A‑558‑04
2005 CAF 436
Josephine Soliven de Guzman (appelante)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)
Répertorié : de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Evans et Malone, J.C.A. —Vancouver, 24 octobre 2005; Ottawa, 20 décembre 2005.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Parrainage — Appel de la décision de la Cour fédérale de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant à faire annuler la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent des visas de délivrer des visas à ses fils en tant que membres de la catégorie du regroupement familial en se fondant sur l’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — La Cour fédérale a aussi certifié la question de savoir si l’art. 117(9)d) du Règlement est invalide ou inopérant étant donné qu’il prive l’appelante de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne, en contravention de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — L’appelante, aujourd’hui citoyenne canadienne, a menti au sujet de l’existence de ses fils lorsqu’elle a demandé le statut de résidente permanente — Ainsi, comme le prévoit l’art. 117(9)d) du Règlement, les fils de l’appelante n’appartiennent pas à la catégorie du regroupement familial parce qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle à des fins d’immigration lorsque l’appelante avait présenté sa demande de résidence permanente au Canada — L’examen de la validité de l’art. 117(9)d) du Règlement doit débuter par l’analyse des mots de la disposition habilitante de l’art. 14 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — L’art. 117(9)d) est visé par les termes larges de l’art. 14 de la LIPR, vu qu’il établit et régit la catégorie du regroupement familial en excluant de cette catégorie les personnes qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle — Aucun élément de l’art. 14 ou du régime de la LIPR n’a pour effet de réduire, de façon expresse ou implicite, la portée apparente du pouvoir de réglementation de telle sorte que l’art. 117(9)d) outrepasserait les pouvoirs que le Parlement a délégués au gouverneur en conseil — La Cour a répondu par la négative à la question certifiée.
Droit constitutionnel — Charte des droits et libertés — Vie, liberté et sécurité — Appel de la décision de la Cour fédérale de refuser la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant à faire annuler la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent des visas de délivrer des visas à ses fils en tant que membres de la catégorie du regroupement familial — L’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés viole‑t‑il l’art. 7 de la Charte en empêchant la réunification au Canada d’un parent et de son enfant — L’appelante a quitté ses enfants volontairement; sa séparation d’avec ses fils n’est pas imputable à l’application de l’art. 117(9)d) — On n’a présenté aucune preuve montrant que l’appelante souffre de stress psychologique ou d’un préjudice en raison de la séparation — Lien insuffisant entre la mesure gouvernemen-tale attaquée (l’art. 117(9)d)) et la séparation de l’appelante d’avec ses fils — L’art. 117(9)d) du Règlement n’élimine pas les autres fondements possibles de l’admission des fils de l’appelante au Canada (comme le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’art. 25 de la LIPR) — L’appelante n’a pas été privée du droit que lui garantit l’art. 7 de la Charte.
Interprétation des lois — Appel de la décision de la Cour fédérale de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant à faire annuler la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent des visas de délivrer des visas à ses fils en tant que membres de la catégorie du regroupement familial — L’appelante soutenait que l’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est incompatible avec les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire — Les instruments interna-tionaux portant sur les droits de l’homme ne l’emportent pas sur les dispositions contradictoires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — L’art. 3(3)f) de la LIPR n’a pas pour effet d’intégrer dans le droit canadien les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » — Il énonce simplement que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible avec ceux‑ci — Un instrument international ne lie légalement un État signataire que lorsque celui‑ci l’a ratifié, à moins que l’instrument ne prévoie qu’il est juridiquement contraignant dès sa signature — L’art. 3(3)f) n’exige pas que chacune des dispositions de la LIPR et du Règlement soit conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme — La LIPR doit cependant être interprétée et mise en œuvre d’une manière compatible avec les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme qui lient le Canada — L’art. 117(9)d), examiné dans le contexte de l’ensemble du régime législatif, ne rend pas la LIPR incompatible avec un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
Il s’agissait d’un appel de la décision de la Cour fédérale de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant à faire annuler la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent des visas de délivrer des visas à ses fils en tant que membres de la catégorie du regroupement familial. L’appelante, aujourd’hui citoyenne canadienne, a obtenu la résidence permanente au Canada après avoir été parrainée par sa mère à titre de fille non mariée sous le régime de l’ancienne loi sur l’immigration. Toutefois, elle a fait de fausses déclarations à son sujet lors de son établissement en disant aux agents de l’immigration qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait aucune personne à charge, sauf sa fille qui l’accompagnait. En fait, l’appelante avait deux fils qu’elle avait laissés aux Philippines avec leur père. Même si l’appelante a nié avoir été légalement mariée à un moment ou à un autre, les certificats de naissance de ses fils montrent qu’elle était mariée à leur père. Lorsque l’appelante a présenté une demande visant à parrainer ses fils, sa demande a été refusée conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, au motif qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial parce qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle à des fins d’immigration lorsque l’appelante avait présenté sa demande de résidence permanente au Canada. La Cour fédérale a conclu que l’alinéa 117(9)d) du Règlement était valide et que le rejet par la Commission de l’appel de l’appelante était fondé en droit. La Cour fédérale a certifié la question de savoir si l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est invalide ou inopérant du fait qu’il est inconstitutionnel étant donné qu’il prive l’appelante de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de sa personne d’une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les questions en litige étaient de savoir si l’alinéa 117(9)d) est autorisé par l’article 14 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), s’il est invalide en vertu de l’article 7 de la Charte et s’il est invalide parce qu’il rend la LIPR non conforme aux « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ».
Jugement : l’appel doit être rejeté.
La LIPR est une loi cadre relativement concise qui énonce les principes et politiques clés du régime législatif. Le texte de l’article 14, qui figure à la section 1 de la LIPR, confère de larges pouvoirs de réglementation au gouverneur en conseil. Comparativement à d’autres types de mesures administratives, les règlements ont rarement été jugés invalides par les cours, sauf en cas de contradiction entre le texte explicite d’une disposition habilitante et un règlement apparemment pris en application de cette disposition. L’examen de la validité de l’alinéa 117(9)d) doit débuter par l’analyse des mots de la disposition habilitante de la LIPR, l’article 14. L’alinéa 117(9)d) concerne manifestement l’application de la section 1, qui porte, notamment, sur le parrainage des membres de la catégorie du regroupement familial en vue de leur admission au Canada. Cet alinéa limite les droits de parrainage dans certains cas afin de dissuader les demandeurs de visa de faire des déclarations fausses ou incomplètes quant à des faits pertinents concernant les personnes à leur charge. L’importance de la divulgation complète des renseignements pour l’administration du régime législatif est illustrée par le fait que l’étranger dont un membre de la famille qui l’accompagne ou, dans certains cas, un membre de la famille qui ne l’accompagne pas, est interdit de territoire est également interdit de territoire. De plus, l’alinéa 117(9)d) semble être clairement visé par les termes larges du paragraphe 14(2), vu qu’il établit et régit la catégorie du regroupement familial en excluant de cette catégorie les personnes qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle. La création des sections de la LIPR ne visait pas à restreindre la portée du pouvoir de réglementation prévu dans une section en empêchant l’examen de facteurs appartenant davantage à une autre. Une interprétation de la Loi qui favorise une réglementation souple est particulière-ment souhaitable, étant donné que la LIPR est une loi cadre structurée en sections afin de présenter un texte qui est cohérent et facile à suivre. En outre, dire que la LIPR interdit d’imposer, en plus du renvoi, une autre peine (comme l’interdiction de parrainer des personnes à charge n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle à titre de membres de la catégorie du regroupement familial) à la personne qui a fait une fausse déclaration au sujet d’un fait important afin d’obtenir le droit d’entrée au Canada gênerait sérieusement l’administration du processus d’immigration. En conséquence, aucun élément de l’article 14 ou du régime de la LIPR n’a pour effet de réduire, de façon expresse ou implicite, la portée apparente du pouvoir de réglementation de telle sorte que l’alinéa 117(9)d) outrepasserait les pouvoirs que le Parlement a délégués au gouverneur en conseil.
Le paragraphe 6(1) de la Charte accorde aux citoyens canadiens le droit d’entrer et de demeurer au Canada. Les autres n’ont pas ce droit. L’appelante a obtenu la citoyenneté canadienne sur la base d’une fausse déclaration importante et s’est établie au Canada sans ses fils. Elle n’est ni une réfugiée, ni une personne à protéger. Elle n’a présenté aucun élément de preuve relatif à un préjudice spécial ou au stress psychologi-que dont elle souffre en raison de la séparation. Elle est allée voir ses fils aux Philippines, où elle aurait pu rester avec eux en permanence. Le fait que l’appelante soit séparée de deux de ses enfants depuis 12 ans n’est par conséquent pas imputable à l’application de l’alinéa 117(9)d); elle les a quittés volontairement. Il n’y avait donc pas de lien suffisant entre la mesure gouvernementale attaquée (l’alinéa 117(9)d)) et la séparation de l’appelante d’avec ses fils. L’alinéa 117(9)d) n’élimine pas les autres fondements possibles de l’admission des fils de l’appelante au Canada. Par exemple, ceux‑ci (ou l’appelante en leur nom) pourraient présenter au ministre une demande de dispense discrétionnaire de l’application de l’alinéa 117(9)d) conformément à l’article 25 de la LIPR, ou encore une demande de résidence permanente comme membres de la catégorie immigration économique. Par conséquent, l’appelante n’a pas été privée des droits à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte.
Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme ne l’emportent pas sur les dispositions contradic-toires de la LIPR. La directive de l’alinéa 3(3)f) selon laquelle « l’interprétation et la mise en œuvre de la [LIPR] doivent avoir pour effet [. . .] de se conformer aux instruments interna-tionaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » ne doit pas être interprétée comme accordant aux « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme » une priorité par rapport à la LIPR alors que ces instruments ne sont pas nommés expressément dans celle‑ci, qu’ils n’ont peut‑être pas été soumis à l’examen du Parlement et qu’ils n’existaient peut‑être même pas lors de la promulgation de la LIPR. Cependant, au moment d’arriver à sa décision, la Cour fédérale a adopté une interprétation trop restrictive de l’effet des règles de common law en plein développement lorsqu’elle a dit qu’il lui faut considérer les instruments internationaux pertinents comme un « contexte » quand elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d’immigration. L’opinion de la Cour fédérale ne tenait pas suffisamment compte du rôle accru que les règles de common law ont donné au droit international dans l’interprétation du droit interne. Cet aspect de l’évolution de la common law constitue un élément important du contexte au regard duquel l’alinéa 3(3)f) doit être interprété. L’alinéa 3(3)f) n’a pas pour effet d’intégrer dans le droit canadien les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire », mais énonce simplement que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible avec ceux‑ci. Les mots « [l]’interprétation et la mise en œuvre de la [LIPR] doivent avoir pour effet [. . .] de se conformer » sont impératifs et semblent enjoindre aux cours d’accorder aux instruments internationaux en question un rôle plus important que celui d’un élément persuasif ou contextuel en ce qui concerne l’interprétation de la LIPR. Les sources de droit international visées comprennent des instruments qui lient le Canada en droit international et d’autres qui ne le lient pas. L’alinéa 3(3)f) vise les instruments dont le Canada est signataire. Un instrument international ne lie légalement un État signataire que lorsque celui‑ci l’a ratifié, à moins que l’instrument ne prévoie qu’il est juridiquement contraignant dès sa signature. De plus, l’alinéa 3(3)f) n’exige pas que chacune des dispositions de la LIPR et du Règlement soit conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. La question est plutôt de savoir si une disposition législative attaquée, lorsqu’examinée avec d’autres, rend la LIPR non conforme à un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. La LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme qui lient le Canada. Étant donné que les seuls instruments internationaux pertinents en l’espèce sont juridiquement contraignants pour le Canada, il n’était pas nécessaire de déterminer ici l’effet de l’alinéa 3(3)f) quant aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme qui ne sont pas contraignants et dont le Canada est signataire. Cependant, la Cour (sauf le juge Malone) était encline à croire que le législateur voulait qu’ils soient utilisés comme facteurs persuasifs et contextuels pour l’interprétation et l’application de la LIPR, et non comme facteurs déterminants.
Une cour de révision devrait examiner la disposition attaquée dans le contexte de l’ensemble du régime législatif. Pour déterminer l’effet de l’alinéa 117(9)d) sur les obligations internationales du Canada, la Cour doit se demander si d’autres dispositions de la LIPR atténuent les répercussions de celui‑ci sur un droit garanti par un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. Si la disposition législative en question est un règlement et que la Cour décide que celui‑ci rend la LIPR non conforme, elle devra décider si la disposition habilitante pertinente de la LIPR autorise le gouverneur en conseil à prendre un règlement qui rend la LIPR non conforme à un instrument international contraignant qui porte sur les droits de l’homme et dont le Canada est signataire. Compte tenu de l’alinéa 3(3)f), ce n’est que si le législateur a clairement manifesté une intention contraire qu’il sera permis de conclure que le pouvoir de réglementation pouvait légalement être exercé de cette façon.
Étant donné que les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme que l’appelante invoquait créent des obligations juridiques qui lient le Canada, l’alinéa 3(3)f) fait de ces instruments des documents déterminants quant au sens de la LIPR, en l’absence d’une disposition législative indiquant expressément le contraire. Cependant, lorsqu’il est examiné dans le contexte législatif dans son ensemble, notamment l’article 25 de la LIPR, l’alinéa 117(9)d) ne rend pas la LIPR non conforme à un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de passer au second volet de l’analyse en décidant s’il y a lieu d’interpréter l’article 14 de la LIPR comme une disposition qui n’autorise pas la prise d’un règlement qui rend la LIPR non conforme à un instrument visé à l’alinéa 3(3)f). La Cour a répondu par la négative à la question certifiée.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 6(1), 7.
Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée à San José (Costa Rica), le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les Droits de l’homme, R.T.O.É.A. no 36; 1144 R.T.N.U. 123, art. 17(1).
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36.
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, art. 8.
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, art. 18.
Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3(1), 10, 16.
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2.
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29, art. 10, 18.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(2), 3(1)d), (3)f), 5(1), 12(1), 13(1), 14, 16(1), 24, 25, 40, 42, 43, 63(1), 65, 74d), 97(1)a).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 17.
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46, art. 10.
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, 25 mai 2000, AG NU rés. 54/263, annexe II.
Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, art. 2(1) « non marié », 4(1)b) (mod. par DORS/88‑286, art. 2), 9(1)a).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 117(9)d) (mod. par DORS/2004‑ 167, art. 41), (10) (édicté, idem).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); 2005 CF 1180 [2005] A.C.F. no 1448 (QL); Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76; 2004 CSC 4.
décisions différenciées :
Al‑Nashif c. Bulgarie (2003), 36 E.H.R.R. 37, 655; Sen c. Pays-Bas (2003), 36 E.H.R.R. 7, 81.
décisions examinées :
Ontario Federation of Anglers & Hunters v. Ontario (Ministry of Natural Resources) (2000), 211 D.L.R. (4th) 741; 93 C.R.R. (2d) 1; 158 O.A.C. 255 (C.A. Ont.); Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.); R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241; 2001 CSC 40; Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1341; [2003] A.C.F. no 1695 (QL).
décisions citées :
Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30.
doctrine citée
Brownlie, Ian. Principles of Public International Law, 6th ed. Oxford : Oxford University Press, 2003.
Brunnée, J. et Toope, S. « A Hesitant Embrace : Baker and the Application of International Law by Canadian Courts » in David Dyzenhaus, ed. The Unity of Public Law, Portland, Oregon : Hart Publishing, 2004.
Citoyenneté et Immigration Canada. Projet de loi C‑11 : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : Documents d’information. Document d’information 1 : Loi cadre, 2001,< http://www.cic.gc.ca/français/lipr/ c11‑docs.html>.
Graham, Randal N. Statutory Interpretation : Theory and Practice. Toronto : Emond Montgomery, 2001.
Kindred, Hugh M. et al. International Law : Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 6th ed. Toronto : Emond Montgomery, 2000.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2001.
Taggart, Michael. « From “Parliamentary Powers” to Privatization : The Chequered History of Delegated Legislation in the Twentieth Century » (2005), 55 U.T.L.J. 575.
APPEL de la décision de la Cour fédérale ([2005] 2 R.C.F. 162; 2004 CF 1276) rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelante en vue de faire annuler la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et certifiant la question de savoir si l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est invalide ou inopérant du fait qu’il viole l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Appel rejeté.
ont comparu :
Lorne Waldman, William J. Macintosh et Peter D. Larlee pour l’appelante.
R. Keith Reimer et Sandra E. Weafer pour l’intimé.
avocats inscrits au dossier :
Waldman & Associates, Toronto, William J. Macintosh & Associates, Surrey, et Larlee & Associates, Vancouver, pour l’appelante.
Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1]En 1993, Josephine Soliven de Guzman, citoyenne des Philippines, est venue vivre au Canada. Lorsqu’elle s’est adressée à l’ambassade du Canada à Manille pour obtenir son visa de résidente permanente et lorsqu’elle a été admise au Canada, elle a dit aux agents de l’immigration qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait aucune personne à sa charge, sauf sa fille, Shara Mae, qui l’accompagnait. Ce n’était pas vrai : elle avait également deux fils, Jay et Jayson, qu’elle avait laissés aux Philippines avec leur père.
[2]Huit ans plus tard, après s’être établie au Canada et avoir obtenu la citoyenneté canadienne, Mme de Guzman a présenté une demande visant à parrainer l’admission au Canada de Jay et Jayson à titre de personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial. Ils étaient alors âgés respectivement de 17 et 16 ans. Cependant, cette demande a été refusée conformé-ment à l’alinéa 117(9)d) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (Règlement), au motif qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial parce qu’ils n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle à des fins d’immigration lorsque Mme de Guzman avait présenté sa demande de résidence permanente au Canada. En conséquence, la demande présentée par Mme de Guzman afin de parrainer ses fils a été rejetée.
[3]Mme de Guzman soutient que l’alinéa 117(9)d) est invalide pour trois motifs. D’abord, il n’est pas autorisé par la disposition habilitante pertinente de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (LIPR). Deuxièmement, en empêchant la réunification au Canada d’un père ou d’une mère et de son enfant, il porte atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] reconnaît aux parents. Troisièmement, il est incompatible avec différents instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et qui protègent le droit des familles de vivre ensemble ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant.
[4]L’alinéa 117(9)d) a pour effet de priver les personnes auxquelles il s’applique du traitement favorable accordé aux personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial. La réunification des familles est un objectif de la LIPR : alinéa 3(1)d).
[5]Le parrainage d’une personne comme membre de la catégorie du regroupement familial représente la meilleure occasion de commencer une nouvelle vie au Canada pour ceux qui ne seraient peut‑être pas admissibles selon d’autres critères de sélection. L’issue du présent appel est importante non seulement pour les parties elles‑mêmes, mais aussi pour beaucoup d’autres personnes.
[6]La large étendue de l’alinéa 117(9)d) a été un peu restreinte par une modification qui a eu pour effet de ramener dans la catégorie du regroupement familial les membres de la famille qui n’accompagnaient pas le répondant et qui n’avaient pas fait l’objet d’un contrôle parce qu’un agent avait décidé qu’aucun contrôle n’était nécessaire: paragraphe 117(10), ajouté par DORS/2004‑ 167, paragraphe 41(4). Cependant, cette modification n’est pas utile à la cause de Mme de Guzman.
B. HISTORIQUE DE L’INSTANCE
[7]Mme de Guzman interjette appel devant la Cour d’appel fédérale de la décision par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La décision du juge est publiée : de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162.
[8]Dans une décision rendue le 26 septembre 2003, la Commission a rejeté l’appel que Mme de Guzman avait interjeté à l’égard du refus d’un agent des visas de délivrer des visas à ses fils à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. Se fondant sur l’alinéa 117(9)d), la Commission a décidé que, étant donné qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial, ils n’étaient pas admissibles à être parrainés par leur mère et que l’article 65 de la LIPR ne l’habilitait pas à prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire.
[9]Le juge qui a entendu la demande a conclu que la disposition réglementaire était valide et que le rejet par la Commission de l’appel de Mme de Guzman était bien fondé en droit. Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, le juge [au paragraphe 74] a certifié aux fins d’un appel la question suivante à titre de question grave de portée générale :
L’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est‑il invalide ou inopérant du fait qu’il est inconstitutionnel étant donné qu’il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d’une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l’article 7 de la Charte?
C. FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE
[10]En 1990, la mère de Josephine de Guzman a présenté une demande visant à parrainer l’admission de celle‑ci au Canada à titre de membre de la catégorie de la famille. Selon les règles de droit alors en vigueur, Mme de Guzman, qui était âgée de 32 ans, était admissible comme membre de la catégorie de la famille à titre de fille non mariée de sa répondante : Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, alinéa 4(1)b), modifié par DORS/88‑286, paragraphe 2(1). Selon le paragraphe 2(1) du Règlement de 1978, les mots « non marié(e) », par rapport à toute personne, signifient que « cette personne n’est pas mariée et ne l’a jamais été ».
[11]Mme de Guzman a déclaré sur son formulaire de demande de visa qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait pas d’enfant. Cependant, lorsqu’elle a fait l’objet d’un contrôle par un médecin aux fins de l’immigration, elle a admis qu’elle avait une fille, Shara Mae, née en 1986. Elle a modifié son formulaire de demande en conséquence. Toutefois, elle n’a pas dévoilé aux agents d’immigration l’existence de Jay, né en 1983, ni celle de Jayson, né en 1985. En conséquence, ceux‑ci n’ont pas fait l’objet d’un contrôle.
[12]Selon les certificats de naissance des garçons, leur nom de famille est Montiadora et les noms de leur père et mère sont respectivement Manuel C. Montiadora et Josephine S. de Guzman, qui se sont mariés en 1982. Le certificat de naissance de Jay a été signé par sa mère et celui de Jayson, par son père.
[13]Selon les règles de droit en vigueur lorsqu’elle a présenté sa demande d’admission au Canada, Mme de Guzman n’aurait pas été admissible à être parrainée par sa mère si elle avait été mariée à un moment ou l’autre avec M. Montiadora.
[14]En 1993, Mme de Guzman a obtenu un visa et est entrée au Canada avec Shara Mae, laissant ses fils avec leur père aux Philippines, où ils sont restés. Lorsqu’elle a été admise au Canada, Mme de Guzman a de nouveau déclaré qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait aucune personne à sa charge, exception faite de Shara Mae.
[15]En juillet 2001, Mme de Guzman a présenté une demande visant à parrainer ses fils et, en novembre 2001, elle a été informée que sa demande de parrainage avait été acceptée.
[16]Cependant, en avril 2003, Jay a reçu d’un agent des visas de l’ambassade du Canada à Manille une lettre l’informant que sa demande de visa avait été refusée. L’agent a expliqué que, selon l’alinéa 117(9)d) du Règlement, Jay n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, puisqu’il n’avait pas fait l’objet d’un contrôle lorsque sa répondante, sa mère, avait présenté une demande de visa pour elle‑même. Même si la seule lettre de refus semble avoir été envoyée à Jay, il était évident qu’elle devait aussi s’appliquer à Jayson. À la même date, Mme de Guzman a été avisée que la demande de visa de Jay avait été refusée.
D. CADRE LÉGISLATIF
[17]Les dispositions suivantes de la LIPR et du Règlement s’appliquent au présent appel :
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
117. [. . .]
(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
[. . .]
d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
[. . .]
d) de veiller à la réunification des familles au Canada;
[. . .]
(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :
[. . .]
f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
[. . .]
5. (1) Le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, prendre les règlements d’application de la présente loi et toute autre mesure d’ordre réglementaire qu’elle prévoit.
[. . .]
12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.
[. . .]
13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ».
[. . .]
14. (1) Les règlements régissent l’application de la présente section et définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés.
(2) Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont celles visées à l’article 12, et portent notamment sur :
a) les critères applicables aux diverses catégories, et les méthodes ou, le cas échéant, les grilles d’appréciation et de pondération de tout ou partie de ces critères, ainsi que les cas où l’agent peut substituer aux critères son appréciation de la capacité de l’étranger à réussir son établissement économique au Canada;
b) la demande, la délivrance et le refus de délivrance de visas et autres documents pour les étrangers et les membres de leur famille;
c) le nombre de demandes à traiter et dont il peut être disposé et celui de visas ou autres documents à accorder par an, ainsi que les mesures à prendre en cas de dépassement;
d) les conditions qui peuvent ou doivent être, quant aux résidents permanents et aux étrangers, imposées, modifiées ou levées, individuellement ou par catégorie;
e) le parrainage, les engagements, ainsi que la sanction de leur inobservation;
f) les garanties à remettre au ministre pour le respect des obligations découlant de la présente loi;
g) les affaires sur lesquelles les personnes ou organismes désignés devront ou pourront statuer ou faire des recommandations au ministre sur les étrangers ou les répondants.
[. . .]
25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger— compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché—ou l’intérêt public le justifient.
[. . .]
40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :
a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;
[. . .]
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :
a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;
[. . .]
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.
[. . .]
65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.
E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE
Question 1 : L’alinéa 117(9)d) est‑il autorisé par l’arti-cle 14 de la LIPR?
(i) Observations préliminaires : les faits
[18]D’abord, il n’est pas contesté que, si l’alinéa 117(9)d) est valide, Jay et Jayson n’appartiennent pas à la « catégorie du regroupement familial ». Par conséquent, même si Mme de Guzman est leur mère et qu’ils sont ses « enfants » pour l’application de la LIPR, elle n’a pas le droit de parrainer leur admission comme résidents permanents appartenant à la catégorie du regroupement familial.
[19]En deuxième lieu, si Mme de Guzman avait révélé l’existence de ses fils lorsqu’elle a présenté sa demande dans la catégorie de la famille à titre de fille non mariée d’une citoyenne canadienne, sa demande de visa aurait probablement été refusée. Il en est ainsi parce que, contrairement à celui de Shara Mae, les certificats de naissance de Jay et Jayson montrent que leurs père et mère étaient mariés, même si Mme de Guzman nie que M. Montiadora et elle‑même ont été légalement mariés. Pour l’application du Règlement de 1978, les personnes qui vivaient en union de fait étaient des personnes « non mariées ». La fausse déclaration de Mme de Guzman avait donc une très grande importance pour le succès de la demande de visa qu’elle avait présentée dans la catégorie de la famille à titre de fille non mariée.
[20]En troisième lieu, Mme de Guzman ne soutient pas sérieusement que ses fausses déclarations étaient innocentes. Il appert de la preuve qu’elle savait probablement qu’elle devait révéler l’existence de ses fils et comprenait que, si elle le faisait, sa demande serait vraisemblablement refusée. Il y a peut‑être lieu de préciser que, d’après le certificat de naissance de Shara Mae, dont Mme de Guzman a révélé l’existence lorsqu’elle a admis, après l’examen médical, qu’elle avait eu une enfant, le nom de famille de celle‑ci est : « de Guzman » et son père est [traduction] « inconnu »; de plus, le mot [traduction] « illégitime » figure à côté de la mention [traduction] « lieu et date du mariage des parents ».
(ii) Observations préliminaires : le droit
[21]Par souci de commodité, je cite de nouveau la disposition de la LIPR en application de laquelle l’alinéa 117(9)d) a été pris :
14. (1) Les règlements régissent l’application de la présente section et définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés.
(2) Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont celles visées à l’article 12, et portent notamment sur :
[22]Il convient dès le départ de formuler trois observations qui sont pertinentes quant à l’interprétation de cette disposition et quant au pouvoir de la Cour fédérale d’examiner la validité juridique de l’alinéa 117(9)d).
[23]D’abord, la LIPR est une « loi cadre » : voir Document d’information 1 : Loi cadre (Ottawa : Citoyenneté et Immigration Canada, 2001), en ligne : Citoyenneté et Immigration Canada <http://www.cic. gc.ca/français/lipr/c11‑docs.html>. Cela signifie que la Loi énonce les principes et politiques clés du régime législatif et que, eu égard à la complexité et à la vaste étendue du sujet, elle est relativement concise. Les politiques et principes secondaires, la mise en œuvre des politiques et principes clés, y compris les exemptions, et les détails opérationnels cruciaux sont prescrits dans des règlements, qui peuvent être modifiés assez rapidement lorsque de nouveaux problèmes et d’autres changements se présentent. Les lois cadres prévoient donc la délégation d’une partie importante de la compétence législative.
[24]En deuxième lieu, le texte de l’article 14 confère à première vue de larges pouvoirs de réglementation, que le gouverneur en conseil peut exercer en vertu du paragraphe 5(1).
[25]En troisième lieu, comparativement à d’autres types de mesures administratives, les règlements ont rarement été jugés invalides par les cours, en partie sans doute en raison des larges délégations de pouvoir dont ils découlent bien souvent. Voir Michael Taggart, « From “Parliamentary Powers” to Privatization : The Chequered History of Delegated Legislation in the Twentieth Century » (2005), 55 U.T.L.J. 575, aux pages 621_à 623.
[26]En cas de contradiction entre le texte explicite d’une disposition habilitante et un règlement apparem-ment pris en application de cette disposition, il se peut que le règlement soit jugé invalide. Dans les autres cas, les cours font preuve d’une grande prudence lorsqu’ils examinent un règlement pris par le gouverneur (ou lieutenant‑gouverneur) en conseil. La juge Abella (maintenant juge de la Cour suprême du Canada) a très bien décrit cette attitude dans Ontario Federation of Anglers & Hunters v. Ontario (Ministry of Natural Resources) (2002), 211 D.L.R. (4th) 741 (C.A. Ont.), aux paragraphes 36 à 41, où elle a cité avec approbation (au paragraphe 37) l’extrait suivant des motifs du juge Linden dans Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.), à la page 260 :
Le fait d’avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c’est seulement lorsqu’une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu’elle est contestable. Il n’incombe pas au tribunal de juger si une décision est [traduction] « sage ou ne l’est pas ». (Voir Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. 1re inst.), à la page 46, le juge MacKay.) Étant donné que ces questions portent sur des « jugements de valeur », notre Cour ne doit pas « [siéger] à titre d’organisme d’appel en vue de déterminer si le ministère responsable a pris la bonne décision » [. . .]
Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Organisation nationale anti‑pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684, à la page 707, « Même si l’on devait présumer que le gouverneur en conseil visait une double fin (l’une conforme à son mandat . . . et l’autre excédant son mandat . . . ) je doute que cela servirait la cause des intimés ». Car, comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, « Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d’ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt ». (Voir Thorne’s Hardware Ltd. [c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106], aux pages 112 et 113.)
(iii) Facteurs non pertinents : jusqu’à quel point les sections de la LIPR sont‑elles étanches?
[27]À l’audition de l’appel, l’avocat de Mme de Guzman a admis la grande portée des pouvoirs délégués par l’article 14. Il a soutenu principalement que l’alinéa 117(9)d) était invalide, parce que le gouverneur en conseil avait tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu’il l’avait pris. Selon l’avocat, étant donné que chaque section de la LIPR comporte sa propre disposition relative à la réglementation, le législateur doit nécessairement avoir voulu que les pouvoirs de réglementation énoncés dans une section ne puissent être exercés qu’aux fins de cette section.
[28]L’article 14 fait partie de la section 1, qui est intitulée « Formalités préalables à l’entrée et sélection ». Cependant, l’avocat de Mme de Guzman a fait valoir que, lorsqu’il a pris l’alinéa 117(9)d), le gouverneur en conseil a tenu compte de la nécessité de dissuader les demandeurs de visas de fournir des renseignements inexacts aux agents d’immigration et, de ce fait, de promouvoir la saine administration du régime. Selon lui, ces considérations n’ont rien à voir avec l’objet de la section 1 et concernent d’autres sections de la LIPR.
[29]L’avocat s’est attardé, notamment, à la « Section 4 – Interdictions de territoire », qui porte expressément sur les fausses déclarations et leurs conséquences. Ainsi, le paragraphe 40(1) de la section 4 énonce qu’une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait emporte interdiction de territoire, ainsi que le fait d’être ou d’avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations. L’avocat ajoute que, selon le paragraphe 40(2), l’interdiction de territoire pour fausses déclarations au titre du paragraphe 40(1) court pour les deux ans suivant la décision la constatant, si la personne concernée n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi. De plus, l’article 43 permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements régissant « l’application de la présente section », c’est‑à‑dire la section 4.
[30]Bref, l’appelant fait valoir que les considérations pouvant être prises en compte dans l’exercice des pouvoirs de réglementation prévus dans les différentes sections de la LIPR s’excluent mutuellement. Je ne puis souscrire à cet argument, si ingénieux soit‑il.
[31]D’abord, l’examen de la validité de l’alinéa 117(9)d) doit débuter par l’analyse des mots de la disposition habilitante de la LIPR, l’article 14. Le libellé du paragraphe 14(1) est semblable à celui des dispositions énoncées dans d’autres sections de la LIPR au sujet de la réglementation, dont l’article 43, qui se trouve à la section 4 : « [l]es règlements régissent l’application de la présente section » [non souligné dans l’original].
[32]L’alinéa 117(9)d) concerne manifestement l’application de la section 1, qui porte, notamment, sur le parrainage des membres de la catégorie du regroupement familial en vue de leur admission au Canada. L’alinéa 117(9)d) limite les droits de parrainage dans certains cas afin de dissuader les demandeurs de visa de faire des déclarations fausses ou incomplètes quant à des faits pertinents concernant les personnes à leur charge. Il encourage donc ces demandeurs à répondre véridiquement aux questions qui leur sont posées, comme l’exige le paragraphe 16(1) faute de quoi les agents d’immigration ne peuvent évaluer correcte-ment une demande en obtenant un tableau complet de la situation familiale du demandeur, entre autres choses.
[33]L’importance de la divulgation complète des renseignements pour l’administration du régime législa-tif est illustrée par le fait que l’étranger dont un membre de la famille qui l’accompagne ou, dans certains cas, un membre de la famille qui ne l’accompagne pas, est interdit de territoire est également interdit de territoire : article 42 de la LIPR. Une disposition semblable était en vigueur lorsque Mme de Guzman a demandé un visa : alinéa 9(1)a) du Règlement sur l’immigration de 1978.
[34]De plus, le paragraphe 14(2) de la LIPR énonce que les règlements pris en application de cette disposition « établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont » la catégorie du regroupement familial. Les règlements pris en application du paragraphe 14(2) peuvent également porter sur « e) le parrainage ». Encore là, l’alinéa 117(9)d) semble être clairement visé par ces termes larges. Il établit et régit la catégorie du regroupement familial en excluant de cette catégorie les personnes qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle.
[35]En deuxième lieu, je ne crois pas que le législateur a accordé à la structure de la LIPR l’importance que l’avocat de Mme de Guzman lui attribue. Ce dernier ne connaissait aucun élément de l’évolution de la LIPR donnant à entendre que la création des sections de celle‑ci visait à restreindre la portée apparemment étendue du pouvoir de réglemen-tation prévu dans une section en empêchant l’examen de facteurs appartenant davantage à une autre.
[36]À mon avis, le lien entre un règlement et l’objet de la section à laquelle il se rapporte se trouve dans les dispositions de la LIPR qui énoncent que les règlements régissent l’application de la section dont la disposition habilitante fait partie. Aucun élément de la LIPR ne permet de sous‑entendre l’existence dans celle‑ci d’une exigence supplémentaire selon laquelle les règlements régissant l’application d’une section ne peuvent prendre en compte des facteurs qui concernent également une autre section.
[37]Ainsi, le ministre peut décider que, étant donné que Mme de Guzman est au Canada depuis plus de 10 ans, il serait excessif et trop coûteux d’engager une procédure fondée sur l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29, afin de faire révoquer sa citoyenneté dans le but de prendre une mesure de renvoi contre elle au motif qu’elle est interdite de territoire pour fausses déclarations au titre du paragraphe 40(1). Cependant, il n’est guère surprenant de conclure que le législateur a également autorisé une autre sanction moins lourde dans les cas de fausses déclarations, soit l’inadmissibilité à parrainer les personnes à charge n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle à titre de membres de la catégorie du regroupement familial.
[38]À mon avis, dire que la LIPR interdit d’imposer, en plus du renvoi, une autre peine à la personne qui a fait une fausse déclaration au sujet d’un fait important afin d’obtenir le droit d’entrer au Canada gênerait sérieusement l’administration du processus d’immigra-tion. De plus, dire qu’il est interdit, lors de la prise d’un règlement en application de l’article 14, de tenir compte des fausses déclarations faites par les demandeurs de visa qui nuisent à l’intégrité du régime législatif au motif que la section 4 comporte des dispositions explicites au sujet des fausses déclarations, donnerait lieu à une rigidité administrative démesurée.
[39]Une interprétation de la Loi qui favorise une réglementation souple est particulièrement souhaitable, étant donné que la LIPR est une « loi cadre ». L’hypothèse selon laquelle la LIPR a été structurée en sections afin de présenter un texte qui est cohérent et relativement facile à suivre est plus plausible que l’allégation de l’avocat selon laquelle cette structure a pour but de diviser la Loi en compartiments étanches : voir Document d’information 1 : Loi cadre, cité au paragraphe 23 des présents motifs.
[40]L’avocat souligne que l’alinéa 117(9)d) empêche une personne de parrainer à quelque moment que ce soit un étranger comme membre de la catégorie du regroupement familial, tandis que l’alinéa 40(2)a) prévoit qu’une personne renvoyée pour fausses déclarations conformément à l’article 40 n’est interdite de territoire que pour une période de deux ans. L’avocat semble prétendre que, étant donné que le législateur a imposé expressément une période d’interdiction de territoire de deux ans seulement pour fausses déclara-tions, il n’a certainement pas autorisé implicitement qu’un règlement pris en application d’une autre section donne lieu à une interdiction de parrainage à vie pour la même conduite.
[41]Pour les motifs que j’ai déjà exposés, je ne considère pas le renvoi comme la seule sanction pour fausses déclarations qui soit compatible avec le régime créé par la LIPR. De plus, de façon générale, le renvoi est une sanction plus lourde que l’incapacité de parrainer une personne comme membre de la catégorie du regroupement familial, étant donné, surtout, que le parrainage n’est peut‑être pas la seule solution à laquelle l’étranger a accès pour venir au Canada. Par ailleurs, même si la période d’interdiction de territoire pour fausses déclarations n’est que de deux ans, les personnes qui désirent revenir au Canada après cette période doivent demander un visa et démontrer qu’elles satisfont aux critères de sélection. Il n’y a pas de droit de retour automatique après deux ans.
(iv) Un droit de parrainer les enfants en vertu de la loi
[42]L’avocat a fait valoir que le paragraphe 13(1) de la LIPR accorde aux citoyens canadiens comme Mme de Guzman le droit « substantiel » de parrainer leurs enfants comme membres de la catégorie du regroupement familial, un droit que l’alinéa 117(9)d) leur retire. Selon cet argument, en l’absence d’un texte explicite en ce sens, l’article 14 ne devrait pas être interprété comme une disposition autorisant le gouverneur en conseil à prendre un règlement qui retire un droit accordé par la LIPR.
[43]Je ne suis pas d’accord. D’abord, compte tenu du pouvoir législatif étendu délégué par l’article 14 et du fait que la LIPR est une loi cadre, on ne peut soutenir que les règlements ne peuvent concerner que des questions « non substantielles ». Par conséquent, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible de prendre des règlements afin de créer des exceptions aux politiques de la Loi. En deuxième lieu, le droit de parrainer des membres de la catégorie du regroupement familial en vertu du paragraphe 13(1) est expressément accordé « sous réserve des règlements ». En troisième lieu, l’idée selon laquelle l’alinéa 117(9)d) prive Mme de Guzman d’un droit créé par la loi est affaiblie davantage par le fait que l’expression « catégorie du regroupement familial » n’est pas définie dans la LIPR et que le paragraphe 14(2) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements qui « établissent et régissent » la catégorie du regroupement familial et le parrainage.
(v) Conclusion
[44]En résumé, je ne puis trouver aucun élément de l’article 14 ou du régime de la LIPR qui a pour effet de réduire, de façon expresse ou implicite, la portée apparente du pouvoir de réglementation de telle sorte que l’alinéa 117(9)d) outrepasserait les pouvoirs que le Parlement a délégués au gouverneur en conseil.
Question 2 : L’alinéa 117(9)d) est‑il invalide en vertu de l’article 7 de la Charte au motif qu’il porte atteinte au droit à la liberté ou à la sécurité de la personne d’une façon non conforme aux principes de justice fondamentale?
[45]Le paragraphe 6(1) de la Charte accorde aux citoyens canadiens le droit d’entrer et de demeurer au Canada. Les autres n’ont pas ce droit : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733. La Cour suprême du Canada a récemment affirmé que l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut à elle seule porter atteinte aux droits constitutionnels à la liberté et à la sécurité de la personne : Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46.
[46]Néanmoins, l’avocat soutient qu’en empêchant Mme de Guzman de parrainer ses fils et en la tenant éloignée d’eux, l’alinéa 117(9)d) la prive de son droit à la liberté, parce qu’il limite le droit qu’elle a de faire des choix personnels fondamentaux. Il la prive également du droit à la sécurité de la personne en l’exposant au stress psychologique découlant du fait d’être séparé des membres de la famille proche. En réponse à l’objection selon laquelle cet argument accorde en réalité aux fils de Mme de Guzman le droit constitutionnel d’entrer au Canada, l’avocat fait valoir que le droit de ceux‑ci n’est qu’accessoire à celui de leur mère, au sens où il n’est accordé que pour donner effet au droit constitutionnel de la mère d’être réunie avec ses fils au Canada.
[47]Je ne puis souscrire à cet argument. Si, comme l’avocat le soutient, la question de l’application de l’article 7 [de la Charte] dépend des répercussions de l’alinéa 117(9)d) sur la personne concernée, les faits de la présente affaire ne sont guère favorables à sa cliente. Mme de Guzman a établi une résidence permanente au Canada et a subséquemment obtenu la citoyenneté canadienne sur la base d’une fausse déclaration importante. Après être entrée au Canada sans ses fils afin d’avoir une meilleure vie pour sa fille et pour elle‑même, elle a présenté une demande visant à les parrainer quelque huit ans après les avoir laissés aux Philippines avec leur père. Elle n’a présenté aucun élément de preuve relatif à un préjudice spécial ou au stress psychologique dont elle souffre en raison de la séparation. Elle est allée voir ses fils de temps à autre aux Philippines, où elle aurait pu rester avec eux en permanence. Elle n’est ni une réfugiée, ni une personne à protéger.
[48]Le fondement juridique de sa demande n’est pas plus solide. En plus de rappeler les principes fondamentaux de droit constitutionnel décrits plus haut au paragraphe 45, il convient de souligner que le fait que Mme de Guzman soit séparée de deux de ses enfants depuis 12 ans maintenant n’est pas imputable à l’application de l’alinéa 117(9)d). Elle a quitté ses enfants volontairement, même si elle l’a fait pour s’établir dans un pays où, selon elle, ses perspectives d’avenir étaient meilleures qu’aux Philippines. Il n’y a donc pas de lien suffisant entre la mesure gouvernementale attaquée (l’alinéa 117(9)d)) et la séparation de Mme de Guzman d’avec ses fils. En résumé, Mme de Guzman n’a pas prouvé qu’elle est la victime de la « tension psychologique grave causée par l’État » (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la page 56, le juge en chef Dickson) à laquelle l’article 7 s’applique.
[49]L’alinéa 117(9)d) n’élimine pas non plus les autres fondements possibles de l’admission des fils de Mme de Guzman au Canada. Plus précisément, ceux‑ci pourraient présenter au ministre une demande de dispense discrétionnaire de l’application de l’alinéa 117(9)d) conformément à l’article 25 de la LIPR, ou encore une demande de résidence permanente. Le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire de façon favorable s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au demandeur, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, ou l’intérêt public le justifient. Le paragraphe 24(1) confère également au ministre un large pouvoir discrétionnaire qui l’autorise à délivrer un permis de séjour temporaire lorsqu’il estime que les circonstances le justifient. De plus, les fils, qui sont maintenant de jeunes adultes, peuvent toujours demander des visas pour venir au Canada comme membres de la catégorie « immigration économique ».
[50]L’avocat souligne que la demande prévue à l’article 25 peut être présentée par les fils et non par Mme de Guzman et qu’elle est axée sur les circonstances d’ordre humanitaire relatives aux fils en question et non à leur mère. C’est pourquoi, dit‑il, le pouvoir discrétionnaire dont le ministre dispose en vertu de l’article 25 ne peut protéger adéquatement le droit de Mme de Guzman d’exiger la réunification de la famille.
[51]Je ne suis pas d’accord. Mme de Guzman aurait pu présenter une demande fondée sur l’article 25 pour le compte de ses fils. Elle aurait pu invoquer le préjudice dont ils souffrent du fait d’être séparés de leur mère. Il n’est pas réaliste dans ce contexte de faire une distinction trop tranchée entre le préjudice causé à la mère par suite de la séparation et celui dont ses fils souffrent, étant donné, surtout, que « l’intérêt public » peut également être pris en compte.
[52]Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que Mme de Guzman a été privée des droits constitution-nels à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’alinéa 117(9)d) est conforme aux principes de justice fondamentale ou s’il est sauvegardé par l’article premier.
Question 3 : L’alinéa 117(9)d) est‑il invalide parce qu’il rend la LIPR non conforme aux « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire »?
[53]Le juge qui a entendu la demande a déclaré (au paragraphe 53) que l’alinéa 3(3)f) de la LIPR codifie simplement le principe fondamental d’interprétation législative en common law selon lequel les lois sont présumées refléter les valeurs contenues dans les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. Il a conclu que les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont il est fait mention à l’alinéa 3(3)f) n’ont pas été incorporés dans le droit interne, n’« outrepassent [pas] les termes simples d’une loi », et pourraient simplement être considérées comme un « contexte » pour dissiper des ambiguïtés dans la LIPR. Il a ajouté que l’alinéa 117(9)d) du Règlement était « simple, clair et sans ambiguïté », de sorte qu’il ne laissait pas de place au droit international en l’espèce, même comme outil d’interprétation.
(i) Le statut juridique des « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme » en vertu de la LIPR
a) Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme l’emportent‑ils sur les disposi-tions contradictoires de la LIPR?
[54]L’avocat de Mme de Guzman a fait valoir que le juge a commis une erreur en décidant que la directive de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR selon laquelle « [l]’interpréta-tion et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet […] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » [non souligné dans l’original] codifie simplement la common law. De l’avis de l’avocat, l’alinéa 3(3)f) accorde plutôt une priorité à ces instruments internationaux, qui l’emportent par consé-quent sur toute autre disposition incompatible de la LIPR ou du Règlement.
[55]À l’appui de son interprétation des mots « [l]’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet », l’avocat a invoqué l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, dont voici le libellé :
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme [. . .] [Non souligné dans l’original.]
Dans R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282, aux pages 293 et 294, le juge Ritchie a rejeté l’opinion selon laquelle l’article 2 n’était qu’une simple règle d’interprétation et que les lois qui étaient manifestement incompatibles avec l’un des droits énumérés à la Déclaration canadienne des droits continuaient néanmoins à s’appliquer.
[56]À mon avis, l’alinéa 3(3)f) ne peut donner lieu à de telles conséquences. Si le législateur avait voulu accorder la priorité à ces instruments internationaux par rapport à la LIPR, il l’aurait probablement dit de façon explicite.
[57]Il convient de comparer l’alinéa 3(3)f) avec, par exemple, le texte précis de l’alinéa 97(1)a), selon lequel une personne à protéger est une personne qui serait exposée, par son renvoi, au risque d’être soumise à la torture « au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ». Ce type de disposition législative élimine la possibilité d’une contradiction entre une disposition précise de la LIPR et la Convention [Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36] en précisant qu’une expression de la LIPR a le même sens que celui qui lui est donné dans la Convention, que le Canada a signée et ratifiée. L’alinéa 97(1)a) n’aurait pas été nécessaire non plus si, comme l’avocat l’a soutenu, l’alinéa 3(3)f) avait pour effet d’accorder la priorité aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est le signataire en cas de non‑conformité de la LIPR avec ceux‑ci.
[58]Conclure sur le fondement de l’alinéa 3(3)f) que les dispositions de la LIPR, que le Parlement a examinées et approuvées, sont remplacées par un texte juridique international contradictoire ne respecte pas le processus législatif canadien. La LIPR ne comporte pas la liste des mesures visées à l’alinéa 3(3)f), et encore moins le texte de celles‑ci. Le sens de l’expression « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » est loin d’être évident. L’avocat est même allé jusqu’à prétendre que l’alinéa 3(3)f) est suffisamment ouvert pour viser les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme » que le Canada a signés après l’entrée en vigueur de la LIPR.
[59]À mon avis, l’arrêt Drybones n’appuie pas l’argument de l’avocat. L’interprétation que la Cour suprême du Canada a donnée dans ce jugement aux mots « doit s’interpréter et s’appliquer » était influencée par les mots suivants de l’article 2 : « à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits ». Selon ce que la Cour a dit, ces mots n’auraient pas été nécessaires si l’article 2 n’avait pas eu pour effet par ailleurs de veiller à ce que la Déclaration canadienne des droits l’emporte sur les textes de loi incompatibles.
[60]De plus, conclure que le législateur voulait donner préséance à une loi qui reconnaît des droits civils essentiels sur une autre qui va à l’encontre de ces droits est une chose. Cependant, interpréter l’alinéa 3(3)f) comme une disposition qui accorde aux « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme » une priorité par rapport à la LIPR alors que ces instruments ne sont pas nommés expressément dans celle‑ci, qu’ils n’ont peut‑être pas été soumis à l’examen du Parlement et qu’ils n’existaient peut‑être même pas lors de la promulgation de la LIPR en est une autre.
b) « Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » comme normes d’interprétation
1. La common law, la Charte et le droit international en matière de droits de la personne
[61]Comme je viens de le dire, l’avocat de Mme de Guzman est allé trop loin en soutenant que l’alinéa 3(3)f) donne préséance aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme par rapport aux dispositions incompatibles de la LIPR. Cependant, à mon humble avis, le juge qui a entendu la demande a adopté une interprétation trop restrictive de l’effet des règles de common law en plein développement lorsqu’il a dit (au paragraphe 53) que l’alinéa 3(3)f) exige simplement que la Cour fédérale considère les instru-ments internationaux pertinents en l’espèce comme « un “contexte” lorsqu’elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d’immigration ».
[62]L’opinion du juge qui a entendu la demande ne tient pas suffisamment compte du rôle accru que les règles de common law ont donné au droit international dans l’interprétation du droit interne, ce qui est l’un des développements juridiques marquants des 15 dernières années : voir, de façon générale, Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002), chapitre 16. À mon avis, cet aspect de l’évolution de la common law constitue un élément important du contexte au regard duquel l’alinéa 3(3)f) doit être interprété.
[63]L’ancienne perception de la relation entre les obligations juridiques internationales et les lois a été décrite dans Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, à la page 173. Dans ce jugement, la Cour suprême du Canada a décidé qu’une convention internationale à laquelle le Canada était partie ne donnait pas naissance à des droits et obligations opposables devant les cours canadiennes, parce que le Parlement ne l’avait pas mise en œuvre. Selon la Cour suprême, si la convention avait été mise en œuvre, elle serait pertinente quant à l’interprétation de la loi de mise en œuvre, mais uniquement pour résoudre une ambiguïté manifeste que celle‑ci comporte.
[64]Dans National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, la Cour suprême du Canada est allée un peu plus loin en ce qui concerne l’effet à donner au droit international en rejetant l’opinion selon laquelle, lorsqu’un traité a été mis en œuvre par une loi, une cour peut avoir recours au traité uniquement pour résoudre une ambiguïté manifeste que renferme le texte de loi. Ainsi, le juge Gonthier a affirmé (à la page 1371) :
[. . .] il est raisonnable de se référer à une convention interna-tionale dès l’ouverture de l’enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût‑elle latente. L’assertion de la Cour d’appel que le recours à un traité international n’est permis que dans un cas où la disposition de la loi nationale est ambiguë à première vue est à écarter.
[65]Le juge en chef Dickson a ouvert la porte à une utilisation beaucoup plus libérale du droit international dans l’interprétation du droit interne canadien lorsqu’il a dit qu’il y avait lieu d’utiliser l’ensemble naissant de règles de droit international en matière de droits de la personne pour interpréter la Charte, même si le Parlement n’avait pas mis ces règles en œuvre.
[66]Ainsi, dans les motifs dissidents qu’il a rédigés dans Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, il a dit ce qui suit (à la page 349) au sujet des conventions internationales en matière de droits de la personne qui lient légalement le Canada :
. . . il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu’offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne.
De plus (à la page 348), il a considéré « [l]es diverses sources du droit international des droits de la personne—les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumière » comme « des sources pertinentes et persuasives » quand il s’agit d’interpréter la Charte. Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1056, la majorité de la Cour suprême du Canada a cité avec approbation l’extrait qui précède.
[67]Plus récemment, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 69 à 71, la juge L’Heureux‑Dubé, qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada sur cette question, a appuyé l’utilisation du droit international pour interpréter une disposition législative comme une disposition qui oblige les agents d’immigration à accorder une grande importance à l’intérêt supérieur des enfants touchés lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire d’autori-ser, pour des motifs d’ordre humanitaire, qu’une demande d’établissement soit présentée depuis l’intérieur du Canada.
[68]Ainsi, elle a dit (au paragraphe 70) que, même si elles ne sont pas mises en œuvre par le Parlement, « [l]es valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». De même, dans 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, au paragraphe 30, la Cour suprême du Canada a souligné qu’interpréter une disposition législative habilitante comme une disposition autorisant la ville à prendre un règlement attaqué « correspond aux principes de droit et de politique internationaux ».
[69]Ces efforts judiciaires en vue d’accroître le rôle du droit international dans l’application du droit interne sont analysés dans l’article de Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, « A Hesitant Embrace : Baker and the Application of International Law by Canadian Courts », dans David Dyzenhaus, éd., The Unity of Public Law (Portland, Oregon : Hart Publishing, 2004) (Brunnée et Toope), à la page 357. Les auteurs font valoir que les cours n’ont pas toujours expliqué clairement l’influence que le droit international devrait avoir dans l’interprétation des lois internes. Dans certains cas, il est considéré simplement comme un élément persuasif ou comme un élément faisant partie du contexte alors que, dans d’autres, il est présumé être déterminant, à moins que le texte législatif ne soit tout à fait incompatible avec la règle de droit international en cause.
[70]Afin de clarifier l’analyse menée dans la jurisprudence nationale en constante évolution, les auteurs soulignent (à la page 367) qu’il y a lieu de présumer que le Parlement ne légifère pas de façon à déroger aux normes de droit international qui lient le Canada. En revanche, il n’y a pas lieu d’accorder la même importance aux autres normes juridiques internationales, lesquelles devraient plutôt être considérées comme un élément persuasif ou comme un élément faisant partie du contexte, sans plus : Brunnée et Toope, aux pages 383 et 384.
2. La portée de l’alinéa 3(3)f)
[71]L’interprétation de l’alinéa 3(3)f) a été examinée dans d’autres décisions de la Cour fédérale, dont deux revêtent un intérêt particulier. Dans Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1341, au paragraphe 13, la juge Simpson s’est exprimée comme suit :
L’alinéa 3(3)f) de la LIPR a incorporé la Convention [relative aux droits de l’enfant] dans notre droit interne dans la mesure où la LIPR doit être interprétée et appliquée d’une façon qui soit compatible avec la Convention.
[72]Toutefois, dans Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, au paragraphe 28, le juge de Montigny a souligné que, « nonobstant la confusion qui peut exister parce qu’elle a utilisé le terme “incorporé” », la juge Simpson n’a pas dit, dans l’affaire Martinez, que l’alinéa 3(3)f) avait le même effet qu’une loi mettant en œuvre un instrument de droit international en faisant de celui‑ci une loi canadienne. Selon le juge de Montigny, la juge Simpson était d’avis que l’alinéa 3(3)f) avait « incorporé » la Convention dans notre droit interne uniquement dans la mesure où il exigeait que la LIPR soit interprétée et appliquée d’une façon compatible avec les instruments internationaux pertinents.
[73]Je conviens avec le juge de Montigny que l’alinéa 3(3)f) n’a pas pour effet d’intégrer dans le droit canadien les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire », mais énonce simplement que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible avec ceux‑ci.
[74]J’examine maintenant la portée de l’alinéa 3(3)f) à la lumière des règles assez récentes de la common law et du droit constitutionnel concernant l’utilisation à des fins d’interprétation du droit international en matière de droits de la personne.
[75]D’abord, les mots « [l]’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet […] de se conformer » sont impératifs et semblent enjoindre aux cours d’accorder aux instruments internationaux en question un rôle plus important que celui d’un élément persuasif ou contextuel en ce qui concerne l’interpré-tation de la LIPR. En précisant que l’interpré-tation et la mise en œuvre de la LIPR « doivent » avoir pour effet de se conformer aux instruments prescrits, l’alinéa 3(3)f), interprété littéralement, confère à ceux‑ci un caractère déterminant quant au sens de la LIPR, en l’absence d’une disposition législative prévoyant clairement le contraire.
[76]En deuxième lieu, les sources de droit international visées à l’alinéa 3(3)f) comprennent des instruments qui lient le Canada en droit international et d’autres qui ne le lient pas. Cet alinéa vise les instruments dont le Canada est signataire. Un instrument international ne lie légalement un État signataire que lorsque celui‑ci l’a ratifié, à moins que l’instrument ne prévoie qu’il est juridiquement contraignant dès sa signature. La signature atteste normalement l’intention du signataire d’être lié pour l’avenir, bien qu’elle puisse également lui imposer l’obligation immédiate de s’abstenir de prendre des mesures susceptibles de miner l’accord. Voir Ian Brownlie, Principles of Public International Law, 6e éd. (Oxford : Oxford University Press, 2003), aux pages 582 et 583; Hugh M. Kindred et al., International Law : Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, 6e éd. (Toronto : Emond Montgomery, 2000), aux pages 102 et 103; Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, article 18.
[77]Ainsi, le 10 novembre 2001, le Canada a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente des enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, 25 mai 2000, AG NU rés. 54/263, annexe II. Cependant, le Canada n’a ratifié le Protocole que le 14 septembre 2005. Néanmoins, l’alinéa 3(3)f) s’est appliqué dès que le Canada l’a signé et exigeait que la LIPR soit interprétée et mise en œuvre d’une façon conforme à ce Protocole, même avant qu’il ne devienne juridiquement contraignant pour le Canada.
[78]En troisième lieu, l’expression « instrumen[t] internationa[l] portant sur les droits de l’homme » n’est pas définie dans la LIPR et pourrait viser un vaste éventail de sources de normes internationales en matière de droits de la personne dont le caractère impératif et le degré de spécificité ne sont pas nécessairement les mêmes. Cependant, la portée de cette expression est limitée par le fait que l’alinéa 3(3)f) vise uniquement les instruments dont « le Canada est signataire ».
[79]Un examen de la liste d’instruments figurant sur le site Web du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCNUDH), http://www.ohchr. org/french/law/, peut donner une bonne idée de l’éventail possible d’instruments visés à l’alinéa 3(3)f). Ainsi, sept traités figurent sous la rubrique [traduction] « Principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et leurs organismes de surveillance ». Le Canada est signataire et partie à six de ces instruments; il y en a un qu’il n’a pas signé.
[80]Le site Web renferme également une liste plus longue, mais non exhaustive et plus diversifiée d’[traduction] « Instruments universels relatifs aux droits de l’homme ». Selon le site, les déclarations, principes, directives, règles et recommandations ne sont pas juridiquement contraignants. En tout état de cause, seuls les instruments « dont le Canada est signataire » sont visés à l’alinéa 3(3)f). Les instruments multilatéraux régionaux portant sur les droits de l’homme, comme la Convention américaine relative aux droits de l’homme [adoptée à San José, (Costa Rica), le 22 novembre 1969 à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les Droits de l’homme, R.T.O.É.A. no 36; 1144 R.T.N.U. 123], ne sont pas mentionnés dans le site Web du HCNUDH, mais pourraient être visés à l’alinéa 3(3)f).
[81]En quatrième lieu, l’alinéa 3(3)f) concerne l’interprétation et la mise en œuvre de « la présente loi », qui, selon le paragraphe 2(2), comprend également les règlements pris sous son régime. À mon avis, l’alinéa 3(3)f) n’exige pas que chacune des dispositions de la LIPR et du Règlement, examinée de façon isolée, soit conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. La question est plutôt de savoir si une disposition législative attaquée, lorsqu’examinée avec d’autres, rend la LIPR non conforme à un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
3. Conclusions
[82]À la lumière de l’analyse qui précède, j’estime que l’alinéa 3(3)f) attribue aux « instruments internatio-naux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » un rôle qui ne se limite pas à celui d’une source d’interprétation contextuelle pouvant être consultée pour résoudre les ambiguïtés. Si son rôle était ainsi limité, l’instrument international portant sur les droits de l’homme ne pourrait peut‑être pas servir à mettre en lumière une ambiguïté latente que comporte une loi (voir National Corn Growers) ou à rendre plus précise une disposition législative vague : pour la distinction entre la disposition législative ambiguë et celle qui est vague, voir Randal N. Graham, Statutory Interpretation : Theory and Practice (Toronto : Emond Montgomery, 2001), au chapitre 4.
[83]À première vue, la directive de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR selon laquelle « [l]’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet […] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » est assez claire. La LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière compatible avec les instruments visés à l’alinéa 3(3)f), à moins que ce ne soit impossible selon l’approche moderne de l’interprétation législative.
[84]Cependant, un examen de l’éventail d’instru-ments pouvant être visés à l’alinéa 3(3)f) peut donner à penser que le législateur ne voulait pas qu’ils soient tous déterminants, que ce soit quant au sens de la LIPR ou quant à la validité des mesures administratives prises sous son régime, en l’absence d’une disposition prévoyant clairement le contraire.
[85]D’abord, l’alinéa 3(3)f) utilise les mots « dont le Canada est signataire » pour décrire les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme visés, ce qui ne correspond pas nécessairement aux instru-ments qui lient le Canada en droit international. Il est vrai que le Canada a ratifié tous les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme qu’il a signés et qui figurent sur la liste des « principaux instruments » du HCNUDH. Il n’y a qu’un seul de ces instruments que le Canada n’a pas signé. Néanmoins, je ne crois pas que ces ratifications permettent de dire que l’alinéa 3(3)f) vise uniquement les instruments qui sont juridiquement contraignants pour le Canada. Si le législateur avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait restreint la portée de l’alinéa 3(3)f) aux instruments auxquels le Canada est partie.
[86]En deuxième lieu, l’éventail d’instruments visés à l’alinéa 3(3)f) est incertain. De plus, étant donné que la règle de droit est présumée avoir « vocation permanente », l’alinéa pourrait bien viser également les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme que le Canada n’a pas signés ou qui n’existaient même pas lorsque la LIPR a été promulguée. Assujettir le sens de la LIPR à un ensemble aussi vaste et imprécis d’instruments internationaux a pour effet de transférer un énorme pouvoir du Parlement, le législateur suprême, à l’exécutif comme branche du gouvernement responsable des affaires étrangères : comparer l’opinion dissidente des juges Iacobucci et Cory dans l’arrêt Baker, au paragraphe 80.
[87]L’alinéa 3(3)f) devrait être interprété à la lumière de l’utilisation moderne par les cours du droit international en matière de droits de la personne comme instrument d’interprétation. Ainsi, à l’instar des autres lois, la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière conforme « aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » et qui sont contraignants parce qu’il n’est pas nécessaire que le Canada les ratifie ou parce que le Canada les a signés et ratifiés. Ces instruments comprennent les deux instruments dont Mme de Guzman a fait grand cas dans le présent appel, soit le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention relative aux droits de l’enfant. Ainsi, un instrument international portant sur les droits de l’homme qui est juridiquement contraignant et dont le Canada est signataire est déterminant quant à la façon d’interpréter et de mettre en œuvre la LIPR, en l’absence d’une intention législative contraire.
[88]Cependant, l’alinéa 3(3)f) vise également les instruments non contraignants dont le Canada est signataire. Étant donné que les seuls instruments internationaux pertinents en l’espèce sont juridiquement contraignants pour le Canada, il n’est pas nécessaire de déterminer ici l’effet de l’alinéa 3(3)f) quant aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme qui ne sont pas contraignants.
[89]Toutefois, eu égard aux considérations décrites ci‑dessus au sujet de ces instruments, je suis enclin à croire que le législateur voulait qu’ils soient utilisés comme facteurs persuasifs et contextuels pour l’interprétation et l’application de la LIPR, et non comme facteurs déterminants. Qui plus est, ces instruments non contraignants n’auront pas nécessairement tous la même force de persuasion. Cette perception de l’alinéa 3(3)f) s’appuie également sur les jugements de la Cour suprême du Canada, dans la mesure où celle‑ci a souligné, dans les arrêts Public Service Employee Relations; Slaight Communications; Baker et Spraytech, qu’elle était disposée à reconnaître un rôle persuasif et contextuel aux instruments internationaux non contraignants qui portent sur les droits de l’homme pour l’interprétation du droit interne. Compte tenu de la directive que le législateur a énoncée à l’alinéa 3(3)f), les réserves que les juges Cory et Iacobucci ont exprimées dans l’arrêt Baker sont moins importantes dans le contexte actuel.
(ii) La législation subordonnée et l’alinéa 3(3)f)
[90]À mon humble avis, le juge qui a entendu la demande a commis une erreur lorsqu’il a dit que le droit international ne joue aucun rôle dans la présente affaire, parce que le sens de l’alinéa 117(9)d) est clair. Lorsqu’une disposition législative, y compris une disposition d’un règlement, est attaquée au motif qu’elle n’est pas conforme à un instrument international contraignant qui porte sur les droits de l’homme et dont le Canada est signataire, la première question à examiner est de savoir si la disposition rend la LIPR non conforme.
[91]Une cour de révision devrait examiner la disposition attaquée dans le contexte de l’ensemble du régime législatif. Ainsi, pour déterminer l’effet de l’alinéa 117(9)d) sur les obligations internationales du Canada, la Cour fédérale doit se demander si d’autres dispositions de la LIPR atténuent les répercussions de celui‑ci sur un droit garanti par un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
[92]Si la LIPR est jugée conforme, l’analyse s’arrêtera là. Cependant, si la disposition législative en question est un règlement et que la Cour fédérale décide que celui‑ci rend la LIPR non conforme, elle devra passer au second volet de l’analyse. À ce stade, la Cour fédérale devra décider si, interprétée correctement, la disposition habilitante pertinente de la LIPR autorise le gouverneur en conseil à prendre un règlement qui rend la LIPR non conforme à un instrument international contraignant qui porte sur les droits de l’homme et dont le Canada est signataire. Compte tenu de l’alinéa 3(3)f), ce n’est que si le législateur a clairement manifesté une intention contraire qu’il sera permis de conclure que le pouvoir de réglementation pouvait légalement être exercé de cette façon.
(iii) L’alinéa 117(9)d) va‑t‑il à l’encontre d’un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire?
[93]La première question à examiner dans le cadre de cette analyse à deux volets est de savoir si l’alinéa 117(9)d), examiné dans le contexte de l’ensemble du régime législatif, rend la LIPR incompatible avec un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. J’examinerai les dispositions des instruments que l’avocat a invoquées en les classant dans deux groupes : celles qui protègent l’intégrité de la vie familiale et celles qui protègent l’intérêt supérieur de l’enfant.
a) Le droit à la vie familiale
[94]L’avocat de Mme de Guzman s’est fondé sur l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (PIRDCP), qui prévoit notamment que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille ou son domicile. L’article 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3 (CDE), prévoit des protections semblables pour les enfants. Le Canada a signé et ratifié ces deux instruments, de sorte que la non‑conformité à ceux‑ci constituerait une violation des obligations juridiques internationales du Canada.
[95]L’avocat a ensuite cité des décisions dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a appliqué l’article 8, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, qui est sensiblement analogue à l’article 17 du PIRDCP.
[96]Cependant, à une exception près, les décisions citées concernent une mesure de renvoi et non un refus d’admettre un enfant dont le père ou la mère était citoyen du pays où celui‑ci voulait réunir la famille. Toutes ces décisions ont été rendues en fonction des faits qui leur étaient propres et comportent peu de commentaires généraux utiles. L’expulsion d’une personne du pays où elle réside avec d’autres membres de sa famille constitue une attaque directe à la vie familiale de la part de l’État, ce qui n’est pas l’effet produit par l’alinéa 117(9)d), d’après les faits de la présente affaire. La séparation de Mme de Guzman d’avec ses enfants est imputable en grande partie au fait qu’elle a laissé ses fils aux Philippines avec leur père lorsqu’elle est venue au Canada et qu’elle a omis de révéler leur existence.
[97]De plus, il est frappant de constater que, dans l’un des arrêts portant sur la Convention européenne que l’avocat a cités, Al‑Nashif c. Bulgaria (2003), 36 E.H.R.R. 37, 655, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu (à la page 657) que la Convention n’avait pas pour but de modifier le droit général des États de réglementer l’entrée et la résidence des non‑citoyens dans leur territoire :
[traduction] D’après un principe de droit international, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée des non‑ressortissants sur leur sol […] En matière d’immigration, l’art. 8 ne saurait s’interpréter comme comportant pour un État l’obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur pays de résidence commune et de permettre le regroupement familial sur son territoire.
Néanmoins, dans les circonstances particulières de cette affaire, la Cour a conclu que l’expulsion de M. Al‑Nashif, apatride qui avait vécu en Bulgarie avec sa famille au cours des sept dernières années, portait atteinte aux droits que l’article 8 lui reconnaissait.
[98]Au paragraphe 96 des présents motifs, j’ai fait état des éléments qui distinguent la présente affaire d’avec les affaires d’expulsion. Il convient également de souligner que, même si l’alinéa 117(9)d) empêche Mme de Guzman de parrainer ses fils comme membres de la catégorie du regroupement familial, ils peuvent être admis pour être réunis avec leur mère en application d’autres dispositions de la LIPR, notamment le paragraphe 24(1) et l’article 25, ou à titre de deman-deurs indépendants dans la catégorie « immigration économique ».
[99]L’arrêt Sen c. Pays‑Bas (2003), 36 E.H.R.R. 7, 81, porte sur une situation assez semblable à la présente affaire en ce qu’elle concernait le refus par les autorités néerlandaises d’admettre un enfant qui avait été laissé en Turquie lorsque sa mère avait rejoint son époux aux Pays‑Bas. La Cour européenne des droits de l’homme a décidé que le refus allait à l’encontre de l’article 8, parce que les Pays‑Bas n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt des parents à réunir leur famille dans leur pays de résidence et l’intérêt de l’État à contrôler l’immigration.
[100]Cependant, une distinction peut également être faite d’avec cette dernière affaire étant donné que, si les fils de Mme de Guzman présentent une demande de dispense fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire, un agent procédera à une évaluation individuelle de leur situation conformément à l’article 25 de la LIPR. Le fait que ce ne soit pas à elle mais plutôt à ses fils, qui sont maintenant tous deux âgés d’un peu plus de 20 ans, de présenter formellement ces demandes ne suffit pas, à mon sens, pour conclure que l’alinéa 117(9)d) rend la LIPR non conforme à l’article 17 du PIRDCP, eu égard à l’ensemble des faits pertinents.
[101]Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterais également les arguments fondés sur d’autres instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et qui reconnaissent de façon générale l’importance sociale de la famille, notamment en ce qui a trait au soin et à l’éducation des enfants : voir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46], article 10, et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, 1144 R.T.N.U. 123, article 17(1).
b) L’intérêt supérieur de l’enfant et le droit de l’enfant au regroupement familial
[102]Pour soutenir que l’alinéa 117(9)d) va à l’encontre de la protection accordée aux enfants par les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, l’avocat s’est fondé notamment sur le paragraphe 1 de l’article 3 et sur l’article 10 de la CDE.
[103]Le paragraphe 1 de l’article 3 prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait […] des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs ». L’avocat soutient que l’intérêt supérieur d’enfants que les parents ne peuvent parrainer n’a pu être une « considération primordiale » lors de la prise de l’alinéa 117(9)d). En conséquence, dit‑il, cette disposition n’est pas conforme à un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.
[104]Je ne suis pas d’accord. D’abord, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 10 : « Le paragraphe 3(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant le décrit [l’intérêt supérieur de l’enfant] comme “une considération primordiale” et non comme “la considération primor-diale” ». En conséquence, elle a conclu comme suit : « le principe juridique qu’est l’”intérêt supérieur de l’enfant” peut être subordonné à d’autres intérêts dans des contextes appropriés ».
[105]En deuxième lieu, et de façon plus précise, il n’est pas obligatoire que chaque disposition d’un texte législatif puisse satisfaire au critère de « l’intérêt supérieur de l’enfant » lorsqu’une autre disposition exige un examen attentif de cet intérêt. À mon avis, tel est le cas de l’article 25, parce qu’il oblige le ministre à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant pour décider s’il existe à son avis des circonstances d’ordre humanitaire qui le justifient d’exempter un demandeur de l’application des critères de sélection normaux et de lui accorder le statut de résident permanent.
[106]L’article 10 de la CDE prévoit que « toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence ». Selon l’avocat, l’alinéa 117(9)d) n’est pas conforme à l’article 10.
[107]Encore là, je réponds en disant que le pouvoir discrétionnaire que l’article 25 confère au ministre permet l’application de la LIPR d’une manière conforme. Jusqu’à ce que les fils de Mme de Guzman présentent une demande fondée sur l’article 25 et que leur demande soit rejetée, toute plainte formulée pour leur compte et fondée sur l’article 10 sera prématurée. De plus, lorsqu’ils présenteront une demande fondée sur les articles 24 ou 25, le cas échéant, la décision sera assujettie à l’obligation d’équité et susceptible de contrôle devant la Cour fédérale.
(iv) Résumé
[108]Étant donné que les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme que l’appelante invoque créent des obligations juridiques qui lient le Canada, l’alinéa 3(3)f) fait de ces instruments des documents déterminants quant au sens de la LIPR, en l’absence d’une disposition législative indiquant expressément le contraire. Cependant, lorsqu’il est examiné avec d’autres dispositions de la LIPR, notamment l’article 25, l’alinéa 117(9)d) ne rend pas la LIPR non conforme à « un instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ».
[109]Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider s’il y a lieu d’interpréter l’article 14 de la LIPR comme une disposition qui n’autorise pas le gouverneur en conseil à prendre un règlement qui rend la LIPR non conforme à un instrument visé à l’alinéa 3(3)f).
F. CONCLUSIONS
[110]Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis de rejeter l’appel sans frais et de répondre par la négative à la question certifiée par le juge qui a entendu la demande :
L’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est‑il invalide ou inopérant du fait qu’il est inconstitutionnel étant donné qu’il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d’une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l’article 7 de la Charte?
La juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[111]Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux motifs détaillés du juge Evans, mais j’aimerais ajouter un avertissement particulier au sujet des paragraphes 88 et 89, qui concernent des instruments internationaux non contraignants portant sur les droits de l’homme.
[112]Je ne suis pas disposé à présumer qu’ils doivent être considérés comme des facteurs persuasifs et contextuels pour l’interprétation et l’application de la LIPR. Si nous souscrivons à cette position, les avocats invoqueront immanquablement à l’avenir les paragra-phes susmentionnés et soutiendront qu’ils doivent automatiquement s’appliquer. Dans ce domaine en pleine évolution, il m’apparaît préférable de laisser à une autre formation le soin de trancher cette question dans une affaire concernant explicitement un instrument international non contraignant qui porte sur les droits de l’homme.