A-160-04
2005 CAF 236
Ronald Brescia, Rosa Carroll, Debra Jolicoeur et Terrence Matson (appelants)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor et la Commission canadienne des grains (intimées)
Répertorié : Brescia c. Canada (Conseil du Trésor) (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Desjardins, Nadon et Pelletier, J.C.A.--Ottawa, 8 mars et 17 juin 2005.
Fonction publique -- Relations du travail -- Appel d'une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants en ce qui concerne le rejet du grief qu'ils avaient déposé à l'encontre de la décision de la Commission canadienne des grains de les mettre en situation d'inactivité, sans rémunération -- Les appelants ont été mis en situation d'inactivité par suite d'une décision de la Commission canadienne du blé de ne pas expédier de grains par rail en passant par Thunder Bay au cours de l'hiver 2000 -- Les appelants ont été rappelés au travail selon l'ordre alphabétique de leurs noms -- L'art. 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) traite des mises en disponibilité mais non des situations d'inactivité -- En l'espèce, la Commission canadienne des grains n'a pas agi sous le régime de la LEFP étant donné qu'il ne s'agissait pas de cessations d'emploi -- Les situations d'inactivité n'équivalent pas à des mises en disponibilité et les rappels ne constituent pas des nominations -- Étant donné que les situations d'inactivité ne sont pas visées par la LEFP, le principe du mérite ne s'applique pas -- La décision de mettre des employés en situation d'inactivité sans rémunération relève du Conseil du Trésor (et de ses délégués, comme la Commission canadienne des grains) dans l'exercice des attributions que lui confère la Loi sur la gestion des finances publiques en matière de gestion du personnel -- Appel rejeté (le juge Pelletier, J.C.A., dissident).
Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants en ce qui concerne le rejet du grief qu'ils ont déposé à l'encontre de la décision de la Commission canadienne des grains de les mettre en situation d'inactivité sans rémunération.
Les appelants, des employés de l'installation de la Commission canadienne des grains située à Thunder Bay, étaient chargés de l'inspection et du pesage des grains qui sont reçus aux terminaux et ensuite chargés à bord des navires. Étant donné que la Voie maritime du Saint-Laurent est fermée à la navigation durant les mois d'hiver, la charge de travail dépend du programme de transport ferroviaire établi par la Commission canadienne du blé, qui en l'espèce a décidé de ne pas expédier de grains par rail en passant par Thunder Bay au cours de l'hiver 2000. La Commission canadienne des grains a par conséquent mis 69 de ses 89 employés opérationnels, non saisonniers nommés pour une période indéterminée, en « situation d'inactivité » en maintenant leur statut d'employé. Pour ce qui est du rappel au travail de ces employés, la Commission canadienne des grains a écarté la possibilité d'appliquer l'ordre inverse du mérite et elle a procédé suivant l'ordre alphabétique des noms des employés.
Les appelants ont fait valoir que les intimées n'avaient pas le pouvoir, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) ou de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) de mettre unilatéralement en « situation d'inactivité » sans rémunération des fonctionnaires à temps plein nommés pour une période indéterminée.
Jugement (le juge Pelletier, J.C.A., dissident) : l'appel doit être rejeté.
La juge Desjardins, J.C.A. : La LEFP et le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (REFP) constituent le principal cadre législatif en matière de dotation en personnel dans la fonction publique. Les nominations se font sur la base du mérite, le principe du mérite étant notamment applicable en matière de cessations d'emploi (mise en disponibilité) faute de travail, mais non en ce qui concerne les cessations d'emploi visées à l'alinéa 11(2)g.1) de la LGFP. Suivant le REFP, les mises en disponibilité doivent s'effectuer par ordre inverse du mérite. L'ordre inverse du mérite ne s'applique pas lorsque les services de tous les employés occupant des postes similaires, appartenant aux mêmes groupe et niveau, ne sont plus requis. Les cas de non-application du principe du mérite sont prévus par la loi.
La LRTFP fixe notamment le cadre des négociations collectives dans la fonction publique, mais elle exclut plusieurs questions normalement assujetties à la négociation dans le secteur privé, dont les mises en disponibilité.
La LGFP attribue un certain nombre de pouvoirs au Conseil du Trésor relativement à l'organisation et à la gestion des ressources humaines de la fonction publique. En l'espèce, les attributions du Conseil du Trésor ont été déléguées au commissaire de la Commission canadienne des grains. À titre d'employeur, au sens de la LRTFP, le Conseil du Trésor ne peut exercer que les pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement aux termes de la LGFP. Ces pouvoirs ne s'étendent pas aux questions dont traite la LEFP.
La LEFP, la LRTFP et la LGFP ne font aucune mention des mots « situation d'inactivité ». On y trouve plutôt l'article 29 de la LEFP, qui traite de la mise en disponibilité. Dans Procureur général du Canada c. Gray, le juge Pratte a déclaré que bien que l'expression « mise en disponibilité » n'implique pas nécessairement une cessation d'emploi, un fonctionnaire ne peut être dit en disponibilité s'il n'est mis fin à son emploi. Dans le même arrêt, le juge Heald a noté que la définition généralement acceptée de « mise en disponibilité » dans le vocabulaire des relations de travail est « séparation provisoire, prolongée ou définitive de l'emploi par suite du manque de travail ». Dans la présente affaire, la Commission canadienne des grains n'a pas agi en vertu de l'article 29 de la LEFP étant donné qu'il n'y a pas eu cessation d'emploi. Les appelants sont demeurés en tout temps des employés de la Commission. Le principe du mérite énoncé dans la LEFP ne s'appliquait pas, car la loi n'envisage pas la situation d'inactivité. Il n'y a pas eu mise en disponibilité au sens de la LEFP et les rappels ne constituent pas des nominations.
Les pouvoirs étendus conférés au Conseil du Trésor et à ses délégués en vertu des alinéas 7(1)e) et 11(2)a) de la LGFP et des paragraphes 6.01 et 25.01 des conventions collectives applicables permettent à la Commission canadienne des grains de mettre les appelants en situation d'inactivité sans rémunération. En particulier, le Conseil du Trésor a, en vertu de l'alinéa 7(1)e), le pouvoir d'agir à l'égard de la « gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi » et en vertu de l'alinéa 11(2)d), il peut déterminer et réglementer les traitements, les horaires et les congés, ainsi que les questions connexes (comme, par exemple, la procédure suivie pour le renvoi et le rappel des employés dans la présente affaire).
Le juge Nadon, J.C.A. (motifs concourants) : La « situation d'inactivité » est une mise en disponibilité temporaire qui ne constitue pas une « mise en disponibilité » au sens de l'article 29 de la LEFP. En conséquence, le pouvoir de mettre des fonctionnaires en « situation d'inactivité » relève de la compétence du Conseil du Trésor en matière de gestion de personnel. Il n'existe aucun fondement légal permettant de conclure que le rappel des appelants était assujetti au principe du mérite. Étant donné que la « situation d'inactivité » ne tombe pas dans le champ d'application de la LEFP, on ne peut s'appuyer sur les dispositions de cette Loi pour soutenir la proposition que le rappel des fonctionnaires est assujetti au principe du mérite.
Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Mettre des employés en situation d'inactivité n'est pas conforme au REFP. La lecture attentive des paragraphes 29(1) et (2) de la LEFP mène à la conclusion que la cessation d'emploi n'est pas une condition de la mise en disponibilité, bien qu'elle en soit une conséquence. Mettre des employés en congé forcé sans rémunération (c.-à-d. en situation d'inactivité) serait incontestablement considéré comme une mise en disponibilité dans tout autre milieu de travail. Lorsqu'il y a mise en disponibilité, il y a cessation d'emploi en vertu du paragraphe 29(2). L'effet de ce paragraphe ne peut être évité en prétendant maintenir l'emploi d'un fonctionnaire mis en disponibilité.
lois et règlements cités
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 7 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2, 49(A); 1998, ch. 14, art. 103(F)), 8, 9 (mod., par L.C. 1991, ch. 24, art. 3), 10 (mod., idem, art. 50(F); 1996, ch. 18, art. 4), 11 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 22; L.C. 1992, ch. 54, art. 81; 1995, ch. 44, art. 51; 1996, ch. 18, art. 5; 1999, ch. 31, art. 101(F)), 12 (mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 6), 13 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50(F)).
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 2(1) « fonction publique », 5 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 4), 10 (mod., idem, art. 10), 17(4)a),b),c),d), 21 (mod., idem, art. 16; 1996, ch. 18, art. 15), 25, 28 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 18), 29 (mod., idem, art. 19; 1995, ch. 17, art. 8; 1996, ch. 18, art. 16), 30 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 20), 34.1 à 34.6 (édictés, idem, art. 22). |
Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), ch. G-10, art. 10, 13. |
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 2(1) « employeur », 7, 57(2), 69(3) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 57), 87(3) (mod., idem, art. 67), 91, ann. I, II. |
Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (1993), DORS/93-286, art. 34(1) (mod. par DORS/97-142, art. 15(F); 97-352, art. 10(A)), (3) (mod. par DORS/97-142, art. 10). |
jurisprudence citée
décisions examinées :
A.F.P.C. c. Canada (Commission canadienne des grains), [1986] A.C.F. no 498 (1re inst.) (QL); Procureur général du Canada c. Gray, [1978] 1 C.F. 808 (C.A).
décisions citées :
Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20; Housen c. Nilolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Lavoie c. Canada, [2000] 1 C.F. 3 (C.A.); Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Tremblay, [1996] A.C.F. no 1335 (C.A.) (QL); Énergie atomique du Canada Ltée c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.) (QL); Tower c. M.R.N., [2004] 1 R.C.F. 183; 2003 CAF 307.
doctrine citée
Canada. Secrétariat du Conseil du Trésor. Convention entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada. Groupe : Services techniques, date d'expiration : le 21 juin 2007.
Caron, Renée. Employment Law in the Federal Public Service, looseleaf. Aurora : Ont. : Canada Law Book, 2001.
APPEL d'une décision de la Cour fédérale (2004 CF 277) rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants en ce qui concerne le rejet du grief qu'ils ont déposé à l'encontre de la décision de la Commission canadienne des grains de les mettre en situation d'inactivité sans rémunération. Appel rejeté, le juge Pelletier, J.C.A. étant dissident.
ont comparu :
Andrew J. Raven pour les appelants.
Richard E. Fader pour les intimées.
avocats inscrits au dossier :
Raven, Allen, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP, Ottawa, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]La juge Desjardins, J.C.A. : Les appelants représentent environ 75 pour 100 des employés opérationnels à temps plein de l'installation de la Commission canadienne des grains (la Commission) à Thunder Bay. En vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la LRTFP), ils ont déposé des griefs pour contester la décision de la Commission de les mettre en « situation d'inactivité », eux et leurs collègues, sans le consentement des employés et sans paye, pour une période de trois mois ou moins à compter du 10 janvier 2000. Ils demandent le remboursement de toutes les sommes et heures de travail correspondant à la période « d'inactivité ».
[2]La Commission est le secteur de l'administration publique fédérale chargé d'implanter et de maintenir des normes de qualité à l'égard des grains au Canada et d'y réglementer la manutention des grains, de manière à garantir la fiabilité du produit pour les marchés intérieur et extérieur (Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), ch. G-10, article 13).
[3]Durant la période visée, l'installation de la Commission à Thunder Bay employait 105 fonction-naires à temps plein, permanents, non saisonniers et nommés pour une période indéterminée, dont 89 étaient des employés opérationnels.
[4]La permanence des employés de la Commission cadre avec le régime législatif régissant l'emploi dans la fonction publique fédérale. Elle s'applique aux employés non saisonniers nommés pour une période indéterminée, lesquels sont des employés à temps plein permanents nommés pour une période indéterminée, employés tout au long de l'année. Le personnel qui a été mis « en situation d'inactivité » faisait partie de ces employés. La Commission engage aussi des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, qui sont des employés permanents à temps plein nommés pour une période indéterminée, seulement aux dates d'ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent. La Commission engage aussi des employés nommés pour une période déterminée pour répondre aux besoins lorsque des quantités accrues de grains passent par Thunder Bay.
[5]Les employés de la Commission procèdent à l'inspection et au pesage des grains qui sont reçus aux terminaux et qui sont ensuite chargés à bord des navires. Les employés vérifient également les cargaisons contre les infestations, traitent la documentation relative aux expéditions de grains et effectuent des vérifications des stocks aux terminaux.
[6]La Voie maritime du Saint-Laurent est fermée à la navigation dans les mois d'hiver (de la fin décembre à la fin mars) et il y donc une réduction de la charge de travail. Le travail disponible dépend du programme de transport ferroviaire annoncé par la Commission canadienne du blé.
[7]À l'automne 1999, la Commission canadienne du blé a décidé de ne pas expédier de grains par rail en passant par Thunder Bay à l'hiver 2000. Sa décision a été communiquée à la Commission canadienne des grains le 6 décembre 1999. À compter du 10 janvier 2000, la Commission a mis 69 de ses 89 employés opérationnels, non saisonniers nommés pour une période indéterminée, en « situation d'inactivité », en fixant la date probable de leur retour au travail au 3 avril 2000. Les raisons invoquées pour cette décision se trouvent dans une lettre aux appelants, datée du 21 décembre 1999, de J.A. Robertson, directeur régional des Services industriels à Thunder Bay, dont voici un extrait (dossier d'appel, vol. II, à la page 467) :
[traduction] La diminution de la quantité de céréales qui va transiter par le port au cours des trois prochains mois nous oblige à placer un certain nombre d'employés en inactivité. À la suite de cette décision, vous serez placé en situation d'inactivité à partir du 10 janvier 2000. Vous serez rappelé au travail le 3 avril 2000 au plus tard. Nous tenterons de vous fournir du travail pendant cette période en fonction des exigences opérationnelles, des besoins en formation et de notre capacité à mettre sur pied des projets. Nous nous efforcerons de vous prévenir le plus tôt possible de la reprise du travail.
Si vous désirez utiliser des congés annuels acquis ou des crédits de congés compensatoires, vous pouvez le faire, ce qui reportera à plus tard la date de commencement de votre période d'inactivité. Vous devriez, dès que possible, joindre à ce sujet votre chef d'équipe, pour garantir que votre relevé d'emploi est exact. Si vous avez l'intention d'utiliser vos congés pour différer le commencement de votre période d'inactivité, nous devons le savoir d'ici au 31 décembre 1999 afin de procéder aux redressements nécessaires au chèque de paye pour la période du 6 au 19 janvier. Votre relevé d'emploi sera envoyé au bureau de DRHC sauf si des arrangements sont pris avec l'unité du personnel.
L'ampleur de la réduction du volume de travail que nous allons connaître cet hiver nous empêche d'envisager d'autres solutions que la mise en situation d'inactivité. Nous allons continuer à essayer de mettre au point des projets et des initiatives de formation raisonnable de façon à réduire les répercussions de cette période d'inactivité. Pour toute question ou tout éclaircissement sur ce qui précède, veuillez joindre le soussigné au 626-1400. [Souligné dans l'original.]
[8]La décision a été prise, après consultation de la Commission à Winnipeg (Manitoba), par la directrice des Services industriels qui exerçait un pouvoir délégué en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (la LGFP). Dans son affidavit, la directrice décrit ainsi la « situation d'inactivité » (dossier d'appel, vol. II, page 320, paragraphe 6) :
[traduction] Selon ce que je comprends, la situation d'inactivité en est une sans travail et sans paye conformément aux conventions collectives des employés affectés. La relation d'emploi demeure la même. Les employés continuent à être employés par l'employeur, mais on considère temporairement qu'ils sont hors travail.
Par conséquent, les employés étaient censés « être hors travail ». Sans être payés, ils conservaient leur statut d'employé.
[9]Après avoir envisagé d'appliquer l'ordre inverse du mérite pour mettre en oeuvre le plan de « situation d'inactivité », la Commission y a renoncé. Le directeur régional de la Commission à Thunder Bay, Jack Robertson, a expliqué (dossier d'appel, vol. II, page 624) :
[traduction] Autant que possible, je voudrais éviter d'appliquer le procédé de l'ordre inverse du mérite. Nous n'en avons pas vraiment le temps et je prévois qu'il nous faudra en développer un en conséquence du lancement de l'Examen des programmes. Je préférerais ne faire cela qu'une seule fois et le moment pour le faire devrait, à l'évidence, être après que nous ayons déterminé le nombre de postes affectés par l'Examen des programmes.
[10]La « situation d'inactivité » temporaire sans paye des 69 employés nommés pour une période indéterminée a été mise en oeuvre de la façon suivante :
- Dans les deux semaines qui ont suivi leur mise en « situation d'inactivité », certains fonctionnaires ont été rappelés au travail pour des périodes d'une ou deux semaines.
- Les fonctionnaires étaient rappelés selon l'ordre alphabétique de leurs noms.
- Lorsqu'un employé n'était pas présent pour recevoir l'appel, on appelait le nom suivant sur la liste alphabétique.
- On téléphonait aux fonctionnaires le jeudi ou le vendredi précédant le lundi où ils étaient censés retourner au travail.
- Pour ce travail, ceux des fonctionnaires qui se prévalaient de leur congé avec étalement du revenu afin d'atténuer les effets de la « situation d'inactivité » ne recevaient pas d'appel.
[11]Tous les employés étaient de retour au travail le 13 mars 2000.
[12]Pour les 69 fonctionnaires nommés pour une période indéterminée, mis en « situation d'inactivité » durant la période visée, les conséquences ont été notamment les suivantes :
- Durant cette période, ils n'ont reçu aucun revenu, sauf les fonctionnaires ayant choisi de se prévaloir de leurs congés accumulés.
- Les fonctionnaires n'ont pas acquis de crédits de congé de maladie ou de congé annuel, sauf ceux qui ont travaillé et ont été payés pour une période d'au moins 10 jours par mois. Cette période de 10 jours ne leur était nullement garantie.
- Les fonctionnaires ont été requis de payer leur part des cotisations mensuelles à la Pension de la fonction publique, calculées en fonction du salaire estimé pour les trois premiers mois. Bien que les contributions au Régime de pensions du Canada ne fussent pas requises, la Commission a reconnu que la mise d'un fonctionnaire en « situation d'inactivité » pouvait avoir une incidence sur le montant des prestations éventuelles.
- Les fonctionnaires en « situation d'inactivité » ont été requis de payer leur part des primes à l'égard des Prestations supplémentaires de décès pour conserver leur garantie. Ils ont été requis de payer leur part de l'Assurance-Invalidité. Seuls ceux qui ont payé leurs cotisations salariales pour les trois mois ont continué à être protégés par le Régime de soins de santé de la fonction publique. Cependant, si la « situation d'inactivité » avait dépassé trois mois, les employés auraient également été responsables des cotisations de l'employeur.
[13]Les griefs des appelants ont finalement été rejetés. Le commissaire en chef, qui représentait le dernier niveau à l'égard de leurs griefs, a indiqué dans sa lettre du 18 juin 2002, (dossier d'appel, vol. II, page 668) :
[traduction] La présente est la réponse au dernier niveau à l'égard de votre grief reçu le 3 février 2000. Votre grief est ainsi libellé [traduction] : « Je dépose un grief en raison d'un abus de pouvoir de la part de la Commission canadienne des grains pour m'avoir mis en inactivité (sans paye (« off-pay-TIE ») quel qu'ait été le terme alors) en tant que fonctionnaire fédéral à temps plein nommé pour une période indéterminée. J'ai une convention avec le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique. Il y a des employés désignés autrement, par le terme de saisonnier ou d'autres termes à cette fin. »
La mise en inactivité a été décidée à cause d'une pénurie temporaire de travail. L'article 25.01 de la convention collective des Services techniques précise que « [l]es heures normales de travail d'un employé ne seront pas interprétées comme lui garantissant un minimum ou un maximum d'heures de travail ».
La gestion du travail ou de la pénurie de travail ne constitue pas un abus de pouvoir. Votre grief est donc rejeté et la mesure de redressement demandée, à savoir « le remboursement de toutes les sommes et heures de travail correspondant à la période d'inactivité », est refusée.
[14]Dans une lettre ultérieure datée du 28 juin 2002, le commissaire en chef a expliqué (dossier d'appel, vol. II, page 672) que le pouvoir de la Commission de mettre des employés en « situation d'inactivité » découlait des alinéas 7(1)a), b) et e) ainsi que 11(2)a) et d) de la Loi sur la gestion des finances publiques, et de la décision du juge Joyal, A.F.P.C. c. Canada (Commission canadienne des grains) [1986] A.C.F. no 498 (1re inst.) (QL) (AFPC; C.F. 1re inst.).
[15]Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire en chef. Leur demande a été rejetée par la Cour fédérale (Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 277, pour les mêmes motifs que ceux du commissaire en chef.
[16]Aux paragraphes 30 et 31 de ses motifs, le juge Kelen a cité longuement la décision de 1986 du juge Joyal, notamment ses paragraphes 50, 53 et 71 :
[. . .] Je conclus sans hésitation que le pouvoir général du Conseil du Trésor en matière de gestion de personnel prévu aux articles 5 et 7 de la Loi sur l'administration financière comprend notamment le pouvoir de recourir à l'état de non-rémunération dans les circonstances décrites aux présentes.
[. . .]
Je dois par conséquent entériner le principe selon lequel l'employeur peut, dans l'exercice de ses fonctions de gestion, faire ce qui ne lui est pas expressément ou implicitement interdit par la loi. Il est sûr que le processus de mise en état de non-rémunération ne va pas à l'encontre du bon sens, ni de l'esprit et de l'intention des lois publiques visant les fonctionnaires. En particulier, ce régime semblerait-il compati-ble avec l'exercice du pouvoir général dont jouit le Conseil du Trésor, selon l'alinéa 7(1)i) de la Loi sur l'administration financière « de régler toutes les autres questions, . . . que le Conseil du Trésor estime nécessaires pour la direction efficace du personnel de la fonction publique.
[. . .]
Je dois conclure que le régime prévoyant « la radiation d'un employé de la liste de paye » relève de la compétence législative attribuée au Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur l'administration financière. J'estime également que le régime en question n'équivaut pas à une véritable mise en disponibilité au sens de l'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. J'arrive aussi à la conclusion qu'à défaut dans la convention collective d'une disposition d'interdiction, le régime susmentionné ne constitue pas, en raison des conséquences qu'il entraîne, une atteinte aux conditions prévues dans la convention collective, et il ne va pas non plus à l'encontre des objets de cette dernière. J'ajouterais que la radiation d'un employé de la liste de paye établit un bon équilibre entre les dispositions législatives, d'une part, et les dispositions contractuelles, d'autre part, et qu'elle ne viole aucune de ces dispositions. Enfin, je suis d'avis que les mesures discrétionnaires envisagées par la direction pour faire face au problème temporaire du personnel excédentaire ou au manque de travail sont légales.
[17]Le juge Kelen, au paragraphe 40 de ses motifs, s'est appuyé aussi sur les paragraphes 6.01 et 25.01 de la Convention entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada. Groupe : Services techniques que le commissaire en chef avait également invoqués et que voici :
ARTICLE 6
RESPONSABILITÉ DE LA DIRECTION
6.01 Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l'autorité des personnes chargées d'exercer des fonctions de direction dans la fonction publique.
[. . .]
ARTICLE 25
DURÉE DU TRAVAIL
[. . .]
25.01 La durée du travail prévue à l'horaire d'un employé ne doit pas être considérée comme une garantie d'une durée minimale ou maximale du travail.
[18]Les appelants interjettent appel de cette décision de la Cour fédérale. Selon leur prétention, en vertu de la LGFP, de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33; la LEFP) ou de la LRTFP, les intimés n'ont pas le pouvoir de mettre unilatéralement, en « situation d'inactivité » sans paye, des fonctionnaires à temps plein nommés pour une période indéterminée.
[19]Les appelants font valoir que le Conseil du Trésor, ou la Commission agissant en vertu d'un pouvoir délégué, doit gérer son personnel en conformité avec trois lois fédérales distinctes, la LGFP, la LRTFP et la LEFP. Ils citent l'article 10 de la Loi sur les grains du Canada qui prévoit que les employés de la Commission sont nommés conformément à la loi. Selon leur prétention, aucune disposition dans le régime législatif ne prévoit le droit de mettre des employés en « situation d'inactivité » sans paye. Nulle part dans ces lois ou dans leurs règlements d'application, les mots « situation d'inactivité » ou des termes équivalents ne sont utilisés. Ils font valoir que le pouvoir légal de [traduction] « désigner temporairement des employés comme hors travail », même s'il existait, devrait découler de cet ensemble de lois, par déduction nécessaire et de manière compatible avec les principes généraux qui régissent l'emploi dans la fonction publique.
[20]Les appelants soutiennent en outre qu'il n'y a aucun fondement législatif ou autre à la décision de la Commission de mettre des employés temporairement en disponibilité sans paye durant des périodes de manque de travail temporaire. Si ce fondement existait quelque part, il devrait se trouver implicitement dans les dispositions habilitantes de la LEFP et dans les dispositions sur l'ordre inverse du mérite du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (1993), DORS/93-286 (le REFP). Ces dispositions, toutefois, se rapportent à des situations de mise en disponibilité entraînant la cessation permanente de l'emploi. Il n'y a, soutiennent-ils, aucun dispositif dans la LEFP ou sous son régime qui autorise les mises en disponibilité temporaires.
La norme de contrôle applicable
[21]Les appelants et les intimés conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire en chef est la norme de la décision correcte. La question, disent-ils, est une question de compétence. Elle implique une question d'interprétation de la loi pour laquelle la Cour fédérale est compétente, (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). La décision du juge saisi de la requête doit également être examinée par la Cour selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).
ANALYSE
Dispositions législatives pertinentes
[22]Les trois lois principales qui régissent la présente affaire sont la LGFP, la LRTFP et la LEFP qui ont été adoptées en 1967. Ces trois lois sont décrites en détail dans un livre bien documenté de Renée Caron, Employment Law in the Federal Public Service (Aurora (Ont.) : Canada Law Book, 2001, feuille mobile). Je me servirai abondamment de ce livre pour offrir une vue d'ensemble des dispositions pertinentes.
La LEFP
[23]Le principal cadre législatif pour la dotation en personnel dans la fonction publique est formé par la LEFP et le REFP.
[24]La LEFP [paragraphe 2(1)] donne au terme « fonction publique » le même sens que la LRTFP. Le terme défini « fonction publique » doit être distingué du terme « fonction publique » dans son sens courant. La LEFP s'applique à la partie de la fonction publique fédérale qui est assujettie à la partie I de l'annexe I de la LRTFP pour laquelle le Conseil du Trésor est l'employeur, ainsi qu'à la partie de la fonction publique fédérale qui est assujettie à la partie II de l'annexe I de la LRTFP, laquelle comprend une liste d'employés énumérés distincts (voir Lavoie c. Canada, [2000] 1 C.F. 3 (C.A.), note 21; Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734 (C.A.), à la page 753).
[25]La LEFP prévoit la constitution de la Commission de la fonction publique dont la principale mission est de donner ou de faire nommer à un poste de la fonction publique des personnes qualifiées, appartenant ou non à celle-ci conformément aux dispositions et principes énoncés dans la LEFP (article 5 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 4]).
[26]Les nominations se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission de la fonction publique. Le principe de la sélection au mérite s'applique au moment de l'embauche (article 10 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10] de la LEFP), dans le contexte de concours pour l'obtention d'un poste dans la fonction publique (article 21 [mod., idem, art. 16; 1996, ch. 18, art. 15] de la Loi) et dans le contexte d'une cessation d'emploi (mise en disponibilité) faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de la fonction publique (article 29 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 19; 1995, ch. 17, art. 8; 1996, ch. 18, art. 16] de la Loi et paragraphe 34(1) [mod. par DORS/97-142, art. 15(F); 97-352, art. 10(A)] du REFP). Il ne s'applique pas aux cessations d'emploi survenant dans les circonstances visées à l'alinéa 11(2)g.1) [mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 5] de la LGFP.
[27]La mise en disponibilité est par conséquent un moyen de traiter un employé dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail (paragraphe 29(1) de la LEFP). La mise en disponibilité signifie expressément, toutefois, la cessation d'emploi (paragraphe 29(2) de la LEFP).
[28]L'article 29 est ainsi conçu :
29. (1) L'administrateur général peut, en conformité avec les règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de la fonction publique, sauf si le fonctionnaire a été licencié dans les circonstances prévues à l'alinéa 11(2)g.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques.
[. . .]
(2) Le fonctionnaire mis en disponibilité en vertu du paragraphe (1) perd sa qualité de fonctionnaire.
[29]Selon le paragraphe 34(1) du REFP, les mises en disponibilité doivent s'effectuer par ordre inverse du mérite. Le paragraphe contient les dispositions suivantes :
Mise en disponibilité
34. (1) Lorsque les services d'un ou de plusieurs fonctionnaires d'un secteur de l'organisation ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de la fonction publique, l'administrateur général compétent, sous réserve du paragraphe (2), évalue le mérite des fonctionnaires qui occupent des postes semblables des mêmes groupe et niveau professionnels dans ce secteur et désigne, par ordre inverse de mérite en commençant par le moins méritant, les fonctionnaires qui peuvent être mis en disponibilité; il peut déclarer ces derniers fonctionnaires excédentaires.
[. . .]
[30]L'ordre inverse du mérite ne s'applique pas, conformément au paragraphe 34(3) [mod. par DORS/97-142, art. 10], lorsque les services de tous les employés qui occupent des postes semblables des mêmes groupe et niveau professionnels ne sont plus nécessaires.
34. [. . .]
(3) Les paragraphes (1), (1.1) et (2) ne s'appliquent pas lorsque les services de tous les fonctionnaires qui occupent des postes semblables des mêmes groupe et niveau professionnels dans le même secteur de l'organisation ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de la fonction publique.
[31]La LEFP contient d'autres dispositions régissant le licenciement temporaire ou permanent des employés de la fonction publique. Par exemple, la LEFP prévoit le renvoi pour un motif déterminé au cours d'un stage (article 28 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 18]); à la fin d'une période déterminée (article 25); lors d'un congé de la fonction publique (article 30 [mod., idem, art. 20]).
[32]Le principe du mérite, lorsqu'il est exclu, c'est par une prescription de la loi (paragraphes 21(5) et 34.6(1) [édictés, idem, art. 22] de la LEFP) (mutation). De plus, lorsqu'une priorité est accordée, elle est également déterminée par la loi (voir les alinéas 17(4)a) à d)).
[33]La Commission de la fonction publique ne détient pas le pouvoir d'effectuer des mutations (partie III.I [articles 34.1 à 34.6 (édictés, idem)] de la LEFP) ni celui d'imposer des règles de discipline dans la fonction publique. Ces pouvoirs appartiennent au Conseil du Trésor (alinéas 11(2)f) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 81] et paragraphe 11(4) [mod., idem] de la LGFP).
La LRTFP
[34]La LRTFP fixe notamment le cadre des négociations collectives dans la fonction publique. Elle prévoit des processus pour l'accréditation des agents négociateurs, pour la négociation des conventions collectives et pour l'application des conventions collec-tives par la présentation d'un grief et l'arbitrage. La LRTFP exclut plusieurs questions normalement assujet-ties à la négociation dans le secteur privé : nomination, promotion, rétrogradation, mutation, mise en disponi-bilité, pension de retraite, indemnité d'accidents de travail et classification (article 7 et paragraphe 57(2) de la Loi).
[35]L'alinéa 57(2)b) de la LRTFP interdit qu'une convention collective ait pour effet de modifier ou supprimer une condition d'emploi « établie ou [. . .] pouvant l'être » (je souligne) en conformité avec une loi mentionnée à l'annexe II. La LEFP est nommée à l'annexe II.
[36]Voici le paragraphe 57(2) :
57. [. . .]
(2) Une convention collective ne peut avoir pour effet direct ou indirect de :
a) modifier, supprimer ou établir une condition d'emploi de manière que cela nécessiterait ou entraînerait l'adoption ou la modification d'une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;
b) modifier ou supprimer une condition d'emploi établie, ou établir une condition d'emploi pouvant l'être, en conformité avec une loi mentionnée à l'annexe II. [Je souligne.]
[37]De même, les décisions arbitrales et les rapports de conciliation ne peuvent porter sur aucune des questions qui sont exclues du champ des négociations collectives (paragraphes 69(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 57] et 87(3) [mod., idem, art. 67] de la LRTFP).
[38]Lorsque le mécanisme de règlement de différends en vue de conclure une convention collective est l'arbitrage obligatoire, l'alinéa 69(3)b) [mod., idem, art. 57] de la LRTFP prévoit les exclusions importantes suivantes :
69. [. . .]
(3) Sont exclues du champ des décisions arbitrales les questions suivantes :
[. . .]
b) les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l'évaluation, l'avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le licenciement de fonctionnaires, à moins que celui-ci ne résulte d'une mesure disciplinaire; [Je souligne.]
[39]Lorsque le mécanisme de règlement des différends en vue de la conclusion d'une convention collective est la conciliation, le paragraphe 87(3) de la LRTFP prévoit la même catégorie d'exclusions :
87. [. . .]
(3) Le rapport du bureau de conciliation ne peut contenir de recommandation concernant les normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l'évaluation, l'avancement, la rétrogradation, la mutation, la mise en disponibilité ou le licenciement de fonctionnaires, à moins que celui-ci ne résulte d'une mesure disciplinaire. [Je souligne.]
[40]La LGFP confère au Conseil du Trésor le pouvoir d'agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l'égard de questions relatives à la gestion financière du gouvernement et de sa fonction publique. Les articles 7 à 11 [art. 7 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2, 49(A); 1998, ch. 14, art. 103(F)), 9 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 3), 10 (mod., idem, art. 50(F); 1996, ch. 18, art. 4), 11 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 22; L.C. 1992, ch. 54, art. 81; 1995, ch. 44, art. 51; 1996, ch.18, art. 5; 1999, ch. 31, art. 101(F))] de la LGFP attribuent un certain nombre de pouvoirs au Conseil du Trésor relativement à l'organisation et à la gestion des ressources humaines de la fonction publique. Le Conseil du Trésor peut déléguer ces attributions à l'administrateur général d'un ministère, le commissaire de la Commission canadienne des grains en l'espèce.
[41]Les dispositions du paragraphe 7(1) de la LGFP prévoient notamment que :
7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l'égard des questions suivantes :
[. . .]
b) l'organisation de l'administration publique fédérale ou de tel de ses secteurs ainsi que la détermination et le contrôle des établissements qui en font partie;
[. . .]
e) la gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi; [Je souligne.]
[42]Les pouvoirs et les fonctions du Conseil du Trésor sont davantage précisés à l'article 11 de la LGFP. Il convient de noter que le terme « fonction publique » est défini de la façon suivante aux fins des articles 11, 12 [mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 6] et 13 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50(F)] de la LGFP.
11. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et aux articles 12 et 13.
[. . .]
«fonction publique» S'entend au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ainsi que de tout secteur de l'administration publique fédérale désigné comme tel par le gouverneur en conseil pour l'application du présent article et des articles 12 et 13. [Je souligne.]
[43]Le paragraphe 11(2) de la LGFP prévoit :
11. [. . .]
(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :
a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;
[. . .]
d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;
[. . .]
f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
g) prévoir, pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;
g.1) prévoir le licenciement d'un employé à qui une offre d'emploi est faite en raison du transfert d'une activité ou entreprise d'un secteur de la fonction publique mentionné à la partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique à une entité qui constitue un employeur distinct ou qui ne fait pas partie de la fonction publique, et indiquer dans quelles conditions et selon quelles modalités, dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs cette mesure peut être appliquée, modifiée ou annulée, en tout ou en partie; [Je souligne.]
[44]Les pouvoirs du Conseil du Trésor à titre d'employeur sont étendus, mais nullement absolus. Le paragraphe 11(3) [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 50, ann. II, no 4(F)] de la LGFP prévoit expressément :
11. [. . .]
(3) Le Conseil du Trésor ne peut exercer ses pouvoirs et fonctions à l'égard des questions visées aux paragraphes (2) à (2.4) et dans une autre loi lorsque celle-ci régit la matière expressément et non par simple attribution de pouvoirs et fonctions à une autorité ou à une personne déterminée; il ne peut non plus exercer des pouvoirs ou fonctions expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ni mettre en oeuvre des méthodes de sélection du personnel dont l'application relève, sous le régime de cette loi, de la Commission. [Je souligne.]
[45]À titre d'« employeur », au sens du paragraphe 2(1) de la LRTFP, le Conseil du Trésor ne peut exercer que les pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement aux termes de la LGFP. Comme cela est dit plus haut, ces pouvoirs ne s'étendent pas aux questions visées dans la LEFP. La restriction des pouvoirs du Conseil du Trésor est également évidente dans plusieurs dispositions de la LRTFP, par exemple les alinéas 57(2)b) et 69(3)b) et le paragraphe 87(3).
DISCUSSION
[46]Les mots « situation d'inactivité » ne se trouvent nulle part dans ces trois lois.
[47]Ce que l'on y trouve, c'est l'article 29 de la LEFP, qui traite de la mise en disponibilité. L'administrateur général peut, en conformité avec les règlements de la Commission, mettre en disponibilité des fonctionnaires dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail. La conséquence de l'invocation du paragraphe 29(1) de la LEFP est qu'un fonctionnaire « mis en disponibilité en vertu du paragraphe (1) perd sa qualité de fonctionnaire » (voir le paragraphe 29(2) de la LEFP).
[48]Dans Procureur général du Canada c. Gray, [1978] 1 C.F. 808 (C.A.), à la page 811, le juge Pratte a déclaré que l'expression « mise en disponibilité », en langage ordinaire, n'implique pas nécessairement une cessation d'emploi. Il a ajouté toutefois que, pour une personne versée dans la législation applicable à la fonction publique, un fonctionnaire ne peut être dit en disponibilité s'il n'est mis fin à son emploi. Dans le même arrêt, le juge Heald a noté aux pages 812 et 813 que la définition généralement acceptée de « mise en disponibilité », lorsqu'on applique ce terme au travail, est « [s]éparation provisoire, prolongée ou définitive de l'emploi par suite du manque de travail ». Par conséquent, le contexte et la loi en cause importent tout particulièrement pour déterminer le sens du terme « mise en disponibilité » (voir par exemple Canada (Procureur général) c. Tremblay, [1996] A.C.F. no 1335 (C.A.), au paragraphe 9; Énergie atomique du Canada Ltée c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.), aux paragraphes 11 et 12).
[49]En l'espèce, la Commission n'a pas agi en vertu de l'article 29 de la LEFP. Les appelants ont été mis en situation d'inactivité en tant que groupe, sans paye, à cause d'un manque temporaire de travail. Il n'était pas mis fin à leur emploi. Ils sont demeurés en tout temps des employés de la Commission, qui les a rappelés ensuite par ordre alphabétique.
[50]Je conclus que les pouvoirs étendus conférés au Conseil du Trésor et à ses délégués en vertu des alinéas 7(1)e) et 11(2)a) et d) de la LGFP et des paragraphes 6.01 et 25.01 des conventions collectives applicables permettent à la Commission de mettre les appelants en situation d'inactivité sans paye. En particulier, le Conseil du Trésor en vertu de l'alinéa 7(1)e) a le pouvoir d'agir à l'égard de la « gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi »; en vertu de l'alinéa 11(2)a), il peut assurer leur bonne utilisation; en vertu de l'alinéa 11(2)d), il peut déterminer et réglementer les traitements, les horaires et les congés, ainsi que les questions connexes. Ces derniers mots pourraient comprendre la procédure suivie pour le renvoi et le rappel des employés. De plus, en vertu de la convention collective, les responsabilités de gestion demeurent entières, sauf toute disposition contraire. Aucune garantie n'est donnée au fonctionnaire quant au nombre minimal ou maximal de ses heures de travail.
[51]Dans la décision de 1986 du juge Joyal, A.F.P.C., au paragraphe 42, on avait assuré à l'employé durant la courte période du 10 mars au 15 avril 1986 « que sa mise au chômage serait faite selon l'ordre du mérite ». Dans la présente affaire, aucune garantie de cette sorte n'a été donnée aux appelants.
[52]À proprement parler, le principe du mérite énoncé dans la LEFP ne s'applique pas, car la loi n'envisage pas la situation d'inactivité. Il ne s'agit pas d'une mise en disponibilité au sens de la LEFP et le rappel ne constitue pas une nomination. Il est toutefois malheureux de constater que la direction manque de lignes de conduite sur la façon de traiter avec justice ses employés en ces temps difficiles. Le système du rappel par ordre alphabétique était certainement déraisonnable puisqu'il implique que les mêmes personnes se retrouvent toujours à la fin de la liste.
[53]Le Conseil du Trésor ne devrait exercer les pouvoirs étendus qui lui sont conférés, que dans l'esprit traditionnel d'équité qui s'exprime dans de nombreux textes de lois.
CONCLUSION
[54]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[55]Le juge Nadon, J.C.A. : J'ai lu dans leur version préliminaire les motifs que ma collègue la juge Desjardins a prononcés pour rejeter l'appel. Je suis entièrement de son avis que la « situation d'inactivité » est une mise en disponibilité temporaire qui ne constitue pas une « mise en disponibilité » au sens de l'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, modifiée (la LEFP) et, en conséquence, que le pouvoir de mettre des fonctionnaires en « situation d'inactivité » relève de la compétence du Conseil du Trésor de gérer le personnel par application des alinéas 7(1)b) et e) et 11(2)a) et f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (la LGFP).
[56]Je suis aussi de l'avis de la juge Desjardins que le rappel des appelants pouvait se faire par ordre alphabétique. J'en viens à cette conclusion parce que, comme ma collègue, je ne trouve aucune source pour soutenir l'avis contraire.
[57]Dans son analyse pénétrante de la législation pertinente, la juge Desjardins a clairement démontré que rien, ni dans la LEFP, ni dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, n'est applicable à la « situation d'inactivité ». Par conséquent, je ne vois aucun fondement légal à la conclusion que l'ordre de rappel des appelants était assujetti au principe du mérite.
[58]Comme ma collègue l'a adroitement montré dans son analyse de la législation pertinente, le principe du mérite s'applique à la nomination et à la mise en disponibilité des fonctionnaires, lesquelles tombent, toutes deux, indubitablement dans le champ d'application de la LEFP et sont donc du ressort de la Commission de la fonction publique.
[59]À mon avis, dès lors que l'on admet que la « situation d'inactivité » ne tombe pas dans le champ d'application de la LEFP, on ne peut s'appuyer sur les dispositions de cette Loi pour soutenir la proposition que le rappel des fonctionnaires est assujetti au principe du mérite.
[60]Je conclus donc que rien n'interdit aux intimés de rappeler les appelants au travail par ordre alphabétique.
[61]En conclusion, je voudrais faire remarquer que les appelants ne plaident pas que le principe du mérite s'applique au rappel. Ils prétendent plutôt que l'une des raisons pour lesquelles nous ne devrions pas épouser la conclusion de la juge Desjardins sur le pouvoir du Conseil du Trésor de mettre les appelants en « situation d'inactivité » est que le principe du mérite s'en trouverait annulé. Sur ce point, l'essence des allégations des appelants ressort des paragraphes 31, 35, 36, 39, 43 et 44 de leur mémoire des faits et du droit :
[traduction]
À n'en pas douter, l'effet de l'approche défendue par les intimés dans la présente affaire est de rendre illusoire la capacité d'un fonctionnaire à temps plein nommé pour une période indéterminée de prévoir raisonnablement le revenu annuel à tirer de son emploi, de planifier et de bénéficier de ses congés accumulés et de ses crédits de congé et de se fier au principe absolu de l'inamovibilité conformément au mérite.
[. . .]
Aucune disposition du présent régime législatif n'envisage le droit de mettre des employés « en situation d'inactivité » sans paye. À vrai dire, nulle part dans la LGFP, la LRTFP et la LEFP ou dans leurs règlements d'application, applicables aux employés opérationnels de la Commission, le terme « situation d'inactivité » ou un terme équivalent n'est défini ou même utilisé.
Nous soutenons que, si le pouvoir légal de [traduction] « désigner temporairement des employés comme hors travail » existait, il devrait découler de cette législation par déduction nécessaire et d'une manière compatible avec les principes généraux régissant l'emploi dans la fonction publique fédérale.
[. . .]
De plus, la LEFP démontre l'intention du Parlement que le statut de l'emploi dans la fonction publique fédérale soit régi par le principe du mérite. L'importance du principe du mérite s'applique au stade de l'embauchage, dans le contexte de concours pour les postes au sein de la fonction publique, et aux cessations dues au manque de travail ainsi qu'à la suppression d'une fonction ou à la sous-traitance.
[. . .]
Il est vrai que le paragraphe 29(2) de la LEFP envisage une cessation permanente de la relation d'emploi. Nous soutenons, toutefois, que le législateur avait à l'esprit la gamme complète des circonstances dans lesquelles des employés peuvent perdre leur emploi dans la fonction publique. Ceci comprend donner un fondement légal au droit d'un employé de démissionner de son emploi, droit, selon nous, qui serait implicite dans le cas des employeurs du secteur privé. Vu le détail de ces dispositions, les appelants affirment que le législateur aurait pu prévoir, et a délibérément choisi de ne pas prévoir, des normes à l'égard des suspensions temporaires d'emploi sans paye.
De plus, au vu de l'importance primordiale du principe de la sélection selon le mérite et de la compétence générale de la Commission de la fonction publique sur les questions de mise en disponibilité, les appelants soutiennent qu'il serait incohérent d'en déduire un pouvoir de réserve pour le Conseil du Trésor de procéder à des mises en disponibilité temporaires importantes pour toute raison jugée opportune. En l'espèce, les représentants du Conseil du Trésor ont unilatéralement abrégé d'un quart l'année de travail des employés touchés et effectué les rappels au travail selon l'ordre alphabétique.
[62]Je disposerais par conséquent de l'appel conformément à la proposition de la juge Desjardins.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[63]Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Après avoir lu les motifs de mes collègues, j'en viens à la conclusion que je dois en toute déférence exprimer mon désaccord avec eux.
[64]Tous conviennent que l'autorité de la Commission des grains relativement aux questions de personnel découle des pouvoirs du Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques.
[65]Les pouvoirs du Conseil du Trésor ne comprennent aucun des pouvoirs ou aucune des fonctions conférés à la Commission de la fonction publique (la Commission) par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Voir le paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques :
11. [. . .]
(3) Le Conseil du Trésor ne peut exercer ses pouvoirs et fonctions à l'égard des questions visées aux paragraphes (2) à (2.4) et dans une autre loi lorsque celle-ci régit la matière expressément et non par simple attribution de pouvoirs et fonctions à une autorité ou à une personne déterminée; il ne peut non plus exercer des pouvoirs ou fonctions expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ni mettre en oeuvre des méthodes de sélection du personnel dont l'application relève, sous le régime de cette loi, de la Commission. [Non souligné dans l'original.]
[66]L'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique donne à la Commission de la fonction publique le pouvoir de prendre un règlement d'application pour régir la mise en disponibilité des fonctionnaires faute de travail :
29. (1) L'administrateur général peut, en conformité avec les règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de la fonction publique, sauf si le fonctionnaire a été licencié dans les circonstances prévues à l'alinéa 11(2)g.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques.
(2) Le fonctionnaire mis en disponibilité en vertu du paragraphe (1) perd sa qualité de fonctionnaire. [Non souligné dans l'original.]
[67]Il semble s'ensuivre que le Conseil du Trésor ne peut pas mettre des fonctionnaires en disponibilité faute de travail, sauf en conformité avec les règlements pris par la Commission de la fonction publique. Tous ont convenu, je crois, que mettre des employés en situation d'inactivité, comme en l'espèce, n'est pas conforme aux règlements de la Commission de la fonction publique.
[68]L'employeur soutient qu'il n'a pas à se conformer à ces règlements, car la situation d'inactivité n'équivaut pas à une mise en disponibilité puisqu'il n'en résulte pas de cessation d'emploi. Cet argument repose sur le paragraphe 29(2), cité ci-dessus.
[69]La lecture attentive des paragraphes 29(1) et (2) mène à la conclusion que la cessation d'emploi n'est pas une condition de la mise en disponibilité, bien qu'elle en soit une conséquence. Une mise en disponibilité doit d'abord avoir lieu pour que le paragraphe 29(2) puisse avoir un effet quelconque. Par définition, si une mise en disponibilité était une cessation d'emploi, le paragraphe 29(2) serait redondant. Il y a une présomption contre la redondance dans l'interprétation des lois. Voir Tower c. M.R.N., [2004] 1 R.C.F. 183 (C.A.), au paragraphe 15. Il semblerait s'ensuivre qu'une mise en disponibilité visée au paragraphe 29(1) n'est pas une cessation d'emploi permanente, bien que le paragraphe 29(2) la rende telle.
[70]Je pense que, dans tout milieu de travail, mettre des employés dans une situation sans travail et sans paye serait incontestablement considéré comme une mise en disponibilité. Aucune raison ne nous a été donnée de croire que la définition de la mise en disponibilité a changé depuis qu'elle a été brièvement examinée par le juge Joyal dans A.F.P.C. c. Canada (Commission canadienne des grains), [1986] A.C.F. no 498 (1re inst.) (QL) [aux paragraphes 32, 35 et 37] :
Une étude du sens du terme « mise en disponibilité » s'impose à ce stade. On commence tout naturellement par la définition légale qui se trouve à l'article 29 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. La mise en disponibilité est essentiellement la cessation des fonctions, faute de travail ou à cause de la suppression d'une fonction. D'après le Concise Oxford Dictionary (7e édition Oxford : The Clarendon Press, 1982) à la page 569, il s'agit « [traduction] d'une perte d'emploi (temporaire) du fait du manque de travail ». Selon The Oxford English Dictionary, Vol. VI, à la page 130, la mise en disponibilité consiste à [traduction] « renvoyer (un ouvrier), habituellement de façon temporaire ».
[. . .]
Les dictionnaires confèrent à la mise en disponibilité un caractère « temporaire ». Le Larousse illustré, 1986, définit la « disponibilité » comme la « position spéciale des fonctionnaires et des officiers qui, momentanément, n'exercent pas leurs fonctions ».
Le Dictionnaire français-anglais Robert et Collins donne comme traduction pour la mise en disponibilité à la page 214 : [traduction] « Fonctionnaire en congé sans solde ou temporairement libéré de ses obligations » et le Harrap's, quant à lui, traduit « lay-off » (à la page L-13) de la manière suivante : « congédier, licencier, renvoyer temporairement (des ouvriers) ».
[71]Selon l'employeur, la situation d'inactivité, sans travail et sans paye, n'est pas une mise en disponibilité parce qu'elle ne se traduit pas par une cessation d'emploi. Pourquoi ne se traduit-elle pas par une cessation d'emploi? Parce que les fonctionnaires continuent à être admissibles à des avantages sociaux. Je ne trouve pas cela convaincant. La cessation d'emploi découle du paragraphe 29(2) lorsqu'il y a mise en disponibilité. L'effet du paragraphe 29(2) ne peut être évité en prétendant poursuivre l'emploi d'un fonctionnaire mis en disponibilité. Du point de vue de l'employé, ce qui définit une mise en disponibilité, c'est de se faire dire de rester à la maison et de renoncer en conséquence à son salaire. Avoir le droit de continuer à payer des primes pour des avantages ne diminue en rien la réalité d'une mise en disponibilité.
[72]Par conséquent, j'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance de la Cour fédérale rendue le 25 février 2004 [2004 CF 277], j'infirmerais la décision du commissaire en chef de la Commission canadienne des grains en réponse aux griefs des appelants et je renverrais l'affaire au commissaire en chef avec la directive que mettre les appelants en situation d'inactivité sans paye est une mise en disponibilité au sens du paragraphe 29(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et ne peut donc être fait que conformément au Règlement pris par la Commission de la fonction publique.