A-169-05
2005 CAF 308
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant) (défendeur en Cour fédérale)
c.
Andrejs Tihomirovs (intimé) (demandeur en Cour fédérale)
Répertorié : Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Rothstein et Malone, J.C.A.—Toronto, 13 septembre; Ottawa, 28 septembre 2005.
Pratique — Recours collectifs — Appel de la décision de la Cour fédérale portant sur deux questions certifiées — L’intimé a demandé la résidence permanente en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, mais sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il croyait qu’il aurait satisfait aux exigences de l’ancienne loi, mais qu’il ne remplirait pas celles de la nouvelle loi — Demande de contrôle judiciaire visant à obtenir une ordonnance de mandamus ou une ordonnance de faire permanente enjoignant à l’appelant d’évaluer la demande selon l’ancienne loi — Autre ordonnance pour que la demande de contrôle judiciaire soit convertie en action — L’intimé a l’intention de faire autoriser l’action comme un recours collectif au nom d’autres demandeurs de la résidence permanente qui ont déposé leur demande entre le 1er janvier et le 28 juin 2002 — Il désire aussi ouvrir le groupe à environ 40 000 personnes qui ont demandé la résidence permanente entre ces dates et qui n’ont pas déposé de demandes de contrôle judiciaire — Questions certifiées — : 1) L’intention de faire autoriser un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action — Les Règles des Cours fédérales ne contiennent aucune disposition concernant les procédures de contrôle judiciaire collectives — Pour que l’instance procède comme un recours collectif, le contrôle judiciaire doit être converti en action en vertu de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour être autorisé comme tel — L’examen d’une demande présentée en vertu de l’art. 18.4(2) peut tenir compte de l’intention de faire autoriser l’action comme un recours collectif — La règle 299.11 des Règles des Cours fédérales prévoit des règles relatives aux recours collectifs qui s’appliquent aux litiges intentés à l’origine comme contrôle judiciaire et convertis en action en vertu de l’art. 18.4(2) de la Loi — 2) Lorsque l’autorisation du recours collectif est l’objectif de la demande de conversion, les facteurs pertinents sont les conditions d’autorisation d’un recours collectif, comme l’indiquent les art. 299.18(1) et (2) des Règles — Les mêmes facteurs devraient guider la Cour dans sa décision d’autoriser ou non la conversion d’un contrôle judiciaire en action afin d’autoriser cette action comme recours collectif — Si la demande d’autorisation est rejetée, la demande de conversion devrait l’être également — Sur le plan technique, la conversion doit être effectuée avant que l’autorisation du recours collectif ne soit accordé — Les demandes de conversion et d’autorisation devraient être entendues et étudiées de concert — Lorsque la conversion vise l’autorisation d’une action comme recours collectif, les facteurs énumérés à la règle 299.18 des Règles seront aussi pertinents pour la demande de conversion que pour celle de l’autorisation de l’action.
Citoyenneté et Immigration — Contrôle judiciaire — Il faut obtenir l’autorisation du tribunal avant de procéder par voie de contrôle judiciaire en matière d’immigration — En cette matière, la question du caractère raisonnable de la cause d’action a donc déjà été jugée dans les demandes de contrôle judiciaire qui donnent lieu à des demandes de conversion et d’autorisation — L’existence d’une telle cause d’action ne devrait pas être en litige dans les demandes de conversion et d’autorisation.
Il s’agissait de l’appel d’une décision de la Cour fédérale portant sur deux questions certifiées. L’intimé avait demandé la résidence permanente en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration le 1er février 2002. Sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés le 28 juin 2002. L’intimé pensait qu’il ne satisferait pas aux exigences de la nouvelle loi, mais qu’il aurait rempli celles de l’ancienne loi. Il a donc fait une demande de contrôle judiciaire pour obtenir une ordonnance de mandamus ou une ordonnance de faire permanente enjoignant à l’appelant d’évaluer sa demande selon l’ancienne loi. Il a également demandé une ordonnance pour que sa demande de contrôle judiciaire soit convertie en action, qu’il a l’intention de faire autoriser comme un recours collectif au nom de tous les demandeurs de résidence permanente qui sont des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs et des investisseurs qui ont déposé leurs demandes entre le 1er janvier et le 28 juin 2002. Il désire également ouvrir le groupe à environ 40 000 personnes qui ont demandé la résidence permanente au Canada pendant la même période, mais qui n’ont pas déposé de demandes de contrôle judiciaire. Les questions étaient les suivantes : 1) l’intention de faire autoriser un recours collectif est‑elle un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action? 2) Dans l’affirmative, le critère applicable à la conversion vise‑t‑il l’examen des facteurs énumérés à la règle 299.18 des Règles des Cours fédérales (critère applicable aux demandes d’autorisation de recours collectif).
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
1) Les Règles des Cours fédérales ne contiennent aucune disposition concernant les procédures de contrôle judiciaire collectives. Pour que l’instance procède comme un recours collectif, la demande de contrôle judiciaire devra être convertie en action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales afin d’être autorisée à titre de recours collectif. Le paragraphe 18.4(2) ne place aucune limite aux facteurs à prendre en considération dans une demande fondée sur ce paragraphe, et l’intention de faire autoriser une action comme recours collectif pourrait être un facteur de conversion. L’article 299.11 des Règles prévoit l’application des règles concernant les recours collectifs à la procédure intentée à l’origine sous forme de contrôle judiciaire et convertie en application du paragraphe 18.4(2). Même si la procédure de contrôle judiciaire vise à régler de façon sommaire les questions de droit public, elle ne fait pas obstacle à la conversion, mais constitue simplement un facteur supplémentaire dont il convient de tenir compte dans une telle demande. Par conséquent, l’intention de faire autoriser un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action, mais elle est insuffisante pour justifier la conversion.
2) Étant donné que le contrôle judiciaire vise le règlement expéditif et sommaire des questions de droit public, la Cour sera toujours obligée d’évaluer les avantages de la procédure par voie de recours collectif par rapport à l’efficacité de la procédure par voie de contrôle judiciaire. Lorsque l’autorisa-tion de recours collectif est l’objectif de la demande de conversion, les facteurs pertinents sont les conditions d’autorisation de recours collectif énumérées aux paragra-phes 299.18(1) et (2) des Règles. Ces facteurs visent à guider la Cour dans sa décision d’autoriser une action comme recours collectif. Il en découle logiquement que les mêmes facteurs devraient guider la Cour dans sa décision d’autoriser la conversion du contrôle judiciaire en action afin d’autoriser cette action comme recours collectif. Si le motif invoqué au soutien d’une demande de conversion est l’intention de faire autoriser un recours collectif et si le demandeur ne peut convaincre la Cour qu’un recours collectif devrait être autorisé, la demande de conversion n’est pas justifiée. Si la demande d’autorisation est rejetée, la demande de conversion devrait l’être également.
Même si, sur le plan technique, la conversion doit être effectuée avant que l’autorisation du recours collectif ne soit accordée, les demandes de conversion et d’autorisation devraient être entendues et étudiées de concert. Si la preuve satisfait aux critères relatifs à l’autorisation, la conversion devrait être ordonnée et suivie immédiatement d’une ordonnance autorisant le recours collectif. La demande de conversion ne devrait être tranchée avant la demande d’autorisation que si une des parties peut prouver que l’examen simultané des deux demandes sera préjudiciable. En matière d’immigration, il faut obtenir l’autorisation du tribunal avant de procéder par voie de contrôle judiciaire. En cette matière, la demande de contrôle judiciaire qui donne lieu à des demandes de conversion et d’autorisation se fonde sur une décision quant à l’existence d’une cause d’action raisonnable, et l’existence d’une telle cause d’action ne devrait pas être en litige dans les demandes de conversion et d’autorisation. Dans le cas des contrôles judiciaires ne portant pas sur l’immigration, les parties doivent faire la preuve du caractère raisonnable de la cause d’action pour que les demandes de conversion et d’autorisation soient accordées. Lorsque la conversion vise l’autorisation d’une action comme recours collectif, les conditions énumérées à la règle 299.18 seront normalement aussi pertinentes pour la demande de conversion que pour la demande d’autorisation.
lois et règlements cités
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.4 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 299.11 (édicté par DORS/2002-417, art. 17), 299.18 (édicté, idem).
jurisprudence citée
décision appliquée :
Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no 536 (C.A.) (QL).
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2005 CF 479) portant sur deux questions certifiées, à savoir si l’intention de faire autoriser un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action et, dans l’affirmative, quel est le critère applicable dans les circonstances. Appel accueilli.
ont comparu :
Kevin Lunney pour l’appelant (défendeur en Cour fédérale).
Dan Miller pour l’intimé (demandeur en Cour fédérale).
avocats inscrits au dossier :
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (défendeur en Cour fédérale).
Dan Miller, Toronto, pour l’intimé (demandeur en Cour fédérale).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Rothstein, J.C.A. : Il s’agit de l’appel d’un jugement de la Cour fédérale (2005 CF 479) portant sur les deux questions certifiées suivantes :
1. L’intention de faire autoriser un recours collectif est‑elle un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action?
2. Dans l’affirmative, quel est le critère applicable à la demande de conversion, dans les circonstances? La Cour doit‑elle tenir compte des facteurs énumérés à l’article 299.18 des Règles des Cours fédérales, dans lequel est défini le critère applicable aux demandes d’autorisation de recours collectif?
LES FAITS
[2]Le 1er février 2002, Andrejs Tihomirovs a demandé la résidence permanente en vertu des dispositions de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2. Sa demande n’a pas été traitée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, le 28 juin 2002.
[3]M. Tihomirovs estime que sa demande aurait été acceptée si elle avait été traitée sous le régime de la Loi sur l’immigration. Il pense aussi qu’il ne satisfera pas aux exigences de la nouvelle loi. Par conséquent, M. Tihomirovs a fait une demande de contrôle judiciaire pour obtenir soit une ordonnance de mandamus soit une ordonnance de faire permanente enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’évaluer sa demande conformément à l’ancienne loi.
[4]M. Tihomirovs a demandé une ordonnance pour que sa demande de contrôle judiciaire soit convertie en action. Il a l’intention de faire autoriser l’action comme un recours collectif au nom de tous les demandeurs de résidence permanente qui sont des travailleurs qualifiés, des travailleurs autonomes, des entrepreneurs et des investisseurs qui ont déposé leur demande entre le 1er janvier 2002 et le 28 juin 2002 (à l’exception des candidats des provinces et de ceux destinés à la province de Québec).
[5]L’avocat de M. Tihomirovs déclare que son intervention ne se limite pas aux 21 autres demandeurs de contrôle judiciaire, mais qu’elle vise aussi à ouvrir le groupe à environ 40 000 personnes qui ont demandé la résidence permanente au Canada entre le 1er janvier et le 28 juin 2002 et qui n’ont pas déposé de demande de contrôle judiciaire.
ANALYSE
[6]Les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2) ne contiennent aucune disposition concernant les procédures de contrôle judiciaire collectives. Pour que l’instance procède comme un recours collectif, l’autorisation du recours exigera la conversion du contrôle judiciaire en action, en application du paragraphe 18.4(2) [édicté par L.C. 1998, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), dont voici le libellé :
18.4 (1) [. . .]
(2) Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.
[7]Le ministre reconnaît que la règle 299.11 [édicté par DORS/2002-417, art. 17] prévoit que les règles applicables aux recours collectifs s’appliquent aux demandes de contrôle judiciaire devant être instruites comme une action en application du paragraphe 18.4(2). Selon la règle 299.11,
299.11 Les règles 299.1 et 299.12 à 299.42 s’appliquent notamment à une demande de contrôle judiciaire dans le cas où la Cour a ordonné, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, qu’elle soit instruite comme une action.
Cependant, le ministre prétend que l’interprétation correcte de la règle 299.11 est que l’intention d’intenter un recours collectif ne peut justifier la conversion d’un contrôle judiciaire en action en vertu du paragraphe 18.4(2). Ce n’est que si l’ordonnance visant la conversion est fondée sur un autre motif qu’une autorisation de l’action convertie en recours collectif peut être demandée.
[8]Le ministre fonde son argument surtout sur le fait que les Règles des Cours fédérales n’étendent pas aux contrôles judiciaires le régime applicable aux recours collectifs. Citant les procès‑verbaux du Comité des règles et le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation joint aux Règles (DORS/2002‑417) qui ont incorporé le régime de recours collectif dans les Règles des Cours fédérales en 2002, le ministre a déclaré que l’exclusion des recours collectifs dans les demandes de contrôle judiciaire était délibérée. Il a dit que le paragraphe 18.4(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] était l’expression, dans la Loi, de l’intérêt public concernant la résolution expéditive des différends de droit public :
18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.
La conversion d’un contrôle judiciaire en recours collectif retarderait la procédure, en contravention à l’objectif du paragraphe 18.4(1). Par conséquent, l’intention d’intenter un recours collectif ne peut être le fondement d’une demande de conversion d’un contrôle judiciaire en action en application du paragraphe 18.4(2).
[9]Je ne puis être d’accord avec le ministre. Dans Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no 536 (C.A.) (QL) [au paragraphe 1], le juge Hugessen (tel était alors son titre) a conclu, au nom de la majorité, qu’il n’y avait pas de limites aux facteurs à prendre en considération dans une demande fondée sur le paragraphe 18.4(2) :
De l’avis de la Cour, le paragraphe 18.4(2) n’établit aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient ou non de permettre qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Parmi ces facteurs, figurent certainement les commodités de l’accès à la justice et la prévention des coûts et délais inutiles.
[10]Je suis d’accord avec le juge Hugessen. Je ne vois pas pourquoi l’intention de faire autoriser une action comme recours collectif ne pourrait être un facteur de la conversion lorsqu’il s’agit effectivement du motif de la demande.
[11]La règle 299.11 prévoit explicitement l’appli-cation des règles concernant les recours collectifs à la procédure intentée à l’origine sous forme de contrôle judiciaire et convertie en application du paragraphe 18.4(2). Étant donné que cette dernière disposition ne limite pas les facteurs à prendre en considération dans le cas d’une demande de conversion, il en découle que l’intention de faire autoriser un recours collectif n’est pas exclue de la liste des facteurs pertinents.
[12] Je conviens avec le ministre que la procédure de contrôle judiciaire vise à régler de façon sommaire les questions de droit public. Toutefois, comme je l’expliquerai plus loin, il ne s’agit pas là d’un obstacle à la conversion. Il s’agit simplement d’un facteur supplémentaire dont il convient de tenir compte dans une telle demande.
[13]Je répondrais donc par l’affirmative à la première question certifiée.
[14]Selon la deuxième question certifiée, quel est le critère applicable à une demande de conversion lorsque l’objectif visé est l’autorisation d’une action comme recours collectif? M. Tihomirovs déclare que la simple expression de l’intention d’intenter un recours collectif suffit pour satisfaire au critère. J’en disconviens. Étant donné que le contrôle judiciaire vise le règlement expéditif et sommaire des questions de droit public, les tribunaux seront toujours obligés d’évaluer les avantages de la procédure par voie de recours collectif par rapport à l’efficacité de la procédure par voie de contrôle judiciaire.
[15]Lorsque l’autorisation d’un recours collectif est l’objectif de la demande de conversion, il me semble que les facteurs pertinents sont les conditions d’autorisa-tion d’un recours collectif. Ces facteurs sont énumérés aux paragraphes 299.18 (1) et (2) des Règles [édicté par DORS/2002-417, art. 17], dont voici le libellé :
299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :
a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;
b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;
c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu’ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;
d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;
e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :
(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,
(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,
(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,
(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.
(2) Afin de déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait collectifs de façon équitable et efficace, tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte, notamment les facteurs suivants :
[. . .]
d) l’aspect pratique ou l’efficacité des autres moyens de régler les réclamations;
e) la question de savoir si la gestion du recours collectif créerait de plus grandes difficultés que l’adoption d’un autre moyen.
Les facteurs énumérés dans la règle 299.18 visent à guider les tribunaux dans leur décision d’autoriser ou non une action comme recours collectif. Il me semble qu’il en découle logiquement que les mêmes facteurs devraient guider les tribunaux dans leur décision d’autoriser ou non la conversion d’un contrôle judiciaire en action afin d’autoriser cette action comme recours collectif.
[16]Si le motif invoqué au soutien d’une demande de conversion est l’intention de faire autoriser un recours collectif et si le demandeur ne peut convaincre le tribunal qu’un recours collectif devrait être autorisé, la demande de conversion n’est pas alors justifiée. Si la demande d’autorisation du recours collectif est rejetée, la demande de conversion devrait alors être rejetée également.
[17]Bien entendu, sur le plan technique, la conversion doit précéder l’autorisation parce qu’un contrôle judiciaire ne peut être autorisée à procéder comme un recours collectif. Autrement dit, la conversion doit être effectuée avant que l’autorisation de recours collectif ne soit accordée. Par conséquent, on peut prétendre que l’obligation de satisfaire aux critères d’autorisation de procéder par voie de recours collectif ne saurait précéder l’ordonnance visant la conversion, car cela serait mettre la charrue avant les bœufs.
[18]Concrètement, il faut répondre que les deux demandes, celle visant la conversion et celle visant l’autorisation, devraient être entendues et étudiées de concert. Si la preuve produite satisfait aux critères relatifs à l’autorisation, la conversion devrait être ordonnée et suivie immédiatement d’une ordonnance autorisant le recours collectif. La demande de conversion ne devrait être tranchée avant la demande d’autorisation que si l’une des parties peut prouver que l’examen simultané des deux demandes serait préjudi-ciable. Toutefois, dans de telles circonstances, je crois que les facteurs applicables à l’autorisation demeure-raient applicables à la conversion sous réserve d’une preuve contraire.
[19]En réponse à la prétention du ministre selon laquelle la conversion effectuée aux fins de l’autorisation d’un recours collectif contrevient à l’objet du contrôle judiciaire, la procédure souhaitable est l’un des facteurs à prendre en considération dans le cadre de la procédure de conversion et d’autorisation. Le tribunal examinera les problèmes liés à la facilité et à l’efficacité des procédures, et choisira celle qui offrira le moins de difficultés pour régler les questions en litige. Par exemple, une pluralité de contrôles judiciaires que permettrait d’éviter un recours collectif pourrait également être évitée si les parties convenaient de considérer un seul contrôle judiciaire comme une cause type pour les autres contrôles judiciaires qui portent sur la même question. Ces facteurs, parmi d’autres, devraient permettre au tribunal de décider s’il convient d’autoriser la conversion et l’autorisation du recours collectif.
[20]Je ferais observer que, en matière d’immigration, il faut obtenir l’autorisation du tribunal avant de procéder par voie de contrôle judiciaire. Par conséquent, en cette matière, la demande de contrôle judiciaire qui donne lieu à des demandes de conversion et d’autorisation se fonde sur une décision quant à l’existence d’une cause d’action raisonnable, et l’existence d’une telle cause d’action ne devrait pas être en litige dans les demandes de conversion et d’autorisation. Dans le cas des contrôles judiciaires qui ne portent pas sur l’immigration, les parties plaideront le caractère raisonnable de la cause d’action. Les demandes de conversion et d’autorisation seront rejetées si l’absence de cause d’action raisonnable est démontrée. Le contrôle judiciaire pourra procéder, mais le demandeur saura alors que ses chances d’avoir gain de cause sont minces.
[21]Pour ces motifs, je suis d’avis que lorsque la conversion vise l’autorisation d’une action comme recours collectif, les facteurs énumérés à la règle 299.18 seront normalement tout aussi pertinents pour la demande de conversion que pour celle de l’autorisation de l’action comme recours collectif. Bien entendu, étant donné qu’il n’y a pas de limite aux facteurs que les tribunaux peuvent considérer comme pertinents dans une demande de conversion, je n’exclus pas la possibilité que le tribunal tienne compte d’autres facteurs. Toutefois, le tribunal devrait normalement se concentrer sur les conditions énumérées à la règle 299.18.
[22]J’apporterais donc les réponses suivantes aux questions certifiées :
1. L’intention de faire autoriser un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de convertir une demande de contrôle judiciaire en action. Cependant, une telle intention est insuffisante pour justifier la conversion.
2. Les facteurs à prendre en considération dans le cadre d’une demande de conversion visant l’autorisation d’un recours collectif englobent ceux qui sont énumérés à la règle 299.18. Sur le plan pratique, les demandes de conversion et d’autorisation devraient être entendues et étudiées de concert, sauf si l’une des parties est en mesure de prouver, de ce fait, l’existence d’un préjudice. Par la suite, si les deux demandes sont entendues de concert et si les critères relatifs à l’autorisation sont respectés, une ordonnance visant la conversion devrait être rendue et suivie immédiatement d’une ordonnance autorisant le recours collectif.
[23]L’appel devrait être accueilli, le jugement de la Cour fédérale devrait être annulé et l’affaire devrait être renvoyée au juge de la Cour fédérale pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire compte tenu des présents motifs. Il ne devrait pas y avoir d’ordonnance quant aux dépens.
Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.