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T‑2202‑04

2006 CF 68

Leth Farms Ltd., Wheatland Select Organic Turkey Ltd. et Arnold Leth (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada et l’Office canadien de commercialisation du dindon (défendeurs)

Répertorié : Leth Farms Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Campbell—Vancouver, 18 et 19 janvier; Toronto, 24 janvier 2006.

Agriculture — Demande contestant le rejet d’un appel devant le Conseil national de commercialisation des produits agricoles (Conseil) suivant l’art. 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (LOPA) relativement à une décision de l’Office canadien de commercialisation du dindon (OCCD) d’appliquer sa politique d’exportation aux demandeurs pour la période 2003‑2004 — Les demandeurs sont d’importants producteurs de dindons de l’Alberta — L’OCCD, créé en vertu de la LOPA, est l’organisme fédéral chargé de réglementer le commerce interprovincial ou celui de l’exportation du dindon — Il fixe les contingents de dindons pour chaque province participante — L’Alberta Turkey Producers (ATP) était dans une situation de mises en marché excédentaires en 2003‑2004, de sorte qu’elle s’est vu imposer des sanctions par l’OCCD — L’ATP a attribué la plus grande partie de ces mises en marché excédentaires aux activités des demandeurs — La question qui devait être tranchée était de savoir si le Conseil a pris une décision correcte en décidant qu’il n’avait pas compétence pour accorder l’ordonnance demandée par les demandeurs — La mission et les pouvoirs du Conseil sont énoncés aux art. 6 et 7 de la LOPA — Il faut interpréter l’art. 7(1)l) dans le contexte de l’art. 6 — Le Conseil n’est pas censé être un exécuteur, mais plutôt un superviseur et un facilitateur — Les pouvoirs conférés sont étroitement définis par l’art. 7(1) de la LOPA — Les art. 7(1)a) à e) confèrent au Conseil, à l’égard des objets mentionnés (ordonnances, règlements), seulement le pouvoir de procéder à une enquête, d’examiner et de faire rapport au ministre — Les art. 7(1)g) à k) confèrent au Conseil le pouvoir discrétionnaire de prendre certaines mesures administratives — À la lumière des art. 6 et 7(1), le Conseil n’a pas, en vertu de l’art. 7(1)l), un pouvoir de directive lui permettant de prendre une ordonnance exigeant que les productions des demandeurs destinées à l’exportation et au marché intérieur soient calculées correctement en conformité avec l’expérience réelle de production et de mise en marché — Demande rejetée.

Interprétation des lois — Demande contestant le rejet d’un appel devant le Conseil national de commercialisation des produits agricoles (Conseil) suivant l’art. 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (LOPA) relativement à une décision de l’Office canadien de commercialisation du dindon (OCCD), lequel a appliqué sa politique d’exportation aux demandeurs pour la période 2003‑2004 — En ce qui concerne les pouvoirs conférés au Conseil, le libellé de l’art. 7 est clair si l’on tient compte de l’ensemble de la LOPA, et notamment de l’ensemble de l’art. 7 — Les pouvoirs conférés au Conseil par l’art. 7(1)l) comprennent‑ils celui de donner des directives? — La « règle des choses du même ordre » (ejusdem generis) est utile pour arriver à une interprétation juste de l’art. 7(1)l) — Lorsque l’on trouve une clause qui énonce une liste de termes précis suivie d’un terme général, il conviendra normalement de limiter le terme général au genre de l’énumération restreinte qui le précède — Les pouvoirs conférés au Conseil sont très étroitement définis par la LOPA — En interprétant, conformément à la « règle des choses du même ordre », le pouvoir général conféré à l’art. 7(1)l) dans le contexte des fonctions de superviseur et de facilitateur énoncées à l’art. 6 et des pouvoirs restreints conférés à l’art. 7(1) pour s’acquitter de ces fonctions, il fut estimé que le pouvoir discrétionnaire suivant l’art. 7(1)l) ne confère pas au Conseil davantage qu’un pouvoir de supervision ou de facilitation — En conséquence, le Conseil n’a pas le pouvoir de donner des directives.

Il s’agissait d’une demande par laquelle les demandeurs ont contesté le rejet de leur appel devant le Conseil national de commercialisation des produits agricoles (Conseil), suivant l’alinéa 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (LOPA), relativement à la décision de l’Office canadien de commercialisation du dindon (OCCD) d’appliquer sa politique d’exportation dans leur cas pour la période 2003‑2004. Les demandeurs sont d’importants producteurs de dindons de l’Alberta. L’OCCD, créé en vertu de la LOPA, est l’organisme fédéral chargé de réglementer le commerce interprovincial ou celui de l’exportation du dindon. Il fixe les contingents de dindons pour chaque province participante et, dans chacune d’elles, il a délégué à un office de commercialisation provincial l’allocation de contingents aux producteurs individuels de dindons. L’organisme de réglementation provincial en Alberta se nomme l’Alberta Turkey Producers (ATP). L’OCCD a élaboré une politique d’exportation en vue de faciliter en particulier l’ouverture de nouveaux marchés d’exportation. Selon sa politique, chaque province reçoit une allocation conditionnelle de dindons destinés à l’exportation, et l’office de commercialisation provincial attribue ensuite cette allocation conditionnelle à ses producteurs. Pour ce qui est de l’application aux demandeurs de la politique d’exportation de l’OCCD en 2003‑2004, celle‑ci n’a pas, pour des raisons administratives, attribué de contingent d’exportation à l’ATP. Cette absence de contingent a eu pour effet de placer l’Alberta dans une situation de mises en marché excédentaires pour cette période, de sorte que l’ATP était sujet à des sanctions pécuniaires. L’ATP a attribué la plus grande partie de ces mises en marché excédentaires aux activités des demandeurs. Compte tenu du non‑respect de la politique d’exportation et des sanctions imposées, l’ATP a demandé un traitement spécial à l’OCCD et, en conséquence, les sanctions ont été réduites. La décision de « renonciation » de l’OCCD a fait en sorte que la plus grande partie de la production de Leth Turkey Farms a été considérée comme destinée au marché intérieur alors qu’en réalité 91,8 % de celle‑ci était exportée et devait donc faire l’objet de crédits à l’exportation. Après la décision de l’OCCD, l’ATP a infligé des sanctions importantes aux demandeurs, et a fixé leur contingent à zéro. L’ATP a engagé une poursuite devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta à l’encontre des demandeurs pour recouvrer l’amende infligée. En vue de faire réviser la politique d’exportation de l’OCCD et de faire corriger la manière dont cette politique a été appliquée dans leur cas, les demandeurs ont interjeté appel devant le Conseil pour que leurs contingents destinés au marché d’exportation et au marché intérieur soient calculés correctement. Bien que l’appel des demandeurs ait été accueilli à titre de plainte fondée sur l’alinéa 7(1)f) de la LOPA, le Conseil est arrivé à la conclusion qu’il lui était impossible d’accorder le redressement demandé parce qu’il n’avait pas compétence en la matière. La question qui devait être tranchée était de savoir si le Conseil a pris une décision correcte en décidant qu’il n’avait pas compétence pour accorder l’ordonnance demandée par les demandeurs et si, en particulier, les pouvoirs conférés au Conseil par l’alinéa 7(1)l) comprenaient le pouvoir de donner des directives.

Jugement : la demande est rejetée.

Le Conseil est créé en vertu de la partie I de la LOPA; sa mission et ses pouvoirs sont énoncés aux articles 6 et 7. Selon la version anglaise de l’alinéa 7(1)f), le Conseil doit prendre « such action within its powers as it deems appropriate » (les mesures qu’il estime appropriées). Les pouvoirs ainsi conférés peuvent seulement être les pouvoirs conférés au paragraphe 7(1) puisqu’aucune autre disposition ne lui confère des pouvoirs. Le libellé de l’article 7 est clair si l’on tient compte de l’ensemble de la LOPA et de l’article 7. Il faut interpréter l’alinéa 7(1)l) dans le contexte de l’article 6. Selon l’alinéa 6(1)a) de la LOPA, la première mission du Conseil est de « conseiller » le ministre sur la création et le fonctionnement des offices; en vertu de l’alinéa 6(1)b), une fois que les offices ont été créés, le Conseil a le devoir de « contrôler » leur activité; enfin, suivant l’alinéa 6(1)c), le Conseil doit « travailler » avec les offices à améliorer l’efficacité de la commercialisation des produits agricoles. En vertu du paragraphe 6(2), le Conseil « consulte » les gouvernements. Il ressort clairement de la terminologie employée à l’article 6 que le Conseil n’est pas censé être un exécuteur, mais plutôt un superviseur et un facilitateur voué à des changements positifs.

De plus, si l’on considère l’ensemble de l’article 7, la « règle des choses du même ordre » (ejusdem generis) est utile pour arriver à une interprétation juste de l’alinéa 7(1)l). Lorsque l’on trouve une clause qui énonce une liste de termes précis suivie d’un terme général, il conviendra normalement de limiter le terme général au genre de l’énumération restreinte qui le précède. Les pouvoirs conférés au Conseil pour qu’il remplisse sa mission sont très étroitement définis. En ce qui a trait aux pouvoirs conférés au Conseil aux alinéas 7(1)a) à e), le pouvoir à l’égard de l’objet mentionné est seulement celui de procéder à une enquête, d’examiner et de faire rapport au ministre. Suivant les alinéas 7(1)d) et e), le Conseil a le pouvoir d’examiner et l’obligation d’approuver et, suivant l’alinéa e), le pouvoir discrétionnaire d’annuler, mais seulement à l’égard des ordonnances et règlements. Les alinéas 7(1)g) à k) confèrent au Conseil le pouvoir discrétionnaire de prendre certaines mesures administratives. Par conséquent, si l’on interprète, conformément à la « règle des choses du même ordre », le pouvoir général conféré à l’alinéa 7(1)l) dans le contexte des fonctions de superviseur et de facilitateur énoncées à l’article 6 et des pouvoirs restreints conférés au paragraphe 7(1) pour s’acquitter de ces fonctions, le pouvoir discrétionnaire de « prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission » ne confère pas davantage qu’un pouvoir de supervision ou de facilitation; en d’autres mots, l’article 7(1)l) n’accorde pas au Conseil un pouvoir de directive lui permettant de prendre une « ordonnance » exigeant que les productions des demandeurs destinées à l’exportation et au marché intérieur soient calculées correctement en conformité avec l’expérience réelle de production et de mise en marché.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(3)b) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F‑4, art. 1 (mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 2), 6 (mod., idem, art. 6), 7 (mod., idem, art. 7).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règle 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), tarif B, colonne III.

jurisprudence citée

décision examinée :

Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029.

doctrine citée

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

DEMANDE par laquelle les demandeurs ont contesté le rejet de leur appel par le Conseil national de commercialisation des produits agricoles suivant l’alinéa 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (la LOPA) relativement à la décision de l’Office canadien de commercialisation du dindon d’appliquer sa politique d’exportation dans leur cas pour la période 2003‑2004. Demande rejetée.

ont comparu :

Christopher Harvey, c.r. pour les demandeurs.

M. Sean Gaudet pour le défendeur le procureur général du Canada.

John L. O’Kane pour le défendeur l’Office canadien de commercialisation du dindon.

avocats inscrits au dossier :

MacKenzie Fujisawa LLP, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur le procureur général du Canada.

Lawrence, Lawrence, Stevenson LLP, Brampton, pour le défendeur l’Office canadien de commercia-lisation du dindon.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Campbell: Les demandeurs sont d’importants producteurs de dindons de l’Alberta. L’origine de la présente demande tient au fait que les demandeurs contestent la politique du Canada en ce qui a trait à la commercialisation des exportations de dindons et, en particulier, la manière dont cette politique a été appliquée dans leur cas durant la période comprise entre le 1er mai 2003 et le 31 avril 2004. À ce sujet, les demandeurs ont présenté un appel en vue d’obtenir une mesure de redressement dans le cadre du régime de commercialisation et, lorsque leur appel a été rejeté, ils ont entrepris le présent recours contestant ce rejet.

[2]Un des éléments importants du présent recours consiste en une demande élargie en vue d’obtenir un jugement déclaratoire qui permettrait un examen du régime de commercialisation dans l’espoir de provoquer une modification de la politique. En fin de compte, le gros des efforts déployés dans la formulation de l’argumentation visant à obtenir ce résultat s’est concentré sur une seule question : quelle interprétation doit‑on donner à l’alinéa 7(1)l) [mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 7] de la Loi sur les Offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F‑4, art. 1 (mod., idem, art. 2) (la LOPA).

[3]Pour les raisons qui suivent, je n’accepte pas l’interprétation des demandeurs.

I. Le contexte juridique et factuel relatif à l’objection des demandeurs touchant la politique

[4]Comme la question d’interprétation au cœur de la présente demande est un élément du différend en matière de commercialisation, il est important de comprendre le contexte juridique et factuel de ce différend. Ce qui suit est un résumé non contesté du régime de commercia-lisation s’appliquant aux demandeurs tiré du mémoire des faits et du droit de l’Office canadien de commercia-lisation du dindon (OCCD), que j’ai abrégé et légèrement modifié pour fins de clarté :

[traduction] Il existe au Canada un système de commercialisation du dindon fondé sur la gestion de l’offre. Le système est régi par des lois fédérale et provinciales complémentaires qui ont été adoptées par suite de la signature en 1973 d’un accord fédéral‑provincial (AFP).

L’OCCD, créé en vertu de la LOPA, est l’organisme fédéral chargé de réglementer le commerce interprovincial ou d’exportation du dindon. La mission de l’OCCD, énoncée dans la Loi, est de promouvoir la production et la commercialisation du dindon de façon à en accroître l’efficacité et la compétitivité et de veiller aux intérêts tant des producteurs que des consommateurs de dindons.

Tout comme l’OCCD est l’organisme de réglementation fédéral, chaque province qui a signé l’AFP a créé un office de commercialisation qui agit comme organisme de réglemen-tation provincial. Ce système global fait appel à une réglementation fédérale et provinciale mixte et à une délégation de pouvoirs réciproque entre les organismes de réglementation des provinces et celui du gouvernement fédéral.

L’OCCD s’acquitte de ses tâches de réglementation en rendant des ordonnances et en établissant des règlements conformément à son principal instrument, la Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des dindons (la Proclamation).

Le principal instrument de réglementation utilisé par l’OCCD est le Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation du dindon (Règlement sur le contingentement) par lequel l’OCCD fixe les contingents de dindons attribués à chaque province participante. Dans le cas de l’Alberta, l’OCCD a attribué 11 399 016 kilogrammes (kg) de dindons (poids éviscéré) pour l’année 2003‑2004.

Dans chaque province participante, l’OCCD a délégué à un office de commercialisation provincial l’allocation de contingents à des producteurs de dindons individuels, en prenant l’Ordonnance visant la délégation de contingents de l’Office canadien de commercialisation des dindons. Dans le cas de l’Alberta, l’organisme de réglementation provincial, Alberta Turkey Producers (ATP), a attribué aux différents producteurs de dindons de l’Alberta le contingent alloué par l’OCCD, en plus de son propre contingent provincial pour les dindons destinés au marché intérieur de la province. Dans le cas des demandeurs, ATP leur a attribué 433 534 kg (poids vif) de dindons.

Selon l’annexe C de l’AFP, tous les nouveaux marchés ouverts par l’Office et toutes les nouvelles utilisations du dindon doivent faire partie des ententes en vigueur relatives au partage des contingents, alors que tous les nouveaux marchés d’exportation ouverts par une province doivent être exclus de ces ententes et faire l’objet plutôt d’une entente distincte entre la province et l’Office. Ces ententes d’exportation entre une province et l’Office s’appelle des « politiques d’exportation ».

Ainsi, l’OCCD a élaboré une politique d’exportation au milieu des années 1980. La Politique d’exportation de l’Office canadien de commercialisation du dindon (la politique d’exportation de l’OCCD) a été modifiée au fil des ans en vue de faciliter l’ouverture de nouveaux marchés d’exportation, de veiller à ce que les exportations soient reconnues, de faire en sorte que les produits d’exportation n’aient pas d’impacts négatifs sur le marché intérieur et d’assurer une mise en marché ordonnée de l’ensemble de la production de dindons.

Selon la politique d’exportation de l’OCCD, chaque office de commercialisation d’une province participante doit fournir à l’OCCD des données sur les volumes anticipés de dindons d’exportation produits dans la province. Si la documentation fournie est acceptable en vertu de la politique, la province reçoit une « allocation conditionnelle » (poids éviscéré) de dindons destinés à l’exportation. L’office de commerciali-sation provincial attribue ensuite cette allocation condition-nelle à ses producteurs. Pour les exportations de viande désossée ou non (comme dans le cas des demandeurs), il faut qu’au  moins  59 %  du  poids  vif  total de  dindons  produits soient exportés pour ouvrir droit au contingent en vertu de la politique d’exportation de l’OCCD.

Pour ce qui est de l’application de la politique d’exportation de l’OCCD en 2003‑2004 aux demandeurs, l’OCCD n’a pas attribué de contingent d’exportation à ATP pour des raisons strictement administratives ayant trait aux exigences visant le dépôt. Cette absence de contingent a eu pour effet net de placer l’Alberta dans une situation de mises en marché excédentaires pour la période du 1er mai 2003 au 30 avril 2004, de sorte que ATP était sujet à des sanctions pécuniaires.

Chaque année, l’OCCD procède à une conciliation de tous les contingents attribués aux provinces au cours de l’année qui précède. Cette conciliation pour l’année 2003‑2004 a eu lieu lors de sa 196e réunion qui a eu lieu les 22 et 23 juin 2004. L’Alberta a reçu un contingent de 11 399 016 kg de dindons pour 2003‑2004, et ATP a informé l’OCCD qu’à la fin de cette période, la province estimait qu’elle serait en position de mises en marché excédentaires d’environ 500 000 kg par rapport au contingent qui lui était alloué, attribuant la plus grande partie de ces mises en marché excédentaires aux activités des demandeurs.

L’OCCD n’a pas l’autorisation légale d’imposer de sanctions pécuniaires aux producteurs de dindons individuels; les sanctions sont imposées conformément aux modalités d’un « accord de promotion » convenu entre l’OCCD et l’office de commercialisation  des provinces participantes dans le cadre de la politique d’exportation de l’OCCD. Ainsi, conformé-ment à cet accord, l’OCCD a calculé que les mises en marché excédentaires  de l’Alberta pour 2003‑2004 s’élevait à 330 118 kg. La sanction imposée à l’Alberta s’élevait donc à 72 625,95 $ plus la TPS, soit 0,22 $/kg.

Lors de sa 196e réunion, le personnel de l’OCCD a présenté un rapport à l’Office concernant une requête formulée par ATP le 7 juin 2004 demandant un traitement spécial relativement aux exportations de l’Alberta en 2003‑2004 et le non‑respect de la politique d’exportation de l’OCCD. En réponse à cette requête, l’OCCD a approuvé une résolution libellée ainsi :

[traduction] Il est PROPOSÉ par B. Cram, proposition APPUYÉE par P. Ouellette, de renoncer à la sanction imposée à l’Alberta pour ses mises en marché excédentaires ne dépassant pas 368 474 kg pour la période réglementaire 2003‑2004 qui sont directement attribuables à la production de Leth Farms destinée à l’exportation, sous réserve d’une confirmation par Alberta Turkey Producers des mesures nécessaires qui seront prises pour vérifier le respect de la politique d’exportation par Leth Farms, en vigueur immédiatement.

Le 6 juillet 2004, en raison des mises en marché excédentaires attribuables aux demandeurs pour 2003‑2004 et conformément au règlement de l’Alberta, ATP a infligé des sanctions, y compris une amende de 462 174,07 $, et a fixé à 0 le contingent des demandeurs pour 2004‑2005.

ATP a jugé nécessaire d’engager une poursuite devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin de recouvrer l’amende infligée.

[5]L’avocat du procureur général résume l’objection des demandeurs au déroulement des faits décrits de la façon suivante (mémoire des faits et du droit du procureur général, paragraphes 13 et 14) :

[traduction] Les dispositions de la politique d’exportation de l’OCCD faisant l’objet de la plainte des demandeurs dans cette demande se retrouvent à la section 1.2. Elles sont libellées comme suit :

PRODUCTION POUR LES MARCHÉS D’EXPORTA-TION

1.2

Quand la production de jeune dindon en sus d’un contingent provincial est nécessaire pour un marché d’exportation, un permis conditionnel peut être délivré par l’Office à l’Office de commercialisation provincial afin de maintenir les conditions d’approvisionnement national. Cette disposition dépend des conditions et termes suivants :

[. . .]

1.2 b) En ce qui concerne les exportations de dindon éviscéré ou désossé provenant de la production autorisée en vertu de la section 1.2, les pourcentages minimum suivant de poids vif produit doivent être exportés :

[. . .]

(ii) Pour les exportations de dindon avec os et/ou désossé :

un minimum de 59 % du poids vif total produit doit être exporté et l’exportation doit être constituée de morceaux de viande blanche et foncée dans les proportions suivantes :

viande blanche 31‑38 % du poids vif

viande foncée 21‑29 % du poids vif

En raison de la nature « biologique » de leur production, Leth Farms et Wheatland soutiennent qu’elles ont des taux de production et de conversion en viande, ou facteur de rendement, plus faibles que les normes de l’industrie, c’est‑à‑dire qu’il y a plus d’abats et d’issues et moins de viande commercialisable. Le facteur de rendement moyen de leur production en 2003‑2004 était de 55,68 %. Par conséquent, leur production n’aurait pu justifier d’allocation conditionnelle à l’exportation pour ATP parce qu’ils n’atteignaient pas le seuil minimal de 59,0 % du poids vif total produit fixé à la section 1.2 de la politique d’exportation de l’OCCD.

II. Les mesures prises pour donner suite à l’objection des demandeurs touchant la politique

[6]En vue de faire réviser la politique d’exportation de l’OCCD et de faire corriger la manière dont cette politique a été appliquée dans leur cas en 2003‑2004, les demandeurs ont interjeté « appel » devant le Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le Conseil) en invoquant l’alinéa 7(1)f) de la LOPA relativement à la décision de « renonciation » de l’OCCD mentionnée plus haut.

[7]Le Conseil est créé en vertu de la partie 1 de la LOPA, sa mission et ses pouvoirs étant décrits aux articles 6 [mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 6] et 7 [mod., idem, art. 7]. Les alinéas 6(1)b), 7(1)f) et l) sont importants pour la présente demande :

6. (1) Le Conseil a pour mission :

[. . .]

b) de contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme aux objets énoncés aux articles 21 ou 41, selon le cas;

[. . .]

7. (1) Afin de remplir sa mission, le Conseil :

[. . .]

f) procède aux enquêtes et prend les mesures qu’il estime appropriées relativement aux plaintes qu’il reçoit—en ce qui a trait à l’activité d’un office—des personnes directement touchées par celle‑ci;

[. . .]

l) peut prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission.

On trouvera en annexe des présents motifs le texte complet des articles 6 et 7 de la LOPA afin d’éclairer la question d’interprétation discutée plus loin.

[8]Le Conseil a considéré que l’ « appel » des deman-deurs constituait une plainte visée par l’alinéa 7(1)f) provenant de personnes « directement touchées » par la décision de renonciation et, après avoir demandé des éclaircissements à l’avocat des demandeurs, dans une lettre datée le 12 octobre 2004, il a reçu la réponse suivante (dossier du tribunal, aux pages 9 et 10) :

[traduction]

Décision portée en appel

Décision du comité exécutif de l’OCCD rendue à la 196e réunion de l’OCCD les 22 et 23 juin 2004 (communiquée dans la note du 7 juillet 2004 de Phil Boyd, de l’OCCD, à Greg Smith, de ATP).

La décision se rapporte aux mises en marché des appelants pour 2003‑2004.

La décision consiste à renoncer aux sanctions relatives aux mises en marché excédentaires de l’Alberta ne dépassant pas 368 474 kg (poids éviscéré) attribués à la production de Leth Turkey Farms.

Il résulte de cette décision que la plus grande partie de la production de Leth Turkey Farms a été considérée comme destinée au marché intérieur alors qu’en réalité 91,8 % est exportée et devrait donc faire l’objet de crédits à l’exportation. Il en résulte donc une production intérieure « présumée » qui est erronée (de loin excédentaire au contingent destiné au marché intérieur de Leth Turkey Farms), qui a été imposée à Leth Turkey Farms par une action conjointe de l’OCCD et d’Alberta Turkey Producers (ATP), avec pour conséquence une amende de 462 174,07 $. L’amende est si importante qu’elle acculera Leth Turkey Farms à l’insolvabilité.

Puisque Leth Turkey Farms est essentiellement une entreprise d’exportation, il s’agit d’une question d’intérêt national visée essentiellement par la législation fédérale. C’est pourquoi nous interjetons appel devant le Conseil.

Motifs

a)            L’OCCD a commis une erreur dans le calcul des mises en marché destinées à l’exportation.

b)            [. . .]

c) L’erreur de calcul de l’OCCD a fait en sorte que la production destinée à l’exportation a été erronément qualifiée de production pour le marché intérieur, avec pour résultat (i) des redevances excessives et erronées et (ii) l’imposition par ATP de sanctions en raison de l’idée fausse selon laquelle la production d’exportation est une production destinée au marché intérieur.

Ordonnance demandée

L’appelant demande une ordonnance afin que ses contingents destinés au marché d’exportation et au marché intérieur soient calculés correctement en fonction de l’expérience réelle de production et de mise en marché résumée plus haut, que des crédits à l’exportation lui soient accordés en conséquence et, en particulier, que les crédits à l’exportation soient accordés d’une manière qui ne découle pas d’une attribution fictive de son contingent destiné à l’exportation à un contingent destiné au marché intérieur, ni ne donne lieu à une telle attribution fictive. [Non souligné dans l’original.]

III. La décision du Conseil

[9]Dans une lettre datée le 22 novembre 2004, le président du Conseil a transmis la décision suivante (dossier du tribunal, à la page 27) :

[traduction] Le Conseil en est arrivé à la conclusion qu’il lui est impossible de vous accorder le redressement que vous demandez, n’ayant pas compétence en la matière. Nous comprenons d’ailleurs que la question a été portée devant les tribunaux en Alberta.

Pour ces raisons, le Conseil a décidé qu’il n’était pas disposé à prendre d’autres mesures relativement à cette affaire à l’heure actuelle.

[10]Il est convenu que les raisons de la décision se trouvent dans trois sources : un passage d’une note d’information transmise aux membres du Conseil avant que la décision attaquée soit prise, intitulée « Overview of Leth Farms Request for a Hearing » (aperçu de la demande d’audience de Leth Farms), l’affidavit de M. Terrance Hayward, directeur exécutif du Conseil, déposé dans le cadre de la présente demande, et le contre‑interrogatoire de M. Hayward sur son affidavit. Voici le texte du passage de la note d’information (dossier du tribunal, à la page 19) :

[traduction]

REDRESSEMENT DEMANDÉ

L’appelant demande une ordonnance afin que ses contingents destinés au marché d’exportation et au marché intérieur soient calculés correctement en fonction de l’expérience réelle de production et de mise en marché résumée dans l’exposé (du 12 octobre 2004) présenté au Conseil, que des crédits à l’exportation lui soient accordés en conséquence et, en particulier, que les crédits à l’exportation soient accordés d’une manière qui ne découle pas d’une attribution fictive de son contingent d’exportation à un contingent destiné au marché intérieur, ni ne donne lieu à une telle attribution fictive.

RECOMMANDATION

Le Conseil ne peut pas accorder le redressement demandé par le plaignant, n’ayant pas compétence en la matière. Comme les tribunaux de l’Alberta sont maintenant saisis de l’affaire, le Conseil n’est pas disposé à prendre d’autres mesures relativement à cette affaire à l’heure actuelle.

Voici le texte du passage de l’affidavit (dossier du procureur général, à la page 6) :

[traduction]

21. J’ai lu l’affidavit déposé par les demandeurs relativement à la présente demande. Il semblerait, selon ma lecture, qu’ils soient mécontents de la politique d’exportation élaborée par l’OCCD et de son application en ce qui les concerne. Une copie de cette politique est jointe aux présentes sous la cote G. Le Conseil n’a aucun pouvoir de directive en vertu de la Loi pour modifier ou ordonner que soit modifiée la politique d’exportation de l’OCCD.

22. Il ressort aussi de l’affidavit des demandeurs qu’ils se plaignent d’une [traduction] « sanction pour des mises en marché excédentaires intérieures », applicable à la période réglementaire 2003‑2004, s’élevant à 462 174,07 $. Cette sanction a été infligée par l’Alberta Turkey Growers Marketing Board, sur qui le Conseil n’a pas autorité. [Non souligné dans l’original.]

Le contre‑interrogatoire s’est déroulé comme suit (dos-sier de la demande des demandereurs, à la page 69) :

[traduction]

Q            La plainte a été rejetée pour des motifs de compétence, plutôt que pour un motif de procédure ou de délai; est‑ce exact?

R            La plainte n’a pas été rejetée. Aucun suivi ne lui a été donné, sinon l’enquête qu’a effectuée le conseil en vue d’obtenir de M. Leth de l’information pour déterminer ce que le plaignant voulait obtenir, et cela a été pris en compte lorsque le conseil a jugé qu’il n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’on lui demandait.

Q            Et le conseil a décidé—je dois avoir cela quelque part— qu’il n’avait pas compétence?

R            D’accorder l’ordonnance demandée, exact.

Q            Et était‑ce parce que le conseil considérait qu’il s’agissait d’une plainte visant la politique d’exportation de l’OCCD plutôt qu’une ordonnance ou un règlement de l’OCCD?

R            Le conseil a reconnu que ce n’était pas une ordonnance ou un règlement de l’OCCD qui était en cause ici. En examinant les documents déposés par le plaignant, le conseil a déterminé que l’action faisant l’objet de la plainte était en réalité une action d’Alberta Turkey Producers à l’égard de laquelle le conseil n’a aucune autorité. [Non souligné dans l’original.]

[11]Au cours de l’audience, on a débattu la question de savoir si les membres du Conseil comprenaient la nature exacte de la plainte, étant donné l’allusion, dans la décision du président, à l’action intentée en vue de recouvrer l’amende infligée aux demandeurs par ATP [Alberta Turkey Producers], alors en instance devant la Cour du Banc de la Reine, ainsi qu’au contre‑ interrogatoire sur les décisions relatives à l’amende et au contingent imposés aux demandeurs par ATP. J’estime qu’une juste analyse de la preuve étayant les motifs de la décision démontre que le Conseil savait très bien en quoi consistait la plainte des demandeurs, mais qu’il a jugé n’avoir aucun pouvoir de directive pour régler le problème soulevé par les demandeurs dans leur plainte. Sur ce point, il est extrêmement important de souligner que, dans leur lettre du 12 octobre 2004, l’avocat des demandeurs demande qu’une « ordonnance » soit prise; le Conseil a simplement décidé qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire.

IV. La question à décider

[12]La mesure de réparation demandée dans le présent recours et les motifs à l’appui de la demande sont dans les termes suivants :

[traduction]

Les demandeurs sollicitent :

1.             un bref de certiorari visant à casser la décision du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (CNCPA);

2.             une déclaration portant que le CNCPA a le pouvoir et la responsabilité d’examiner les activités de l’Office canadien de commercialisation du dindon (OCCD) afin de s’assurer que l’OCCD s’acquitte de ses tâches conformément à sa mission décrite à l’article 21 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits naturels [sic];

3.             une déclaration portant que le CNCPA a le pouvoir et la responsabilité de procéder aux enquêtes et de prendre les mesures appropriées relativement à la plainte déposée par les demandeurs le ou vers le 14 juillet 2004 (la plainte) afin de s’assurer que l’OCCD s’acquitte de ses tâches conformément à sa mission décrite à l’article 21 de la Loi et, en particulier, que l’OCCD applique les formules et les procédures nécessaires pour calculer correctement les niveaux de production des demandeurs destinés à l’exportation et au marché intérieur, respectivement;

4.             une déclaration portant que la Loi sur les Offices des produits agricoles, la Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des dindons, le Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation du dindon, l’Ordonnance sur les redevances à payer pour la commercialisation des dindons du Canada et l’accord fédéral‑provincial du 26 septembre 1973, modifié, visant la création d’un régime complet de commercialisation aux fins de réglementer la commercialisation du dindon au Canada ont pour objet que tous les dindons (y compris leurs produits dérivés) élevés pour être mis sur le marché de l’exportation et qui ne sont pas vendus sur le marché canadien intérieur doivent être classés dans la catégorie « exportation » et, en particulier, qu’ils ne doivent pas être classés dans la catégorie « marché intérieur »;

5.             un bref de mandamus obligeant le CNCPA à examiner l’action de l’OCCD à la lumière de l’objet de la Loi, de la Proclamation, du Règlement et de l’accord fédéral‑provincial mentionnés plus haut, et à prendre toutes les mesures appropriées pour que l’OCCD s’acquitte de ses tâches conformément à sa mission décrite à l’article 21 de la Loi et de manière conforme à la législation et à cet accord, afin de classifier correctement la production des demandeurs destinée à l’exportation comme étant une production d’exportation, et à accorder les crédits à l’exportation en conséquence.

Les motifs de la demande sont les suivants :

La décision qui a été prise était fondée sur une mauvaise interprétation en matière de compétence et le fait que le droit applicable à cette affaire, bien compris et mis en œuvre, exige que le CNCPA examine la conduite de l’OCCD et s’assure qu’il respecte le mandat qui lui est confié par la loi.

Toutefois, au début de l’audition de la présente demande, étant donné le pouvoir déclaratoire très limité accordé à la Cour par l’alinéa 18.1(3)b) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)], l’avocat des demandeurs s’est désisté de sa demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire. Par conséquent, la seule question qu’il reste à trancher est de savoir si le Conseil a commis une erreur en ce qui a trait aux pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 7 de la LOPA.

[13]J’accepte donc l’argument des demandeurs portant que, selon une analyse pragmatique et fonctionnelle, la décision du Conseil relative à sa propre compétence doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte et que la question qui doit être tranchée est celle de savoir si le Conseil a pris une décision correcte en décidant qu’il n’avait pas la compétence voulue pour accorder l’ordonnance demandée par les demandeurs.

[14]Selon la version anglaise de l’alinéa 7(1)f), le Conseil doit prendre « such action within its powers as it deems appropriate » [non souligné dans l’original] (les mesures qu’il estime appropriées). J’accepte l’argument du procureur général selon lequel les pouvoirs (powers) visés par la version anglaise de l’alinéa 7(1)f) peuvent seulement être les pouvoirs conférés par le paragraphe 7(1), puisqu’il n’a pas été plaidé que d’autres dispositions lui conféraient des pouvoirs. En fait, durant l’audience, la question a été réduite davantage à la suivante : les pouvoirs conférés au Conseil par l’alinéa7(1)l) comprennent‑ils le pouvoir de donner des directives?

[15]À l’appui de cet argument, l’avocat des demandeurs soutient que l’alinéa 7(1)l) est de nature réparatrice et qu’il faut donc lui donner une interprétation large de manière à conférer au Conseil un pouvoir de directive. L’avocat du procureur général, en revanche, maintient que si on le lit dans le contexte des autres éléments de l’article 7, on ne peut pas donner une telle interprétation à l’alinéa 7(1)l). Aucune aide à l’interprétation extrinsèque n’a été proposée, ni par les demandeurs, ni par les défendeurs, pour aider à interpréter l’alinéa 7(1)l). Toutefois, à mon avis, les mots de la disposition sont clairs si l’on tient compte de l’ensemble de la LOPA, et notamment de l’ensemble de l’article 7.

[16]Comme il faut interpréter l’alinéa 7(1)l) de manière contextuelle, il faut l’interpréter dans le contexte de l’article 6. Selon l’alinéa 6(1)a) de la LOPA, la première mission du Conseil est de « conseiller » le ministre sur la création et le fonctionnement des offices en vue de maintenir ou de promouvoir l’efficacité et la compétitivité du secteur agricole. En vertu de l’alinéa 6(1)b), une fois que les offices ont été créés, le Conseil a le devoir de « contrôler » leur activité « afin de s’assurer » qu’elle est conforme aux objets précis énoncés dans la loi. Enfin, conformément à l’alinéa 6(1)c), le Conseil doit « travailler » avec les offices à améliorer l’efficacité de la commercialisation des produits agricoles, et il « consulte » les gouvernements en vertu du paragraphe 6(2).

[17]À mon avis, il ressort clairement de la terminologie employée à l’article 6 que le Conseil n’est pas censé être un exécuteur, mais plutôt un superviseur et un facilitateur voué à des changements positifs.

[18]De plus, si on considère l’ensemble de l’article 7, j’estime que la « règle des choses du même ordre » (ejusdem generis) est utile pour en arriver à une interprétation juste de l’alinéa 7(1)l) (Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., aux pages 203 à 213). Dans l’arrêt Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029, le juge La Forest explique cette règle de la manière suivante (à la page 1040) :

Quel que soit le document particulier qui est interprété, lorsque l’on trouve une clause qui énonce une liste de termes précis suivie d’un terme général, il conviendra normalement de limiter le terme général au genre de l’énumération restreinte qui le précède.

[19]Les pouvoirs conférés au Conseil pour qu’il remplisse sa mission sont très étroitement définis. En ce qui a trait aux pouvoirs conférés au Conseil précisés aux alinéas 7(1)a) à e), le pouvoir à l’égard de l’objet mentionné est seulement celui de procéder à une enquête, d’examiner et de faire rapport au ministre. Quant aux alinéas 7(1)d) et e), il est vrai que le Conseil a un pouvoir d’examiner et une obligation d’approuver et, en vertu de l’alinéa e), le pouvoir discrétionnaire d’annuler, mais seulement à l’égard de deux types d’objets : les ordonnances et les règlements. Les alinéas 7(1)g) à k) confèrent au Conseil le pouvoir discrétion-naire de prendre certaines mesures administratives.

[20]Par conséquent, en interprétant, conformément à la « règle des choses du même ordre », le pouvoir général conféré par l’alinéa 7(1)l) dans le contexte des fonctions de superviseur et de facilitateur décrites à l’article 6 et des pouvoirs restreints conférés par le paragraphe 7(1) pour s’acquitter de ces fonctions, j’estime que le pouvoir discrétionnaire de « prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission » [soulignement ajouté] ne confère certainement pas autre chose de plus qu’un pouvoir de supervision ou de facilitation; en d’autres mots, il n’accorde pas au Conseil un pouvoir de directive lui permettant de prendre une « ordonnance » exigeant que les productions des demandeurs destinées à l’exportation et au marché intérieur soient calculées correctement en conformité avec l’expérience réelle de production et de mise en marché, comme il est demandé dans la lettre du 12 octobre 2004 citée plus haut.

[21]Par conséquent, je conclus que la réponse à la question posée dans cette section est « non ». Les pouvoirs conférés au Conseil par l’alinéa 7(1)l) ne comprennent pas un pouvoir de directive.

ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est rejetée.

Quant aux dépens, j’estime juste d’exiger que les demandeurs paient uniquement ceux du procureur général, et je condamne donc les demandeurs aux dépens du procureur général conformément au tarif B, colonne III [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

Annexe

Les articles 6 et 7 de la Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F‑4 sont libellés comme suit :

6. (1) Le Conseil a pour mission :

a) de conseiller le ministre sur les questions relatives à la création et au fonctionnement des offices prévus par la présente loi en vue de maintenir ou promouvoir l’efficacité et la compétitivité du secteur agricole;

b) de contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme aux objets énoncés aux articles 21 ou 41, selon le cas;

c) de travailler avec les offices à améliorer l’efficacité de la commercialisation des produits agricoles offerts sur les marchés interprovincial, d’exportation et, dans le cas d’un office de promotion et de recherche, sur le marché d’importation ainsi que des activités de promotion et de recherche à leur sujet.

(2) Dans l’exécution de sa mission, le Conseil consulte régulièrement les gouvernements de toutes les provinces ayant intérêt à la création ou à l’exercice des pouvoirs d’un ou de plusieurs offices dans le cadre de la présente loi, ou tout organisme créé par le gouvernement d’une province pour exercer des pouvoirs semblables à ceux du Conseil en matière de commerce des produits agricoles à l’intérieur de cette province.

7. (1) Afin de remplir sa mission, le Conseil :

a) doit, à la demande du ministre en ce sens ou sur réception d’une requête écrite d’une ou de plusieurs associations représentant un nombre suffisant de personnes se livrant à la culture ou à la production, au Canada, d’un ou de plusieurs produits agricoles, ou bien peut, de sa propre initiative, procéder à une enquête et présenter au ministre ses recommandations, notamment quant aux modalités d’un plan de commercialisation ou d’un plan de promotion et de recherche approprié, lorsqu’il convient, à son avis, de conférer à un office le pouvoir d’exécuter un tel plan pour le ou les produits faisant l’objet de l’enquête; celle‑ci vise à déterminer l’opportunité :

(i) soit de créer un office pour un ou plusieurs produits agricoles et de lui conférer tout ou partie des pouvoirs prévus à l’article 22 ou 42, selon le cas,

(ii) soit d’étendre l’autorité d’un office existant en lui conférant tout ou partie des pouvoirs prévus à l’article 22 ou 42, selon le cas, à l’égard de produits agricoles autres que celui ou ceux pour lesquels il a été créé;

b) examine toute modification d’un plan de commercialisation ou d’un plan de promotion et de recherche qui lui est soumise par l’office chargé de l’exécuter, ainsi que tout projet de plan de commercialisation ou de plan de promotion et de recherche qui lui est soumis par un office non habilité à le mettre en œuvre, étudie les observations qui lui sont adressées concernant l’une ou l’autre, et présente au ministre ses recommandations à cet égard;

c) examine l’activité des offices et en fait rapport tous les ans au ministre ou, si à son avis les circonstances le justifient, à intervalles plus courts;

d) examine les projets d’ordonnances et de règlements des offices et qui relèvent des catégories auxquelles, par ordonnance prise par lui, le présent alinéa s’applique, et les approuve lorsqu’il est convaincu que ces ordonnances et règlements sont nécessaires à l’exécution du plan de commercialisation ou du plan de promotion et de recherche que l’office qui les propose est habilité à mettre en œuvre;

e) examine les ordonnances et les règlements pris par les offices et qui ne relèvent pas d’une catégorie d’ordonnances ou de règlements à laquelle l’alinéa d) est applicable, et soit les approuve, lorsqu’il est convaincu que ces ordonnances ou règlements sont nécessaires à l’exécution du plan de commercialisation ou du plan de promotion et de recherche que l’office qui les propose est habilité à mettre en œuvre, soit, dans le cas contraire, peut, par ordonnance, les annuler en tout ou en partie;

f) procède aux enquêtes et prend les mesures qu’il estime appropriées relativement aux plaintes qu’il reçoit—en ce qui a trait à l’activité d’un office—des personnes directement touchées par celle‑ci;

g) peut mener des études et, de sa propre initiative ou sur instruction du ministre, des recherches sur toute question relative à la commercialisation ou à la promotion d’un produit agricole offert sur le marché interprovincial ou d’exportation ou aux activités de recherche à son sujet;

h) peut, pour l’exécution de tout plan de commercialisation, exiger des personnes se livrant à la production ou à la commercialisation d’un produit agricole donné sur le marché interprovincial ou international :

(i) qu’elles se fassent inscrire auprès de lui ou de l’office compétent,

(ii) qu’elles tiennent des registres sur la production ou la commercialisation par leurs soins du produit agricole, en la forme et avec les renseignements qu’il exige en application du présent alinéa,

(iii) qu’elles lui fournissent, ou à l’office compétent, les renseignements sur la production ou la commerciali-sation par leurs soins du produit agricole qu’il peut valablement leur réclamer;

i) peut, s’il le juge nécessaire pour décider de l’opportunité de créer un office pour un produit donné ou de conférer à un office existant le pouvoir d’exécuter un plan de commercialisation, exiger des personnes se livrant à la production ou à la commercialisation d’un produit agricole sur le marché interprovincial ou international qu’elles lui fournissent, ou à l’office compétent, les renseignements sur la production ou la commercialisation par leurs soins du produit agricole qu’il peut valablement leur réclamer;

j) peut, pour l’exécution de tout plan de promotion et de recherche, exiger des personnes se livrant à la production, à l’importation ou à la commercialisation d’un produit agricole donné sur le marché interprovincial, d’exportation ou d’importation :

(i) qu’elles se fassent inscrire auprès de lui ou de l’office compétent,

(ii) qu’elles tiennent des registres sur la production, l’importation ou la commercialisation par leurs soins du produit agricole, en la forme et avec les renseignements qu’il exige en application du présent alinéa,

(iii) qu’elles lui fournissent, ou à l’office compétent, les renseignements sur la production, l’importation ou la commercialisation par leurs soins du produit agricole qu’il peut valablement leur réclamer;

k) peut, s’il le juge nécessaire pour décider de l’opportunité de créer un office pour un produit donné ou de conférer à un office existant le pouvoir d’exécuter un plan de promotion et de recherche, exiger des personnes se livrant à la production, à l’importation ou à la commercia-lisation d’un produit agricole sur le marché interprovincial, d’exportation ou d’importation qu’elles lui fournissent, ou à l’office compétent, les renseignements sur la production, l’importation ou la commercialisation par leurs soins du produit agricole qu’il peut valablement leur réclamer;

l) peut prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission.

(2) Dans le ou les rapports qu’il adresse au ministre en application du paragraphe (1), le Conseil ne peut recommander la création d’un office pour un ou plusieurs produits agricoles, non plus que l’extension de la compétence d’un office existant par l’attribution à celui‑ci de pouvoirs concernant un ou plusieurs autres nouveaux produits agricoles, que s’il est convaincu que :

a) dans le cas d’un office de commercialisation, la majorité des producteurs du ou des produits agricoles, dans l’ensemble du pays ou dans la région du Canada visée par la recommandation, est en faveur d’une telle mesure;

b) dans le cas d’un office de promotion et de recherche, la majorité de l’ensemble des producteurs ou, si le marché d’importation d’un ou de plusieurs produits agricoles est visé, la majorité de l’ensemble des producteurs et des importateurs de tous les produits agricoles, dans l’ensemble du pays ou dans la région du Canada visée par la recommandation, est en faveur d’une telle mesure.

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