IMM-8447-03
2004 CF 1276
Josephine Soliven De Guzman (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)
Répertorié: De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Kelen--Vancouver, 19 août; Ottawa, 20 septembre 2004.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes interdites de territoire -- L'art. 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés exclut les membres de la famille admissibles au parrainage dans la catégorie du regroupement familial dont l'existence n'a pas été divulguée et qui, par conséquent, n'ont pas fait l'objet d'un contrôle lorsque le répondant a immigré -- La disposition ne contrevient pas au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par l'art. 7 de la Charte -- Elle ne contrevient pas à l'objet de la réunification des familles de la LIPR -- Elle ne contrevient pas aux obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- L'art. 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés pris suivant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés exclut les membres de la famille admissibles au parrainage dans la catégorie du regroupement familial dont l'existence n'a pas été divulguée et qui n'ont pas fait l'objet d'un contrôle lorsque le répondant a immigré -- La protection de l'art. 7 va de la liberté quant à la contrainte physique jusqu'à l'empêchement de faire des choix fondamentaux dans la vie -- La demanderesse a fait un choix fondamental dans sa vie lorsqu'elle est venue au Canada en laissant ses enfants aux Philippines -- Il n'a pas été porté atteinte au droit garanti par l'art. 7 en raison d'un acte gouvernemental -- L'intérêt de la société surpasse celui d'un individu -- S'il a été porté atteinte au droit garanti par la Charte, l'atteinte est justifiée à titre de limite raisonnable.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (SAI) a rejeté l'appel présenté par la demanderesse à l'égard du refus de délivrer à ses fils des visas de résident permanent suivant l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cette disposition exclut les membres de la famille admissibles au parrainage dans la catégorie du regroupement familial dont l'existence n'a pas été divulguée lorsque le répondant a immigré. La prétention de la demanderesse était que cette disposition contrevient à l'article 7 de la Charte et est incompatible avec l'objet de la réunification des familles énoncé dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et avec les obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme.
La SAI a mentionné lorsqu'elle a rejeté l'appel que, suivant l'article 65 de la Loi, elle n'avait pas une compétence discrétionnaire pour tenir compte des motifs d'ordre humanitaire à moins que l'étranger fasse partie de la catégorie du regroupement familial. L'existence des fils n'a pas été divulguée et par conséquent ils n'ont pas fait l'objet d'un contrôle.
Lorsque la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente, elle a déclaré qu'elle était célibataire et qu'elle n'avait pas d'enfants. Cependant, lorsque le médecin qui a examiné la demanderesse a conclu qu'elle avait donné naissance à un enfant, elle a admis qu'elle avait une fille. Après avoir obtenu la citoyenneté, elle a tenté de parrainer ses deux fils.
L'alinéa 117(9)d) du Règlement prévoit des «restrictions» d'appartenance à la catégorie du regroupement familial, une de ces restrictions étant un membre de la famille qui n'accompagnait pas le répondant et qui n'a pas fait l'objet d'un contrôle lorsque le répondant a présenté sa demande de résidence permanente. Mais le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que le ministre peut lever les critères applicables s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire, compte tenu de l'intérêt supérieur des enfants, le justifient. La demanderesse prétendait que l'alinéa contesté ne tient pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant et que, étant donné qu'il empêche la réunification au Canada de certains enfants à charge avec leurs parents, il contrevient aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Elle prétendait en outre que l'alinéa contesté crée une définition illégale de la catégorie «regroupement familial» étant donné que cette expression est déjà expressément définie au paragraphe 12(1) de la Loi.
Le ministre prétendait que les dispositions réglementaires étaient valides et que l'alinéa contesté n'empêchait pas la réunification étant donné que les fils de la demanderesse pouvaient présenter une demande de résidence permanente indépendamment de la catégorie du regroupement familial et qu'ils pouvaient en outre demander, sur le fondement de circonstances d'ordre humanitaire suivant l'article 25 de la Loi, d'être exemptés de l'application de cet alinéa. Le ministre prétendait que cet alinéa n'a pas pour objet d'être punitif, mais qu'il sert à protéger l'intégrité du processus d'immigration en enlevant aux immigrants toutes incitations à exclure de leur demande des personnes à charge par crainte d'être non admissibles ou à mentir dans leur demande de résidence permanente.
Les questions en litige étaient les suivantes: 1) celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient au paragraphe 12(1) de la Loi qui prévoit que la sélection des étrangers de la catégorie du regroupement familial se fait en fonction de la relation qu'ils ont avec un citoyen canadien; 2) celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) contrevient à l'alinéa 3(3)f) de la Loi; 3) celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient à l'article 7 de la Charte.
Jugement: la demande doit être rejetée.
1) Le paragraphe 13(1) de la Loi prévoit clairement que le droit au parrainage d'un membre de la famille est soumis aux règlements. Le paragraphe 14(2) permet que les règlements régissent les conditions qui peuvent être imposées à des demandeurs à l'égard de la réunification des familles. Autrement dit, le législateur a délégué la question du parrainage des membres de la catégorie du regroupement familial de façon à ce qu'elle soit régie par le Règlement.
La question était donc de savoir si l'alinéa 117(9)d) contrevient à la Loi et est par conséquent invalide. Comme le juge Strayer, J.C.A., a déclaré dans l'arrêt Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), la question essentielle est toujours celle de savoir si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière. Bien qu'il soit reconnu qu'un vaste pouvoir discrétionnaire de réglementation ne peut être exercé pour poursuivre une fin totalement étrangère, il appartient à la partie qui conteste le règlement de démontrer ce que pourrait être cette fin illicite. L'alinéa contesté a pour objet la bonne administration de la législation canadienne en matière d'immigration. Il existe à des fins pertinentes, à savoir aux fins de prévenir la dissimulation frauduleuse de circonstances importantes qui peuvent empêcher le demandeur d'être admis au Canada.
Bien que l'un des objets de la Loi soit la réunification des familles, cet objet n'éclipse pas l'exigence selon laquelle la législation en matière d'immigration doit être respectée et administrée d'une façon ordonnée. Il n'est pas loisible à une demanderesse de présenter sous un faux jour les membres de sa famille et son état matrimonial et par la suite de contester la validité de la catégorie du regroupement familial en prétendant qu'elle contrevient à la Loi.
2) Le paragraphe 3(3) de la Loi prévoit que l'interprétation de la Loi doit avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. La demanderesse s'appuyait sur environ neuf instruments internationaux, notamment sur la Charte des Nations Unies et sur la Déclaration universelle des droits de l'homme. La demanderesse prétendait que le fait de refuser la capacité de parrainer constitue une atteinte arbitraire au droit de ne pas faire l'objet d'immixtions dans la vie privée, le domicile et la famille, question prévues à l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), était l'arrêt faisant autorité pour la proposition selon laquelle, compte tenu de la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE), les décisions en matière d'immigration doivent prendre en compte l'intérêt supérieur des enfants en cause. La demanderesse prétendait que l'alinéa contesté ne permettait aucunement que l'intérêt supérieur de l'enfant soit pris en compte. L'article 9(1) de la CDE prévoit que «les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré» à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire que cela est dans l'intérêt supérieur de l'enfant. La demanderesse prétendait en outre que la disposition produisait des effets dans un esprit négatif et sans humanité, contrairement à l'article 10 de la CDE qui traite de la réunification des familles.
L'alinéa 3(3)f) de la Loi n'incorpore pas les conventions internationales portant sur les droits de l'homme dans la législation canadienne pas plus qu'il n'énonce qu'elles outrepassent les termes simples d'une loi. La Cour n'a qu'à considérer ces conventions comme un «contexte» lorsqu'elle interprète des dispositions ambiguës. La disposition en cause est sans ambiguïté. De plus, le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit un redressement fondé sur des circonstances d'ordre humanitaire ou sur l'intérêt supérieur des enfants. Ce paragraphe répond à l'engagement du Canada de tenir compte des droits de l'homme et de l'intérêt supérieur des enfants dans le contexte de l'administration de la législation en matière d'immigration. Suivant l'article 25, des facteurs d'equity peuvent être appliqués dans des cas appropriés.
3) En tentant d'obtenir un redressement fondé sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par l'article 7 de la Charte, la demanderesse prétendait que l'alinéa contesté avait des conséquences défavorables sur la sécurité de sa personne du fait qu'il entraînait une détresse due à la perte de la compagnie d'un enfant et qu'il l'obligeait à faire un choix entre rester au Canada, où elle est maintenant établie, et ses enfants. Quant à la justification suivant l'article 1, la demanderesse prétendait que bien que l'objet de la restriction--la réduction de l'immigration fondée sur de fausses déclarations--soit effectivement un objet important, l'alinéa 117(9)d) est disproportionné quant à cet objet. Cet alinéa n'avait pas de liens rationnels avec l'objet et n'était pas la solution qui porte atteinte le moins possible au droit ou à la liberté en question. La demanderesse prétendait que l'article 40 de la Loi et les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté fournissent une dissuasion suffisante à l'endroit des personnes qui font de fausses déclarations afin d'être admises au Canada.
Le droit à la liberté garanti par l'article 7 va au-delà de la contrainte physique étant donné qu'il est en cause dès que l'État se mêle des choix de vie importants et fondamentaux. Mais lorsque la demanderesse a fait dans sa vie un choix fondamental de laisser ses fils aux Philippines lorsqu'elle a émigré, elle l'a fait en étant assujettie à la législation canadienne en matière d'immigration et elle ne pouvait pas maintenant prétendre que sa liberté est entravée par cette législation. Elle n'aurait probablement pas été admise au Canada si elle avait divulgué l'existence de ces enfants. La garantie constitutionnelle de la sécurité de la personne ne protège pas contre les «tensions et les angoisses ordinaires qu'une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d'un acte gouvernemental». En fait, la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve démontrant qu'elle souffre de stress ou d'anxiété. Si elle subit du stress, ce stress dépend d'elle-même. Il n'a pas été porté atteinte au droit à la sécurité de la personne de la demanderesse en raison d'un acte gouvernemental. Sa prétention à l'égard de l'article 7 de la Charte était absurde. Dans l'affaire Samosa c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, la commissaire de la SAI Workun, lorsqu'elle a expliqué l'importance et le raisonnement pour lesquels on exige que les demandeurs divulguent l'existence de tous les membres de la «catégorie du regroupement familial», a correctement signalé que «l'obligation de divulguer de façon exacte l'existence d'une telle personne vise à préserver l'intégrité du régime d'immigration». Lorsqu'un demandeur tente de parrainer une personne à charge dont l'existence n'a pas été antérieurement divulguée, l'intérêt de la société est tel qu'il justifie une privation du droit garanti par la Charte allégué par le demandeur.
La demanderesse prétendait que si le ministre avait été vraiment préoccupé par les fausses déclarations faites dans sa demande de résidence permanente, il aurait pris contre elle une mesure visant à annuler sa citoyenneté suivant l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté. Il était imprudent pour la demanderesse de défier le ministre à cet égard. Même s'il avait été porté atteinte au droit de la demanderesse garanti par l'article 7 de la Charte, la limite imposée par la disposition contestée aurait été une limite raisonnable.
Une question doit, cependant, être certifiée quant à savoir si l'alinéa 117(9)d) est invalide étant donné qu'il contreviendrait à l'article 7 de la Charte.
lois et règlements cités
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, 27 juin 1981, OAU Doc. CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7. |
Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, [1945] R.T. Can. no 7. |
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36. |
Convention de sauvergarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221. |
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37. |
Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3(1), 7(1), 9(1), 10, 16. |
Déclaration universelle des droits de l'homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. Off. AG NU, 10 décembre 1948. |
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18. |
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d),(3)f), 12(1), 13, 14, 25, 40, 63, 65. |
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 17. |
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, [1976] R.T. Can. no 46, art. 10. |
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. |
Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 117(9)d).
Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, art. 1 (mod. par DORS/2002-232, art. 1). |
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 2 C.F. 595; (1995), 125 D.L.R. (4th) 141; 30 Imm. L.R. (2d) 139; 180 N.R. 330 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Samosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 271 (QL).
décisions citées:
Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1; 2000 CSC 44; Chesters c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 361; (2002), 96 C.R.R. (2d) 337; 221 F.T.R. 1; (1re inst.); 2002 CFPI 727.
DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la SAI a rejeté l'appel présenté à l'égard du refus de délivrer aux fils de la demanderesse des visas de résident permanent. Demande rejetée.
ont comparu:
Lorne Waldman, William J. Macintosh et Peter D. Larlee pour la demanderesse.
Keith Reimer et Sandra E. Weafer pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Waldman & Associates, Vancouver, William J. Macintosh & Associates, Surrey, et Larlee & Associates, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
[1]Le juge Kelen: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté l'appel présenté par la demanderesse à l'égard du refus de délivrer à ses fils des visas de résident permanent suivant l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).
[2]L'affaire se rapporte au droit d'une citoyenne canadienne de parrainer des membres de sa famille dont elle n'a pas divulgué l'existence lorsqu'elle a immigré au Canada. L'alinéa 117(9)d) du Règlement exclut les membres de la famille admissibles au parrainage dans la catégorie du regroupement familial dont l'existence n'a pas été divulguée et qui, par conséquent, n'ont pas fait l'objet d'un contrôle lorsque le répondant a immigré. La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement est:
(1) inopérant étant donné qu'il contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte);
(2) incompatible avec l'objet de la réunification des familles énoncé dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et avec l'exigence selon laquelle la Loi doit être interprétée conformément aux obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme.
LA DEMANDE PARRAINÉE
[3]En juillet 2001, la demanderesse a présenté une demande de parrainage, au titre du regroupement familial, des demandes de résidence permanente présentées par ses deux fils. Un agent des visas a refusé la demande de parrainage en avril 2003 au motif que les fils ne peuvent pas être considérés comme appartenant à la catégorie du regroupement familial parce que la demanderesse n'a pas divulgué leur existence lorsqu'elle a présenté sa demande de résidence permanente au Canada en 1990. Pour ce motif, les deux fils ont été exclus de la catégorie du regroupement familial suivant l'alinéa 117(9)d) du Règlement. L'alinéa 117(9)d) du Règlement exclut certaines personnes de la catégorie du regroupement familial. Il est rédigé comme suit:
Restrictions
117. [. . .]
(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes:
[. . .]
d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou était un ex-époux ou ancien conjoint de fait du répondant.
La décision de l'agent des visas a fait l'objet d'un appel à la SAI.
L'APPEL À LA SAI
[4]Le 26 septembre 2003, la SAI a rejeté l'appel présenté par la demanderesse au motif que l'agent des visas n'avait pas commis une erreur et au motif que la SAI n'a pas compétence pour examiner les motifs d'ordre humanitaire à moins qu'un étranger et son répondant fassent partie de la catégorie du regroupement familial, comme le décrit le Règlement. La décision de la SAI énonce ce qui suit:
[traduction] L'appel est rejeté parce que l'appelante n'a pas démontré que le refus de l'agent des visas constitue une erreur de droit. Selon les renseignements fournis, la personne qui était parrainée par l'appelante n'appartient pas à la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, suivant l'article 65 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la SAI n'a pas une compétence discrétionnaire pour examiner les motifs d'ordre humanitaire. L'existence des deux fils de la demanderesse, Jay MONTIADORA et Jayson MONTIADORA, n'a pas été divulguée et, par conséquent, ils n'ont pas fait l'objet d'un contrôle. [Les majuscules apparaissent dans l'original.]
[5]L'article 63 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), prévoit comme suit le droit d'interjeter appel à la SAI du refus de délivrer un visa dans la catégorie du regroupement familial:
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.
[6]L'article 65 de la LIPR empêche, de la façon suivante, la SAI d'examiner les motifs d'ordre humanitaire sauf lorsque les étrangers et les répondants font partie de la catégorie du regroupement familial:
65. Dans le cas de l'appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d'une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d'ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s'il a été statué que l'étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.
LA PREUVE PAR AFFIDAVIT
[7]Les Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [art. 1 (mod. par DORS/2002-232, art. 1)] permettent à la demanderesse de déposer un affidavit établissant les faits invoqués à l'appui de la demande. Le défendeur a le droit de procéder à un contre-interrogatoire de la demanderesse à l'égard d'un tel affidavit. La demanderesse a choisi de déposer un tel affidavit. La Cour dispose de façon appropriée des faits mentionnés dans l'affidavit et lors du contre-interrogatoire et elle peut en tenir compte dans la mesure où ils sont pertinents. J'estime que ces faits sont pertinents à l'égard des trois questions de droit qui sont en litige. Ces faits sont utiles pour démontrer le but des dispositions législatives pertinentes et les abus qui peuvent être commis. Ces faits sont pertinents à l'égard des considérations d'équité de l'affaire, en particulier quant à l'application des circonstances d'ordre humanitaire compte tenu de l'intérêt supérieur des enfants. En outre, ces faits peuvent être importants pour la compréhension de la Cour quant à la question de savoir si des questions de droit certifiées seraient déterminantes dans le cas où la demanderesse est exemptée de l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement.
LES FAITS
[8]La demanderesse, une citoyenne canadienne, est née aux Philippines le 30 décembre 1957. Elle a été admise au Canada en tant que résidente permanente en 1993.
[9]En 1990, la demanderesse avait été parrainée par sa mère qui vivait au Canada. À ce moment, le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 prévoyait que la demanderesse pouvait être parrainée par sa mère si elle était «une fille non mariée» d'une citoyenne canadienne ou d'une résidente permanente.
[10]Lorsque la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada, elle a déclaré qu'elle était célibataire et qu'elle n'avait pas d'enfants. Cependant lors de l'examen médical effectué aux fins de l'immigration, le médecin a déclaré qu'il était évident qu'elle avait eu un enfant. À ce moment, la demanderesse a modifié sa demande de résidence permanente pour y déclarer qu'elle avait effectivement un enfant, une fille née le 20 mai 1986.
[11]En 2001, la demanderesse, alors devenue citoyenne canadienne, a présenté une demande de parrainage de deux fils en tant qu'immigrants au Canada. Les actes de naissance des deux fils ont été déposés au soutien de la demande. Les actes de naissance énoncent que la demanderesse est mariée à M. Jayson Montiadora aux Philippines et qu'il est le père des deux fils de la demanderesse, Jay né le 14 octobre 1983 et Jayson né le 11 février 1985. La preuve dont dispose la Cour établit que l'un des fils a maintenant lui-même un enfant.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[12]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est invalide pour les motifs suivants:
(i) il contrevient au paragraphe 12(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés;
(ii) il contrevient à l'alinéa 3(3)f) de la LIPR étant donné qu'il ne respecte pas les obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme;
(iii) il est inconstitutionnel étant donné qu'il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d'une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l'article 7 de la Charte.
LE RÉGIME LÉGISLATIF DE LA LIPR À L'ÉGARD DU PARRAINAGE D'UN MEMBRE DE LA FAMILLE
[13]Le paragraphe 12(1) de la LIPR prévoit que la sélection des étrangers dans la catégorie «regroupement familial» se fait en fonction de la relation qu'ils ont à titre:
(1) d'époux;
(2) de conjoint de fait;
(3) d'enfant;
(4) d'autre membre de la famille prévu par règlement
avec un citoyen canadien ou un résident permanent.
[14]L'article 12 de la LIPR est rédigé comme suit:
Sélection des résidents permanents
12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie «regroupement familial» se fait en fonction de la relation qu'ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d'époux, de conjoint de fait, d'enfant ou de père ou mère ou à titre d'autre membre de la famille prévu par règlement.
(2) La sélection des étrangers de la catégorie «immigration économique» se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.
(3) La sélection de l'étranger, qu'il soit au Canada ou non, s'effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l'égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu'il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.
[15]Le paragraphe 13(1) de la LIPR prévoit que le citoyen canadien ou le résident permanent peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger de la catégorie «regroupement familial».
[16]L'article 13 de la LIPR est rédigé comme suit:
Régime de parrainage
13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l'étranger de la catégorie «regroupement familial».
(2) Tout groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial--ou tout groupe de telles de ces personnes --, peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger qui a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.
(3) L'engagement de parrainage lie le répondant.
(4) L'agent est tenu de se conformer aux instructions du ministre sur la mise en oeuvre des règlements visés à l'alinéa 14(2)e).
[17]Le paragraphe 14(1) de la LIPR énonce que les règlements régissent l'application de «la présente section» (la présente section inclut le droit de parrainer un membre de la catégorie «regroupement familial») et que les règlements définissent, pour l'application de la présente Loi, les termes qui y sont employés.
[18]Le paragraphe 14(1) de la LIPR est rédigé comme suit:
Règlements
14. (1) Les règlements régissent l'application de la présente section et définissent, pour l'application de la présente loi, les termes qui y sont employés.
[19]L'article 117 du Règlement prévoit le regroupement familial et les personnes qui peuvent être parrainées en tant que membres de la catégorie du regroupement familial. L'alinéa 117(9)d) prévoit des «restrictions» d'appartenance à la catégorie du regroupement familial. La restriction pertinente est un membre de la famille qui n'accompagnait pas le répondant et qui n'a pas fait l'objet d'un contrôle lorsque le répondant a présenté antérieurement une demande de résidence permanente et est devenu un résident permanent. L'alinéa 117(9)d) exclut de la «catégorie du regroupement familial» les parents du répondant dont l'existence n'a pas été divulguée par le répondant, mais qui aurait dû l'être, lorsqu'il a présenté sa demande de résidence permanente initiale.
[20]L'alinéa 117(9)d) est reproduit une fois de plus afin d'en faciliter la consultation:
Restrictions
117. [. . .]
(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes:
[. . .]
d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou était un ex-époux ou ancien conjoint de fait du répondant.
[21]Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre peut lever tout ou partie des critères applicables s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire, compte tenu de l'intérêt supérieur des enfants, le justifient. Par conséquent, les deux fils de la demanderesse peuvent présenter une demande en vue d'être exemptés de l'application de l'alinéa 117(9)d), demande qui peut être appuyée par la demanderesse. Le législateur prévoit à l'article 25 une compétence en equity en vertu de laquelle les circonstances d'ordre humanitaire et l'intérêt supérieur de l'enfant doivent être appréciés.
[22]Le paragraphe 25(1) de la LIPR est rédigé comme suit:
Statut et autorisation d'entrer
[. . .]
25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger-- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché--ou l'intérêt public le justifient.
LA POSITION DES PARTIES
A) La demanderesse |
[23]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement (l'alinéa contesté) contrevient à la LIPR parce qu'il est incompatible avec l'objet de la LIPR qui consiste à promouvoir la réunification des familles au Canada. En particulier, la demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient à l'alinéa 3(3)f) et aux paragraphes 12(1) et 14(1) de la LIPR.
[24]La demanderesse prétend que l'alinéa contesté ne tient pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant étant donné qu'il empêche la réunification au Canada de certains enfants à charge avec leurs parents, en contravention de divers instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.
[25]La demanderesse prétend que l'alinéa contesté crée une définition illégale de la catégorie «regroupement familial» étant donné que cette expression est déjà expressément définie au paragraphe 12(1) de la LIPR. La demanderesse prétend en outre que le paragraphe 14(1) de la LIPR interdit implicitement qu'il y ait une autre définition de l'expression «regroupement familial».
[26]La demanderesse prétend que l'alinéa contesté a porté atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité de la personne et qu'il l'a privée de son droit à une audience équitable en conformité des principes de justice fondamentale.
B) Le défendeur |
[27]Le défendeur prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement est une disposition réglementaire valide et qu'il est compatible avec l'objet de la LIPR. Le défendeur prétend que l'alinéa 117(9)d) n'empêche pas la demanderesse d'être réunie avec ses fils étant donné qu'il ne porte pas atteinte aux autres options qui restent à sa disposition et à celle de ses fils, à savoir:
i) il est encore possible pour les fils de la demanderesse de présenter une demande afin de venir au Canada en tant que résidents permanents, indépendamment de la catégorie du regroupement familial;
ii) les fils de la demanderesse peuvent demander, sur le fondement de circonstances d'ordre humanitaire suivant l'article 25 de la LIPR, d'être exemptés de l'application de l'alinéa 117(9)d).
[28]Le défendeur prétend que l'alinéa 117(9)d) n'a pas pour objet d'être punitif et il prétend que cet alinéa sert à protéger l'intégrité du processus d'immigration en enlevant aux étrangers toutes incitations à exclure de leur demande des personnes à charge par crainte d'être non admissibles, ou pour d'autres motifs, ou à mentir dans leur demande de résidence permanente.
[29]Le défendeur prétend que la séparation de la demanderesse et de ses fils est le résultat de sa décision personnelle, consciente et délibérée de les laisser aux Philippines et de mentir dans sa demande de résidence permanente. Le défendeur prétend que la séparation dont la demanderesse se plaint maintenant n'est pas le résultat d'une action directe du gouvernement. Le défendeur prétend que le Règlement met simplement en oeuvre le choix personnel de la demanderesse de ne pas inclure ses fils en tant que personnes à charge.
[30]Le défendeur prétend que l'alinéa 117(9)d) ne porte nullement atteinte aux droits fondamentaux de la demanderesse et ne contrevient à aucune des obligations internationales du Canada. Le défendeur prétend que bien que l'intérêt supérieur de l'enfant soit un facteur important, ce n'est pas un facteur déterminant quant à la question de savoir si un agent des visas peut délivrer un visa de résident permanent.
ANALYSE
La première question en litige
L'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient-il à la LIPR?
[31]Bien que le paragraphe 12(1) de la LIPR prescrive la façon selon laquelle se fait la sélection des individus dans la catégorie «regroupement familial», il ne prévoit pas une définition précise de cette expression. Il mentionne les individus qui ont un certain lien entre eux. Toutefois, le paragraphe 13(1) de la LIPR prévoit clairement que le droit au parrainage d'un membre de la famille est soumis aux règlements.
[32]De plus, le paragraphe 14(1) de la LIPR prévoit expressément que les règlements définissent, pour l'application de la Loi, tous les termes employés à la Section 1, à savoir la section intitulée «Formalités préalables à l'entrée et sélection». Le paragraphe 14(2) permet que les règlements régissent les catégories de résidents permanents ou d'étrangers, y compris les conditions qui peuvent être imposées à des demandeurs à l'égard de la réunification des familles. Ces paragraphes prévoient, en partie, ce qui suit:
Règlements
14. (1) Les règlements régissent l'application de la présente section et définissent, pour l'application de la présente loi, les termes qui y sont employés.
(2) Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d'étrangers, dont celles visées à l'article 12, et portent notamment sur:
[. . .]
b) la demande, la délivrance et le refus de délivrance de visas et autres documents pour les étrangers et les membres de leur famille;
[. . .]
d) les conditions qui peuvent ou doivent être, quant aux résidents permanents et aux étrangers, imposées, modifiées ou levées, individuellement ou par catégorie;
e) le parrainage, les engagements, ainsi que la sanction de leur inobservation;
Par conséquent, je suis d'avis que le législateur a clairement délégué la question du parrainage des membres de la catégorie du regroupement familial de façon à ce qu'elle soit régie par le Règlement.
[33]Je dois maintenant établir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient à la LIPR et s'il est, par conséquent, invalide.
[34]Dans l'arrêt Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 2 C.F. 595, le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale établit ce qui permet à un tribunal de trancher la question de savoir si un règlement particulier contrevient à une loi. Le juge Strayer, J.C.A., a déclaré ce qui suit à la page 602:
Il va sans dire qu'il n'appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d'en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante: le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? On doit rechercher dans la mesure législative attributive du pouvoir en cause tous les indices possibles de l'objet et de l'étendue de la législation par délégation autorisée. Il faut tenir compte de toute limitation, expresse ou implicite, de l'exercice de ce pouvoir. Il faut ensuite examiner le règlement lui-même pour s'assurer de sa conformité, et s'il est contesté au motif qu'il n'a pas été pris pour des fins autorisées par sa loi habilitante, on doit alors tenter de reconnaître une ou plusieurs des fins pour lesquelles le règlement a été adopté. Il est reconnu qu'un vaste pouvoir discrétionnaire, y compris un pouvoir de réglementation, ne peut être exercé pour poursuivre une fin totalement étrangère, mais il appartient à la partie qui conteste le règlement de démontrer ce que pourrait être cette fin illicite. [Non souligné dans l'original; notes omises.]
[35]Je suis convaincu que l'alinéa 117(9)d) du Règlement a pour objet la bonne administration de la législation canadienne en matière d'immigration. Il est raisonnable que la législation en matière d'immigration exige qu'un demandeur de résidence permanente divulgue, dans sa demande, l'existence de tous les membres de sa famille. Autrement, la demande de résidence permanente ne pourrait pas être évaluée correctement aux fins de la législation en matière d'immigration. Par conséquent, l'alinéa 117(9)d) du Règlement existe à des fins pertinentes, à savoir aux fins de prévenir la dissimulation frauduleuse de circonstances importantes qui peuvent empêcher le demandeur d'être admis au Canada.
[36]La demanderesse prétend en outre que l'alinéa contesté contrevient à la LIPR parce qu'il entrave la «réunification des familles», un objet de la LIPR.
[37]L'alinéa 3(1)d) de la LIPR prévoit ce qui suit:
Objet de la Loi
3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet:
[. . .]
d) de veiller à la réunification des familles au Canada;
[38]L'objet de la réunification des familles n'outrepasse pas, ne surpasse pas, ne supplante pas ou n'éclipse pas l'exigence de base selon laquelle la législation en matière d'immigration doit être respectée et administrée d'une façon ordonnée et juste. On ne peut pas permettre à une demanderesse de présenter sous un faux jour les membres de sa famille et son état matrimonial afin de se soustraire à la législation en matière d'immigration et, par la suite, de contester la validité de la catégorie du regroupement familial en prétendant qu'elle contrevient à la loi parce qu'elle entrave la réunification de sa famille. L'obtention d'un tel résultat serait contraire à l'administration correcte, juste et ordonnée de la législation en matière d'immigration.
Deuxième question en litige
L'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient-il à l'alinéa 3(3)f) de la LIPR étant donné qu'il ne respecte pas les obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme?
[39]La demanderesse prétend que les dispositions de la LIPR et des règlements pris sous cette loi doivent respecter les obligations internes et internationales du Canada portant sur les droits de l'homme. C'est la disposition d'interprétation de la LIPR, le paragraphe 3(3) qui suit, qui l'exige:
3. [. . .]
(3) L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet:
[. . .]
f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.
[40]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d), étant donné qu'il refuse aux parents qui ont fait une fausse déclaration la capacité de parrainer leurs enfants, est incompatible avec les principes suivants qui se trouvent dans les instruments portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire:
a) le droit d'un parent de ne pas faire l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille ou son domicile et son droit à la protection de la famille;
b) le droit d'un enfant de voir son intérêt supérieur pris en compte dans les décisions qui le concernent, d'être élevé par ses parents et d'être réuni avec sa famille dans un esprit positif, avec diligence et humanité.
[41]La demanderesse s'appuie sur les neuf instruments internationaux suivants:
1) la Charte des Nations Unies [26 juin 1945 [1945] R.T. Can. no 7]
2) la Déclaration universelle des droits de l'homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. Off. AG NU, 10 décembre 1948]
3) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [[1976] R.T. Can. no 46] (PIDESC)
4) la Convention de Vienne sur le droit des traités [23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37]
(ICCPR)
5) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [19 décembre 1966, [1976] R.T. Can, no 47] (PIDCP)
6) la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36]
(CRC)
7) la Convention relative aux droits de l'enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can, no 3] (CDE)
8) Convention de sauvergarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950, [1950] R.T.N.U. 221 (CEDH), réglementée par la Cour européenne des droits de l'homme
9) la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples [27 juin 1981, CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982)].
[42]Je vais traiter d'une façon assez détaillée des droits et des conventions sur lesquels la demanderesse s'appuie.
i) Le droit de ne pas faire l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille ou son domicile
[43]L'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est rédigé comme suit:
Article 17
1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
[44]L'article 16 de la Convention relative aux droits de l'enfant accorde également aux enfants ce droit de la façon suivante:
Article 16
1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
[45]La demanderesse prétend que le fait de refuser la capacité de parrainer constitue une atteinte arbitraire au droit de ne pas faire l'objet d'immixtions dans la vie privée, le domicile et la famille.
ii) Le droit à la protection de la famille
[46]Les documents internationaux portant sur les droits de l'homme déclarent de diverses façons l'importance de la protection de l'unité familiale par l'État. Par exemple, l'article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est rédigé comme suit:
Article 10
Les États parties au présent Pacte reconnaissent que:
1. Une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l'élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu'elle a la responsabilité de l'entretien et de l'éducation d'enfants à charge. [. . .]
[. . .]
3. Des mesures spéciales de protection et d'assistance doivent être prises en faveur de tous les enfants et adolescents, sans discrimination aucune pour des raisons de filiation ou autres. [. . .]
iii) Les droits des enfants en cause
L'intérêt supérieur de l'enfant (article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant) |
[47]L'article 3(1) de la Convention relative aux droits de l'enfant énonce ce qui suit:
Article 3
1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
[48]La Cour suprême dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, a statué que les décisions en matière d'immigration doivent prendre en compte l'intérêt supérieur des enfants en cause en raison de l'influence de la CDE. La demanderesse prétend que l'expression «toutes les décisions qui concernent les enfants» inclut une disposition réglementaire qui empêche des enfants de faire l'objet d'un parrainage.
[49]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement ne permet aucunement que l'intérêt supérieur de l'enfant soit pris en compte. Il n'est pas permis d'interjeter appel et il n'est pas possible de présenter quelque demande de contrôle que ce soit qui permettrait que l'intérêt supérieur de l'enfant soit pris en compte. L'intégrité du processus qui selon le défendeur est protégé par cette disposition ne se préoccupe pas de l'intérêt supérieur de l'enfant.
iv) Le droit d'être élevé par ses parents et de ne pas être séparé d'eux (les paragraphes 7(1) et 9(1) de la CDE et l'article 17 du PIDCP) |
[50]L'article 9(1) de la CDE énonce ce qui suit:
Article 9
1. Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant.
[51]La demanderesse prétend que suivant ce paragraphe la séparation d'avec les parents n'est justifiée que dans l'intérêt supérieur de l'enfant, comme dans un cas de négligence de l'enfant. Comme il a été précédemment mentionné, ce n'est pas le cas en l'espèce. Le paragraphe 117(9), étant donné qu'il entraîne la séparation de l'enfant d'avec ses parents sans lui donner aucune possibilité d'être réuni avec eux, s'immisce dans le droit d'être élevé par ses parents et le droit de ne pas être séparé d'eux.
v) Le droit d'être réuni avec les parents dans un esprit positif, avec humanité et diligence (paragraphe 10(1) de la CDE) |
[52]L'article 10 de la CDE prévoit que «toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence». La demanderesse prétend que cet article semble être la seule disposition des instruments internationaux portant sur les droits de l'homme qui mentionne expressément la réunification familiale. Contrairement au libellé de l'article 10, l'alinéa 117(9)d) produit des effets dans un esprit négatif et sans humanité.
Analyse à l'égard de la deuxième question en litige
[53]J'ai conclu que l'alinéa 3(3)f) de la LIPR codifie le principe fondamental d'interprétation législative en common law selon lequel les lois internes devraient être interprétées de façon à refléter les valeurs contenues dans les conventions internationales portant sur les droits de l'homme auxquelles le Canada a adhéré. Dans l'arrêt Baker, la Cour suprême a statué, au paragraphe 70, que les valeurs exprimées à l'égard des droits de la personne dans les conventions internationales peuvent «être prises en compte dans l'approche contextuelle» de l'interprétation des lois. Cependant, l'alinéa 3(3)f) de la LIPR n'incorpore pas les conventions internationales portant sur les droits de l'homme dans la législation canadienne pas plus qu'il n'énonce qu'elles outrepassent les termes simples d'une loi. L'alinéa 3(3)f) de la LIPR signifie que les conventions devraient être considérées par la Cour comme un «contexte» lorsqu'elle interprète des dispositions ambiguës de la législation en matière d'immigration. Je suis d'avis que l'alinéa 117(9)d) du Règlement est simple, clair et sans ambiguïté. Il ne laisse pas de place à une telle interprétation.
[54]De toute façon, la LIPR prévoit au paragraphe 25(1) un mécanisme pour exempter les deux fils de la demanderesse, sur le fondement de circonstances d'ordre humanitaire ou de l'intérêt supérieur des enfants, de l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement.
[55]Je suis d'avis que l'article 25 de la LIPR reflète l'engagement du Canada de tenir compte des droits de l'homme et de l'intérêt supérieur des enfants dans le contexte de l'administration de la législation en matière d'immigration et remplit ses obligations à cet égard. L'alinéa 117(9)d) du Règlement n'est pas une règle inflexible qui empêche le parrainage dans des cas appropriés. La demanderesse peut appuyer ses fils en invoquant l'article 25. Cet article peut reconnaître que la demanderesse est la mère qui aurait pu parrainer ses deux fils si elle avait correctement divulgué leur existence lorsqu'elle a présenté sa demande de résidence permanente au Canada. Cet article peut appliquer des facteurs d'equity dans des cas appropriés.
Troisième question en litige
L'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient-il à l'article 7 de la Charte?
[56]L'article 7 de la Charte prévoit ce qui suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[57]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement enfreint l'article 7 de la Charte. La restriction imposée par la loi à son droit de parrainer ses enfants s'immisce dans sa capacité à prendre des décisions personnelles et importantes et cause un stress psychologique grave. La privation à cet égard n'est pas compatible avec les principes de justice fondamentale étant donné qu'elle est arbitraire et punitive et qu'elle porte atteinte au droit d'être entendu.
[58]Je vais traiter en détail des prétentions faites par la demanderesse à cet égard.
i) Sécurité de la personne--stress psychologique grave causé par l'État
[59]La demanderesse prétend que l'alinéa 117(9)d) du Règlement a des conséquences défavorables sur la sécurité de la personne du répondant. La demanderesse subit la douleur de la perte de la compagnie d'un enfant. Elle est perçue comme une personne qui n'a pas le droit d'avoir ses enfants avec elle en raison de son comportement passé, comportement qui n'a pas de liens avec sa capacité à élever ses enfants. Sa vie sociale et familiale est perturbée au point qu'elle doive choisir entre le pays où elle s'est établie et ses enfants. Ce stress et cette anxiété s'élèvent bien au-dessus du stress ordinaire de la vie.
ii) Privation incompatible avec les principes de justice fondamentale
[60]La privation du droit à la liberté et à la sécurité de la demanderesse ne respecte pas les principes de justice fondamentale étant donné qu'elle est punitive et arbitraire. En outre, la capacité pour la demanderesse de parrainer ses enfants lui est enlevée sans qu'elle ait la possibilité d'être entendue ou de faire apprécier séparément le bien-fondé de sa situation.
iii) Absence du droit d'être entendue
[61]L'alinéa 117(9)d) exclut les enfants de la demanderesse de la catégorie du regroupement familial. Cette exclusion prive la demanderesse du droit d'interjeter appel à la SAI étant donné que la compétence de la Commission est limitée aux cas qui concernent les membres de la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, la répondante est privée de la possibilité d'être entendue. Il n'y a pas de façon d'établir l'équilibre entre les intérêts de l'État et ceux des individus en cause et, par conséquent, il n'existe pas une procédure au cours de laquelle la demanderesse peut présenter des éléments de preuve.
iv) Justification suivant l'article 1
[62]La demanderesse prétend en outre que la restriction ne peut pas être justifiée suivant l'article 1 de la Charte. Bien que l'objet visant à réduire l'immigration fondée sur de fausses déclarations soit un objet important, l'alinéa 117(9)d) est disproportionné quant à cet objet. Cet alinéa est une disposition réglementaire totalement arbitraire qui n'a pas de liens rationnels avec cet objet et qui n'est pas la solution qui porte atteinte le moins possible au droit ou à la liberté en question. L'article 40 de la LIPR et les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, fournissent une dissuasion suffisante contre les personnes qui font de fausses déclarations afin d'être admises au Canada. Voir ces dispositions à l'annexe A ci-jointe.
Analyse à l'égard de la troisième question en litige
[63]Je suis d'avis qu'il faut, pour que l'article 7 de la Charte s'applique, que la Cour statue premièrement qu'il y a eu une privation du droit à la vie et à la sécurité de la personne et, deuxièmement, que la privation porte atteinte aux principes de justice fondamentale: voir l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47. Il est établi que le droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte n'est pas limité à la simple liberté de contrainte physique. La liberté peut être en cause lorsque l'État pousse des gens à faire des choix importants ou fondamentaux dans leur vie ou les empêche de faire ces choix.
[64]Lorsque la demanderesse a fait dans sa vie un choix fondamental de se séparer de ses enfants et d'émigrer, elle l'a fait en étant assujettie à la législation canadienne en matière d'immigration. Elle ne peut pas maintenant prétendre que sa liberté est entravée par cette législation qui restreint la «catégorie du regroupement familial» aux membres de la famille dont l'existence a été divulguée et qui ont fait l'objet d'un contrôle au moment où la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente. De façon réaliste, la demanderesse n'aurait probablement pas été admise au Canada si elle avait divulgué l'existence des membres de sa famille parce qu'il serait devenu évident qu'elle était mariée ou qu'elle avait une relation de conjoint de fait.
[65]À l'égard de la sécurité de la demanderesse, la garantie constitutionnelle de la sécurité de la personne ne protège pas contre les «tensions et les angoisses ordinaires qu'une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d'un acte gouvernemental»: voir la décision Chesters c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 361 (1re inst.), au paragraphe 130, par la juge Heneghan. En fait, la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve démontrant que la demanderesse souffre de stress ou d'anxiété. L'avocat de la demanderesse demande que la Cour reconnaisse d'office que l'incapacité de la demanderesse de pouvoir parrainer ses deux fils peut causer du stress. Je suis d'avis que ce stress n'est pas différent de celui que la demanderesse a volontairement choisi d'accepter lorsqu'elle a décidé de se séparer de ses deux fils en 1993. Ce stress dépend d'elle-même.
[66]En outre, je suis d'avis qu'il n'a pas été porté atteinte au droit à la sécurité de la personne de la demanderesse en raison d'un acte gouvernemental. En tant qu'immigrante potentielle, elle était assujettie aux exigences de la loi et des règlements en matière d'immigration. Elle n'avait pas un autre droit lui permettant d'entrer au Canada. Elle a choisi de ne pas tenir compte de cette législation en présentant sous un faux jour sa véritable situation familiale alors qu'elle tentait d'obtenir l'admission au Canada en tant que résidente permanente. Elle ne peut pas prétendre que cette législation la prive du droit à la sécurité de la personne. Une telle prétention est absurde.
[67]La demanderesse prétend qu'elle a été privée de son droit à la liberté et à la sécurité sans que les principes de justice fondamentale aient été respectés. Le 13 mai 2004, la SAI a tranché une affaire similaire. Dans l'affaire Samosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 271 (QL), la commissaire Kim Workun a examiné l'objet, l'importance et le raisonnement pour lesquels on exige que les demandeurs divulguent l'existence de tous les membres de la «catégorie du regroupement familial». Le principe de la réunification des familles requiert que les autorités d'immigration apprécient la famille comme un tout et évaluent l'admissibilité de chaque membre qui demande l'admission au Canada ou qui pourrait le faire par la suite dans cette catégorie préférentielle. La SAI a déclaré ce qui suit au paragraphe 30:
L'obligation de divulguer de façon exacte l'existence d'une telle personne vise à préserver l'intégrité du régime d'immigration.
Puis, ce qui suit au paragraphe 31:
En soupesant, en l'espèce, les intérêts individuels de l'appelante au regard de l'intérêt de la société, le tribunal conclut que l'intérêt de la société de maintenir l'intégrité du système d'immigration en restreignant l'admissibilité au Canada de la présente demandeure à titre de membre de la catégorie du regroupement familial justifie une privation du présumé droit de l'appelante que lui garantit la Charte [. . .]
et ce qui suit au paragraphe 33:
En fait, le tribunal estime qu'on irait à l'encontre de la justice fondamentale si on permettait à l'appelante, dans les circonstances particulières de l'espèce, de parrainer actuellement la personne à charge dont elle n'a pas divulgué l'existence antérieurement. Le tribunal note que l'appelante a reconnu à l'audience qu'elle a présenté sa demande de parrainage à l'endroit de la demandeure seulement après avoir obtenu elle-même sa citoyenneté canadienne et après s'être crue «à l'abri» de procédures d'immigration défavorables en raison de la non-divulgation de l'existence de la demandeure.
Je suis d'accord avec la commissaire Warkun de la SAI que ce serait un outrage à la justice fondamentale que de permettre maintenant à la demanderesse de parrainer les membres de sa famille dont elle n'a pas divulgué l'existence antérieurement. Je suis d'avis que cette restriction est une limite raisonnable de ses droits garantis par l'article 7 de la Charte.
[68]L'avocat de la demanderesse prétend que si le défendeur avait des préoccupations à l'égard des fausses déclarations faites par la demanderesse, déclarations qui lui ont permis d'obtenir la résidence permanente au Canada, il aurait pris une mesure suivant l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté. L'article 10 prévoit qu'une personne légalement admise au Canada en tant que résident permanent par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels peut faire l'objet d'une mesure visant à annuler sa citoyenneté. Il est selon moi imprudent pour la demanderesse de défier le défendeur à cet égard. L'inaction du défendeur peut ne pas indiquer un acquiescement, mais simplement un manque de ressources et d'autres priorités.
[69]De toute façon, les deux fils de la demanderesse ont le droit de présenter une demande de résidence permanente au Canada et de demander, sur le fondement de circonstances d'ordre humanitaire ou de l'intérêt supérieur de l'enfant suivant l'article 25 de la LIPR, d'être exemptés de l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. La demanderesse peut appuyer une telle demande et requérir que le défendeur prenne en compte le fait qu'elle est séparée de ses fils. Par conséquent, l'article 25 fournit aux deux fils de la demanderesse et à la demanderesse la possibilité d'être exemptés de la restriction imposée par la loi à son droit de parrainer ses enfants. Une telle exemption anéantit complètement sa prétention selon laquelle l'alinéa 117(9)d) du Règlement est si inflexible qu'il porte atteinte à ses droits garantis par l'article 7 de la Charte, y compris à son droit d'être entendue à cet égard.
[70]Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles il n'a pas été porté atteinte à l'article 7 de la Charte, je n'ai pas à examiner la question de savoir si, suivant l'article 1 de la Charte, une telle atteinte est justifiée à titre de limite raisonnable dans une société libre et démocratique. Cependant, j'énoncerai mon opinion à titre subsidiaire. La liberté, dans une société libre et démocratique, doit faire l'objet de limites raisonnables. Le droit d'une personne à la liberté est assujetti au droit du pays. À mon avis, la restriction prévue par l'alinéa 117(9)d) du Règlement, lorsqu'elle est associée à l'article 25 de la LIPR, est une limite raisonnable. C'est en outre une limite raisonnable des droits de la demanderesse garantis par l'article 7 de la Charte.
CONCLUSION
[71]Pour les motifs énoncés, j'ai conclu que:
1) l'alinéa 117(9)d) du Règlement ne contrevient pas à la LIPR;
2) l'alinéa 117(9)d) du Règlement est rédigé dans un langage législatif simple et clair et n'est pas soumis à une interprétation suivant l'alinéa 3(3)f) de la LIPR dans le contexte des obligations internationales du Canada résultant des conventions portant sur les droits de l'homme;
3) l'alinéa 117(9)d) du Règlement est constitutionnel et compatible avec l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
QUESTION PROPOSÉE AUX FINS DE LA CERTIFICATION
[72]La demanderesse a proposé que les trois questions en litige dans la présente affaire soient certifiées à titre de questions graves de portée générale. Je suis d'avis que la première question, celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient au paragraphe 12(1) de la LIPR, n'est pas une question grave de portée générale. Cette disposition réglementaire se rapporte manifestement à l'objet de la Loi et il n'y a pas de doutes que le pouvoir conféré par la loi à l'article 14 de la LIPR permet cette disposition réglementaire pour les motifs mentionnés.
[73]À l'égard de la deuxième question, celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient à l'alinéa 3(3)f) de la LIPR étant donné qu'il ne respecte pas les obligations internationales du Canada portant sur les droits de l'homme, le paragraphe 25(1) de la LIPR respecte directement les obligations du Canada à cet égard. Le paragraphe 25(1) de la LIPR permet aux deux fils de la demanderesse, avec l'appui de la demanderesse, de demander sur le fondement de considérations d'ordre humanitaire compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant une exemption de l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. Par conséquent, je suis d'avis que la deuxième question ne soulève pas une question grave de portée générale qui devrait être certifiée.
[74]À l'égard de la troisième question, celle de savoir si l'alinéa 117(9)d) du Règlement contrevient à l'article 7 de la Charte, je partage l'opinion selon laquelle il s'agit d'une question grave de portée générale. Par conséquent, la question suivante sera certifiée:
L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est-il invalide ou inopérant du fait qu'il est inconstitutionnel étant donné qu'il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d'une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l'article 7 de la Charte? |
ANNEXE A
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29
10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:
a) soit perd sa citoyenneté;
b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.
(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.
[. . .]
18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée:
a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;
b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.
(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.
(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants:
a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;
b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu'il est interdit de territoire pour fausses déclarations;
c) l'annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d'asile;
d) la perte de la citoyenneté au titre de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.
(2) Les dispositions suivantes s'appliquent au paragraphe (1):
a) l'interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l'étranger n'est pas au pays, ou suivant l'exécution de la mesure de renvoi;
b) l'alinéa (1)b) ne s'applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l'interdiction.