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A‑367‑04

A‑368‑04

2006 CAF 27

Sheila Stone (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Stone c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Sexton et Evans, J.C.A.—Toronto, 13 décembre 2005; Ottawa, 24 janvier 2006.

Assurance‑emploi — Contrôle judiciaire de décisions du juge‑arbitre qui avaient refusé des prestations d’assurance‑emploi (A‑E) à la demanderesse — La demanderesse travaillait comme enseignante dans une école privée, de septembre à juin, depuis 1995 — Elle voulait percevoir des prestations d’A‑E pour les mois de juillet et août 2001 et 2002, durant les vacances d’été — Le juge‑arbitre a estimé que la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E durant sa « période de congé », en application de l’art. 33(2) du Règlement sur l’assurance‑ emploi — Sens des mots « son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin », dans l’art. 33(2)a) — Sauf rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant(e) ne sera pas admissible à des prestations pendant la période de congé — Empêcher le cumul de prestations et de traitement est l’un des objectifs de l’art. 33(2)(a) du Règlement — Facteurs à prendre en compte pour savoir si une affaire donnée relève ou non de l’art. 33(2)a) — Il était raisonnable pour le juge‑arbitre de conclure que la relation de la demanderesse avec l’employeur n’avait jamais été rompue, et la demanderesse n’avait pas établi une rupture claire dans la continuité de son emploi — La conclusion du juge‑arbitre selon laquelle la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E n’était pas déraisonnable — Demandes rejetées (juge Evans, J.C.A., dissident).

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Le juge‑arbitre examinait la décision d’un autre tribunal administratif, le conseil arbitral — Le juge‑arbitre a‑t‑il appliqué la bonne norme de contrôle à la décision du conseil? — Facteurs à prendre en compte dans une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle appropriée — Les réponses du conseil aux questions de droit étaient contrôlables selon la norme de la décision correcte — La Cour devait examiner la manière dont le juge‑arbitre avait appliqué la norme juridique aux circonstances du dossier — La question était donc une question mixte de droit et de fait, et les conclusions du juge‑arbitre commandaient une certaine déférence — Trois des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle indiquaient que la Cour devait hésiter à modifier les conclusions du juge‑arbitre portant sur des questions mixtes de droit et de fait — L’adoption de la norme de la décision raisonnable simpliciter lorsqu’il s’agit d’examiner la réponse d’un juge‑arbitre à une question mixte de droit et de fait s’accorde avec la jurisprudence — Les décisions du juge‑arbitre n’étaient pas déraisonnables.

Contrats — Une enseignante réclamait des prestations d’assurance‑emploi pour les mois d’été — Absence de contrat écrit — Deux courants jurisprudentiels, qui tous deux portent sur des affaires de congédiement abusif, permettent de dire si un cas donné relève de l’art. 33(2)a) du Règlement sur l’assurance‑emploi — Le premier courant, qui concerne la durée du contrat de travail, examine le point de savoir si le contrat en cause est un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée — Le second courant porte sur le point de savoir si l’employé a travaillé sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur (art. 240(1)a) du Code canadien du travail) — Le point essentiel à décider est de savoir s’il y avait une relation d’emploi continue entre le prestataire et l’employeur — Il n’y a pas continuité d’emploi si le contrat de travail a pris fin — Le mot « chômeur » n’est pas synonyme de l’expression « ne pas travailler » — Le fait que le prestataire ne soit pas rémunéré par l’employeur peut être le signe que son contrat a pris fin — Il ne s’ensuit pas toutefois que l’absence de rémunération permettra à elle seule de conclure que le contrat a pris fin — La relation d’emploi d’une décennie, entre la demanderesse et l’école, constituait un facteur important — Ce facteur portait le juge‑arbitre à conclure que le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions du juge‑arbitre qui avaient refusé des prestations d’assurance‑emploi (prestations d’A‑E) à la demanderesse. Depuis au moins 1995, la demanderesse travaillait comme enseignante à la Or Haemet Sephardic School, de septembre à juin chaque année. Elle réclamait des prestations d’A‑E pour les mois de juillet et août 2001 et 2002, période où elle n’enseignait pas. Le conseil arbitral lui a refusé ces prestations pour les mois de juillet et août 2001, mais une autre formation du conseil arbitral les lui a accordées pour les mois correspondants de 2002. Le juge‑arbitre a confirmé la première décision mais il a infirmé la seconde, au motif que la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E durant sa « période de congé », en application du paragraphe 33(2) du Règlement sur l’assurance‑emploi. Il a estimé que la demanderesse avait été employée année après année, qu’il n’y avait pas eu d’interruption d’emploi et qu’elle ne remplissait pas la condition requise, celle d’une rupture claire de son emploi après la fin de l’année scolaire. La demanderesse a fait valoir qu’elle entrait dans une exception au paragraphe 33(2), exception qui permet aux enseignants dont les contrats ont pris fin de recevoir des prestations d’A‑E durant leurs périodes de congé. L’alinéa 33(2)a) prévoit que le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui‑ci, sauf si son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin. Il s’agissait de savoir si le juge‑arbitre avait eu raison de dire que le contrat d’enseignement de la demanderesse n’avait jamais pris fin et qu’il n’y avait pas eu de véritable rupture dans la continuité de son emploi.

Arrêt (juge Evans, J.C.A., dissident) : les demandes doivent être rejetées.

Le juge Sexton, J.C.A. (le juge Décary, J.C.A. souscrivant à ses motifs) : Il fallait d’abord se demander si le juge‑arbitre avait appliqué la bonne norme de contrôle à la décision du conseil. Si l’on applique les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, les réponses du conseil aux questions de droit sont contrôlables selon la norme de la décision correcte. S’agissant du contrôle des décisions du juge‑arbitre, trois des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle montraient que la Cour devait faire preuve de déférence à l’égard des conclusions du juge‑arbitre portant sur des questions mixtes de droit et de fait. L’adoption de la norme de la décision raisonnable simpliciter lorsqu’il s’agit d’examiner la réponse d’un juge‑arbitre à une question mixte de droit et de fait s’accorde avec la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale.

Le point de droit décisif concernait le sens des mots « son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin » dans l’alinéa 33(2)a) du Règlement. Dans l’arrêt Oliver c. Canada (Procureur général), le juge Létourneau, J.C.A. avait assimilé ces mots à l’absence d’une « continuité d’emploi » et avait dit que « sauf rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé ». Il avait ajouté que « toutes les circonstances de l’espèce doivent être prises en considération à la lumière de l’objectif et de l’intention de la loi ». La prévention du cumul de prestations et de traitement est l’un des objectifs de l’alinéa 33(2)a) du Règlement. Toutefois, le cumul des prestations et du traitement n’est pas l’unique mal que cette disposition était censée corriger. Le sens grammatical et ordinaire des mots de l’alinéa 33(2)a) nous indique que cette disposition vise à combattre davantage que cet abus du régime de l’A‑E. L’alinéa 58h.1) de la Loi sur l’assurance‑chômage et l’alinéa 54j) de la Loi sur l’assurance‑emploi renforcent la position, exposée dans l’arrêt Oliver, selon laquelle le mot « chômeur » ne peut pas être assimilé aux mots « ne pas travailler », ni aux mots « n’exécuter aucun travail ». L’alinéa 33(2)a) a pour objet de combattre le mal suivant : les enseignants qui perçoivent des prestations d’A‑E alors qu’on ne saurait dire qu’ils sont véritablement en chômage, même s’ils n’exécutent aucun travail durant la période de congé; cet objet est compatible avec celui de la Loi sur l’assurance‑emploi.

Deux courants jurisprudentiels, qui tous deux portent sur des affaires de congédiement abusif, permettent de dire si un cas donné relève de l’alinéa 33(2)a). Le premier courant, qui concerne la durée du contrat de travail, examine le point de savoir si le contrat en cause était un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée. Le deuxième courant porte sur l’alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail, qui prévoit que, pour déposer une plainte de congédiement injuste auprès d’un inspecteur, il faut avoir travaillé « sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur ». Pour savoir si un prestataire dont l’emploi est saisonnier a travaillé sans interruption pendant au moins 12 mois, la Cour s’est demandé non pas si un travail a été effectivement accompli durant au moins 12 mois, mais plutôt s’il y a eu, durant cette période, une « continuité d’emploi » et une « relation d’emploi continue ». Dans les affaires relevant de l’alinéa 240(1)a) (du Code) comme dans celles relevant de l’alinéa 33(2)a) (du Règlement), le point capital à décider est celui de savoir s’il y avait une relation d’emploi continue entre le prestataire et l’employeur. Si le contrat de travail du prestataire a pris fin, alors il n’y a pas continuité d’emploi. Il convient de tenir compte de plusieurs facteurs pour savoir s’il y a eu rupture claire dans la continuité de l’emploi de la demanderesse. Le premier facteur, qui était important dans la présente affaire, concerne l’ancienneté de la relation d’emploi. La relation d’emploi d’une décennie de la demanderesse avec la Or Haemet Sephardic School, autorisait l’arbitre à dire que le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin. Un autre facteur était la durée de la période de congé. Durant les mois de juillet et août de chaque année, la demanderesse ne travaillait pas à l’école susdite, et cela constituait un autre élément qui autorisait le juge‑arbitre à conclure que le cas de la demanderesse n’entrait pas dans les paramètres de l’alinéa 33(2)a) et que son contrat n’avait pas pris fin. D’autres facteurs appuyant la conclusion de l’arbitre concernaient les usages et pratiques du domaine d’enseignement en cause, la hausse de la rémunération à la fin de chaque période de congé, la méthode informelle à laquelle recourait l’employeur pour rappeler la prestataire chaque mois d’août, le formulaire de relevé d’emploi rempli par l’employeur, et finalement l’arrangement conclu entre la prestataire et l’employeur, et la conduite respective de chacun, qui donnaient à penser qu’ils avaient une entente selon laquelle, sous réserve du financement et des inscriptions, la demanderesse retournerait travailler à la Or Haemet Sephardic School chaque année en septembre.

Il était tout à fait raisonnable pour le juge‑arbitre, après examen de la preuve, de conclure que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, qu’il y avait eu une rupture claire dans la continuité de son emploi, et de conclure que la relation de la demanderesse avec l’employeur n’avait jamais été rompue. Deux tout au plus des huit facteurs qui concernaient la présente affaire, à savoir l’absence d’une rémunération durant la période de congé et les éléments attestant une reconnaissance de départ de la part de l’employeur, donnaient à penser que le contrat de la demanderesse avait pris fin. Le juge‑arbitre a eu raison de ne pas leur accorder beaucoup de poids. La conclusion du juge‑arbitre selon laquelle la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E n’était pas déraisonnable. Cette décision est conforme au sens ordinaire du Règlement, à son contexte général, au pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur l’assurance‑emploi et à l’économie du règlement.

Le juge Evans, J.C.A. (dissident) : Les motifs du juge‑arbitre n’exposaient pas une base rationnelle qui l’autorisait à rejeter la prétention de la demanderesse selon laquelle le contrat de travail qui la liait à la Or Haemet Sephardic School avait pris fin vers la fin de juin. Les parties n’avaient pas entre elles de droits contractuels ni d’obligations contractuelles durant les mois de juillet et août au regard du travail d’enseignante exécuté par la demanderesse. Conclure d’après le dossier, comme l’a fait le juge‑arbitre, que la demanderesse n’avait pas prouvé que son « contrat de travail dans l’enseignement » avait « pris fin » est au mieux contre‑intuitif et impose au décideur un travail d’explication qui n’est pas négligeable. Il s’agissait de savoir en l’espèce si le contrat de travail de la demanderesse « avait pris fin » à la fin de juin. Un examen assez poussé n’a fait ressortir aucun fondement rationnel autorisant la décision, et la Cour pouvait donc infirmer la décision et la renvoyer au juge‑arbitre pour nouvelle décision. Il est loisible à la Cour de juger si la décision du juge‑arbitre est ou non raisonnable et, le cas échéant, de trancher elle‑même la question au fond. Il était erroné pour le juge‑arbitre de conclure que la demanderesse n’avait pas prouvé que son contrat de travail dans l’enseignement avait pris fin en juin 2001 et 2002. La demanderesse n’avait aucun contrat de travail pour septembre jusque bien après l’expiration de son contrat antérieur de 10 mois. Elle n’était pas rémunérée pour juillet et août et ne recevait pas d’avantages sociaux. Elle ne cumulait pas des prestations et un traitement. Quand le législateur exprime son intention en des mots relativement clairs dans une disposition d’un programme complexe d’avantages sociaux, les tribunaux doivent se garder de s’écarter à l’excès du texte de la loi. Le paragraphe 33(2) constitue, dans le régime général de l’assurance‑emploi, un régime d’exception destiné à régler le difficile problème soulevé par la situation particulière des enseignants. Vouloir éviter un résultat susceptible d’entraîner des conséquences sans doute non voulues risque d’entraîner d’autres conséquences problématiques et imprévues. Il n’existe aucune ligne de conduite, à la base du régime en général, ou à la base du paragraphe 33(2) en particulier, susceptible d’être transgressée par une décision déclarant que la demanderesse est admissible à des prestations durant les périodes temporaires et régulières de chômage qu’elle a acceptées depuis qu’elle a commencé à enseigner à l’école. Il n’est pas manifestement incompatible avec le paragraphe 33(2) de conclure que la demanderesse est admissible à des prestations durant juillet et août. Les demandes de contrôle judiciaire doivent être accueillies au motif que le paragraphe 33(2) n’empêche pas la demanderesse de recevoir des prestations d’assurance‑emploi pour les mois de juillet et août 2001 et 2002.

lois et règlements cités

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 240(1)a) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15).

Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48, art. 58h.1) (mod. par S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 150, art. 8).

Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 54j), 115(2)b), 118 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182).

Règlement sur l’assurance‑chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 46.1 (édicté par DORS/83‑516, art. 1).

Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332, art. 14(5)b)(i), 33 (mod. par DORS/97‑31, art. 17).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Oliver c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 47; 2003 CAF 98; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533; 2005 CSC 26; Canada (Procureur général) c. Donachey, [1997] A.C.F. no 579 (C.A.) (QL).

décision différenciée :

Ying c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1615 (C.A.) (QL).

décisions examinées :

Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Budhai c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 57; 2002 CAF 298; Tétreault‑ Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205; 2001 CAF 315; Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669; 2005 CSC 56; Beothuk Data Systems Ltd., Division Seawatch c. Dean, [1998] 1 C.F. 433 (C.A.); Bishop c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2002 CAF 276; Ceccol v. Ontario Gymnastic Federation (2001), 55 O.R. (3d) 614; 204 D.L.R. (4th) 688; 11 C.C.E.L. (3d) 167; 149 O.A.C. 315 (C.A.); Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986; Jordison v. Caledonian Curling Co‑operative Ltd., [2000] 4 W.W.R. 581; 190 Sask. R. 32; 2000 SKQB 55; Saunders c. Fredericton Golf & Curling Club Inc., [1994] A.N.‑B. no 291 (C.A.) (QL); MacDonald v. Dykeview Farms Ltd. (1998), 177 N.S.R. (2d) 310 (C.S.).

décisions citées :

Ying (Re) (1997), CUB 40255; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Meechan c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 368; Gauthier c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1995] A.C.F. no 1350 (C.A.) (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro‑Industries Ltd., [2003] 1 C.F. 49; 2002 CAF 158; Canada (Procureur général) c. Kos, 2005 CAF 319; Canada (Procureur général) c. Peace, 2004 CAF 56; Canada (Procureur général) c. Sacrey, [2004] 1 R.C.F. 733; 2003 CAF 377; Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679; 126 N.R. 345 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. St‑Coeur, [1996] A.C.F. n° 514 (C.A.) (QL); Oliver et al. (In re) (2000), CUB 49724; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601; 2005 DTC 5547; 2005 CSC 54; Gray v. Manvers (Township), [1992] O.J. No. 2898 (Div. gén.) (QL); Hildebrandt v. Wakaw Lake Regional Park Authority (1999), 175 Sask. R. 207; 41 C.C.E.L. (2d) 281 (B.R.); Ross v. N.M. Paterson & Sons Ltd., [1996] O.J. No. 1194 (Div. gén.) (QL).

doctrine citée

Canada. Ressources humaines et développement social. Guide de la détermination et de l’admissibilité. Ottawa : Ressources humaines et développement social, juin 2005.

DEMANDES de contrôle judiciaire de décisions du juge‑arbitre, pour qui la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’assurance‑emploi durant ses « périodes de congé » de l’été, en application du paragraphe 33(2) du Règlement sur l’assurance‑emploi. Demandes rejetées (le juge Evans, J.C.A., étant dissident).

ont comparu :

Harvey Stone pour la demanderesse.

Derek Edwards pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Harvey Stone, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Sexton, J.C.A. : La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions du juge‑arbitre en date du 21 mai 2004, qui toutes deux lui refusaient des prestations d’assurance‑emploi (prestations d’A‑E). Depuis au moins 1995, la demande-resse travaille comme enseignante à la Or Haemet Sephardic School (l’employeur), de septembre à juin chaque année. Elle a voulu percevoir des prestations d’A‑E pour les mois de juillet et août 2001 et 2002, durant les vacances d’été, quand elle n’enseignait pas. Le conseil arbitral (le conseil) lui a refusé ces prestations pour les mois de juillet et août 2001, mais une autre formation du conseil arbitral les lui a accordées pour les mois correspondants de 2002. Le juge‑arbitre a confirmé la première décision et infirmé la seconde, au motif que la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E durant sa « période de congé », et cela en application du paragraphe 33(2) du Règlement sur l’assurance‑emploi [DORS/96-332] (le Règlement).

[2]Devant la Cour, la demanderesse fait valoir qu’elle entre dans une exception du paragraphe 33(2), exception qui permet aux enseignants dont les contrats ont pris fin de recevoir des prestations d’A‑E durant leurs périodes de congé. Cette exception se trouve dans l’article 33 [mod. par DORS/97-31, art. 17] du Règlement. En 2001 et 2002, les dispositions pertinentes de cet article étaient ainsi formulées :

33. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« enseignement » La profession d’enseignant dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle.

« période de congé » La période qui survient annuellement, à des intervalles réguliers ou irréguliers, durant laquelle aucun travail n’est exécuté par un nombre important de personnes exerçant un emploi dans l’enseignement.

(2) Le prestataire qui exerçait un emploi dans l’enseignement pendant une partie de sa période de référence n’est pas admissible au bénéfice des prestations—sauf celles payables aux termes des articles 22 et 23 de la Loi—pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui‑ci, sauf si, selon le cas :

a) son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin;

b) son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;

c) il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

[3]Le pouvoir correspondant de réglementation est conféré actuellement par l’alinéa 54j) de la Loi sur l’assurance‑emploi [L.C. 1996, ch. 23], qui est ainsi formulé :

54. La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

[. . .]

j) interdisant le paiement de prestations, en tout ou en partie, et restreignant le montant des prestations payables pour les personnes, les groupes ou les catégories de personnes qui travaillent ou ont travaillé pendant une fraction quelconque d’une année dans le cadre d’une industrie ou d’une occupation dans laquelle, de l’avis de la Commission, il y a une période qui survient annuellement à des intervalles réguliers ou irréguliers durant laquelle aucun travail n’est exécuté, par un nombre important de personnes, à l’égard d’une semaine quelconque ou de toutes les semaines comprises dans cette période;

I. FAITS

[4]La Or Haemet Sephardic School est une institution non syndiquée qui bénéficie d’un financement privé. Elle a embauché la demanderesse vers 1995. Depuis lors, la demanderesse y enseigne dans les classes mater-nelles, de septembre à juin chaque année.

[5]À la fin de chaque année scolaire, l’employeur informait la demanderesse qu’il était satisfait de son travail d’enseignante et que, si l’effectif scolaire et le financement pour le groupe d’âge dont elle s’occupait étaient suffisants, il communiquerait avec elle en août et elle pourrait alors revenir enseigner à l’école à l’automne. L’employeur s’y prenait ainsi afin que la demanderesse puisse demeurer disponible et revenir à son travail d’enseignante. Il n’est d’ailleurs pas établi que la demanderesse ait jamais cherché un autre emploi qui prendrait fin à l’automne. En fait, il ne semble pas que la demanderesse ait jamais travaillé au cours des 10 dernières années pour un autre employeur que la Or Haemet Sephardic School.

[6]La demanderesse n’était pas rémunérée par la Or Haemet Sephardic School durant les mois de juillet et août, mais chaque été elle demandait des prestations d’A‑E. Elle a obtenu ces prestations pour les mois de juillet et août des années 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000. Cependant, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) lui a refusé ces mêmes prestations pour la période allant du 1er juillet au 30 août 2001. Le conseil a confirmé cette décision, tout comme le juge‑arbitre, dont la décision est ici contestée. DRHC a également refusé des prestations d’A‑E à la demanderesse pour la période allant du 1er juillet au 30 août 2002. Toutefois, le conseil a infirmé cette décision. Le juge‑arbitre, quant à lui, a infirmé la décision du conseil. Dans les présents motifs, j’examine ces deux décisions du juge‑arbitre.

II. HISTORIQUE DES DÉCISIONS

1)            Les conclusions du conseil

[7]Dans le premier cas, le conseil a jugé à l’unanimité que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle avait droit à des prestations d’A‑E pour juillet et août 2001. Il a fondé sa conclusion sur le fait qu’elle travaillait pour son employeur depuis 10 ans et qu’il existait une relation d’emploi entre eux.

[8]Dans le deuxième cas, c’est‑à‑dire, pour juillet et août 2002, le conseil a jugé que, puisque le travail de la demanderesse auprès de l’employeur ne présentait pas une continuité d’emploi, le contrat de travail de la demanderesse avait pris fin et elle avait droit à des prestations d’A‑E. D’abord, le conseil a fait observer qu’elle n’avait pas de contrat ou promesse de contrat, ni aucun lien avec son employeur puisque celui‑ci ne lui versait aucune rémunération après l’expiration de son contrat à la fin de juin. Il a ensuite indiqué que la décision Ying (Re) (1997),  CUB 40255, portait sur [traduction] « des circonstances assez semblables à celles de la présente affaire ». Sans plus, le conseil a conclu que, dans l’affaire Ying, on avait décidé qu’il eût été impossible de prétendre que la prestataire avait un contrat de travail en vigueur durant sa période de congé.

2)            Les conclusions du juge‑arbitre à propos des demandes de prestations d’A‑E de 2001 et 2002

[9]Le juge‑arbitre s’est fondé notamment sur l’arrêt Oliver c. Canada (Procureur général), [2003] 4 C.F. 47 (C.A.) (Oliver), pour dire que [au paragraphe 27], « sauf rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé ». Après examen de l’ensemble de la preuve, le juge‑arbitre a estimé que la demanderesse avait été employée année après année et qu’il n’y avait pas eu d’interruption dans cet emploi. La demanderesse ne remplissait pas la condition requise, celle d’une rupture claire de son emploi après la fin de l’année scolaire.

III. NORMES DE CONTRÔLE

1)            Introduction

[10]« Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle ». Arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.S.C. 226, au paragraphe 21. Dans la présente affaire, une instance administrative décisionnelle, le juge‑arbitre, a examiné la décision d’une autre instance administrative, le conseil. La Cour doit donc se demander si le juge‑arbitre a appliqué à la décision du conseil la bonne norme de contrôle. Arrêt Meechan c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 368, au paragraphe 11. Si le juge‑arbitre a appliqué la bonne norme, la Cour doit alors déterminer la norme de contrôle applicable à la décision du juge‑arbitre et contrôler cette décision selon cette norme.

[11]Selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle, quatre facteurs permettent de déterminer la norme de contrôle à appliquer. Ce sont les facteurs suivants : la nature de la question—de droit, de fait ou mixte de droit et de fait —, l’expertise du décideur par rapport à celle de la juridiction de contrôle, le mécanisme de contrôle prévu par la loi et l’objet du texte législatif et de la disposition particulière.

2)            Le contrôle, par le juge‑arbitre, des décisions du conseil

[12]Le juge‑arbitre n’a pas explicitement étudié la question de la norme de contrôle. Toutefois, il semble qu’il s’en est rapporté à la norme de la décision correcte. Ainsi, il a effectué une nouvelle analyse du dossier. S’il avait appliqué la norme de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable, il ne se serait pas demandé ce qu’aurait été la décision correcte, se bornant à analyser les motifs du conseil. Voir de façon générale l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 51 et 54. De plus, quand il a confirmé la décision du conseil se rapportant aux prestations d’A‑E de 2001, il a fait observer que les membres du conseil étaient [traduction] « fondés en droit » à conclure qu’il existait toujours une relation continue entre la demanderesse et l’employeur.

[13]Le juge‑arbitre a eu raison de revoir les décisions du conseil selon la norme de la décision correcte. Il est vrai que le premier facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle permet de croire à première vue que les décisions du conseil commandaient une certaine déférence. Après tout, la question semble être une question mixte de droit et de fait. L’alinéa 33(2)a) du Règlement fait intervenir l’application d’une norme juridique (le contrat de travail de la demanderesse a‑t‑il « pris fin »?) aux circonstances du cas de la demanderesse. Voir aussi l’arrêt Gauthier c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1995] A.C.F. no 1350 (C.A.) (QL).

[14]Cependant, dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 27, la Cour suprême du Canada, se fondant sur l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 39, expliquait comment une erreur portant sur une question mixte de droit et de fait pouvait équivaloir à une erreur de droit pure et simple, réformable selon la norme de la décision correcte :

[. . .] si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B, et C, alors le résultat est le même que s’il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

En bref, « [l]a formulation erronée du critère juridique approprié donne lieu à l’application de la norme de la décision correcte ». Arrêt Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro‑Industries Ltd., [2003] 1 C.F. 49 (C.A.), au paragraphe 52.

[15]Le facteur suivant de l’analyse pragmatique et fonctionnelle porte sur l’expertise du décideur administratif. Le conseil n’est pas un spécialiste de la question qui est au cœur de la présente affaire—la méthode juridique à employer pour dire si un contrat de travail dans l’enseignement a pris fin, au sens de l’alinéa 33(2)a) du Règlement. Selon l’arrêt Budhai c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 57 (C.A.), au paragraphe 42 :

[. . .] l’expertise juridique générale des juges‑arbitres ainsi que leur connaissance de la législation en matière d’assurance‑ emploi indiquent que leur interprétation des dispositions législatives pertinentes devrait l’emporter sur celle d’un conseil arbitral, qui est un organisme décisionnel n’incluant pas nécessairement un avocat et siégeant uniquement à temps partiel.

D’ailleurs, s’exprimant sur l’expertise du juge‑arbitre par rapport à celle du conseil arbitral, la Cour suprême du Canada avait fait observer que le législateur voulait « conférer le pouvoir d’interpréter la loi au juge‑arbitre et non au conseil arbitral ». Arrêt Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, aux pages 34 et 35.

[16]La Loi sur l’assurance‑emploi nous donne une preuve additionnelle que le législateur ne voulait pas que les réponses d’un conseil arbitral à des questions de droit commandent la déférence judiciaire. Son alinéa 115(2)b) prévoit que toute décision d’un conseil arbitral entachée d’une erreur de droit peut, de plein droit, être portée en appel, « que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ».

[17]Le dernier facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle s’intéresse à l’objet du texte législatif et de la disposition en cause. Il est certain que le régime d’assurance‑emploi vise à favoriser des décisions expéditives et peu coûteuses. Cependant, cela ne fait pas nécessairement pencher la balance des facteurs pragmatiques et fonctionnels en faveur d’une norme de contrôle commandant la déférence. Après tout, les tribunaux administratifs sont en général établis pour favoriser des décisions expéditives et peu coûteuses. Les facteurs de coût et de rapidité ne sont pas « importants au point de l’emporter [. . .] même si les prestataires d’assurance‑emploi sont souvent peu fortunés ». Voir de façon générale l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sveinson, [2002] 2 C.F. 205 (C.A.), au paragraphe 15.

[18]Après examen des quatre facteurs applicables, je suis d’avis que les réponses du conseil aux questions de droit sont contrôlables selon la norme de la décision correcte. Voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. Kos, 2005 CAF 319, au paragraphe 5; l’arrêt Meechan, au paragraphe 16; et l’arrêt Budhai, au paragraphe 48. Le juge‑arbitre a eu raison d’appliquer cette norme aux décisions du conseil qu’il a examinées.

3)            Le contrôle, par la cour, des décisions du juge‑ arbitre

[19]À mon avis, le juge‑arbitre, dans les décisions contestées, a formulé le bon critère juridique. Par conséquent, la tâche de la Cour consiste à revoir la manière dont il a appliqué ce critère aux faits de la présente affaire. La question est donc une question mixte de droit et de fait. Dans l’analyse pragmatique et fonctionnelle, ce facteur signale que les conclusions du juge‑arbitre commandent une certaine déférence.

[20]Le facteur de l’expertise relative, quant à lui, favorise le résultat inverse. Dans l’arrêt Sveinson, aux paragraphes 16 et 17, la Cour s’exprimait ainsi sur l’expertise juridique des juges‑arbitres par rapport à celle des cours de justice :

[. . .] qu’ils soient juges à la Section de première instance de la Cour ou juges d’une autre cour, les décideurs [les juges‑arbitres] n’ont pas une expertise supérieure à la Cour ni un point de vue différent en matière d’interprétation de la loi. Ils exercent une fonction décisionnelle qui n’est pas différente par nature de celle de la Cour ou d’une autre cour, à savoir celle de déterminer les droits légaux des parties à la lumière de l’interprétation par les juges‑arbitres de dispositions législatives détaillées et complexes et de leur application aux faits de chaque affaire.

Il est vrai que les juges‑arbitres rendent plus de décisions que les membres de la Cour relativement aux dispositions en matière d’assurance‑emploi, mais cela ne justifie pas qu’on fasse preuve de retenue d’autant plus que, lorsqu’ils siégeaient à la Section de première instance, certains juges peuvent fort bien s’être familiarisés avec ces dispositions. En outre, des juges sont nommés ad hoc pour siéger comme juges‑arbitres dans des affaires d’assurance‑emploi et, s’il s’agit de juges en exercice, ces nominations font simplement partie de leurs fonctions judiciaires régulières. Il s’ensuit donc qu’on ne peut pas justifier la retenue à l’égard des décisions des juges‑ arbitres en se fondant sur leur expertise unique.

[21]Toutefois, le troisième facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle—celui du droit d’appel prévu par la loi—donne de nouveau à penser que les conclusions du juge‑arbitre commandent une certaine déférence de la part de la Cour. L’article 118 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182] de la Loi sur l’assurance‑emploi renferme une clause privative :

118. La décision du juge‑arbitre sur un appel est définitive et sans appel; elle peut cependant faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur les Cours fédérales.

[22]Comme je l’ai dit plus haut, le dernier facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle—celui de l’objet du texte législatif, et en particulier l’établissement d’un régime favorisant des décisions expéditives et peu coûteuses—favorise lui aussi une norme commandant la retenue.

[23]En conclusion, donc, trois des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle nous enseignent que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions du juge‑arbitre portant sur des questions mixtes de droit et de fait. L’adoption de la norme de la décision raisonnable simpliciter lorsqu’il s’agit de contrôler la réponse d’un juge‑arbitre à une question mixte de droit et de fait s’accorde avec la jurisprudence de la Cour. Voir par exemple l’arrêt Canada (Procureur général) c. Peace, 2004 CAF 56, au paragraphe 19 (citant l’arrêt Budhai et l’arrêt Canada (Procureur général) c. Sacrey, [2004] 1 R.C.F. 733 (C.A.F.); et l’arrêt Meechan, au paragraphe 16). À mon avis, on ne saurait dire que les décisions du juge‑arbitre étaient déraisonnables.

IV. ANALYSE

1)            Le droit

a)            Quelle approche permet de dire si un contrat de travail dans l’enseignement a pris fin?

i) Le droit et la décision du juge‑arbitre

[24]Le point de droit décisif soulevé dans la présente affaire concerne le sens des mots « son contrat de travail dans l’enseignement a pris fin » ou, en anglais, « the claimant’s contract of employment for teaching has terminated ». Selon moi, ces deux ensembles de mots sont censés dire la même chose. Tout récemment, le juge Létourneau, exposant un raisonnement très minutieux, a assimilé les mots en cause ici à l’absence de « continuité d’emploi ». Voir l’arrêt Oliver, au paragraphe 19. « [S]auf rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé ». Ibid., au paragraphe 27.

[25]Dans la décision qu’il a rendue, le juge‑arbitre a souligné avec justesse que c’était là la norme juridique applicable. La question essentielle sur laquelle le juge‑arbitre a fait porter son attention était celle de savoir si la période de congé constituait une rupture claire dans l’emploi de la prestataire :

J’ai examiné les arguments de la prestataire ainsi que la jurisprudence. À mon avis, la décision majoritaire dans les arrêts Giammattei et Oliver est un facteur déterminant dans l’affaire en cause. Le paragraphe 27 est ainsi formulé : « Les deux [la jurisprudence de la Cour et l’intention législative qui sous‑tend l’article 33] reposent sur un principe clair : sauf rupture claire dans la continuité de son emploi, l’enseignant ne sera pas admissible au bénéfice des prestations pendant la période de congé. Il importe de souligner avec force ce principe fondamental parce que de nombreuses demandes portant sur cette question sont en cours. La Cour se doit d’être claire sur ce point. »

Après avoir examiné la preuve portée à la connaissance du conseil arbitral, je suis convaincu qu’il a été établi que cette prestataire avait été employée année après année et qu’il n’y avait pas eu d’interruption d’emploi. Je ne crois pas que le fait qu’elle travaille dans une école privée fasse de différence car la Loi ne fait pas de distinction entre école privée et école publique. Elle ne précise pas non plus si le salaire annuel est réparti sur douze ou sur dix mois. Selon la jurisprudence, c’est à l’enseignant qu’il incombe de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il ne retournera pas au travail après la période de congé. Cela, à mon avis, permettrait de satisfaire à l’exigence qui consiste à prouver qu’il y a une réelle période d’inactivité après la fin de l’année scolaire. [Non souligné dans l’original.]

Le juge‑arbitre a donc avec raison cité le passage de l’arrêt Oliver où est énoncée la norme juridique applicable aux cas relevant de l’alinéa 33(2)a). Il a dit aussi que, eu égard à l’ensemble de la preuve, il n’y avait « pas eu d’interruption » dans l’emploi de la prestataire. Le juge‑arbitre s’est aussi demandé s’il y avait de bonnes chances pour que la prestataire retourne à son poste après la période de congé, mais il est clair que, pour lui, cette question n’était pas le facteur décisif. Dans la présente affaire, la réponse à cette question l’a plutôt aidé à disposer du point capital, celui de savoir s’il y avait eu une rupture claire dans la continuité de l’emploi de la demanderesse. D’ailleurs, en conclusion, il a même réaffirmé que « l’exigence [. . .] consiste à prouver qu’il y a une réelle période d’inactivité ». En définitive, selon moi, l’analyse du juge‑arbitre reposait sur le bon critère juridique.

[26]La probabilité d’un retour de la prestataire à son poste n’a été que l’un des facteurs retenus par le juge‑arbitre dans son analyse, si l’on en croit le juge‑arbitre lorsqu’il dit qu’il a tenu compte de toute la preuve que le conseil avait devant lui. D’ailleurs, le juge‑arbitre a eu raison de prendre en compte tous les faits de l’affaire. Cette approche trouve son fondement dans la jurisprudence, laquelle met en évidence le caractère éminemment factuel des décisions fondées sur l’alinéa 33(2)a). Ainsi, dans l’arrêt Oliver, aux paragraphes 17 et 18, le juge Létourneau a confirmé la décision du juge‑arbitre, lequel était d’avis que :

[. . .] on ne peut trancher la question de savoir si un enseignant était visé ou non par l’exception uniquement sur la base d’une date de fin de travail indiquée dans un contrat. Toutes les circonstances de l’espèce doivent être prises en considération à la lumière de l’objectif et de l’intention de la loi. [Non souligné dans l’original.]

Le juge‑arbitre a eu raison de reproduire ce passage dans sa décision.

[27]Au reste, si je devais exprimer des doutes sur les motifs du juge‑arbitre, je mentionnerais probablement la manière dont il a traité la preuve. Certes, il « a examiné les arguments de la prestataire ». Il a aussi « examiné la preuve portée à la connaissance du conseil arbitral ». Il a aussi évoqué le fait que la rémunération annuelle de la demanderesse était répartie sur 10 mois seulement. Il aurait sans doute été préférable qu’il dise quels éléments de preuve le conduisaient à conclure que le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

ii) Considérations utiles

[28]En théorie, plus souvent qu’autrement, certains facteurs aideront les tribunaux à dire s’il y a eu ou non une rupture claire dans la continuité de l’emploi du prestataire. Le paragraphe 17 de l’arrêt Oliver nous enseigne que, dans l’établissement d’une telle liste de facteurs, le tribunal doit prendre en compte « l’objectif et [. . .] l’intention de la loi ».

[29]Il ne fait aucun doute que la loi est un guide utile. Cependant, depuis l’arrêt Oliver, le juge Binnie, au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, a passé en revue la méthode adéquate d’interprétation des règlements. Interprétant le règlement applicable à cette affaire, il s’en est rapporté à cinq sources : le mal auquel le règlement devait remédier, l’économie du texte réglementaire, le sens grammatical et ordinaire des mots du règlement, la disposition législative en vertu de laquelle le règlement a été pris, et le contexte général du règlement. Voir l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co., aux paragraphes 37 à 68. Pour le juge Binnie, le contexte général du règlement comprenait l’objet de la loi connexe et aussi le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, qui accompagne le règlement. Ibid., aux paragraphes 45 et 46. Selon moi, les cinq aides à l’interprétation énumérés par le juge Binnie permettent aussi d’établir une liste des genres de circonstances qui sont juridiquement utiles pour dire si un contrat de travail dans l’enseignement a ou non pris fin, au sens de l’alinéa 33(2)a) du Règlement.

[30]Je commencerai donc par le mal auquel l’alinéa 33(2)a) était censé remédier. L’objet du Règlement a été examiné dans des arrêts récents de la Cour. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Donachey, [1997] A.C.F. no 579 (C.A.), au paragraphe 5, la Cour écrivait :

De toute évidence, l’objectif de l’alinéa 46.1(2)a) est d’éviter le « cumul de prestations et de traitement », comme l’a souligné le juge Stone [Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679 (C.A.F.), à la p. 687] dans l’extrait cité précédemment. Voici comment le juge Desjardins a formulé cela, dans St. Coeur [Canada (Procureur général) c. St-Coeur, [1996] A.C.F. no 514 (C.A.) (QL)] :

L’objectif de l’article 46.1 du Règlement consiste à empêcher les enseignants, dont le salaire est réparti sur une période de douze mois mais qui ne fournissent pas de services chaque jour, de recevoir des sommes provenant de deux sources différentes mais remplissant le même rôle.

[31]Je ne doute nullement que la prévention du « cumul de prestations et de traitement » est l’un des objectifs de l’alinéa 33(2)a) du Règlement. L’économie du texte réglementaire confirme cette manière de voir. La seule autre référence à la résiliation d’un contrat de travail dans le Règlement rattache l’idée d’un arrêt de rémunération à celle d’une résiliation du contrat. Selon le sous‑alinéa 14(5)b)(i) du Règlement :

Arrêt de rémunération

14. [. . .]

(5) Un arrêt de rémunération se produit :

[. . .]

b) dans le cas d’un assuré employé aux termes d’un contrat de travail et dont la rémunération provenant de cet emploi est constituée principalement de commissions :

(i) soit lorsque son contrat de travail prend fin,

[32]Malheureusement toutefois, j’hésite à conclure que « le cumul des prestations et du traitement » est l’unique mal que l’autorité réglementante voulait corriger par cette disposition. Le sens grammatical et ordinaire des mots de l’alinéa 33(2)a) nous indique que cette disposition vise à combattre davantage que cet abus du régime de l’A‑E. Après tout, « [l’]alinéa ne prévoit pas que l’enseignant dont les services et la rémunération ont temporairement cessé est admissible à des prestations malgré le fait que le contrat de travail demeure en vigueur ». Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679 (C.A.F.), à la page 687.

[33]Je crois d’ailleurs que le juge‑arbitre dont la Cour a confirmé la décision dans l’arrêt Oliver avait correctement exposé l’objet de l’alinéa 33(2)a). Dans l’arrêt Oliver, au paragraphe 16, le juge Létourneau citait les observations suivantes de ce juge‑arbitre :

L’intention du Parlement est de verser des prestations d’assurance‑emploi aux personnes qui, sans que ce soit leur faute, se retrouvent véritablement en chômage et consacrent de sérieux efforts à se trouver de l’emploi. Les enseignants ne sont pas considérés comme des chômeurs pendant les périodes annuelles de congé et, par conséquent, ils n’ont pas droit au bénéfice des prestations, à moins de satisfaire à l’un des trois critères prévus au paragraphe 33(2) du Règlement :

a) le contrat de travail dans l’enseignement du prestataire a pris fin;

b) son emploi dans l’enseignement était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance;

c) il remplit les conditions requises pour recevoir des prestations à l’égard d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement.

L’intention du Parlement de même que l’objet et l’esprit de la loi, m’amènent à conclure que l’exception prévue aux termes de l’alinéa 33(2)a) du Règlement vise à venir en aide aux enseign[an]ts dont la cessation du contrat, qui prend fin le 30 juin, donne lieu à une véritable rupture de la relation entre l’employeur et l’employé. Autrement dit, l’exception accorde de l’aide aux enseignants qui sont des « chômeurs » , selon le véritable sens de ce terme, qui n’équivaut pas pour autant à l’expression « ne pas travailler ». [Certains soulignés sont ajoutés.]

Dans l’affaire Oliver, le juge‑arbitre s’était référé à l’intention du législateur et à l’objet du texte législatif, mais, selon moi, les passages soulignés ci‑dessus décrivent les objectifs de l’alinéa 33(2)a) du Règlement.

[34]Le pouvoir de réglementation conféré par la Loi, le sens grammatical et ordinaire des mots du règlement et le contexte général confirment que les motifs de l’arrêt Oliver décrivent fidèlement le mal auquel l’alinéa 33(2)a) était censé remédier.

[35]La disposition en cause peut être reliée à une modification rédigée de façon semblable apportée en 1983 à l’article 46.1 [édicté par DORS/83-516, art. 1] du Règlement sur l’assurance‑chômage [C.R.C., ch. 1576]. Le fondement législatif de cette modification était l’alinéa 58h.1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 150, art. 8] de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48]. Cet alinéa était ainsi formulé :

Règlements

58. La Commission peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, établir des règlements :

[. . .]

h.1) interdisant le paiement de prestations, en tout ou en partie, et restreignant le montant des prestations payables pour les personnes, les groupes ou les catégories de personnes qui travaillent ou ont travaillé pendant une fraction quelconque d’une année dans le cadre d’une industrie ou d’une occupation au sujet de laquelle, de l’avis de la Commission, il y a une période qui survient annuellement à des intervalles réguliers ou irréguliers durant laquelle aucun travail n’est exécuté, par un nombre important de personnes, à l’égard d’une semaine quelconque ou de toutes les semaines comprises dans cette période;

[36]Dans l’actuelle Loi sur l’assurance‑emploi, la disposition correspondante est la suivante :

54. La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

[. . .]

j) interdisant le paiement de prestations, en tout ou en partie, et restreignant le montant des prestations payables pour les personnes, les groupes ou les catégories de personnes qui travaillent ou ont travaillé pendant une fraction quelconque d’une année dans le cadre d’une industrie ou d’une occupation dans laquelle, de l’avis de la Commission, il y a une période qui survient annuellement à des intervalles réguliers ou irréguliers durant laquelle aucun travail n’est exécuté, par un nombre important de personnes, à l’égard d’une semaine quelconque ou de toutes les semaines comprises dans cette période;

[37]L’alinéa 58h.1) de la Loi sur l’assurance‑ chômage et l’alinéa 54j) de la Loi sur l’assurance‑ emploi font ressortir que, dans certaines industries et occupations, il y a des périodes « durant l[esquelles] aucun travail n’est exécuté ». Ils renforcent donc la position, exposée dans l’arrêt Oliver, selon laquelle le mot « chômeu[r] » ne peut pas être assimilé aux mots « ne pas travailler » ni, pour paraphraser l’alinéa 58h.1), aux mots « n’exécuter aucun travail ».

[38]En outre, les mots eux‑mêmes employés dans l’article 33 du Règlement reconnaissent que l’enseignement est un secteur où, dans les faits, les relations contractuelles sont fondées sur une période de 12 mois, même si, comme on peut l’imaginer, aucun travail ne sera exécuté durant une certaine période de l’année. Selon le paragraphe 33(1) :

33. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

[. . .]

« période de congé » La période qui survient annuellement, à des intervalles réguliers ou irréguliers, durant laquelle aucun travail n’est exécuté par un nombre important de personnes exerçant un emploi dans l’enseignement.

En bref, le pouvoir de réglementation conféré par la Loi, ainsi que le texte de l’article 33, confirment que l’alinéa 33(2)a) est censé combattre le mal suivant : les enseignants qui perçoivent des prestations d’A‑E alors qu’on ne saurait dire qu’ils sont véritablement en chômage, même s’ils n’exécutent aucun travail durant la période de congé.

[39]La note explicative qui accompagnait la modification apportée en 1983 à l’article 46.1 du Règlement sur l’assurance‑chômage montre elle aussi que l’alinéa 33(2)a) est censé empêcher les enseignants qui occupent des postes permanents de percevoir des prestations durant la période de congé. La note est ainsi formulée :

Cette modification vise à interdire le paiement de prestations (sauf les prestations de maternité) aux enseignants pendant la période de congé annuelle, exception faite des enseignants dont le contrat de travail n’a pas été renouvelé, dont l’emploi était exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance ou qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations en raison d’un emploi dans une profession autre que l’enseignement. Dans ce dernier cas, les prestations se limitent au montant payable à l’égard de cet autre emploi.

[40]L’idée selon laquelle l’alinéa 33(2)a) du Règlement vise à faire en sorte que seuls les enseignants « véritablement en chômage » aient droit à des prestations d’A‑E n’est pas incompatible avec l’objet de la Loi sur l’assurance‑emploi. Dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, au paragraphe 18, la Cour suprême du Canada a examiné la jurisprudence relative à l’objet du texte législatif :

Dans l’arrêt Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, p. 41, le juge La Forest, citant les propos du juge Lacombe, qui siégeait alors à la Cour d’appel fédérale dans cette affaire, décrivait ainsi l’objectif de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage, qui ne semble pas différer de celui de la loi actuelle :

. . . d’établir un régime d’assurance sociale aux fins d’indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d’assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps et les aider ainsi à retourner sur le marché du travail.

Dans l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, le juge Gonthier ajoutait que l’objet des prestations d’assurance‑chômage était

orienté vers le passé, le présent et l’avenir. L’admissibilité aux prestations dépend de l’exercice, dans le passé, d’un emploi donnant droit aux prestations. Ces prestations visent à fournir un revenu et une sécurité pour le présent, en remplacement du revenu d’emploi perdu. Cependant, les prestations sont également orientées vers l’avenir en ce qu’elles permettent au bénéficiaire de trouver un nouvel emploi, sans souffrir de privations et tout en éprouvant un sentiment de sécurité. [p. 895] [Non souligné dans l’original.]

Dans l’arrêt Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, à la page 46, les juges majoritaires ont également fait la mise en garde suivante :

L’on ne doit pas perdre de vue [. . .] le fait que le premier objectif de cette loi particulière est de dépanner temporairement les personnes désireuses de rester au sein de la main‑d’œuvre active mais qui sont momentanément incapables de trouver un emploi. [Non souligné dans l’original.]

[41]Finalement, le point de vue, exposé dans l’arrêt Oliver, concernant l’objet de l’alinéa 33(2)a) s’accorde avec le Guide de la détermination de l’admissibilité (le Guide). Le Guide est un instrument de référence qui renferme les principes appliqués par DRHC lorsqu’il traite les demandes de prestations d’A‑E. Selon le Chapitre 14—Les enseignants, 14.5.0—« Disponibi-lité » :

Comme tous les autres prestataires, les enseignants doivent prouver qu’ils sont capables de travailler et disponibles à cette fin et incapables d’obtenir un emploi convenable pour tout jour ouvrable d’une période de prestations

L’enseignant doit [. . .] prouver, pendant la période de congé, qu’il est disposé et capable d’accepter immédiatement toute offre d’emploi convenable et qu’il n’existe aucune restriction pouvant limiter ses possibilités d’obtenir un emploi.

La notion de délai raisonnable pour trouver un emploi dans l’enseignement ne s’appliquera pas aux périodes de congé. La disponibilité du prestataire doit s’appuyer sur des actes et des preuves comme c’est le cas pour tout autre prestataire. Un enseignant doit, pendant la période de congé, chercher du travail dans un autre domaine qui offre des possibilités d’emploi s’il y a peu ou pas de possibilités d’obtenir un poste d’enseignant durant la période de congé. [Références internes omises.]

L’enseignant « véritablement en chômage » sera en mesure de « prouver, pendant la période de congé, qu’il est [. . .] capable d’accepter immédiatement toute offre d’emploi convenable et qu’il n’existe aucune restriction pouvant limiter ses possibilités d’obtenir un emploi ». L’obligation pour lui de « chercher du travail dans un autre domaine qui offre des possibilités d’emploi s’il y a peu ou pas de possibilités d’obtenir un poste d’enseignant durant la période de congé » est elle aussi révélatrice. Comme la Cour l’expliquait dans l’arrêt Oliver, les enseignants dont les contrats ont pris fin et qui ont donc droit à des prestations d’A‑E doivent « consacr[er] de sérieux efforts à se trouver de l’emploi ».

[42]Au vu de cette interprétation de l’objet de l’alinéa 33(2)a), la logique désigne les genres de facteurs dont il conviendra de tenir compte pour savoir s’il y a eu rupture claire dans la continuité de l’emploi de la demanderesse. Pour savoir si un cas donné entre ou non dans le champ de l’alinéa 33(2)a) du Règlement, il n’est que raisonnable de s’en rapporter à des facteurs tels que :

i. l’ancienneté de la relation d’emploi;

ii. la durée de la période de congé;

iii. les usages et pratiques du domaine d’enseignement en cause;

iv. le versement d’une rémunération durant la période de congé;

v. les conditions du contrat de travail écrit, s’il y en a un;

vi. la méthode à laquelle recourt l’employeur pour rappeler le prestataire;

vii. le formulaire de relevé d’emploi rempli par l’em-ployeur;

viii. les autres éléments attestant une reconnaissance de départ de la part de l’employeur; et

ix. l’arrangement conclu entre le prestataire et l’employeur, et la conduite respective de chacun.

[43]Plusieurs mises en garde s’imposent à propos de cette liste de facteurs. D’abord, elle n’est pas limitative. Ensuite, les facteurs qu’elle énumère ne permettront pas tous de résoudre un cas donné. D’ailleurs, les tribunaux doivent accorder une très grande importance au contexte factuel à l’origine de chaque cas relevant de l’alinéa 33(2)a). Il faut se garder d’évaluer ces facteurs d’une manière mécanique. Il est tout à fait fautif de compter simplement le nombre de facteurs qui permettent de conclure qu’il a été mis fin au contrat, et le nombre de facteurs qui militent contre cette conclusion, pour ensuite retenir la conclusion désignée par le nombre de facteurs qui est le plus élevé. Pour savoir si un contrat de travail dans l’enseignement a pris fin au sens de l’alinéa 33(2)a), il faut plutôt examiner l’ensemble des circonstances de chaque cas en gardant à l’esprit l’objet du règlement.

iii) Jurisprudence connexe

[44]Il serait sans doute utile, devant l’éclairage que ces facteurs jettent sur un cas donné relevant de l’alinéa 33(2)a), d’examiner deux courants jurisprudentiels, qui tous deux portent sur des affaires de congédiement abusif. Le premier courant, qui concerne la durée du contrat de travail, examine le point de savoir si le contrat en cause était un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée. Le deuxième courant porte sur l’alinéa 240(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15]  du  Code  canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2] (le Code), qui prévoit que, pour déposer une plainte de congédiement injuste auprès d’un inspecteur, il faut avoir travaillé « sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur ».

[45]Dans les affaires portant sur la durée du contrat de travail, les tribunaux se demandent si le contrat en cause est un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée, avant d’établir les dommages‑intérêts que l’employeur devra payer au prestataire renvoyé. Un employé qui travaillait en vertu d’un contrat à durée indéterminée aura droit à réparation après un préavis raisonnable de licenciement. Par ailleurs, l’employée qui a été congédiée avant l’expiration de son contrat à durée déterminée n’aura droit à réparation qu’au titre de la rupture du contrat. Un employé à durée déterminée dont le contrat n’a pas été renouvelé à l’expiration du contrat n’aura pas droit à réparation parce que l’emploi a simplement cessé conformément aux conditions du contrat.

[46]L’approche que les tribunaux ont adoptée pour définir les frontières entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée présente de l’intérêt dans la présente affaire. Après tout, la question posée dans les cas portant sur la durée du contrat de travail est très semblable à celle qui est posée ici. La demanderesse dit essentiellement qu’elle avait un contrat à durée déterminée qui a pris fin en même temps que l’année scolaire. D’après elle, au début de chaque année scolaire, elle commençait à travailler à la faveur d’un nouveau contrat à durée déterminée. On pourrait dire cependant qu’en réalité elle travaillait pour la Or Haemet Sephardic School en vertu d’un unique contrat à durée indéterminée.

[47]Le second courant jurisprudentiel susceptible de nous aider à dire si une affaire donnée relève ou non de l’alinéa 33(2)a) concerne l’alinéa 240(1)a) du Code, ainsi formulé :

240.  (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

[48]Pour savoir si un prestataire dont l’emploi est saisonnier a « travaill[é] sans interruption » pendant au moins 12 mois, la Cour s’est demandé non pas si un travail a été effectivement accompli durant au moins 12 mois, mais plutôt s’il y a eu, durant cette période, une « continuité [d’]emploi » et une « relation d’emploi continue ». Voir l’arrêt Beothuk Data Systems Ltd., Division Seawatch c. Dean, [1998] 1 C.F. 433 (C.A.) (Beothuk), aux paragraphes 46, 50 et 28. De même, le juge‑arbitre saisi de l’affaire Oliver [Oliver et al. (In re) (2000), CUB 49724] avait à juste titre reconnu que le mot « chômeu[r] » n’est pas synonyme de l’expression « ne pas travailler ». Voir l’arrêt Oliver, au paragraphe 16. De plus, au paragraphe 19 de cet arrêt, le juge Létourneau disait que la pierre de touche de l’alinéa 33(2)a) du Règlement est la « continuité d’emploi ». En outre, commentant la décision du juge‑arbitre, qu’il confirmait, le juge Létourneau a mis en relief l’obser-vation du juge‑arbitre selon laquelle il n’y avait « pas eu de rupture de relation entre l’employeur et l’employé ». Ibid., au paragraphe 16. Les mots exacts employés par le juge‑arbitre dans l’affaire Oliver étaient « une véritable rupture de la relation entre l’employeur et l’employé ». Ibid. De même, le juge Malone, dans son avis dissident, parlait de « continuité de la relation d’emploi ». Arrêt Oliver, au paragraphe 44. Ces expressions font certainement écho aux expressions employées dans l’arrêt Beothuk.

[49]Ainsi, dans les affaires relevant de l’alinéa 240(1)a) comme dans celles relevant de l’alinéa 33(2)a), le point capital à décider est celui de savoir s’il y avait une relation d’emploi continue entre le prestataire et l’employeur. Si le contrat de travail du prestataire a pris fin, alors il n’y a pas continuité d’emploi. Voir aussi l’arrêt Beothuk, au paragraphe 49. Par conséquent, la manière dont les tribunaux ont appliqué l’alinéa 240(1)a) aux travailleurs saisonniers peut nous dire si un contrat de travail dans l’enseignement a pris fin, au sens de l’alinéa 33(2)a).

b)            À qui incombe le fardeau de la preuve?

[50]Dans sa décision, le juge‑arbitre a eu raison de faire reposer sur la demanderesse la charge d’apporter une preuve convaincante. Après tout, c’est la prestataire qui prétend que le contrat a pris fin, et c’est elle qui demande des prestations. Il n’est pas injuste d’imposer ce fardeau à la prestataire, puisqu’elle aura tout probablement connaissance du contexte de la relation d’emploi. Voir de façon générale l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 63. C’est pourquoi la prestataire est mieux placée que le défendeur pour présenter des éléments indiquant si, oui ou non, selon la norme de la prépondérance de la preuve applicable en matière non criminelle, il y a eu rupture claire dans la continuité de son emploi.

2) Application

a)            Le conseil a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a admis la demande de prestations d’A‑E de la demanderesse pour 2002?

[51]Le conseil semble avoir fait reposer sa décision d’accorder des prestations d’A‑E pour 2002 à la demanderesse, uniquement sur le fait que la demande-resse ne recevait de son employeur aucune forme de rémunération après la fin de juin. Le texte intégral de ses motifs est reproduit ci‑après :

[traduction]

Selon les arguments avancés par la prestataire, elle n’a pas de contrat ou promesse de contrat ni aucune attache, puisqu’elle ne reçoit absolument aucune prestation, après que son contrat a pris fin.

Dans l’affaire Ying c. Canada, CUB 40255, le juge Strayer, s’exprimant pour les juges majoritaires, à propos de circonstances assez semblables à celles dont est saisi le conseil, est arrivé à la conclusion que, durant la période allant du 30 juin au 26 août (période de congé), il n’aurait pas été possible de dire que la prestataire avait un contrat de travail en vigueur.

Le conseil est d’avis que la prestataire ne bénéficiait pas d’une continuité d’emploi auprès de la Or Haemet Sephardic School. [Non souligné dans l’original.]

[52]Il m’apparaît que, selon le conseil, l’arrêt Ying c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1615 (C.A.) (QL) (Ying), pose le principe que le non‑versement d’une rémunération par l’employeur est une condition suffisante permettant de conclure à la cessation du contrat. À mon humble avis, c’était là une erreur de droit. Dans l’arrêt Ying, les juges majoritaires s’étaient exprimés ainsi au paragraphe 1 :

Nous sommes d’accord avec les conclusions du conseil arbitral selon lesquelles il n’existait pas de continuité d’emploi en l’espèce. À notre avis, il ressort des faits qu’il y a eu cessation du contrat de travail à terme de la prestataire le 30 juin 1996, et que son prochain contrat de travail n’a commencé que le 26 août 1996. Il ressort également des éléments de preuve qu’elle n’avait droit, par contrat, à aucune rémunération relativement à cette période. [Non souligné dans l’original.]

Pour savoir si le contrat de Mme Ying avait pris fin, les juges majoritaires n’ont pas simplement tenu compte du fait que, selon son contrat, elle n’avait droit à aucune rémunération pour la période de congé. Après tout, ce n’est qu’après avoir conclu qu’« il ressort des faits qu’il y a eu cessation du contrat de travail à terme de la prestataire », que les juges majoritaires ont précisé qu’« il ressort également des éléments de preuve qu’elle n’avait droit, par contrat, à aucune rémunération relativement à cette période ». (Non souligné dans l’original.) Autrement dit, le non‑versement d’une rémunération par l’employeur durant la période de congé n’était pas l’unique facteur pris en compte par les juges majoritaires, mais simplement un facteur additionnel de leur analyse.

[53]Certes, dans l’arrêt Bishop c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi), 2002 CAF 276 (Bishop), au paragraphe 5, la Cour écrivait :

[. . .] dans Ying, l’enseignante n’a pas touché, au cours de l’été, des émoluments différés, contrairement à Bishop. La décision Ying reposait, semble‑t‑il, sur le fait que l’enseignante en question n’avait pas droit, en vertu de son contrat, à une rémunération quelconque durant les mois d’été.

Cette observation ne prétendait pas signaler que le non‑versement d’une rémunération par l’employeur constitue l’unique facteur à prendre en compte pour savoir si la situation d’un prestataire relève de l’alinéa 33(2)a) du Règlement. Au contraire, la Cour relevait simplement que, dans l’arrêt Ying, ce facteur avait fait pencher la balance en faveur de la prestataire. Dans l’arrêt Bishop, la Cour reconnaissait que d’autres facteurs avaient eu également un certain poids dans l’arrêt Ying. Cela ressort clairement du paragraphe 9 de l’arrêt Bishop, où la Cour, invoquant d’autres motifs, faisait la distinction entre les circonstances de l’affaire Ying et celles de l’affaire dont elle était saisie :

Il appert en outre de la décision Ying, qu’un intervalle séparait les deux contrats d’engagement, contrairement au cas dont la Cour est actuellement saisie, puisque Bishop avait été déjà réembauché avant l’expiration de la première année scolaire.

[54]Il est vrai que si un prestataire n’est pas rémunéré par l’employeur, cela peut être le signe que le contrat du prestataire a pris fin. Il ne s’ensuit pas toutefois que l’absence de rémunération permettra à elle seule de conclure que le contrat a pris fin. À plusieurs reprises, la Cour a d’ailleurs jugé que, même si un prestataire n’était pas rémunéré, son contrat n’avait pas pour autant pris fin et le prestataire n’avait donc pas droit à des prestations d’A‑E. Voir par exemple les arrêts suivants : Canada (Procureur général) c. Donachey, [1997] A.C.F. no 579 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. St‑Coeur, [1996] A.C.F. no 514 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679 (C.A.F.).

[55]Même si le conseil a invoqué l’arrêt Ying au motif que, selon lui, d’autres facettes de cette affaire présentaient quelques similitudes avec l’affaire dont il était saisi, il y a entre l’affaire Ying et la présente affaire une différence notable qui semble avoir échappé au conseil. Dans l’affaire Ying, la prestataire avait achevé un contrat et en avait signé un autre pour l’année scolaire suivante. Cela semble ne s’être produit qu’une seule fois durant la période d’emploi de la prestataire auprès de l’employeur. Ici, au contraire, la demanderesse a travaillé pour le même employeur durant au moins une décennie. Le conseil n’ayant pas reconnu cette distinction capitale entre l’affaire Ying et la présente affaire, je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il a négligé, dans sa décision de 2002, de prendre en compte un facteur pertinent. Le conseil était juridiquement tenu de prendre en compte tous les aspects du dossier. Toutefois, contrairement au juge‑arbitre dans la décision ici contestée, il ne l’a pas fait.

[56]Dans sa décision de 2001, le conseil avait peut‑être pris en compte tous les aspects du dossier. Malheureusement, ses motifs sur ce point ne sont pas très éloquents :

[traduction] Le conseil est d’avis que l’appelante n’a pas prouvé que, en tant qu’enseignante, elle avait droit de recevoir des prestations pour la période de congé. Le conseil arrive à cette conclusion parce que l’appelante travaille pour l’employeur depuis les 10 dernières années et qu’il existe entre eux une relation d’emploi.

[57]Le juge‑arbitre a toutefois dûment pris en compte l’ensemble de la preuve. Malheureusement, ce faisant, il a négligé de dire quels éléments de preuve il a considérés comme décisifs. Je me propose donc d’expliquer l’importance que présente la durée de la relation d’emploi entre la demanderesse et la Or Haemet Sephardic School, et d’examiner les autres facteurs qui autorisaient le juge‑arbitre à conclure que le cas de la demanderesse n’entrait pas dans les paramètres de l’alinéa 33(2)a) du Règlement.

b)            Eu égard à l’ensemble des circonstances, était‑il déraisonnable pour le juge‑arbitre de conclure que la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E pour les mois de juillet et août 2001 et 2002?

i) Ancienneté de la relation d’emploi

[58]Comme le conseil l’écrivait dans sa décision de 2001, l’ancienneté de la relation d’emploi entre la demanderesse et la Or Haemet Sephardic School, une relation d’une décennie, constitue un facteur important dans la présente affaire.

[59]La jurisprudence relative à la durée du contrat de travail reconnaît d’ailleurs qu’une relation d’emploi bien établie et de longue durée comme celle dont il s’agit ici commande un examen rigoureux de la part des tribunaux. Ainsi, dans l’arrêt Ceccol v. Ontario Gymnastic Federation (2001), 55 O.R. (3d) 614 (C.A.) (Ceccol), la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’une série de contrats annuels qui, à première vue, semblaient des contrats à durée déterminée, étaient en réalité un contrat à durée indéterminée. Au paragraphe 26, la Cour d’appel de l’Ontario écrivait :

[traduction] Il me semble qu’un tribunal doit se montrer particulièrement vigilant quand un employé travaille durant plusieurs années à la faveur d’une série de contrats à durée prétendument déterminée. Les employeurs ne devraient pas pouvoir échapper aux protections traditionnelles conférées par la Loi sur les normes d’emploi et par la common law en recourant à l’étiquette « contrat à durée déterminée », alors que la réalité de la relation d’emploi est quelque chose de très différent, à savoir le service continu de l’employé durant de nombreuses années, à quoi s’ajoutent, chez l’employeur, des déclarations et des agissements qui manifestement signalent une relation à durée indéterminée. [Non souligné dans l’original.]

[60]Les tribunaux devraient tous tenir compte de cette mise en garde, mais ceux qui sont saisis d’affaires relevant de l’alinéa 33(2)a) devraient lui accorder une attention particulière. Après tout, dans les cas de congédiement injuste, comme l’affaire Ceccol, les intérêts du prestataire et ceux de l’employeur sont en opposition. En général, dans ces cas, pour prouver le préjudice qu’il allègue, le prestataire produira une preuve donnant à entendre que le contrat est un contrat à durée indéterminée. L’employeur, quant à lui, tentera de limiter les dommages‑intérêts qu’il pourrait devoir payer au prestataire en faisant valoir que le contrat en cause est un contrat à durée déterminée. Ce contexte contradictoire facilite la tâche du juge en matière d’établissement des faits. Le tribunal bénéficie de deux perspectives très différentes, présentées par des parties qui sont parfaitement informées des faits à l’origine du litige.

[61]Naturellement, les affaires relevant de l’alinéa 33(2)a) font elles aussi apparaître des points de vue en total désaccord, celui de la prestataire et celui du gouvernement. Toutefois, il y a sans doute convergence des intérêts des acteurs qui ont la connaissance la plus directe et la plus intime de la relation d’emploi. Le prestataire et l’employeur pourraient bien tous deux préférer que le tribunal considère que le contrat en cause prend fin avec chaque année scolaire. C’est là manifestement un résultat intéressant pour le prestataire, puisqu’il aura alors droit à des prestations d’A‑E. Cette solution permet en même temps à l’employeur d’amortir ses coûts salariaux grâce à des prestations d’A‑E. C’est pourquoi l’ancienneté de la relation d’emploi, un facteur relativement facile à vérifier, présente un intérêt considérable dans les cas se rapportant à l’alinéa 33(2)a). En l’espèce, la considérable ancienneté de la relation d’emploi autorisait le juge‑arbitre à conclure que le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

ii)             Durée de la période de congé

[62]Le pouvoir de réglementation conféré par la Loi, ce à quoi s’ajoute le paragraphe 33(1) du Règlement, reconnaît qu’un poste d’enseignant est en réalité pour une période de 12 mois, même si l’enseignant n’effectue aucun travail durant les périodes de congé dont l’année scolaire est entrecoupée. Par conséquent, même si la durée du contrat d’un enseignant n’est que de 10 mois, le tribunal doit, pour déterminer si le prestataire a droit à des prestations d’A‑E, tenir compte de la preuve se rapportant aux périodes d’enseignement et aux périodes de congé. Autrement dit, pour dire s’il y a ou non continuité d’emploi, il faut considérer l’année scolaire répartie sur 12 mois.

[63]Durant les mois de juillet et août de chaque année, la demanderesse ne travaillait pas à la Or Haemet Sephardic School, et cela constituait un autre élément qui autorisait le juge‑arbitre à conclure que son cas n’entrait pas dans les paramètres de l’alinéa 33(2)a). Une période de deux mois n’est pas une longue période d’absence de travail. Ainsi, dans l’arrêt Beothuk, au paragraphe 48, la Cour écrivait qu’il n’était pas déraisonnable de conclure que la continuité de la relation d’emploi n’avait pas été rompue par une série de mises à pied annuelles, même si chacune d’elles avait une durée de neuf mois. On ne pourrait guère prétendre que les périodes de congé de la demanderesse, d’une durée de deux mois, ébranlent la conclusion du juge‑arbitre selon laquelle le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin, surtout si l’on considère ces périodes à la lumière des normes du secteur.

iii)            Usages et pratiques du domaine d’enseigne-ment

[64]L’enseignement est défini ainsi au paragraphe 33(1) du Règlement : « [l]a profession d’enseignant dans une école maternelle, primaire, intermédiaire ou secondaire, y compris une école de formation technique ou professionnelle ». Le genre de profession et, plus particulièrement, le schéma de l’emploi dans cette profession, sont un autre facteur important à prendre en considération dans les analyses fondées sur l’alinéa 33(2)a). Voir aussi l’arrêt Oliver, au paragraphe 16.

[65]En l’espèce, la demanderesse est une enseignante d’école primaire. Les enseignants de cette catégorie ne travaillent pas en général durant juillet et août. Ils retournent au travail en septembre, à la rentrée scolaire. C’est d’ailleurs ce schéma d’emploi qui caractérise le travail de la demanderesse depuis les 10 dernières années. Ce facteur autorise la conclusion du juge‑arbitre selon laquelle le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

iv)           Versement d’une rémunération durant la période de congé

[66]Le juge‑arbitre a reconnu que la demanderesse ne recevait ni rémunération ni avantages sociaux de son employeur durant la période de congé. Cet élément de preuve est important, étant donné que la jurisprudence relative à l’alinéa 33(2)a) ainsi que le règlement lui‑même donnent tous deux à entendre que l’un des abus que cherche à enrayer l’alinéa 33(2)a) en matière d’A‑E est le cumul de prestations et de traitement.

[67]Cela dit, dans une lettre de 2001 dont le juge‑arbitre a pris note, l’employeur écrivait :

[traduction]

8. Il n’y a pas d’échelle d’ancienneté en ce qui a trait à la rémunération, et il s’agit plutôt, en général, d’un aspect qui est déterminé unilatéralement par l’école, bien que les enseignants qui ont enseigné l’année antérieure se voient accorder une augmentation de quatre pour cent. [Non souligné dans l’original.]

Cette augmentation de salaire à la fin de chaque période de congé doit être gardée à l’esprit dans l’appréciation du poids qu’il convient d’accorder à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle ne recevait aucune rémunération en tant que telle au cours des mois d’été.

v)            Conditions du contrat de travail écrit

[68]En l’espèce, la demanderesse travaillait selon une entente verbale. Le dossier ne renferme pas de documents écrits, adressés à la demanderesse, donnant le détail de cette entente. Ce facteur n’intéresse donc apparemment pas la présente affaire.

[69]J’aimerais cependant faire observer qu’un contrat de travail écrit peut constituer une preuve attestant la continuité d’une relation d’emploi. Lorsqu’il considère un tel contrat, le tribunal doit se rappeler la présomption réfutable de résiliation moyennant préavis raisonnable uniquement. Dans l’arrêt Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986, à la page 998, la Cour suprême du Canada s’en rapportait, en les approuvant, à des auteurs et à des précédents qui préconisaient une présomption interprétative en faveur de l’existence de contrats à durée indéterminée :

Tel est le point de vue adopté par Freedland, op. cit., [M.R. Freedland, The Contract of Employment (Oxford : Clarendon Press, 1976)], qui affirme que [traduction] « le contrat type généralement accepté et appliqué par les tribunaux de nos jours en l’absence d’une preuve contraire est celui qui prévoit un emploi d’une durée indéterminée et qui est résiliable par l’une ou l’autre partie sur préavis raisonnable, mais seulement sur préavis raisonnable » (p. 153). C’est le point de vue qu’a adopté également la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Prozak c. Bell Telephone Co. of Canada (1984), 46 O.R. (2d) 385. Au nom de la cour, le juge Goodman a noté, à la p. 399, que [traduction] « si un contrat de travail ne contient pas de stipulation expresse ou manifestement implicite quant à sa durée ou à sa résiliation, il sera probablement présumé en common law être d’une durée indéterminée et résiliable par l’une ou l’autre partie sur préavis raisonnable. . . » C’est essentiellement l’opinion exprimée également par I. Christie dans Employment Law in Canada (1980), à la p. 347. [Non souligné dans l’original.]

vi)           Méthode de rappel

[70]Chaque été, au milieu d’août, la demanderesse recevait une lettre dans laquelle on l’invitait à retourner au travail. Cette méthode officieuse de rappel appuie l’opinion du juge‑arbitre selon laquelle le contrat de travail de la demanderesse dans l’enseignement n’a jamais pris fin.

[71]Dans le contexte d’un congédiement injuste, des méthodes de rappel tout aussi officieuses ont été vues comme le signe d’un contrat à durée indéterminée plutôt que d’un contrat à durée déterminée. Dans la décision Jordison v. Caledonian Curling Co‑operative Ltd., [2000] 4 W.W.R. 581 (B.R. Sask.), au paragraphe 19, citant la décision Gray v. Manvers (Township), [1992] O.J. No. 2898 (Div. gén.) (QL), la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan faisait observer que [traduction] « lorsqu’un employé est rappelé au travail à la faveur d’un appel téléphonique ou d’une visite, dont l’objet est d’établir la date exacte de reprise du travail plutôt que de dire si un poste sera offert, il est probable qu’il s’agit d’un emploi d’une durée indéterminée ». En revanche, si l’employé doit présenter de nouveau sa candidature ou se soumettre de nouveau, chaque saison, au processus de recrutement, alors il s’agit probablement d’un emploi d’une durée déterminée. Jordison, au paragraphe 19, citant Hildebrandt v. Wakaw Lake Regional Park Authority (1999), 175 Sask. R. 207 (B.R.) et Ross v. N.M. Paterson & Sons Ltd., [1996] O.J. No. 1194 (Div. gén.) (QL); appel accueilli sur la durée du préavis seulement, [1998] O.J. No. 3358 (C.A.) (QL).

vii)          Formulaire de relevé d’emploi

[72]Les relevés d’emploi sont des documents préparés par l’employeur à l’usage du gouvernement. Le gouvernement les utilise pour savoir si un prestataire est admissible à des prestations d’A‑E, et pour déterminer le taux des prestations et la durée de leur versement. Les relevés d’emploi jouent aussi un rôle important puisqu’ils permettent de faire obstacle au mauvais emploi des fonds de l’A‑E. Vu l’importance de ces documents dans le régime de l’A‑E, l’information qui y figure a probablement procuré au juge‑arbitre, qui a fait état de ces documents au tout début de ses motifs, des renseignements clés sur la nature de la relation entre l’employeur et la demanderesse.

[73]Entre 1996 et 2001, les relevés d’emploi de la demanderesse présentaient des similitudes frappantes. Cependant, après que la demanderesse s’est vu refuser des prestations d’A‑E en 2001, deux changements notables ont été apportés à son relevé de 2002. Le premier concerne la rubrique « date prévue de rappel ». L’employeur peut y répondre en cochant la case « date non connue » ou la case « retour non prévu ». Après avoir coché durant six années consécutives la case « date non connue », l’employeur, par la suite, soit ne cochait aucune des deux cases, soit cochait la case « retour non prévu ». Le second changement notable concerne la rubrique « raison du présent relevé d’emploi ». Sur les six premiers relevés de la prestataire, l’employeur avait répondu par la lettre « A », qui est le code employé pour « manque de travail ». En 2002, l’employeur a écrit « K », qui signifie « autre ». L’employeur qui inscrit « K » doit alors préciser ce qu’il entend par « autre ». En 2002, l’employeur a écrit [traduction] « fin de l’année scolaire ».

[74]La jurisprudence relative à la durée du contrat de travail nous permet d’attribuer une portée juridique à ces mentions du relevé. Dans l’arrêt Saunders c. Fredericton Golf & Curling Club Inc., [1994] A.N.-B. no 291 (C.A) (QL), le juge Hoyt, juge en chef du Nouveau‑Brunswick, s’exprimant pour les juges majoritaires, avait estimé que, lorsque la raison de la mise à pied est un manque de travail et que la rubrique « date prévue de rappel » porte la mention « date non connue » plutôt que « retour non prévu », alors le relevé d’emploi est le signe que le contrat de travail est un contrat à durée indéterminée. Voir aussi la décision Hildebrandt, au paragraphe 29. Après tout, une date prévue de rappel qui est « non connue » [traduction] « ne peut que signifier qu’il est prévu que l’employé reviendra un jour ». Ross, au paragraphe 26. En bref, ce facteur confirme l’opinion du juge‑arbitre selon laquelle le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

Other evidence of the employer’s outward recognition

viii)     Autres éléments attestant une reconnais-sance de départ de la part de l’employeur

[75]Le dossier de la présente affaire renferme deux lettres de 2001 de l’employeur de la demanderesse qui ont dû susciter l’intérêt du juge‑arbitre. La première est une lettre adressée à « Madame, Monsieur ». La seconde est une lettre sans destinataire portant simplement la rubrique : « Objet : Sheila Stone ».

[76]On peut lire dans la première lettre que [traduction] « en raison d’un manque de travail, il a été mis fin à l’emploi de Sheila Stone le 22 juin 2001 ». Cette mention d’un « manque de travail » fait écho à la question numéro 15 de la « Demande de prestations de chômage » que la demanderesse a remplie en 2001 et 2002. Cette question est ainsi formulée : « Pourquoi avez‑vous cessé de travailler? » La première case que la prestataire a le choix de cocher vise les cas où il y a un « manque de travail ». Dans ses demandes de 2001 et 2002, la demanderesse a coché cette case.

[77]La présence des mots « manque de travail » dans la lettre adressée à « Madame, Monsieur » rappelle aussi les observations faites dans l’arrêt Bishop, au paragraphe 10, où l’on peut lire ce qui suit :

Il [Bishop] a de plus allégué qu’il a été réduit au chômage par manque de travail alors qu’en réalité il n’en manquait pas. Il a été employé jusqu’à la fin de l’année scolaire expirant en juin 1999, après quoi les enseignants n’avaient plus de travail durant les mois d’été.

[78]Il convient en effet de se montrer prudent devant des documents tels que la lettre adressée à « Madame, Monsieur ». Dans l’arrêt Oliver, au paragraphe 16, le juge Létourneau a reproduit les observations suivantes du juge‑arbitre dont il a confirmé la décision :

Nous ne pouvons accorder une grande importance aux descriptions contractuelles formelles de la nature de la relation de travail qu’ont données les signataires. La façon dont les parties définissent leur relation selon les termes exprès du contrat peut être de nature intéressée ou, comme en l’espèce, imposée par une loi provinciale. La seule raison pour laquelle les contrats prennent fin le 30 juin est que l’article 79 de la School Act de l’Alberta stipule qu’il en soit ainsi. Toutefois, cette date ne traduit pas véritablement les réalités de l’emploi que vivent ces prestataires, des réalités qui doivent être prises en considération lorsque nous interprétons la Loi sur l’assurance‑emploi et son règlement d’application. [Non souligné dans l’original.]

En définitive donc, il se pourrait que l’on ne doive accorder qu’un faible poids aux déclarations de l’employeur dans la présente affaire.

[79]La lettre de l’employeur portant la mention « Objet : Sheila Stone » renferme notamment ce qui suit :

[traduction]

2. Sheila Stone et d’autres enseignants ont travaillé, à la faveur d’un contrat verbal, du 5 septembre 2000 au 22 juin 2001, et ils n’étaient pas syndiqués. Son contrat verbal a pris fin le 22 juin 2001. Aucun emploi ne lui a été garanti pour l’année suivante car l’effectif est réévalué en fonction des nouvelles inscriptions.

3. Afin que les enseignants que l’école souhaiterait recruter pour l’année scolaire suivante soient informés des intentions de l’école, et qu’ils puissent être disponibles si c’est là leur choix, l’enseignant concerné/Sheila Stone est informé de l’intention de l’école de conclure un contrat verbal pour la prochaine année scolaire. Cette offre est conditionnelle au financement accordé et au nombre d’inscriptions pour le groupe d’âge concerné, et il est entendu et convenu que, si le financement et/ou les inscriptions ne sont pas suffisants, il ne sera pas offert de postes d’enseignant. Mme Stone a reçu une lettre de l’école en date du 15 août 2001, l’informant d’une réunion prévue le 29 août 2001 qui porterait sur les préparatifs de l’année suivante.

[80]À première vue, cette lettre donne à penser que le contrat de la demanderesse avait pris fin en juin. L’offre qu’elle avait reçue à propos d’un nouvel emploi pour septembre de l’année suivante était conditionnelle à l’obtention par la Or Haemet Sephardic School d’un financement et d’un nombre suffisant d’inscriptions pour le groupe d’âge auquel enseignait la demanderesse.

[81]Cependant, la jurisprudence relative à la durée du contrat de travail jette un autre éclairage sur la portée juridique de ce genre d’offre conditionnelle. Ainsi, dans une affaire de congédiement injuste, MacDonald v. Dykeview Farms Ltd. (1998), 177 N.S.R. (2d) 310 (C.S.) (MacDonald), la question était de savoir si la prestataire, une travailleuse à la chaîne s’occupant de classement et d’emballage, avait travaillé à la faveur d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. Lorsqu’elle avait été embauchée la première fois, on lui avait dit qu’elle travaillerait sur la ligne de classement jusqu’à épuisement du produit, probablement en octobre ou novembre. En fait, sa période de travail avait pris fin le 22 octobre. La Cour a jugé qu’elle avait été embauchée au départ pour un poste à durée déterminée qui prenait fin non pas à une date prédéterminée, mais plutôt lorsque se produisait un événement prédéterminé, la fin de la production. Quand le contrat de la prestataire avait pris fin, on lui avait dit qu’on l’appellerait en juillet prochain si ses services étaient requis. On ne lui avait pas garanti qu’on l’appellerait en juillet prochain. Néanmoins, une habitude avait été prise au cours des huit années suivantes. Tous les ans en juillet, la prestataire attendait un appel, et tous les ans en juillet, on la rappelait au travail.

[82]Le schéma d’emploi que l’on observe dans l’affaire MacDonald, c’est‑à‑dire essentiellement des rappels successifs subordonnés à l’existence d’une quantité suffisante de travail, présente une similitude frappante avec celui de la présente affaire. La Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 11 de la décision MacDonald :

[traduction] À lui seul, ce facteur [le rappel constant chaque année durant huit ans de suite et le retour fidèle de Mme MacDonald au travail à chaque fois] ne permet pas d’établir d’une manière décisive une promesse de rappel sous réserve d’avis, mais c’est de la part des deux parties une conduite qui atteste très nettement une évolution substantielle allant au‑delà du contrat initial à durée déterminée. Le rappel automatique était le facteur prédominant dans la décision Gray c. Corporation of the Township of Manvers (1992), 93 C.L.L.C. para. 14, 023 (C.J.O.).

[83]Le juge‑arbitre a eu raison en effet de considérer la lettre portant la mention « Objet : Sheila Stone » à la lumière de tous les autres faits du dossier.

ix)       Arrangement conclu entre la prestataire et l’employeur, et conduite respective de chacun

[84]Dans des affaires antérieures se rapportant à l’alinéa 33(2)a), la Cour, pour savoir si le contrat avait pris fin, s’est demandé si l’employeur et l’employé considéraient qu’il était encore en vigueur. Voir par exemple l’arrêt Canada (Procureur général) c. Taylor.

[85]Il n’a pas été contesté que, lorsque le contrat de la demanderesse a pris fin, l’employeur et la demanderesse croyaient tous deux qu’elle retournerait à la Or Haemet Sephardic School à l’automne. D’ailleurs, aucune des deux parties n’a agi comme si la demanderesse était en chômage durant la période de congé.

[86]Prenons par exemple la lettre de la mi‑août adressée par l’employeur à la demanderesse, [traduction] « l’informant d’une réunion prévue le 29 août 2001 qui porterait sur les préparatifs de l’année suivante ». Si le contrat de la demanderesse avait effectivement pris fin, l’employeur aurait cherché à savoir si elle pouvait assister à une telle réunion et revenir travailler pour lui. C’est pourquoi il me semble pour le moins présomptueux de sa part de lui avoir simplement envoyé une lettre donnant les détails d’une réunion à venir. Je crois pour ma part que l’employeur aurait normalement « demandé » à Mme Stone si elle pouvait assister à la réunion, au lieu de simplement l’« informer » de cette réunion. L’employeur semblait au contraire assuré qu’elle n’irait pas travailler ailleurs à la fin d’août.

[87]La conduite de la demanderesse donne elle aussi à penser qu’elle croyait qu’elle irait travailler pour la Or Haemet Sephardic School à l’automne. Certes, elle a écrit dans son affidavit qu’elle avait cherché un travail « durant juillet et août ». C’est là une brève déclaration de disponibilité qui pourrait être prise au pied de la lettre et considérée comme une preuve suffisante de disponibilité « au début de la période de chômage pourvu qu’on ne décèle ni exigence ni empêchement d’importance face à l’acceptation d’un emploi ». Guide, « Chapitre 10—Disponibilité », « 10.2.0—Preuve ». Ici cependant, le « chômage » de la demanderesse a duré non pas deux semaines, mais deux mois. Manifestement donc, une preuve complémentaire était requise pour confirmer la prétendue disponibilité de la demanderesse. Toutefois, durant ses 10 années d’emploi auprès de la Or Haemet Sephardic School, la demanderesse n’a jamais travaillé pour un autre employeur. Par ailleurs, le dossier ne contient pas de curriculum vitæ, pas de lettres d’accompagnement, pas de références d’employeurs et pas de demandes d’emploi remplies. Il n’y a pas même un résumé de recherche d’emploi énumérant les employeurs potentiels auxquels se serait adressée la demanderesse durant l’été. Étant donné cette preuve, ou cette absence de preuve, le juge‑arbitre pouvait parfaitement conclure que la demanderesse n’avait pas activement cherché un travail durant l’été et qu’elle ne s’était donc pas comportée comme si son contrat avait pris fin.

[88]Même si la demanderesse a effectivement cherché du travail, il ressort de la preuve qu’elle a limité ses recherches à un emploi d’été qui lui aurait permis de retourner travailler à la Or Haemet Sephardic School à l’automne. Il n’est indiqué nulle part dans le dossier, ni dans l’affidavit de la demanderesse, que la demanderesse ait jamais cherché, ou aurait accepté, un travail d’une durée allant au‑delà de juillet et août. On imagine tout à fait qu’un enseignant qui croit véritablement que son contrat a pris fin voudra poser sa candidature dans d’autres écoles pour un travail débutant en septembre. L’absence de toute preuve du genre est un signe très net que l’enseignante ne croyait pas vraiment que son contrat avait pris fin. Cela dit, l’absence d’une telle preuve ici n’est pas surprenante. Après tout, l’employeur lui‑même admet, dans sa lettre portant la mention « Objet : Sheila Stone », qu’il informait la demanderesse de son intention de la réintégrer dans son effectif en septembre, afin qu’elle puisse [traduction] « être disponible ». Effectivement, elle était disponible et elle retournait travailler pour son employeur chaque automne.

[89]En conclusion, la conduite de l’employeur et celle de la demanderesse donnent à penser qu’ils avaient une entente selon laquelle, sous réserve du financement et des inscriptions, la demanderesse retournerait travailler à la Or Haemet Sephardic School chaque année en septembre. D’ailleurs, à supposer que le financement et les inscriptions soient suffisants et que l’employeur décidait malgré cela de ne pas réintégrer la demanderesse dans son effectif en septembre, alors je crois qu’elle pourrait obtenir réparation en alléguant une rupture de contrat. Il existait après tout une entente mutuelle selon laquelle, dans ces conditions, elle retournerait travailler à la Or Haemet Sephardic School. C’est la raison pour laquelle, durant l’été, elle ne cherchait pas un autre travail à exécuter durant l’année scolaire. Elle s’exposait ainsi à perdre une année d’emploi et la rémunération afférente. Le défendeur n’a pas admis que les deux parties n’avaient pas de droits et d’obligations contractuels réciproques. En résumé, ce facteur appuie lui aussi la conclusion du juge‑arbitre selon laquelle le contrat de la demanderesse n’avait pas pris fin.

V. DISPOSITIF

[90]Après examen par le juge‑arbitre de tous les faits du dossier de la demanderesse, il était évidemment raisonnable pour lui de conclure que la relation de la demanderesse avec l’employeur n’avait jamais été rompue. Deux tout au plus des huit facteurs qui intéressent manifestement la présente affaire donnent à penser que le contrat de la demanderesse avait pris fin. Ce sont l’absence d’une rémunération durant la période de congé et les éléments attestant une reconnaissance de départ de la part de l’employeur. Comme je l’ai expliqué dans l’examen de ces facteurs, le juge‑arbitre a eu raison de ne pas leur accorder beaucoup de poids.

[91]En bref, il était tout à fait raisonnable pour le juge‑arbitre, après examen de la preuve, de conclure que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondé-rance de la preuve, qu’il y avait eu une rupture claire dans la continuité de son emploi. Il n’apparaît pas que son contrat avait pris fin, au sens de l’alinéa 33(2)a) du Règlement. Son cas n’entre pas non plus dans les autres exceptions au principe général du paragraphe 33(2) du Règlement, qui exclut le versement de prestations d’A‑E durant les périodes de congé. Il m’est donc impossible de conclure que la décision du juge‑arbitre selon laquelle la demanderesse n’avait pas droit à des prestations d’A‑E était déraisonnable.

[92]La présente décision et les décisions antérieures de la Cour sont tout à fait conformes au sens ordinaire du Règlement, à son contexte général, au pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur l’assurance‑ emploi et à l’économie du règlement.

[93]Les demandes de contrôle judiciaire devraient être rejetées, avec un seul mémoire de dépens. Les présents motifs seront déposés dans les dossiers A‑367‑04 et A‑368‑04.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[94]Le juge Evans, J.C.A. (dissident): Contraire-ment à mon collègue le juge Sexton, dont j’ai lu les motifs éloquents et approfondis, je ferais droit aux demandes et renverrais l’affaire pour nouvelle décision, étant entendu que le paragraphe 33(2) du Règlement sur l’assurance‑emploi n’empêche pas Mme Stone de recevoir des prestations d’assurance‑emploi pour les mois de juillet et août 2001 et 2002.

[95]À mon avis, les motifs du juge‑arbitre n’exposent pas une base rationnelle qui l’autorisait, d’après le dossier qu’il avait devant lui, à rejeter la prétention de Mme Stone selon laquelle le contrat de travail qu’elle avait avec la Or Haemet Sephardic School avait pris fin vers la fin de juin. La présente affaire se distingue très nettement des affaires du même ordre jugées auparavant par la Cour.

[96]D’après les témoignages de Mme Stone et de M. Laufer, l’administrateur de l’école, Mme Stone travaillait à la faveur d’un contrat d’une durée de 10 mois, comme les autres enseignants à la Or Haemet. Ces témoignages n’ont pas été contredits ni contestés par le ministre, qui a également reconnu que, de la fin de juin jusqu’à son réembauchage en août pour la nouvelle année scolaire, Mme Stone n’avait aucun contrat de travail avec la Or Haemet. Autrement dit, il n’y avait pas de droits contractuels ni d’obligations contractuelles entre Mme Stone et la Or Haemet durant les mois de juillet et août au titre du travail d’enseignante de Mme Stone.

[97]L’avocat du ministre a admis que l’espoir commun des parties de voir Mme Stone reprendre son travail d’enseignante en septembre n’avait pas cristallisé un contrat tacite concernant son emploi futur. Jusqu’à son acceptation de l’offre en août, Mme Stone était libre d’accepter un autre emploi sans en informer la Or Haemet, et l’école pouvait décider, pour quelque raison, de ne pas lui offrir un emploi, là encore sans la nécessité d’un préavis.

[98]L’avocat du ministre a aussi reconnu que la Or Haemet ne rémunérait pas Mme Stone durant les mois de juillet et août, ni ne lui versait d’avantages sociaux durant cette période. L’augmentation de 4 p. 100 qui lui était offerte en sa qualité d’enseignante revenant à son poste récompensait son expérience et peut‑être le fait qu’elle restait disponible pour enseigner à la Or Haemet. Il n’allait pas y avoir « cumul de prestations et de traitement » du seul fait qu’elle recevrait des prestations d’assurance‑emploi pour juillet et août.

[99]Le dossier constitué dans l’appel au conseil arbitral aurait pu sans aucun doute être plus étoffé. Ainsi, aucune comparaison n’était faite entre le traitement de Mme Stone et celui des enseignants payés durant 12 mois, et M. Laufer aurait pu être appelé à témoigner, puis interrogé sur les arrangements contractuels de la Or Haemet avec ses enseignants. Il serait loisible à la Commission de s’enquérir davantage dans l’avenir si Mme Stone continuait de demander des prestations pour les mois d’été où elle n’enseigne pas.

[100]Cependant, il n’y a ici aucun leurre et, comme la Cour, le juge‑arbitre devait prendre le dossier tel qu’il lui a été présenté. Conclure d’après le dossier, comme l’a fait le juge‑arbitre, que Mme Stone n’avait pas prouvé que son contrat de travail dans l’enseignement avait pris fin est au mieux contre‑intuitif et impose au décideur un travail d’explication qui n’est pas négligeable.

[101]Je reconnais avec mon collègue que le point contesté ici concerne la manière dont le juge‑arbitre a appliqué l’alinéa 33(2)a) du Règlement au dossier en cause et que la norme de contrôle à appliquer est la décision raisonnable simpliciter.

[102]Lorsqu’une cour de justice procède au contrôle judiciaire de la décision d’un tribunal administratif pour savoir si cette décision est ou non raisonnable, le contrôle doit porter sur les motifs du tribunal. Dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci écrivait [aux paragraphes 48, 49, 54 et 55] :

Lorsque l’analyse pragmatique et fonctionnelle mène à la conclusion que la norme appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins que la partie qui demande le contrôle ait démontré que la décision est déraisonnable (voir [Canada (Directeur des enquêtes et recherches c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748] par. 61).

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. [Je souligne.]

Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et « se demande » si l’un ou l’autre de ces motifs étaye convenablement la décision

[. . .]

Comment la cour siégeant en contrôle judiciaire sait‑elle si une décision est raisonnable alors qu’elle ne peut d’abord vérifier si elle est correcte? La réponse est que la cour doit examiner les motifs donnés par le tribunal.

La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir [. . .]

[103]Il s’agit donc de savoir si les motifs du juge‑arbitre, lus dans leur intégralité, contiennent un « mode d’analyse » qui « résist[e] à un examen assez poussé ». Après avoir rappelé le critère énoncé par le juge Létourneau dans l’arrêt Oliver (y a‑t‑il « rupture claire dans la continuité de [l’]emploi »?), le juge‑arbitre expliquait ainsi sa décision :

Après avoir examiné la preuve portée à la connaissance du conseil arbitral, je suis convaincu qu’il a été établi que cette prestataire avait été employée année après année et qu’il n’y avait pas eu d’interruption d’emploi. Je ne crois pas que le fait qu’elle travaille dans une école privée fasse une différence car la Loi ne fait pas de distinction entre école privée et école publique. Elle ne précise pas non plus si le salaire annuel est réparti sur douze ou sur dix mois. Selon la jurisprudence, c’est à l’enseignant qu’il incombe de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il ne retournera pas au travail après la période de congé. Cela, à mon avis, permettrait de satisfaire à l’exigence qui consiste à prouver qu’il y a une réelle période d’inactivité après la fin de l’année scolaire. [Non souligné dans l’original.]

[104]Je ferais, à propos de cet extrait, les observa-tions suivantes. D’abord, une référence passe‑partout telle que « [a]près avoir examiné la preuve portée à la connaissance du conseil arbitral » ne constitue pas une explication suffisante quand la situation est inédite et que la preuve est plus favorable au prestataire que celle qui a été produite dans toutes les affaires antérieures portant sur le point en litige.

[105]Deuxièmement, les phrases soulignées dans le passage ci‑dessus donnent à penser que, si Mme Stone avait prouvé qu’il était improbable qu’elle soit réembauchée, sa demande de prestations aurait pu être admise et que, comme elle n’a pas apporté cette preuve, sa demande de prestations ne peut être admise. Si le juge‑arbitre entendait réduire ainsi le champ de l’enquête, alors il a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas tenu compte de tous les facteurs permettant de déterminer si le contrat de travail de Mme Stone avait ou non pris fin en juin.

[106]Troisièmement, le juge‑arbitre écrivait que le conseil avait eu raison en droit de conclure qu’il existait entre les parties « une relation continue » d’emploi. À mon humble avis, là n’est pas la question. Sans aucun doute, il y a eu un certain genre de relation continue d’emploi entre Mme Stone et la Or Haemet. Après tout, Mme Stone a enseigné à la Or Haemet chaque année depuis 1995.

[107]Cependant, la question à poser en l’espèce est de savoir si le contrat de travail de Mme Stone « a pris fin » à la fin de juin. À mon humble avis, un examen assez poussé ne fait ressortir aucun fondement rationnel autorisant la décision, et la Cour peut doit donc infirmer la décision et la renvoyer au juge‑arbitre pour nouvelle décision.

[108]Dans une procédure de contrôle judiciaire, la juridiction de contrôle ne doit pas en principe dire comment le tribunal aurait dû répondre à la question litigieuse s’il avait appliqué le bon critère juridique. Toutefois, comme les juges‑arbitres doivent normalement statuer sur les demandes en se fondant sur le dossier soumis au conseil arbitral, il est loisible à la Cour de déterminer si la décision du juge‑arbitre est ou non raisonnable et, le cas échéant, de trancher elle‑même la question au fond.

[109]À mon avis, il était tout à fait erroné pour le juge‑arbitre, dans la présente affaire, de conclure, d’après le dossier qu’il avait devant lui, que Mme Stone n’avait pas prouvé que son contrat de travail dans l’enseignement avait pris fin en juin 2001 et 2002. Elle avait un contrat de travail dans l’enseignement jusqu’à la dernière semaine de juin. En juillet et durant la première moitié d’août, elle n’avait aucun contrat avec la Or Haemet et elle ne recevait pour ces mois aucune rémunération. Vu les mots employés par le Règlement, selon leur sens ordinaire, comment peut‑on dire, au vu de tels faits, qu’elle n’a pas prouvé que son contrat de travail dans l’enseignement avait pris fin?

[110]Le juge‑arbitre s’est fondé en grande partie sur le paragraphe 27 des motifs de l’arrêt Oliver, où le juge Létourneau reformulait le critère réglementaire en se demandant s’il y avait « rupture claire dans la continuité » de l’emploi de l’enseignant. Cependant, il importe de noter le contexte factuel d’après lequel le juge Létourneau exposait ainsi le critère applicable et concluait (au paragraphe 16) que les circonstances de l’affaire Oliver ne permettaient pas de conclure que les contrats de travail des demandeurs avaient pris fin :

Ils avaient tous des contrats de travail permanent dans l’enseignement pour la prochaine année scolaire. Ils n’ont subi aucune perte de revenu. De l’assurance‑maladie et d’autres prestations d’emploi leur ont été versées au cours des mois de congé estival. Bref, le salaire qu’ils ont reçu et les avantages dont ils ont bénéficié équivalent à ceux des enseignants permanents. [. . .] Tout comme leurs collègues, la seule raison pour laquelle ces prestataires ne travaillaient pas est parce qu’il n’y avait aucune tâche d’enseignement à exécuter pendant les mois d’été.

[111]Les faits qui nous sont soumis sont autres. Contrairement à la plupart des enseignants dans l’affaire Oliver, Mme Stone n’avait aucun contrat de travail pour septembre jusque bien après l’expiration de son contrat antérieur de 10 mois. Elle n’était pas rémunérée pour juillet et août et ne recevait pas d’avantages sociaux. Elle ne cumulait pas des prestations et un traitement.

[112]Quand le législateur exprime son intention en des mots relativement clairs dans une disposition d’un programme complexe d’avantages sociaux, les tribunaux doivent se garder de s’écarter à l’excès du texte législatif. Le paragraphe 33(2) constitue, dans le régime général de l’assurance‑emploi, un régime d’exception destiné à régler le difficile problème soulevé par la situation particulière des enseignants. Vouloir éviter un résultat susceptible d’entraîner des conséquences sans doute non voulues (par exemple, en l’occurrence, le versement d’une subvention indirecte à une école privée) risque d’entraîner d’autres conséquences problématiques et imprévues.

[113]Je peux fort bien comprendre pourquoi la Cour a toujours considéré que les enseignants qui sont rémunérés durant la période de congé, en particulier s’ils ont déjà un contrat d’enseignement qui débutera en septembre, ne peuvent pas réclamer de prestations d’assurance‑emploi pour juillet et août. Ils n’ont subi aucune perte de revenu par suite de chômage, condition nécessaire de l’admissibilité aux prestations d’assurance‑emploi.

[114]Toutefois, je ne puis voir, à la base du régime en général, ou à la base du paragraphe 33(2) en particulier, aucune ligne de conduite susceptible d’être transgressée par une décision déclarant Mme Stone admissible à des prestations durant les périodes temporaires et régulières de chômage qu’elle a acceptées depuis qu’elle a commencé à enseigner à la Or Haemet.

[115]Il n’est d’ailleurs pas manifestement incompatible avec le paragraphe 33(2) de conclure que Mme Stone est admissible à des prestations durant juillet et août. En disant qu’un enseignant ne peut pas réclamer de prestations d’assurance‑emploi « pour les semaines de chômage comprises dans toute période de congé de celui‑ci », le paragraphe 33(2) admet qu’un enseignant qui ne travaille pas durant ces mois (parce qu’il n’y a pas d’enseignement à donner) peut être en chômage. Cependant, des prestations ne peuvent être demandées par les enseignants pour les mois en question que s’ils établissent qu’ils entrent dans les paramètres de l’une des exceptions énumérées.

[116]Quoi qu’il en soit, le gouvernement peut toujours modifier le Règlement pour corriger un résultat qui selon lui n’est pas voulu par le régime établi, ou qui risque de provoquer la proverbiale avalanche de poursuites. À mon avis, cela vaut mieux que de forcer le sens du texte réglementaire dans le but d’esquiver les mots de l’alinéa 33(2)a), lesquels ne sont d’ailleurs pas ambigus.

[117]Pour ces motifs, je ferais droit aux demandes de contrôle judiciaire, avec dépens, j’annulerais les décisions du juge‑arbitre et je renverrais l’affaire au juge‑arbitre en chef ou à un juge‑arbitre désigné par lui pour qu’il rende une décision en tenant pour acquis que le paragraphe 33(2) n’empêche pas Mme Stone de recevoir des prestations d’assurance‑emploi pour les mois de juillet et août 2001 et 2002.

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