IMM‑2757‑05
2006 CF 221
Mohammad Khalife (demandeur)
c.
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Mosley—Ottawa, 7 et 17 février 2006.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — « Délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire » — Contrôle judiciaire de la décision d’une gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) déclarant confisqués 50 000 $ du dépôt en espèces de 100 000 $ que le demandeur avait versé en vue d’être relâché d’un centre de détention de l’immigration au motif qu’il avait violé ses conditions de mise en liberté — L’art. 72(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dispose qu’une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 15 jours de la date où le demandeur est avisé ou a connaissance d’une décision — L’art. 6(1) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés précise que la demande de prorogation du délai se fait dans la demande d’autorisation selon l’annexe des Règles — Bien que la Cour fédérale ait autorisé l’audition de la demande de contrôle judiciaire, elle conserve pendant tout le temps que dure l’examen de la demande le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation si elle le juge nécessaire pour faire justice aux parties — Prorogation accordée — Les notions de droit criminel régissant la confiscation de dépôts sont inapplicables dans le contexte de l’immigration — La présente affaire ne porte pas sur un cautionnement d’un tiers — La gestionnaire a le pouvoir discrétionnaire de décider si la confiscation est justifiée, sous réserve des directives contenues dans le Guide d’immigration : Exécution — La décision de confisquer le dépôt n’était pas déraisonnable — Demande rejetée — Question certifiée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) déclarant confisqués 50 000 $ du dépôt de 100 000 $ que le demandeur a versé à titre de cautionnement au motif qu’il a violé les conditions qui lui ont été imposées lorsqu’il a été relâché d’un centre de détention de l’immigration. Le demandeur voulait obtenir un contrôle judiciaire parce que le montant confisqué n’était pas proportionnel à la nature et à l’importance de la contravention. Le demandeur, un citoyen du Liban, est entré au Canada et a été détenu. Il a ensuite été mis en liberté à certaines conditions imposées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Des conditions similaires lui ont été imposées par la Cour supérieure de Justice de l’Ontario lors de sa mise en liberté en lien avec un mandat d’extradition vers les États‑Unis. Par la suite, le demandeur a été arrêté et accusé d’avoir dérogé aux conditions imposées par la Cour supérieure, en vertu de l’article 145 du Code criminel. Il a plaidé coupable à l’un des chefs et le juge a ordonné qu’il soit mis en liberté sous caution relativement aux autres infractions. Cependant, le demandeur est demeuré en détention sous garde de l’immigration pour avoir contrevenu aux conditions de sa mise en liberté du centre de détention de l’immigration. La gestionnaire de l’Agence a déclaré que le demandeur avait contrevenu aux conditions imposées par la GRC à plusieurs reprises, qu’il était bien au courant de ces conditions et qu’il présentait un risque de fuite élevé. Les questions à trancher étaient celles de savoir si le demandeur a présenté sa demande de contrôle judiciaire trop tard et si la décision de la gestionnaire a été prise correctement.
Jugement : la demande doit être rejetée.
L’alinéa 72(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) dispose qu’une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 15 jours de la date où le demandeur est avisé ou a eu connaissance d’une décision. La décision a été rendue le 3 mars 2005 et la demande n’a été présentée que le 5 mai 2005. Bien que la Cour fédérale ait autorisé l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la question de savoir si la demande a été présentée à temps n’était pas sans intérêt pratique. Selon le paragraphe 6(1) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, la demande visant la prorogation du délai se fait dans la demande d’autorisation même, selon la formule IR‑1 figurant à l’annexe des Règles. Aucune demande de la sorte n’a été faite par le demandeur dans sa demande d’autorisation. En outre, même si l’autorisation a été accordée, le retard à présenter la demande demeure une question pertinente que le juge saisi de l’affaire devra examiner, et qui pourrait décider du sort de la demande. Il y a des circonstances où la décision d’accorder ou non la prorogation d’un délai ne peut être prise qu’à l’audience. Le temps limité dont dispose un juge pour décider d’accorder ou de refuser une autorisation ne lui permet pas d’examiner attentivement les raisons pour lesquelles la prorogation d’un délai peut être justifiée. Le silence sur cette question dans l’ordonnance d’autorisation ne doit pas être interprété comme un acquiescement à la prorogation, d’autant plus que le demandeur ne l’a pas demandée dans sa demande d’autorisation. Enfin, pendant tout le temps que dure l’examen d’une demande, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation d’un délai si elle le juge nécessaire pour faire justice aux parties. La prorogation a donc été accordée parce qu’il n’aurait pas été fait justice à la demande en la tranchant sans en examiner le fond.
La LIPR et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) ne sont pas explicites au sujet des décisions d’imposer la remise et la confiscation d’un dépôt de garantie en espèces. En l’absence de critères précis applicables à la confiscation, le demandeur a soutenu que les principes de droit criminel en matière de confiscation de sommes remises en garantie devraient s’appliquer dans le contexte de l’immigra-tion. La Cour fédérale a déjà fait remarquer que les analogies avec le droit criminel sont peu utiles puisque le gestionnaire a le pouvoir discrétionnaire de décider si la confiscation est justifiée, sous réserve des directives contenues dans le Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF) (le guide). De plus, le paragraphe 771(2) du Code criminel confère au juge saisi d’une demande de confisquer un engagement le pouvoir discrétionnaire de décerner toute ordonnance qu’il estime à propos, un pouvoir que n’a pas l’agent d’immigration. Enfin, la jurisprudence canadienne en matière criminelle quant au mode d’exercice du pouvoir discrétionnaire de confisquer un engagement vise une situation où un tiers a fourni un cautionnement pour garantir que l’accusé serait présent à son procès. Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération la mesure dans laquelle la caution est fautive ou a négligé de s’acquitter de ses obligations. Bien que des circonstances similaires pourraient se présenter en matière d’immigration, où une garantie d’exécution est donnée par un tiers, la confiscation dans la présente affaire concernait directement la personne qui n’a pas respecté ses conditions. Sa culpabilité pour la violation ne faisait aucun doute et la question de sa capacité de payer le montant confisqué n’a pas été soulevée dans la présente instance.
En matière d’immigration, il incombe au demandeur placé devant une ordonnance de renvoi de démontrer qu’il devrait être mis en liberté dans l’attente d’une audience sur le bien‑fondé de l’ordonnance. Le guide reconnaît le pouvoir discrétionnaire du gestionnaire de confisquer un dépôt et précise que « [l]es agents délégués doivent examiner chaque cas en fonction de son bien‑fondé ». La version antérieure du guide donnait un certain encadrement pour comprendre ce que cela signifie (c.‑à‑d. que le pouvoir discrétionnaire a été prévu dans l’éventualité où les conditions ont été enfreintes indépendamment de la volonté de la personne concernée ou qu’il existerait des circonstances atténuantes d’ordre humanitaire). À première vue, la décision de la gestionnaire de confisquer le dépôt de garantie semble avoir été prise conformément aux principes établis. Avant d’arriver à une conclusion, la gestionnaire a vérifié que le demandeur était bien au fait des conditions de sa mise en liberté, et elle a décidé qu’il les avait effectivement enfreintes. Elle a reçu ses observations et en a tenu compte. La gestionnaire a ensuite suivi les directives fournies par le paragraphe 49(4) du RIPR et du guide et a décidé qu’il y avait lieu de ne confisquer qu’une partie du dépôt de garantie. Bien qu’un doute subsistait quant à la façon dont la gestionnaire est arrivée au montant approprié, la décision n’était pas déraisonnable.
Enfin, la question de savoir si un fonctionnaire qui confisque un cautionnement ou une garantie d’exécution par suite d’une contravention de mise en liberté est tenu d’envisager de limiter le montant confisqué en proportion de la nature et de la gravité de contravention a été certifiée.
lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 145 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 20; L.C. 1994, ch. 44, art. 8; 1996, ch. 7, art. 38; 1997, ch. 18, art. 3), 771(2).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 58(3), 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 49(4) (mod. par DORS/2004‑167, art. 13(F)).
Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, (mod. par DORS/2005‑339, art. 1), art. 6 (mod. par DORS/2002‑ 232, art. 6), ann. (mod. par DORS/2005‑339, art. 6).
jurisprudence citée
décision appliquée :
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19
décisions différenciées :
R. v. Southampton Justices ex parte Green, [1975] 2 All E.R. 1073 (C.A.); R. v. Horseferry Road Magistrates’ Court, ex parte Pearson, [1976] 2 All E.R. 264 (Q.B.D.).
décisions examinées :
Gayle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 335; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Uanseru c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 428.
décisions citées :
Batkai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 514; Krishnamurthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1998 (1re inst.) (QL); Hughes c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 1055; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1997] A.C.F. no 1726 (1re inst.) (QL); R. v. Huang (1998), 127 C.C.C. (3d) 397; 111 O.A.C. 389 (C.A. Ont.); Canada v. McNeish, [1989] O.J. no 681 (H.C.J.) (QL); R. v. L.E.B. (2000), 186 N.S.R. (2d) 165 (C.S.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 363.
doctrine citée
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 8 : Garanties, en ligne <http ://www.cic.gc.ca/ manuals‑guides/français/index.html>.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’une gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada déclarant confisqués 50 000 $ du dépôt en espèces de 100 000 $ que le demandeur a versé en vue d’être relâché d’un centre de détention de l’immigration au motif qu’il a violé ses conditions de mise en liberté. Demande rejetée.
ont comparu :
Michael Davies pour le demandeur.
Sonia Barrette pour l’intimé.
avocats inscrits au dossier :
Michael Davies, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
[1]Le juge Mosley: M. Khalife, afin d’être relâché d’un centre de détention de l’immigration, a versé un dépôt en espèces de 100 000 $ à titre de garantie qu’il respecterait ses conditions de mise en liberté. Une gestionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré confisqués 50 000 $ de ce dépôt de garantie lorsque M. Khalife a violé ses conditions. M. Khalife veut obtenir un contrôle judiciaire de cette décision au motif que le montant confisqué n’est pas proportionnel à la nature et à l’importance de sa contravention.
[2]Le demandeur, un citoyen du Liban, est entré au Canada en septembre 2002 et a été détenu. Le 26 novembre 2002, il a été mis en liberté à la condition de se présenter régulièrement à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de respecter un couvre‑feu entre 21 heures et 6 heures et d’avoir en tout temps en sa possession une copie du document de mise en liberté. Des conditions similaires lui ont été imposées par la Cour supérieure de Justice de l’Ontario lors de sa mise en liberté en lien avec un mandat d’extradition vers les États‑Unis.
[3]Le 16 juin 2003, le demandeur a été arrêté et six chefs d’accusation ont été portés contre lui pour avoir dérogé aux conditions imposées par la Cour supérieure de Justice, en vertu de l’article 145 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 20; L.C. 1994, ch. 44, art. 8; 1996, ch. 7, art. 38; 1997, ch. 18, art. 3] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Il a plaidé coupable à l’un des chefs se rapportant à l’inobservation de son couvre‑feu. Le juge a ordonné qu’il soit mis en liberté sous caution relativement aux autres infractions prévues au Code criminel, mais le demandeur est demeuré en détention jusqu’au 17 juillet 2003, sous garde de l’immigration pour avoir contrevenu aux conditions de sa mise en liberté du centre de détention de l’immigration.
[4]Une première décision de l’Agence de confisquer 50 000 $ du dépôt de garantie du demandeur a été annulée de consentement à la suite d’une demande de contrôle judiciaire, mais une deuxième décision de confisquer le même montant a été prise par Stéphanie Chénier, gestionnaire de l’Agence, et communiquée à l’avocat du demandeur dans une lettre datée le 3 mars 2005. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Une autre lettre a été envoyée à l’avocat du demandeur le 31 mars 2005, en réponse à une demande d’information de sa part, confirmant que la lettre du 3 mars 2005 était l’entière décision de Mme Chénier.
[5]Dans sa lettre du 3 mars 2005 à l’avocat du demandeur, la gestionnaire déclare que M. Khalife a contrevenu à ses conditions : a) en omettant à plusieurs reprises de se présenter à la GRC; b) en n’observant pas son couvre‑feu; c) en omettant de produire son engage-ment lorsqu’il se présentait effectivement à la GRC. La gestionnaire a conclu que le demandeur était bien au courant de ces conditions et du fait que le risque qu’il prenne la fuite était considéré élevé. Bien qu’il n’ait effectivement pas pris la fuite, il avait bel et bien contre-venu à ses conditions de mise en liberté, et 50 000 $ de son dépôt de garantie de 100 000 $ devaient donc être confisqués. Dans sa réponse du 31 mars 2005, la gestion-naire a ajouté qu’il importait peu que M. Khalife ait respecté 90 % de ses conditions. Il devait les respecter à 100 %, à défaut de quoi il y a une pénalité, a‑t‑elle dit.
[6]Selon moi, la demande soulève les questions suivantes :
1. Le demandeur a‑t‑il présenté sa demande trop tard?
2. Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision de confisquer une garantie?
3. La décision de confisquer 50 000 $ a‑t‑elle été prise correctement?
La demande arrive‑t‑elle trop tard?
[7]Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas respecté le délai prescrit pour présenter sa demande de contrôle judiciaire. Selon l’alinéa 72(2)b) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 15 jours de la date où le demandeur est avisé ou a eu connaissance d’une décision. Comme la décision a été rendue le 3 mars 2005 et que la demande n’a été présentée que le 5 mai 2005, le défendeur affirme que le délai n’a pas été respecté et que la demande arrive trop tard.
[8]Le défendeur rejette aussi le point de vue du demandeur selon lequel la lettre du 31 mars 2005 faisait partie de la décision. Il s’agissait simplement d’une lettre de politesse en réponse à la lettre du demandeur. Il a été jugé que les lettres de politesse rédigées en réponse à une demande de réexamen n’étaient pas des décisions que l’on pouvait contester par voie de contrôle judiciaire : Batkai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 514; Krishnamurthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1998 (1re inst.) (QL); Hughes c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 1055.
[9]La disposition applicable de la LIPR est l’article 72, qui s’énonce comme suit :
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure—décision, ordonnance, question ou affaire—prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :
a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;
b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale—la Cour—dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;
c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;
d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;
e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.
[10]Conformément à l’alinéa 72(2)b), le demandeur aurait dû déposer la présente demande dans les 15 jours de la date où il a été avisé ou a eu connaissance du contenu de la décision du 3 mars 2005, plutôt que le 5 mai 2005. Même si je devais compter les jours à compter de la lettre du 31 mars 2005, les documents du demandeur auraient quand même été déposés en retard.
[11]Dans l’affidavit qu’il a déposé dans la présente instance, le demandeur déclare qu’il n’a pris connaissance de la décision de confisquer son dépôt de garantie que le 25 avril 2005, lorsqu’il en a été informé par l’avocat qu’il avait aux Etats‑Unis tandis qu’il était en détention dans l’État du Michigan. Comme il était représenté par un avocat au Canada durant toute la période pertinente, je suis convaincu qu’il a été avisé de la décision en temps opportun. En fait, l’avocat du demandeur à l’audience, qui n’était pas son avocat au moment de l’échange de correspondance sur la décision, n’a pas insisté sur cette question, tout en notant qu’il avait peut‑être été difficile pour son prédécesseur d’obtenir des instructions du demandeur dans les circonstances.
[12]Mais il était maintenant sans intérêt pratique de savoir si le demandeur avait pris connaissance de la décision et avait décidé de présenter sa demande de contrôle judiciaire à temps, a poursuivi son avocat, puisqu’un juge de la Cour avait autorisé l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Bien que l’ordonnance accordant cette autorisation soit muette au sujet du délai, le demandeur soutient que le juge saisi de la demande devrait présumer que le juge qui a accordé l’autorisation a aussi accordé une prorogation du délai pour le dépôt de la demande, conformément à l’alinéa 72(2)c) de la Loi, puisque c’est ce que les règles exigent.
[13]Selon le paragraphe 6(2) [mod. par DORS/2002-232, art. 6] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [(mod. par DORS/2005-339, art. 1)] (les Règles), il est statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que sur la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier. De plus, soutient le demandeur, le défendeur s’est expressément opposé au dépôt hors délai dans le mémoire des faits et du droit qu’il a déposé en réponse à la demande d’autorisation. Il faut présumer que le juge qui a accordé l’autorisation a pris cette objection en considération et a décidé de ne pas la retenir, a‑t‑il été plaidé.
[14]Bien que cet argument soit ingénieux, je ne peux pas convenir que la question soit théorique dans les circonstances. Conformément au paragraphe 6(1) [mod. par DORS/2002-232, art. 6] des Règles, une demande visant la prorogation d’un délai se fait dans la demande d’autorisation même, selon la formule IR‑1 figurant à l’annexe [mod. par DORS/2005-339, art. 6] des Règles. Aucune demande de la sorte n’a été faite par le demandeur dans sa demande d’autorisation. À mon avis, même si l’autorisation a été accordée, le retard à présenter la demande demeure une question pertinente que le juge saisi de l’affaire devra examiner, et qui pourrait décider du sort de la demande. Il y a des circonstances où la décision d’accorder ou non la prorogation d’un délai ne peut être prise qu’à l’audience. Le temps limité dont dispose un juge pour décider d’accorder ou de refuser une autorisation ne lui permet pas d’examiner attentivement les raisons pour lesquelles la prorogation d’un délai peut être justifiée. Je ne suis pas enclin à conclure que le silence sur cette question dans l’ordonnance d’autorisation doit être interprété comme un acquiescement à la prorogation, d’autant plus que le demandeur ne l’a pas demandée dans sa demande d’autorisation.
[15]En tout état de cause, pendant tout le temps que dure l’examen d’une demande, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation d’un délai si elle le juge nécessaire pour faire justice aux parties : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1997] A.C.F. no 1726 (1re inst.)_(QL).
[16]Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, je ne pense pas qu’on ferait justice à la demande en la tranchant sans en examiner le fond. Je vais donc accorder la prorogation que le demandeur aurait dû demander et traiter la demande comme si elle avait été faite dans le délai prescrit.
LA NORME DE CONTRÔLE
[17]Le demandeur fait remarquer que dans Gayle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigra-tion), 2002 CFPI 335 (Gayle), une autre affaire de confiscation à la suite de l’inobservation des conditions imposées par les autorités de l’immigration, la juge Eleanor R. Dawson avait conclu que la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. Le demandeur soutient en revanche qu’une norme exigeant une moins grande retenue judiciaire est justifiée du fait que les gestionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada n’ont pas de connaissances particulières en matière de confiscation, contrairement aux juges qui décident ce genre de questions dans le contexte d’une instance criminelle où les témoins peuvent être entendus et les avocats plaider leur cause.
[18]Selon le défendeur, il est faux de prétendre que les gestionnaires de l’Agence des services frontaliers ne sont pas versés dans la prise de décisions de cette nature, car elles vont nécessairement de pair avec leurs tâches quotidiennes. La décision du gestionnaire est de nature discrétionnaire, mais l’étendue du pouvoir discrétionnaire est limitée par le paragraphe 49(4) [mod. par DORS/2004-167, art. 13(F)] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR). Cette disposition énonce simplement qu’en cas de non‑respect d’une condition imposée pour la mise en liberté, la somme d’argent donnée en garantie est confisquée. Le défendeur laisse entendre que la décision porte sur une question mixte de faits et de droit et que la norme devrait donc être la décision raisonnable.
[19]Comme la LIPR n’était pas en cause dans l’affaire Gayle, cette décision a une valeur d’exemple mais n’est pas déterminante en ce qui a trait à la norme applicable. En appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle décrite dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, j’ai conclu que la norme devrait être la décision raisonnable. Il n’est pas loisible d’en appeler de la décision de la gestionnaire, ce qui signifie qu’il y a lieu d’appliquer une plus grande retenue à son égard. Toutefois, les tribunaux sont tout aussi bien sinon mieux équipés pour trancher des questions de confiscation, et comme il s’agit de concilier les intérêts de l’État et ceux d’un particulier, cela donne à penser que moins de retenue est nécessaire. La question de savoir si la gestionnaire a correctement usé de son pouvoir discrétionnaire semble être une question mixte de faits et de droit.
[20]Comme l’a dit le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56 : « Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion ».
La décision de confisquer 50 000 $ a‑t‑elle été prise correctement?
[21]La LIPR et le RIPR ne sont pas explicites au sujet des décisions d’imposer la remise et la confiscation d’un dépôt de garantie en espèces. Le pouvoir d’imposer la remise d’un dépôt de garantie en espèces est conféré par le paragraphe 58(3) de la LIPR qui est formulé comme suit :
58. [. . .]
(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.
[22]Le paragraphe 49(4) du RIPR prescrit la confiscation de la somme remise en garantie en cas de non‑respect des conditions de mise en liberté :
49. [. . .]
(4) En cas de non‑respect, par la personne ou tout membre du groupe de personnes visé par la garantie, d’une condition imposée à son égard, la somme d’argent donnée en garantie est confisquée ou la garantie d’exécution devient exécutoire.
[23]Le demandeur soutient que ni la LIPR, ni le RIPR ne prévoient de critère précis applicable à la confiscation des sommes remises en garantie dans le contexte de l’immigration, et que la Cour devrait donc appliquer à la présente affaire les principes en matière de confiscation découlant du paragraphe 771(2) du Code criminel. Le demandeur fait notamment valoir que la jurisprudence qui a été élaborée en droit criminel enseigne que les tribunaux ne doivent pas ordonner la confiscation d’un dépôt de garantie sans se demander si elle est nécessaire pour les fins de la justice : R. v. Huang (1998), 127 C.C.C. (3d) 397 (C.A. Ont.); Canada v. McNeish, [1989] O.J. no 681 (H.C.J.) (QL); R. v. L.E.B. (2000), 186 N.S.R. (2d) 165 (C.S.).
[24]En s’appuyant sur ce raisonnement, le demandeur soutient que la gestionnaire n’a pas examiné la possibilité que les fins de la justice puissent être servies dans la présente affaire sans aucune confiscation, ou avec la confiscation d’un montant moins élevé. Le demandeur affirme aussi que la gestionnaire n’a pas examiné toutes les circonstances de l’affaire, comme le fait qu’il avait respecté la majorité de ses conditions de mise en liberté, le fait qu’il avait déjà été détenu pendant 81 jours en tout, qu’il n’y avait jamais eu de danger pour le public, qu’il n’y avait aucune indication qu’il avait l’intention de se dérober à la justice, ou encore le fait qu’il s’était volontairement rendu aux autorités.
[25]Le demandeur a fait remarquer aussi que dans Gayle, la Cour avait statué qu’il était manifestement déraisonnable pour un décideur de conclure qu’un simple manquement à des conditions de mise en liberté était une justification suffisante pour ordonner la confiscation. Constater un manquement est une condition préalable à la confiscation, mais une fois qu’il a constaté le manquement, le décideur doit ensuite exercer son pouvoir discrétionnaire, ce que la gestionnaire n’a pas fait, selon le demandeur.
[26]Le défendeur s’interroge sur l’opportunité de recourir à des notions de droit criminel dans le contexte de l’immigration. Il s’oppose aussi à ce que le demandeur invoque la décision Gayle, parce que cette décision a été rendue sous le régime de la loi qui a précédé la LIPR. Néanmoins, comme dans Gayle, la gestionnaire a procédé correctement dans la présente affaire, d’abord en concluant, à partir des faits, que le demandeur n’avait pas respecté ses conditions. Elle a ensuite exercé son pouvoir discrétionnaire et décidé s’il y avait lieu ou non de confisquer une somme d’argent.
[27]Dans l’affaire Uanseru c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 428, la juge Anne L. Mactavish fait remarquer que les analogies avec le droit criminel sont peu utiles puisque le gestionnaire a le pouvoir discrétionnaire de décider si la confiscation est justifiée, sous réserve des directives contenues dans le Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF) de Citoyenneté et Immigration Canada (le guide).
[28]Il est indiqué au point 5.6 du Guide [chapitre ENF 8] que :
▪ Le signataire d’un dépôt de garantie s’oblige à être passible de la confiscation de la garantie d’exécution au cas où la personne concernée n’honore pas l’une quelconque des conditions imposées, ou la viole.
▪ L’agent de CIC ou de l’ASFC doit s’assurer que la personne qui signe comprend l’importance de l’engagement, ainsi que les responsabilités et les conséquences au cas où la personne faisant l’objet de la garantie d’exécution ne respecte l’une quelconque des conditions imposées.
[. . .]
▪ Si une personne omet de se conformer à l’une quelconque des conditions imposées, le dépôt de garantie sera déclaré confisqué ou la garantie d’exécution deviendra exécutoire.
[29]Et au point 6.5, le guide ajoute : « Si la personne viole l’une quelconque des conditions, la garantie d’exécution sera exécutée. Les agents délégués de CIC ou de l’ASFC doivent examiner chaque cas en fonction de son bien‑fondé ».
[30]Au paragraphe 25 de ses motifs dans Uanseru, en se guidant sur les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, la juge Mactavish dit que le tribunal ne doit pas intervenir dans une décision de confisquer si « le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle et que le décideur ne s’est pas fondé sur des considérations irrégulières ou étrangères à l’objet de la loi ».
[31]Le défendeur fait valoir que la décision prise dans la présente affaire respecte tout à fait ces principes. Il n’y a pas eu déni de l’équité procédurale, le demandeur ayant eu la possibilité de formuler des observations à la gestionnaire, ce qu’il a fait avec l’aide de son avocat, et il n’y a rien au dossier qui indiquerait que la gestionnaire s’est fondée sur des considérations étrangères. Enfin, le défendeur soutient que la gestionnaire a tenu compte de l’ensemble de la preuve, soulignant l’existence d’une présomption en ce sens : Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 363.
[32]Le demandeur m’a invité à conclure que la gestionnaire n’avait pas véritablement exercé son pouvoir discrétionnaire en confisquant exactement le même montant qui avait été déclaré confisqué dans la décision antérieure, annulée de consentement. Je ne suis pas disposé à conclure de la sorte en me fondant uniquement sur le fait que les montants sont identiques et en l’absence de tout autre élément de preuve. Mais la question de savoir comment la gestionnaire en est arrivée à ce montant demeure soulevée.
[33]Il y a certainement des faiblesses dans l’argument du demandeur portant que la Cour devrait simplement adopter les principes de droit criminel énoncés dans Huang, McNeish et L.E.B., et les appliquer à des décisions de confisquer dans des affaires d’immigration. Le paragraphe 771(2) du Code criminel confère au juge saisi d’une demande de confisquer un engagement le pouvoir discrétionnaire de décerner toute ordonnance qu’il estime à propos, un pouvoir que n’a pas l’agent d’immigration. Je note que les décisions sur lesquelles s’appuie le demandeur ont été rendues par des cours d’archives de juridiction supérieure qui ont aussi le pouvoir inhérent de décerner toute ordonnance jugée à propos dans les circonstances.
[34]Pour se guider sur la manière d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, la jurisprudence canadienne en matière criminelle s’est inspirée de la déclaration de lord Denning, maître des rôles, dans l’affaire anglaise R. v. Southampton Justices ex parte Green, [1975] 2 All E.R. 1073 (C.A.), aux pages 1077 et 1078 :
[traduction] Quels principes devraient inspirer les juges? Ils doivent, à mon avis, considérer dans quelle mesure la caution a été fautive. Si elle a fermé les yeux sur la fuite de l’accusé, ou si elle l’a aidé et s’en est faite le complice, il serait approprié de confisquer la somme au complet. Si elle n’a pas fait preuve de diligence raisonnable pour garantir sa comparution, il pourrait être indiqué de confisquer la somme au complet ou en bonne partie, selon le degré de la faute. Mais si elle n’a pas manqué à son devoir de diligence et a pris toutes les mesures pour garantir la comparution de l’accusé, il peut être indiqué de la restituer au complet.
[35]Comme on peut le constater, lord Denning parlait d’une situation où un tiers fournit un cautionnement pour garantir que l’accusé sera présent à son procès. Si l’accusé ne comparaît pas, le tribunal saisi d’une demande de confisquer doit se demander dans quelle mesure la caution est fautive ou a négligé de s’acquitter de ses obligations.
[36]Dans une autre décision anglaise également citée dans la jurisprudence canadienne, R. v. Horseferry Road Magistrates’ Court, ex parte Pearson, [1976] 2 All E.R. 264 (Q.B.D.), lord Widgery fait remarquer à la page 266 [traduction] « la caution a sérieusement contracté une importante obligation et devrait payer le montant qu’elle a promis, à moins que les circonstances de l’espèce, relatives à ses moyens ou à sa culpabilité, justifient le paiement d’un montant moins élevé ».
[37]La situation décrite par lord Denning et lord Widgery peut aussi se présenter en matière d’immigration, où une garantie d’exécution est donnée par un parent ou un ami de la personne détenue. Mais ce n’est pas le cas pour M. Khalife. Dans la présente affaire, la confiscation contestée concernait directement la personne qui n’a pas respecté ses conditions, et non un tiers. La personne la mieux placée pour éviter le non‑respect des conditions était le demandeur, M. Khalife. Sa culpabilité pour la violation ne fait aucun doute et la question de sa capacité de payer le montant confisqué n’a pas été soulevée dans la présente instance.
[38]En matière d’immigration, il incombe au demandeur placé devant une ordonnance de renvoi de démontrer qu’il devrait être mis en liberté dans l’attente d’une audience sur le bien‑fondé de l’ordonnance. Comme l’a fait remarquer la juge Mactavish dans Uanseru, au paragraphe 18 : « La raison d’être du recours aux cautionnements est de permettre la mise en liberté d’immigrants détenus en assortissant leur mise en liberté de conditions garantissant qu’ils se conformeront à la législation en matière d’immigration ». Dans quelle mesure se conformerait‑on moins à la législation si les agents d’immigration devaient soupeser les circonstances de chaque contravention afin de déterminer le montant devant être confisqué?
[39]Comme je l’ai dit plus haut, il n’y a rien dans la LIPR ou le RIPR qui conférerait au gestionnaire de l’Agence des services frontaliers le pouvoir discrétion-naire de répartir la faute ou de considérer des facteurs aggravants ou atténuants lorsqu’il décide s’il y a lieu de confisquer un dépôt de garantie. Le seul pouvoir qu’il a à cet égard est celui que l’on trouve dans le guide d’exécution de la loi mentionné plus haut où il est dit que « [l]es agents délégués [. . .] doivent examiner chaque cas en fonction de son bien‑fondé » (non souligné dans l’original).
[40]Pour comprendre ce que cela veut dire, on peut se guider sur la version antérieure du guide dont était saisie ma collègue la juge Dawson dans Gayle. Comme on peut le lire au paragraphe 17 de ses motifs, le guide précisait que :
[. . .] ce pouvoir discrétionnaire a été prévu dans la Loi dans l’éventualité où l’agent jugerait que les conditions du cautionnement ont été enfreintes indépendamment de la volonté de la personne concernée ou qu’il existerait des circonstances atténuantes d’ordre humanitaire.
[41]Toutefois, ces considérations n’auraient été d’aucun secours pour le demandeur puisqu’il n’était pas sans faute et qu’il n’y a pas de preuve au dossier de circonstances atténuantes qui justifieraient la non‑ confiscation ou la confiscation d’un montant moins élevé.
[42]À première vue, la décision de la gestionnaire de confisquer le dépôt de garantie semble avoir été prise conformément aux principes énoncés dans les décisions Maple Lodge Farms et Uanseru. Avant d’arriver à une conclusion, la gestionnaire a vérifié que le demandeur était bien au fait des conditions de sa mise en liberté, et elle a décidé qu’il les avait effectivement enfreintes. Elle a reçu ses observations et en a tenu compte. La gestionnaire a ensuite suivi les directives fournies par le paragraphe 49(4) du RIPR et du guide et a décidé, en se fondant sur le bien‑fondé de la demande, qu’il y avait lieu de ne confisquer qu’une partie du dépôt de garantie du demandeur.
[43]Même si j’ignore comment la gestionnaire est arrivée à la conclusion que 50 000 $, plutôt que tout autre montant, était le montant approprié, je ne peux pas conclure à partir du dossier dont je suis saisi que cette décision était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[44]Le demandeur a demandé que je certifie, comme question grave de portée générale, la question suivante :
[traduction] Quels sont les facteurs dont le décideur doit tenir compte en ordonnant la confiscation?
[45]Le défendeur s’oppose à la question au motif que ni la LIPR ni le RIPR ne prévoient de facteurs, et que tout facteur que la Cour pourrait définir entraverait le pouvoir du fonctionnaire.
[46]À mon avis, la question est formulée de manière trop vague et ne serait pas déterminante dans un appel de la présente décision. Je suis par contre disposé à certifier la question grave de portée générale suivante :
Le fonctionnaire qui confisque un cautionnement ou une garantie d’exécution par suite d’une contravention aux conditions de mise en liberté est‑il tenu d’envisager de limiter le montant confisqué en proportion de la nature et de la gravité de la contravention?
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. La question grave de portée générale suivante est certifiée : Le fonctionnaire qui confisque un cautionnement ou une garantie d’exécution par suite d’une contravention aux conditions de mise en liberté est‑il tenu d’envisager de limiter le montant confisqué en proportion de la nature et de la gravité de la contravention?