A‑645‑04
2005 CAF 395
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Patrick Prentice (intimé)
Répertorié : Prentice c. Canada (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, Décary et Nadon, J.C.A.—Montréal, 10 novembre; Ottawa, 28 novembre 2005.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant une requête en radiation — Un ancien membre de la GRC ayant participé à des missions de maintien de la paix à l’étranger a engagé une action en dommages‑intérêts, alléguant une violation de l’art. 7 de la Charte de la part de son employeur, la Couronne — Étant une action en responsabilité civile déguisée, contre la Couronne ce recours était exclu par les art. 8 et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et par l’art. 12 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État— Appel accueilli.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Un ancien membre de la GRC ayant participé à des missions de maintien de la paix a engagé une action en dommages‑intérêts contre la Couronne, alléguant une violation des droits que lui reconnait l’art. 7 de la Charte — La Couronne a demandé le rejet de l’action au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable — L’intimé devait prouver que la violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par l’art. 7 était contraire aux principes de justice fondamentale — Examen de la jurisprudence relative aux principes de justice fondamentale — Action radiée.
Droit administratif — L’intimé, un ancien membre de la GRC ayant été affecté à des missions de maintien de la paix, se fondant sur l’art. 24 de la Charte, demandait des dommages‑intérêts compensatoires, moraux, et punitifs au motif que la Couronne, son employeur, aurait violé les droits que lui garantit l’art. 7 de la Charte — L’intimé aurait pu invoquer différents régimes légaux pour faire valoir ses droits — Le demandeur qui veut engager une action en responsabilité civile contre la Couronne afin d’obtenir des dommages‑intérêts doit épuiser ses autres recours — L’intimé n’a pas exercé les autres recours que les lois « ordinaires » lui accordaient.
GRC — L’intimé est un ancien membre de la GRC ayant été affecté à des missions de maintien de la paix à l’étranger — Il a demandé des dommages-intérêts contre la Couronne, son employeur, représentée par la GRC, au motif qu’elle aurait violé l’art. 7 de la Charte — Il n’a pas exercé les recours que lui ouvraient un certain nombre de régimes légaux — Comme il s’agissait d’une demande de pension d’invalidité déguisée, elle n’avait pas sa place dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts — Elle était plutôt régie par la partie II de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada — Comme elle était vouée à l’échec, l’action a été radiée.
Relations du travail — Un ancien membre de la GRC a demandé des dommages‑intérêts au motif que la Couronne, son employeur, aurait violé l’art. 7 de la Charte — Le différend découlait de la relation employeur‑employé entre l’intimé et la GRC — Le recours exercé par l’intimé constituait en réalité une action intentée par un employé contre son employeur afin de réclamer des dommages‑intérêts en raison du préjudice qu’il aurait subi dans le cadre de son emploi — Comme il s’agissait d’une demande déguisée fondée sur un accident lié à l’occupation d’un emploi, elle était exclue par l’art. 12 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.
Pratique — Actes de procédure — Requête en radiation — La Couronne a demandé la radiation de la déclaration modifiée de l’intimé réclamant des dommages-intérêts au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable — La requête en radiation d’un acte de procédure présentée en vertu de la règle 221(1)a) des Règles des Cours fédérales n’est accueillie que si l’issue de l’affaire est « évidente et manifeste » ou « au delà de tout doute raisonnable » — Le pouvoir de radier des actes de procédure doit être exercé avec beaucoup de prudence et d’hésitation — La requête a été accueillie au motif que l’action était vouée à l’échec — Le demandeur doit épuiser tous ses autres recours avant d’engager une action en responsabilité civile contre la Couronne afin d’obtenir des dommages‑intérêts.
Il s’agissait d’un appel interjeté d’une décision de la Cour fédérale par laquelle elle a rejeté une requête en rejet de l’action et en radiation de la déclaration parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action. L’intimé appartenait à la Gendarmerie royale du Canada (GRC); à ce titre, il a participé à des missions de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies en Namibie en 1989 et dans l’ex‑Yougoslavie en 1992. Après avoir été libéré de la GRC pour raisons de santé en janvier 2004, l’intimé a engagé une action devant la Cour fédérale, par laquelle, en se fondant sur l’article 24 de la Charte, il réclamait à Sa majesté la Reine, représentée par la GRC, 3 250 000 $ à titre de dommages‑intérêts compensa-toires, moraux, et punitifs. Il prétendait que, au cours de ces missions, il a vécu des événements très stressants pour lesquels il n’avait pas été préparé et il n’avait reçu aucune formation particulière et qu’il y a donc eu violation du droit à la sécurité physique et psychologique de sa personne que garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Par requête amendée, la Couronne a demandé le rejet de l’action « au motif que la Cour fédérale n’est pas un tribunal compétent » et aussi la radiation de la déclaration amendée « parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable ». Le juge de première instance a conclu que la Cour avait compétence pour statuer sur la question de savoir si l’État avait violé la Charte en ne préparant pas l’intimé adéquatement aux missions qui lui ont été confiées et en ne lui accordant pas un suivi adéquat lors de son retour. Sur la question de la cause d’action valable, il s’est dit d’avis que le principe de l’immunité de la Couronne ne semblait pas s’appliquer en cas de violation d’un droit garanti par la Charte. La principale question en litige était la suivante : l’intimé pouvait‑il intenter une action en dommages‑intérêts contre la Couronne, son employeur, fondée sur une violation alléguée de l’article 7 de la Charte, malgré l’immunité accordée à la Couronne par l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif? Dans l’affirmative, devait‑il épuiser ses recours administratifs avant de s’adresser à la Cour fédérale?
Arrêt : l’appel est accueilli.
La décision était fondée sur un certain nombre de prémisses. 1) La requête en radiation d’un acte de procédure présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable, n’est accueillie que si le juge conclut que l’issue de l’affaire est « évidente et manifeste » ou « au delà de tout doute raisonnable ». C’est avec beaucoup de prudence et d’hésitation que le pouvoir de radier des actes de procédure doit être exercé; ni la longueur ou la complexité des questions en litige, ni la nouveauté de la cause d’action ne doivent empêcher le demandeur d’exercer son action. Lorsque l’absence de cause d’action valable tient à l’absence de compétence de la Cour pour connaître du litige, il est certain que si absence évidente et manifeste de compétence il y a, l’action doit être radiée. 2) Le juge de première instance a décidé de maintenir l’instance en vertu de son pouvoir discrétionnaire et la Cour d’appel fédérale n’intervient que si la décision est fondée sur une erreur de droit ou si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée. 3) Le demandeur ne peut pas invoquer la Charte et réclamer une mesure de redressement à ce titre pour cause d’illégalité alléguée d’une décision d’un office fédéral si celle‑ci n’a pas préalablement été déclarée nulle ou illégale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. 4) N’eût été de l’allégation de violation de droits garantis par la Charte, l’agent de l’État qu’est l’intimé n’aurait aucun droit d’action en responsabilité contre la Couronne, son employeur. L’immunité de poursuite dont jouit l’employeur résulte d’un compromis historique : les travailleurs perdent leur cause d’action contre leur employeur en échange d’une indemnité qui ne dépend ni de la responsabilité de l’employeur ni de sa capacité de payer. Cette immunité est considérée comme essentielle à l’existence même des régimes d’indemnisation d’accidents du travail. La validité constitutionnelle de tels régimes, au regard des articles 7 et 15 de la Charte, a été reconnue à maintes reprises. 5) La Cour suprême du Canada a analysé la notion de « principe de justice fondamentale » dans l’article 7 de la Charte à plusieurs reprises. Dans les arrêts R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, la Cour a dit que « pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne ». Dans d’autres affaires récentes, la Cour a statué que le principe juridique qu’est le « meilleur intérêt de l’enfant » ne constituait pas un principe de justice fondamentale, et elle a refusé de considérer comme un principe de justice fondamentale le refus de financer une thérapie. C’est au demandeur qu’il incombe de préciser le principe de justice fondamentale qu’il a l’intention d’invoquer. 6) L’intimé aurait pu invoquer différents régimes légaux pour faire valoir ses droits (par ex., le Code canadien du travail, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada); cependant, il n’en a rien fait. 7) En l’espèce, le litige découlait de la relation employeur‑employé entre l’intimé et la GRC. En matière de relations de travail, le modèle de la compétence exclusive de l’arbitre s’applique, dès lors que le différend opposant les parties découle, dans son essence, de l’interprétation, de l’approbation, de l’application ou de la violation d’une convention collective, ou découle d’un régime légal, ou du régime établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les Cours conservent toutefois leur compétence si le régime institué par la loi ne prévoit pas la mesure réparatrice demandée. Il est reconnu qu’un arbitre a compétence pour appliquer la Charte au même titre que les autres lois canadiennes. L’arbitre constitue aussi un tribunal compétent, si sa loi habilitante l’autorise à accorder des dommages‑intérêts en cas de violation de la Charte.
La Cour d’appel fédérale n’a pas eu à se prononcer sur la question de savoir si elle devait permettre à la Couronne de soulever, pour la première fois dans le cadre d’un appel, l’argument selon lequel aucun principe de justice fondamentale n’avait été invoqué. Elle a plutôt statué sur le présent appel en s’inspirant de l’arrêt Dumont c. Canada (Dumont‑Drolet) rendu par la Cour d’appel fédérale. La mesure de redressement sollicitée, à savoir des dommages‑ intérêts compensatoires, moraux et punitifs, confirmait la véritable nature du recours, c’est‑à‑dire une action intentée par un employé contre son employeur afin de réclamer des dommages‑intérêts relativement au préjudice qu’il aurait subi dans le cadre de son emploi. Vu que ce recours était une action en responsabilité civile déguisée, contre la Couronne, il était exclu par les articles 8 et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Vu que ce recours était une action déguisée fondée sur un accident lié à l’occupation d’un emploi, il était exclu par l’article 12 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.Vu que ce recours était un grief ou une plainte de discrimination déguisé, il ne pouvait être exercé devant la Cour fédérale. Vu que ce recours était une demande de pension d’invalidité déguisée, il n’avait pas sa place dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts et il était plutôt régi par la partie II de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada. L’indemnité recherchée étant déjà recouvrable, à tout le moins en partie, en vertu de différentes lois fédérales, l’intimé ne pouvait réclamer, dans son action en dommages‑intérêts qu’il disait fondée sur l’article 7 de la Charte, que l’excédent pouvant constituer « une réparation juste et convenable » au sens de l’article 24 de la Charte. Il n’est pas possible d’évaluer cette indemnité supplémentaire puisqu’une telle indemnité suppose une indemnité de base. Le demandeur qui veut exercer un recours en responsabilité civile contre la Couronne pour obtenir des dommages‑intérêts doit d’abord exercer les recours que lui ouvre le droit administratif. L’article 24 de la Charte ne constitue pas une bouée de sauvetage destinée à secourir les justiciables qui n’exercent pas les recours que les lois « ordinaires » leur accordent. La Cour fédérale n’est pas censée remplir les fonctions que les lois confèrent aux arbitres et aux ministres, et se prononcer, dans le cadre d’une action fondée sur la Charte, sur le bien‑fondé d’un grief ou d’une demande de pension d’invalidité. L’action de l’intimé était incontestablement vouée à l’échec, même s’il y avait eu violation de l’article 7 de la Charte, et même si son recours fondé sur la Charte n’avait pas été écarté par l’immunité de la Couronne.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15, 24.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 49.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 124 (mod. par L.C. 2000, ch. 24, art. 5), 148 (mod., idem, art. 14), partie II.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, art. 40 (mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 47; 1998, ch. 9, art. 23).
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N‑5, art. 31(1)b) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60).
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10, partie III (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16; L.C. 1990, ch. 8, art. 65; 1994, ch. 26, art. 63(F), 64(F); 2002, ch. 8, art. 182).
Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑11, art. 32 (mod. par L.C. 2000, ch. 34, art. 46), 34 (mod. par L.C. 1998, ch. 11, art. 4), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 80; 1999, ch. 34, art. 204; 2003, ch. 26, art. 63).
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 8, 9 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39(F)).
Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P‑6, art. 21(2) (mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21), 111(2) (mod., idem, art. 42).
Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. (1985), ch. G‑5, art. 3, 4 (mod. par L.C. 1996, ch. 10, art. 229.3), 12.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑35.
Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88‑361, art. 19a), 20 (mod. par DORS/91‑177, art. 1; 94‑219, art. 7; 95‑535, art. 1; 97‑233, art. 1), 22, 28 (mod. par DORS/94‑219, art. 10; 97‑233, art. 2).
Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, régles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 221(1)a),f), 359c), 364(2)e).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Dumont c. Canada, [2004] 3 R.C.F. 338; 2003 CAF 475; Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44; R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571; 2003 CSC 74.
décisions examinées :
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146; 2005 CSC 11; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76; 2004 CSC 4; Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657; 2004 CSC 78; Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791; 2005 CSC 35; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; 2003 CSC 54.
décisions citées :
Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667; 2005 CSC 30; Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367; 2005 CAF 139; Sarvanis c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 921; 2002 CSC 28; Lawrence c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [1997] A.C.F. no 75 (1re inst.) (QL); R. v. Canada (Solicitor General), [1999] N.S.J. no 263 (C.P.) (QL); conf. par (2001), 192 N.S.R. (2d) 18 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2001] S.C.C.A. no 173 (QL); Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345; Reference Re Workers’ Compensation Act, 1983 (T.‑N.), [1989] 1 R.C.S. 922; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; Budge v. Alberta (Workers/ Workmen’s Compensation Board) (1991), 111 A.R. 228; (1991), 77 D.L.R. (4th) 361; [1991] 3 W.W.R. 1; 78 Alta. L.R. (2d) 193; 6 C.R.R. (2d) 365 (C.A.); Winnipeg Child and Family Services c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519; 2000 CSC 48; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; 2002 CSC 84; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; Rees v. Canada (Royal Canadian Mounted Police) (2005), 246 Nfld. & P.E.I.R. 79; 2005 NLCA 15; Kovach c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensa-tion Board), [2000] 1 R.C.S. 55; 2000 CSC 3; Lindsay c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [2000] 1 R.C.S. 59; 2000 CSC 4; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360; 2000 CSC 14; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585; Boucher c. Stelco Inc., [2005] 3 R.C.S. 279; 2005 CSC 64.
APPEL d’une décision rendue par la Cour fédérale (Prentice c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 CF 1657) rejetant une requête en rejet de l’action pour défaut de compétence et en radiation de la déclaration parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action. Appel accueilli.
ont comparu :
Raymond Piché et Nadia Hudon pour l’appelante.
Jacques Ferron et Gilles Savard pour l’intimé.
avocats inscrits au dossier :
Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelante.
Jacques Ferron, Québec, pour l’intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1]Le juge Décary, J.C.A. : Un membre de la Gendarmerie royale du Canada qui a participé à des missions de paix à l’étranger, peut‑il intenter une action en dommages‑intérêts contre la Couronne, son employeur, fondée sur une violation alléguée de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), en dépit de l’immunité accordée à la Couronne par l’article 9 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39(F)] de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)]? Dans l’affirmative, ce membre doit‑il exercer ses recours de nature administrative avant de s’adresser à la Cour fédérale?
[2]Telles sont, pour l’essentiel, les questions que les parties soumettent à cette Cour dans le cadre d’une requête en radiation de procédure pour absence de cause d’action valable.
LES FAITS
[3]M. Prentice (l’intimé), un résident de l’Ontario, était, aux moments pertinents de ce litige, membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Il a participé, à ce titre, aux missions de paix déployées sous l’égide de l’Organisation des Nations‑Unies en Namibie, en 1989, et en ex‑Yougoslavie, en 1992.
[4]Après sa libération de la GRC, pour raison médicale, en janvier 2004, il institue une procédure en Cour fédérale [2004 CF 1657] par laquelle il réclame de Sa Majesté la Reine, représentée par la Gendarmerie royale du Canada, des dommages‑intérêts au montant de 3 250 000 $.
[5]Dans ses prétentions écrites déposées en première instance et qu’il a réitérées devant nous, l’intimé résume ainsi sa déclaration :
1‑ Dans sa déclaration amendée déposée le 10 mai 2004, le demandeur réclame de la défenderesse des dommages‑ intérêts au montant de 3 250 000$ à titre de réparation valable en vertu de l’article 24 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS pour atteinte à son droit à la sécurité de sa personne, droit que lui confère l’article 7 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS basés sur des faits et comportements qui ne relèvent pas de son service usuel de gendarme;
2‑ Le demandeur a participé à deux (2) missions de paix, soit en Namibie en Afrique et en ex‑Yougoslavie sans recevoir la formation sur la situation politique existante et sans préparation adéquate pour ces missions qui dépassaient le cadre de son service usuel de gendarme, alors que la défenderesse ne pouvait ignorer que cette préparation était nécessaire tant pour son efficacité que pour la protection à la vie et à la sécurité de la personne du demandeur qui lui est conférée par l’article 7 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS;
3‑ Pendant ces missions, le demandeur vécut des événements très stressants pour lesquels son travail pendant onze (11) ans aux enquêtes sur les crimes économiques ne l’avait aucunement préparé et il n’avait reçu aucune formation particulière pour le préparer à ces missions;
4‑ La défenderesse a ainsi violé de façon fondamentalement injuste le droit du demandeur à la sécurité physique et psychologique de sa personne que lui garantit l’article 7 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS;
5‑ Aux paragraphes 52 à 62 de sa déclaration amendée, le demandeur allègue que la défenderesse a porté atteinte à la santé du demandeur, qu’elle a refusé de reconnaître sa maladie et de lui fournir les traitements adéquats qu’elle a fait preuve de harcèlement, qu’elle a brisé sa vie privée et qu’elle a fait preuve de discrimination;
6‑ La défenderesse n’a pas respecté son obligation de fiduciaire fondée en autre [sic] sur l’article 7 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS;
7‑ Le demandeur allègue qu’il a subi des dommages considérables suite à son incapacité de travailler, aux souffrances endurées et qu’il continuera à endurer jusqu’à sa mort, suite à la perte de jouissance de la vie et il réclame réparation pour ces dommages en vertu de l’article 24 de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS; . . . .
Le fondement apparent du recours de l’intimé
[6]La déclaration modifiée est longue, répétitive, tortueuse et confuse.
[7]L’identité de la défenderesse est parfois ambiguë. Bien que la défenderesse soit désignée comme étant « Sa Majesté la Reine, chef du Canada, ici représentée par la Gendarmerie royale du Canada », la déclaration s’en prend au paragraphe 11, à la « défenderesse » qui a émis des décrets autorisant les missions de paix et, au paragraphe 24, au « pouvoir politique auquel participe la défenderesse ». Dans son mémoire, l’intimé s’en prend indistinctement au gouvernement canadien, aux Forces armées canadiennes et à la GRC. Pressé de questions, le procureur de l’intimé a finalement reconnu, à l’audience, qu’il s’en prenait aux seuls agissements de la GRC.
[8]Les manquements reprochés sont parfois qualifiés de « négligence » (paragraphes 1a), 1b)), de « rupture d’engagement » (paragraphes 1d), 63), de « harcèle-ment » (paragraphe 1e)), de « discrimination » (paragra-phes 1f), 83, 84), de « faute » (paragraphe 1i)), de « manquement à ses obligations légales » (paragraphe 1c)), de « manquement à son obligation de fiduciaire (paragraphes 1j), 65, 66), de « manquement aux art. 7 et 15 de la Charte (paragraphes 1k), 2, 8, 52, 65, 67, 68, 78, 79), de « responsabilité de tous les actes et omissions de ses employés, préposés ou mandataire, incluant les officiers, personnes en autorité et membres de l’équipe médicale de la GRC » (paragraphe 9), d’ « atteinte à sa santé, de refus de reconnaître sa maladie, de refus et/ou négligence de lui fournir les traitements adéquats, de harcèlement, de bris de vie privée, de discrimination [. . .] la défenderesse (ayant) ainsi violé de façon fondamentalement injuste son droit à la sécurité physique et psychologique de sa personne que lui garantit l’art. 7 de la Charte.» (paragraphe 52), de « témérité peu commune eu égard au respect des droits du demandeur à la sécurité et à l’intégrité de sa personne que lui reconnaît l’art. 7 de la Charte » (paragraphe 78), et de « violation évidente, connue, volontaire et délibérée de ses droits fondamentaux » (paragraphe 79).
[9]Heureusement pour la Cour qui, au stade d’une requête en radiation, doit interpréter une déclaration « de manière aussi libérale que possible » (Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 451), le procureur de l’intimé a reconnu dans son mémoire, au paragraphe 34, que « [l]e demandeur intimé ne reproche aucun acte fautif ou illégal à l’appelante mais uniquement un manquement à la constitution », au paragraphe 42, que « l’action du demandeur intimé est fondée sur l’article 7 de la Charte », au paragraphe 55, que « le demandeur ne réclame pas de dommages‑intérêts suite à la responsabilité civile délictuelle de la Couronne mais demande réparation pour non respect de la Charte [. . .], donc en vertu de la Constitution et ne fait appel à aucune responsabilité civile délictuelle », au paragraphe 81, que « l’intimé ne fait qu’invoquer le non respect de l’article 7 de la Charte [. . .] et demande réparation en vertu de l’article 24(1) de la Charte [. . .] sans même faire appel à aucune notion de faute » et au paragraphe 88, que « le demandeur, dans sa déclaration amendée ne base pas son action sur la Loi de la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif mais uniquement sur un manquement de la défenderesse à respecter l’article 7 de la Charte [. . .] et subsidiairement à son obligation de fiduciaire sans jamais faire appel à la notion de responsabilité, et donc que la notion d’immunité en vertu de la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif ne trouve pas d’application en cette affaire ».
[10]Bref, si l’on écarte la violation de l’article 15 de la Charte (sur laquelle le procureur de l’intimé n’est pas revenu et qui, de toute manière, n’avait aucune chance de succès dans les circonstances) et le manquement à l’obligation de fiduciaire (obligation que cette Cour n’a pas retenue : voir Dumont c. Canada, [2004] 3 R.C.F. 338 (C.A.F.)) (Dumont‑Drolet), l’on se retrouve ici avec une action contre la Couronne qui, essentiellement, dit réclamer des dommages en raison de la violation de l’article 7 de la Charte.
Le redressement recherché
[11]Le seul redressement demandé par l’intimé en vertu de l’article 24 de la Charte consiste en l’attribution de dommages‑intérêts compensatoires, moraux et exemplaires :
DOMMAGES COMPENSATOIRES :
· Perte de revenus pendant 12 ans 750 000$
· Perte de pension suite à l’absence
de promotion 750 000$
· Coût d’une thérapie future 50 000$
DOMMAGES MORAUX :
· Perte d’une brillante carrière dans la Gendarmerie Royale 500 000$
· Destruction de la cellule familiale 300 000$
· Souffrance, perte de jouissance de la vie et perte de dignité 500 000$
DOMMAGES EXEMPLAIRES : 400 000$
TOTAL : 3 250 000$
La requête amendée en radiation
[12]La Couronne, dans sa requête amendée en rejet d’action et en radiation d’un acte de procédure, demande de rejeter l’action « pour le motif que la Cour fédérale n’est pas un tribunal compétent pour accorder aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte [. . .] les dommages‑intérêts [. . .] que le demandeur réclame [. . .] pour la violation alléguée de ses droits protégés par les articles 7 et 15 de la Charte ». La requête demande aussi de radier la déclaration amendée « parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable ».
[13]Relativement à l’absence de compétence de la Cour, la Couronne prétend que le redressement recherché ne pouvait l’être que par le moyen de griefs déposés en vertu de la partie III [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16; L.C. 1990, ch. 8, art. 65; 1994, ch. 26, art. 63(F), 64(F); 2002, ch. 8, art. 182] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10 ou de la partie II [articles 122 à 165] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2 et, à la rigueur, d’une plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6.
[14]Relativement à l’absence d’une cause d’action valable, la Couronne prétend que les allégations sont toutes reliées à l’emploi de l’intimé demandeur au sein de la GRC et relèvent de la procédure applicable aux griefs, que certaines allégations font état d’un manquement à une obligation de fiduciaire qui n’existe pas en l’espèce et que les dommages réclamés ne peuvent l’être en raison de l’immunité accordée à la Couronne par la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. (1985), ch. G‑5. La Couronne prétend aussi que la légalité des décrets ne peut être remise en question que par une demande de contrôle judiciaire.
[15]Nulle part dans cette requête, ni dans le mémoire des faits et du droit qui l’accompagne, n’est‑il fait mention de l’irrecevabilité de l’action pour le motif que l’attaque fondée sur l’article 7 de la Charte serait vouée à l’échec parce qu’aucun principe de justice fondamentale n’aurait été identifié par l’intimé dans sa déclaration.
Le jugement de la Cour fédérale
[16]Devant le juge Blanchard, l’intimé a reconnu qu’il ne contestait pas la légalité des décrets, de sorte que l’obligation de procéder à leur égard par demande de contrôle judiciaire n’était plus pertinente.
[17]Sur la question de compétence, le juge conclut que la Cour a compétence pour déterminer si la Couronne a violé la Charte en ne préparant pas l’intimé adéquatement aux missions auxquelles il a été affecté et en ne lui accordant pas un suivi adéquat lors de son retour.
[18]Sur la question de cause d’action valable, le juge se dit d’avis qu’un traitement particulier est réservé aux instances dans lesquelles une action est intentée pour obtenir réparation en vertu de l’article 24 de la Charte et, s’appuyant sur l’arrêt de cette Cour dans Dumont-Drolet, il conclut que le principe de l’immunité de la Couronne ne semble pas s’appliquer là où il y a violation d’un droit garanti par la Charte.
Les prétentions des parties en appel
[19]La Couronne, en appel, soulève pour la première fois, et en fait son principal argument, la question de savoir si les faits allégués permettent de conclure à une violation de l’article 7 de la Charte. Elle plaide, notamment, que l’intimé n’a identifié dans sa déclaration aucun principe de justice fondamentale et que son action est en conséquence vouée à l’échec. Elle plaide, de façon subsidiaire, l’immunité de la Couronne et l’absence de compétence de la Cour fédérale, ainsi qu’un autre argument nouveau, soit que l’intimé n’a pas droit au redressement pécuniaire qu’il réclame en l’absence d’allégation de fautes lourdes ou intention-nelles.
[20]L’intimé s’objecte, pour sa part, à l’introduction au niveau de l’appel d’un argument nouveau. De toute manière, il a soutenu à l’audience que la déclaration révèle une atteinte à deux principes qui, selon lui, peuvent être qualifiés de principes de justice fondamen-tale, soit l’interdiction faite à l’État de poser des gestes arbitraires et l’obligation faite aux employeurs de veiller à la sécurité de leurs employés. L’intimé plaide par ailleurs que dans Dumont‑Drolet, notre Cour a décidé que n’était pas vouée à l’échec une cause d’action fondée sur une violation d’un droit garanti par la Charte. Il plaide enfin que la question de savoir qui, de la Cour fédérale ou d’arbitres de griefs, a compétence, n’est pas définitivement résolue.
Le mandat de cette Cour
[21]Si la Cour en vient à la conclusion que cette action, de façon évidente et manifeste, ne rencontre pas les conditions d’application de l’article 7 de la Charte et qu’elle est en conséquence vouée à l’échec, la Cour n’aura pas à aller plus loin. Si l’action n’est pas dès lors radiée, la Cour devra ensuite décider si l’immunité de la Couronne établie aux articles 8 et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et l’article 12 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. (1985), ch. G-5 fait obstacle de façon évidente et manifeste à un recours fondé sur la Charte. Si la Cour en vient à la conclusion que le recours n’est pas non plus voué à l’échec sur ce dernier point, elle devra alors décider si le recours ne devrait pas, de façon évidente et manifeste, être dirigé vers les instances administratives établies dans diverses lois fédérales (tels les arbitres de griefs ou le ministre) plutôt que vers la Cour fédérale.
QUELQUES PRÉMISSES
[22]Mon analyse s’appuiera sur les prémisses suivantes.
Traitement d’une requête en radiation
[23]Une requête en radiation d’un acte de procédure présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] pour le motif qu’il n’existe pas de cause d’action valable, ne sera accueillie que si, tenant les faits allégués dans la déclaration comme avérés, le juge en arrive à la conclusion que l’issue de l’affaire est « évidente et manifeste » ou « au delà de tout doute raisonnable » (voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.S.C. 959, la juge Wilson à la page 980). Il ressort clairement des propos de la juge Wilson que c’est avec beaucoup de prudence et d’hésitation que le pouvoir de radier des procédures doit être exercé et que ni la longueur ou la complexité des questions, ni la nouveauté de la cause d’action ne devraient empêcher un demandeur d’exercer son action.
[24]Cela ne veut pas dire, pour autant, que le plaideur qui invoque une cause inédite d’action aura la vie plus facile au stade d’une requête en radiation. Les cours sont certes prêtes à donner une chance au coureur, mais encore faut‑il que la cause d’action, si nouvelle soit‑elle, ait quelque chance d’être reconnue en bout de piste. Une cause d’action n’est pas « valable » tout simplement parce qu’elle n’a pas encore été explorée. Les cours ne doivent pas naïvement supposer que ce qui est nouveau s’inscrit ou pourra s’inscrire dans l’évolution normale du droit. Ainsi, par exemple, pour déterminer si un litige découle de la relation employeur‑employé, c’est aux faits qui donnent naissance au litige qu’il faut s’attarder, et non pas « à la qualité du tort » allégué, sans quoi les « plaideurs innovateurs » pourraient « se soustraire à l’interdiction législative touchant les actions en justice parallèles en invoquant des causes d’action nouvelles et ingénieuses » (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, au paragraphe 49; Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 11 et Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667, au paragraphe 93). Dans Vaughan, selon le juge Binnie, l’appelant s’était sans doute senti obligé, afin de contourner la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, de « présenter son action de façon un peu artificielle comme une action en responsabilité délictuelle fondée sur la négligence » (au paragraphe 11). Ce qui n’a pas empêché la Cour de radier, sur requête préliminaire, l’action intentée.
[25]Dans le contexte d’un redressement recherché en vertu de la Charte, il sera utile de rappeler ce que le juge Dickson [tel était alors son titre] disait dans Operation Dismantle, à la page 450 :
Je conviens [. . .] qu’indépendamment du fondement qu’invoquent les appelants pour faire valoir leur demande de jugement déclaratoire—que ce soit le par. 24(1) de la Charte, l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou la common law—ils doivent à tout le moins être à même de démontrer qu’il y a menace de violation, sinon violation réelle, de leurs droits garantis par la Charte.
En bref donc, pour que les appelants aient gain de cause dans ce pourvoi ils doivent montrer qu’ils ont quelques chances de prouver que l’action du gouvernement canadien a porté atteinte à leurs droits en vertu de la Charte ou menace de le faire.
[26]Est‑il nécessaire, aussi, de rappeler que ce sont les faits qui sont tenus comme avérés, et non l’interprétation que peut en faire le demandeur dans sa déclaration, non plus que les affirmations de droit qu’il y peut énoncer?
[27]Par ailleurs, lorsque l’absence de cause d’action valable tient à l’absence de compétence de la Cour sur le litige, il est certain que si absence évidente et manifeste de compétence il y a, l’action doit être radiée.
[28]Je note, enfin, que même si la Couronne, au départ, appuyait aussi sa requête en radiation sur l’alinéa 221(1)f) [des Règles] (« abus de procédure »), elle n’a pas véritablement avancé d’arguments sur ce point et à l’instar du juge Blanchard, je l’ignorerai.
Norme de contrôle d’une décision discrétionnaire
[29]La décision du juge Blanchard de laisser les procédures se poursuivre est discrétionnaire et cette Cour n’interviendra que si la décision est fondée sur une erreur de droit ou si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée, i.e. si le juge n’a pas accordé suffisamment d’importance, ou n’en a pas accordé du tout, à des considérations pertinentes ou s’il a pris en compte des facteurs non pertinents ou s’il a omis de prendre en compte des facteurs pertinents (voir Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367 (C.A.F.)).
[30]Ainsi, dans la mesure, aussi, où le juge aurait jugé à tout le moins douteuse, et donc digne de continuation jusqu’à procès, une cause d’action qui, en réalité, serait évidemment et manifestement mal fondée, cette Cour devra intervenir. Si, par exemple, il n’existe aucune chance que la violation de l’article 7 ou l’existence d’une réparation convenable et juste puisse être établie au procès ou si la Cour est clairement incompétente dans les circonstances, la déclaration devra être radiée.
Les décrets gouvernementaux
[31]Les décrets adoptés par le Gouvernement du Canada en vertu des pouvoirs que lui confère l’alinéa 31(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60] de la Loi sur la défense nationale (L.R.C. (1985), ch. N‑5) qui ont permis le déploiement de missions de paix en Namibie et en ex‑Yougoslavie en 1989 et 1992, n’ont pas fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire en Cour fédérale. De telles demandes étaient, en principe, permises (voir Operation Dismantle). Le procureur de l’intimé a reconnu à l’audience qu’il reconnaissait la légalité des décrets, mais qu’il s’en prenait à leur mise à exécution; cette affirmation paraît contredire l’allégation faite au paragraphe 84 de la déclaration, qui veut que « ces actes discriminatoires découlent de l’adoption de décrets qui imposent à votre demandeur des missions qui ne répondent à aucun ordre légitime ou qui ne se fondent sur aucun des principes de justice existants au Canada ».
[32]Cette Cour a récemment établi, dans Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287, qu’un demandeur ne pouvait se servir d’une action en dommages‑intérêts pour attaquer collatéralement la décision d’un office fédéral dont l’illégalité n’aurait pas été préalablement déclarée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire déposée en temps utile. Le juge Létourneau, au paragraphe 61, rappelait que la légalité d’une décision d’un office fédéral excluait la possibilité d’une conclusion de négligence relativement à la prise de cette décision et qu’en plus, même une conclusion d’illégalité d’une telle décision ne mènerait pas nécessairement à une conclusion de faute ou de négligence et n’entraînerait pas nécessairement une conclusion de responsabilité.
[33]Je suis d’avis que cette même logique conduit à la conclusion qu’on ne saurait s’appuyer sur la Charte et réclamer un redressement en vertu de celle‑ci pour cause d’illégalité alléguée d’une décision d’un office fédéral qui n’aurait pas préalablement été déclarée nulle ou illégale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.
Immunité de la Couronne
[34]Le procureur de l’intimé reconnaît que n’eût été de l’allégation de violation de droits garantis par la Charte, l’agent de l’État qu’est l’intimé n’aurait aucun droit d’action en responsabilité contre la Couronne, son employeur, et ce par le jeu combiné de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (articles 3, 4 [mod. par L.C. 1996, ch. 10, art. 229.3] et 12), de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, et du Règlement adopté en vertu d’icelle (Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88‑36 et de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R‑11, article 34 [mod. par L.C. 1998, ch. 11, art. 4]) (voir Sarvanis c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 921). Or, comme le juge Blanchard a conclu, au paragraphe 14 de ses motifs, que « la pension ou l’indemnité payée a le même fondement factuel que l’action », cela signifierait, selon le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans Sarvanis, que sans l’allégation de violation de la Charte, il y aurait immunité de l’État. (Voir, aussi, Lawrence c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [1997] A.C.F. no 75 (1re inst.) (QL); R. v. Canada (Solicitor General), [1999] N.S.J. No. 263 (C.P.) (QL); conf. par (2001), 192 N.S.R. (2d) 18 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée et [2001] S.C.C.A no 173 (QL).
[35]La raison d’être de l’immunité de poursuite contre l’employeur qui est attachée aux régimes d’indemnisation des accidents du travail a été expliquée à maintes reprises (voir, notamment, Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345). Cette immunité résulte d’un compromis qualifié d’historique en vertu duquel les travailleurs perdent leur cause d’action contre leur employeur en échange d’une indemnité qui ne dépendrait ni de la responsabilité de l’employeur ni de sa capacité de payer. Cette immunité est considérée comme essentielle à l’existence même des régimes d’indemnisation d’accidents du travail. Une conséquence possible de cette immunité est qu’un travailleur reçoive une indemnité inférieure à celle qu’il aurait, peut‑être, reçue s’il s’était adressé aux tribunaux, et l’un des objets recherchés par cette immunité est d’empêcher qu’un travailleur tente d’obtenir devant une cour de justice la différence entre la valeur du préjudice qu’il a réellement subi et celle de l’indemnité qui lui a été versée dans le cadre du régime.
[36]La validité constitutionnelle de tels régimes, eu égard aux articles 7 et 15 de la Charte, a souventes fois été reconnue : voir Reference Re Workers’ Compension Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; Budge v. Alberta (Workers/Workmen’s Compensation Board) (1991), 111 A.R. 228 (Cour d’appel de l’Alberta).
[37]Il ne semble pas que la Cour suprême du Canada ait à ce jour eu à décider si cette immunité de l’État valait à l’encontre de redressements recherchés en vertu de la Charte. Dans Béliveau St‑Jacques, la Cour a décidé que l’immunité valait à l’encontre de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q., ch. C-12], une disposition de nature quasi‑constitutionnelle.
L’atteinte au droit à la sécurité de la personne
[38]L’article 7 de la Charte prescrit que :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[39]Ainsi que le précise le juge Bastarache dans Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 47 et seq., le demandeur doit d’abord prouver que le droit qu’il allègue relève de l’article 7, i.e. qu’il y a eu atteinte à sa vie, à sa liberté et à sa sécurité, et ensuite que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.
[40]La sécurité de la personne—c’est cela qui nous intéresse ici—comprend l’intégrité physique et l’intégrité psychologique. Dans ce dernier cas, de dire le juge Bastarache au pargraphe 57, la sécurité de la personne se limite à la « tension psychologique grave causée par l’État ».
[41]En ce qui concerne les principes de justice fondamentale, le juge Bastarache s’est exprimé comme suit, aux paragraphes 45 et 46 :
Même si, dans certains arrêts, notre Cour a pu adhérer au point de vue que l’art. 7 de la Charte ne s’applique que dans le domaine du droit criminel, il ne fait plus aucun doute que cette disposition n’est pas limitée au contexte pénal. C’est ce que confirmait tout récemment notre Cour dans Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, où le juge en chef Lamer a affirmé que la protection de la sécurité de la personne déborde le cadre du droit criminel (au par. 58). Plus loin, il a ajouté ce qui suit (au par. 65) :
. . . l’art. 7 n’est pas limité aux affaires purement criminelles ou pénales. Dans le cours de l’administration de la justice, il existe d’autres façons par lesquelles l’État peut priver un individu du droit à la liberté et à la sécurité de la personne garanti à l’art. 7, par exemple l’internement dans un établissement psychiatrique [. . .]
L’article 7 peut déborder le cadre du droit criminel, au moins dans le cas d’un « acte gouvernemental intéressant directement le système judiciaire et l’administration de la justice » (G.(J.), au par. 66). Rien ne s’oppose à ce que cet article s’applique à une affaire en matière des droits de la personne qui, sur le plan des faits, respecte les conditions préliminaires de son application.
[42]Le concept de « principe de justice fondamen-tale » a été défini comme suit dans R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, aux paragraphes 112 et 113, par les juges Gonthier et Binnie :
Dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, le juge Lamer (plus tard juge en chef) a expliqué que les principes de justice fondamentale se trouvent dans « les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l’ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l’appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire » (p. 503). Dans l’arrêt Rodriguez, précité, le juge Sopinka a précisé davantage en quoi consistent les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 (aux p. 590‑591 et 607) :
Une simple règle de common law ne suffit pas pour former un principe de justice fondamentale. Au contraire, comme l’expression l’implique, les principes doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société. Les principes de justice fondamentale ne doivent toutefois pas être généraux au point d’être réduits à de vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral. Ils doivent pouvoir être identifiés avec une certaine précision et appliqués à diverses situations d’une manière qui engendre un résultat compréhensible. Ils doivent également, à mon avis, être des principes juridiques.
[. . .]
Si les principes de justice fondamentale ne s’appliquent pas seulement au processus, il faut se référer aux principes qui sont « fondamentaux » en ce sens qu’ils seraient généralement acceptés parmi des personnes raisonnables. [Nous soulignons.]
La condition requérant que les principes soient « généralement acceptés parmi des personnes raisonnables » accroît la légitimité du contrôle judiciaire d’une mesure de l’État et fait en sorte que les valeurs au regard desquelles la mesure de l’État est appréciée ne sont pas fondamentales « aux yeux de l’intéressé seulement » : Rodriguez, p. 607 et 590 (souligné dans l’original). En résumé, pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. [Mon soulignement.]
Dans cette affaire, la Cour a refusé de considérer comme un principe de justice fondamentale, « le principe du préjudice » en vertu duquel les hommes ne sont autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d’action de quiconque que pour assurer leur propre protection.
[43]La Cour suprême du Canada est revenue à la charge, quelques mois plus tard, dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, où elle a décidé que le principe juridique que constitue « le meilleur intérêt de l’enfant » ne constituait pas un principe de justice fondamentale (au paragraphe 8) :
La jurisprudence relative à l’art. 7 a établi qu’un « principe de justice fondamentale» doit remplir trois conditions » R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 113. Premièrement, il doit s’agir d’un principe juridique. Cette condition est utile à deux égards. D’une part, elle « donne de la substance au droit garanti par l’art. 7 »; d’autre part, elle évite « de trancher des questions de politique générale » : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 503. Deuxièmement, le principe allégué doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » : Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, p. 590‑591. Les principes de justice fondamentale sont les postulats communs qui sous‑tendent notre système de justice. Ils trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État. La société les juge essentiels à l’administration de la justice. Troisièmement, le principe allégué doit pouvoir être identifié avec précision et être appliqué aux situations de manière à produire des résultats prévisibles. Parmi les principes de justice fondamentale qui remplissent les trois conditions, il y a notamment la nécessité d’une intention coupable et de règles de droit raisonnablement claires.
[44]Puis, dans Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657, la Cour a refusé en ces termes (au paragraphe 66) de considérer comme un principe de justice fondamentale le refus de financer une thérapie :
Dans les observations écrites et les plaidoiries présentées à notre Cour, les requérants font à peine mention de l’art. 7. Ils ne précisent pas quel principe de justice fondamentale aurait été enfreint par le refus de financer la thérapie Lovaas ou toute autre thérapie ABA/ICI. Ils ne font pas non plus valoir que le refus de débloquer des fonds ou le régime législatif était arbitraire ou ne respectait pas les garanties procédurales. Faire droit à leur demande fondée sur l’art. 7 nous entraînerait au‑delà des paramètres que notre Cour a examinés dans l’arrêt R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 113 et dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, 2004 CSC 4, au par. 8. Le dossier dont nous sommes saisis en l’espèce ne justifie pas cette démarche.
[45]Dans Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, la juge en chef McLachlin, le juge Major et le juge Bastarache se sont dit d’avis que constitue un principe de justice fondamentale l’interdiction qui est faite à l’État d’adopter des règles de droit arbitraires (au paragraphe 129). Ils ont conclu qu’en l’espèce l’interdiction de souscrire à une assurance médicale privée était arbitraire. Les juges Binnie, LeBel et Fish concluent pour leur part que bien que l’article 7 puisse s’appliquer en dehors du contexte du droit criminel et de l’administration de la justice (voir Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, aux paragraphes 78 à 80; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man), [1990] 1 R.C.S. 1123, aux pages 1171 à 1174; Blencoe) il appartient au demandeur d’identifier le principe de justice fondamentale sur lequel il entend s’appuyer, cette exigence constituant « le seul mécanisme de contrôle efficace de la portée et de l’application de l’art. 7 » (paragraphe 199; souligné dans l’original). En l’espèce, concluent‑ils, l’objectif d’accès dans un délai raisonnable à des soins de santé de qualité raisonnable n’a pas de caractère juridique, il ne fait pas l’objet de consensus eu égard au sens de cet objectif et à la façon de l’atteindre et il ne peut être identifié avec précision (paragraphe 209).
Les recours de nature administrative
[46]M. Prentice aurait pu, en l’espèce, se prévaloir de différents régimes législatifs pour faire valoir ses droits :
a) la procédure de grief prévue à la partie III de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, compte tenu du fait que le demandeur invoque des causes d’action survenues dans le cadre de l’exercice de ses fonctions dans la GRC;
b) le processus prévu à la partie II du Code canadien du travail, qui oblige la GRC à protéger la santé et la sécurité de ses membres, sous peine de sanctions importantes (voir articles 124 [mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 6] et seq., 148 [mod., idem, art. 14]);
c) la procédure de plainte prévue à l’article 40 [mod. par L.C. 1995, ch. 44, art. 47; 1998, ch. 9, art. 23] de la Loi canadienne sur les droits de la personne, afin de faire valoir l’allégation de discrimination basée sur l’état de santé;
d) la procédure prévue à l’alinéa 19a) et aux articles 20 [mod. par DORS/91-177, art. 1; 94-219, art. 7; 95-535, art. 1; 97-233, art. 1], 22 et 28 [mod. par DORS/94-219, art. 10; 97-233, art. 2] du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988) portant sur la libération pour raison médicale;
e) les indemnités pour blessures ou maladies temporaires en vertu de l’article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 80; 1999 ch. 34, art. 204; 2003, ch. 26, art. 63] de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, et de l’article 4 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État;
f) les indemnités pour blessures ou maladies permanentes prévues à l’article 32 [mod. par L.C. 2000, ch. 34, art. 46] de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada.
Rien au dossier ne permet de croire que M. Prentice se soit prévalu de l’une ou l’autre de ces dispositions. Selon le paragraphe 49 de la déclaration amendée, il aurait eu recours au processus de grief, en 1998, « pour une injustice qui lui avait été commise », mais se serait fait dire de ne plus utiliser ce processus, conseil qu’il aurait suivi.
Accidents du travail et compétence de l’arbitre
[47]À l’instar du juge Binnie dans Vaughan, il m’apparaît évident qu’en dépit des termes utilisés par l’intimé dans sa déclaration, le litige ici, découle de la relation d’emploi entre l’intimé et la GRC.
[48]Une réclamation faite dans le cadre de régimes d’accident du travail permet de recouvrer toutes espèces d’indemnité, dont celles pour cause de harcèlement (voir Béliveau St‑Jacques) ou de traumatisme psychologique (voir Rees v. Canada (Royal Canadian Mounted Police) (2005), 246 Nfld. & P.E.I.R. 79 (Cour d’appel de Terre‑Neuve), ainsi que celles résultant d’aggravations survenues après la survenance de l’accident de travail (voir Kovach c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [2000] 1 R.C.S. 55; et Lindsay c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [2000] 1 R.C.S. 59.
[49]En matière de relations de travail, le modèle de la compétence exclusive de l’arbitre s’applique, dès lors que le différend opposant les parties découle, dans son essence, de l’interprétation, de l’approbation, de l’administration ou de la violation d’une convention collective (Weber, aux paragraphes 50 à 58), ou découle dans son essence d’un régime établi par la loi (Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, au paragraphe 26), ou découle dans son essence du régime établi par la Loi sur les relation de travail dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-35] (Vaughan, au paragraphe 15; Vaid, au paragraphe 93).
[50]Les tribunaux conservent toutefois leur compétence si le régime prévu par la loi n’offre pas la réparation demandée (St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, à la page 724; Weber, au paragraphe 57; Vaughan, au paragraphe 30).
[51]Il est maintenant reconnu qu’un arbitre a compétence pour appliquer la Charte au même titre que les autres lois du pays (Weber, au paragraphe 61; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College), [1990] 3 R.C.S. 570, à la page 597) :
Dans l’application du droit du pays aux litiges qui lui sont soumis, que ce soit la common law, le droit d’origine législative ou la Charte, l’arbitre peut accorder les réparations que la législature ou le Parlement l’a habilité à accorder dans les circonstances. Ainsi, un arbitre peut considérer la Charte, conclure que sont inopérantes les lois qui n’y sont pas conformes, puis accorder des réparations dans l’exercice des pouvoirs que lui confère le Code du travail [. . .] . Si un arbitre peut conclure qu’une loi porte atteinte à la Charte, il semble qu’il puisse déterminer si un comportement dans l’administration de la convention collective viole la Charte et également accorder des réparations. [Soulignement ajouté.]
[52]Ainsi que le note le juge Gonthier parlant au nom de la Cour dans Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 3 :
Les tribunaux administratifs ayant compétence—expresse ou implicite—pour trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative sont présumés avoir le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de cette disposition. Cette présomption ne peut être réfutée que par la preuve que le législateur avait manifestement l’intention de soustraire les questions relatives à la Charte à la compétence que les tribunaux administratifs possèdent à l’égard des questions de droit.
Voir, aussi Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585.
[53]Un arbitre est aussi un tribunal compétent, si sa loi habilitante l’y autorise, pour accorder des dommages‑intérêts pour une violation de la Charte, « en supposant qu’il convient d’accorder des dommages‑ intérêts dans un tel cas » (Weber, aux paragraphes 62 et 75) (voir, aussi, Boucher c. Stelco Inc., [2005] 3 R.C.S. 279, au paragraphe 29).
ANALYSE
L’article 7 de la Charte
[54]La position de l’appelante, dans cet appel, me laisse perplexe et place la Cour et l’intimé dans une situation inconfortable. S’il est si évident que le recours fondé sur l’article 7 de la Charte n’a en lui‑même aucune chance de succès parce qu’aucun principe de justice fondamentale n’aurait été identifié, comment se fait‑il que la Couronne n’en ait pas fait un des motifs de sa requête amendée en radiation? En plaidant pour la première fois cet argument au niveau de l’appel et en en faisant de surcroît son argument principal, la Couronne ne cherche‑t‑elle pas à amender de nouveau sa requête en radiation, à court‑circuiter le système et à demander à cette Cour de décider d’une question vitale pour la partie intimée sans avoir le bénéfice de motifs d’un juge de la Cour fédérale?
[55]L’alinéa 359c) des Règles exige qu’un avis de requête « précise » . . .«les motifs qui seront invoqués» et l’alinéa 364(2)e) exige un dossier de requête qui contient « les prétentions écrites du requérant ». Ces règles ont un but, qui est de s’assurer que le requérant identifie les motifs qu’il invoque avec suffisamment de précision pour que la partie adverse sache ce à quoi elle doit répondre et que la Cour sache ce qui l’attend à l’audience (si audience il y a, bien sûr) et se prépare en conséquence.
[56]La radiation d’une action par requête préliminaire est une mesure extrême et la Cour est en droit de s’attendre à ce que la partie requérante n’agisse pas à la légère et étale toutes ses armes dès le départ. La partie requérante ne devrait pas pouvoir soulever en appel un argument qu’elle n’aurait vraisemblablement pas pu soulever, faute de l’avoir plaidé, lors de l’audience en première instance. D’autant plus qu’il est difficile de soutenir qu’un juge a mal exercé sa discrétion quand la question ne lui avait même pas été soumise. Je ne dis pas que la Cour d’appel refusera systématiquement d’entendre un argument nouveau qu’invoquerait la partie requérante; elle aura toujours, je pense, la discrétion pour ce faire, mais dans le respect des droits de la partie adverse. Je dis que la partie requérante qui joue ce jeu joue avec le feu.
[57]En l’espèce, vu la conclusion à laquelle j’en arrive et qui se fonde essentiellement sur l’arrêt Dumont‑Drolet, que les parties ont chacune invoqué à leur avantage, je n’ai pas à décider si j’aurais ou non accepté de me prononcer sur le nouvel argument soulevé par l’appelante.
L’arrêt Dumont‑Drolet
[58]Le procureur de la Couronne estime, au paragraphe 42 de son mémoire, que « le présent appel a pour effet d’amener cette Cour à préciser et à circonscrire la portée de son raisonnement [relativement à la violation de l’article 7 de la Charte] dans les affaires Dumont et Drolet » et explique au paragraphe 43 que « l’appelante soutiendra que le juge des requêtes a donné au raisonnement de cette Cour dans Dumont‑ Drolet une portée juridique qu’il n’a pas ou surtout qu’il ne peut pas avoir ».
[59]Le procureur de l’intimé, pour sa part, plaide aux paragraphes 35 à 42 de son mémoire, que l’arrêt de cette Cour dans Dumont‑Drolet a établi, avec l’autorité de la chose jugée, qu’une demande en vertu de l’article 7 de la Charte ne pouvait pas être écartée par l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.
[60]Je suis d’avis que, bien compris, l’arrêt Dumont‑Drolet permet de disposer de cet appel, encore que pas nécessairement de la manière qu’espéraient l’un et l’autre des procureurs.
[61]Dans Dumont‑Drolet, les demandeurs, tous deux membres des Forces canadiennes, avaient demandé et obtenu en vertu du paragraphe 21(2) [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21] de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P‑6, que leur soit versée une pension pour invalidité résultant de leur participation à des missions de paix à l’étranger et il leur était encore possible de présenter au ministre de nouvelles demandes.
[62]Nonobstant, donc, le fait qu’ils recevaient déjà une pension d’invalidité et étaient en mesure de demander le paiement d’une autre, MM. Dumont et Drolet ont intenté une action en dommages contre la Couronne, pour des sommes respectives de 2 844 000 $ et 3 017 712 $. Les manquements allégués dans leurs déclarations sont substantiellement les mêmes que ceux allégués dans le présent dossier, avant que M. Prentice ne modifie sa déclaration, en réaction à l’arrêt Dumont‑Drolet, de manière à préciser en quoi consistait la violation alléguée de l’article 7 de la Charte. (Le procureur de MM. Dumont et Drolet est celui‑là même qui représente M. Prentice).
[63]La Couronne a présenté une requête en radiation pour le motif que les actions visent à réclamer des dommages pour invalidité causée par une blessure ou maladie ou son aggravation au cours du service militaire ou attribuable à celui‑ci (article 21 de la Loi sur les pensions), que cette invalidité donne droit à une pension et qu’en vertu de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, aucune poursuite ne peut être intentée contre la Couronne.
[64]La Couronne, de façon subsidiaire, demandait, en conformité avec le paragraphe 111(2) [mod. par L.C. 2000, ch. 34, art. 42] de la Loi sur les pensions, que si la Cour concluait que les dommages réclamés n’étaient pas visés par l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, la Cour suspende les actions « de manière à ce que le demandeur épuise les voies de recours à sa disposition afin que les organismes constitués par la Loi sur les pensions et la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (1995, ch. 18) puissent adjuger sur l’admissibilité du demandeur à une pension. »
[65]La Cour a conclu que dans la mesure où les déclarations des demandeurs avaient le même fondement factuel que la pension qu’ils recevaient ou qu’ils pourraient recevoir, les actions devaient être rayées parce qu’elles étaient interdites en vertu de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (voir le paragraphe 73 des motifs). La Cour s’appuyait sur Sarvanis.
[66]La Cour a conclu également, au même paragraphe, que même si les demandeurs invoquent la relation fiduciaire de l’État, leurs actions étaient essentiellement des actions en responsabilité civile délictuelle, et à ce titre irrecevables.
[67]La Cour, enfin, décide ce qui suit aux paragraphes 78, 79 et 80, relativement à la violation de l’article 7 de la Charte :
Les appelants n’ont aucunement précisé en quoi l’article 7 de la Charte a été violé. Dans l’éventualité toutefois où l’intimée aurait violé les droits des appelants garantis par cet article, il est loin d’être certain que l’article 9 de la Loi puisse être invoqué pour écarter une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. Il appartiendra au juge, chargé d’appliquer le paragraphe 24(1) de la Charte, d’apprécier si la pension qui pourrait éventuellement avoir été accordée constitue une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, ou s’il y a lieu d’y ajouter une autre compensation.
Vu l’incertitude, il est dans l’intérêt de la justice de suspendre les actions des appelants, mais dans la mesure seulement où elles sont basées sur l’article 7 de la Charte, et ce, jusqu’à ce que les conditions prescrites au paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions soient satisfaites.
Les appelants auront 60 jours de la date du présent jugement pour modifier leurs déclarations en conséquence.
[68]Ce que je retiens de ces propos, c’est que la Cour, en l’absence d’allégations précises lui permettant de déterminer s’il y avait violation de l’article 7 de la Charte, a permis aux demandeurs de modifier leur déclaration et a laissé le juge du procès déterminer si les conditions d’application de l’article 7 de la Charte étaient rencontrées. La Cour s’est aussi dite d’avis qu’il n’était pas manifeste et évident, au stade d’une requête en radiation, que l’immunité de la Couronne faisait obstacle à l’exercice d’un recours fondé sur l’article 7 de la Charte, laissant là aussi la décision ultime au juge du procès. Mais la Cour a aussi décidé que si le juge du procès concluait qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Charte et que la Couronne ne peut opposer son immunité à cette violation, la seule réparation convenable et juste qu’il pourrait accorder dans les circonstances en vertu de l’article 24 de la Charte, serait la différence entre la valeur du préjudice réellement subi et la valeur de l’indemnité que les demandeurs avaient ou auront reçue un fois le processus administratif complété.
Un redressement impossible
[69]Le redressement recherché, ici, soit des dommages‑intérêts compensatoires, moraux et exemplaires, est typique des recours de droit commun en responsabilité et confirme la véritable nature du recours institué par l’intimé. Dépouillé des artifices dont la déclaration amendée s’est revêtue dans la foulée de l’arrêt Dumont‑Drolet—sans doute pour échapper à l’immunité de la Couronne entérinée par la Cour eu égard aux actions en responsabilité civile—le recours de l’intimé est en réalité une action intentée par un employé contre son employeur pour réclamer des dommages‑ intérêts qu’il aurait subis dans le cadre de son emploi (voir Vaughan, au paragraphe 11).
[70]Dans la mesure où ce recours est une forme déguisée d’action en responsabilité civile contre la Couronne, il est interdit par les articles 8 et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.
[71]Dans la mesure où ce recours est une forme déguisée de réclamation fondée sur un accident de travail, il est interdit par l’article 12 de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, lequel prescrit que l’employé n’a droit qu’à l’indemnité prévue par ladite Loi.
[72]Dans la mesure où ce recours est une forme déguisée de grief ou de plainte de discrimination, il ne saurait être exercé devant la Cour fédérale. C’est aux tribunaux spécialisés mis sur pied par le législateur pour trancher ces litiges que l’intimé aurait dû ou devrait s’adresser. La présentation de griefs est prévue par la partie III de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (articles 31 et seq.) et par la partie II du Code canadien du travail (articles 124 et seq.), laquelle impose à l’employeur de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail et permet, à l’article 148, que ce dernier soit condamné à une peine d’emprisonnement et à une amende maximale de 1 000 000 $. La présentation de plaintes de discrimi-nation est prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne (voir, cependant, Vaid).
[73]Dans la mesure où ce recours est une forme déguisée de demande de pension d’invalidité, il n’a pas sa place dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts et il est régi, plutôt, par la partie II de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada.
[74]Bref, l’indemnité recherchée étant déjà recouvrable, à tout le moins en partie, en vertu de différentes lois fédérales, l’intimé ne peut réclamer, dans son action en dommages‑intérêts qu’il dit fondée sur l’article 7 de la Charte, que l’excédent qui pourrait constituer « une réparation juste et convenable » au sens de l’article 24 de la Charte.
[75]Contrairement à ce qui s’est passé dans les affai-res Dumont et Drolet où cet excédent pouvait être évalué dans l’hypothèse, laissée en suspens par la Cour, où la réclamation en vertu de l’article 7 de la Charte était fondée et pouvait faire échec à l’immunité de la Couronne, il ne serait tout simplement pas possible, ici, que le juge du procès évalue cette indemnité addition-nelle puisqu’une telle indemnité suppose une indemnité de base. En l’absence d’une indemnité de base qui n’a pas été réclamée, et encore moins évaluée, je ne vois pas comment la Cour, au procès, pourrait déterminer cette « autre compensation » (Dumont‑Drolet, paragraphe 78) à laquelle l’intimé aurait droit.
[76]Ma conclusion s’inscrit dans la foulée de ce que la Cour vient tout juste de décider dans Grenier : un demandeur qui veut poursuivre la Couronne en dommages‑intérêts pour responsabilité civile doit d’abord exercer les recours que lui offre le droit administratif. L’article 24 de la Charte n’est pas une disposition de dépannage destinée à rescaper les justiciables qui n’exercent pas les recours que les lois « ordinaires » leur permettent d’exercer. La Cour fédérale n’est pas là pour remplir le rôle que les lois attribuent aux arbitres et aux ministres. Ce n’est tout simplement pas sa fonction que de décider, sous le couvert d’une action fondée sur la Charte, du bien‑fondé d’un grief ou d’une demande de pension d’invalidité et encore moins de déterminer le montant des dommages ou de la pension que des arbitres ou des ministres auraient pu accorder s’ils avaient été saisis du dossier.
[77]Dans ces circonstances, l’action de l’intimé est incontestablement vouée à l’échec quand bien même il y aurait eu violation de l’article 7 de la Charte et quand bien même son recours en vertu de la Charte ne serait pas écarté par l’immunité de la Couronne, ce sur quoi je n’ai donc pas à me prononcer.
[78]Aussi serais‑je d’avis d’accueillir l’appel avec dépens dans les deux instances, d’infirmer le jugement de la Cour fédérale, d’accueillir la requête en radiation et de radier en totalité la déclaration modifiée de M. Prentice.
Le juge en chef Richard : Je suis d’accord.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.