-Canada, cette Cour a reconnu en ces termes la nécessité de faire preuve de grande retenue à l'égard des décisions du CRTC [aux paragraphes 2 à 6] :
Le CRTC est un organisme spécialisé autonome à qui le Parlement a confié, précisément à cause de son expertise, de vastes pouvoirs pour assurer la réglementation et la surveillance du système de radiodiffusion canadienne de façon à lui permettre de mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion énoncée dans l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c. 11. Dans l'exercice de ses pouvoirs d'attribuer ou de révoquer une licence, il est établi qu'il jouit d'une grande discrétion.
Même si les décisions du CRTC ne sont pas protégées par une clause privative, le fait demeure que les tribunaux appelés à réviser ces décisions doivent faire preuve de grande retenue lorsque l'organisme agit dans le champ de son expertise et de sa spécialisation, qu'il est requis par les objectifs de la Loi le gouvernant de réaliser un équilibre délicat entre les intérêts divergents des parties et qu'il adjuge sur une question de fait reliée à son expertise. Or, la décision contestée par l'appelante rencontre, à notre avis, ces trois critères et mérite une telle retenue de notre part.
Tout d'abord, la demande soumise au CRTC vise l'exploitation d'une fréquence radio qui ressort des pouvoirs de supervision et de régulation que le Parlement a octroyés au CRTC (art. 5 de la Loi) et pour laquelle le CRTC peut attribuer une licence (art. 9 de la Loi).
Deuxièmement, la Loi (art. 3) identifie une quarantaine d'objectifs parfois conflictuels qui doivent guider l'exercice par le CRTC de ses pouvoirs. Il en découle un processus d'adjudication polycentrique impliquant une multitude d'intervenants aux intérêts opposés, lequel processus vise l'implantation des politiques de radiodiffusion définies par la Loi.
Enfin, la décision du CRTC porte sur une demande d'attribution de licence qui, essentiellement, met en cause des éléments de politique économique et culturelle qui relèvent de l'expertise du CRTC et à l'égard desquels l'organisme possède une discrétion. [Notes de bas de page omises.]
La situation n'est pas différente en matière de renouvellement de licence, lequel fait appel à des considérations analogues, sinon identiques.
[49]La nécessité d'une grande retenue à l'égard du CRTC existe même lorsqu'il existe un droit d'appel. Dans British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739, aux paragraphes 30 et 31, la Cour suprême rappelle le principe :
Dans l'affaire dont nous sommes saisis, le tribunal administratif spécialisé, le CRTC, possède une vaste expertise dans son domaine de compétence. Toutefois, malgré cette expertise, la décision du CRTC en cause n'est pas protégée par une clause privative et est, en fait, assujettie à un droit d'appel expressément prévu dans la loi. Néanmoins, il a été clairement établi dans Pezim, précité, et dans Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, qu'un tribunal spécialisé comme le CRTC, qui agit dans les limites de son champ d'expertise et de sa compétence, doit faire l'objet d'une retenue judiciaire même lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel.
[. . .]
Par conséquent, les cours de justice doivent faire preuve de retenue à l'égard du CRTC relativement aux questions de droit qui relèvent de son champ de compétence et d'expertise. Toutefois, en ce qui concerne les questions de compétence et les questions de droit étrangères à l'expertise du CRTC, les décisions de ce dernier ne bénéficient d'aucune déférence et doivent être contrôlées suivant la norme de l'absence d'erreur. [Je souligne.]
[50]La norme de contrôle demeure la même, que la révision des décisions du CRTC s'effectue par voie de demande de contrôle judiciaire sous l'article 28 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 35] de la Loi sur les Cours fédérales [art. 1 (mod., idem, art. 14)] ou par voie d'appel en vertu de l'article 31 de la Loi.
[51]Ainsi, dans l'affaire Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada était confrontée au postulat qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer les principes usuels du droit administratif en matière de norme de contrôle lorsque, comme en l'espèce, un droit d'appel est conféré à l'encontre d'une décision d'un tribunal ou d'un organisme administratif.
[52]Après avoir rejeté ce postulat comme erroné, la Cour suprême, au paragraphe 21, écrit :
Dans le cas d'un contrôle judiciaire, comme en l'espèce, la cour applique la méthode pragmatique et fonctionnelle établie dans l'arrêt de notre Cour U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et consacrée dans les arrêts Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. Le terme « contrôle judiciaire » comprend le contrôle des décisions administratives autant par voie de demande de contrôle judiciaire que d'un droit d'appel prévu par la loi. Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. [Je souligne.]
[53]Évidemment, il n'est pas nécessaire de chercher à réinventer la roue en s'adonnant à une analyse pragmatique et fonctionnelle exhaustive, chaque fois que la norme de contrôle applicable est soulevée, si celle-ci a déjà été déterminée : voir Via Rail Canada Inc. c. Cairns, [2005] 1 R.C.F. 205 (C.A.F.).
[54]La décision de renouveler ou non une licence de radiodiffusion implique une question d'opportunité. Il s'agit d'une décision discrétionnaire sur un sujet qui se situe au coeur même de l'expertise du CRTC. Aussi les questions de droit qui se rapportent à son champ de compétence et d'expertise doivent être révisées selon la norme du caractère raisonnable. En d'autres termes, la Cour ne peut intervenir à l'égard d'une telle question que si la conclusion ou la décision qui en découle est à tout le moins déraisonnable. Je répète que la question même de l'opportunité de renouveler la licence de l'appelante et le mérite de la décision du CRTC à cet égard ne sont pas des questions dont nous sommes saisis par le présent appel. Sauf pour l'allégation que la décision finale et discrétionnaire du CRTC sur le non-renouvellement est invalide parce qu'inconstitutionnelle, l'appel porte sur des erreurs de droit qui auraient été commises dans le processus conduisant à cette décision. Ce sont ces questions de droit qu'il nous faut analyser à partir d'une norme de contrôle qui porte exclusivement sur des questions de droit : voir Réseau de Télévision Star Choice Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CAF 153, au paragraphe 6.
2. Identification de la norme de contrôle applicable à la validité constitutionnelle de la décision du CRTC |
[55]L'appelante soumet que la décision du CRTC est nulle ou invalide parce qu'elle va à l'encontre ou viole les prescriptions de la Charte. En l'absence d'un pouvoir expressément ou par implication nécessaire conféré par la loi de porter atteinte à un droit protégé, je crois qu'il n'est pas contesté qu'une décision discrétionnaire du CRTC ne saurait être contraire à la Charte : voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038. Ici le pouvoir discrétionnaire est conféré par les alinéas 9b) et d) de la Loi qui se lisent ainsi :
9. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil peut, dans l'exécution de sa mission :
[. . .]
b) attribuer des licences pour les périodes maximales de sept ans et aux conditions liées à la situation du titulaire qu'il estime indiquées pour la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion, et, dans le cas de licences attribuées à la Société, lui permettant, à son avis, d'offrir la programmation visée aux alinéas 3(1)l) et m);
[. . .]
d) renouveler les licences pour les périodes maximales de sept ans et aux conditions visées à l'alinéa b); [Je souligne.]
Ces alinéas autorisent expressément le CRTC à fixer les conditions qu'il estime indiquées pour la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion. Pris isolément, il n'est pas immédiatement apparent qu'ils portent et autorisent une atteinte à la liberté d'expression car, tel que déjà mentionné, l'appelante n'a pas de droit acquis à recevoir une licence de radiodiffusion et il n'est pas évident que sa liberté d'expression est brimée si, en conformité avec la loi, sa licence n'est pas renouvelée. Par contre, lorsque lus en tenant compte d'autres dispositions de la Loi et du Règlement, que le CRTC doit prendre en considération dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire comme nous le verrons plus loin, il apparaît assez nettement que ces alinéas confèrent au CRTC un pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression en fixant des conditions restrictives de licence. Comment donc et suivant quelle norme s'exerce le contrôle de la validité d'une telle décision?
[56]Dans cette affaire Slaight Communications Inc., le juge Lamer [tel était alors son titre], à la page 1080, suggère une approche qui varie selon que l'atteinte à un droit protégé par la Charte est autorisée par un texte législatif qui confère ou non, expressément ou par implication nécessaire, le pouvoir de porter une telle atteinte. Dans le cas où un tel pouvoir est conféré, il faut alors soumettre le texte de la disposition législative au test énoncé par l'article premier de la Charte en vérifiant s'il constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
[57]Par contre, lorsque le texte de loi sur lequel se fonde la décision contestée confère une discrétion imprécise et ne prévoit, ni expressément ni par implication nécessaire, le pouvoir de porter atteinte aux droits garantis par la Charte, c'est la décision prononcée qui doit être soumise au test de l'article premier. Si la décision ne rencontre pas ce test, il y a lieu de conclure que le tribunal administratif a excédé sa compétence. À l'inverse, si elle est justifiée par les critères de l'article premier, le tribunal a agi à l'intérieur des limites de sa compétence.
[58]Ici, en l'espèce, nous sommes en présence de dispositions législatives, notamment l'article 3 de la Loi et l'alinéa 3b) du Règlement, qui, afin de réaliser la politique canadienne de radiodiffusion tout en protégeant d'autres droits fondamentaux garantis par la Charte, confèrent au CRTC le pouvoir de porter atteinte à la liberté d'expression. Ces dispositions législatives édictent des paramètres contraignants afin d'éviter que les contenus radiodiffusés sur les ondes publiques soient incompatibles avec, notamment, le droit à la vie privée, à la dignité humaine et à la réputation, ou ne les enfreignent tout simplement.
[59]En exerçant sa discrétion de ne pas renouveler la licence de l'appelante, le CRTC devait tenir compte des restrictions législatives et réglementaires apportées à l'exercice de la liberté d'expression sur des ondes publiques. Ce faisant, il exerçait sa compétence à l'intérieur des limites prescrites par la Loi et le Règlement. Je me permets de citer, en faisant les adaptations nécessaires, soit remplacer le mot « arbitre » par « CRTC », cet extrait du juge Lamer dans l'affaire Slaight Communications Inc. , aux pages 1080 et 1081, qui, je crois, résume bien ce qui s'est passé en l'espèce tant au plan factuel que juridique :
Le [CRTC] tire en effet tous ses pouvoirs de la loi et il ne peut faire plus que ce que la loi lui permet. C'est la disposition législative attributrice de discrétion qui restreint le droit ou la liberté puisque c'est elle qui autorise le détenteur de ladite discrétion à rendre une ordonnance ayant pour effet d'apporter des limites aux droits et libertés énoncés dans la Charte. L'ordonnance prononcée par le [CRTC] n'est que l'exercice de la discrétion qui lui est accordée par la loi.
[60]Puisque le CRTC n'a fait qu'exercer la discrétion qui lui était conférée par la Loi, le contrôle que peut exercer notre Cour consiste à vérifier l'exercice qui fut fait de cette discrétion. Plus précisément, comme la disposition attributive de discrétion restreignait la liberté d'expression, il s'agit de s'assurer que « l'utilisation qui fut faite de la discrétion a pour effet de contenir la restriction dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » : voir Slaight Communications Inc. , à la page 1081. En d'autres termes, il s'agit pour nous de vérifier que l'exercice de la discrétion ne va pas au-delà de ce que la disposition législative peut constitutionnellement restreindre sans elle-même enfreindre les limites de l'article premier de la Charte.
Le statut et le rôle du CRTC dans les présentes procédures d'appel
[61]Avant de relater les faits à la source du présent litige et de procéder à l'analyse des motifs d'appel, il importe de dire un mot sur le statut du CRTC dans les présentes procédures, ce que l'appelante a appelé le locus standi du CRTC. Cette question du locus standi met en cause le droit du CRTC de participer aux procédures et son rôle à cette occasion.
[62]En matière de contrôle judiciaire, l'article 303 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, art. 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] stipule qu'un demandeur désigne à titre de défendeur toute personne touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande. Si les présentes procédures étaient de la nature d'un contrôle judiciaire plutôt qu'un appel, comme c'est le cas, il est clair que le CRTC ne serait pas un défendeur. Cependant, il pourrait demander un statut d'intervenant aux procédures : voir l'article 109 des Règles. La situation juridique n'est pas différente lorsqu'il s'agit d'un appel. Toutefois, on y parvient par un cheminement différent.
[63]En effet, le statut des parties à un appel est régi par l'article 338 des Règles. En vertu de cet article, l'appelante désigne à titre d'intimés toute personne qui était une partie dans la première instance et qui, dans l'appel, a des intérêts opposés aux siens. L'article 2 des Règles définit une partie en première instance dans une action comme le demandeur, le défendeur et une tierce partie. Dans le cas d'une demande, notamment une demande de contrôle judiciaire, le mot « partie » fait référence au demandeur et au défendeur.
[64]Or, dans la demande de renouvellement de la licence de l'appelante devant le CRTC, ce dernier n'était pas une partie à cette première instance : il était l'organisme d'adjudication. En outre, il n'est pas une personne qui, dans l'appel, a des intérêts opposés à l'appelante. En fait, l'appelante n'aurait pas dû faire du CRTC un intimé dans ses procédures. Sans doute, l'appelante a-t-elle erronément cru qu'il était nécessaire de le constituer comme partie à l'appel afin d'assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige. Il s'agit là du critère retenu par l'article 104 des Règles pour obtenir de la Cour une ordonnance qui, soit constitue une partie à l'instance, soit la retranche des procédures. De plus, l'appelante a probablement estimé qu'il lui fallait ainsi désigner le CRTC, vu la conclusion de nature injonctive qu'elle recherchait contre lui, soit que cette Cour lui ordonne d'émettre une licence à l'appelante.
[65]Peu importe les raisons qui ont amené l'appelante à inscrire le CRTC comme intimé en appel, le geste fut source de confusion car, en règle générale, les droits d'un intimé en appel sont différents et beaucoup plus étendus que ceux d'un intervenant. Sauf exception prévue par la loi comme dans le cas du Conseil canadien des relations industrielles (voir le paragraphe 22(1.1) [édicté par L.C. 1998, ch. 26, art. 9] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2), un organisme dont la décision est attaquée n'a pas qualité pour comparaître dans les procédures en contestation. N'eut été du fait qu'il fut impliqué comme partie à l'appel par l'appelante, le CRTC aurait eu à faire une demande d'intervention en vertu de l'article 109 des Règles. Son statut aurait alors été clair et précisé par l'ordonnance l'autorisant à intervenir, comme ce fut le cas pour les intervenantes Cogeco Diffusion Inc., l'Association canadienne des radiodiffuseurs, l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, et l'Association canadienne des libertés civiles.
[66]Que ce soit dans des procédures de contrôle judiciaire ou d'appel, l'organisme fédéral qui a rendu une décision n'est pas habilité à venir défendre la décision qu'il a rendue, encore moins à se justifier. Comme le disait le juge Estey dans l'affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 709, où l'organisme avait présenté en appel une argumentation détaillée et approfondie à l'appui de sa décision, « [u]ne participation aussi active ne peut que jeter le discrédit sur l'impartialité d'un tribunal administratif lorsque l'affaire lui est renvoyée ou lorsqu'il est saisi d'autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties ». L'organisme a le droit d'être représenté en appel, mais sa plaidoirie en principe doit se limiter à un exposé de sa compétence, de ses procédures et du déroulement de celle-ci.
[67]Même si le CRTC avait dans les procédures le statut d'intimé, notre Cour l'a en tout temps considéré comme une partie intervenante. À l'audience, à la demande de l'appelante, à laquelle le procureur du CRTC accédait, nous sommes convenus, en conséquence, de limiter les interventions du CRTC à un exposé objectif de sa compétence, du cadre réglementaire dans lequel il oeuvre, de sa procédure et des faits indiquant la manière dont la procédure s'est déroulée devant lui.
Faits et procédures
[68]La décision du CRTC de ne pas renouveler la licence de l'appelante repose sur un ensemble de faits et de circonstances dont il convient de faire la genèse.
[69]À cause d'interférences pouvant rendre le réseau de radiodiffusion cacophonique, voire vain et inutile, le nombre de fréquences de radiodiffusion dans la région de Québec est limité à 12. La rareté des fréquences est un phénomène physique auquel, pour l'instant, les systèmes de radiodiffusion n'échappent pas. La région de Québec ne fait pas exception à cette règle.
[70]À cause de la rareté des fréquences et de l'importance des communications, le gouvernement est intervenu tôt dans le processus de développement des communications pour conférer et reconnaître aux systèmes de radiodiffusion un caractère à la fois de bien public et de service essentiel. Un mécanisme de contrôle de l'usage et de l'allocation de cette ressource limitée fut donc mis en place dans l'intérêt collectif.
[71]Le CRTC, qui a vu le jour en 1968 par la Loi sur la radiodiffusion, S.C. 1967-68, ch. 25 et qui succédait à une série d'agences de réglementation, s'est vu confier le mandat de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion. L'article 2 de cette Loi énonçait notamment que les fréquences sont du domaine public, que les entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu'elles diffusent, que la programmation de chaque radiodiffuseur devait être de haute qualité et que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la politique de la radiodiffusion canadienne était de confier la réglementation et la surveillance du système à « un seul organisme public autonome ». Ces énoncés se retrouvent dans la Loi.
[72]Cet organisme autonome, le CRTC, s'est vu imposer par l'article 15 l'obligation de réglementer et de surveiller tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne. C'est ainsi que, pour l'exécution de son devoir de surveillance et de réglementation, il obtint du Parlement le pouvoir exclusif d'émettre des licences, d'établir des règlements concernant les normes des émissions et la publicité, de définir les catégories de personnes pouvant se voir attribuer un permis de radiodiffusion et de prescrire les conditions de l'exploitation des stations de radiodiffusion en tant qu'élément d'un réseau ainsi que les conditions de radiodiffusion des émissions de réseaux : voir l'article 16 de la Loi ainsi que les paragraphes 66 et 116 à 118 de l'affidavit de M. Pierre Trudel.
[73]La politique de radiodiffusion édictée par la Loi s'adressait aussi à un certain nombre de questions d'intérêt public dont celles de la langue de diffusion, la nécessité d'un service public national de radiodiffusion, la diversité et la qualité de la programmation, la reconnaissance et l'encadrement d'entreprises de radiodiffusion, pour ne mentionner que quelques-unes de ces questions.
[74]C'est donc dans ce contexte normatif essentiel et inévitable que l'appelante s'est vue octroyer en février 1997 une licence de radiodiffusion, après s'être portée acquéresse de l'actif de l'entreprise de programmation de radio CHOI-FM Québec, propriété de Les Entreprises de Radiodiffusion de la Capitale inc. (voir la décision sur la radiodiffusion CRTC 97-86 [Acquisition d'actif] du 27 février 1997). Celle-ci lui permettait d'exploiter une station de radio FM (CHOI-FM) de langue française et de programmation commerciale. Il s'agissait d'une licence à usage exclusif sur la fréquence FM 98.1 attribuée.
[75]La licence conférée avait une durée de vie limitée : elle prenait fin le 31 août 2002, mais elle pouvait faire l'objet d'une demande de renouvellement, ce que fît l'appelante. Elle était aussi assujettie à des conditions, notamment celles de respecter les lignes directrices relatives à la représentation non sexiste des personnes exposées dans le « Code d'application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision » de l'Association canadienne des radiodiffu-seurs (ACR). L'appelante devait aussi respecter les dispositions du « Code de la publicité radiotélévisée destinée aux enfants ». Ce Code était publié par l'ACR.
[76]L'exploitation de cette première licence ne se fit pas sans heurt et sans remous. Au mois de décembre 2001, déjà 47 plaintes du public avaient été portées depuis 1999 contre l'appelante au sujet de sa program-mation sur les ondes de CHOI-FM. Le sujet des plaintes était constant : tenue de propos jugés par les plaignants offensants, sexistes, hargneux, revêches, dégradants, discriminatoires, harcelants et incitatifs à la haine et au mépris, tenue de concours offensants, et allégations que les ondes de radio étaient utilisées à des fins d'attaques personnelles contre des personnes et des groupes.
[77]Le CRTC tint en 2002 une audience publique sur la demande de renouvellement de la licence de l'appelante. Un Avis d'audience publique fut envoyé à l'appelante l'informant que le CRTC était préoccupé par les nombreuses plaintes reçues, l'état d'infraction présumé et le contenu verbal de la programmation à la lumière du critère de haute qualité stipulé dans la Loi. Cet avis d'audience publique CRTC 2001-14 du 14 décembre 2001 informait également l'appelante que ces questions seraient discutées lors de l'audience et elle était invitée à participer à ces discussions.
[78]L'appelante fut aussi mise en demeure, par le biais de cet avis, d'expliquer à cette audience les raisons pour lesquelles une ordonnance ne devrait pas être émise contre elle, lui enjoignant de respecter le Règlement auquel elle avait accepté de se soumettre lors de sa demande de licence.
[79]Comme il se devait de le faire, le CRTC a examiné, au cours de cette audience publique, l'ensemble des plaintes en regard des objectifs de la Loi, des engagements pris par l'appelante et de la programmation autorisée par sa licence. En cela, il se conformait à la Loi et à la décision de cette Cour dans l'affaire Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 27, où le passage suivant décrit le rôle et la responsabilité du CRTC face à des plaintes portées contre un titulaire de licence :
De fait, il est inévitable que, dans le contexte du renouvellement d'une licence d'un titulaire, le CRTC soit sensible aux plaintes du public et à la réaction du titulaire de la licence à l'égard de ces plaintes qui allèguent un abus de droit. Le CRTC ne jouerait pas son rôle et abdiquerait ses responsabilités s'il était indifférent à l'intérêt public ou aux allégations qu'un titulaire de licence compromet, par ses faits et gestes, sa passivité ou sa tolérance excessives, l'intérêt public. Dans ce contexte du renouvellement d'une licence dans le meilleur intérêt public, il doit pouvoir faire état des abus dont se plaint le public et vérifier si le titulaire de la licence s'est conformé à la Loi, au Règlement, à ses conditions de licence ou aux engagements spécifiques qu'il a pu prendre.
[80]Au terme de son examen, après avoir entendu les représentations de l'appelante, le CRTC s'est dit très préoccupé par les propos diffusés sur les ondes à l'égard des femmes, des autochtones et des personnes handicapées.
[81]Par exemple, dans le cadre d'une discussion, l'animateur à l'emploi de l'appelante, M. Fillion, a comparé les enfants handicapés à des animaux sans conscience et sans émotion. Faisant référence à l'affaire Latimer [R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3] où un père avait donné la mort à sa fille atteinte de déficience et référant à l'enfant, l'animateur dit sur les ondes :
Que de toute façon, elle n'était qu'une poubelle qui crachait de la merde des deux bouts et que ça coûtait cher d'entretenir une personne comme ça; que dans le fond, cette enfant-là ne sait même pas qu'elle existe, tout ce qu'il fait, c'est de manger et chier! Et quand on découvre un problème d'un foetus, on fait sauver la crevette! [Je souligne.]
L'animateur a rajouté, pour qu'on le comprenne bien, qu'il voulait bien dire le foetus en parlant de la crevette : voir la transcription des audiences du CRTC, 20 février 2002, volume 3, pages 652 à 654. La teneur des propos était telle que le CRTC les a jugés offensants et incitatifs à la haine et au mépris.
[82]Au paragraphe 60 de son mémoire des faits et du droit, le procureur du CRTC relate en ces termes une conclusion prise par le CRTC relativement à des propos diffusés sur les ondes et qui seraient en contravention du Code sur les stéréotypes sexuels. On retrouve cette conclusion au paragraphe 29 de la décision CRTC 2002-189 :
Il appert clairement que certains propos relevés dans les plaintes et constatés dans les analyses du Conseil contreviennent au Code sur les stéréotypes sexuels et constituent une infraction à la condition de licence de CHOI-FM. Le Conseil relève notamment les plaintes signalant que les femmes sont rabaissées à un niveau d'objets sexuels alors que l'animateur s'informe régulièrement de leur poids et de la grosseur de leur poitrine, celles portant sur l'organisation de concours de fellation et de relations sexuelles et les descriptions très explicites des scènes de pornographie qu'aurait vues l'animateur sur Internet.
[83]L'appelante a reconnu que les propos tenus dérogeaient aux lignes directrices du Code sur les stéréotypes sexuels et s'est engagée à ne plus tenir sur les ondes des concours à caractère sexuel qui sont soit offensants, soit dégradants pour la personne : ibid.
[84]Enfin, le CRTC a dit éprouver « des sérieuses réserves relativement aux manquements flagrants à l'objectif de haute qualité de la programmation constatés dans les propos tenus sur les ondes de CHOI-FM et que la titulaire a également reconnus pour une bonne part au cours de l'audience ».
[85]La première demande de renouvellement par l'appelante de sa licence a débouché, le 16 juillet 2002, sur un renouvellement d'une durée limitée à 24 mois et assorti d'un certain nombre de conditions particulières. L'une de ces conditions consistait pour l'appelante à respecter le Guide déontologique qu'elle proposait afin de mieux encadrer le contenu verbal de sa programmation et le travail de ses animateurs et réalisateurs. Le respect des principes contenus dans ce guide fut imposé comme condition du renouvellement et de l'exploitation de la licence. Par sa décision CRTC 2002-189, le CRTC informait l'appelante qu'il s'attendait à ce qu'une copie de ce qui fut appelé Code de déontologie soit remise à chacun des animateurs et réalisateurs d'émission de la station et à toute personne qui en fait la demande : voir le compendium du CRTC eu égard au dossier d'appel, vol. 1, page 81.
[86]L'appelante avait aussi proposé comme mesure de redressement de la situation la mise en place d'un Comité aviseur dont la fonction serait d'examiner les plaintes portées contre l'appelante et de donner des avis quant à l'application du Code de déontologie. La mise en place d'un tel Comité fut aussi exigée comme condition de licence.
[87]Le CRTC a cru percevoir chez l'appelante, à l'occasion de l'audience publique, une intention de se conformer à l'avenir à ses obligations. C'est pourquoi, après avoir imposé des conditions de licence destinées à assurer le respect de la Loi et du Règlement, il s'est dit prêt à ne pas recourir à son pouvoir d'émettre une ordonnance conformément au paragraphe 12(2) de la Loi ou à recourir à d'autres mesures d'exécution de la Loi, comme la suspension ou la révocation de la licence.
[88]Mais le CRTC prit soin d'informer l'appelante qu'en cas de manquement à ces conditions de licence, à la Loi ou au Règlement, celle-ci pourrait être convoquée à nouveau à une audience publique pour répondre de sa conduite. Peu, pour ne pas dire rien, n'y fit.
[89]Du 1 septembre 2002 à janvier 2004, 45 nouvelles plaintes furent reçues concernant le contenu verbal de la programmation diffusée par l'appelante. Vingt-neuf de ces plaintes furent analysées lors de l'audience publique du 18 février 2004 portant sur la demande de renouvellement de licence faite par l'appelante.
[90]Globalement, les plaintes portées contre la titulaire alléguaient la tenue de propos diffamatoires, offensants, vulgaires, blasphématoires, malicieux, mensongers, discriminatoires et ridiculisant des individus. Elles reprochaient encore une fois des attaques personnelles. Certains propos, semble-t-il, incitaient même à la commission d'infractions. Toutes les plaintes se rapportaient à l'émission de M. Jeff Fillion, diffusée du lundi au vendredi et intitulée « Le monde parallèle de Jeff ». Cette émission était diffusée aux heures de grande écoute le matin, de 6 heures à 10 heures. Pour un segment d'environ une demi-heure, l'animateur, M. Fillion, était joint par un autre animateur, M. André Arthur, de la station CKNU-FM, Donnacona.
[91]Je n'ai pas l'intention de reprendre chacun des contenus des plaintes. Mais afin de situer le débat, je dois en mentionner certaines. Je le ferai en reproduisant, pour la plupart, les propos mis en preuve devant le CRTC.
[92]Une plainte du 8 mai 2003 concerne les paroles prononcées à l'endroit de malades psychiatriques faisant l'objet de mauvais traitements en milieu hospitalier. Au paragraphe 49 de la décision du CRTC [2004-271], on peut lire :
Dans le cadre de commentaires traitant d'une nouvelle concernant les mauvais traitements subis par un patient d'un hôpital psychiatrique, l'animateur Fillion a mentionné ce qui suit à l'antenne de CHOI-FM le 8 mai 2003 : « Pourquoi un moment donné on tire pas sa plogue. Non mais il ne mérite pas de vivre. C'est un esti de paquet de troubles pour la société ce bonhomme là . » Quelques minutes plus tard, un intervenant travaillant dans le centre d'hébergement en question a téléphoné à l'animateur et indiqué que l'aile dans laquelle on garde les cas lourds, comme celui faisant l'objet de la discussion, est appelée le « zoo » par les employés du centre. Suite à cet appel, M. Fillion a ajouté : « Moi je pense que dans le zoo on devrait remplir les chambres pis que un moment donné, y a une switch pis que une fois par quatre mois, tu pèses sur le piton pis qui sort rien qu'un petit gaz pis que tu vas là pis tu ramasses ça dans des sacs. » [Je souligne.]
[93]La plainte de l'Université Laval fut faite à l'égard des propos suivants tenus par le co-animateur, M. André Arthur, le 3 novembre 2003 sur les ondes de CHOI-FM. On les retrouve au paragraphe 56 de la décision :
À part de ça, on est toujours là à se vanter d'être international et d'accueillir à Québec à l'université des étudiants étrangers, notamment de l'Afrique du Nord. L'Université Laval est une des plus grandes universités d'Afrique du Nord.
Le problème, c'est qu'on oublie que, en Afrique, dans les pays musulmans et dans les pays d'Afrique Noire, ceux qui sont envoyés à l'étranger pour étudier, c'est les fils des écoeurants, c'est les fils de ceux qui possèdent le pays pour mieux le gouverner. C'est les fils des pilleurs, des cannibales qui dirigent certains pays du Tiers-Monde et qui eux ont les moyens d'envoyer leurs jeunes étudier au Québec si ce n'est de la corruption directe des compagnies désireuses d'avoir accès à des ressources naturelles en Afrique, vont payer des études à Québec pour les fils des écoeurants qui gouvernent ces pays-là .
Mais on est toujours fier, à Laval, de l'accueil qu'on fait des étudiants étrangers. On oublie de dire que ces étudiants étrangers-là sont, par définition, sauf exception, les enfants des plus écoeurants dirigeants politiques au monde, les gens qui écrèment leur pays, qui tuent pour prendre le pouvoir et qui torturent pour le garder. Ceux que, au sens de la langue française, on appelle des cannibales, c'est-à-dire des gens d'une extrême cruauté. [Je souligne.]
[94]Le 1er novembre 2002, l'animateur Fillion invitait les gens du Saguenay à se suicider chez eux plutôt qu'à Québec, en se jetant en bas du pont de Québec, « parce que quand ils arrivent en bas sur la chaussée, ça fait de la "marde" et qu'on est tanné de ramasser leur "marde" ».
[95]Aux émissions du 18 et du 19 février 2003, le même animateur invitait les gens à pirater les ondes de Bell ExpressVu :
18 février 2003 Vous faites bien de pirater Bell ExpressVu, vous démontrez aux compagnies de câble et au CRTC [. . .], que vous êtes écoeurés de vous faire fourrer. C'est un message clair, net et précis. |
Quelqu'un cette semaine nous disait que dans la Beauce, chaque fois que vous voyez une antenne de Bell ExpressVu, dites-vous que une sur deux est piratée. Bon, lui en vend à la tonne. C'est un de vos moyens de montrer au CRTC que vous vous faites fourrer. |
Puis continuez à fourrer le système en piratant. Moi, le Star Choice, je paie, je suis un innocent. J'ai pris le mauvais système, il ne se pirate pas. Mais ceux qui sont avec Bell ExpressVu, regarde, ils n'ont pas encore compris votre cri du coeur. Ils n'ont pas compris que vous êtes écoeurés de payer pour des choses que vous ne voulez pas, ils n'ont pas compris qu'on [. . .] le service de base qu'on paie via nos impôts, personne ne l'écoute. |
19 février 2003 Regarde, je vous répète ce que je vous ai dit hier : continuez de fourrer le système et de pirater les signaux, soit de Vidéotron, ou encore de Bell ExpressVu. [Je souligne.] |
[96]Le CRTC a aussi retenu une plainte de Cogeco Diffusion Inc., un radiodiffuseur concurrent de l'appelante. Il a vu dans les propos diffusés sur les ondes de CHOI-FM des attaques personnelles répétitives et acharnées ainsi que des insinuations injustifiées de conduite répréhensible envers M. Gillet, un animateur à l'emploi de Cogeco, certains actionnaires, dirigeants et employés de l'entreprise, dont le directeur général de CJMF-FM, M. Geoff Brown, et le président de Cogeco Radio-TV. Ces propos, mus selon le CRTC par un esprit de vengeance, s'échelonnèrent sur plusieurs semaines. En voici un extrait que l'on retrouve au paragraphe 79 de la décision :
Autre question pour les dirigeants de Cogeco, que ce soit le petit monsieur Brown, que ce soit monsieur Carter, son évêque mormon de patron, que ce soit la famille Audet, pourquoi pas poser la question suivante : puisque la majorité des gens du milieu savent que Robert [Gillet] a des problèmes, comment se fait-il qu'on l'a défendu avec autant d'acharnement [] Est-ce que quelqu'un dans la chaîne de commandement était obligé? Est-ce que quelqu'un dans la chaîne de commandement a fait des voyages avec Robert?
Regarde, bon, y'a-t-y quelqu'un au FM 93 qui ignorait que Robert [Gillet] faisait, et fait encore, régulièrement des voyages dans deux des endroits les plus populaires au monde en matière de prostitution d'enfants? Notamment la Thaïlande où Robert va régulièrement et la Tchécoslovaquie, Prague.
[M. Gillet n'était] plus capable de bander avec une femme adulte.
Qui protège Robert Gillet au FM 93? Est-ce que c'est Brown? Est-ce que c'est Carter? Qui au FM 93 peut pas dire non à Robert?
[. . .] à dire à Geoff Brown : t'es beau, t'es grand, t'es fin, puis tu sens bon, puis je m'en aperçois pas quand tu te grattes l'anus devant tout le monde?
[. . .] Tout le monde sait que Geoff Brown, quand il marche dans une route de gravelle, s'il pète ça fait un petit nuage de boucane, ça fait un petit nuage de poussière parce qu'il a le cul trop bas, bon.
Est-ce que les gens du FM 93 avaient le droit d'être surpris? D'après moi non. Ils savaient qu'il [Robert Gillet] allait en Thaïlande, ils sont allés avec lui.
[] deuxièmement, Prague est la capitale mondiale [. . .] européenne de la prostitution des petites filles. Est-ce que la police de Québec ou les journalistes sont allés voir Voyages Paradis en disant : est-ce qu'il y avait des dirigeants du FM 93 dans les voyages de Robert Gillet? Est-ce qu'il y avait d'autres accusés []
Or [. . .] et maintenant je pose la question aux journalistes, comment ça se fait que Charles Paradis, qui organisait les voyages à Prague, n'a jamais été questionné par les autres journalistes sur le rôle de Robert Gillet? Robert était-il un démarcheur de clients? Est-ce qu'il était commissionné quand il amenait du monde? Est-ce qu'il amenait du monde personnellement là-bas? Est-ce qu'il y a des dirigeants du FM 93 qui ont fait ces voyages-là en Thaïlande ou à Prague? Et est-ce qu'il y a des vendeurs ou des dirigeants commerciaux du FM 93 ou de Cogeco qui ont fait ces voyages-là?
Ah, je le sais pas. Je pense qu'il y a des liens personnels. Je crois qu'il y a des amitiés véritables, mais il y a aussi le fait que je sais qu'il y a des dirigeants du FM 93 qui sont allés en Thaïlande avec Robert Gillet. Je sais qu'il y a des dits [. . .] qu'on a laissé annoncer à l'antenne du FM 93 des voyages à Prague, avec Voyages Paradis, voyages dans la capitale européenne de la prostitution des fillettes. Je sais que Robert à ce moment-là, a fait du rabattage de clients pour Voyages Paradis, ce qui était sa job. Je ne sais pas, mais je demande aux journalistes de Québec : quand est-ce que vous allez faire votre job? Que vous allez aller au FM 93? Que vous allez aller chez Voyages Paradis et que vous allez demander : c'est qui « icitte » qui voyageait avec Robert? Mais je sais qu'en Thaïlande, y'a des dirigeants de Cogeco qui sont allés en Thaïlande avec Robert Gillet. La Thaïlande, Bangkok, étant le pays au monde où la prostitution des enfants est la plus répandue. [Je souligne.]
[97]L'animateur, M. Fillion, a réclamé sur les ondes, de la part des auditeurs de CHOI-FM, des informations personnelles pouvant identifier deux personnes de sexe féminin ayant participé, le visage voilé, à un reportage télévisé concernant un « tournoi de golf érotique ». L'information nécessaire obtenue, il a dévoilé ensuite, en onde, leurs noms et leurs adresses électroniques.
[98]La station CHOI-FM a aussi organisé et tenu sur les ondes un concours invitant les gens à dénoncer en ondes les voisins qui étaient des « crottés » et qui n'entretenaient pas adéquatement leur terrain. Une famille fut dénoncée par des voisins. CHOI-FM s'est rendu chez cette famille en leur cachant le véritable but de sa visite. De là, une diffusion eut lieu en direct alors que pendant ce temps, toujours à l'insu de cette famille, les animateurs de CHOI-FM et des auditeurs qui téléphonaient à la station Radio se moquaient d'eux et de leur mode de vie.
[99]Enfin, je termine en faisant état des propos diffamatoires tenus sur les ondes de CHOI-FM à l'endroit d'une plaignante, Mme Sophie Chiasson. Ces propos ont donné lieu à une poursuite en dommages-intérêts contre l'appelante, M. Patrice Demers personnellement, qui est le principal actionnaire et seul administrateur de l'appelante, M. Fillion et certains animateurs de son émission.
[100]Au procès civil, le caractère diffamatoire des propos, et par conséquent la faute génératrice de responsabilité civile, furent admis par tous les défendeurs, à l'exception de M. Patrice Demers. Plus précisément, ils reconnurent que certains propos étaient injurieux et susceptibles de porter atteinte à la dignité, à l'honneur et à l'intégrité de Mme Chiasson : voir le juge-ment de la Cour supérieure de Québec dans Chiasson c. Fillion, [2005] R.J.Q. 1066. Pour ces propos, ils furent conjointement et solidairement condamnés par la Cour supérieure de Québec à payer 340 000 $, dont 100 000 $ à titre de dommages moraux, 200 000 $ au chapitre des dommages punitifs et 40 000 $ à titre d'honoraires extra-judiciaires. Ce jugement a été porté en appel quant aux montants octroyés.
[101]Voici un extrait des paroles prononcées et de la réponse de la titulaire à la plaignante, tel qu'on le retrouve aux paragraphes 61 à 63 de la décision du CRTC :
La plaignante est animatrice à la télévision, à l'antenne du réseau de télévision TVA, et chez MétéoMédia et Canal Vie, deux services spécialisés de télévision. Dans sa plainte, elle a allégué que de nombreuses attaques personnelles la visant ont été tenues en ondes lors de l'émission matinale de la titulaire le 10 septembre 2002 et le 8 octobre 2002. À la suite de l'écoute des enregistrements contenant des propos tenus les 10 et 27 septembre et le 8 octobre 2002, et à la lecture des notes sténographiques, le Conseil a relevé plusieurs propos à l'endroit de la plaignante reliés à ses attributs physiques, et plus particulièrement sexuels. On fait référence à plusieurs reprises à la grosseur de ses seins, à sa « méchante paire de boules »; et on suggère que « la grosseur du cerveau n'est pas directement proportionnelle à la grosseur de la brassière » et que « dans ce cas-ci c'est peut-être inversement proportionnel, effectivement ». Les participants se sont même questionnés quant à la texture des seins de la plaignante et à savoir si on a «parlé au tâteux» et si « ça défie la gravité ». Selon l'anima-teur, « tout est dans les seins » et cette paire de seins-là « fait la job sur Alexandre Daigle », ce qui expliquerait pourquoi l'animateur a dit que ce dernier aurait quitté Sheryl Crow pour la plaignante.
Les participants ont également traité la plaignante de « experte de la menterie », « chatte en chaleurs », « sangsue après Alexandre Daigle » et mentionné que « une cruche vide, ça a ben beau avoir des gros seins pis une tite taille pis un tit cul, ça ne fait rien », qu' « il y a plusieurs malades chroniques à MétéoMédia », que « des filles qui ont de l'allure pis qui paraissent ben, c'est toujours des connes », et « qu'un imbécile est capable de faire la météo ». Ils ont également mentionné que la plaignante « a fait le tour » et que « c'est en coulisse que ça se passe » et tenu plusieurs propos qui laissent croire qu'elle entretient des relations amoureuses et même sexuelles afin d'obtenir des contrats d'animatrice d'émissions de télévision.
En réponse, la titulaire a allégué qu'il s'agissait d'une parenthèse faite dans le cadre d'une émission de « showbizz » qui est toujours faite sous le sceau de l'humour et que le tout était fait sur un ton humoristique et imagé et qu'en ce sens, il ne s'agissait pas d'attaques personnelles. Selon la titulaire, il est permis de critiquer le corps et la présentation d'une présentatrice météo dans le contexte d'un débat public car c'est quelqu'un qui gagne sa vie de cette façon, d'une manière publique. [Je souligne; note en bas de page omise.]
[102]En rapport avec l'allégation que la plaignante faisait usage de ses attributs physiques pour obtenir des contrats, j'ajouterais que l'animateur avait également, au cours de l'année 2000, fait allusion à la manière dont elle se prenait pour les obtenir. Il avait affirmé que lors d'entrevues, la plaignante pouvait, dans certains cas, s'agenouiller devant ses interlocuteurs pour leur accorder des faveurs sexuelles. Il l'avait alors qualifié « d'aspirateur » et avait dit qu'elle était « excellente pour faire des vacuums » : voir le paragraphe 27 du jugement de la Cour supérieure de Québec dans l'affaire Chiasson c. Fillion .
[103]C'est dans ce contexte que la décision de ne pas renouveler la licence de l'appelante fut rendue le 13 juillet 2004. De là, la demande de permission d'appeler accordée le 26 août 2004 et l'appel entendu du 24 au 27 mai 2005 [Genex Communiations Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283].
La décision CRTC 2004-271
[104]La décision du CRTC est substantielle et bien documentée. Elle contient 144 paragraphes. Je n'ai pas l'intention de la reprendre, sauf à en reproduire les conclusions, à identifier les facteurs dont le CRTC a tenu compte dans l'exercice de sa discrétion judiciaire de ne pas renouveler le permis d'exploitation et à décrire la procédure qu'il a suivie pour en arriver à cette conclusion.
1. Les facteurs dont le CRTC a tenu compte dans l'exercice de sa discrétion judiciaire |
[105]Comme sa mission l'exige, le CRTC a, pour les fins de la demande de renouvellement, tenu compte du cadre législatif et réglementaire ainsi que des conditions de licence qui régissent l'exploitation par l'appelante de sa licence. À cette fin, il s'est référé aux paragraphes 5(1) (devoir de réglementation et de surveillance du CRTC), 3(1) (politique et objectifs du système canadien de radiodiffusion), 2(3) (interprétation et application de la Loi d'une manière compatible avec la liberté d'expression), 3(2) (le caractère unique du système canadien de radiodiffusion), 9(1) (ses pouvoirs en matière d'attribution, de suspension, de révocation et de renouvellement des licences), 10(1) (son pouvoir de fixer les normes des émissions et de prendre toute autre mesure qu'il estime nécessaire à l'exécution de sa mission) de la Loi et à l'alinéa 3b) du Règlement (interdiction de tenir des propos offensants qui risquent d'exposer à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale).
[106]Le CRTC a également reconnu la nécessité d'établir et de maintenir un équilibre entre la liberté d'expression et les autres valeurs mentionnées dans la Charte et dans sa loi constitutive : voir les paragraphes 27 à 39 de la décision. Il a fait référence à la liberté d'expression de l'alinéa 2b) de la Charte et à l'article 15 de la Charte qui accorde le droit à l'égalité, sans discrimination pour les motifs qui y sont énumérés. Il a également pris en compte l'article 27 du même document qui exige que toute interprétation de la Charte, par conséquent de la liberté d'expression, promeuve le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. Enfin, il s'est aussi inspiré des valeurs qui sont reconnues par l'article premier et qui permettent que les droits fondamentaux de la Charte puissent être restreints par une règle de droit. Pertinentes et importantes pour le présent débat sont celles de la protection de la dignité humaine, de l'intégrité physique et psychologique, de la vie privée, de l'honneur et de la réputation.
[107]Le CRTC s'est attardé longuement aux plaintes reçues et aux explications contextuelles fournies par l'appelante pour les propos tenus et reprochés. Il les a analysées en regard de la Loi, du Règlement et du Code de déontologie de l'appelante dont le respect, rappelons-le, était une condition grevant la licence d'exploitation de CHOI-FM.
[108]Il a aussi pris note d'une décision rendue par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) le 17 juillet 2003 [CHOI-FM concernant le monde parallèle de Jeff Fillion, [2003] D.C.C.N.R. no 21 (QL)] où le CCNR concluait que l'appelante avait agi en violation de l'alinéa 9c) du Code de déontologie de l'ACR. Le CCNR [au paragraphe 3] avait conclu que les termes « hostie de prétentieux », « hostie de pas bon », « loser », un « vomi », un « chieur » et un « arbre avec des racines pourries » pour décrire un concurrent étaient grossiers, blessants et injurieux et donc en violation des exigences du Code de déontologie. L'appelante s'est dite en désaccord avec cette conclusion du CCNR : voir les paragraphes 102 à 104 de la décision du CRTC.
[109]Le CRTC a poursuivi son analyse de la situation en examinant la responsabilité de l'appelante en tant que titulaire de la licence d'exploitation d'entreprises de radiodiffusion. Au terme de l'alinéa 3(1)h) de la Loi, l'appelante assume la responsabilité de ses émissions. Le CRTC a recueilli les explications de l'appelante qui, en rapport avec l'émission où on incitait au piratage des ondes de Bell ExpressVu, consistaient à dire que ce n'est pas ce que l'animateur avait voulu dire. Il a aussi examiné cette responsabilité en regard des obligations imposées par la Loi et le Règlement, comme il l'avait fait pour celles découlant de la Charte : voir les paragraphes 105 à 110 de la décision.
[110]Enfin, le CRTC s'est penché sur l'historique des mesures correctives imposées dans le passé et non respectées, l'importance et la fréquence des récidives, le comportement de l'appelante à l'audience qui soutenait que les propos tenus étaient appropriés et justifiés. Il a également passé en revue les mesures correctives proposées par l'appelante pour assurer un meilleur contrôle de ses animateurs et du contenu verbal des émissions. Certaines de ces mesures proposées emportaient une dilution des exigences de son Code de déontologie et une diminution de ses obligations : voir les paragraphes 111 à 124 de la décision.
2. Les conclusions du CRTC |
[111]Afin de faciliter la compréhension de la discussion de certains motifs d'appel, je reproduis intégralement les conclusions du CRTC qui apparaissent aux paragraphes 125 à 142 de la décision :
Le contenu verbal diffusé par CHOI-FM depuis le dernier renouvellement de la licence de CHOI-FM en 2002 ainsi que la conduite affichée par la titulaire à l'égard de ses obligations réglementaires tout au long de la période de licence et tout au cours du présent processus de renouvellement de sa licence de radiodiffusion laissent peu de marge de manoeuvre au Conseil.
Le Conseil note qu'à plusieurs reprises, il a pris des mesures destinées à prévenir Genex des conséquences possibles de ses gestes. Des avertissements fermes et non équivoques des mesures réglementaires pouvant être prises étaient contenus dans l'avis d'audience 2001-14. Dans la décision 2002-189, le Conseil a renouvelé la licence de CHOI-FM pour une période de deux ans seulement, ce qui est beaucoup moins que la période maximale de sept ans permise par la Loi. Il se disait grandement préoccupé par les nombreuses infractions de la titulaire aux dispositions de la Loi, du Règlement et de ses conditions de licence. Le Conseil ajoutait qu'au cours de la période de renouvellement de deux ans, il surveillerait de près le respect par la titulaire de ses obligations, dont notamment le respect du Code de déontologie qui était annexé à la décision 2002-189 comme condition de licence. Tel que noté précédemment, le Conseil prévenait Genex qu'en cas de nouvelles contraventions, il pourrait la convoquer à une audience publique afin qu'elle justifie les raisons pour lesquelles il ne devrait pas émettre une ordonnance ou recourir aux mesures d'exécution à sa disposition, dont la suspension ou la révocation de la licence de CHOI-FM.
À la suite de la réception d'un nombre important de plaintes au cours des 17 premiers mois de la courte période de renouvellement accordée dans la décision 2002-189 et du constat de nouvelles infractions présumées quant au contenu verbal diffusé par CHOI-FM, le Conseil a décidé de convoquer Genex à l'audience publique de Québec en février 2004. Dans l'avis d'audience 2003-11, le Conseil a prévenu à nouveau la titulaire qu'elle devrait démontrer à cette audience les raisons pour lesquelles il ne devrait pas émettre une ordonnance ou suspendre ou ne pas renouveler la licence de CHOI-FM.
Le Conseil note également que dans les lettres échangées avec Genex au cours de la présente période de licence, plusieurs infractions apparentes ont été portées à l'attention de la titulaire et celle-ci a été prévenue, conformément à la pratique établie du Conseil pour le traitement des plaintes, que Genex devrait être prête à en discuter à l'audience.
Le Conseil note que le contenu verbal qui était le sujet des plaintes reçues ne reflète pas des incidents isolés mais semble faire partie d'un comportement de la titulaire qui s'est poursuivi et a même empiré au cours de deux périodes de licence consécutives et malgré des rappels à l'ordre clairs et sans équivoque de la part du Conseil, du CCNR et même à l'occasion, par son propre Comité aviseur.
Après un examen minutieux du dossier de renouvellement de la licence et de l'ensemble du contexte entourant les émissions faisant l'objet des plaintes soumises, le Conseil conclut que les propos tenus sur les ondes de CHOI-FM durant l'émission du matin constituaient de nouveaux manquements graves et répétés à la Loi, au Règlement et à une condition de licence de la titulaire.
Le Conseil ne peut miser non plus sur la bonne volonté de la titulaire de mettre en oeuvre les autres mesures proposées, notamment le respect du Code de déontologie révisé, dont elle proposait de diluer certaines exigences, ainsi que le mécanisme de délai dont la titulaire a elle-même remis en question l'efficacité.
Le Conseil note qu'à peine un mois après la publication de la décision 2002-189, dans laquelle il exprimait de grandes préoccupations et prévenait la titulaire que de nouvelles infractions pourraient entraîner la suspension ou la révocation de sa licence, Genex concluait une entente avec M. André Arthur pour obtenir sa collaboration à l'émission quotidienne du matin de CHOI-FM. Cette décision de M. Demers a fait l'objet d'une discussion sur les ondes de CHOI-FM le 16 août 2002. Invité à expliquer les raisons de son geste, M. Demers a déclaré notamment sur les ondes de CHOI-FM :
[. . .] je pense que les cotes d'écoute qui ont été générées par André Arthur au fil de sa carrière, et celles que CHOI génère, doivent être ce qui compte réellement. |
Le Conseil estime que tout ce qui précède remet en question la crédibilité de Genex et de son actionnaire de contrôle, seul administrateur et président directeur général, M. Patrice Demers, à l'égard de la capacité de Genex de comprendre et d'exercer les responsabilités qui lui sont confiées par la Loi à titre de titulaire d'une licence de radiodiffusion. La gravité et la fréquence des infractions relevées, le fait qu'il s'agit de récidive, le comportement de dénégation générale affiché par la titulaire, les mesures dilatoires qu'elle a utilisées dans le traitement des plaintes tout au long de la présente période de licence ont convaincu le Conseil que Genex n'accepte pas ses obligations réglementaires et n'a pas la volonté de s'y conformer.
Le Conseil a examiné les diverses mesures dont il dispose pour amener les titulaires de licence de radiodiffusion à se conformer à leurs obligations lorsqu'il constate leur état répété d'infraction. Celles-ci vont d'un renouvellement de licence à plus court terme, à l'émission d'une ordonnance ou à la suspension, révocation ou non-renouvellement de la licence. Ces dernières mesures sont rarement utilisées et, de l'avis du Conseil, ces mesures ne devraient être utilisées de façon générale que dans les cas où il est convaincu qu'aucune des autres mesures à sa disposition ne donnera les résultats escomptés.
Interrogée lors de l'audience au sujet des mesures additionnelles que pourrait prendre le Conseil pour l'amener à se conformer à l'avenir à ses obligations, Genex s'en est tenue à soutenir qu'elle avait fait tous les efforts possibles et que les mesures correctives qu'elle a mises en place ou proposées sont suffisantes. Ainsi, quant à la possibilité de l'émission d'une ordonnance, la titulaire a déclaré : « [. . .] le fait de mettre une ordonnance ou pas, ne changera pas notre point de vue de l'équation, qui est qu'on met tous les efforts pour respecter nos conditions de licence ».
Le Conseil note que l'émission d'une ordonnance ne viserait qu'à obliger la titulaire de se conformer aux exigences qui se retrouvent déjà dans le Règlement ou dans ses conditions de licence. Toutefois, pour que cette mesure soit efficace, le Conseil doit être convaincu de la compréhension de la titulaire de ses obligations et de sa volonté de s'y conformer. Le Conseil considère que dans le cas présent, Genex n'a pas manifesté de compréhension de ses obligations, de volonté de s'y conformer et n'a pas démontré un désir réel de changement. L'émission d'une ordonnance dans les circonstances ne serait pas, de l'avis du Conseil, une mesure efficace pour atteindre l'objectif visé.
Le Conseil n'a accordé qu'un renouvellement à court terme à Genex dans la décision 2002-189. Cette mesure n'a pas contraint la titulaire à prendre les moyens nécessaires pour corriger les infractions constatées dans le contenu verbal de la programmation diffusée à son antenne. L'échec de la titulaire à encadrer suffisamment ses animateurs et l'inefficacité des nouvelles mesures correctives proposées amènent le Conseil à conclure qu'un autre renouvellement à court terme de la licence de CHOI-FM n'atteindrait pas non plus l'objectif visé.
La suspension de la licence serait aussi une mesure pouvant être considérée. La titulaire a mentionné à l'audience qu'une suspension de la licence aurait des conséquences directes sur plusieurs employés. Elle a ajouté qu'une suspension en période de sondages aurait un impact néfaste à long terme sur la station et engendrerait une perte d'auditoire. Elle a conclu sur la question en mentionnant qu'il s'agissait d'une question d'argent.
Le Conseil estime qu'une suspension aurait pu être efficace si des éléments de preuve avaient donné raison de croire qu'il en résulterait un changement éventuel de comportement de la titulaire. Le Conseil considère que, dans les circonstances, il est raisonnable de croire que les problèmes identifiés dans la décision 2002-189 et dans la présente décision continueront, même si cette mesure était imposée pour une certaine période. Il estime qu'on ne peut conclure dans ce cas que cette mesure aurait l'effet correctif souhaité de faire respecter la Loi et les exigences réglementaires. En effet, les déclarations de M. Patrice Demers à l'audience, ses réticences et son incompréhension apparente des responsabilités qu'il doit assumer en vertu de la Loi laissent plutôt croire le contraire.
Le Conseil reconnaît les mesures concrètes prises par Genex afin de répondre aux autres préoccupations soulevées dans la décision 2002-189 à l'égard de la diffusion de pièces musicales en version courte, la diffusion de montages musicaux, les rubans-témoins incomplets, l'incitation à consommer des boissons alcooliques et l'utilisation de la langue anglaise en ondes. Il reconnaît également l'apport de la titulaire à la diversité musicale, par sa formule rock alternatif, sa contribution à la mise en valeur des groupes musicaux offrant ce genre de musique et son implication dans la communauté. Le Conseil reconnaît également que la station emploie un certain nombre de personnes. Le Conseil estime néanmoins que ces facteurs sont loin de contrebalancer la gravité des contraventions répétées de Genex au Règlement et à sa condition de licence à l'égard du contenu verbal, et de son incapacité de reconnaître ou d'accepter la responsabilité de ces contraventions et d'apporter les correctifs requis.
Somme toute, étant donné le comportement inflexible affiché par la titulaire, son refus d'accepter ses responsabilités et le manque de tout engagement ferme de corriger la situation, le Conseil ne peut raisonnablement conclure que Genex se conformera à la Loi, au Règlement et à son Code de déontologie advenant un renouvellement de sa licence. Le Conseil en conclut également que les mesures à sa disposition, tel un autre renouvellement à court terme, l'émission d'une ordonnance ou la suspension de la licence ne seraient pas efficaces pour contrer les problèmes constatés. Par conséquent, le Conseil refuse la demande présentée par Genex Communications inc. en vue de renouveler la licence de l'entreprise de programmation de radio CHOI-FM Québec. La diffusion à l'antenne de CHOI-FM devra donc cesser au plus tard le 31 août 2004.
Dans l'exercice de son mandat, le Conseil doit veiller à l'intégrité du régime d'attribution de licences et au droit du public de recevoir une programmation conforme à la Loi et à la réglementation. Il ne peut permettre la diffusion de propos offensants qui vont à l'encontre du Règlement ou d'une programmation qui ne reflète pas la politique de radiodiffusion énoncée à l'article 3(1) de la Loi. Le Conseil ne peut non plus permettre à quiconque d'utiliser les ondes publiques pour poursuivre ses propres objectifs sans égard aux droits des autres. [Je souligne; notes de bas de page omises.]
3. Les procédures suivies devant le CRTC |
[112]En vertu du paragraphe 18(2) de la Loi, un renouvellement de licence fait l'objet d'une audience publique sauf si le CRTC estime que l'intérêt public ne l'exige pas. En l'espèce, le CRTC a plutôt conclu qu'il était dans l'intérêt public d'en tenir une.
[113]Tel qu'invitée à le faire par l'Avis d'audience publique CRTC 2003-11 du 18 décembre 2003, l'appelante a d'abord présenté, en date du 22 janvier 2004, une requête écrite de 42 pages demandant au CRTC de réviser les conclusions de son personnel relativement aux plaintes de M. R. Gillet. Elle demandait que ces plaintes soient rejetées ou, subsidiairement, retirées du dossier public de CHOI-FM et de CKNU-FM : voir le compendium du CRTC relatif au Dossier d'appel, vol. 2, onglet 35.
[114]La lecture du mémoire révèle que l'appelante s'est plainte que les propos avaient été pris et analysés hors contexte. Le mémoire fait état des critères d'analyse d'un texte ou d'une émission de radio, dont la nécessité de replacer les propos dans leur contexte. Ensuite, il explique le contexte des propos tenus par les animateurs et les analyse en soulignant que les animateurs s'interrogeaient, de bonne foi et dans l'intérêt public, sur les agissements de personnes d'âge mûr qui recherchent des activités sexuelles avec des personnes d'âge mineur.
[115]Le mémoire entreprend de réfuter chacune des allégations faites contre l'appelante et conclut que l'appelante a respecté son Code de déontologie. L'appelante allègue que la procédure suivie par le CRTC la prive d'un procès juste et équitable et invoque les droits conférés par la Charte à une personne inculpée d'une infraction. Enfin, l'appelante y invoque les moyens de défense qu'elle entend faire valoir, notamment que les animateurs étaient justifiés de tenir les propos qu'ils ont tenus parce qu'ils étaient soit basés sur des faits véridiques, soit sur une croyance honnête en la véracité de ces faits, et parce que les propos ont été tenus de bonne foi et dans l'intérêt public.
[116]Par lettre du 3 février 2004, le CRTC a répondu à la lettre du procureur de l'appelante du 16 janvier 2004 et au mémoire du 24 janvier 2004. Il a rejeté la demande de l'appelante de prévoir de 2 à 3 semaines d'audition pour lui permettre de présenter une défense pleine et entière. Il a expliqué que les déterminations de son personnel relatives aux plaintes ne sont qu'une opinion qui ne le lie pas.
[117]En ce qui a trait aux reproches que le CRTC ne dispose pas de la preuve relative au contexte où les propos reprochés furent tenus, le CRTC rappelle à l'appelante qu'il lui avait demandé de conserver les rubans-témoins des émissions en question et que c'est elle qui les a effacés. Il s'agissait d'ailleurs d'une condition de licence : voir le compendium du CRTC relatif au Dossier d'appel, vol. 1, onglet 3, annexe I, paragraphe 7. Il fait état d'une preuve secondaire de centaines de pages de notes sténographiques de la firme Verbatim qui constitue la meilleure preuve disponible dans les circonstances.
[118]Enfin, le CRTC informe l'appelante que, si elle considère que certains éléments devraient être pris en considération par le CRTC afin de compléter l'analyse des plaintes de M. Gillet, elle peut produire au dossier public ces renseignements additionnels. On lui octroie jusqu'au 10 février 2004 pour le faire. Aucun renseignement ne fut produit par l'appelante : voir le compendium du CRTC eu égard au Dossier d'appel, vol. 2, à l'onglet 38, la lettre du CRTC du 11 février 2004 ainsi que le paragraphe 3991 de la transcription des audiences du 18 février 2004.
[119]Le 18 février 2004 débutent les audiences du CRTC. Elles vont durer deux jours. À l'ouverture des audiences, l'appelante dépose un deuxième mémoire de 23 pages avec trois annexes d'approximativement 20 pages : ibid, onglet 41. À l'exception d'un argument relatif à la compétence du CRTC, ce deuxième mémoire reprend les points du premier mémoire sur lequel le CRTC a déjà adjugé.
[120]Suite à un échange préalable de correspondance entre le CRTC, l'appelante et ses procureurs, l'appelante informe le CRTC qu'à l'audience, son groupe participant se composera de trois personnes : M. Demers, l'actionnaire de contrôle et seul administrateur de l'appelante, Me Dion, le directeur du service juridique et Me Bertrand, le procureur retenu pour la défense de ses intérêts. Elle identifie également, dans la liste des personnes appuyant sa demande de renouvellement, 15 intervenants favorables que le CRTC est disposé à entendre.
[121]Au début de l'audience, le CRTC invite le procureur de l'appelante à s'addresser oralement aux cinq membres de la formation pour une durée de 15 minutes, selon la pratique habituelle du CRTC. Dans les faits, ce temps s'établira à 25 minutes : voir le Dossier d'appel, vol. 2, pages 199 à 209. Après ces représenta-tions du procureur de l'appelante, M. Demers fait une présentation orale de 20 minutes au cours de laquelle il insiste sur l'importance de la liberté d'expression et le fait que l'appelante a démontré qu'elle était une titulaire responsable qui a pris toutes les dispositions requises par le CRTC et est même allée au-delà de ce qui lui était demandé : ibid, aux pages 211 à 215.
[122]Il a remercié les quelques 7 000 auditeurs qui ont écrit au CRTC s'opposant à ce qu'il a appelé la censure de propos tenus sur les ondes. Il s'en est pris à son Code de déontologie, particulièrement à l'article 4 qu'il trouverait d'application subjective et, par conséquent, difficile. Il a terminé en soulignant l'importance et l'excellence de son format rock alternatif qui encourage le développement du rock en français et de jeunes artistes.
[123]Les présentations de Me Bertrand et de M. Demers furent suivies d'une intense période de questions-réponses. Les questions furent soumises à M. Demers par les membres de la formation, et tant M. Demers que Me Bertrand et Me Dion ont pu y répondre. L'audition s'est terminée par la présentation des intervenants.
[124]Voilà donc pour l'instant le résumé, un peu succinct j'en conviens, des procédures suivies devant le CRTC. Le temps est maintenant venu d'aborder les motifs d'appel.
Analyse des motifs d'appel
[125]Dans ses plaidoiries écrites et à l'audience, le procureur de l'appelante a regroupé les questions en litige sous trois blocs différents :
a) le bloc I qui porte sur la violation des principes de justice naturelle : il se rapporte à la question no 11;
b) le bloc II relatif aux questions intrajuridictionnelles relevant du droit administratif : il englobe les questions nos 2, 6, 7, 8, 9 et 10; et
c) le bloc III qui concerne les questions constitution-nelles et qui recoupe les questions nos 1, 4 et 5.
[126]Je note que la question no 3 n'apparaît dans aucun des trois blocs. Cependant, la nature de sa teneur (soit une déclaration de nullité de l'article 3 du Règlement et du Code de déontologie) indique qu'elle appartient au bloc III.
[127]À l'audience, certaines des questions soulevées au volumineux mémoire écrit de l'appelante n'ont pas été abordées directement ou substantiellement car soit qu'elles avaient une vocation plutôt subsidiaire, soit qu'elles recoupaient celles qui furent débattues. Je me concentrerai donc sur celles sur lesquelles l'appelante a insisté et qui constituent l'essence ou le fondement de son appel.
[128]Je crois qu'il est utile de commencer l'analyse des griefs d'appel en disposant de ceux qui, ostensiblement, n'ont pas ou que peu de mérite.
1. La compétence du Parlement de légiférer en matière de radiodiffusion |
[129]Initialement, l'appelante a remis en question le pouvoir du Parlement de légiférer sur le contenu de la radiodiffusion en invoquant les paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867, relatifs au partage des compétences. Selon elle, le CRTC a le pouvoir de réglementer la nature et le format, mais non le contenu particulier d'une émission. Par exemple, le CRTC pourrait autoriser une émission d'affaires publiques d'une heure, mais il n'a pas la compétence législative pour, et j'utilise l'expression de l'appelante, « censurer » le contenu de l'émission et les propos qui y sont tenus.
[130]En réplique, l'appelante a atténué sa position et explicité ce qu'elle voulait dire ou, plus exactement, ce qui devait être compris de ce qu'elle avait dit. Les programmations et les émissions ont souvent un contenu culturel et les provinces, particulièrement le Québec, ont un intérêt dans la culture et son développement, de sorte qu'il doit y avoir un partage des compétences. Il est intéressant de noter que, quoique dûment invité par l'appelante à intervenir dans les procédures et à participer au débat constitutionnel sur cette question de l'absence de compétence du Parlement ou d'un partage des compétences, le procureur général du Québec a décliné l'invitation.
[131]La prétention de l'appelante que le Parlement et, partant le CRTC, n'ont pas de compétence pour réglementer et surveiller le contenu des émissions est sans mérite et fait violence à l'intention législative et à l'interprétation jurisprudentielle qui fut faite de la Loi et des dispositions législatives relatives au partage des compétences. En d'autres termes, le pouvoir du Parlement de légiférer sur les contenus d'émissions de radiodiffusion émerge clairement de la Loi et surtout de la jurisprudence.
[132]Tout d'abord, la Loi définit au paragraphe 2(1) une « entreprise de programmation » comme une « [e]ntreprise de transmission d'émissions ». Toujours au même article, une « entreprise de radiodiffusion » s'entend d'une entreprise de programmation et donc d'une entreprise de transmission d'émissions. Le sous-alinéa 3(1)i )(iii) stipule que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion, (que le CRTC a l'obligation de mettre en oeuvre par la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion), la programmation offerte doit « renfermer des émissions éducatives et communautaires ». Comment savoir et s'assurer qu'une émission est éducative ou communautaire, et le demeure, sans vérifier et réglementer le contenu?
[133]En outre, « radiodiffusion » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi comme une transmission d'émissions. Réglementer et surveiller la radiodiffusion, c'est exercer un contrôle sur la transmission d'émissions. Or, l'alinéa 3(1)g) requiert que la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion soit de haute qualité. Comment peut-on dire qu'une programmation d'un diffuseur est de haute qualité si les émissions qu'elle contient et qui sont diffusées sont obscènes, pourries ou insignifiantes? Comment le CRTC peut-il contrôler la qualité de la programmation sans en examiner le contenu qui est composé d'émissions diffusées?
[134]Tel que déjà mentionné, l'article 3 renferme une foule d'objectifs pour la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion. Est-il raisonnable de penser que la politique canadienne de radiodiffusion ne s'adresse qu'au contenant, mais pas au contenu de la radiodiffusion? Je crois que le seul fait de poser la question équivaut à y répondre.
[135]Je pourrais m'ingénier à faire une démonstration plus complète de l'absence de mérite de cette proposition de l'appelante. Je pourrais passer en revue d'autres dispositions de la Loi, les prescriptions du Règlement et les divers Codes de déontologie adoptés par les entreprises de radiodiffusion qui, tous, témoignent d'une réglementation et surveillance du contenu des émissions.
[136]La jurisprudence est aussi claire que le pouvoir législatif du Parlement s'étend à la réglementation du contenu des émissions. Dans Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, à la page 162, le juge en chef Laskin écrit pour une Cour unanime :
Je suis donc certain que le pouvoir législatif fédéral s'étend à la réglementation de la réception de signaux de télévision provenant de l'extérieur du Canada et à la réglementation de la transmission de ces signaux à l'intérieur du Canada. Les-dits signaux transmettent des émissions qui parviennent en définitive aux téléspectateurs; il serait évidemment illogique de reconnaître cette portée à la compétence législative fédérale, mais de lui nier le pouvoir de réglementation corollaire, dès que les signaux sont interceptés et transmis aux téléspectateurs par des moyens techniques différents. La réglementation du contenu des émissions est inséparable de la réglementation de l'entreprise qui les reçoit et transmet, comme partie intégrante d'une opération globale. [Je souligne.]
[137]L'affaire CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2, aux pages 12 et 13 (voir aussi Re C.F.R.B. and Attorney-General for Canada (1973), 38 D.L.R. (3d) 335 (C.A. Ont.), à la page 340, permission d'appeler à la C.S.C. refusée le 13 novembre 1973), établit sans équivoque que la programmation inclut le contenu et que le contrôle de la qualité de la programmation inclut celui de son contenu :
En outre, la politique énoncée prévoit expressément que « la programmation de chaque radiodiffuseur devrait être de haute qualité. . . ». Avec égards, je ne puis souscrire à l'opinion du juge Dubin selon laquelle cette politique ne vise que le contenu de la programmation ou, autrement dit, les paroles diffusées sur les ondes.
[. . .]
À mon avis, il est évident qu'« une technique condamnable de radiodiffusion » peut effectivement nuire à la qualité de la programmation. Comme l'avocat de l'intimée, j'estime que le mot « programmation » n'englobe pas seulement les paroles diffusées sur les ondes, mais vise également toutes les étapes de la collecte d'informations, du montage et de la diffusion des émissions en général, auxquelles s'applique l'exigence d'une programmation de haute qualité. Le Conseil a fort bien pu considérer que l'al. 5k) du Règlement était nécessaire pour prévenir une baisse de qualité de la programmation. [Je souligne.]
Cette position prise par la Cour suprême quant à la réglementation du contenu fut réaffirmée dans la cause CRTC c. CTV Television Network Ltd. et autres, [1982] 1 R.C.S. 530, à la page 545 où le juge en chef Laskin écrivait :
L'arrêt CKOY repose sur d'autres considérations, mais en reconnaissant que les normes des émissions incluent le contenu des émissions, il ne fait que refléter l'interprétation large donnée à la Loi sur la radiodiffusion et aux pouvoirs qu'elle confère, aux art. 16 et 17 respectivement, au CRTC et au comité de direction. [Je souligne.]
[138]Ceci m'amène à conclure avec cette partie de l'argument de l'appelante que la compétence législative devrait être partagée, vu l'élément culturel important que l'on retrouve dans la politique de radiodiffusion.
[139]L'appelante nous demande de réexaminer cette jurisprudence antérieure, que j'ai citée, à la lumière de la Charte, des paragraphes 92(10), (13), (16) et l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que des principes constitutionnels sous-jacents suivants : le principe du fédéralisme, le principe de la démocratie, le principe du constitutionnalisme et de la primauté du droit et le principe de la protection des droits des minorités.
[140]Au soutien de cette demande, elle invoque la nécessité de protéger la nation québécoise contre toute forme d'ingérence, d'empiétement et d'envahissement par l'autorité fédérale dans ses champs de compétence. Je reproduis l'entête ainsi que les paragraphes 672 à 674 de son mémoire des faits et du droit :
LA NATION QUÉBÉCOISE DOIT ÊTRE PROTÉGÉE
CONTRE TOUTE FORME D'INGÉRENCE, D'EMPIÉTEMENT ET D'ENVAHISSEMENT PAR
L'AUTORITÉ FÉDÉRALE DANS SES CHAMPS DE
COMPÉTENCE
La Constitution qui comprend les principes constitutionnels sous-jacents appartient aux citoyens et c'est l'obligation des tribunaux de les protéger contre toute forme de législation qui porterait atteinte à leurs droits fondamentaux.
L'appelante soumet que, dans les circonstances, les tribunaux ont l'obligation de protéger et de soutenir la nation québécoise, non seulement dans toutes ses revendications culturelles et linguistiques, mais également dans ses droits découlant de la Constitution, particulièrement des par. 92.13, 92.16 et 93 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Tout doute dans l'interprétation de la Loi constitutionnelle de 1867 doit jouer en faveur de la minorité francophone au Canada et, particulièrement, en faveur du Québec, qui a toujours revendiqué des compétences en matière de culture et de communication.
[141]« La Constitution du Canada ne confère pas de pouvoir exprès sur la "culture" en tant que telle » : voir Bande Kitkatla c. Colombie Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, au paragraphe 51. Comme le mentionne le juge LeBel de la Cour suprême du Canada, les litiges constitutionnels en matière culturelle se sont généralement manifestés dans le contexte d'autres droits comme ceux concernant la langue et l'enseignement. La Cour fait mention du fait que le gouvernement fédéral intervient dans les activités culturelles du pays [au paragraphe 51] « par l'exercice de ses vastes pouvoirs sur les communications ». Elle conclut que « les questions culturelles doivent être analysées dans leur contexte, selon les sources pertinentes de compétence législative ».
[142]Avec respect, je ne crois pas que le litige dont nous sommes saisis, soit le non-renouvellement d'une licence pour défaut de se conformer à la Loi, au Règlement, à ses conditions de licence et à son Code de déontologie, soit le véhicule approprié, et en conséquence notre Cour le forum adéquat, pour redéfinir le partage des compétences entre l'autorité fédérale et les autorités provinciales à partir de l'élément culturel.
[143]En somme, l'argument de l'appelante relatif à l'absence de compétence du Parlement et du CRTC sur les contenus des émissions et à la nécessité de revoir le partage des compétences est en porte-à-faux dans le présent contexte et sans mérite.
2. L'allégation que le CRTC s'est illégalement posé en censeur du contenu des émissions de l'appelante |
[144]Compte tenu du pouvoir de réglementation et de surveillance du CRTC sur le contenu des émissions pour assurer la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion et de la validité constitutionnelle de ce pouvoir, il est faux de prétendre que le CRTC s'est illégalement posé en censeur du contenu des émissions de l'appelante.
[145]Lors du premier renouvellement de la licence de l'appelante, le CRTC a accepté, comme mesure de redressement proposée par l'appelante, le Code de déontologie qu'elle soumettait et qu'elle s'engageait à respecter. Les dispositions de ce Code émanant de l'appelante visaient le contenu des émissions et se voulaient une mesure de contrôle de ce contenu afin de s'assurer que sa programmation verbale soit de haute qualité. À l'occasion de la deuxième demande de renouvellement de licence, le CRTC n'a fait que vérifier dans quelle mesure l'appelante s'était conformée à son propre Code de déontologie et, par conséquent, avait respecté les conditions de sa licence de radiodiffusion. Il n'agissait pas alors comme censeur du contenu des émissions de l'appelante, mais bien comme organisme de contrôle du respect des normes législatives et réglementaires ainsi que du respect des engagements pris.
[146]Il est aussi inexact de dire qu'en se livrant à un examen des plaintes reçues contre l'appelante, le CRTC a outrepassé son mandat et s'est, en fait et en droit, érigé en censeur du contenu des émissions de l'appelante. Au plan légal, cette Cour a déjà indiqué dans l'affaire Arthur c. Canada (Procureur général), et j'y ai fait référence dans la section « Faits et procédures », qu'il est du devoir du CRTC, dans la fonction de réglementation et de surveillance qui lui a été confiée, d'examiner les plaintes portées à l'endroit de titulaires de licences. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler les conclusions auxquelles cette Cour en était venue et que l'on retrouve au paragraphe 27 de la décision :
De fait, il est inévitable que, dans le contexte du renouvellement d'une licence d'un titulaire, le CRTC soit sensible aux plaintes du public et à la réaction du titulaire de la licence à l'égard de ces plaintes qui allèguent un abus de droit. Le CRTC ne jouerait pas son rôle et abdiquerait ses responsabilités s'il était indifférent à l'intérêt public ou aux allégations qu'un titulaire de licence compromet, par ses faits et gestes, sa passivité ou sa tolérance excessives, l'intérêt public. Dans ce contexte du renouvellement d'une licence dans le meilleur intérêt public, il doit pouvoir faire état des abus dont se plaint le public et vérifier si le titulaire de la licence s'est conformé à la Loi, au Règlement, à ses conditions de licence ou aux engagements spécifiques qu'il a pu prendre. [Je souligne.]
[147]Dans les faits, il n'y eut pas de censure puisque les propos qui ont fait l'objet de plaintes ont été tenus et diffusés sur les ondes publiques. Ils n'ont été soumis à aucune autorisation préalable du CRTC avant diffusion, comme l'implique le sens moderne de la notion de censure : voir Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, Paris : 2000 où le sens moderne du terme est défini comme la nécessité d'obtenir une autorisation préalable de diffusion par rapport au sens vieilli du XVIe siècle qui, lui, véhiculait plutôt une notion de critique ou de blâme après coup des paroles prononcées; voir aussi Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 2000.
[148]Lors d'une suspension, d'une révocation ou d'un renouvellement de licence, le devoir de surveillance du CRTC implique une vérification de la qualité de la programmation et des émissions afin de déterminer si celles-ci rencontrent les standards fixés par la Loi, le Règlement, les Codes de déontologie et les conditions de licence. Il va de soi et sans dire qu'une telle vérification emporte une vérification des allégations ou plaintes que ces standards sont, par un titulaire de licence, dilués, dénaturés, ignorés ou bafoués. Dans un contexte de renouvellement, de suspension ou de révocation de licences, une telle vérification constitue une manifestation du pouvoir de contrôle et de surveillance du CRTC : voir National Indian Brotherhood c. Juneau (no 3), [1971] C.F. 498 (1re inst.), à la page 513. Un contrôle s'avérera-t-il démesuré ou arbitraire qu'il sera jugé pour ce qu'il est. Mais la nature même de la fonction n'en sera pas changée pour autant : elle en demeure une de contrôle et de régulation économique, assortie d'un régime de mesures et, si nécessaire, de sanctions pour l'atteinte des objectifs législatifs et réglementaires.
3. La violation des principes de justice naturelle, des règles d'équité procédurale et des Règles de procédure du CRTC |
[149]Il existe un débat en jurisprudence et chez les auteurs quant à savoir si les règles d'équité procédurale ne sont qu'une composante des principes de justice naturelle ou vice versa, ou s'il existe une distinction entre les deux. À l'origine, la distinction entre les deux était importante à cause de la différenciation que l'on faisait entre les décisions quasi-judiciaires et celles de nature administrative : voir Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
[150]Plus récemment, dans l'affaire Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 106, le juge Bastarache a rappelé les propos du juge Dickson [tel était alors son titre] dans l'arrêt Martineau, selon lesquels « tracer une distinction entre une obligation d'agir équitablement et celle d'agir selon les règles de justice naturelle conduit à un cadre conceptuel de maniement difficile ».
[151]Dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, on peut y lire au paragraphe 21 que les « exigences de l'équité procédurale--comprenant les exigences d'indépendance et d'impartialité--varient d'un tribunal à l'autre ».
[152]Ceci dit, il n'est pas nécessaire de trancher ce débat pour disposer des arguments de l'appelante. C'est pourquoi j'aborde les deux questions en même temps ainsi que celle de la violation par le CRTC de ses règles de procédure.
a) l'audition devant un tribunal indépendant et impar-tial |
[153]À l'audience devant nous, l'appelante a déploré le traitement qu'elle a reçu devant le CRTC, mais elle n'a soumis aucune preuve que l'organisme n'était ni indépendant, ni impartial, autre que le fait qu'elle jugeait que le délibéré de 35 minutes sur sa requête préliminaire était trop court et indiquait aux observateurs du processus que la décision était prise d'avance. Je ne porte pas de jugement sur le processus d'adjudication de cette requête préliminaire car le litige aujourd'hui a trait à la décision 271 refusant le renouvellement de la licence.
[154]La décision 271 est intervenue après un délibéré de près de cinq mois. Le CRTC y a aussi indiqué les motifs du rejet de la demande préliminaire. On peut être en désaccord avec ces motifs et le rejet de la demande et même en être déçu, mais on ne saurait, dans les circonstances, en inférer une preuve, encore moins, une conclusion de partialité.
b) le droit d'être entendu, l'équité procédurale et les Règles de procédure du CRTC |
[155]Les articles 32 à 34 des Règles de procédure du CRTC, énoncent qu'au cours d'une audience publique, les témoins peuvent être interrogés sous serment ou de toute autre manière que le CRTC peut prescrire. Ce dernier peut ordonner, s'il le juge opportun, que des mémoires écrits soient présentés par les parties à l'audience, en sus ou en remplacement de leur témoignage verbal. Des preuves peuvent être présentées à l'audience pour appuyer des affirmations faites dans une demande, intervention ou réplique ou pour appuyer des documents ou pièces justificatives au dossier.
[156]La nature et la portée de l'obligation pour un organisme administratif d'agir équitablement ou selon les principes de justice naturelle varient en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l'organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu'il est appelé à trancher : voir Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 82. Elles n'ont pas un contenu fixe sans égard à la nature du tribunal et aux contraintes institutionnelles auxquelles il est soumis : voir SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, à la page 324.
[157]Dans l'affaire Arthur c. Canada (Procureur général), au paragraphe 31, où, dans le contexte d'un renouvellement de licence, la question se posait de savoir s'il y avait eu un manquement aux règles d'équité procédurale à l'égard d'un employé d'un titulaire de licence, cette Cour décrit comme conforme aux règles d'équité procédurale la procédure suivante :
L'audience tenue par le CRTC portait sur le renouvellement de la licence du titulaire et non sur le demandeur. Le titulaire a été dûment convoqué à l'audience. Il a été informé des plaintes du public contre lui. Il a également été avisé dans l'avis d'audience 1998-7 que les plaintes portées contre la station CKVL seraient discutées lors de l'audience des interventions reçues. Il a fourni par écrit préalablement à l'audience, et oralement à l'audience même, les explications qu'il jugeait appropriées. Il a pu étaler les mesures qu'il entendait prendre pour produire une programmation de haute qualité qui respecte la Loi et les Règlements.
Cette procédure ci-haut décrite est exactement celle qui fut suivie en l'espèce. J'ai décrit, à la section « Faits et procédures », le déroulement des procédures devant le CRTC.
[158]En m'excusant au préalable pour certaines répétitions inévitables tout en m'efforçant de les limiter autant que faire se peut, je crois utile de reproduire, sous forme quelque peu schématique, la chronologie suivante des événements et de leur déroulement. À mon humble avis, elle témoigne du respect des principes de justice naturelle, des règles d'équité procédurale et des Règles de procédure du CRTC :
27 février 1997 : acquisition de la station radio par l'appelante
Période de 1999 à 2001 : 47 plaintes et 4 analyses de la programmation
Pendant cette période, le CRTC a reçu 47 plaintes au sujet de la programmation diffusée par CHOI-FM, plaintes qui peuvent être divisées en trois catégories principales : contenu verbal (propos ou langage offensants), concours offensants tenus en ondes et attaques personnelles/ harcèlement. |
L'appelante a eu l'occasion de répondre à chacune de ces plaintes. Elle fut avisée que les plaintes pourraient faire l'objet d'un examen subséquent par le CRTC à la lumière, entre autres, de sa condition de licence relative au Code d'application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision et de l'alinéa 3b) du Règlement. |
Durant la même période, le CRTC a procédé à quatre analyses de la programmation de la station pendant des périodes précises (du 7 au 13 mars 1999, du 2 au 8 juillet 2000, du 31 décembre 2000 au 6 janvier 2001 et du 21 au 27 janvier 2001). Les résultats de chaque analyse ont été communiqués à la titulaire, qui a eu l'occasion de les commenter. |
Les quatre analyses ont révélé des infractions de plusieurs sortes et ont soulevé des préoccupations pour le Conseil, entre autres, quant à la qualité du contenu verbal de la programmation, y compris la conformité de la titulaire aux alinéas 3b) et 3c) du Règlement. |
14 décembre 2001 : avis d'audience publique CRTC 2001-14
L'appelante fut mise au parfum des plaintes portées contre elle et informée qu'il en serait discuté lors de l'audience publique. |
18 février 2002 : début des audiences publiques à Québec
L'appelante soumit des représentations écrites et orales à ces audiences expliquant le contexte dans lequel les propos reprochés furent tenus et les mesures prises et qu'elle entendait prendre pour apporter des correctifs. |
16 juillet 2002 : renouvellement à court terme de la licence de l'appelante avec un certain nombre de conditions et mise en garde
L'appelante fut mise en garde que toute contravention aux conditions de licence, dont notamment au Code de déontologie, pourrait résulter en l'application d'autres mesures de coercition prévues par la Loi, dont la suspension ou la révocation de la licence. |
Période de 2002 à 2004 : 45 nouvelles plaintes
septembre/octobre 2002 : l'appelante devient membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR)
29 janvier 2003 : lettre du CRTC à l'appelante concernant la relation entre le CRTC et le CCRN
Dans cette lettre, le CRTC explique à l'appelante la relation qui existe entre lui et le CCRN relativement au traitement des plaintes. L'appelante est informée que le CCRN, et non le CRTC, est l'organisme responsable de l'analyse des plaintes pour les manquements au Code de déontologie. |
6 mars 2003 : lettre du CRTC à l'appelante suite à la réponse de cette dernière à une plainte d'un auditeur
Cette lettre mettait en garde l'appelante relativement à un bris de condition de licence et l'informait que la correspondance relativement à la plainte serait versée au dossier public pour discussion lors du prochain renouvellement de licence. |
Je reproduis les deux paragraphes de la lettre qui contenaient cette mise en garde et informaient l'appelante : |
En terminant, nous vous rappelons que le Code de déontologie vous a été imposé en conditions de licence lors de votre renouvellement de licence (décision de radiodiffusion CRTC 2002-189) et que toute contravention à ce Code pourrait alors constituer un bris de condition de licence. |
La correspondance relative à cette plainte sera versée au dossier public de CHOI-FM afin d'être consultée par toute personne intéressée et pour discussion subséquente par le Conseil lors de votre prochain renouvellement de licence. |
2 juin 2003 : lettre du CRTC à l'appelante relativement aux plaintes que l'appelante qualifie d'anonymes
Le CRTC informe l'appelante de sa position et de la manière qu'il traite les plaintes provenant d'adresses de courriel « hotmail ». Il porte à sa connaissance l'article 9 de ses Règles de procédure et l'informe qu'en vertu de cet article, le CRTC doit connaître le nom et l'adresse du plaignant afin qu'il soit informé de la réponse du titulaire de licence. L'appelante est notifiée qu'une plainte déposée au CRTC sous une adresse de courriel, incluant «hotmail » dont le message courriel comporte un nom, suffit pour identifier le plaignant. |
20 juin 2003 : lettre du CRTC à l'appelante concernant une incitation au piratage des signaux de télévision
L'appelante se voit rappeler qu'une licence est un privilège dont on ne peut abuser. |
Elle est également prévenue que des excuses ne suffisent pas à effacer une plainte et à blanchir le comportement à la base de cette plainte. |
On retrouve dans cette lettre les deux paragraphes suivants : |
Malgré que le personnel ait été d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans les circonstances, celui-ci tient à rappeler à la titulaire que la détention d'une licence est un privilège et non un droit et que ce privilège ne doit pas subir d'abus déraisonnable. Le personnel considère, de plus, que les animateurs et journalistes de CHOI-FM ne doivent pas tenir des propos inappropriés sur les ondes en se rassurant qu'ils seront disculpés par la suite du fait de leurs excuses. Les excuses ne sont pas à elles seules suffisantes pour déclarer qu'il n'y a pas lieu d'intervenir à la suite d'une plainte. |
7 octobre 2003 : demande de renouvellement de licence par l'appelante
Dans cette demande, l'appelante indique qu'elle estime s'être conformée à ses conditions de licence depuis son renouvellement de 2002. Elle mentionne au CRTC de ne pas s'inquiéter du contenu des 45 plaintes qu'il a reçues. |
Elle lui demande de modifier sa licence afin d'être relevée des conditions concernant le Code de déontologie, la nécessité d'avoir un Comité aviseur et de conserver les rubans-témoins durant 90 jours. |
18 décembre 2003 : avis d'audience publique
À cette occasion, l'appelante est avisée que 29 plaintes seront examinées lors de l'audience et que le personnel du CRTC estime que des infractions aux articles 2, 3, 6, 17 et 18 du Code de déontologie ont pu avoir été commises. |
L'appelante est aussi avertie des possibilités qu'une ordonnance en vertu de l'article 12 de la Loi soit émise contre elle ou que sa licence soit suspendue ou non-renouvelée en vertu des articles 24 et 9 de la Loi. Le texte de ces avertissements se lit : |
Le Conseil s'attend à ce que la titulaire démontre à cette audience les raisons pour lesquelles une ordonnance ne devrait pas être émise en vertu de l'article 12 de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi) obligeant la titulaire à se conformer au Règlement et à sa condition de licence qui l'oblige à respecter le Code de déontologie de CHOI-FM. |
Le Conseil s'attend également à ce que la titulaire démontre à l'audience les raisons pour lesquelles il ne devrait pas suspendre ou ne pas renouveler la licence, et ce en vertu des articles 24 et 9, respectivement, de la Loi. |
22 janvier 2004 : requête de l'appelante
L'appelante demande par requête écrite au CRTC de retirer du dossier les plaintes de M. R. Gillet ou de reporter l'audience. |
Elle demande une audience d'une durée de 2 à 3 semaines et elle produit un mémoire de 42 pages expliquant sa position, le contexte dans lequel les propos reprochés ont été tenus et en quoi ils sont justifiés et acceptables. |
3 février 2004 : lettre de 5 pages du CRTC rejetant la requête de l'appelante |
Cette lettre offre à l'appelante de faire des représentations additionnelles, si elle le désire, et lui donne jusqu'au 10 février pour s'exécuter. L'offre est demeurée sans réponse. |
18 au 20 février 2004 : audience publique sur le renouvellement de la licence [Je souligne.]
[159]L'appelante a présenté au début de l'audience une requête écrite déclinatoire de la compétence du CRTC pour traiter des plaintes, notamment celles de M. R. Gillet et de Cogeco Radio-Télévision inc. La requête reprenait aussi tous les éléments de celle du 22 janvier 2004 qui avait été rejetée par le CRTC.
[160]Tel que déjà mentionné, à l'audience, un second mémoire de 23 pages et 3 annexes d'environ 20 pages furent déposés par l'appelante.
[161]Le procureur et M. Demers, l'actionnaire principal et seul administrateur de l'appelante, se firent entendre chacun à leur tour. Et, rappelons-le, il s'ensuivit deux jours de discussion avec M. Demers, le procureur de l'appelante à l'audience, son directeur du service juridique et les intervenants, quant à l'opportunité de renouveler la licence de l'appelante et, dans l'affirmative, à quelles conditions.
[162]Comme on le verra au cours de l'analyse des prétentions de l'appelante, tous ses griefs relatifs aux manquements à la justice naturelle, à l'équité procédurale et aux Règles de procédure du CRTC convergent vers et reposent sur un seul postulat : l'appelante a droit à une défense pleine et entière et elle fut privée du temps et de l'occasion nécessaires pour la soumettre.
[163]En fait, l'appelante aurait voulu transformer l'audience publique sur le renouvellement de sa licence en un procès pénal où elle aurait pu contre-interroger des témoins et contester chaque plainte à son mérite en faisant entendre les animateurs ainsi que plusieurs témoins qui endossent les propos tenus. D'ailleurs, elle reproche au CRTC de ne pas avoir porté des accusations pénales contre elle, comme le permettent les articles 32 et 33 de la Loi, et en fait un grief indépendant d'appel que j'aurai l'opportunité de considérer au niveau de la hiérarchie des mesures de contrainte au respect de la Loi.
[164]Comme partie intégrante de sa défense pleine et entière, elle aurait voulu présenter une défense de vérité ou de croyance honnête en la vérité, c'est-à-dire établir que les propos relataient une vérité ou qu'elle croyait qu'il en était ainsi et, en conséquence, étaient justifiés.
[165]Le CRTC est maître de sa procédure. L'article 21 de la Loi lui permet d'établir les règles régissant l'instruction des affaires dont il est saisi, notamment la procédure applicable à la présentation de demandes de renouvellement de licences, la présentation des observations et des plaintes et le déroulement des audiences. Ce serait l'anarchie totale si chaque titulaire, à son gré, pouvait lui dicter celle qui lui convient. Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), au paragraphe 27, en rapport avec l'obligation d'équité procédurale, Madame la juge L'Heureux-Dubé réitère le principe applicable :
Cinquièmement, l'analyse des procédures requises par l'obligation d'équité devrait également prendre en considéra-tion et respecter les choix de procédure que l'organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l'organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances : Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7-66 à 7-70. Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l'organisme lui-même et à ses contraintes institutionnelles : IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier. [Je souligne.]
[166]Une audience publique sur le renouvellement d'une licence et la procédure qui la gouverne se situent dans un contexte de droit administratif et réglementaire où l'objet de l'exercice n'est pas de déterminer à des fins punitives si un titulaire a commis une ou des infractions, mais bien de voir si, dans l'intérêt public, du respect des valeurs de la Charte et pour la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion, il est opportun de continuer de fournir une fréquence radiophonique à un titulaire de licence. En l'espèce, la question se posait d'une manière plus criante à l'égard d'une titulaire à qui des conditions de licence avaient déjà été imposées lors d'un renouvellement antérieur parce qu'elle ne rencontrait ni ne respectait ces critères. Il s'agit à cette occasion d'apprécier le rendement global d'un titulaire : voir l'Avis public CRTC 1982-36, dont copie fut remise à l'appelante, intitulé Plaintes et dossiers d'examen public où l'objectif du traitement des plaintes est précisé, compendium du CRTC eu égard au Dossier d'appel, vol. 2, onglet 36. En d'autres termes, le but de l'audience publique n'est pas d'examiner les plaintes une à une pour déterminer si la titulaire a commis une infraction pénale, mais bien de traiter globalement des plaintes et de voir si, dans le contexte où les propos reprochés ont été tenus et répétés, il est opportun de renouveler une licence qui aurait pour effet de permettre la tenue de ces propos, de les avaliser et d'en faire, à toutes fins pratiques, la promotion sur les ondes radiophoniques.
[167]La procédure suivie par le CRTC prévoit que les plaintes sont analysées dans leur ensemble. L'appelante voudrait un procès sur chaque plainte avec droit d'appel afférent. Le CRTC traite 2000 licences de radiodiffusion et quelque 800 demandes de modification de licences par année. Il n'est pas besoin d'être visionnaire pour prévoir l'effet paralysant qu'entraînerait la procédure revendiquée par l'appelante. Plus un titulaire ferait l'objet de plaintes, plus il y aurait de procès et plus la décision sur l'opportunité ou non de renouveler la licence serait retardée en attendant une décision finale sur ces procès. Entre-temps, le titulaire, dont la licence aurait expiré par l'écoulement du temps, continuerait d'exploiter sa licence avec des sursis judiciaires comme c'est le cas présentement. Le même régime devrait alors être appliqué aux procédures de suspension ou de révocation d'une licence. Autant dire que ces mesures de contrainte du respect de la Loi, du Règlement, des conditions de licence et des autres valeurs de la Charte deviennent lettre morte.
[168]Je suis loin d'être convaincu, et il faut ici y voir un euphémisme par litote de ma part, que la façon de procéder du CRTC dans le traitement des plaintes lors d'un renouvellement de licence constitue un manquement aux règles de justice naturelle ou d'équité procédurale.
[169]Les faits qui sont à l'origine d'une plainte sont généralement admis par le titulaire de licence ou facilement établis et pratiquement incontestables à partir des rubans-témoins ou d'autres formes d'enregistrement et de conservation des propos tenus en ondes publiques. Dans ce contexte, je ne vois pas très bien ce que le droit au contre-interrogatoire, dont se réclame âprement l'appelante, pourrait bien apporter ou accomplir, surtout que les propos sont les siens et qu'elle les connaît. Elle peut toujours les rectifier si les allégations sont inexactes. On ne parle pas dans ce cas de contre-interrogatoire, mais de représentations et au besoin, si nécessaire, d'un témoignage de sa propre part les précisant. Il s'agit alors pour le CRTC de déterminer si ces faits ou ces propos rencontrent les exigences de la Loi, du Règlement, des conditions de licence ou des Codes de déontologie.
[170]Pour cela, le détenteur de licence est invité à expliquer en quoi et pourquoi ces faits ou ces propos, lorsque replacés dans leur contexte, ne sont pas, par exemple, des attaques personnelles dégradantes, des propos obscènes, diffamatoires, attentatoires à la vie privée ou à l'intégrité, ou qui risquent d'exposer à la haine ou au mépris une personne ou catégorie de personne pour des motifs discriminatoires prohibés par la Charte ou les Codes de déontologie. Il a tout le loisir d'exprimer son point de vue sur le contexte, la nature des propos, leur portée, la portée et la légalité des normes juridiques applicables, sa bonne foi, les efforts déployés pour respecter la Loi et autres dispositions légales.
[171]De fait, en l'espèce, c'est précisément l'exercice auquel l'appelante s'est livrée par écrit et oralement. Pour ce faire, elle a choisi de recourir au service de son président, de son procureur, de son directeur du service juridique et d'intervenants favorables.
[172]L'appelante tente de formuler un argument de droit pénal à partir de l'expression « état d'infraction présumé » que l'on retrouve dans l'Avis d'audience publique CRTC 2003-11 du 18 décembre 2003 où le CRTC dit constater « l'état d'infraction présumé de la titulaire de se conformer à l'article 3 du Règlement de 1986 sur la radio ». Il s'agit d'une formule type utilisée par le CRTC pour informer un titulaire de licence de la nature des infractions alléguées contre lui et du fait que cette question sera discutée lors de l'audience publique. Par exemple, lors de la première demande de renouvellement de licence par l'appelante, l'état d'infraction présumé portait sur les rubans-témoins. L'Avis d'audience publique du 14 décembre 2001 [CRTC 2001-14] indiquait : « Le Conseil constate l'état d'infraction présumé de la titulaire de se conformer au Règlement de 1986 sur la radio concernant la soumission des rubans-témoins ».
[173]La plaignante soumet que, par ce vocable, le CRTC l'a trouvée coupable et lui impose le fardeau de venir prouver le contraire, ce qui va à l'encontre des principes de la Charte et du droit criminel où l'accusé jouit de la présomption d'innocence et la poursuite assume le fardeau de la preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[174]C'est vraiment faire flèche de tout bois que de tenir un tel argument. J'en conviens, l'expression est malheureuse et devrait plutôt référer à un état d'infraction allégué. Ceci dit, il est évident, lorsque l'on replace l'expression dans son contexte, comme l'appelante demande qu'il soit fait lorsqu'il s'agit des propos qu'elle tient sur les ondes, que l'expression n'est pas un présumé verdict de culpabilité, ne transforme pas l'audience publique à venir en un procès pénal et ne fait pas de l'appelante une accusée investie de la charge de se disculper. Il s'agit d'une information dans un Avis public, destinée à mieux informer l'appelante pour qu'elle puisse se préparer adéquatement à une audition de nature administrative et réglementaire sur le renouvellement de son privilège. L'appelante n'y est pas une accusée et les règles régissant le fardeau de la preuve en matière pénale n'ont pas d'application en l'espèce. Il ne faut pas perdre de vue l'objet et la nature de l'audience publique : il s'agit d'une audition, à la demande de l'appelante, sur sa propre demande de renouvellement de sa licence de radiodiffusion.
[175]En conclusion, la procédure suivie par le CRTC n'est entachée d'aucun manquement aux principes de justice naturelle, aux règles d'équité procédurale et à ses règles de procédure. L'appelante fut amplement informée des enjeux et des reproches portés à son dossier. Elle fut mise en garde à plusieurs reprises quant au caractère dérogatoire de sa programmation verbale. Elle fut avisée des mesures possibles dont le non-renouvellement de sa licence. Elle fut invitée à s'expliquer selon les règles prévues par le CRTC et elle s'est prévalue de cette invitation en déposant des mémoires écrits, en se faisant entendre et en faisant entendre ses procureurs et des intervenants favorables. Elle n'a pas jugé opportun de se prévaloir de l'invitation qui lui fut faite par le CRTC dans sa lettre du 3 février 2004 de produire des informations additionnelles concernant l'analyse des plaintes produites par M. R. Gillet. La procédure suivie lors de cette deuxième demande de renouvellement fut la même que celle qui eût cours lors de la première demande de renouvellement et qui s'était soldée en faveur de l'appelante par un renouvellement de licence conditionnel. Une même procédure suivie pour un second renouvellement de licence impliquant la même problématique que le premier ne saurait être juste ou injuste selon que la conclusion, qui ultimement en résulte, est favorable ou défavorable à l'appelante.
Le CRTC a-t-il commis une erreur de droit ou juridictionnelle dans le choix de la mesure de contrainte du respect de la Loi et du Règlement?
[176]Le CRTC dispose d'un certain nombre de moyens ou de mesures pour faire respecter, par les titulaires de licences, la Loi, les règlements, ses décisions et ses ordonnances : l'émission de conditions d'exploitation de la licence octroyée (alinéas 9(1)b) et c)), la suspension et la révocation de la licence (alinéa 9(1)e)), l'émission d'ordonnances enjoignant le respect des obligations découlant de la Loi, de ses ordonnances, décisions ou règlements ou des licences attribuées ou interdisant de faire quoi que ce soit qui y contrevient (paragraphe 12(2)), le non-renouvellement de la licence (alinéa 9(1)d)), l'initiation de poursuites pénales (articles 32 et 33) et toute autre mesure qu'il estime nécessaire à l'exécution de sa mission (alinéa 10(1)k)).
[177]L'appelante a soumis à l'audience trois arguments pour établir que le CRTC avait soit commis des erreurs de droit dans l'exercice de sa compétence, soit refusé d'exercer celle-ci.
[178]Premièrement, en refusant de procéder au renouvellement de la licence de l'appelante, le CRTC n'aurait pas respecté le principe de la gradation des mesures. Il aurait dû renouveler la licence avec des conditions, émettre une ordonnance de se conformer à la Loi ou plutôt recourir aux poursuites pénales. Il ne pouvait, selon l'appelante, lui imposer la peine de mort comme il l'a fait en ne renouvelant pas sa licence.
[179]Deuxièmement, le CRTC ne s'est pas conformé à l'expectative raisonnable et légitime qu'il avait créée, soit celle de recourir au mécanisme de l'ordonnance prévu au paragraphe 12(2) de la Loi.
[180]Enfin, la mesure choisie était, selon l'appelante, d'une extrême sévérité et sans précédent. J'aborderai donc les arguments dans cet ordre.
1. La violation du principe de la gradation des mesures de contrainte |
[181]L'appelante a abordé la question en parlant du principe de la gradation des sentences et en nous référant à des principes du droit criminel et du droit disciplinaire. Avec respect, je ne crois pas que l'analogie soit appropriée et tout à fait exacte.
[182]Je suis d'accord avec les représentants du procureur général du Canada que la décision sur le non-renouvellement d'une licence ne peut, à proprement parler, être considérée comme une sanction disciplinaire ou pénale. Le contexte, faut-il le rappeler, est un contexte administratif et réglementaire où se pose la question de l'opportunité de renouveler une licence dans l'intérêt public. Dans ce contexte, le défaut de se conformer à une condition de licence imposée dans l'intérêt public, comme notre Cour l'a déjà reconnu, constitue une conduite qui peut justifier un refus de renouveler un permis sans que ce refus ne porte atteinte à la liberté d'expression ou à la Charte : voir CJMF-FM Ltée c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications--CRTC, [1984] A.C.F. no 244 (C.A.) (QL). Si on veut parler de sanction, il faut alors parler de sanction administrative et y appliquer le régime juridique approprié qui, on le sait, est différent du régime juridique applicable aux sanctions pénales ou disciplinaires.
[183]Dans l'affaire 2636-5205 Québec Inc. (Re), [1993] R.J.Q. 2522 (C.A.), où l'appelante fut sommée de se présenter devant la Commission des transports du Québec afin de justifier le renouvellement de ses permis de transport, la Cour d'appel du Québec, aux pages 2542, 2560 et 2561, rappelle, comme nous l'avons fait dans l'affaire CJMF-FM Ltée, qu'un détenteur doit toujours respecter les conditions d'émission et d'exploitation de son permis.
[184]De plus, en réponse à l'argument de l'appelante que d'autres sanctions moins coûteuses pour elle auraient dû être imposées, la Cour, dans un premier temps réitère l'importance du fait que le législateur a délégué à la Commission « la responsabilité de juger, à l'exclusion de tous autres tribunaux ou organismes, des besoins du public et de la manière d'y répondre » : idem, à la page 2548.
[185]Puis, s'adressant à la question du choix de la mesure par la Commission, elle écrit à la page 2548 :
La question n'est pas de savoir si d'autres sanctions auraient pu être imposées mais de savoir si celle qui a été imposée par les commissaires en est une que prévoit la loi.
Ayant jugé en fait que l'appelante avait sans autorisation préalable cessé de donner elle-même les services prévus à ses permis, la Commission a jugé que l'appelante ne méritait plus sa confiance comme transporteur desservant cette région et a révoqué ses permis.
La loi prévoit pareille sanction. Notre cour n'a pas le pouvoir d'apprécier la justesse de la sanction comme en matière criminelle. [Je souligne.]
[186]De même, dans la cause impliquant la 2620-5443 Québec Inc. c. Québec (Régie des alcools, des courses et des jeux), [1997] R.J.Q. 2059 (C.A.), où le permis d'alcool de la titulaire fut révoqué pour non-respect de la tranquilité publique, la Cour d'appel du Québec rejeta la prétention de la titulaire de permis que la décision de la Régie de révoquer son permis violait le principe de la gradation des sentences, lequel exigerait que l'utilisation du pouvoir de révocation ou de suspension d'un permis ne se fasse qu'en cas de nécessité extrême. À la page 2064, après avoir critiqué l'approche du juge de première instance de s'être livré à une comparaison des diverses sanctions imposées dans un certain nombre d'affaires, la Cour écrit que « toute différence de sanctions entre les affaires est tributaire des faits de chaque espèce; et l'appréciation de ces faits par le tribunal spécialisé relève d'abord et avant tout de sa discrétion ».
[187]Je suis d'accord avec ces conclusions de la Cour d'appel du Québec. À partir du moment où la mesure administrative retenue en est une autorisée par le législateur, il n'appartient pas à cette Cour de s'immiscer dans la justesse et l'à-propos de la mesure prise et encore moins de se prononcer sur le mérite et l'opportunité de choisir celle-ci plutôt qu'une autre et vice versa. Tout au plus la Cour peut s'assurer que, dans l'exercice de la discrétion, le CRTC a considéré les facteurs pertinents, sans y ajouter des facteurs non pertinents. L'exercice même de pondération de ces facteurs, qui généralement relèvent du champ d'expertise du CRTC, appartient à ce dernier. « Il n'est pas habituellement du ressort de la cour siégeant en révision de substituer son opinion sur l'importance relative à accorder aux divers aspects pris en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'opinion du tribunal administratif spécialisé que le législateur a investi de ce pouvoir » : Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2004] 2 F.C.R. 42 (C.A.F.), au paragraphe 14 (par le juge d'appel Evans).
[188]Même en droit disciplinaire auquel l'appelante nous réfère, le principe demeure que la sanction disciplinaire appropriée est celle qui est justifiée par les faits et les circonstances de l'espèce. Ces faits commandent-ils un retrait du permis d'opérer plutôt qu'une simple suspension qu'il n'y a aucune violation de la loi à l'imposer. Ainsi, dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, où l'avocat Ryan fut radié du Barreau par un comité de discipline du Barreau, la Cour suprême écrit au paragraphe 59 :
Il n'y a rien de déraisonnable à ce que le comité de discipline ait choisi de radier un avocat dont la conduite constituait une dérogation inacceptable aux règles de déontologie et avait pour effet de saper la confiance du public dans les institutions juridiques fondamentales.
[189]L'argument de l'appelante n'a pas de fondement juridique dans le présent contexte et doit être rejeté.
2. L'expectative raisonnable et légitime quant à la mesure de contrainte qui serait appliquée et l'omission d'y donner suite |
[190]L'appelante soumet que le CRTC, par l'Avis d'audience CRTC 2003-11 du 18 décembre 2003 et particulièrement par la Circulaire no 444 du 7 mai 2001, lui a laissé croire que la mesure appropriée dans son cas serait un renouvellement de licence, accompagné d'une ordonnance de se conformer à la Loi, au Règlement et à son Code de déontologie.
[191]Il est bien connu que la doctrine de l'attente raisonnable est d'ordre procédural et ne crée pas de droits fondamentaux : elle n'est que le prolongement des principes de justice naturelle et des règles de l'équité procédurale : voir Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1204; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249. « Elle peut donner lieu au droit de faire des observations, au droit d'être consulté et peut-être, si les circonstances l'exigent, à des droits procéduraux plus étendus. Mais autrement elle n'entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal de façon à entraîner un résultat particulier » (je souligne). Voir Moreau-Bérubé, au paragraphe 78. L'expectative ne doit pas entrer en conflit avec le mandat légal de l'autorité publique et la doctrine ne permet pas d'obtenir une réparation substantielle : voir Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281, aux paragraphes 29, 32 et 38.
[192]Dans le cas qui nous occupe, le choix de la mesure de contrainte appartient à l'organisme de contrôle et il est discrétionnaire : voir l'article 9 de la Loi. La doctrine de l'attente raisonnable ne peut donc le contraindre à renouveler une licence avec, au soutien, ordonnance de se conformer à la loi. Cela suffirait pour disposer de l'argument de l'appelante. Mais il y a plus.
[193]Pour que la doctrine joue, il faut que la conduite de l'organisme dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire « y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites » ait fait naître chez le plaignant l'expectative raisonnable qu'il conservera un avantage ou qu'il sera consulté avant que soit rendue une décision contraire (je souligne) : voir S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 131. En outre, « [p]our être "légitime", une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi ».
[194]En l'espèce, je ne crois pas qu'il soit possible de conclure que, par ses pratiques, sa conduite, et ses affirmations, le CRTC ait pu raisonnablement amener l'appelante à croire qu'elle conserverait sa licence. Au contraire.
[195]L'Avis d'audience publique du 18 décembre 2003, que l'appelante invoque au soutien de sa prétention, est bien loin de créer l'expectative raisonnable dont elle se réclame. Au mieux pour elle, l'Avis est ambigu et ne contient pas d'affirmation claire, nette et précise que l'appelante conservera sa licence, mais se verra émettre une ordonnance de se conformer à la loi. Au pire, il indique clairement, nettement et précisément que toutes les options sont ouvertes quant aux mesures de contrainte. Voyons ce que contient cet Avis.
[196]Dans un premier temps, l'Avis fait une référence explicite à la décision du CRTC portant sur le premier renouvellement de la licence de l'appelante où le CRTC informe celle-ci qu'en cas de contravention future, soit au Règlement ou aux conditions de licence, il pourrait la convoquer à une audience publique « afin qu'elle justifie les raisons pour lesquelles il ne devrait pas émettre une telle ordonnance ou recourir aux mesures d'exécution à sa disposition, dont la suspension ou la révocation de la licence » (je souligne) : voir le compendium du CRTC eu égard au Dossier d'appel, vol. 1, onglet 19.
[197]Après avoir mentionné à l'appelante les nombreuses plaintes reçues concernant le contenu verbal de sa programmation et lui avoir indiqué qu'il semblait y avoir eu violation de l'article 3 du Règlement et des articles 2, 3, 6, 17 et 18 de son Code de déontologie, l'Avis contient les deux paragraphes suivants :
Le Conseil s'attend à ce que la titulaire démontre à cette audience les raisons pour lesquelles une ordonnance ne devrait pas être émise en vertu de l'article 12 de la Loi sur la Radiodiffusion (la Loi) obligeant la titulaire à se conformer au Règlement et à sa condition de licence qui l'oblige à respecter le Code de déontologie de CHOI-FM.
Le Conseil s'attend également à ce que la titulaire démontre à l'audience les raisons pour lesquelles il ne devrait pas suspendre ou ne pas renouveler la licence, et ce en vertu des articles 24 et 9, respectivement, de la Loi. [Je souligne.]
[198]À l'audience publique, l'appelant fut, en conformité avec l'Avis, invité à discuter du non-renouvellement compte tenu des violations à la Loi, au Règlement et à ses conditions de licence.
[199]Il ne faut pas oublier que l'audition avait lieu suite à la demande de renouvellement par l'appelante de sa licence de radiodiffusion. Déjà, en soi la question du non-renouvellement était à l'ordre du jour de l'audience puisque le pouvoir discrétionnaire de renouveler emporte celui de ne pas renouveler.
[200]La circulaire no 444 est une directive ou information d'ordre général quant aux pratiques relatives à la non-conformité d'une station de radio. Datée du 7 mai 2001, elle est destinée à tous les titulaires d'entreprise de programmation radiophonique. Je la reproduis pour fin de consultation et d'analyse en en soulignant certains passages :
CIRCULAIRE No 444
Ottawa, le 7 mai 2001
À toutes les titulaires d'entreprises de programmation radiophonique
Pratiques relatives à la non-conformité d'une station de radio
Le Conseil traite chaque année de nombreuses demandes de renouvellement de licence, dont plusieurs sont présentées par des stations de radio. Cette circulaire explique comment le Conseil traite les demandes de renouvellement des stations de radio qui semblent ne pas avoir respecté les exigences de conformité aux dispositions de la Loi sur la Radiodiffusion, du Règlement de 1986 sur la radio ou à leurs conditions de licence.
1. C'est en se basant sur les plaintes reçues ou sur les vérifications de son programme de surveillance que le Conseil évalue la conformité d'une titulaire de licence de radio aux exigences de la Loi sur la Radiodiffusion (la Loi), du Règlement de 1986 sur la radio (le Règlement) et de ses conditions de licence. Le dossier de conformité de chaque station pour sa période de licence est habituellement examiné par le Conseil au moment du renouvellement. Lorsque l'exploitation d'une station s'avère conforme, le Conseil renouvelle normalement la licence pour une période [sic] 7 ans, sous réserve de son plan de renouvellement de licences sur une base régionale et de considérations relatives au volume de travail.
2. Les questions de non-conformité les plus courantes concernent les rubans-témoins, le volume de musique canadienne diffusée et, pour les stations de langue française, le nombre de pièces de musique vocale de langue française. Les exigences relatives aux rubans-témoins sont énoncées aux articles 8(5) et 8(6) du Règlement tandis que celles ayant trait au volume de musique canadienne et de pièces de langue française se trouvent à l'article 2. Cependant, il se peut que certaines stations ne se conforment pas à d'autres types d'exigences.
3. Lorsque le Conseil procède à l'analyse d'une station, il lui offre la possibilité de commenter par écrit les résultats préliminaires. Lors de la première non-conformité apparente, le Conseil note cette constatation dans l'avis public sollicitant les observations du public sur le renouvellement de licence de la station en question. La titulaire ayant déjà eu l'occasion de répondre par écrit aux constatations de non-conformité et d'exposer les mesures à prendre pour corriger la situation, la titulaire n'a généralement pas à se présenter à l'audience publique. Elle obtient habituellement un renouvellement à court terme, de quatre ans en général, qui permet de vérifier à nouveau sa conformité dans un délai raisonnable.
4. La procédure est différente lorsqu'une titulaire a déjà obtenu un renouvellement de licence à court terme pour non-conformité lors de sa période de licence précédente, et que l'on constate à nouveau une non-conformité apparente, ou qu'une titulaire est présumée en non-conformité à deux reprises au cours de la même période de licence. Dans de telles situations, l'avis d'audience publique sollicitant les observations du public sur le renouvellement de la licence mentionne la nature de la non-conformité et précise généralement que la titulaire doit faire la preuve qu'une ordonnance en vertu de l'article 12(2) de la Loi n'est pas nécessaire. De façon générale, la titulaire est également appelée à comparaître à l'audience pour discuter du problème.
5. Suivant la preuve dont il dispose, le Conseil peut émettre une ordonnance commandant de se conformer à toute exigence ayant déjà fait l'objet d'une procédure de non-conformité apparente. Une ordonnance peut devenir une ordonnance de la Cour fédérale ou d'une cour supérieure d'une province lorsque le Conseil dépose l'ordonnance auprès de la Cour. L'ordonnance devient alors exécutoire au même titre que toute ordonnance de la Cour. Selon les Règles de la Cour fédérale, celui qui désobéit à une ordonnance de la Cour est passible d'accusation d'outrage au tribunal et d'une amende.
6. Si le Conseil est satisfait des mesures prises par la titulaire, et confiant qu'il n'y aura pas récidive de non-conformité, il n'impose généralement pas d'ordonnance mais renouvelle la licence pour une période maximale de deux ans. Si le Conseil n'est pas convaincu que la titulaire a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter de se placer une nouvelle fois en situation de non-conformité, et s'il croit qu'un renouvellement à court terme ne servirait pas à corriger la situation de non-conformité, il peut alors émettre une ordonnance.
Secrétaire général [Je souligne.]
[201]La circulaire No. 444 indique de façon générale le processus suivi lorsqu'une station radio ne se conforme pas aux exigences de la loi et de la réglementation. Elle ne vise pas à solutionner les cas individuels. Elle n'a pas pour effet de lier l'exercice de la discrétion que le CRTC possède dans le choix des mesures de contrainte pour assurer la mise en oeuvre de la politique canadienne de radiodiffusion. L'article 6 de la Loi prévoit expressément que le CRTC n'est pas lié par les directives qu'il émet :
6. Le Conseil peut à tout moment formuler des directives--sans pour autant être lié par celles-ci--sur toute question relevant de sa compétence au titre de la présente loi.
[202]Si cette circulaire générale de 2001 a pu, par sa généralité, créer un doute dans l'esprit de l'appelante, voire une expectative légitime d'une traitement favorable lors du renouvellement, je crois que l'Avis d'audience publique et les échanges entre l'appelante et le CRTC, avant et pendant l'audition, auraient dû dissiper ce doute et indiquer à l'appelante que son expectative n'était ni légitime ni raisonnable dans les circonstances. Il faut faire preuve d'une grande naïveté pour croire que la possibilité d'un non-renouvellement de licence n'est pas une option envisagée et envisageable lorsqu'un premier renouvellement fut pour un court terme (deux ans au lieu de sept ans) pour assurer le respect du régime réglementaire et vérifier la conformité du titulaire dans un délai raisonnable, lorsque ce premier renouvellement a fait l'objet de conditions importantes de licence, lorsqu'on s'est vu imposer un Comité aviseur et un Code de déontologie, lorsqu'on a accumulé dans l'année et demie qui a suivi 47 nouvelles plaintes et lorsqu'on a été informé plus d'une fois que le non-renouvellement était une option envisagée.
[203]La prétention de l'appelante qu'elle croyait en l'existence d'une expectative raisonnable d'une licence renouvelée avec l'ordonnance est sans fondement factuel et juridique.
3. Une mesure sans précédent et d'extrême sévérité |
[204]Il est faux de dire que le non-renouvellement de la licence de l'appelante est une mesure sans précédent. Les décisions suivantes représentent des cas où le CRTC n'a pas, dans l'intérêt public, renouvelé la licence d'un diffuseur: CJMF-FM Ltée, CRTC 84-209, confirmée par notre Cour [1984] A.C.F. no 244; Coaticook FM Inc., CRTC 87-756; Communications communautaires des Portages, CRTC 87-754; Félicien Messier, faisant affaires sous les noms et les raisons sociales de « Cablo-Vision Saint François-Xavier-des Hauteurs Enr. » et « Cablo-Vision Saint-Valérien Enr. », CRTC 91-610; Fundy Broadcasting Co. Limited, CRTC 77-148; Radio communautaire du Bas St-Laurent, CRTC 87-753; et Riverport Satellite T.V. Limited, CRTC 95-296. Il est vrai que les cas ne sont pas nombreux, mais ils témoignent de deux choses : que les entreprises de radiodiffusion agissent en règle générale d'une manière responsable et que le CRTC exerce cette mesure de contrainte avec parcimonie, lorsque l'intérêt public le commande et que les autres mesures s'avèrent inefficaces.
[205]Le procureur de l'appelante a comparé, au plan de la sévérité, le non-renouvellement de la licence de l'appelante à une sentence de mort. L'image est frappante, mais la réalité factuelle et juridique est un peu différente.
[206]Juridiquement, je l'ai déjà mentionné, la licence de l'appelante était une licence à terme et l'appelante n'avait pas de droit acquis au renouvellement, surtout dans les circonstances.
[207]Factuellement, le terme est échu et la licence a pris fin. Un non-renouvellement dans ces circonstances signifie que la fréquence radiophonique devient disponible et sera offerte sur le marché. L'appelante n'est pas exclue du processus d'offre qui normalement s'ensuit. Si elle offre les garanties nécessaires, elle peut se voir attribuer à nouveau la licence.
[208]Il ne fait pas de doute que la décision de ne pas renouveler une licence est une mesure sérieuse et génératrice d'inconvénients. Toutefois, la question pour le CRTC n'était pas de savoir si la décision aurait des conséquences fâcheuses pour l'appelante, mais bien de savoir si elle était appropriée et justifiée dans les circonstances.
[209]Le temps est maintenant venu de se pencher sur le coeur de la question en litige, soit l'exercice par le CRTC de sa discrétion, afin de déterminer si elle fut exercée judiciairement.
Le CRTC a-t-il exercé judiciairement sa discrétion?
1. L'absence d'erreur de droit dans la prise en compte des facteurs pertinents à l'exercice de la discrétion |
[210]Une analyse de la décision du CRTC révèle que l'organisme a scrupuleusement examiné et soupesé tous les facteurs qu'il jugeait pertinents à une prise de décision sur un renouvellement de licence. Je les ai énumérés au tout début des présents motifs ainsi que dans la partie qui traite de la décision 271. Je n'ai pas l'intention de les reprendre.
[211]L'appelante n'a pas nié que ces facteurs étaient pertinents. Elle aurait voulu qu'un poids différent leur soit accordé, mais elle n'a pu démontrer que le CRTC avait commis quelque erreur de droit dans l'exercice de pondération auquel il s'est livré. De même, elle n'a pu identifier quelques facteurs pertinents que le CRTC aurait omis de prendre en considération et qui auraient affecté sa prise de décision et sa décision.
[212]Comme on peut le lire dans les conclusions et les motifs de sa décision, le CRTC s'est aussi attardé avec soin au choix de la mesure, le peu d'efficacité de celles retenues lors du premier renouvellement, l'attitude de l'appelante et la gravité et la fréquence des infractions relevées, pour ne rappeler que quelques-uns des considérants. Encore là, l'appelante ne peut rien lui reprocher, sauf la question du poids à accorder aux facteurs retenus. Il s'agit là du champ d'expertise du CRTC qui commande une déférence de notre part.
[213]Ceci dit, il y a lieu de considérer, dans ce contexte, l'argument de l'appelante que l'alinéa 3b) du Règlement est inconstitutionnel et que la décision 271 est aussi inconstitutionnelle.
2. La nullité de l'alinéa 3b) du Règlement et l'impact de cette nullité sur la décision 271 |
[214]L'alinéa 3b) du Règlement impose une restric-tion quant à la diffusion de propos offensants, incitatifs à la haine ou au mépris pour des motifs interdits reliés à la discrimination. Pour plus d'exactitude, je reproduis le texte intégral de l'alinéa :
3. Il est interdit au titulaire de diffuser :
a) quoi que ce soit qui est contraire à la loi;
b) des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale;
[215]L'appelante demande que l'alinéa 3b) soit déclaré nul et sans effet parce que brimant la liberté d'expression prévue à l'alinéa 2b) de la Charte.
[216]L'appelante demande également que son propre Code de déontologie soit aussi déclaré nul et sans effet. Il s'agit du Code qu'elle a élaboré et qu'elle s'est engagée à respecter lors de son premier renouvellement de licence. Le CRTC en a fait une condition de licence. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décider cette question. La licence de l'appelante a pris fin et dans la mesure où le Code fut fait une condition de licence, elle a aussi pris fin avec la licence, sauf pour la durée des présentes procédures conformément à l'ordonnance de cette Cour. Si l'affaire devait être retournée au CRTC pour une nouvelle adjudication sur la question du renouvellement, il appartiendra au CRTC de prendre une décision sur l'imposition ou non d'un Code de déontologie et d'en déterminer le contenu.
[217]Avec respect, je ne crois pas qu'il soit possible de conclure à un exercice non-judiciaire par le CRTC de sa discrétion de ne pas renouveler la licence de l'appelante, même si je devais déclarer l'alinéa 3b) inconstitutionnel.
[218]En effet, le CRTC a conclu à des violations par l'appelante des articles 2, 3, 6, 17 et 18 de son Code de déontologie. Par l'article 2 de ce Code, l'appelante prenait l'engagement de mettre tout en oeuvre pour que sa programmation soit de haute qualité et non incitative à la haine et au mépris. Elle reconnaissait le droit au respect de la vie privée (article 3). Elle s'engageait à ce qu'un animateur ou un journaliste n'utilisent pas les ondes pour diriger des attaques personnelles (article 6). Elle convenait que les participants à une émission ou à une tribune téléphonique, les personnalités publiques, les auditeurs et les groupes ou organismes formels ou informels ont droit au respect et ne doivent pas être harcelés, ni insultés, ni ridiculisés (article 17). Enfin, elle reconnaissait que l'utilisation de propos grossiers ou vulgaires n'ont pas leur place dans la programmation (article 18).
[219]Tel que déjà mentionné, le respect de ce Code devint une condition d'exploitation de la licence qui ne fut point respectée. Le non-respect d'une condition de licence est une conduite pouvant justifier le non-renouvellement d'un permis de radiodiffusion sans qu'il n'en résulte pour autant une atteinte à la liberté d'expression et une violation de la Charte : voir CJMF-FM Ltée c. Canada. Car conclure qu'il en résulte en pareil cas une atteinte à la liberté d'expression ou une violation de la Charte conduirait à des renouvellements forcés ou automatiques de licences, même en présence de violations flagrantes des politiques et des objectifs de la Loi ou des autres droits protégés par la Charte.
[220]En somme, la décision 271 du CRTC repose sur un certain nombre de constats quant au comportement de l'appelante et aux mesures qui devaient assurer sa conformité au régime réglementaire : l'inefficacité et la servilité de son Comité aviseur, une violation de la Loi et des Codes de déontologie quant à la qualité de la programmation verbale, une violation des droits à la vie privée et à la dignité humaine garantis par la Charte et les Codes de déontologie, une violation des droits à l'intégrité psychologique et à la réputation aussi garantis par la Charte, des attaques personnelles injustifiées, des insultes et des propos vulgaires et grossiers en contravention des conditions de licence. Même si l'on exclut de la décision la prise en compte de l'alinéa 3b) du Règlement et en admettant même pour les fins du débat qu'il s'agissait d'une erreur de référer à cet alinéa, cette erreur n'affecte aucunement la décision dans son ensemble et ne peut justifier une intervention de notre part : voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, à la page 270.
[221]L'appelante fait grand état de la liberté d'expression reconnue à l'alinéa 2b) de la Charte et semble vouloir lui octroyer un absolutisme que les tribunaux ne lui ont jamais reconnu. Je ne crois pas me tromper en affirmant que liberté d'expression, liberté d'opinion et liberté de parole ne veulent pas dire liberté de diffamation, liberté d'oppression et liberté d'opprobre. Je ne crois pas non plus me tromper en affirmant que le droit à la liberté d'expression reconnu à la Charte n'exige pas de l'État ou du CRTC qu'ils se rendent complices ou promoteurs de propos diffamatoires, de violations des droits à la vie privée, à l'intégrité, à la dignité humaine et à la réputation en les obligeant à émettre une licence de radiodiffusion utilisée à ces fins. Accepter la proposition de l'appelante, c'est se servir de la Charte pour faire de l'État ou de ses organismes un instrument d'oppression ou de violation des droits individuels à la dignité humaine, à la vie privée et à l'intégrité au nom de la rentabilité commerciale d'une entreprise.
[222]Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu quant à l'absence d'impact de l'alinéa 3b) du Règlement sur la décision 271, il n'est pas nécessaire de statuer sur la constitutionnalité de ce dernier.
3. L'invalidité constitutionnelle de la décision 271 |
[223]L'argument de l'appelante que la décision 271 du CRTC est constitutionnellement invalide m'apparaît sans mérite, essentiellement pour les raisons exprimées aux paragraphes précédents.
[224]Le CRTC a exercé sa discrétion à l'intérieur des paramètres des articles 9 et 3 de la Loi. Je suis satisfait que cet exercice de discrétion ne va pas au-delà des restrictions à la liberté d'expression que ces deux dispositions législatives elles-mêmes peuvent constitutionnellement y apporter dans les limites de l'article premier de la Charte : voir Slaight Communications Inc., à la page 1081. Cette conclusion est aussi compatible avec celle de notre Cour dans l'affaire CJMF-FM Ltée.
Conclusion
[225]L'appelante a tenté, mais en vain, de démontrer que le CRTC n'a pas exercé judiciairement la discrétion qu'il possède en matière de renouvellement de licence. Elle n'a pu établir un manquement aux principes de justice naturelle, aux normes d'équité procédurale et à ses règles de procédure qui constituerait une erreur de droit justifiant notre intervention. Il lui a aussi été impossible de faire la preuve d'une erreur juridiction-nelle ou d'une erreur de droit matérielle faisant en sorte que la décision 271 sur le non-renouvellement soit déraisonnable et nécessitant qu'elle soit annulée.
[226]En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens en faveur du procureur général du Canada, mais sans dépens en faveur ou contre les intervenantes. J'inclurais à cette fin le CRTC dans la catégorie des intervenantes même s'il fut poursuivi comme partie par l'appelante.
La remise en circuit du respirateur judiciaire
[227]Il me reste maintenant à examiner la question de la remise en circuit du respirateur judiciaire qui permettait à l'appelante d'exploiter sa station de radiodiffusion pendant la durée de l'appel jusqu'à ce que jugement soit rendu par cette Cour.
[228]À l'audience, la question fut posée aux parties quant à l'opportunité de brancher à nouveau le respirateur judiciaire dans l'hypothèse où l'appel serait rejeté et l'appelante désirerait en appeler à la Cour suprême du Canada. Évidemment, l'appelante a demandé que sa licence judiciaire soit prolongée. Pour leur part, les intimés préféraient prendre connaissance du jugement et des motifs avant d'établir et de faire connaître leur position. Je crois qu'il s'agit là d'une préférence légitime. De toute façon, aucun accord n'était à ce moment possible quant à la durée de cette prolongation, en admettant qu'il était opportun d'octroyer une telle prolongation.
[229]Si, une fois qu'elles ont pris connaissance du jugement, l'appelante et le procureur général du Canada devaient s'entendre sur la question de la prolongation et sa durée, l'appelante pourrait, dans les 20 jours de la date où elle a eu connaissance du jugement, présenter à la Cour, par lettre adressée au registraire de la Cour d'appel fédérale, à Ottawa, une demande de prolonga-tion selon les termes du consentement et y joindre ledit consentement. Il est bien entendu que la Cour n'est pas liée par une demande faite de consentement et peut la refuser ou en modifier les termes.
[230]Dans le cas où il n'y aurait pas d'entente entre l'appelante et le procureur général du Canada, j'ordonnerais que l'appelante, si elle désire obtenir une prolongation de sa licence judiciaire, signifie et dépose, dans les 20 jours de la date où elle a connaissance du présent jugement, une requête écrite à cette fin. La requête doit être signifiée au procureur général du Canada.
[231]À l'instar des principes applicables en matière de sursis d'exécution d'un jugement, l'appelante devrait établir que sa demande de permission d'appeler à la Cour suprême du Canada soulève une question sérieuse à trancher, qu'elle subira un préjudice irréparable qui ne peut être compensé en argent s'il n'y a pas de prolongation et que la balance des inconvénients penche en sa faveur.
[232]Dans les 20 jours de la date où il aura reçu signification de la requête et du dossier de requête, le procureur général du Canada devra signifier et déposer son dossier de réponse.
[233]Sous peine de rejet, les prétentions écrites de l'appelante/requérante et celles de l'intimé sur la requête ne doivent pas excéder 30 pages respectivement et doivent être conformes aux articles 65 et 70 [mod. par DORS/2002-417, art. 9] des Règles des Cours fédérales.
[234]La décision sur la requête sera prise sur la base des représentations écrites des parties.
[235]La licence de l'appelante sera réputée demeurer en vigueur, selon toutes ses modalités et conditions, y compris le respect de toutes les exigences réglementaires imposées en vertu de la Loi et de la réglementation afférente, jusqu'à l'expiration du 20ième jour à compter de la date où l'appelante a eu connaissance du présent jugement si aucune requête en prolongation n'est signifiée et déposée ou si aucune demande de prolongation de consentement n'est envoyée au Registraire dans ce délai.
[236]Si une telle requête est présentée ou une telle demande est envoyée, la licence sera réputée demeurer en vigueur aux mêmes conditions et selon les mêmes modalités jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par cette Cour sur la requête ou sur la demande.
Le juge en chef Richard : Je suis d'accord.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d'accord.