A-124-05
2006 CAF 51
Apotex Inc. (appelante) (défenderesse)
c.
AB Hassle, AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. (intimées) (demanderesses)
et
Le ministre de la Santé (intimé)(défendeur)
Répertorié : AB Hassle c. Apotex Inc. (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Décary, Evans et Sharlow, J.C.A.—Toronto, 24 novembre 2005; Ottawa, 10 février 2006.
Brevets — Pratique — Appel de l’ordonnance de la Cour fédérale interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. pour les comprimés de 10 et 20 mg d’oméprazole magnésien avant l’expiration du brevet canadien no 1292693 (le brevet ′693) en 2008 — La présente espèce mettait en cause les mêmes parties qu’une instance antérieure, le même produit générique proposé par Apotex et l’interprétation de la même revendication du même brevet, et — Apotex soutenait qu’elle formulait en l’espèce de nouvelles allégations de non‑contrefaçon — La conclusion de la Cour fédérale que l’avis d’allégation était insuffisant pour soulever une nouvelle allégation de non‑contrefaçon était raisonnable au vu de la preuve — La Cour fédérale n’a pas non plus commis d’erreur en déclarant qu’Apotex aurait pu soulever les allégations d’invalidité dans l’instance antérieure — En matière de brevet, une « première personne » (au sens du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)) peut plaider l’abus de procédure lorsqu’une « seconde personne » (au sens du Règlement ADC) soumet un second (ou subséquent) avis d’allégation pour le même produit proposé et le même brevet — Toutefois, il n’y a pas d’abus de procédure si l’avis d’allégation repose sur des faits nouveaux, un procédé nouvellement découvert ou une modification de la loi — La Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire d’examiner au fond la demande d’ordonnance d’interdiction selon son bien‑fondé même s’il est établi qu’un second (ou subséquent) avis d’allégation constitue un abus de procédure — La Cour d’appel fédérale s’abstient de s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge à moins d’une erreur de droit ou de principe ou de l’exercice non judiciaire du pouvoir — Le dossier dans cette affaire ne révélait aucune erreur de cette nature.
Il s’agissait de l’appel d’une ordonnance de la Cour fédérale fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement ADC), qui interdisait au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. concernant les comprimés d’oméprazole magnésien de 10 et 20 mg avant l’expiration du brevet canadien no 1292693 (le brevet ′693) en 2008. La Cour fédérale avait accordé l’ordonnance d’interdiction parce que 1) l’allégation de non‑contrefaçon faite par Apotex était identique à une allégation de non‑contrefaçon faite dans une instance antérieure (AB Hassle 2003) ayant donné lieu à une ordonnance d’interdiction et 2) les allégations d’invalidité d’Apotex n’avaient pas été avancées dans l’instance antérieure. La présente affaire et AB Hassle 2003 mettaient en cause les mêmes parties, le même produit générique proposé par Apotex, le même produit de comparaison d’AstraZeneca et l’interprétation des mêmes mots de la même revendication du même brevet. L’allégation de non‑contrefaçon faite par Apotex dans AB Hassle 2003 se fondait sur une interprétation particulière du paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693. La Cour fédérale avait statué, dans AB Hassle 2003, que cette allégation était insuffisante, et avait donc accueilli la demande d’ordonnance d’interdiction. La Cour d’appel a mis en doute l’insuffisance de l’allégation, mais a confirmé l’ordonnance d’interdiction pour le motif que l’allégation reposait sur une interprétation erronée du paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693. L’avis d’allégation en l’espèce contenait essentiellement l’allégation de non‑contrefaçon qui était en cause dans AB Hassle 2003 ainsi que, selon Apotex, une nouvelle allégation de non‑contrefaçon. La question principale était de déterminer si Apotex aurait pu—et dû—formuler les allégations d’invalidité dans AB Hassle 2003 et s’il convenait, dans les circonstances particulières de l’espèce, de déclarer irrecevable, pour cause d’abus de procédure, sa tentative de formuler ces allégations pour la première fois.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Le présent appel a soulevé plusieurs questions sur la portée de la doctrine de l’abus de procédure dans les poursuites intentées en vertu du Règlement ADC. Il s’agit d’une procédure sommaire, dont le but est de faciliter la résolution relativement rapide, par la Cour fédérale, de certaines questions d’interprétation, de contrefaçon et de validité des brevets, mais uniquement dans un but restreint : rendre (ou refuser de rendre) une ordonnance interdisant au ministre de la Santé d’approuver la vente au Canada d’un nouveau médicament générique qu’on cherche à faire approuver en fonction d’une comparaison avec un produit existant dont le fabricant détient certains droits de brevet. Si le fabricant du médicament générique souhaite que son produit soit mis en vente avant l’expiration d’un brevet donné, le Règlement ADC exige un « avis d’allégation » et un « énoncé détaillé » expliquant pourquoi le produit ne contrefait pas le brevet, ou pourquoi le brevet est invalide. Le détenteur du brevet doit, pour obtenir une ordonnance d’interdiction, convaincre la Cour fédérale, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations du fabricant de produits génériques ne sont pas fondées. L’avis d’allégation et l’énoncé détaillé doivent traiter de toutes les revendications de brevet pertinentes, et contenir suffisamment d’informations pour permettre à la « première personne » (selon la définition dans le Règlement ADC) de prendre une décision avisée sur l’opportunité de répondre à l’avis d’allégation par l’institution d’une demande d’ordonnance d’interdiction. Un avis d’allégation qui répond à ces critères est qualifié de « suffisant ». Une « seconde personne » (selon la définition dans le Règlement ADC) ne peut, en réponse à la demande d’interdiction présentée par une première personne, présenter des preuves et une argumentation portant sur une question qui déborde le cadre de l’avis d’allégation et de l’énoncé détaillé.
L’appréciation de la suffisance d’une allégation est une question mixte de droit et de fait. La Cour fédérale a conclu que l’avis d’allégation était insuffisant pour soulever la nouvelle allégation de non‑contrefaçon. Elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de la preuve et elle n’a commis aucune erreur justifiant d’écarter son interprétation de l’avis d’allégation. Il s’ensuivait que la seule allégation de non‑contrefaçon soulevée en bonne et due forme en l’espèce était la même que celle examinée dans AB Hassle 2003, où il a été statué qu’elle n’était pas fondée. En l’espèce, rien n’autorisait à parvenir à une conclusion différente sur la même allégation de non‑contrefaçon.
Les allégations d’invalidité d’Apotex reposaient presque toutes sur un point d’interprétation qui a été finalement accepté dans AB Hassle 2003. Dans certaines situations, la Cour d’appel fédérale a autorisé une seconde personne à formuler une série d’allégations séparées, obligeant ainsi une première personne à envisager d’entamer une nouvelle instance en interdiction pour contester chaque allégation. En outre, dans certaines circonstances, une seconde personne peut soumettre plus d’un avis d’allégation pour un brevet qui se rapporte à un même produit générique proposé. Si toutefois une seconde personne soumet un second (ou subséquent) avis d’allégation pour le même produit proposé et le même brevet, la première personne peut entamer l’instance en interdiction et faire valoir que le second (ou subséquent) avis d’allégation est un abus de procédure. De même, la seconde personne peut soutenir, si une ordonnance d’interdiction a été précédemment refusée, qu’une deuxième demande d’ordonnance d’interdiction est un abus de procédure.
Il est possible qu’il n’y ait pas d’abus de procédure si par exemple le deuxième avis d’allégation s’appuie sur des nouveaux faits, un procédé récemment découvert, une modification de la loi ou une situation qui limite le champ ou l’application d’une ordonnance d’interdiction existante. La Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire d’examiner au fond la demande d’ordonnance d’interdiction selon son bien‑fondé même s’il est établi qu’un second (ou subséquent) avis d’allégation constitue un abus de procédure. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur de droit en concluant qu’Apotex aurait pu formuler ses allégations d’invalidité dans l’instance antérieure et qu’en conséquence la préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée, ou subsidiairement l’abus de procédure s’appliquait. La Cour d’appel fédérale s’abstient de s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge à moins d’une erreur de droit ou de principe, ou de l’omission d’exercer judiciairement son pouvoir discrétionnaire. Le dossier dans cette affaire ne révélait aucune erreur de cette nature.
Une instance sous le régime du Règlement ADC ne peut donner lieu à des décisions qui soient concluantes à tous égards sur les questions de validité et de contrefaçon. Il est loisible à toute partie à une instance sous le régime du Règlement ADC d’obtenir une instruction complète sur ces questions en intentant une action sous le régime de l’article 60 de la Loi sur les brevets pour faire déclarer le brevet invalide. Ainsi, Apotex, qui demeurait convaincue de l’invalidité du brevet ′693, n’était pas sans recours.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 60.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de confor-mité), DORS/93‑133, art. 2 « première personne », « seconde personne » (mod. par DORS/99-379, art. 1.
Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 397.
jurisprudence citée
décisions examinées :
AB Hassle c. Apotex Inc., 2003 CAF 409; conf. 2002 CFPI 931; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2004] 1 R.C.S. v. Gillette Safety Razor Co. v. Anglo American Trading Co. (1913), 30 R.P.C. 465 (H.L.).
décisions citées :
Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1993] A.C.F. no 1106 (C.A.) (QL); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 855 (C.A.) (QL); SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL); AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Parke‑Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 2 C.F. 514; 2004 CAF 5; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. v; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] A.C.F. no 1251 (C.A.) (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 1 R.C.S. viii; Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367; 2005 CAF 139; Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [1999] A.C.F. no 548 (1re inst.) (QL); Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1999] A.C.F. no 662 (1re inst.) (QL).
APPEL d’une ordonnance de la Cour fédérale ([2005] 4 R.C.F. 229; 2005 CF 234) rendue sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex pour les comprimés de 10 et 20 mg d’oméprazole magnésien avant l’expiration du brevet canadien no 1292693 en 2008. Appel rejeté.
ont comparu :
Harry B. Radomski et Andrew R. Brodkin pour l’appelante (défenderesse).
Gunars A. Gaikis et Yoon Kang pour l’intimée (demanderesse) AB Hassle.
Personne n’a comparu pour le ministre de la Santé intimé (défendeur).
avocats inscrits au dossier :
Goodmans LLP, Toronto, pour l’appelante (défen-deresse).
Smart & Biggar, Toronto, pour l’intimée (demande-resse) AB Hassle.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé ministre de la Santé (défendeur).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]La juge Sharlow, J.C.A. : Apotex Inc. interjette appel de l’ordonnance de la Cour fédérale, en date du 24 février 2005, rendue à la demande de AB Hassle, AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. (collectivement désignées AstraZeneca) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le « Règlement ADC »). L’ordonnance en question interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex concernant les comprimés d’oméprazole magnésien de 10 et 20 mg avant l’expiration du brevet canadien no 1292693 (le brevet ′693) en 2008. Les motifs de cette ordonnance sont exposés sous AB Hassle c. Apotex Inc., [2005] 4 R.C.F. 229.
[2]Le présent appel soulève plusieurs questions sur la portée de la doctrine de l’abus de procédure dans les poursuites intentées en vertu du Règlement ADC. Il s’agit d’une procédure sommaire, dont le but est de faciliter la résolution relativement rapide, par la Cour fédérale, de certaines questions d’interprétation, de contrefaçon et de validité des brevets, mais uniquement dans un but restreint : rendre (ou refuser de rendre) une ordonnance interdisant au ministre de la Santé d’approuver la vente au Canada d’un nouveau médicament générique qu’on cherche à faire approuver en fonction d’une comparaison avec un produit existant dont le fabricant détient certains droits de brevet. Si le fabricant du médicament générique souhaite que son produit soit mis en vente avant l’expiration d’un brevet donné, le Règlement ADC exige un « avis d’allégation » et un « énoncé détaillé » expliquant pourquoi le produit ne contrefait pas le brevet, ou pourquoi le brevet est invalide. Le détenteur du brevet doit, pour obtenir une ordonnance d’interdiction, convaincre la Cour fédérale, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations du fabricant de produits génériques ne sont pas fondées.
[3]Dans cette affaire, le juge a accordé l’ordonnance d’interdiction parce que 1) l’allégation de non‑ contrefaçon faite par Apotex était identique à une allégation de non‑contrefaçon faite dans une instance antérieure ayant donné lieu à une ordonnance d’interdic-tion et 2) les allégations d’invalidité par Apotex n’ont pas été avancées dans l’instance antérieure. En l’espèce, toutefois, il n’y a pas lieu d’examiner ces allégations en raison de la doctrine de préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée, ou subsidiairement de la doctrine de l’abus de procédure.
[4]La présente Cour a pris acte qu’un avis d’allégation, allié à l’énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquelles les allégations sont fondées, est un élément décisif de la définition des questions à trancher dans le cadre des instances relevant du Règlement ADC. L’avis d’allégation et l’énoncé détaillé doivent traiter de toutes les revendications de brevet pertinentes, et contenir suffisamment d’informations pour permettre à la « première personne » (selon la définition dans le Règlement ADC[article 2]) de prendre une décision avisée sur l’opportunité de répondre à l’avis d’allégation par l’institution d’une demande d’ordonnance d’interdiction. Un avis d’allégation qui répond à ces critères est qualifié de « suffisant ». Le corollaire est qu’une « seconde personne » (selon la définition dans le Règlement ADC [article 2 (mod. par DORS/99-379, art. 1)]) ne peut, en réponse à la demande d’interdiction présentée par une première personne, présenter des preuves et une argumentation portant sur une question qui déborde le cadre de l’avis d’allégation et de l’énoncé détaillé. La jurisprudence sur la suffisance découle d’une série de causes, notamment Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1993] A.C.F. no 1106 (C.A.) (QL), au paragraphe 15; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 855 (C.A.) (QL), au paragraphe 21; SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL), au paragraphe 27; et AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183, au paragraphe 12.
[5]Il ne fait aucun doute qu’Apotex a fourni suffisamment d’informations à AstraZeneca pour formuler une demande d’ordonnance d’interdiction. L’argument d’AstraZeneca quant à la suffisance de l’avis d’allégation lance un débat sur la portée de l’avis d’allégation et de l’énoncé détaillé : AstraZeneca soutient que ces deux éléments soulèvent un seul point d’interprétation de brevet—précisément le point tranché en défaveur d’Apotex dans AB Hassle c. Apotex Inc., 2003 CAF 409; confirmant 2002 CFPI 931 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée le 25 mars 2004, [2003] S.C.C.A. no 173 (QL). Je désignerai cette cause « AB Hassle 2003 ».
[6]Apotex soutient que son avis d’allégation et son énoncé détaillé doivent être considérés comme soulevant un nouveau point d’interprétation en ce qui concerne le brevet (c’est‑à‑dire un point non soulevé dans AB Hassle 2003). Apotex fait valoir, à l’appui de cet argument, que AstraZeneca a discerné ce nouveau point d’interpréta-tion puisqu’elle présente une preuve pertinente sur ce point et en traite dans ses observations à la Cour fédérale. AstraZeneca rétorque que sa preuve et ses observations à la Cour fédérale visent à traiter uniquement du point d’interprétation du brevet qui a été analysé dans AB Hassle 2003.
[7]Il importe d’analyser AB Hassle 2003 en détail pour insérer ce débat dans le contexte qui convient. La présente affaire et AB Hassle 2003 mettent en cause les mêmes parties, le même produit générique proposé par Apotex, le même produit de comparaison de AstraZeneca et l’interprétation des mêmes mots de la même revendication du même brevet. AB Hassle 2003 examine essentiellement le paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693, laquelle revendication est libellée comme suit :
[traduction]
1. Une préparation pharmaceutique pour administration orale, comprenant : a) un noyau renfermant une quantité efficace d’une substance choisie dans le groupe constitué par l’oméprazole et un réactif alcalin, un sel alcalin d’oméprazole et un réactif alcalin ainsi qu’un sel alcalin d’oméprazole seul; b) un sous‑enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l’eau, qui recouvre le noyau et qui renferme une ou plusieurs couches de substances sélectionnées parmi les excipients des comprimés et les polymères filmogènes; c) une couche externe recouvrant le sous‑enrobage et constituant un enrobage gastrorésistant.
[8]Dans les présents motifs, je donne les sens sui-vants aux expressions que voici : « noyau médicinal » : noyau décrit au paragraphe a) de la reven-dication 1; « sous‑enrobage » : le sous‑enrobage décrit au paragra-phe b) de la revendication 1; « enrobage gastrorésistant [et entérosoluble] » : la couche externe décrite au paragraphe c) de la revendication 1.
[9]Dans AB Hassle 2003, Apotex a formulé une seule allégation, celle de non‑contrefaçon, qui est présentée comme suit (dossier d’appel, vol. 1, page 319) :
[traduction]
Les revendications de ces brevets englobent les compositions qui comprennent un noyau renfermant un médicament, un sous‑enrobage inerte et une couche externe gastrorésistante. Nos comprimés ne tomberont pas dans le champ d’application des revendications de ces brevets.
Plus précisément, nos comprimés contiendront des noyaux renfermant de l’oméprazole magnésien et un enrobage gastrorésistant appliqué directement sur les noyaux sans sous‑enrobage entre les noyaux et l’enrobage gastrorésistant. Ainsi, nos comprimés ne contreferont pas les revendications du fait qu’il n’y a pas de sous‑enrobage entre les noyaux et l’enrobage gastrorésistant.
[10]La Cour fédérale a statué, dans AB Hassle 2003, que cette allégation était insuffisante, et a donc accueilli la demande d’ordonnance d’interdiction. En appel, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour, a douté de l’insuffisance de l’allégation, mais a confirmé l’ordonnance d’interdiction pour le motif que l’alléga-tion de non‑contrefaçon ne pouvait tenir parce qu’elle reposait sur une interprétation erronée du paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693.
[11]L’allégation de non‑contrefaçon faite par Apotex dans AB Hassle 2003 se fondait sur une interprétation particulière du paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693, paragraphe qui renvoyait selon Apotex à une couche de composé appliquée au noyau médicinal et recouverte de l’enrobage gastrorésistant et entéroso-luble. En d’autres termes, Apotex a soutenu dans AB Hassle 2003 que « sous‑enrobage » au paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693 devait désigner un sous‑enrobage posé intentionnellement sur le noyau, et non un composé créé in situ par une réaction chimique qui se produit lorsqu’un enrobage gastrorésistant et entérosoluble est appliqué directement à un noyau médicinal.
[12]Le produit proposé par Apotex dans AB Hassle 2003 (et en l’espèce) consisterait en un enrobage gastrorésistant et entérosoluble appliqué directement au noyau médicinal. Il ressort de la preuve qu’une réaction chimique se produit au contact des deux substances, engendrant une couche de composé, entre le noyau médicinal et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble, qui remplirait la fonction du sous‑enrobage visé au paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693—mais qui, selon l’interprétation proposée par Apotex, ne correspondrait pas à la description du sous‑enrobage au paragraphe b).
[13]Écrivant au nom de la Cour dans AB Hassle 2003, le juge Rothstein n’a pas admis l’interprétation du paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693 proposée par Apotex. Voici sa propre interprétation de la partie pertinente de la revendication, aux paragraphes 21 à 24 de ses motifs :
Puisque la revendication no 1 constitue clairement une revendication se rapportant à un produit et non à un processus, l’expression [traduction] « recouvre le noyau » décrit, selon mon interprétation, la structure de la préparation pharmaceutique finie. Dans le contexte d’une revendication relative à un produit, ces mots décrivent la position du sous‑enrobage et non son processus de formation.
Si, comme je l’ai interprétée, la revendication no 1 décrit un produit fini, le texte de la divulgation n’empêche d’aucune façon l’interprétation selon laquelle il n’est pas nécessaire que le sous‑enrobage inerte soit formé en suivant un processus déterminé. Dans le produit fini, le noyau est tout aussi séparé de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble par un sous‑ enrobage formé in situ que par un sous‑enrobage appliqué sur le noyau. Les mots [traduction] « au moment de l’enrobage » dans la divulgation pourraient aider à l’interpré-tation d’une revendication de processus ambigue, mais je ne crois pas qu’ils puissent s’appliquer à l’interprétation d’une revendication décrivant clairement un produit fini. Les autres extraits de la divulgation invoqués par Apotex décrivent eux aussi un processus de fabrication de préparation pharmaceutique—l’application du sous‑enrobage sur le noyau suivie de l’application de l’enrobage gastrorésistant et entéro-soluble sur le sous‑enrobage. Toutefois, la revendication no 1 n’établit aucune restriction afférente au processus quant à la préparation pharmaceutique finie.
Apotex fait valoir qu’une telle interprétation est incompatible avec la divulgation parce que le problème que l’invention cherchait à solutionner tenait à ce qu’un contact direct entre le noyau d’oméprazole et l’enrobage gastrorésis-tant et entérosoluble entraînait la décoloration et, finalement, la dégradation du noyau. Toutefois, la suite du brevet explique que ce problème de stabilité à l’entreposage peut être réglé par l’ajout au noyau d’une quantité suffisante de réactifs alcalins. Le sous‑enrobage n’est nécessaire que pour empêcher la dissolution précoce dans l’estomac de l’enrobage gastrorésis-tant et entérosoluble des comprimés à noyau alcalin, problème qui ne se produit que lorsque le comprimé est ingéré. Par conséquent, la revendication no 1 n’exclut pas que le noyau et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble soient en contact pendant la fabrication, du moment que le produit final comporte un sous‑enrobage.
Je conclus que la revendication no 1 du brevet décrit une préparation pharmaceutique qui, dans sa forme finale, présente un sous‑enrobage ou une couche séparatrice entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble, sans égard à la façon dont cette couche séparatrice est formée.
[14]Cette conclusion est pertinente en l’espèce parce que nous sommes devant un cas semblable, voire identique, d’allégation de non‑contrefaçon. Voici les portions essentielles de l’allégation de non‑contrefaçon dans cette affaire (dossier d’appel, vol. 1, pages 190 à 193) :
[traduction] Pour ce qui est [. . .] [de la revendication 1] [. . .], nous alléguons qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne serait contrefaite advenant la fabrication, l’élaboration, l’utilisation ou la vente par notre entreprise desdits comprimés.
[. . .]
Le brevet ′693, intitulé « Préparation pharmaceutique contenant de l’oméprazole », concerne une préparation pharmaceutique contenant de l’oméprazole ou ses sels alcalins destinés à être administrés par voie orale ainsi que l’utilisation de ces préparations dans le traitement de maladies gastro‑intestinales.
L’essence de l’invention alléguée dans le brevet ′693 est la mise au point d’une formulation qui prétend résoudre le problème des formulations des réalisations antérieures qui consistaient en un noyau alcalin contenant de l’oméprazole ou un sel alcalin d’oméprazole, et un enrobage gastrorésistant placé sur le noyau qui a fini par se dégrader. La solution alléguée au problème est présentée dans le brevet comme étant la séparation du noyau et de l’enrobage gastrorésistant par l’application d’un sous‑enrobage au sens du brevet.
Chacune des revendications en litige du brevet ′693 renferme parmi ses éléments essentiels, les éléments essentiels suivants :
(i) dans le noyau de la formulation, une substance choisie dans le groupe constitué par :
a) l’oméprazole et un réactif alcalin;
b) un sel alcalin d’oméprazole et un réactif alcalin; ou
c) un sel alcalin d’oméprazole seul;
(ii) un sous‑enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l’eau, qui recouvre le noyau et qui renferme une ou plusieurs couches de substances sélectionnées parmi les excipients des comprimés et les polymères filmogènes;
(iii) une couche externe recouvrant le sous‑enrobage et constituant un enrobage gastrorésistant.
Compte tenu de ce qui précède et de la description très claire dans la divulgation, le « sous‑enrobage » dans la partie (ii) ci‑dessus ne peut signifier du matériel comprenant un produit résultant d’une réaction entre la substance du noyau et l’enrobage gastrorésistant lorsque le noyau est mis en contact avec l’enrobage gastrorésistant. Le produit de réaction est précisément la substance qui ne serait pas formée, selon la divulgation et le brevet, il ne s’agit donc pas d’un sous‑enrobage au sens du « sous‑enrobage » du brevet. Ce n’est clairement pas l’objet du brevet ni ce que les inventeurs comptaient mettre au point. Le brevet et les inventeurs prévoyaient que le sous‑enrobage serait une substance distincte placée entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant de façon à empêcher que ceux‑ci n’entrent en contact.
En outre, les revendications en litige du brevet ne peuvent être interprétées comme incluant dans leur portée ces formulations auxquelles on fait référence dans la divulgation du brevet ′693 comme étant des réalisations antérieures. En particulier, les formulations comprenant un noyau recouvert d’un enrobage gastrorésistant qui ont été préparées par application directe de l’enrobage gastrorésistant sur un noyau contenant de l’oméprazole et un réactif alcalin ou un sel alcalin d’omépra-zole, constitué facultativement d’un réactif alcalin, ne peuvent être considérées comme étant visées par les revendications du brevet ′693; sinon, le brevet serait invalide car il ne revendiquerait pas quelque chose de nouveau, mais viserait quelque chose d’ancien.
Enfin, on peut considérer que les revendications en litige du brevet concernent les formulations qui sont divulguées dans l’exposé de l’invention du brevet ′693 comme étant des exemples de formulations qui ont été utilisées à des fins de comparaison et qu’on a ainsi renoncé à reconnaître comme visées par l’invention revendiquée, lorsqu’on les a comparées aux formulations décrites comme étant des exemples de l’invention revendiquée alléguée du brevet ′693 afin de démontrer les avantages des formulations inventives alléguées :
Absence de contrefaçon
Chacune des revendications en litige du brevet ′693 dépend de la revendication 1.
Nous alléguons que nous ne contreferons aucune des revendications en litige du brevet ′693 vu que nous ne contreferons pas la revendication 1.
La revendication 1 ne sera pas contrefaite vu que notre formulation ne contiendra pas de « sous‑enrobage », tel que mentionné ci‑dessus, au sens du brevet ′693. Notre produit renfermera un noyau recouvert directement d’un enrobage gastrorésistant. Lorsque nous formulerons notre produit, nous mettrons en contact l’enrobage externe gastrorésistant et le noyau et ne placerons pas de sous‑enrobage tel que prévu dans le brevet entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant, de sorte que notre formulation ne comprendra que les éléments (i) et (iii) et non l’élément (ii).
[. . .]
En outre, compte tenu du fait que ce que nous fabriquons est ce qui est enseigné dans les réalisations antérieures, il est évident qu’il ne peut y avoir de contrefaçon.
Plus particulièrement, notre formulation de comprimés d’oméprazole magnésien est décrite dans la demande de brevet européen no 124,495, publiée le 7 novembre 1984, où sont divulguées des formulations contenant un sel d’addition basique d’oméprazole (ce qui comprend l’oméprazole magnésien) aux pages 5 à 8 et dans l’exemple 12 de la demande. On trouve également dans la divulgation susmen-tionnée des références à des formulations de comprimés à enrobage gastrorésistant où les comprimés sont recouverts d’un enrobage gastrorésistant qui protège le composé actif de la dégradation. Notre formulation est conforme aux enseignements susmentionnés de la demande de brevet européen no 124,495.
Dans l’éventualité où vous déclareriez qu’une des revendications en litige du brevet ′693 est contrefaite, nous alléguons que les revendications sont invalides en vertu de ce qui est connu dans le droit canadien comme le moyen de défense tiré de l’arrêt Gillette, que nous analyserons ci‑dessous.
[15]Le « moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette »—qui tire son nom du fait que ce moyen a été admis dans Gillette Safety Razor Co. v. Anglo American Trading Co. (1913), 30 R.P.C. 465 (H.L.), comme défense à une accusation de contrefaçon—est invoqué quand on établit que le produit censément contrefait est fondé sur les enseignements d’un brevet antérieur. En l’espèce, les détails de ce moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette doivent être compris à la lumière de l’explication qui suit, et qui figure au début des allégations d’invalidité dans l’avis d’allégation (dossier d’appel, vol. 1, page 194) :
[traduction] Comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, nous affirmons que la signification de « sous‑enrobage » dans le brevet ′693 est un sous‑enrobage constitué d’une substance placée à cet endroit intentionnellement et non d’une substance in situ. Dans l’éventualité où vous déclareriez qu’une des revendications du brevet ′693 est contrefaite par notre formulation parce que cette dernière contient prétendument un « sous‑enrobage » formé in situ entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant et que ledit « sous‑enrobage » tombe dans le champ d’application des revendications du brevet ′693, nous alléguons que les revendications doivent être considérées invalides conformément aux principes établis dans l’arrêt de la Chambre des lords Gillette Safety Razor Company c. Anglo American Trading Company Ltd., (1913) R.P.C. 465, et la décision J.K. Smit & Sons, Inc. c. Richard S. McClintock, [1940] R.C.S. 279.
Notre formulation fait partie des réalisations antérieures comme le montrent les enseignements contenus dans la demande de brevet européen no 124,495, publiée le 7 novembre 1984, dont il a été question ci‑dessus. De plus, l’utilisation d’une telle formulation pour traiter des maladies gastro‑intestinales est conforme aux enseignements divulgués dans la demande de brevet européen no 124,495.
Si notre formulation contient un « sous‑enrobage » au sens du brevet ′693, alors les formulations à enrobage gastrorésistant divulguées dans la demande de brevet européen no 124,495 contiendraient également un tel « sous‑enrobage » et, partant, toute revendication censée contrefaite doit être invalide.
[16]L’ avis d’allégation en l’espèce contient, essen-tiellement, la même allégation de non‑contrefaçon qui a fait l’objet de AB Hassle 2003, bien que cette allégation soit plus précise dans le présent avis d’allégation. Apotex soutient que l’avis contient aussi une nouvelle allégation de non‑contrefaçon, que je résume dans les mots suivants : 1) L’interprétation correcte du paragrphe b) de la revendication 1 du brevet ′693 est qu’un produit n’est visé par cette revendication qu’à la condition d’avoir un sous‑ enrobage inerte, continu et composé de polymères filmogènes. 2) Ces caractéristi-ques sont absentes, dans le produit Apotex proposé, de la couche de composé entre le noyau médicinal et la couche externe. 3) Vu l’absence de ces caractéristiques, le produit Apotex ne peut être visé par le paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693. AstraZeneca soutient que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé ne formulent pas cette nouvelle allégation de non‑contrefaçon—ou du moins ne la formulent pas avec suffisamment de clarté pour satisfaire au critère de la « suffisance ».
[17]L’appréciation de la suffisance d’une allégation est une question mixte de droit et de fait. La norme d’examen en appel est l’erreur manifeste et dominante, sauf dans la mesure où il se révèle possible de dégager une question de droit de la conclusion : dans un tel cas, cette question doit être jugée correctement : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; voir aussi le paragraphe 9 de AstraZeneca AB c. Apotex Inc.
[18]La juge a procédé à un examen minutieux des arguments opposés dans le débat sur la suffisance (voir ses motifs de jugement aux paragraphes 17 à 54). Elle renvoie dans ses motifs à toute la documentation pertinente, y compris à celle produite par AstraZeneca, documentation qui de l’avis d’Apotex prouve qu’AstraZeneca comprenait qu’Apotex soulevait un nouveau point d’interprétation d’un brevet, et qu’AstraZeneca répondait ou tentait de répondre à ce nouveau point dans la documentation déposée à l’appui de sa demande d’interdiction. En bout de ligne, la juge a admis l’argumentation d’AstraZeneca, à savoir que l’avis d’allégation était insuffisant pour soulever la nouvelle question.
[19]Selon moi, la conclusion de la juge sur ce point était raisonnable vu la preuve au dossier. Après examen de la même documentation, et des arguments des avocats, je ne détecte aucune erreur, de droit ou autre, qui justifierait une interprétation de l’avis d’allégation allant à l’encontre de l’interprétation adoptée par la juge. Ce moyen d’appel doit être rejeté.
[20]Il s’ensuit que la seule allégation de non‑ contrefaçon soulevée en bonne et due forme en l’espèce est la même que celle examinée dans AB Hassle 2003, où il a été statué que l’allégation de non‑contrefaçon était non fondée parce qu’elle reposait sur une mauvaise interprétation du brevet. En l’espèce, rien ne nous autorise à parvenir à une conclusion différente sur la même allégation de non‑contrefaçon.
[21]Je me penche maintenant sur les allégations d’invalidité, qui sont nombreuses et qui reposent presque toutes sur un point d’interprétation qui a été finalement accepté dans AB Hassle 2003. À titre d’exemple, Apotex affirme que si l’on interprète le paragraphe b) de la revendication 1 du brevet ′693 comme visant aussi un sous‑enrobage formé in situ entre le noyau médicinal et l’enrobage gastrorésistant (selon la décision dans AB Hassle 2003), la revendication est invalide pour les raisons suivantes : a) un tel sous‑enrobage est décrit dans les réalisations antérieures (se reporter aux observations ci‑dessus sur le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette), b) il y a antériorité en raison de ces réalisations, c) l’exposé est insuffisant et ambigu parce qu’il n’indique pas comment obtenir une formulation efficace avec un sous‑enrobage créé in situ et d) les revendications sont évidentes à la lumière des réalisations antérieures. Les autres allégations d’invali-dité ne semblent avoir aucun lien avec la question d’interprétation du brevet qui a fait l’objet de AB Hassle 2003. Il est inutile, aux fins du présent appel, de les résumer.
[22]La question principale ici est de déterminer si Apotex aurait pu—et dû—formuler les allégations d’invalidité dans AB Hassle 2003 et s’il convient, dans les circonstances particulières de l’espèce, de déclarer irrecevable, pour cause de préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée, de chose jugée ou d’abus de procédure, sa tentative de formuler ces allégations pour la première fois. À mon avis, la doctrine de l’abus de procédure permet à elle seule de régler cette question; en conséquence, je m’abstiendrai d’examiner la question de la préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée ou de la chose jugée.
[23]Dans certaines situations, la Cour a autorisé une seconde personne à formuler une série d’allégations séparées, obligeant ainsi une première personne à envisager d’entamer une nouvelle instance en interdiction pour contester chaque allégation. Si par exemple le produit de la première personne fait l’objet d’une liste contenant plus d’un brevet, une seconde personne peut soumettre un avis d’allégation séparé pour chaque brevet, ce qui pourrait donner lieu à une instance en interdiction distincte pour chaque brevet : Parke‑Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 2 C.F. 514 (C.A.), au paragraphe 67.
[24]On prend acte aussi que, dans certaines circonstances, une seconde personne peut soumettre plus d’un avis d’allégation pour un brevet qui se rapporte à un même produit générique proposé : voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264 (C.A.), le juge Evans, au paragraphe 44 (autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. v); Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1997] A.C.F. no 1251 (C.A.) (QL) (autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 1 R.C.S. viii). Si toutefois une seconde personne soumet un second (ou subséquent) avis d’allégation pour le même produit proposé et le même brevet, la première personne peut entamer l’instance en interdiction et faire valoir que le second (ou subséquent) avis d’allégation est un abus de procédure. De même, la seconde personne peut soutenir, si une ordonnance d’interdiction a été précédemment refusée, qu’une deuxième demande d’ordonnance d’interdiction est un abus de procédure.
[25]Il serait vain d’essayer de dresser une liste complète des situations où un second (ou subséquent) avis d’allégation ne constituerait pas un abus de procédure. Mais il est possible qu’il n’y ait pas d’abus de procédure si par exemple le deuxième avis d’allégation s’appuie sur des nouveaux faits, un procédé récemment découvert, une modification de la loi, une situation qui limite le champ ou l’application d’une ordonnance d’interdiction existante, ou une nouvelle décision définitive concernant la validité ou l’interpréta-tion du brevet. La Cour fédérale a le pouvoir discrétion-naire d’examiner au fond la demande d’ordonnance d’interdiction selon son bien‑fondé même s’il est établi qu’un second (ou subséquent) avis d’allégation constitue un abus de procédure : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), le juge Evans, aux paragraphes 46 et 47.
[26]La juge dans la présente affaire a conclu qu’Apotex aurait pu formuler ses allégations d’invalidité dans l’instance antérieure; elle en a conclu que s’appliquait la préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée, ou subsidiairement l’abus de procédure. À mon avis, cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur de droit. La juge s’est ensuite demandée s’il lui appartenait néanmoins d’exercer son pouvoir discrétion-naire d’analyser les arguments sur l’invalidité, mais a conclu qu’elle ne le devait pas. Sous cet angle, elle s’est penchée sur une série de questions, qui sont examinées en détail dans ses motifs aux paragraphes 82 à 90 (préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée) et les paragraphes 91 à 98 (abus de procédure).
[27]La Cour s’abstient de s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge à moins d’une erreur de droit ou de principe, ou de l’omission d’exercer judiciairement son pouvoir discrétionnaire : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367 (C.A.F.), au paragraphe 13. Le dossier dans cette affaire ne révèle aucune erreur de cette nature.
[28]Il est manifeste qu’Apotex est en désaccord avec l’interprétation adoptée dans AB Hassle 2003 et demeure convaincue de l’invalidité du brevet ′693. Si tel est le cas, Apotex n’est pas sans recours; il est établi qu’une instance sous le régime du Règlement ADC ne peut donner lieu à des décisions qui soient concluantes à tous égards sur les questions de validité et de contrefaçon. Il est loisible à toute partie à une instance sous le régime du Règlement ADC d’obtenir une instruction complète sur ces questions en intentant une action sous le régime de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4].
[29]Si par exemple le détenteur d’un brevet fait une demande d’ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement ADC en réponse à une allégation de non‑contrefaçon et que cette demande est rejetée, mais qu’il persiste à croire que le produit contrefera son brevet une fois sur le marché, il conserve le droit d’introduire une action en dommages‑intérêts pour contrefaçon. De même, Apotex pourrait en l’espèce intenter une action sous le régime de l’article 60 de la Loi sur les brevets pour contester le brevet ′693 : Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [1999] A.C.F. no 548 (1re inst.) (QL). Si une telle action donnait lieu à une déclaration d’invalidité du brevet ′693, l’ordonnance d’interdiction dans AB Hassle 2003 soit cesserait d’avoir effet, soit pourrait être annulée en vertu de la règle 397 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] : voir Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 662 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 14 à 16.
[30]Pour ces motifs, je rejetterais le présent appel avec dépens.
Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.