T‑704‑03
2005 CF 860
DRL Vacations Ltd. (demanderesse)
c.
L’administration portuaire de Halifax (défenderesse)
Répertorié : DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax (C.F.)
Cour fédérale, juge Mactavish—Halifax, 8 juin; Ottawa, 15 juin 2005.
Compétence de la Cour fédérale — Contrôle judiciaire de la décision de la défenderesse d’entreprendre des négociations avec une société autre que la demanderesse pour exploiter un marché de détail dans le port de Halifax fondé sur une allégation de déni d’équité — La défenderesse agissait‑elle à titre d’« office fédéral » au sens des art. 2(1) et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales? — La Cour fédérale étant un tribunal d’origine législative, sa compétence ne peut pas être présumée — L’expression « une compétence et des pouvoirs » employée à l’art. 2(1) s’entend de la compétence ou des pouvoirs d’une nature publique — Elle ne comprend pas les pouvoirs qui peuvent être exercés à titre privé par une société créée en vertu d’une loi fédérale, lesquels sont simplement des accessoires de sa personnalité juridique — C’est la nature des pouvoirs exercés qui permet d’établir si le décideur est un « office fédéral » pour l’application de l’art. 18.1 — L’octroi par la défenderesse d’un permis concernant l’utilisation d’un local du port pour l’exploitation d’une boutique cadeau constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de gestion des activités portuaires liées à la navigation, au transport, etc. — La défenderesse n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision en cause — La Cour n’a donc pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.
Droit maritime — Ports — Demande de contrôle judiciaire de la décision de la défenderesse d’entreprendre des négociations avec une société autre que la demanderesse pour exploiter un marché de détail dans le port de Halifax fondée sur une allégation de déni d’équité — La Loi maritime du Canada indique que les administrations portuaires peuvent être exploitées de façon largement indépendante du gouvernement — Elles sont des mandataires de Sa Majesté du chef du Canada uniquement afin d’exercer des activités portuaires liées à la navigation, au transport, etc. — L’art. 45(3) de la Loi maritime du Canada autorise l’administration portuaire à louer un immeuble fédéral ou à octroyer un permis à son égard, sous réserve des limites précisées dans ses lettres patentes — Même si, à certains égards, les administrations portuaires sont des entités publiques, dans d’autres cas elles constituent des entreprises commerciales — La défenderesse n’était pas tenue de suivre les politiques du gouvernement fédéral à l’égard des concours en vue de l’octroi de permis d’exploitation de marchés de détail.
Il s’agissait en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision de la défenderesse d’entreprendre des négociations avec une société autre que la demanderesse pour louer un local du port pour exploiter un marché de détail à l’intention des passagers et de l’équipage des navires de croisière qui entrent dans le port de Halifax. La défenderesse avait désigné sa procédure comme étant une « demande de propositions » et plusieurs groupes, dont celui de la demanderesse, ont manifesté leur intérêt à son égard. La demanderesse a soutenu qu’il s’agissait en fait d’un appel d’offres et que la défenderesse n’a pas agi de façon équitable en fondant sa décision sur des critères non divulgués. Cette dernière a affirmé qu’en prenant la décision qui sous‑tenait la demande de contrôle judiciaire, elle n’agissait pas à titre d’« office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et que la Cour n’avait donc pas compétence pour examiner la demande de la demanderesse. La Cour devait donc déterminer si, en exerçant les pouvoirs qui étaient ici en cause, la défenderesse agissait à titre d’« office fédéral ».
Jugement : la demande est rejetée.
La Cour fédérale est un tribunal d’origine législative dont la compétence ne peut être présumée. L’article 18.1 de la Loi confère à la Cour la compétence voulue pour examiner la conduite d’un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1). Il convenait de tenir compte du statut et de la structure de la défenderesse pour déterminer si la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire. La défenderesse est une entreprise commerciale du gouvernement fédéral constituée par des lettres patentes conformément aux dispositions de la Loi maritime du Canada. L’un des objets exprès de cette Loi était d’offrir un niveau élevé d’autonomie pour la gestion locale ou régionale des ports du Canada. Un autre objet était d’assurer que l’infrastructure maritime du Canada soit gérée d’une façon viable sur le plan commercial. Le régime législatif régissant les administrations portuaires montre clairement que celles‑ci doivent être exploitées d’une façon largement indépendante du gouvernement (articles 23 à 27). En vertu de la législation, elles sont des mandataires de Sa Majesté du chef du Canada uniquement afin d’exercer des activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises et à la manutention et à l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes. Le paragraphe 45(3) autorise l’administration portuaire à louer un immeuble fédéral ou à octroyer un permis à son égard, sous réserve des limites précisées dans les lettres patentes, quant à son pouvoir de contracter à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada. Les lettres patentes de la défenderesse limitent de fait la capacité de celle‑ci d’emprunter de l’argent ou d’hypothéquer un bien à titre de mandataire de la Couronne, mais il ne semble pas y avoir de restrictions qui s’appliquent au type d’activité ici en cause. La défenderesse est dirigée par un conseil d’administration composé de sept membres, est gérée sur une base commerciale et doit être financièrement autonome. Ses lettres patentes exigent qu’elle élabore une politique écrite à l’égard des appels d’offres en ce qui concerne la construction, l’entretien, la réparation et ainsi de suite d’immeubles, mais elle n’est pas tenue de suivre les politiques du gouvernement fédéral à l’égard des concours en vue de l’octroi de permis d’exploitation de marchés de détail. Les administrations portuaires sont en conséquence des entités publiques à certains égards et, d’autres, des entreprises commerciales devant être exploitées de façon indépendante du gouvernement.
La jurisprudence a établi un certain nombre de principes quant à la question de savoir ce qui constitue un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Les pouvoirs qui y sont visés ne sont pas limités aux pouvoirs qui doivent être exercés sur une base judiciaire ou quasi‑judiciaire. Toutefois, l’expression « une compétence ou des pouvoirs » se rapporte à une compétence ou à des pouvoirs d’une nature publique. Ces pouvoirs ne comprennent pas ceux susceptibles d’être exercés à titre privé par une société créée en vertu d’une loi fédérale qui constituent de simples accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée. De plus, bien que la nature de l’institution soit importante pour les besoins de l’analyse, c’est la nature des pouvoirs exercés qui permet de déterminer si le décideur est un office fédéral pour l’application de l’article 18.1 de la Loi. Une organisation peut être un « office fédéral » à certaines fins, mais cela n’est pas nécessairement le cas à toutes les fins. Le simple exercice de pouvoirs conférés par la loi ne suffit pas à lui seul pour que l’institution soit visée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il faut prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire.
En ce qui concerne la nature de la défenderesse, le législateur a clairement décidé d’attribuer la responsabilité du système portuaire du Canada à des administrateurs portuaires sans lien de dépendance dans le but d’offrir un niveau élevé d’autonomie aux fins de la gestion locale des ports. En outre, le libellé de la Loi maritime du Canada indique clairement que l’intention était que les ports du Canada soient exploités d’une façon efficace et viable sur le plan commercial. Ceci dit, bien que la défenderesse constitue une organisation qui a des responsabilités publiques, la Cour devait déterminer si les pouvoirs particuliers exercés dans ce cas‑ci étaient d’une nature publique ou s’ils constituaient une activité commerciale privée. L’octroi d’un permis concernant un local du port visait l’exploitation d’une « boutique de cadeaux » destinée à rendre plus agréable le séjour des passagers et membres de l’équipage des navires de croisière qui accostaient dans le port de Halifax. La boutique de cadeaux constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de la défenderesse, à savoir gérer les activités portuaires liées à la navigation, au transport, etc. La défenderesse n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision ici en cause et, en conséquence, la Cour n’avait pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire. Le fait que le local en question est situé sur une terre fédérale n’était pas déterminant. Permettre aux parties de demander le contrôle judiciaire de chaque décision qui est prise à l’égard d’un bien du port appartenant au gouvernement fédéral entraînerait un résultat absurde et embarrassant et irait à l’encontre de l’intention du législateur lorsqu’il a créé la défenderesse.
Néanmoins, il ne faut pas interpréter ceci comme voulant dire que la défenderesse ne pourrait jamais être considérée comme un « office fédéral ». La question de savoir si une institution agit à titre d’« office fédéral » dans un ensemble donné de circonstances doit être réglée sur une base individuelle, compte tenu du statut de l’organisation en cause et de la nature du pouvoir exercé dans ce cas particulier.
lois et règlements cités
Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10, art. 4e), f), 7(1), 8(2)d) (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 135), 14, 23, 24, 25, 26, 27, 28(2)a), 45(2) (mod., idem, art. 141), (3) (mod., idem), 63.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 2, 28.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(1) « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).
Règlement sur les objets de la deuxième classe, C.R.C., ch. 1294.
jurisprudence citée
décision non suivie :
Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2000] A.C.F. no 937 (1re inst.) (QL).
décisions appliquées :
Wilcox c. Société Radio‑Canada, [1980] 1 C.F. 326 (1re inst.); Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (C.A.); Toronto Independent Dance Enterprise c. Conseil des arts du Canada, [1989] 3 C.F. 516 (1re inst.); Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.).
décisions examinées :
Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1975), 11 O.R. (2d) 167; 65 D.L.R. (3d) 231; 29 C.C.C. (2d) 325 (C.A.); Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.); Jackson c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1603 (1re inst.) (QL); conf. par [2000] A.C.F. no 1060 (C.A.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la défenderesse d’entreprendre des négociations avec une société autre que la demanderesse après avoir fait une demande de propositions de vendeurs pour l’exploitation d’un marché de détail à l’intention des passagers et de l’équipage des navires de croisière qui entrent dans le port de Halifax. Demande rejetée.
ont comparu :
D. Kevin Burke et Michelle M. Kelly pour la demanderesse.
Peter M.S. Bryson, c.r., et David J. Demirkan pour la défenderesse.
avocats inscrits au dossier :
Cox Hanson O’Reilly Matheson, Halifax, pour la demanderesse.
McInnes, Cooper, Halifax, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
[1]La juge Mactavish : Au mois de janvier 2003, l’Administration portuaire de Halifax (l’APH) a entamé une procédure en vue de trouver un ou des vendeurs pour exploiter un marché de détail à l’intention des passagers et de l’équipage des navires de croisière qui entrent dans le port de Halifax. Plusieurs groupes ont manifesté leur intérêt, notamment DRL Vacations Ltd. (DRL). L’APH a en fin de compte décidé d’entreprendre des négociations avec une autre société.
[2]DRL sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision que l’APH a prise à cet égard, en affirmant que même si l’APH avait désigné sa procédure comme étant une [traduction] « demande de propositions », il s’agissait en fait d’un appel d’offres. Selon DRL, il y a eu déni d’équité dans la procédure d’appel d’offres étant donné que l’APH n’a pas strictement observé les conditions de l’appel d’offres en utilisant, pour évaluer chaque soumission, des critères qui n’avaient pas été énoncés dans l’appel d’offres.
[3]Même si la procédure était en fait une demande de propositions (DP), DRL affirme que l’APH était tenue de la traiter d’une façon équitable et avec bonne foi. DRL affirme qu’en fondant sa décision sur des critères non divulgués, l’APH n’a pas respecté cette obligation.
[4]Une question d’exigence préliminaire se pose en l’espèce. L’APH affirme qu’en prenant la décision qui sous‑tend cette demande de contrôle judiciaire, elle n’agissait pas à titre d’« office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 15] et de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)]. L’APH soutient que la Cour n’a donc pas compétence pour examiner la demande de DRL.
[5]La question de la compétence sera examinée en premier lieu. Le point de départ de cette analyse doit être fondé sur les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales elle‑même.
La Loi sur les Cours fédérales
[6]La Cour fédérale est un tribunal d’origine législative. Contrairement aux cours supérieures provin-ciales dont la compétence est générale et inhérente, la compétence de la Cour ne peut pas être présumée. Il doit exister un fondement législatif pour que la Cour fédérale ait compétence dans un cas donné.
[7]En l’espèce, l’allégation relative à la compétence est fondée sur le paragraphe 2(1) et sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.
[8]L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour la compétence voulue pour examiner la conduite des offices fédéraux. Quant à la question de savoir ce qui constitue un « office fédéral », le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :
2._(1) [. . .]
« office fédéral », Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867;
L’Administration portuaire de Halifax est‑elle un « office fédéral »?
[9]Il s’agit donc pour la Cour de savoir si, en exerçant les pouvoirs qui sont ici en cause, l’APH agissait à titre d’« office fédéral ». En répondant à cette question, il faut tenir compte du statut et de la structure de l’APH ainsi que de la jurisprudence qui a été établie dans ce domaine. Chacun de ces points sera examiné à tour de rôle.
Le statut et la structure de l’APH
[10]L’APH n’est pas une société d’État. Il s’agit d’une entreprise commerciale du gouvernement fédéral constituée par des lettres patentes au mois de mars 1999 conformément aux dispositions de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 [la Loi]. La Loi maritime du Canada est entrée en vigueur en 1998, afin de rendre les ports du Canada compétitifs, efficaces et axés sur le commerce.
[11]L’un des objets exprès de la Loi maritime du Canada était d’offrir un niveau élevé d’autonomie pour la gestion locale ou régionale des ports du Canada. Un autre objet était d’assurer que l’infrastructure maritime du Canada soit gérée d’une façon viable sur le plan commercial : voir les alinéas 4e) et f) de la Loi.
[12]Le régime législatif régissant les administrations portuaires montre clairement que celles‑ci doivent être exploitées d’une façon largement indépendante du gouvernement : voir les articles 23 à 27 de la Loi.
[13]En vertu de la législation, les administrations portuaires sont des mandataires de Sa Majesté du chef du Canada uniquement afin d’exercer des activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises et à la manutention et à l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes : voir le paragraphe 7(1) et l’alinéa 28(2)a) de la Loi.
[14]Le paragraphe 45(2) [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 141] de la Loi prévoit que toute poursuite civile, pénale ou administrative relative à un immeuble fédéral géré par une administration portuaire doit être engagée par cette administration portuaire ou contre elle, à l’exclusion de la Couronne.
[15]Le paragraphe 45(3) [mod., idem] autorise l’administration portuaire à louer un immeuble fédéral ou à octroyer un permis à son égard, sous réserve des limites précisées dans les lettres patentes, quant à son pouvoir de contracter à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada. Les lettres patentes de l’APH limitent de fait la capacité de celle‑ci d’emprunter de l’argent ou d’hypothéquer un bien à titre de mandataire de la Couronne, mais il ne semble pas y avoir de restrictions qui s’appliquent au type d’activité ici en cause.
[16]L’APH est gérée par un conseil d’administration composé de sept membres. Conformément à l’article 14 de la Loi maritime du Canada, les administrateurs sont nommés par la Municipalité régionale de Halifax, par la province de la Nouvelle‑Écosse ainsi que par le gouverneur en conseil. Le conseil d’administration de l’APH et ses dirigeants ne sont pas des employés du gouvernement fédéral.
[17]L’APH doit être gérée sur une base commerciale et elle doit être financièrement autonome. L’APH ne reçoit pas d’argent du gouvernement fédéral. Les principales sources de revenu proviennent plutôt des droits imposés à l’égard des navires, de la cargaison et des passagers qui utilisent le port de Halifax, ainsi que des paiements effectués au titre du loyer pour les installations dont l’APH est propriétaire et qu’elle gère.
[18]Les lettres patentes de l’APH exigent que celle‑ci élabore une politique écrite à l’égard des appels d’offres en ce qui concerne la construction, l’entretien, la réparation et ainsi de suite d’immeubles, mais l’APH n’est pas tenue de suivre les politiques du gouvernement fédéral à l’égard des concours en vue de l’octroi de permis d’exploitation de marchés de détail.
[19]Les remarques qui précèdent permettent de conclure que même si, à certains égards, les administra-tions portuaires sont des entités publiques, il existe également de forts indicateurs montrant qu’il s’agit d’entreprises commerciales, qui doivent être exploitées d’une façon indépendante du gouvernement.
[20]Où cela nous amène‑t‑il lorsqu’il s’agit de décider si, eu égard aux circonstances de l’espèce, l’APH agissait à titre d’« office fédéral »? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de la jurisprudence qui a été établie dans ce domaine.
La jurisprudence pertinente
[21]La décision pertinente la plus ancienne a été rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Canada Metal Co. Ltd. et al. c. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1975), 11 O.R. (2d) 167. Dans cette affaire, la Cour avait à décider si une cour supérieure provinciale avait compétence pour délivrer une injonction contre la Société Radio‑Canada, ou si ce pouvoir était réservé à la Cour fédérale.
[22]À cet égard, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que même si la Société Radio‑Canada était un organisme qui exerçait les pouvoirs que lui conférait une loi fédérale, elle n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle faisait de la radiodiffusion. La Cour a statué qu’en pareil cas, la Société Radio‑Canada était une personne morale qui exerçait ses activités commerciales. Dans ces conditions, la Société Radio‑Canada ne possédait aucun des attributs d’un « office fédéral ».
[23]Quatre ans plus tard, la Cour a eu l’occasion d’examiner le statut de la Société Radio‑Canada en tant qu’« office fédéral » dans l’affaire Wilcox c. Société Radio‑Canada, [1980] 1 C.F. 326 (1re inst.). Dans la décision Wilcox, le juge Thurlow [tel était alors son titre] a fait remarquer que les pouvoirs visés à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] ne sont pas limités aux pouvoirs qui doivent être exercés sur une base judiciaire ou quasi judiciaire. Le juge a dit [à la page 329] que l’expression « une compétence ou des pouvoirs » s’entend de la compétence ou des pouvoirs d’une nature publique, et ne comprend pas les pouvoirs qui peuvent être exercés à titre privé par une société ordinaire créée en vertu d’une loi fédérale, lesquels sont simplement des accessoires de sa personnalité juridique ou de l’entreprise autorisée.
[24]Le juge Thurlow a ensuite fait remarquer qu’une interprétation selon laquelle de tels pouvoirs seraient inclus entraînerait des résultats absurdes et embarras-sants.
[25]Dans l’arrêt Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127, la Cour d’appel avait à examiner si une décision prise par le président de la Société canadienne des Postes était d’une nature tellement publique que le président agissait à titre d’« office fédéral ».
[26]En examinant cette question, la Cour d’appel a fait remarquer que le facteur décisif était de savoir si les pouvoirs exercés par la société étaient d’une nature publique, ou s’il s’agissait de pouvoirs généraux de gestion conférés à la société d’une façon accessoire pour lui permettre d’exercer ses activités commerciales.
[27]Dans l’arrêt Aeric, la Cour d’appel a fait remarquer que la Société canadienne des postes était chargée d’exploiter une entreprise sur une base quasi commerciale. Toutefois, en faisant une distinction avec la décision Wilcox, la Cour a fait remarquer qu’en ce qui concerne cette dernière décision, conformément au Règlement sur les objets de la deuxième classe [C.R.C., ch. 1294], le président de la Société canadienne des Postes exerçait le pouvoir qui lui était conféré par un règlement approuvé par le gouverneur en conseil en vue d’entendre un appel, par opposition à un pouvoir général de gestion. Il s’agissait d’un pouvoir qui devait être exercé sur une base judiciaire ou quasi judiciaire, et non simplement d’une décision commerciale. Dans ce contexte, la Cour d’appel a conclu que le président agissait à titre d’office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
[28]Il semble donc que dans l’arrêt Aeric, la Cour d’appel ait conclu que même si la nature de la société est importante pour les besoins de l’analyse, c’est la nature des pouvoirs qui sont exercés qui permettra d’établir si le décideur est un office fédéral pour l’application de l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
[29]En d’autres termes, la Cour d’appel n’a pas tiré de conclusion générale selon laquelle la Société canadienne des postes ou son président étaient des offices fédéraux à toutes les fins. Elle a plutôt tiré sa conclusion dans le contexte des pouvoirs particuliers qui étaient exercés dans ce cas‑là.
[30]Dans la décision Toronto Independent Dance Enterprise c. Conseil des arts du Canada, [1989] 3 C.F. 516 (1re inst.), il s’agissait de savoir si, en sa qualité d’organisme public créé en vertu d’une loi fédérale et distribuant des fonds publics, le Conseil des arts du Canada avait une obligation d’équité envers les bénéficiaires éventuels.
[31]En examinant si le Conseil était un « office fédéral », la Cour a fait remarquer que le fait que l’institution était créée par le gouvernement n’était pas en soi déterminant. La Cour a plutôt tenu compte du fait que le Conseil n’avait aucun lien de dépendance avec le gouvernement et de facteurs tels que l’absence de contrôle par le gouvernement sur les fonds et le pouvoir discrétionnaire absolu conféré au Conseil. Cela étant, la Cour a conclu que le Conseil n’était probablement pas un « office fédéral ».
[32]Dans la décision Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.), la Cour a confirmé que la définition de l’expression « office fédéral », à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], n’englobe pas les pouvoirs de nature privée que peut exercer une société ordinaire créée en vertu d’une loi, qui ne sont que des éléments accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée.
[33]En arrivant à cette conclusion, la Cour a fait remarquer que même si la Société du crédit agricole exerçait des pouvoirs prévus par la loi et semblerait donc être visée à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, il fallait tenir compte des circonstances particulières de l’affaire afin de trancher la question d’une façon définitive. À cette fin, la Cour a examiné le fonctionnement de l’institution, en faisant observer que le gouvernement n’exerçait aucun contrôle sur la question de savoir quels agriculteurs pouvaient obtenir des prêts. La Cour a également fait remarquer que la Société du crédit agricole s’était vu conférer un large pouvoir discrétionnaire en vue d’élaborer ses propres normes.
[34]La Cour a conclu que les pouvoirs en question étaient accessoires à l’entreprise autorisée de la Société du crédit agricole, laquelle consistait à accorder des prêts commerciaux. Suivant la décision rendue dans l’affaire Wilcox, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.
[35]Dans l’arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694, la Cour d’appel fédérale a eu à examiner la conduite du ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux lorsqu’il avait lancé un appel d’offres et accordé un bail.
[36]En examinant si le ministre agissait à titre d’« office fédéral » à cet égard, la Cour d’appel fédérale a décrit l’expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » figurant dans la définition de l’expression « office fédéral », au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1], comme étant « particulièrement englobante ». La Cour a ajouté qu’« [i]l n’est pas indiqué [. . .] de chercher à dénaturer le sens usuel des mots ou encore de s’employer à les vider de tout sens pratique en recourant à des nuances propres au langage constitutionnel qui produiraient des effets stérilisants contraires à l’intention du législateur » (à la page 701). En arrivant à cette conclusion, la Cour a fait remarquer que la tendance du législateur à rendre le gouvernement de plus en plus comptable de ses actes donnait à entendre que l’expression devait être interprétée d’une façon libérale.
[37]Après avoir examiné toutes les circonstances de l’affaire dont elle était saisie, la Cour d’appel fédérale a conclu que le ministre agissait à titre d’« office fédéral » et que sa décision pouvait donc être contrôlée par la Cour fédérale.
[38]Il importe de noter que cette affaire portait sur la mesure prise par le ministre lui‑même, par opposition à une institution sans lien de dépendance comme c’est le cas pour une administration portuaire. La Cour n’a donc pas examiné la jurisprudence antérieure portant sur ces types d’institutions.
[39]Le statut de la Commission canadienne du blé était en cause dans l’affaire Jackson c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1603 (1re inst.) (QL) (confirmé par [2000] A.C.F. no 1060 (C.A.) (QL)). En examinant si la Commission agissait à titre d’office fédéral lorsqu’elle avait refusé d’accorder un permis d’exportation au demandeur, le juge Rothstein a fait remarquer que la jurisprudence faisait une distinction entre l’exercice de pouvoirs d’une nature publique et l’exercice de pouvoirs accessoires à l’exploitation d’une entreprise.
[40]Le juge Rothstein a conclu que la Commission canadienne du blé comportait d’importants aspects publics, mais que ce ne sont pas tous les pouvoirs conférés à la Commission par la loi habilitante qui sont publics. Ainsi, la Commission avait été investie de pouvoirs généraux accessoires à son entreprise, notam-ment le pouvoir de conclure des contrats, de prendre auprès des banques les dispositions commerciales usuelles, d’acquérir et de détenir des immeubles et, de façon générale, de prendre toutes les mesures utiles à l’exercice de ses activités.
[41]Le juge Rothstein a fait observer qu’une organisation peut être un « office fédéral » à certaines fins, mais qu’il n’en est pas nécessairement de même à toutes les fins. En décidant si une organisation est un « office fédéral » dans une situation donnée, la Cour, conformément à la décision rendue dans l’affaire Aeric, a eu à examiner la nature des pouvoirs exercés dans l’affaire dont elle était saisie.
[42]Dans l’affaire Jackson, les pouvoirs que la Commission exerçait étaient de nature réglementaire. Le juge Rothstein a fait remarquer qu’un pouvoir réglementaire était par sa nature même d’ordre public. Par conséquent, aux fins de la décision dont il était saisi, le juge Rothstein a conclu que la Commission canadienne du blé agissait à titre d’« office fédéral ».
Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax
[43]Cela nous amène à la décision Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2000] A.C.F. no 937 (1re inst.) (QL), dans laquelle la Cour a conclu que l’APH était un « office fédéral » lorsqu’elle prenait des décisions dans le cadre de négociations concernant la location d’un terminal portuaire à conteneurs.
[44]Comme c’est ici le cas, l’APH s’est opposée à la compétence de la Cour, en faisant valoir que même si elle avait été créée par une loi fédérale, elle exerçait des pouvoirs à titre privé, accessoires à son entreprise autorisée, lorsqu’elle négociait un bail avec Halterm Ltd.
[45]La Cour n’était pas d’accord. À son avis, une société privée ne serait pas normalement autorisée à louer des terres fédérales. Toutefois, c’était en vertu d’un pouvoir combiné conféré aux alinéas 8(2)d) et 44(2)a) et au paragraphe 45(3) de la Loi maritime du Canada ainsi qu’en vertu de ses lettres patentes que l’APH avait le droit de louer un immeuble fédéral.
[46]La Cour a ensuite examiné [au paragraphe 27] si la location de l’immeuble fédéral par l’APH constituait l’« exercice d’une compétence ou de pouvoirs prévus par une loi fédérale », de façon à faire de l’APH un « office fédéral » qui était, par conséquent, assujetti au contrôle judiciaire de la Cour fédérale.
[47]La Cour a cité la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gestion Complexe Cousineau; elle a conclu que lorsque l’APH loue ou négocie en vue de louer un immeuble fédéral, elle exerce des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi maritime du Canada plutôt que les pouvoirs privés d’une société. Par conséquent, compte tenu des faits avancés devant elle, la Cour a conclu que l’APH était un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu’elle négociait des baux.
Résumé des principes à tirer de la jurisprudence
[48]Les principes ci‑après énoncés peuvent être tirés de l’examen de la jurisprudence :
1. L’expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » figurant dans la définition de l’expression « office fédéral », au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, est « particulièrement englobante » et doit recevoir une interprétation libérale : l’affaire Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc.;
2. Les « pouvoirs » visés au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales ne sont pas limités aux pouvoirs qui doivent être exercés sur une base judiciaire ou quasi judiciaire. Toutefois, l’expression « une compétence ou des pouvoirs » se rapporte à une compétence ou à des pouvoirs d’une nature publique : l’affaire Wilcox;
3. Les pouvoirs visés au paragraphe 2(1) ne comprennent pas les pouvoirs susceptibles d’être exercés à titre privé par une société ordinaire créée en vertu d’une loi fédérale qui constituent de simples accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée : l’affaire Wilcox;
4. La nature de l’institution est importante pour les besoins de l’analyse, mais c’est la nature des pouvoirs exercés qui permet de déterminer si le décideur est un office fédéral pour l’application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales : l’affaire Aeric;
5. Le fait qu’une institution n’a aucun lien de dépendance avec le gouvernement, le pouvoir discrétionnaire conféré à l’institution aux fins de la gestion de son entreprise et le fait que le gouvernement n’exerce aucun contrôle sur les finances de l’institution sont tous des indicateurs montrant que l’institution n’est pas un « office fédéral » : l’affaire Toronto Independent Dance Enterprise;
6. Le fait que l’institution a été créée par le gouvernement n’est pas en soi déterminant : l’affaire Toronto Independent Dance Enterprise;
7. Le simple exercice de pouvoirs conférés par la loi ne suffit pas à lui seul pour que l’institution soit visée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il faut prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire afin de décider si, en exerçant les pouvoirs en question, l’institution agissait à titre d’« office fédéral » : l’affaire Cairns;
8. Une organisation peut être un « office fédéral » à certaines fins, mais cela n’est pas nécessairement le cas à toutes les fins. En décidant si une organisation est un « office fédéral » dans un cas donné, il faut tenir compte de la nature des pouvoirs exercés : l’affaire Jackson.
Application de ces principes aux faits de l’espèce
[49]DRL soutient qu’il est impossible de faire une distinction entre les faits de l’affaire Halterm et ceux de la présente espèce. Elle affirme qu’il faut donc suivre le raisonnement qui a été fait dans cette décision‑là et conclure que la Cour a compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.
[50]Comme le montre clairement la jurisprudence, une institution peut être considérée comme un « office fédéral » à certaines fins, sans nécessairement l’être à d’autres fins. En décidant si une institution agit à titre d’« office fédéral » dans un ensemble donné de circonstances, il faut tenir compte du statut de l’institution et de la nature des pouvoirs exercés dans l’affaire en question.
[51]L’examen de la nature de l’APH montre clairement que le législateur a décidé d’attribuer la responsabilité du système portuaire du Canada à des administrations portuaires sans lien de dépendance. Cela a été fait dans le but exprès d’offrir un niveau élevé d’autonomie aux fins de la gestion locale des ports. En outre, le libellé de la Loi maritime du Canada révèle que le législateur voulait clairement que les ports du Canada soient exploités d’une façon efficace et viable sur le plan commercial.
[52]Ceci dit, l’examen de la Loi maritime du Canada et des lettres patentes de l’APH confirme également que l’APH est une organisation comportant un aspect public important. En effet, l’APH est non seulement autorisée à gérer un grand port canadien au profit du pays dans son ensemble, mais elle a également des responsabilités réglementaires (voir par exemple l’article 63 de la Loi).
[53]Je suis convaincue que l’APH est une organisation qui a des responsabilités publiques, mais cela ne tranche pas pour autant la question. Il faut en outre examiner si les pouvoirs particuliers qui ont été exercés dans ce cas‑ci sont d’une nature publique, ou s’ils se rapprochent davantage d’une activité commerciale privée.
[54]En l’espèce, le litige porte sur l’octroi d’un permis concernant un local du port pour ce qui a été désigné de diverses façons dans la présente instance comme étant une [traduction] « boutique de cadeaux », un [traduction] « marché » et un [traduction] « point de vente au détail ». L’avocat a affirmé que la boutique était destinée à [traduction] « rendre plus agréable le séjour » des passagers et membres de l’équipage des navires de croisière qui accostaient dans le port de Halifax.
[55]À mon avis, une boutique de ce genre constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de l’APH, à savoir gérer les activités portuaires liées à la navigation, au transport des marchandises et des passagers, et à l’entreposage des marchandises. Cela étant, je conclus que l’APH n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision ici en cause.
[56]Je suis donc convaincue que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.
[57]En arrivant à cette conclusion, je suis également influencée par le fait qu’en édictant la Loi maritime du Canada et en créant l’APH, le législateur voulait clairement s’assurer que le port de Halifax soit géré d’une façon viable sur le plan commercial. Permettre aux parties de demander le contrôle judiciaire de chaque décision qui est prise à l’égard d’un bien du port appartenant au gouvernement fédéral, aussi accessoire soit‑elle à l’exploitation du port lui‑même, entraînerait, à mon avis, le genre de résultat absurde et très embarrassant envisagé par le juge Thurlow dans la décision Wilcox; de plus, cela irait à l’encontre de l’intention du législateur lorsqu’il a créé l’APH.
[58]À mon avis, le fait que le local en question est situé sur une terre fédérale n’est pas déterminant. Certaines décisions susmentionnées portaient sur l’utilisation ou sur la gestion des deniers publics— c’est‑à‑dire l’argent des contribuables. Or, les sociétés privées ordinaires n’auraient pas accès à de tels fonds. Néanmoins, dans des décisions telles que Wilcox, Cairns et Toronto Independent Dance Enterprises, les tribunaux ont conclu que les institutions en question n’agissaient pas à titre d’office fédéral lorsqu’elles prenaient les décisions en cause.
[59]Dans l’affaire Halterm, il était question de la location d’immeubles pour un terminal portuaire à conteneurs, alors qu’en l’espèce, c’est l’octroi d’un permis concernant un local à exploiter comme boutique de cadeaux qui est en cause.
[60]Il est donc probablement possible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et le cas qui nous occupe en ce sens que l’opération en question dans cette affaire‑là se rattachait d’une façon beaucoup plus directe à l’entreprise de l’APH en tant que port. À mon avis, l’exploitation d’une boutique de cadeaux à l’intention des passagers et des membres de l’équipage des navires de croisière constitue beaucoup plus un accessoire de l’entreprise du port de Halifax.
[61]Toutefois, pour les motifs qui ont été donnés, dans la mesure où il est impossible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et la présente espèce, je dois avec égards refuser de suivre la décision rendue dans cette affaire‑là.
[62]Enfin, je tiens à faire remarquer que ma décision ne doit pas être interprétée comme voulant dire que l’APH ne pourrait jamais être considérée comme un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Il est clair que la question de savoir si une institution agit à titre d’« office fédéral » dans un ensemble donné de circonstances doit être réglée sur une base individuelle, compte tenu du statut de l’organisation en cause et de la nature du pouvoir exercé dans ce cas particulier.
Conclusion
[63]Pour ces motifs, je suis d’avis que la Cour n’a pas compétence, en vertu du paragraphe 2(1) et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, pour entendre la demande de contrôle judiciaire.
[64]Étant donné la conclusion que j’ai tirée à cet égard, et compte tenu du fait que DRL a de toute évidence intenté contre l’APH, à l’égard de ces questions, une action civile en dommages‑intérêts qui est en instance devant la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, je ne crois pas qu’il convienne d’exprimer un avis au sujet du bien‑fondé de l’action. Ces questions doivent être laissées à l’appréciation d’un tribunal qui a compétence en la matière.
[65]Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Dépens
[66]Les parties conviennent que les dépens devraient suivre l’issue de l’affaire. Je suis d’accord pour dire que l’APH a droit à ses dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le montant de ces dépens, ceux‑ci feront l’objet d’une taxation.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, les dépens étant adjugés à l’APH.