A-273-03
2004 CAF 194
VIA Rail Canada Inc. (demanderesse) (employeur)
c.
George Cairns (défendeurs) (employés)
et
La Fraternité des ingénieurs de locomotives (défenderesse) (syndicat)
et
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Les Travailleurs unis des transports (défendeurs) (intervenants)
Répertorié: VIA Rail Canada Inc. c. Cairns (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Evans et Pelletier, J.C.A.--Toronto, 3 et 4 novembre 2003; Ottawa, 17 mai 2004.
Relations du travail -- Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles a imposé des conditions d'emploi à VIA Rail Canada Inc. (VIA) et à la Fraternité des ingénieurs de locomotives (FIL) -- VIA a créé un nouveau groupe qui remplirait les fonctions des mécaniciens de locomotive et des chefs de train -- La FIL a remporté le scrutin de représentation de la nouvelle unité et a conclu une entente avec VIA -- Un groupe de chefs de train a déposé une plainte avec succès devant le Conseil pour faire valoir que la FIL n'avait pas représenté équitablement leurs intérêts (décision 35) -- Les efforts des parties pour régler les points en litige n'ayant pas progressé, le Conseil a rendu la décision qui fait l'objet du présent contrôle -- L'arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada décrit les cas où une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable -- Le Conseil n'a pas outrepassé sa compétence lorsqu'il a modifié la décision 35 en tenant compte d'événements survenus après la date à laquelle la FIL a commis son manquement -- La décision de la Cour de renvoyer la décision 35 n'a pas empêché le Conseil d'exercer sa compétence -- L'art. 99(1)b.1) du Code canadien du travail n'est pas exhaustif à l'égard du pouvoir du Conseil d'imposer des conditions et il n'était pas manifestement déraisonnable de la part du Conseil de conclure que l'art. 99(2) du Code canadien du travail l'habilitait à imposer des conditions remédiant à un manquement au devoir de représentation juste -- Dans des circonstances exceptionnelles, il n'est pas manifestement déraisonnable pour le Conseil d'imposer des conditions de convention collective à un employeur et à un syndicat pour remédier au manquement au devoir de représentation juste -- En l'espèce, aucune des erreurs exposées dans l'arrêt Royal Oak Mines n'a été commise -- Le pouvoir du Conseil de faire respecter efficacement le devoir de représentation juste renforce le principe de la libre négociation collective -- La Cour ne peut annuler une décision que lorsque l'ordonnance du Conseil allait à l'encontre des objectifs du Code en établissant un déséquilibre entre des objectifs pertinents et était manifestement déraisonnable -- Le Conseil ne peut imposer de conditions comme réparation à un manquement au Code que dans le cas où il n'y a pas d'autre option faisable pour remédier au manquement -- Le Conseil doit être en mesure d'imposer des conditions en dernier ressort pour s'acquitter de l'obligation que lui impose la loi de faciliter le règlement positif des différends, d'assurer l'intégrité de la procédure de négociation en remédiant efficacement aux manquements au devoir de représentation juste et de surveiller la mise en oeuvre correcte de ses ordonnances réparatrices -- La réparation accordée par le Conseil n'est pas manifestement déraisonnable et ne va pas à l'encontre des objectifs du Code -- On ne pouvait pas dire que l'ordonnance du Conseil contre VIA était punitive plutôt que compensatoire -- L'«intégration» des listes d'ancienneté, le transfert de l'ancienneté et le choix de la date à partir de laquelle l'ancienneté était calculée n'étaient pas manifestement déraisonnables dans le nouveau contexte des relations du travail -- Demandes rejetées -- Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident): une décision manifestement déraisonnable en est une qui l'est au point de «ne pouvoir s'appuyer sur la législation pertinente» -- Le Code favorise le règlement des différends par une négociation collective -- La décision sous contrôle a retiré la question de l'intégration des chefs de train dans les rangs des mécaniciens de locomotive du champ de la négociation collective -- La décision allant à l'encontre des objectifs du Code et ne pouvant s'appuyer sur la législation pertinente est donc manifestement déraisonnable.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Norme de contrôle -- Décision du Conseil canadien des relations industrielles d'imposer des conditions d'emploi à VIA Rail Canada Inc. (VIA) et à la Fraternité des ingénieurs de locomotives (FIL) -- La norme de contrôle applicable aux décisions d'un organisme administratif juridictionnel doit être déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle -- Les questions de compétence ne sont que l'un des facteurs à prendre en considération -- Les décisions du Conseil qui portent sur l'interprétation du Code doivent normalement faire l'objet d'un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable -- De rigoureuses clauses limitatives, la vaste portée de l'expertise des conseils des relations du travail et la pertinence de cette expertise pour l'interprétation de leur loi habilitante ainsi que l'intention du législateur d'obtenir le règlement rapide des conflits de travail par des organismes spécialisés, dotés de procédures spécifiquement adaptées et de pouvoirs de réparation, sont des considérations qui poussent à un degré élevé de retenue à l'égard des décisions des conseils des relations du travail -- La décision visée par le contrôle comporte l'interprétation du pouvoir de réparation du Conseil qui est défini de manière très large, ce qui commande une retenue particulière -- La norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable est celle qui s'applique à l'interprétation des pouvoirs de réparation du Conseil -- La décision correcte est la norme de contrôle pour trancher l'effet de l'ordonnance rejetant les demandes de contrôle judiciaire de la décision faisant droit à la plainte des chefs de train.
Les deux demandes de contrôle judiciaire, qui ont été entendues ensemble, portent sur une décision (la décision 230) par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a imposé des conditions d'emploi à VIA Rail Canada Inc. (VIA) et à la Fraternité des ingénieurs de locomotives (FIL).
En 1997, VIA a annoncé, dans son document intitulé Une ère nouvelle pour les services voyageurs (ENSV), l'abolition du poste de chef de train, ce qui a entraîné la création d'un nouveau groupe de mécaniciens d'exploitation. Ces mécaniciens rempliraient les fonctions auparavant exécutées par les mécaniciens de locomotive et les chefs de train (collectivement désignés dans l'industrie comme personnel itinérant). Les deux unités de négociation du personnel itinérant ont été fusionnées et la FIL (qui représentait les mécaniciens de locomotive avant la création du nouveau groupe) a remporté le scrutin de représentation des mécaniciens d'exploitation. En 1998, la FIL et VIA ont conclu une entente relative à la mise en oeuvre de l'ENSV, à laquelle était annexée une entente sur la composition des équipes (ECE). L'entente (relative à la mise en oeuvre de l'ENSU) a été ratifiée par les membres de la FIL, mais un groupe de chefs de train a présenté une plainte au Conseil en faisant valoir que la FIL n'avait pas représenté équitablement leurs intérêts. Le Conseil a fait droit à la plainte des chefs de train (la décision 35) et la demande qu'ont présentée VIA et la FIL pour obtenir le contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée (VIA I). Le Conseil a nommé un arbitre et l'a chargé d'entreprendre la médiation-arbitrage et de rendre une décision sur les points litigieux de l'ECE. Cette procédure n'a pas réglé les questions encore en litige et, après avoir prolongé à deux reprises le mandat de l'arbitre, le Conseil a décidé de ne pas le prolonger une troisième fois. Comme les efforts faits pour régler les points en litige conformément à l'ordonnance du Conseil dans la décision 35 ne progressaient pas, le Conseil a fixé une date pour la tenue d'une audience concernant les réparations appropriées liées à la mise en oeuvre des autres éléments de l'ordonnance comprise dans la décision 35. Le Conseil a rendu sa décision sur cette question le 15 mai 2003, par la publication de la décision 230. VIA et la FIL ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision en alléguant qu'elle excédait la compétence du Conseil. Elles ont affirmé que l'ordonnance allait à l'encontre du droit du syndicat et de l'employeur d'établir les conditions d'emploi par la libre négociation collective.
Arrêt (le juge Pelletier, J.C.A., dissident): les demandes doivent être rejetées.
Le juge Evans, J.C.A. (le juge Rothstein, J.C.A., souscrivant à ses motifs): La norme de contrôle applicable aux décisions d'un organisme administratif juridictionnel doit toujours être déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Les questions de compétence jouent un rôle beaucoup moins grand dans l'établissement de la norme de contrôle applicable au point attaqué de la décision d'un tribunal, mais elles demeurent pertinentes puisqu'elles sont l'un des facteurs à prendre en considération dans le cadre de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Une telle analyse était toutefois inutile puisque la Cour suprême du Canada et la Cour d'appel fédérale ont régulièrement conclu que les décisions du Conseil en matière d'interprétation du Code ne sont normalement susceptibles de contrôle qu'en raison du caractère manifestement déraisonnable de la décision. Les considérations suivantes ont poussé à un degré élevé de retenue judiciaire à l'égard des décisions des conseils des relations du travail: de rigoureuses clauses limitatives, la vaste portée de leur expertise et la pertinence de cette expertise pour l'interprétation de leur loi habilitante ainsi que l'intention du législateur d'obtenir le règlement rapide des conflits de travail par des organismes spécialisés, dotés de procédures spécifiquement adaptées et de pouvoirs de réparation. En l'espèce, l'interprétation que donne le Conseil de son pouvoir de réparation en vertu de l'article 99 du Code canadien du travail (le Code) ne devait pas faire l'objet d'un contrôle selon une norme exigeant une retenue moindre que celle qui s'applique à son interprétation de la plupart des autres dispositions du Code. Le pouvoir de réparation du Conseil est défini de manière très large et l'interprétation de ce pouvoir de réparation commande une retenue particulière le Conseil possédant davantage d'expertise que les tribunaux sur ces questions. Bien que la question en litige comporte un aspect de compétence, les autres éléments de l'analyse militaient en faveur d'un degré élevé de retenue et l'interprétation de son pouvoir de réparation par le Conseil devait être contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, la norme de contrôle pour trancher l'effet de l'ordonnance dans l'arrêt VIA I qui rejette les demandes de contrôle judiciaire de la décision 35 était celle de la décision correcte. Dans l'arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada, la Cour suprême du Canada a dit qu'une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable: 1) lorsque la réparation est de nature punitive; 2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés; 3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et 4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code.
Pour ce qui est de savoir si le Conseil a outrepassé sa compétence dans la décision 230 en modifiant l'ordonnance rendue dans la décision 35, il s'est expressément réservé le droit dans cette dernière décision de se ressaisir de certaines questions découlant de l'ordonnance de réparation dans le cas où les parties ne parvenaient pas à les régler, ce qui l'autorisait à mettre en oeuvre l'ordonnance rendue dans la décision 35 et à y apporter toute modification corrélative. C'est pourquoi le Conseil n'était pas dessaisi de l'affaire. La décision dans l'arrêt VIA I de renvoyer la décision 35 exigeait que le Conseil fixe une date ultérieure pour le règlement par les parties des questions encore en litige. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée à tous les autres égards. L'arrêt VIA I ne peut être interprété comme interdisant au Conseil d'exercer la compétence qu'il s'était réservé dans la décision 35. De plus, le Conseil n'a pas outrepassé sa compétence lorsqu'il a tenu compte d'événements survenus après la date à laquelle la FIL a commis le manquement au Code, c.-à-d. après la décision 35. Les conseils des relations du travail doivent être en mesure de prendre en compte l'évolution des circonstances. Conclure autrement irait à l'encontre de l'intention du législateur qui a conféré au Conseil un pouvoir de réparation large et souple. Il n'était donc pas manifestement déraisonnable que le Conseil, dans la décision 230, tienne compte d'événements postérieurs au manquement au Code de la FIL. Aucune des erreurs exposées dans l'arrêt Royal Oak Mines n'a été commise.
Il n'était pas manifestement déraisonnable que le Conseil conclue que le paragraphe 99(2) du Code lui confère le pouvoir de prescrire des conditions à titre de réparation au manquement au devoir de représentation juste dans le cadre de la négociation collective. Il n'était pas non plus manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que le pouvoir de rendre une ordonnance de réparation en vertu du paragraphe 99(2) «en plus [. . .] de toute ordonnance visée au paragraphe (1)» l'autorisait à inclure VIA dans l'ordonnance de réparation. Même si un manquement au devoir de représentation juste ne peut être le fait que d'un syndicat, VIA a participé au manquement, a pris part activement à toutes les procédures déclenchées par la plainte initiale des chefs de train au Conseil au sujet du manquement de la FIL à son devoir de représentation juste et n'a pas mis en oeuvre la décision 35. L'alinéa 99(1)b.1), qui confère expressément au Conseil le pouvoir d'imposer des conditions dans des circonstances déterminées, ne visait pas à être exhaustif à l'égard du pouvoir du Conseil d'imposer des conditions et donc à restreindre la portée du paragraphe 99(2) de manière à empêcher le Conseil d'avoir exceptionnellement recours à cette disposition pour imposer des conditions remédiant à un manquement au devoir de représentation juste. Dans des circonstances exception-nelles, il peut ne pas être manifestement déraisonnable pour le Conseil d'imposer des conditions de convention collective à un employeur et à un syndicat pour remédier au manquement du syndicat à son devoir de représentation juste. Si on applique l'arrêt Royal Oak Mines, on ne peut pas dire qu'il n'y avait «aucun lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation» puisque VIA s'était conduite à l'égard des chefs de train d'une manière qui a été condamnée par le Conseil. La réparation n'allait pas à l'encontre des objectifs du Code. Comme l'a souligné la Cour dans l'arrêt Royal Oak Mines, l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives n'est pas le seul objectif du Code et n'éclipse pas nécessairement tous les autres. L'encouragement du règlement positif des différends est un autre objectif pertinent qui figure dans le préambule du Code. Cet objectif était également pertinent en l'espèce puisque les parties ont été incapables de régler leur différend par une entente. De plus, en l'espèce, les chefs de train ont été privés de leur droit de libre négociation collective puisque la FIL n'a pas tenu compte de leurs intérêts et de leurs aspirations. Le pouvoir du Conseil de faire respecter efficacement le devoir de représentation juste a donc renforcé le principe de la libre négociation collective. La Cour ne doit annuler une décision qu'au motif que l'ordonnance du Conseil allait à l'encontre des objectifs du Code en établissant un déséquilibre entre des objectifs pertinents, si l'ordonnance était manifestement déraisonnable, à la lumière à la fois de l'importance d'encourager la libre négociation collective et des faits de l'espèce.
Pour ce qui est de la question de savoir s'il était manifestement déraisonnable pour le Conseil, au vu de l'ensemble des circonstances, d'imposer des conditions concernant les trois points litigieux de l'ECE plutôt que d'autoriser la poursuite de la procédure consensuelle de médiation-arbitrage dirigée par l'arbitre, trois aspects du différend ont été examinés: le contexte, la faisabilité du règlement des points en litige par les parties sans nouveau retard indu et les conditions imposées par le Conseil à VIA et à la FIL. Compte tenu de ces aspects ainsi que du fait que le Conseil ne peut imposer de conditions comme réparation à un manquement au Code que dans le cas où il n'y a pas d'autre option faisable pour remédier efficacement à un manquement grave au Code, la réparation du Conseil n'était pas manifeste-ment déraisonnable. Le Conseil a sans ambiguïté reconnu l'importance de la libre négociation collective mais, malgré de nombreuses tentatives, les parties ont été incapables d'obtenir des résultats concrets. La situation à laquelle le Conseil avait affaire soulevait des questions de relations du travail d'un caractère complexe et insoluble et, compte tenu du peu de progrès enregistrés, il n'était pas manifestement déraisonnable qu'il conclue à l'absence d'une réelle possibilité d'un règlement imminent du différend. Le Conseil doit être en mesure d'imposer des conditions en dernier ressort s'il doit s'acquitter de l'obligation que lui impose la loi de faciliter le règlement positif des différends, afin d'assurer l'intégrité de la procédure de négociation en remédiant efficacement aux manquements au devoir de réparation juste, et de surveiller la mise en oeuvre correcte de ses ordonnances réparatrices. Le Conseil n'a pas manifestement mal interprété une disposition de sa loi habilitante, tiré une conclusion de fait importante totalement non fondée, omis de tenir compte d'un facteur que le législateur voulait manifestement qu'il considère ou tenu compte d'une considération manifestement non pertinente. Selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, un rôle très limité est attribué à la fonction de révision de la Cour. Cette norme est axée sur «le caractère flagrant et évident» du défaut de la décision sous contrôle et on a également dit qu'elle n'invalide que les décisions administratives «frôlant l'absurde». L'imposition de conditions par le Conseil en vertu des larges pouvoirs conférés par le paragraphe 99(2) n'était pas manifestement déraisonnable dans l'un ou l'autre sens et, par conséquent, n'allait pas à l'encontre des objectifs du Code.
Quant au fait que le Conseil a ordonné à VIA de verser un dédommagement, en l'absence d'éléments de preuve sur la somme que VIA était potentiellement tenue de payer, cette ordonnance n'était pas punitive. Il y avait un lien rationnel entre le dédommagement ordonné par le Conseil et le manquement du syndicat à son devoir de représentation juste ainsi que ses conséquences.
Enfin, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le Conseil de prévoir l'«intégration» des listes d'ancienneté, le transfert de l'ancienneté et le choix de la date à partir de laquelle l'ancienneté est calculée compte tenu du nouveau contexte des relations du travail créé à l'initiative de VIA ainsi que du fait qu'aménager les conséquences de la fusion de ces deux groupes sur le plan de l'ancienneté est un exercice complexe, technique et délicat de réglementation des relations du travail.
Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident): Une décision manifestement déraisonnable en est une qui l'est au point de «ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente». La décision qui fait l'objet du contrôle est une décision qui ne peut s'appuyer rationnellement sur la législation pertinente car elle va à l'encontre des objectifs du Code. L'ordonnance du Conseil a effectivement exclu de la négociation la question de l'intégration des chefs de train dans les rangs des mécaniciens de locomotive dans la mesure où l'employeur et le syndicat ne peuvent convenir de déroger aux conditions de l'ordonnance. Dans la mesure où les objectifs du Code favorisent le règlement des différends par une négociation collective dont les résultats se reflètent dans la convention collective, ces objectifs n'ont pas été atteints. La désaffection des chefs de train vis-à-vis de leur syndicat a été consacrée officiellement et la mise en oeuvre de l'ordonnance du Conseil sera désormais une affaire entre les chefs de train et le Conseil car l'ordonnance ne pourra être rendue exécutoire par la procédure de plainte et d'arbitrage prévue à la convention collective. La promotion de la négociation collective et du règlement positif des différends sont les fondements sur lesquels repose le reste du Code. La décision qui fait l'objet du contrôle aurait dû être annulée parce qu'elle est «à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne [pourrait] justifier de la maintenir». Même si le Conseil était tenu d'intervenir au moment où il l'a fait, il n'était pas tenu de le faire de cette manière. Quant à la décision du Conseil de mettre fin au mandat de l'arbitre, elle était déraisonnable pour deux motifs: 1) les délais imposés à l'arbitre étaient arbitraires et 2) le Conseil semble avoir oublié le fait que le mandat de l'arbitre comportait non seulement la médiation, mais également l'arbitrage des différends. Le Conseil aurait au minimum dû demander à l'arbitre d'engager l'étape d'arbitrage de son mandat.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, préambule, art. 18, 22(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56; 2002, ch. 8, art. 182), 2a),b), 37, 50b), 99(1) (mod. par L.C. 1998, ch. 26, art. 45), b), b.1) (mod., idem), (2). |
Labour Relations Code, R.S.A. 2000, ch. L-1. |
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), a) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; (2003), 257 N.B.R. (2d) 207; 223 D.L.R. (4th) 577; 48 Admin. L.R. (3d) 33; 31 C.P.C. (5th) 1; 302 N.R. 1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727; (2004), 348 A.R. 1; 238 D.L.R. (4th) 385; [2004] 7 W.W.R. 1; 11 Admin. L.R. (4th) 1; 26 Alta. L.R. (4th) 201; 319 N.R. 201 (sur la question de l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle); Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369; (1996), 133 D.L.R. (4th) 129; 36 Admin. L.R. (2d) 1; 96 CLLC 210-011; 193 N.R. 81; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101.
décision distincte:
Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727; (2004), 348 A.R. 1; 238 D.L.R. (4th) 385; [2004] 7 W.W.R. 1; 11 Admin. L.R. (4th) 1; 26 Alta. L.R. (4th) 201; 319 N.R. 201 (sur la question de la norme de contrôle applicable).
décisions examinées:
Cairns (Re), [1999] CCRI no 35; [1999] D.C.C.R.I. no 35 (QL); Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 14 Admin. L.R. (2d) 1; 93 CLLC 14,032; 152 N.R. 1; 63 O.A.C. 1; VIA Rail Canada Inc. (Re), [2002] CCRI no 163; [2002] D.C.C.R.I. no 10 (QL); VIA Rail Canada Inc. (1997), 38 C.L.R.B.R. (2d) 124; 104 di 67; Banque nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269; (1984), 9 D.L.R. (4th) 10; 84 CLLC 14,037; 53 N.R. 203; Canada (Directeur des enquêtes et recherche) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341.
décisions mentionnées:
VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139; (2001), 270 N.R. 237 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [2001] C.S.C.R. no 338 (QL); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525; (2003), 228 D.L.R. (4th) 201; 2 Admin. L.R. (4th) 24; 305 N.R. 275 (C.A.); VIA Rail Canada Inc. (Re) (1998), 25 C.L.R.B.R. (2d) 150; 107 di 92; Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609; (2004), 346 A.R. 201; 238 D.L.R. (4th) 217; [2004] 7 W.W.R. 411; 318 N.R. 332.
DEMANDES de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles (Cairns (Re), [2003] CCRI no 230; [2003] D.C.C.R.I. no 20 (QL)), a imposé des conditions d'emploi à VIA Rail Canada Inc. et à la Fraternité des ingénieurs de locomotives. Demandes rejetées, le juge Pelletier étant dissident.
ont comparu:
John A. Campion, Jean H. Lafleur, Robert J. Cooper et Louise Béchamp pour la demanderesse (employeur).
Douglas J. Wray et Michael A. Church pour le défendeur (partie intervenante), les Travailleurs unis des transports.
Phillip G. Hunt et Graham E. S. Jones pour la défenderesse (syndicat), la Fraternité des ingénieurs de locomotives.
Michael F. Horvat pour la défenderesse (partie intervenante), la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Pascale-Sonia Roy et Susan L. Nicholas pour le Conseil canadien des relations industrielles.
avocats inscrits au dossier:
Fasken Martineau DuMoulin LLP (Toronto) et Fasken Martineau DuMoulin LLP (Montréal), pour la demanderesse (employeur).
CaleyWray (Toronto), pour le défendeur (intervenant), les Travailleurs unis des transports.
Shields & Hunt (Ottawa), pour la défenderesse (syndicat), la Fraternité des ingénieurs de locomotives.
Ogilvy Renault (Montréal), pour la défenderesse (intervenante), la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Services juridiques pour le Conseil canadien des relations industrielles.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A.:
A. INTRODUCTION
[1]En 1999, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a fait droit à la plainte d'un groupe de chefs de train employés par VIA Rail Canada Inc. (VIA), faisant valoir que leur syndicat, la Fraternité des ingénieurs de locomotives (FIL), avait manqué à son obligation légale de représentation juste en négociant trois points d'une convention collective avec VIA. Comme les efforts des parties pour régler les points en litige conformément à l'ordonnance d u Conseil ne progressaient pas d'une manière satisfaisante pour les chefs de train, ceux-ci sont revenus devant le Conseil pour obtenir de l'aide.
[2]Au terme d'une audience, le Conseil a imposé des conditions d'emploi à VIA et à la FIL. Cette ordonnance remplaçait les dispositions de la convention collective sur lesquelles le Conseil s'était fondé pour conclure que la FIL avait manqué à son obligation de représentation juste des chefs de train: Cairns (Re) , [2003] CCRI no 230; [2003] D.C.C.R.I. no 20 (QL) (la décision 230).
[3]VIA et la FIL ont présenté des demandes à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision 230, alléguant que cette décision excède la compétence du Conseil. Elles affirment que l'ordonnance va à l'encontre d'un principe fondamental des relations du travail au Canada, soit le droit du syndicat et de l'employeur d'établir les conditions d'emploi par la libre négociation collective.
[4]Les demanderesses disent que le devoir de représentation juste est de nature procédurale et ne prescrit aucun résultat particulier dans les négociations entre un syndicat et un employeur. Elles soutiennent que si le Conseil n'a pas été persuadé que VIA et la FIL avaient effectivemen t remédié au manquement du syndicat à son devoir de représentation juste, il aurait dû exiger qu'elles poursuivent la procédure de médiation-arbitrage ordonnée par le Conseil, dont avaient convenu VIA, la FIL et les chefs de train.
[5]Le pouvoir du Conseil d'imposer des conditions afin de remédier à un manquement à ce devoir de nature essentiellement procédurale, soutiennent les demande-resses, est une question de compétence, que le Conseil doit donc trancher correctement pour que sa décision résiste au contrôle judiciaire. En outre, fait valoir VIA, le Conseil n'avait pas le pouvoir de lui imposer une réparation dans une procédure où elle n'avait été jugée responsable d'aucun manquement aux dispositions du Code canadien du travail , L.R.C. (1985), ch. L-2.
[6]Les chefs de train, de leur côté, soutiennent que le principe de la pratique des libres négociations collectives n'est pas absolu, mais doit être pondéré par d'autres objectifs du Code, notamment le règlement positif des conflits de travail et la protection des employés contre le défaut de leur agent négociateur de prendre en considération de manière équitable les intérêts de tous les membres de l'unité de négociation sans discrimination, mauvaise foi o u de façon arbitraire. Les chefs de train affirment également qu'étant donné que les pouvoirs du Conseil d'ordonner une réparation en cas de manquement au Code sont très larges et que les décisions du Conseil sont protégées par des clauses limitatives fort es, la Cour ne devrait modifier une ordonnance de réparation rendue par le Conseil que si elle est manifestement déraisonnable.
[7]À mon avis, le caractère manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qui s'applique à l'interprétatio n et à l'exercice par le Conseil de ses pouvoirs de réparation. L'administration des dispositions législatives, notamment la conception de réparations appropriées, commande au Conseil d'harmoniser les objectifs de politique divers et parfois contradictoire s du Code. Cette exigence est au coeur même de son mandat de réglementation des relations du travail. Je ne suis pas persuadé que la réparation accordée par le Conseil en l'espèce comporte le genre d'erreur flagrante qui justifierait une intervention judici aire au motif du caractère manifestement déraisonnable de la décision. Par conséquent, je rejetterais les demandes de contrôle judiciaire.
B. LE CONTEXTE FACTUEL
[8]Nous avons été saisis de deux demandes de contrôle judiciaire, que nous avo ns entendues ensemble: VIA est la demanderesse dans le dossier no A-273-03, et la FIL, dans le dossier no A-277-03. Les présents motifs s'appliquent aux deux demandes et un exemplaire sera versé dans chaque dossier. On peut comprendre les questions que sou lèvent ces demandes sans un récit détaillé de toutes les procédures administratives et judiciaires qui ont précédé l'ordonnance du Conseil qui fait l'objet du contrôle. Un compte rendu très succinct suffira aux besoins.
[9]Les origines de l'histoire qui sous-tend le présent litige remontent à 1977, au moment où une société d'État, VIA Rail, a été créée pour assurer les services ferroviaires voyageurs, qui étaient auparavant fournis par le Canadien National [CN] et le Canadien Pacifique [CP]. Initialement, VIA a continué de faire appel aux employés du CN pour conduire ses trains, soit des mécaniciens de locomotive et des chefs de train, collectivement désignés dans l'industrie comme personnel itinérant. En 1987, toutefois, VIA a décidé de recru ter son propre personnel itinérant afin de réduire les coûts.
[10]Chez VIA, le personnel itinérant formait deux unités de négociation et était représenté par des syndicats différents: les mécaniciens de locomotive, par la FIL, et les chefs de train, par les Travailleurs unis des transports (TUT). Chaque syndicat avait ses propres conventions collectives avec VIA et le CN qui régissaient, notamment, le transfert des employés du CN à VIA et leur retour à leur ancienne classificat ion au CN s'ils étaient incapables de conserver un poste chez VIA dans leur classification.
[11]En 1997, VIA a publié un document, Une ère nouvelle pour les services voyageurs (ENSV), qui annonçait que pour permettre à VIA de réduire ses coûts par une réduction de ses effectifs, le poste de chef de train serait éliminé. L'abolition de ce poste entraînait la création d'un nouveau groupe de mécaniciens d'exploitation. Les mécaniciens d'exploitation rempliraient les fonctions à la fois des mécan iciens de locomotive et des chefs de train, sauf pour les tâches non opérationnelles des chefs de train, qui seraient exécutées par des préposés aux services à bord des trains.
[12]L'ENSV déclarait que les employés ayant déjà les qualificati ons de mécaniciens de locomotive auraient seulement besoin de deux jours de formation pour accomplir les tâches additionnelles exécutées auparavant par les chefs de train. Il serait donc relativement facile pour les mécaniciens de locomotive d'obtenir les qualifications de mécaniciens d'exploitation. Toutefois, comme les chefs de train auraient besoin d'une longue formation pour être en mesure de remplir les fonctions de mécaniciens de locomotive et que ces fonctions pourraient ne pas convenir à tous les ch efs de train, il leur serait plus difficile d'obtenir les qualifications de mécaniciens d'exploitation.
[13]VIA ayant tenté d'effectuer ces changements unilatéralement, la FIL a déposé une plainte qui a été accueillie par le Conseil canadien des relations du travail, comme il s'appelait alors, alléguant une pratique déloyale de travail. Entre-temps, VIA avait saisi le Conseil d'une demande en vertu de l'article 18 du Code en vue de modifier le certificat de négociation collective par la fusio n des deux unités de négociation du personnel itinérant. Le Conseil a accueilli la demande de VIA et ordonné la tenue d'un scrutin de représentation auprès des membres de la nouvelle unité de négociation en vue de déterminer le syndicat qui les représenter ait. Les membres de la FIL étaient plus nombreux que ceux des TUT et la FIL a remporté le scrutin par une très faible majorité.
[14]Au terme de négociations et de procédures judiciaires, VIA et la FIL ont conclu en juin 1998 une entente rela tive à la mise en oeuvre de l'ENSV, à laquelle était annexée une entente sur la composition des équipes (ECE). L'entente [relative à la mise en oeuvre de l'ENSV] a été ratifiée par les membres de la FIL. Par la suite, cependant, un groupe de chefs de train, dont George Cairns, le premier défendeur désigné dans les présentes demandes, a présenté une plainte au Conseil en vertu de l'article 37 du Code. Les chefs de train soutenaient qu'en négociant l'ECE avec VIA, la FIL n'avait pas représenté équitablement leu rs intérêts.
[15]Le 22 octobre 1999, le Conseil a fait droit à la plainte des chefs de train dans une décision publiée sous l'intitulé Cairns (Re) , [1999] CCRI no 35; [1999] D.C.C.R.I. no 35 (QL) (la décision 35). Étant donné son importance cruciale pour les présentes demandes, j'expose ci-dessous les termes de l'ordonnance du Conseil dans la décision 35 (aux paragraphes 130 et 131):
Par conséquent, le Conseil ordonne ce qui suit.
1. VIA et la FIL doivent négocier à nouveau l'entente sur la composition des équipes concernant les questions suivantes:
a. le processus de sélection pour les chefs de train et les chefs de train adjoints;
b. les dispositions sur l'ancienneté, dans la mesure où elles touchent les chefs de train et les chefs de train adjoints qui possèdent les compétences requises comme mécaniciens de locomotives;
c. l'application de l'entente spéciale négociée entre le TUT, VIA et le CN;
et toute autre question connexe jugée appropriée par les parties en vue de p rotéger les intérêts et de répondre aux besoins du groupe des anciens chefs de train et chefs de train adjoints. Les parties doivent conclure les négociations de ces modifications au plus tard le 15 décembre 1999.
2. La FIL concevra et tiendra un processus consultatif interne afin d'établir ces intérêts et ces besoins et recrutera un spécialiste compétent pour aider les chefs de train et les chefs de train adjoints dans ce processus.
3. Le choix de ce spécialiste doit être effectué de conce rt avec les chefs de train et les chefs de train adjoints.
4. La FIL doit supporter, sans avoir à prélever d'autres cotisations syndicales, le coût des services de ce spécialiste.
5. Le spécialiste retenu représentera les chefs de train et les chefs de t rain adjoints aux fins des nouvelles négociations de l'entente sur la composition des équipes, tel qu'il a été prévu précédemment, et aura voix au chapitre au même titre que les représentants de la FIL pour ce qui est de conclure une entente.
6. La FIL assumera les honoraires de l'avocat des plaignants suivant le tarif applicable entre procureur et client, pour ce qui est de la procédure en l'instance.
Le Conseil se réserve le droit de se ressaisir de certaines questions concernant les redressements ordonnés si les parties sont incapables de les régler.
[16]VIA et la FIL ont demandé sans succès le contrôle judiciaire de cette ordonnance: VIA Rail Canada Inc. c. Cairns , [2001] 4 C.F. 139 (C.A.) (VIA I); une demande d'autorisation de pourvoi auprès de la Cour suprême du Canada a été rejetée: [2001] C.S.C.R. no 338 (QL). Par conséquent, le bien-fondé de la réparation accordée par le Conseil dans la décision 35 ne peut être attaqué dans la présente procédure.
[17]Comme la Cour n'a rendu sa décision dans l'affaire VIA I que le 2 mai 2001, elle a renvoyé l'affaire au Conseil «dans le seul but de la fixation d'un nouveau délai aux fins de la négociation des modifications» à l'ECE (au paragraphe 63). Le Conseil avait à l'origine ordonné que les modifications à l'ECE soient négociées pour le 15 décembre 1999, mais quand l'affaire a été reportée, le Conseil a repoussé la date au 20 juillet 2001.
[18]Les parties ont cherché à négocier une entente sur les trois points en litige dans l'ECE identifiés dans la décision 35: le processus de sélection des chefs de train appelés à devenir mécaniciens de locomotive; les dispositions sur l'ancie nneté des chefs de train devenus mécaniciens de locomotive; l'application de l'entente relative aux droits de transfert des employés entre VIA et le CN.
[19]Les parties n'étant toutefois pas parvenues à une entente, elle sont revenues devant le Conseil qui a ordonné une procédure de facilitation avec le concours d'une membre du Conseil et, en cas d'échec, une procédure de médiation-arbitrage. Avec le consentement des parties, le Conseil a nommé M. Michel Picher, arbitre largement respecté et comptant une grande expérience dans le secteur du transport ferroviaire, l'a chargé d'entreprendre la médiation-arbitrage et lui a demandé de rendre une décision sur les points litigieux de l'ECE au plus tard le 31 octobre 2001.
[20]Le 22 octobre 2001, le médiateur-arbitre a demandé au Conseil de prolonger son mandat au vu des progrès encourageants qui avaient été réalisés. Comme M. Picher avait confiance que la prolongation du délai accroîtrait les chances de succès et en l'absence d'opposit ion des parties, le Conseil a accordé une prolongation jusqu'au 31 janvier 2002. Cependant, le 15 janvier 2002, M. Picher a demandé une nouvelle prolongation, jusqu'au 31 mai 2002. Après avoir consulté les parties et les intervenants, le Conseil a accordé la prolongation, mais jusqu'au 11 février 2002 seulement, pour permettre la tenue des séances de négociations qui avaient été prévues.
[21]La procédure de médiation-arbitrage n'a pas réglé les questions encore en litige et, le 11 février 200 2, le Conseil a décidé de ne pas prolonger le mandat de M. Picher, n'étant pas convaincu que des progrès adéquats étaient réalisés ou qu'une nouvelle prolongation servirait les intérêts des chefs de train. Le Conseil a souligné qu'au cours des deux ans et demi qui s'étaient écoulés depuis la publication de sa décision 35, aucun des points de son ordonnance n'avait été mis en oeuvre, notamment l'obligation de la FIL de payer sur la base avocat-client les honoraires d'avocat engagés par les chefs de train en r aison de leur participation à la procédure de médiation. VIA et la FIL se sont opposées à la décision du Conseil de ne pas prolonger le mandat de M. Picher, tandis que les chefs de train s'opposaient à la demande de prolongation.
[22]Le Conseil a décidé de ne pas accorder une nouvelle prolongation à M. Picher et a fixé des dates pour une audience sur deux questions. Toutefois, le Conseil a clairement fait savoir que ces mesures n'empêchaient pas les parties de poursuivre leurs efforts de règlement des questions encore en litige, avec ou sans le concours de M. Picher.
[23]La première question concernait le paiement par la FIL des honoraires d'avocat des chefs de train et des autres dépenses reliées à la procédure d e médiation-arbitrage conformément aux points 4 et 6 de l'ordonnance contenue dans la décision 35. Le Conseil a rendu une ordonnance sur ce sujet le 22 mars 2002. La deuxième question, de loin plus difficile et plus importante, concernait les réparations a ppropriées liées à la mise en oeuvre des autres éléments de l'ordonnance comprise dans la décision 35. Le Conseil n'a rendu sa décision que le 15 mai 2003, par la publication de la décision 230. C'est la décision qui fait l'objet des présentes demandes de c ontrôle judiciaire.
[24]Outre les événements évoqués ci-dessus, d'autres négociations avaient lieu, dont certaines avec le concours de M. Picher à titre de médiateur. En particulier, le 22 avril 2002, un protocole d'entente (PE) a été conclu entre VIA et la FIL, qui, aux dires des parties, réglait les principaux points de préoccupation des chefs de train à l'égard de l'ECE identifiés dans l'ordonnance de réparation de la décision 35. Les parties ont informé le Conseil que le PE comportait des recommandations de règlement faites par M. Picher et leur meilleure position à l'égard des points en litige. Les chefs de train se sont opposés à l'admissibilité du PE dans la procédure devant le Conseil faisant l'objet du contrôle judiciaire visé par les présentes demandes, principalement parce qu'ils n'avaient pas participé à sa négociation. Le Conseil a admis le PE et l'a finalement pris en considération dans la décision 230.
C. LA DÉCISION 230
[25]Dans la décision 230, le Conseil a déga gé quatre conclusions importantes qui étayaient son ordonnance. Premièrement, le Conseil a conclu que dans sa décision sur la manière de mettre en oeuvre l'ordonnance de la décision 35, il était tenu de prendre en considération l'effet du délai supérieur à trois ans et demi qui s'était écoulé depuis la publication de la décision 35.
[26]Deuxièmement, le Conseil a passé en revue les principes exposés dans la jurisprudence régissant l'attribution des réparations. En particulier, le Conseil a déclaré (au paragraphe 57):
[. . .] le but recherché c'est de mettre un terme aux effets néfastes du défaut du syndicat de protéger les droits des chefs de train et de les replacer dans la situation où ils auraient été s'il n'y avait pas eu violation des dr oits que leur reconnaît le Code .
Le Conseil a réitéré que pour atteindre cet objectif, il prendrait en compte l'évolution des circonstances intervenue depuis la publication de la décision 35 et concevrait son ordonnance en conséquence.
[27]Troisièmement, le Conseil s'est penché sur l'objection soulevée par VIA, à savoir que comme la décision 35 n'avait pas établi qu'elle avait manqué au Code, elle ne pouvait pas faire l'objet d'une ordonnance de réparation. Le Conseil a reconnu que seul un s yndicat pouvait manquer au devoir de représentation juste. Cependant, il a également fait observer que VIA avait été partie à l'ECE, qui avait donné naissance aux plaintes des chefs de train, et qu'elle avait participé activement aux nombreuses procédures engagées devant le Conseil, le médiateur-arbitre et les tribunaux. Par conséquent, le Conseil a conclu (au paragraphe 71):
Si la FIL doit répondre devant ses membres de la violation du Code, VIA et la FIL doivent assumer ensemble les conséquences de la décision du Conseil puisqu'elles ont toutes deux contribué à produire les effets de l'ECE, quoique à des degrés divers peut-être. Dans les circonstances de l'affaire qui nous occupe, l'imposition de conséquences financières à VIA est une conclusion nécessair e pour réaliser les objets des ordonnances du Conseil, soit corriger les effets discriminatoires de l'ECÉ.
[28]Quatrièmement, le Conseil a conclu que le PE ne répondait pas adéquatement aux préoccupations des chefs de train et avait été négo cié par VIA et la FIL sans la participation des chefs de train, des TUT ni du spécialiste compétent qui devait, selon la décision 35, être nommé pour aider les chefs de train dans la négociation de conditions qui prendraient adéquatement en compte leurs in térêts.
[29]Sur trois éléments, le Conseil n'a pas été persuadé que le PE apportait des modifications à l'ECE. Premièrement, les critères établis dans le PE pour la sélection des chefs de train aptes à recevoir la formation de mécaniciens de locomotive entraînaient vraisemblablement peu de chances de sélection pour plusieurs années. Deuxièmement, le PE maintenait l'ancienneté des mécaniciens de locomotive antérieure à l'ENSV par rapport aux anciens chefs de train qui se qualifia ient comme mécaniciens de locomotive aux termes de l'ENSV, sans égard à la date de recrutement initiale. Troisièmement, les chefs de train formés comme mécaniciens de locomotive par l'effet de l'ENSV ne disposaient pas des mêmes droits de réintégration au CN que les autres mécaniciens de locomotive.
[30]Se fondant sur ces conclusions, le Conseil a rendu une ordonnance complexe visant à redresser le manquement au Code de la FIL et le défaut des parties de mettre en oeuvre la décision 35 d'une m anière jugée satisfaisante par le Conseil. L'ordonnance prévoyait notamment les éléments suivants: i) elle étendait à tous les chefs de train le droit du subir le test d'aptitude leur permettant de se qualifier comme mécaniciens de locomotive; ii) elle prévoyait que les chefs de train qui réussissaient le test devaient être placés sur une liste par «ordre d'ancienneté» et être admissibles à mesure que des postes de mécaniciens de locomotive devenaient disponibles; iii) elle exigeait que la FIL et VIA versen t un dédommagement pécuniaire aux chefs de train qui avaient subi une perte en raison de l'ECE, au lieu de la réparation prévue par l'ordonnance; iv) elle donnait ordre à VIA et à la FIL de présenter des observations écrites au Conseil pour que celui-ci so it en mesure de répartir entre elles la responsabilité du paiement du dédommagement.
D. LE CADRE LÉGISLATIF
Code canadien du travail [articles 22
(mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56; 2002,
ch. 8, art. 182), 99 (mod. par L.C. 1998,
ch. 26, art. 45)]
18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.
[. . .]
22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les déc isions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a ), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales et dans le cadre de cette loi.
(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action--décision, ordonnance ou procédure--du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une éta pe quelconque de la procédure:
a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;
b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto.
[. . .]
37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des employés de l'unité de négociation dans l'exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.
[. . .]
99. (1) S'il décide qu'il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6), des articles 37, 47.3, 50 ou 69, des paragraphes 87.5(1) ou (2), de l'article 87.6, du paragraphe 87.7(2) ou des articles 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ord onnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s'y conformer et en outre:
[. . .]
b) dans le cas de l'article 37, enjoindre au syndicat d'exercer, au nom de l'employé, les droits et recours que, selon lui, il aurait dû exercer ou d'aider l'employé à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire;
b.1) dans le cas de l'alinéa 50a), enjoindre, par ordonnance, à l'employeur ou au syndicat d'inclure ou de retirer des conditions spécifiques de sa position de négociation ou ordonner l'application d'une méthode exécutoire de règlement des points en litige, s'il est d'avis que ces mesures sont nécessaires pour remédier aux effets de la violation;
[. . .]
(2) Afin d'assurer la réalisation des obj ectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence et obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.
Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985),
ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8,
art. 14), 18.1(4)a) (édicté par L.C. 1990,
ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27)]
18.1 [. . .]
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas:
a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;
E. LES QUESTIONS SOULEVÉES ET L'ANALYSE
QUESTION No 1 La norme de contrôle |
i) La norme de contrôle et la «compétence»
[31]L'avocat de VIA a soutenu que le Conseil avait commis trois erreurs de compétence dans sa décision 230. En premier lieu, il avait rouvert la décision 35 pour d'autres motifs que la simple modification de la dernière date fixée pour la mise en oeuvre de l'ordonnance de réparation et, dans la conception de la réparation, avait tenu compte de circonstances postérieures à la décision 35. En deuxième lieu, il avait ordonné des conditions d'emploi aux parties au lieu de celles dont elles avaient convenu. En troisième lieu, il avait imposé ces conditions à VIA et lui avait ordonné de verser un dédommagement, alors que VIA n'avait pas été jugée avoir manqué au Code dans la décision 35.
[32]Du fait qu'il s'agissait de «questions de compétence» ou de «questions préalables», a soutenu l'avocat de VIA, les conclusions du Conseil pouvaient de plein droit faire l'objet d'un contrôle selon la norme de la décision correcte, sans qu'il soit nécessaire de procéder à l'analyse pragmatique et fonctionnelle. À titre subsidiaire, dans la mesure où le Conseil était compétent pour ordonner l'une des réparations accordées en l'espèce, l'exercice de son pouvoir de réparation était manifestement déraisonnable.
[33]Je n'accepte pas l'approche de l'avocat par la question «de compétence» pour établir la norme de contrôle. Des arrêts récents de la Cour suprême du Canada établissent clairement que la norme de contrôle applicable aux décisions d'un organisme administratif juridictionnel doit toujours être déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Des concepts abstraits, tels que celui de la «question de compétence», jouent mainten ant un rôle beaucoup moins grand dans l'établissement de la norme de contrôle applicable au point attaqué de la décision d'un tribunal.
[34]Ainsi, dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia , [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 21, la juge en chef McLachlin, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré:
Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commen-cer par déterminer la norme de contrôle appli cable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans Pushpanathan [c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982], la Cour a accepté sans équivoque la primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle dans la détermination de la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions administratives.
Elle a dit plus loin (aux paragraphes 24 et 25):
Si les motifs nommés, le libellé de la disposition habilitante et les interprétations sclérosées des formulations législatives demeurent utiles comme repères familiers, ils ne dictent plus le cheminement.
C'est pour cette raison que, dorénavant, il ne suffit plus de classer une question donnée dans une catégorie précise de contrôle judiciaire et d'exiger sur ce fondeme nt que le décideur ait rendu une décision correcte.
[35]Ainsi, désigner l'interprétation d'une disposition donnée de la loi habilitante d'un organisme comme une «question de compétence» ne permet de «sauter aucune étape de l'analyse pragmati que et fonctionnelle»: Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan , [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 21 (juge Iacobucci). En réalité, comme la juge en chef McLachlin l'a indiqué dans l'arrêt Ryan , ce point en particulier a été établ i dans l'arrêt Pushpanathan [Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982], où le juge Bastarache a déclaré (au paragraphe 28):
Mais il faut bien comprendre qu'une question qui «touche la compétence» s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une «erreur de compétence» est simplement une err eur portant sur une question à l'égard de laquelle, selon le résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l'égard de laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.
[36]Néanmoins, la «compétence» fait toujours partie de la terminologie du droit administratif. En l'espèce, elle apparaît dans deux contextes: l'erreur de compétence est le motif du contrôle judiciaire et la nature du paragraphe 99(2) qui traite de la compét ence est l'un des facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle pour établir la norme de contrôle. Je les traiterai à tour de rôle.
[37]Premièrement, l'erreur de compétence est un motif de contrôle par la Cour des décisions des organis mes administratifs fédéraux: voir l'alinéa 18.1(4)a ) de la Loi sur les Cours fédérales. En fait, de par la clause limitative des paragraphes 22(1) et (2) du Code canadien du travail, c'est le seul motif qui puisse fonder un contrôle judiciaire de la décisi on du Conseil en l'espèce. Il n'y a pas d'allégation de manquement au devoir de traitement équitable ni de parjure.
[38]Cependant, caractériser le motif de contrôle applicable d'erreur de compétence n'est pas déterminant à l'égard de la norm e de contrôle que la Cour doit appliquer pour décider si la demanderesse a établi que le tribunal a commis une erreur, comme elle l'allègue. Par conséquent, dans le cas où, comme en l'espèce, une décision est attaquée en vertu de l'alinéa 18.1(4)a ) au motif que le Conseil «a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer», et où l'erreur alléguée met en cause l'interprétation d'une disposition du Code, la Cour doit encore utiliser l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour décider de la no rme de contrôle applicable à l'interprétation de la disposition en litige.
[39]Si l'analyse pragmatique et fonctionnelle amène la Cour à conclure que la décision correcte constitue la norme applicable au contrôle de l'interprétation que donne le Conseil de la disposition du Code en cause, le Conseil aura excédé sa compétence si la Cour n'est pas d'accord avec l'interprétation du Conseil. Inversement, si l'analyse pragmatique et fonctionnelle fait ressortir que la norme de cont rôle applicable est le caractère manifestement déraisonnable de la décision, il sera conclu que le Conseil a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer si son interprétation est manifestement déraisonnable.
[40]Deuxièmem ent, la «compétence» demeure un élément pertinent pour déterminer la norme de contrôle parce que c'est l'un des facteurs à prendre en considération dans le cadre de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Établir si une question en est une de compétence ou n'en est pas relève de l'examen de la nature de la question que doit trancher un tribunal: Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 24.
[41]La Cour suprême du canada a récemment app uyé cette position dans l'arrêt Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College , [2004] 1 R.C.S. 727. Dans cet arrêt, le juge Iacobucci a déclaré (au paragraphe 18) qu'une disposition conférant un pouvoir de réparation à un arbitre du travail touchait la compétence et que c'était un facteur indiquant que l'interprétation de la loi par l'arbitre devait faire l'objet d'un contrôle selon la norme de la décision correcte. Cela s'explique, selon le juge Iacobucci, par le fait [au paragraphe 18] qu'«un organisme administratif est une pure émanation de la loi et est en conséquence tenu de déterminer correctement la portée de son mandat».
[42]Toutefois, bien que la disposition en litige touche la compétence, le juge Iacobucci a c onclu que d'autres considérations pragmatiques et fonctionnelles exigeaient que la décision de l'arbitre fasse l'objet d'une retenue de la part des tribunaux. On retrouve une conclusion similaire dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525 (C.A.), aux paragraphes 21 et 22.
ii) La norme de contrôle et le pouvoir de réparation: «une enclave de compétence»?
[43]À un stade antérieur de l'ère de l'approche pragmatique et fonctionnelle dans le droit du contrôle judiciaire des décisions administratives au Canada, on trouvait une jurisprudence appuyant la position que la portée du pouvoir de réparation du Conseil à l'article 99 du Code est une «questio n de compétence» et que la décision correcte est donc la norme applicable au contrôle de l'interprétation de cette disposition par le Conseil.
[44]Ainsi, dans l'arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) , [1996] 1 R.C.S. 369, le juge Cory a dit (au paragraphe 59):
La question de savoir si le Conseil peut imposer une réparation aux parties est donc une question de compétence. Si le Conseil décidait qu'il ne peut pas imposer une réparation pour parer à une violatio n reprochée à une partie, la partie lésée aurait le droit de faire valoir devant la cour exerçant le contrôle que le Conseil a incorrectement interprété sa loi habilitante. La cour serait alors en droit, pour statuer sur la question de compétence, de contrôler la décision du Conseil, selon la norme de la décision correcte afin de déterminer si, de fait, celui-ci avait le pouvoir dont il a estimé ne pas être investi.
[45]Le juge Cory a également ajouté au même paragraphe que «quand il a été ét abli que, d'après les dispositions de la loi habilitante, le Conseil est en fait compétent pour imposer certaines réparations», la norme du caractère manifestement déraisonnable s'applique pour décider si le Conseil a outrepassé sa compétence en accordant, dans une affaire donnée, l'une des réparations à sa disposition.
[46]Cependant, j'estime en toute déférence que l'idée que l'interprétation des dispositions sur le pouvoir du Conseil en matière de réparation peut être contrôlée selon la norme de la décision correcte du seul fait qu'il s'agit d'une question de compétence a été balayée par un torrent de jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la norme de contrôle au cours des huit années qui ont suivi l'arrêt Royal Oak Mines .
[47]J'ai déjà cité les arrêts Dr Q , Ryan et Pushpanathan à l'appui de l'idée que, selon l'état du droit actuel, la méthode pragmatique et fonctionnelle doit toujours être utilisée par une cour de révision pour établir la n orme de contrôle applicable aux décisions des organismes administratifs juridictionnels. En outre, deux autres arrêts portent directement sur la norme de contrôle applicable à l'interprétation par les tribunaux du travail de leur pouvoir de réparation.
[48]Dans le premier, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, prononcé peu après l'arrêt Royal Oak Mines , précité, la Cour a appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle pour ét ablir la norme de contrôle applicable à l'interprétation par un conseil des relations du travail de ses pouvoirs, même aux dispositions qui «semblent limiter la compétence d'un tribunal administratif» (au paragraphe 44).
[49]Appliquant l'app roche pragmatique et fonctionnelle à l'affaire dont elle était saisie, la juge L'Heureux-Dubé, rédigeant au nom de la Cour, a conclu que la norme applicable était la décision manifestement déraisonnable. Tout en déclarant (au paragraphe 46) qu'en concluant de la sorte sa décision était en conformité avec l'analyse du juge Cory dans l'arrêt Royal Oak Mines , la juge L'Heureux-Dubé a du même souffle rejeté la notion selon laquelle l'interprétation par un organisme administratif de son pouvoir de réparation doi t automatiquement faire l'objet d'un contrôle selon la décision correcte du fait que la question de savoir si un organisme peut accorder une catégorie particulière de réparation est une question de «compétence»: voir les paragraphes 44 et 47.
[50]Deuxièmement, dans l'arrêt récent Lethbridge Community College , la Cour a conclu que bien que la portée du pouvoir de réparation de l'arbitre soit une question de compétence, «la nature réparatrice de la disposition [conférant ce pouvoir] appelle généralement une grande déférence» (au paragraphe 18), parce que son interprétation «présuppose la compréhension et l'analyse de questions de droit du travail» (au paragraphe 19). La Cour a conclu dans cet arrêt qu'à la fois l'interprétation et l'exercice du pouvoir de réparation par l'arbitre devaient faire l'objet d'un contrôle selon la norme intermédiaire de la décision déraisonnable simpliciter .
iii) La norme de contrôle applicable
[51]Comme la norme de contrôle applicable à la conclusion d u Conseil qu'il peut accorder une réparation particulière doit être établie selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, je dois maintenant procéder à cette analyse. Tant la Cour suprême du Canada que la présente Cour ont régulièrement conclu que les déci sions du Conseil canadien des relations industrielles (et de son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail) en matière d'interprétation du Code ne sont normalement susceptibles de contrôle qu'en raison du caractère manifestement déraisonna ble de la décision. Je ne dois donc pas réinventer la roue en menant une analyse pragmatique et fonctionnelle exhaustive.
[52]Qu'il me suffise de dire que les considérations suivantes poussent à un degré élevé de retenue judiciaire à l'égard des décisions des conseils des relations du travail, et notamment du Conseil: de rigoureuses clauses limitatives, la vaste portée de leur expertise et la pertinence de cette expertise pour l'interprétation de leur loi habilitante ainsi que l'intention du législateur d'obtenir le règlement rapide des conflits de travail par des organismes spécialisés, dotés de procédures spécifiquement adaptées et de pouvoirs de réparation.
[53]Par conséquent, dans la mesure où la décision 230 fait intervenir l'interprétation du pouvoir de réparation du Conseil, la question à trancher est la suivante: l'interprétation que donne le Conseil de l'article 99 doit-elle faire l'objet d'un contrôle selon une norme exigeant une retenue moindre que cell e qui s'applique à son interprétation de la plupart des autres dispositions du Code? Je réponds par la négative.
[54]Premièrement, le pouvoir de réparation du Conseil est défini de manière très large. Le paragraphe 99(2) peut en effet diffic ilement être plus large:
99. [. . .]
(2) Afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence e t obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.
[55]Deuxièmement, comme je l'ai déjà noté, l'interprétation par les tribunaux du travail de leur pouvoir de réparation commande une retenue particulière: voir l'arrêt Lethbridge Community College , au paragraphe 18. Les raisons convaincantes avancées par le juge Cory dans l'arrêt Royal Oak Mines , (aux paragraphes 50 à 60) à l'appui de la retenue judiciaire à l'égard de l'exercice par le Conseil de son pouvoir de réparation s'appliquent également, à mon avis, à l'interprétation de ce pouvoir par le Conseil. En effet, le fait de savoir si l'on peut s'appuyer sur la législation pour autoriser le Conseil à accorder une réparation particulière fait appel à un examen ainsi qu'à une pondération contextuelle des objets de la partie I du Code ainsi qu'à une appréciation de la diversité des situations de relations de tra vail susceptibles de justifier une mesure de réparation efficace.
[56]Il s'agit là de questions sur lesquelles le Conseil possède davantage d'expertise que les tribunaux. Comme le pouvoir de réparation du Conseil est très différent des optio ns de réparation plus restreintes normalement ouvertes aux tribunaux, et beaucoup plus large qu'elles, on ne peut affirmer que l'interprétation de l'article 99 fait intervenir quelque notion de droit général à l'égard de laquelle la Cour pourrait prétendre disposer d'une expertise au moins égale à celle du Conseil.
[57]L'arrêt Lethbridge Community College , demande que l'élément «compétence» d'une disposition accordant un pouvoir discrétionnaire de réparation soit un facteur pris en compte dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle; je conclus néanmoins que les autres éléments de l'analyse qui, à mon avis, militent en faveur d'un degré élevé de retenue judiciaire, priment sur cette considération.
[58]Dans l'arrêt Lethbridge Community College , la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à l'interprétation par l'arbitre de son pouvoir de réparation était la décision déraisonnable simpliciter , et non la décision manifestement dérai sonnable. Toutefois, il y a entre la présente espèce et l'affaire Lethbridge Community College deux différences importantes, qui expliquent que la norme plus rigoureuse de la décision déraisonnable simpliciter exigée dans l'arrêt Lethbridge Community College n'est pas justifiée en l'espèce.
[59]Premièrement, de façon générale, la clause limitative du Labour Relations Code , R.S.A. 2000, ch. L-1, de l'Alberta est plus faible que celle du Code canadien du travail , car elle ne vise aucunement à r estreindre la portée du contrôle judiciaire si la demande est déposée dans un délai n'excédant pas 30 jours de la décision attaquée. Le contrôle judiciaire n'est interdit que passé ce délai.
[60]Deuxièmement, l'arrêt Lethbridge Community College , concernait le contrôle d'une décision d'un arbitre du travail alors qu'en l'espèce, il s'agit de la décision d'un conseil des relations du travail. Dans l'arrêt Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada , [1993] 2 R.C.S. 230, à la page 166, le juge La Forest a déclaré que les arbitres du travail ont un éventail d'expertise moins large que les conseils des relations du travail, facteur qui milite en faveur d'une moindre retenue judiciaire à l'égard des décisions des arbitres. La législation confère généralement aux conseils des relations du travail un rôle de surveillance générale dans le domaine des relations du travail alors que les arbitres du travail nommés pour trancher les plaintes ont le rôle plus étroit de décider si le plaignant a établi un manquement à la convention collective.
[61]Par conséquent, bien que la question comporte un aspect de compétence, je ne vois pas de raison suffisante pour conclure que l'interprétation donnée par le Conseil de son pouvoir de réparation doive faire l'objet d'un contrôle selon une norme autre que celle que les tribunaux appliquent à l'interprétation d'autres dispositions du Code. J'estime donc que l'interprétation du Conseil du paragraphe 99(2) doit être contrôlée selon la norme de la décision manifeste ment déraisonnable.
iv) La décision manifestement déraisonnable et l'exercice du pouvoir de réparation
[62]L'arrêt Royal Oak Mines , fournit des orientations précises pour l'application de la norme du caractère manifestement déraisonnable à l'exercice du pouvoir de réparation d'un conseil de relations du travail. L'avocat des demanderesses a même reconnu que si la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable, les critères formulés dans l'arrêt Royal Oak Mines s'appliquent.
[63]Le juge Cory a exposé comme suit (au paragraphe 68) les erreurs qui justifieraient une modification judiciaire d'une ordonnance rendue par le Conseil:
Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséque nces et la réparation; et (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code.
On n'a pas fait valoir que la réparation accordée par le Conseil en l'espèce portait atteinte aux droits de VIA ou de la FIL reconnus par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
QUESTION No 2 Le Conseil a-t-il outrepassé sa compétence dans la décision 230 en modifiant l'ordonnance contenue dans la décision 35? |
[64]L'avocat de VIA a plaidé que l'ordonnance de réparation du Conseil dans la décision 230 est invalide parce que, sans habilitation légale, elle modifie et étend la portée de l'ordonnance du Conseil dans la décision 35. Il a présenté l'argumentation sous trois angles.
[65]Premièrement, après que le Conseil a rendu la décision 35, il a été dessaisi. Deuxièmement, quelque pouvoir qu'ait eu le Conseil de rouvrir la décision 35, ce pouvoir a été annulé par la décision VIA I de la Cour, qui a rejeté les demandes de contrôle judiciaire de la décision 35 et renvoyé l'affaire au Conseil (au paragraphe 63)
[. . .] dans le seul but de la fixation d'un nouveau délai aux fins de la négociation des modifications de l'Entente concernant la composition des équipes dont il est fait mention au paragraphe 1 de son ordonnance. [Non souligné dans l'original.]
Troisièmement, le Conseil a outrepassé sa compétence en élaborant la réparation contenue dans la décision 230 à la lumière d'événements survenus postérieurement à ceux sur la base desquels il avait estimé dans la décision 35 que la FIL avait manqué à son devoir de représentation juste. Le manquement avait été commis en juin 1998 ou auparavant, au moment où VIA et la FIL avaient signé la convention collective qui comportait l'ECE.
[66]Pour les motifs présentés ci-dessus, dans la mesure où ces questions concernent l'interprétation des pouvoirs du Conseil conférés par la loi, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, la décision correcte est la norme de contrôle pour trancher l'effet de l'ordonnance de la Cour dans l'arrêt VIA I qui rejette les demandes de contrôle judiciaire de la décision 35.
i) Le Conseil a-t-il été dessaisi après avoir rendu la décision 35?
[67]Le point de départ de l'analyse doit être la nature de l'ordonnance du Conseil dans la décision 35 et l'objet visé par le Conseil dans la décision 230. L'ordonnance prévue à la décision 35 n'était pas complète par elle-même, car elle imposait aux parties de renégocier les trois éléments litigieux de l'ECE d'une manière conforme au devoir de la FIL de représenter équitablement les intérêts de s chefs de train.
[68]La décision 35 ordonnait également certaines mesures pour y parvenir: en particulier, la consultation par la FIL des chefs de train et la nomination d'un spécialiste, rémunéré par la FIL, à titre de conseiller et de rep résentant des chefs de train pour la renégociation de l'ECE. Le Conseil se réservait expressément le droit de se ressaisir de certaines questions découlant de l'ordonnance de réparation de la décision 35 dans le cas où les parties étaient incapables de les régler.
[69]À mon avis, le fait que le Conseil se réservait expressément le droit de se ressaisir dans le cas où les parties ne parvenaient pas à régler les questions de réparation encore en litige autorisait le Conseil à mettre en oeuvre l'ordonnance rendue dans la décision 35 et à y apporter toute modification corrélative. De plus, comme le Conseil accordait une prolongation de délai à la demande ou avec le consentement des parties, VIA et la FIL ne peuvent maintenant se plaindre de ce que ces modifications aient été faites sans habilitation légale.
[70]VIA ne nie pas que le pouvoir étendu du Conseil en matière de réparation comporte celui de se réserver le droit de se ressaisir en cas d'incapacité des parties de s'entendre sur la mise en oeuvre d'une ordonnance de réparation. En fait, comme l'attaque des demanderesses à l'encontre de la décision 35 a été rejetée dans l'arrêt VIA I , elles ne peuvent maintenant contester cet aspect de la décision.
[71]À la lumière des considérations qui précèdent, je ne puis accueillir l'argument de VIA fondé sur le dessaisissement du Conseil.
ii) Les répercussions de l'arrêt de la Cour renvoyant la décision 35
[72]À mon avis, il n'y a pas d'incompati bilité entre le but limité pour lequel la Cour dans l'arrêt VIA I a renvoyé la décision 35 et l'ordonnance du Conseil dans la décision 230. Quand une cour de révision confirme la décision d'un organisme administratif, elle rejette normalement la demande de contrôle judiciaire sans autre ordonnance ou directive. Cependant, quand la Cour a jugé les demandes de contrôle judiciaire dans l'arrêt VIA I , la dernière date fixée par le Conseil pour le règlement par les parties des questions encore en litige était pa ssée. Par conséquent, pour tenir compte de l'écoulement du temps, la Cour a ordonné au Conseil de fixer une date ultérieure, ce que le Conseil a fait dans la décision-lettre no 464 en changeant la date d'achèvement pour le 20 juillet 2001.
[73]Il est vrai que la Cour, dans l'arrêt VIA I , a employé les mots «dans le seul but» quand elle a renvoyé la décision 35 au Conseil. Toutefois, cette formulation indiquait simplement dans quelle mesure restreinte la Cour exigeait du Conseil qu'il modifie la décision 35, soit en prolongeant le délai pour l'achèvement des négociations. À tous les autres égards, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Dans ces circonstances, l'arrêt VIA I ne peut être interprété comme interdisant au Consei l d'exercer la compétence qu'il s'était réservé dans la décision 35.
[74]Il s'ensuit qu'en renvoyant l'affaire pour une modification de la date de conclusion des négociations, l'arrêt VIA I de la Cour ne visait pas à régler la question de sa voir si le Conseil avait la latitude, ou dans quelle mesure il l'avait, de modifier subséquemment son ordonnance à d'autres égards, ni de donner effet à l'ordonnance si les parties ne le faisaient pas. Les demandes de contrôle judiciaire dans l'arrêt VIA I ne remettaient pas en question le pouvoir du Conseil de faire respecter l'ordonnance de la décision 35 si les points encore en litige n'étaient pas réglés par la négociation. Il n'y a donc aucun fondement à l'argument de VIA selon lequel la Cour a retranc hé au Conseil quelque pouvoir qu'il aurait autrement possédé pour donner effet à son ordonnance dans la décision 35.
iii) Le Conseil pouvait-il prendre en considération des événements postérieurs à la décision 35?
[75]L'avocat de VIA a insisté sur le fait que le seul manquement au Code auquel la décision 35 devait remédier avait eu lieu dans la période qui avait conduit à l'ECE. Par conséquent, le Conseil a outrepassé sa compétence lorsque, dans la conception de l'ordonna nce de réparation de la décision 230, il a tenu compte d'événements survenus après la date où la FIL avait commis le manquement au Code.
[76]Je ne puis souscrire à cette position. Dans le «domaine dynamique, complexe et délicat» des relation s du travail (Royal Oak Mines, au paragraphe 57), les conseils des relations du travail doivent être en mesure de prendre en compte l'évolution des circonstances s'ils doivent remplir le mandat que leur confère la loi à l'égard du «règlement positif des di fférends pour le bien des parties et de la population» (Royal Oak Mines , au paragraphe 55). Ainsi, faisant référence aux larges pouvoirs conférés au Conseil par le paragraphe 99(2), le juge Cory a dit dans l'arrêt Royal Oak Mines (au paragraphe 55):
À mon avis, le législateur a agi ainsi pour donner au Conseil toute latitude pour tenir compte des circonstances toujours différentes des litiges très variés dans le domaine délicat des relations du travail.
[77]Restreindre les pouvoirs du Conseil à concevoir une réparation en rapport avec l'état des faits au moment du manquement inciterait au dépôt d'une multitude de plaintes relatives à diverses périodes de temps. Enfermer le Conseil dans ce type de camisole de force irait à l'encontre de l'inte ntion du législateur, qui a conféré au Conseil un pouvoir de réparation large et souple, notamment pour lui permettre de faciliter le règlement positif des conflits du travail dans des situations de relations du travail en évolution.
[78]L'avocat n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de la position que, dans la conception d'une réparation afférente à un manquement au Code, le Conseil ne peut prendre en considération des événements survenus après la date du manquement. À mon a vis, il n'était pas manifestement déraisonnable que le Conseil, dans la décision 230, tienne compte d'événements postérieurs au manquement au Code de la FIL.
iv) Conclusion
[79]Selon ma conviction, aucun des arguments mentionnés précédemmen t n'établit que la décision 230 outrepasse la compétence du Conseil. Le Conseil n'a pas agi de manière manifestement déraisonnable en commettant l'une ou l'autre des erreurs exposées dans l'arrêt Royal Oak Mines . En d'autres termes, il y avait un lien rati onnel entre le manquement au Code, ses conséquences et la réparation, et la décision 230 n'allait pas à l'encontre des objectifs du Code.
QUESTION No 3 Était-il manifestement dérai-sonnable pour le Conseil de remédier au manquement de la FIL à son devoir de représen-tation juste dans la négociation de l'ECE en ordonnant aux parties des conditions relatives aux points litigieux de l'ECE? |
i) Est-il toujours manifestement déraisonnable pour le Conseil de prescrire des conditions à titre de réparation au manquement au devoir de représentation juste?
[80]Dans son application à la négociation d'une convention collective par un syndicat, le devoir de représentation juste ne commande pas que des conditions particulières soient incluses d ans la convention pour protéger les intérêts de tous les membres de l'unité de négociation ni que le syndicat cherche à satisfaire à toutes les exigences d'un groupe donné de membres. Ce devoir impose plutôt au syndicat, quand il négocie avec l'employeur, de prendre dûment en considération les intérêts de tous les membres de l'unité de négociation et de ne pas conclure une convention dont les conditions révèlent que le syndicat a agi de manière arbitraire, avec mauvaise foi ou en faisant preuve de discrimin ation à l'égard de personnes ou de groupes.
[81]Par conséquent, les conseils des relations du travail remédient normalement à de tels manquements au devoir de représentation juste en renvoyant le syndicat à la table de négociation plutôt qu'en imposant des conditions d'emploi au syndicat et à l'employeur.
[82]On peut en dire autant de l'obligation de négocier de bonne foi prévue à l'alinéa 50a ) du Code. Néanmoins, comme je l'ai déjà noté, dans l'arrêt Royal Oak Mines , de la Cour suprême du Canada, la majorité des juges a conclu que dans des situations exceptionnelles, le Conseil peut remédier au manquement à cette obligation en imposant des conditions. Ajouté après la réparation accordée par le Conseil dans l'arrêt Royal Oak Mines , l'alinéa 99(1)b. 1) du Code donne expressément au Conseil le pouvoir d'imposer des conditions comme mesure de réparation à la négociation de mauvaise foi.
[83]Si, comme l'a conclu l'arrêt Royal Oak Mines , le paragraphe 99(2) est suffisamment large pour permettre au Conseil d'imposer des conditions réparatrices à un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi, il n'était pas manifestement déraisonnable, à mon avis, que le Conseil conclue que le paragraphe 99(2) lui confère également le pouvoir de prescrire des conditions à titre de réparation au manquement au devoir de représentation juste, manquement qui dans ce contexte vise aussi la procédure. Restreindre la négociation collective de cette manière, en vue de mettre fin à un conflit de travail, ne va pas nécessairement à l'encontre des objectifs du Code.
[84]Néanmoins, deux arguments peuvent être avancés pour soutenir qu'un manquement au devoir de représentation juste dans le processus de négocia tion ne peut faire l'objet d'une mesure réparatrice imposant des conditions.
a) VIA n'a pas commis de manquement au Code |
[85]Un manquement au devoir de représentation juste ne peut être le fait que d'un syndicat et l'employeu r peut ne pas en être conscient ni y participer en aucune façon. En pareilles circonstances, on pourrait facilement trouver injuste de prescrire des conditions d'emploi qui lieraient l'employeur autant que la partie responsable du manquement au Code, soit le syndicat.
[86]À mon avis, cependant, si cette considération peut limiter les circonstances donnant lieu à une réparation sous forme de conditions au manquement au devoir de représentation juste, elle ne rend pas manifestement déraisonnabl e que le Conseil ait conclu qu'il peut, tout au moins dans certaines situations, imposer des conditions qui lient l'employeur, même si la plainte n'a pas désigné l'employeur comme partie au manquement au Code.
[87]Premièrement, dans l'arrêt VIA I , la Cour a confirmé la décision 35, même si le Conseil avait ordonné à la fois à la FIL et à VIA de rouvrir l'ECE sur les points identifiés et d'achever la renégociation pour une date prescrite. Le juge Sexton, J.C.A., a noté (au paragraphe 60) que l es répercussions de la réparation sur VIA:
[. . .] constituent un résultat nécessaire et inévitable de la conclusion défavorable à laquelle le Conseil en est arrivé en ce qui concerne la FIL. L'employeur a été ajouté comme partie à la plainte initiale et autorisé à formuler des observations devant le Conseil en raison, du moins en partie, de la reconnaissance des répercussions que l'ordonnance pourrait avoir sur ses intérêts.
VIA elle-même a effectivement reconnu que des ordonnances rendues à l'encontre d'une partie qui a manqué au Code ont presque toujours des effets accessoires sur des tiers. La question n'est donc pas de savoir si une réparation peut exceptionnellement être prescrite à une partie qui n'a pas commis de manquement au Code, mais si l'imposition de conditions à VIA est justifiée par le paragraphe 99(2).
[88]Deuxièmement, le Conseil n'a imposé de conditions qu'après le défaut des parties de mettre en oeuvre l'ordonnance de réparation prévue à la décision 35, modifiée. L'ordonnan ce du Conseil demandant à VIA et à la FIL de renégocier l'ECE ne faisait pas qu'imposer des obligations de procédure à VIA, elle la soumettait également potentiellement à des conditions moins favorables que celles qu'elle aurait autrement négociées n'eût été le manquement au Code du syndicat.
[89]Troisièmement, les dispositions conférant au Conseil un pouvoir de réparation sont suffisamment larges pour justifier qu'une réparation soit imposée à VIA. Sans doute, le Code n'autorise le Conseil à ordonner une réparation «équitable» en vertu du paragraphe 99(2) que lorsqu'il a établi un manquement au Code. Cependant, en l'espèce, un manquement au Code avait eu lieu: la FIL avait manqué à son devoir de représentation juste des chefs de train.
[90]À mon avis, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que le pouvoir de rendre une ordonnance de réparation en vertu du paragraphe 99(2) «en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1)» [soulignemen t ajouté] du Code, l'autorisait à inclure VIA dans l'ordonnance de réparation. Le Conseil avait établi que VIA avait participé au manquement, avait pris part activement à toutes les procédures déclenchées par la plainte initiale des chefs de train au Conse il au sujet du manquement de la FIL à son devoir de représentation juste et n'avait pas mis en oeuvre la décision 35.
b) L'alinéa 99(1)b.1) |
[91]Comme l'alinéa 99(1)b. 1) confère expressément au Conseil le pouvoir d'imposer des conditions dans des circonstances déterminées, on peut soutenir que le législateur devait avoir l'intention de rendre cette disposition exhaustive à l'égard du pouvoir du Conseil d'accorder cette réparation particulière. Sur le fondement de cette hypothèse, l'imposition de conditions n'était pas autorisée en l'espèce, du fait notamment que l'alinéa 99(1)b. 1) confère au Conseil le droit d'imposer des conditions seulement afin de remédier au manquement au devoir de négociation de bonne foi, et non au manquement au devoir de représentation juste.
[92]Toutefois, l'alinéa 99(1)b. 1) a été ajouté au Code en 1999, précisément pour confirmer la portée large du pouvoir de réparation «équitable» visé au paragraphe 99(2), reconnu au Conseil depuis l'arrêt Royal Oak Mines . Dans ces circonstances, je n'accepte pas que l'alinéa 99(1)b. 1) visait à être exhaustif à l'égard du pouvoir du Conseil d'imposer des conditions et donc à restreindre la portée du paragraphe 99(2) de manière à empêcher le Conseil d'avoir exceptionnellem ent recours à cette disposition pour imposer des conditions remédiant à un manquement au devoir de représentation juste.
ii) La réparation en l'espèce était-elle manifestement déraisonnable?
[93]Pour les motifs exposés précédemment, je ne suis pas persuadé que, dans des circonstances exceptionnelles, il est nécessairement manifestement déraisonnable pour le Conseil d'imposer des conditions de convention collective à un employeur et à un syndicat pour remédier au manquement du syndicat à son devoir de représentation juste.
[94]L'arrêt Royal Oak Mines , fournit le cadre d'ensemble dans lequel il y a lieu d'examiner s'il était manifestement déraisonnable que le Conseil impose les conditions ordonnées en l'espèce afi n de remédier au manquement au Code de la FIL. La question soulevée est donc de savoir si l'imposition de conditions par le Conseil pour régler un différend de longue date était manifestement déraisonnable selon les faits de l'espèce au motif que «la répar ation est de nature punitive; [. . .] il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; [ou] [. . .] la réparation va à l'encontre des objectifs du Code»: arrêt Royal Oak Mines , au paragraphe 68.
a) «pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation» |
[95]L'avocat de VIA a fait valoir que, comme la décision 230 visait à remédier à un manquement au Code commis par la FIL, il n'y avait pas de lien entre l'imposition de conditions à V IA et le manquement.
[96]Je ne suis pas de cet avis. La tentative de l'avocat de représenter VIA comme un témoin innocent pris dans un conflit au sein du syndicat et inter-syndical a peu à voir avec la réalité. La preuve établit que peu de t emps après la publication de l'ENSV, VIA s'est conduite à l'égard des chefs de train d'une manière qui a été condamnée par le Conseil.
[97]Ainsi, après l'initiative de VIA en vue d'abolir le poste de chef de train comme mesure de réduction d es coûts et sa demande de fusion des unités de négociation, mais avant la négociation de l'ECE avec la FIL, VIA a été jugée coupable d'avoir manqué à l'alinéa 50b ) du Code en cherchant unilatéralement à abolir le poste de chef de train: voir VIA Rail Canada Inc. (Re) (1998), 25 C.L.R.B.R. (2d) 150. Le Conseil a établi par la suite que VIA et la FIL avaient eu une «collaboration inappropriée» et avaient manqué au Code en négociant l'ECE: décision 35 au paragraphe 126. Enfin, le Conseil a conclu que, à l'enco ntre de la décision 35, VIA avait conclu le PE avec la FIL sans aucun apport des chefs de train, des TUT ou du spécialiste nommé en conformité avec la décision 35 pour aider les chefs de train.
[98]Par conséquent, je ne puis convenir que la décision 230 est manifestement déraisonnable parce qu'il n'y avait aucun lien rationnel entre l'imposition de conditions à VIA et le manquement au Code de la FIL. Cet argument sera examiné plus loin au sujet du dédommagement pécuniaire, l'un des éléments v isés dans l'ordonnance du Conseil.
b) «la réparation va à l'encontre des objectifs du Code» |
[99]L'encouragement de la pratique des libres négociations collectives est l'un des objectifs du Code canadien du travail (le juge Cory dans l'arrêt Royal Oak Mines, au paragraphe 73) et selon le juge en chef Lamer (au paragraphe 2), quatrième membre ayant souscrit à l'arrêt Royal Oak Mines pris selon une majorité 4-3, «l'un des plus importants». Par conséquent, une ordonnance de réparation du Conseil qui enlève aux parties le pouvoir de décider par elles-mêmes des conditions d'emploi appelle un examen judiciaire attentif: le juge en chef Lamer a dit en effet (au paragraphe 2) que le Conseil ne peut imposer de conditions d'emploi qu'en présence de «cir constances exceptionnelles et contraignantes».
[100]Toutefois, l'arrêt déclare également que l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives n'est pas le seul objectif du Code et n'éclipse pas nécessairement tous les autre s: Royal Oak Mines, aux paragraphes 2 et 74. Comme le dit le juge Cory (au paragraphe 74):
Le Conseil est tenu d'équilibrer tous les objectifs du Code canadien du travail et, au moment de concevoir son ordonnance, de bien peser, dans le contexte du cas qui l'occupe, tous les facteurs importants énumérés dans le préambule.
[101]L'un des autres objectifs figurant dans le préambule qui avait une pertinence dans l'arrêt Royal Oak Mines , était l'encouragement du règlement positif d es différends. Cet objectif est également pertinent en l'espèce puisque les parties ont été incapables de régler leur différend par une entente, en dépit des interventions antérieures du Conseil qui avait ordonné aux parties de renégocier certains éléments déterminés de l'ECE.
[102]Je note également que la représentation juste est l'un des postulats sur lequel repose le principe de la libre négociation collective: des employés qui ne peuvent négocier avec leur employeur que par l'entremise d'un agent ne tenant pas compte de leurs intérêts et de leurs aspirations sont en effet privés de leur droit de libre négociation collective. En l'espèce, les chefs de train se sont vu dénier ce droit par la FIL. Comme le Conseil l'a fait observer dans la décision 35 (au paragraphe 122):
La conduite du syndicat équivaut à une absence de représentation dans le contexte de la négociation collective.
En un sens important, le pouvoir du Conseil de faire respecter efficacement le devoir de représentation juste renforce donc, plutôt qu'il n'affaiblit, le principe de la libre négociation collective.
[103]L'avocat de VIA a également suggéré que même s'il n'y avait aucun signe réel d'entente des parties sur la mise en oeuvre de la décision 35, il aurait été plus conforme au Code que le Conseil laisse les différends se régler par la voie d'une procédure de relations du travail. À mes yeux, il ne s'agit pas là d'une option viable dans un cas où une minorité de membres de l'unité de négociation, en l'occurr ence les chefs de train, ont fait l'objet d'une discrimination de la part de leur syndicat. Tant que VIA et la FIL partagent fondamentalement la même position à l'égard des points en litige, les chefs de train ne seront jamais, de manière réaliste, en mesu re de recourir à une mesure de grève licite pour protéger leurs intérêts.
[104]En déclarant qu'une ordonnance serait manifestement déraisonnable si elle allait à l'encontre des objectifs du Code, le juge Cory n'entendait pas par là, selon mo i, qu'une cour de révision décide elle-même comment harmoniser les divers objectifs du Code dans une situation de fait donnée. Cet exercice exige souvent, comme en l'espèce, d'apprécier une situation de relations du travail complexe et changeante, comporta nt de nombreux antécédents; aussi l'harmonisation des objectifs semble nettement ressortir davantage au Conseil qu'à la Cour et, à ce titre, justifier une retenue judiciaire considérable.
[105]Dans le contrôle de la légalité des conditions d'emploi imposées par le Conseil, le rôle de la Cour est de veiller à ce que le Conseil ait reconnu que l'imposition de conditions constitue une grande ingérence dans le principe important de la libre négociation collective et que, par conséquent, cette rép aration doit être réservée aux cas exceptionnels où des tentatives de règlement consensuel d'un différend grave ont échoué et où il n'y a pas d'autre option possible que l'intervention du Conseil.
[106]Néanmoins, la politique de retenue judi ciaire exige que le Conseil dispose de latitude pour décider comment des objectifs visés par la loi qui sont en concurrence doivent être équilibrés dans le contexte de faits particuliers. La Cour ne doit donc pas substituer son opinion à celle du Conseil s ur la question de savoir dans quels cas imposer aux parties de poursuivre encore dans une voie consensuelle mettra indûment en péril l'atteinte d'autres objectifs de la loi. J'estime que la Cour ne doit annuler une décision qu'au motif que l'ordonnance du Conseil allait à l'encontre des objectifs du Code en établissant un déséquilibre entre des objectifs pertinents, si l'ordonnance était manifestement déraisonnable, à la lumière à la fois de l'importance d'encourager la libre négociation collective et des f aits de l'espèce.
[107]Je passe maintenant aux faits de l'espèce en vue de répondre à la question suivante: étant donné l'importance qu'attache le Code au principe de la libre négociation collective, était-il manifestement déraisonnable pour le Conseil, au vu de l'ensemble des circonstances, d'imposer des conditions concernant les trois points litigieux de l'ECE, plutôt que d'autoriser la poursuite de la procédure consensuelle de médiation-arbitrage dirigée par M. Picher?
[108]Pour répondre à la question, j'ai considéré trois aspects du différend: le contexte, la faisabilité du règlement des points en litige par les parties sans nouveau retard indu et les conditions imposées par le Conseil à VIA et à la FIL.
1. Le contexte |
[109]L'examen des circonstances entourant l'ordonnance de réparation du Conseil dans la décision 230 ne peut débuter avec la nomination de M. Picher comme médiateur-arbitre. On se rappellera que le manquement au Code de la FIL a été commis dans la période menant à l'adoption de l'ECE en 1998 et que, le 22 octobre 1999, la décision 35 visait à remédier à ce manquement, notamment en ordonnant aux parties de renégocier les trois points de l'ECE traitant des conséquences de la fusion des deux unités de négociation.
[110]Aucun de ces points n'avait été réglé par renégociation entre les parties comme le prescrivait la décision 35. La FIL ne s'était pas non plus conformée à la disposition de l'ordonnance du Conseil qui l'obligeait à payer les coûts engagés par les chefs de train pour leur participation à la procédure de médiation-arbitrage. Dans sa décision rejetant le réexamen de la décision antérieure de ne pas prolonger le mandat de M. Picher, le Conseil a tenu compte d e l'opinion qu'il avait exprimée, à savoir qu'au cours du délai écoulé depuis la publication de la décision 35 du Conseil, la FIL et VIA semblaient avoir consacré beaucoup de temps et d'efforts à des escarmouches, mais relativement peu à la mise en oeuvre d e la décision 35: VIA Rail Canada Inc. (Re), [2002] CCRI no 163; [2002] D.C.C.R.T. no 10 (QL).
2. La faisabilité d'un règlement rapide |
[111]La gravité de la situation à laquelle était confronté le Conseil dans l'arrêt Royal Oak Mines , était pratiquement sans précédent, au plan de la violence et de l'amertume, dans l'histoire des relations du travail au Canada. Neuf mineurs qui avaient franchi la ligne de piquetage avaient été assassinés. La grève avait également eu des conséquences écono miques et sociales dévastatrices sur la collectivité locale, la mine y étant une importante source d'emploi. Les questions en litige étaient extrêmement complexes, la grève avait été très longue et la société s'était fermement opposée à la réintégration de s grévistes. Dans ces circonstances extraordinaires, le Conseil a conclu qu'il n'y avait aucun signe d'entente entre les parties et qu'un retour rapide au travail était essentiel pour tous les intéressés, notamment pour la collectivité.
[112]Heureusement, il n'y a rien d'aussi extrême en l'espèce. Néanmoins, le différend que cherchait à régler le Conseil par la décision 230 portait sur des questions de relations du travail difficiles et apparemment insolubles, issues de la fusion de deux groupes professionnels: des réductions d'emplois, l'admissibilité et le recyclage du nouveau groupe professionnel, le transfert du personnel entre les deux employeurs et l'intégration des listes d'ancienneté des anciens chefs de train et des mécaniciens de loc omotive actuels.
[113]En rejetant une requête en réexamen de sa décision de ne pas prolonger le mandat de M. Picher au-delà du 11 février 2002, le Conseil a rendu compte exhaustivement des considérations qui l'ont persuadé de refuser une tro isième prolongation et d'ordonner une audience sur les questions encore en litige.
[114]En premier lieu, au cours des deux ans et demi qui s'étaient écoulés depuis la publication de la décision 35, le 22 octobre 1999, les parties avaient été incapables d'en arriver à une entente sur aucune des questions non réglées identifiées par le Conseil dans la décision 35, en dépit des efforts de facilitation d'un membre du Conseil et d'une ordonnance de médiation-arbitrage rendue par le Conseil. En fai t, quatre ans et demi se sont maintenant écoulés depuis la décision 35 rendue par le Conseil et les chefs de train n'ont toujours pas reçu de réparation à l'égard du manquement au Code de la FIL en 1998.
[115]Le Conseil a fait observer préci sément dans la décision 230 (au paragraphe 27) que la FIL n'avait pas satisfait à la disposition de l'ordonnance de la décision 35 qui lui imposait de payer les frais judiciaires engagés par les chefs de train au cours de la médiation-arbitrage, dispositio n exclue du mandat de M. Picher. Dans sa décision relative à la demande de réexamen, le Conseil a noté (au paragraphe 19) l'observation formulée par les chefs de train, qu'ils avaient épuisé leurs ressources financières personnelles et n'avaient plus les m oyens de participer aux séances de médiation.
[116]Deuxièmement, le Conseil a également déclaré dans sa décision relative à la demande de réexamen (au paragraphe 18) que la direction de la médiation semblait s'être déplacée du règlement des questions de réparation non réglées de la décision 35 vers:
[. . .] un différend beaucoup plus profond entre VIA et le CN concernant, entre autres choses, l'incidence de la décision de la Cour supérieure du Québec sur la mise à exécution de s dispositions de l'entente spéciale. Cette question, dont on ne peut certes nier l'importance sur le plan des objectifs à long terme liés aux relations de travail, semble avoir mobilisé toutes les énergies au point de reléguer au second plan la question p rincipale, sur laquelle portait l'ordonnance réparatrice du Conseil.
[117]Troisièmement, dans son réexamen de la décision de ne pas accorder plus de temps à M. Picher, la Conseil a noté (au paragraphe 19) qu'il était difficile de concilier l'imminence d'un règlement des questions par la voie de la procédure de médiation-arbitrage avec le «ton mordant» des observations des parties et le refus manifeste de la FIL d'accepter cette partie de l'ordonnance comprise dans la décision 35 donnant aux représentants des chefs de train un rôle dans l'élaboration d'une position commune à présenter à VIA au sujet de l'ECE. On ne pouvait laisser les négociations traîner en longueur indéfiniment si l'on voulait que les chefs de train aient jamais des possibili tés raisonnables d'acquérir les qualifications de mécaniciens de locomotive avec les niveaux d'ancienneté appropriés, en particulier compte tenu du vieillissement des effectifs, ou reçoivent un dédommagement en compensation.
[118]Enfin, le processus de négociation réussie d'une entente a incontestablement été rendu plus difficile par l'ordonnance de la décision 35 portant la désignation d'un spécialiste chargé d'aider les chefs de train et qui «aura voix au chapitre au même titre que les représentants de la FIL pour ce qui est de conclure une entente». Néanmoins, en rejetant les demandes de contrôle judiciaire de la décision 35 dans l'arrêt VIA I , la Cour a résumé les principaux éléments de la réparation ordonnée par le Conseil, notamment avec la formulation que je viens tout juste de citer, et a conclu (au paragraphe 59): «Ces mesures constituaient des réactions rationnelles et proportionnelles aux contraventions commises par la FIL».
[119]Aux fins des présentes demandes, il n'est pas nécessaire d'établir précisément quel rôle le Conseil envisageait pour le représentant indépendant des chefs de train dans la procédure de renégociation. Qu'il suffise de dire qu'il n'était pas manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclur e que l'exclusion des chefs de train et de leur représentant désigné de la négociation du PE allait à l'encontre de la décision 35.
3. Les conditions imposées
[120]Les conditions imposées par le Conseil dans l'arrêt Royal Oak Mines , avaient été proposées par l'employeur plus tôt dans les négociations et étaient acceptables pour les employés. Malgré l'entente de principe que les parties en l'espèce semblent avoir conclue et l'acceptabilité continue des conditions par l'employeur, ce dernier l es a subséquemment retirées. Pour pallier le défaut de l'employeur de négocier de bonne foi, le Conseil lui a ordonné de présenter de nouveau ces conditions, pour qu'elle fassent l'objet d'un scrutin de ratification de la part des membres du syndicat. D'au tre part, s'agissant des points de l'entente de principe sur laquelle l'employeur avait changé sa position, le Conseil a seulement ordonné aux parties de négocier.
[121]Il est certain que la décision 230 va plus loin que la décision du Conseil examinée dans l'arrêt Royal Oak Mines , dans la mesure où la plupart des conditions imposées par le Conseil dans la décision 230 n'avaient jamais été proposées par VIA et/ou la FIL et n'étaient pas soumises à la ratification des membres de l'unité de négociation. Par contre, les conditions imposées par le Conseil représentaient une partie relativement faible de l'ensemble de la convention collective. L'«intégration» des listes d'ancienneté des anciens chefs de train et des mécaniciens de lo comotive actuels avait en fait été proposée par VIA au cours de la négociation de 1998, mais avait été rejetée par la FIL.
[122]Ce qui est encore plus important, c'est que le Conseil n'imposait de conditions qu'à l'égard des éléments sur les quels étaient fondées ses conclusions dans la décision 35 au sujet du manquement au Code de la FIL et qu'il avait ordonné aux parties de renégocier. En outre, dans une affaire où le manquement au Code touchait un manquement du syndicat au devoir de représe ntation juste d'un groupe minoritaire, il n'était pas manifestement déraisonnable que le Conseil ait décidé qu'un scrutin de ratification n'était pas indiqué. Enfin, je noterais que les parties avaient convenu de régler les questions en litige par la média tion-arbitrage, à l'aide d'un arbitre sur lequel elles s'entendaient toutes.
c) Conclusions |
[123]Le Conseil ne peut imposer de conditions comme réparation à un manquement au Code que dans des circonstances très exceptionnelle s: dans le cas où il n'y a pas d'autre option faisable pour remédier efficacement à un manquement grave au Code. À mon avis, la réparation du Conseil ne peut être réputée manifestement déraisonnable dans les circonstances de l'espèce.
L'incapacité d'obtenir un consensus
[124]Dans le traitement de ce conflit de travail long et difficile, le Conseil a sans ambiguïté reconnu l'importance de la libre négociation collective. Depuis la publication de la décision 35 en octobre 1999 jusqu'à la publi cation de la décision 230 en mai 2003, le Conseil a encouragé activement les parties à remédier au manquement de la FIL au Code en mettant les éléments en litige dans le cadre de la négociation de l'ECE. Même lorsque le Conseil a annoncé qu'il tiendrait de s audiences au sujet des frais judiciaires des chefs de train et des éléments en litige de l'ECE, il a invité les parties à poursuivre leurs efforts pour régler leur différend de manière consensuelle, avec ou sans l'aide de M. Picher.
[125]Compte tenu de l'échec de toutes ces tentatives en vue d'obtenir des résultats concrets, il n'était pas manifestement déraisonnable que le Conseil décide que les parties n'allaient vraisemblablement pas en arriver à un règlement rapide de leur différend en conformité avec l'ordonnance du Conseil figurant à la décision 35, malgré l'aide de M. Picher. La nomination de M. Picher et les termes de son mandat avaient été convenus par les parties, notamment les deux premières dates d'achèvement, mais l'ordonnance établissant la procédure de médiation-arbitrage prévoyait que le Conseil puisse se ressaisir des questions non résolues relatives aux réparations.
[126]La situation à laquelle le Conseil avait affaire en l'espèce soulevait des questions de re lations du travail dont le caractère complexe et insoluble a continué de susciter un fort antagonisme entre les parties. M. Picher est la huitième personne à laquelle on a demandé d'intervenir pour chercher à résoudre le différend. Compte tenu du peu de pr ogrès enregistrés sur les questions au cours de la médiation et du délai écoulé depuis que le Conseil avait ordonné aux parties de régler leur litige par la négociation, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure à l'absence d'u ne réelle possibilité d'un règlement imminent du différend.
[127]Le principe de la libre négociation collective ne commande au Conseil de forcer les parties à poursuivre une procédure dont il estime raisonnablement qu'elle a dévié sur d'autr es questions que celles que la procédure de médiation-arbitrage était conçue pour régler. Le Conseil doit être en mesure d'imposer des conditions en dernier ressort s'il doit s'acquitter de l'obligation que lui confère la loi de faciliter le règlement posi tif des différends, afin d'assurer l'intégrité de la procédure de négociation en remédiant efficacement aux manquements au devoir de représentation juste, et de surveiller la mise en oeuvre correcte de ses ordonnances réparatrices.
La procédure de M. Picher
[128]Dans ses motifs réfléchis, le juge Pelletier, J.C.A., dit que les conditions ordonnées par le Conseil empiètent beaucoup plus sur le principe de la libre négociation collective que toute condition que M. Picher aurait pu prescrire, s'il avait été capable de régler le différend par la médiation. J'en conviens, du fait que toutes les parties ont donné leur consentement à l'ordonnance du Conseil désignant M. Picher et lui conférant un mandat, sa décision en matière de réparation aurait eu un aspect consensuel que n'a pas l'ordonnance unilatérale du Conseil dans la décision 230.
[129]Toutefois, en toute déférence, mon collègue exagère les différences entre la décision 230 et les conditions que M. Picher aurait pu prescrire. L'ordonnance du Conseil créant la procédure de médiation-arbitrage prévoyait que toute décision rendue par M. Picher serait en elle-même une ordonnance du Conseil, comme l'était, naturellement, l'ordonnance rendue dans la décision 230. On peut présumer que les parties pouvaient choisir d'incorporer les conditions à la convention collective, qu'elles aient été imposées par le Conseil lui-même ou par une ordonnance du Conseil contenant une décision de M. Picher. Cependant, à moins que le Conseil modifie l'ordo nnance établissant la procédure de M. Picher et l'ordonnance de la décision 230, les deux ensembles de conditions demeuraient également des ordonnances du Conseil et les employés qui n'étaient pas satisfaits du traitement des plaintes fait par la FIL par l a voie de la procédure normale d'arbitrage pouvaient toujours revenir au Conseil pour demander une réparation.
[130]En outre, que l'ordonnance du Conseil comprenne les conditions imposées par M. Picher ou celles du Conseil, ell e ne doit pas être soumise à la ratification des membres de la FIL. Aussi, le fait de savoir si les conditions imposées par le Conseil auront des effets plus négatifs sur les relations de travail à venir des parties que celles que M. Picher aurait pu impos er doit, à mon avis, être une question de pure conjecture et constitue de ce fait un fondement inadéquat pour conclure que la décision 230 est manifestement déraisonnable.
Absence d'erreur susceptible de révision
[131]On ne peut non plus affirmer que le Conseil, dans la décision 230, a manifestement mal interprété une disposition de sa loi habilitante, a tiré une conclusion de fait importante totalement non fondée, n'a pas tenu compte d'un facteur que le législateur vou lait manifestement que le Conseil considère ou a tenu compte d'une considération manifestement non pertinente.
[132]VIA et la FIL ne demandent pas à la Cour de contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil de ne pas prolonger le mandat de M. Picher. Toutefois, la rationalité de la conclusion du Conseil selon laquelle la procédure de médiation-arbitrage ne fournissait plus un cadre adapté au règlement des différends entre les parties est pertinente à l'égard de la décision globale que doit rendre la Cour sur la légalité de l'imposition de conditions par le Conseil.
[133]Le Conseil avait le droit de prendre en considération les intérêts des chefs de train dans sa décision de ne pas accorder de nouvelle prolongation au mandat de M. Picher et de trancher l'affaire lui-même. Au fond, les chefs de train étaient les victimes du manquement au Code de la FIL et du défaut des parties de mettre en oeuvre l'ordonnance du Conseil comprise dans la décision 35. Je ne puis non plus faire l'hypothèse que le Conseil, parce qu'il n'a pas fait expressément mention du fait que le mandat de M. Picher incluait l'arbitrage des points en litige, avait oublié cet aspect des conditions de sa nomination que le Conseil avait lui-même approuvé.
[134]En dernier lieu, il est important de rappeler le rôle très limité attribué à la fonction de révision de la Cour selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, norme décrite dans l'arrêt Ryan , (au paragraphe 52) comme axée sur «le caractère flagrant et évident» du défaut de la décision sous contrôle, qui la rend «à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir». Plus récemment, un arrêt a aussi déclaré que le caractère manifestement déra isonnable n'invalidait que les décisions administratives «frôlant l'absurde»: Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, au paragraphe 18 (le juge Major).
[135]S'agissant des faits de l'e spèce, je ne suis pas persuadé que, malgré l'importance de la libre négociation collective, l'imposition de conditions par le Conseil en vertu des larges pouvoirs conférés par le paragraphe 99(2) est manifestement déraisonnable dans l'un ou l'autre des sen s décrits ci-dessus. La décision 230 ne peut donc être réputée aller à l'encontre des objectifs du Code.
QUESTION No 4 Était-il manifestement déraisonnable que le Conseil ordonne à VIA de verser un dédommagement alors qu'il n'avait pas été établi qu'elle avait manqué au Code? |
[136]VIA dit que l'ordonnance du Conseil est de nature punitive et donc manifestement déraisonnable selon l'arrêt Royal Oak Mines . L'avocat soutient que, comme le Conseil n'avait pas établi que VIA avait commis un manq uement au Code, rendre une ordonnance contre elle avait un caractère punitif. Bien que cet argument touche l'ensemble de l'ordonnance dans la décision 230, il semble particulièrement adapté à la disposition rendant VIA solidairement responsable avec la FIL du paiement d'un dédommagement à certains chefs de train. Dans un procès civil, un tribunal ne peut ordonner le paiement de dommages-intérêts qu'à une partie qu'il a jugée responsable d'un comportement illicite.
[137]Les personnes ayant droit à un dédommagement pécuniaire aux termes de l'ordonnance du Conseil dans la décision 230 sont notamment: les chefs de train figurant sur la liste d'admissibilité qui ont choisi de recevoir un dédommagement au lieu du redressement accordé dans la partie de l'ordonnance qui traite de l'admissibilité au poste de mécanicien de locomotive; les chefs de train qui n'ont pas réussi à obtenir le titre ou à être admis à la formation de mécanicien de locomotive en raison d'une invalidité médicale; le s chefs de train qui se sont qualifiés comme mécaniciens de locomotive après le 1er juillet 1998, mais qui avaient subi des pertes de rémunération et d'avantages parce qu'on leur avait reconnu une ancienneté moindre que celle à laquelle ils auraient eu dro it en vertu de l'ordonnance du Conseil.
[138]De plus, le Conseil a ordonné à VIA de payer la rémunération et les dépenses des chefs de train pendant leur formation comme mécaniciens de locomotive. VIA assumera également les coûts de formatio n des chefs de train appelés à remplir les 75 postes de mécanicien de locomotive susceptibles de devenir vacants dans un avenir prévisible.
[139]Le Conseil n'a pas chiffré le dédommagement payable aux membres de chaque groupe, ni fixé une so mme maximale pour la totalité du dédommagement. Il a donné à VIA jusqu'au 15 juillet 2003 pour répondre aux demandes individuelles de dédommagement. VIA avait identifié 249 chefs de train qui auraient droit au dédommagement visé dans l'ordonnance du Consei l, bien que certains puissent choisir des réparations particulières au lieu de dédommagement. Le dossier n'établit pas clairement la somme totale que VIA pouvait être tenue de verser en raison de l'ordonnance du Conseil, mais il s'agit nettement d'une somm e importante. Aucune décision n'a encore été prise sur la répartition proportionnelle entre VIA et la FIL de la somme à l'égard de laquelle elles sont solidairement responsables.
[140]VIA avait estimé que les réductions d'effectifs annoncées dans l'ENSV lui feraient économiser environ 15 millions de dollars par an. Toutefois, il a toujours été clair qu'il ne s'agissait pas d'une économie nette. En réexaminant la décision d'accueillir la demande de VIA en vertu de l'article 18 du Code de modif ier le certificat de négociation en fusionnant les deux unités, le Conseil a fait observer que VIA devrait payer «une formation importante et coûteuse--particulièrement à de nombreux chefs de train pour que ceux-ci puissent exercer les tâches de mécanicien--afin que les membres des deux groupes d'employés touchés bénéficient, dans la mesure du possible, de perspectives d'emploi comparables»: VIA Rail Canada Inc. (1997), 38 C.L.R.B.R. (2d) 124, au paragraphe 16.
[141]À mon avis, la décision de dédommagement visée dans la décision 230 n'est pas manifestement déraisonnable. L'analogie avec le procès civil ne tient pas. L'ordonnance du Conseil dans la décision 35 comportait comme conséquence nécessaire la renégociation de l'entente entre VIA et la F IL, assortie d'une augmentation possible des obligations de VIA.
[142]Comme l'entente n'a pas été renégociée conformément à la décision 35, je ne puis considérer que l'imposition d'une obligation à VIA par le Conseil ait un caractère punitif . Rien dans la décision 230 ne suggère que des obligations financières ont été imposées à VIA à titre «punitif». L'ordonnance exigeait de VIA qu'elle assume les coûts pour les chefs de train de leur nouvelle formation comme mécaniciens de locomotive ainsi que les coûts de la formation elle-même, et partager avec la FIL certains des préjudices financiers subis par les chefs de train par suite de l'ECE et du défaut des parties de mettre en oeuvre la décision 35. En l'absence d'éléments de preuve fiables sur la somme que VIA était potentiellement tenue de payer, on ne peut dire que l'ordonnance du Conseil était punitive plutôt que compensatoire.
[143]L'arrêt Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, [1984] 1 R.C.S. 269, fournit un exemple d'une ordonnance annulée en raison de son caractère punitif. Ayant conclu que l'employeur avait manqué au Code pour ingérence dans la représentation de ses employés par un syndicat, le Conseil a exigé de l'employeu r qu'il écrive à chacun de ses employés une lettre «humiliante», dont les destinataires pouvaient croire que l'employeur l'avait écrite de sa propre initiative et qu'elle représentait ses vues. S'exprimant au nom de la majorité, le juge Beetz a écrit (à la page 296):
Ce type de sanctions est totalitaire et par conséquent étranger à la tradition de pays libres comme le Canada, même pour la répression des actes criminels les plus graves.
La décision 230 n'a pas ce caractère.
[144]Il est clair également qu'il y a un lien rationnel entre le dédommagement ordonné par le Conseil et le manquement du syndicat à son devoir de représentation juste ainsi que ses conséquences. Les chefs de train étaient ainsi dédommagés des pertes qu'ils avaient subies en raison de l'ECE et du défaut des parties de mettre en oeuvre l'ordonnance du Conseil dans la décision 35.
QUESTION No 5 La réparation était-elle manifestement déraisonnable en prévoyant l'«intégration» des listes d'anciennetés, le transfert de l'ancienneté et le choix de la date à partir de laquelle l'ancienneté était calculée? |
[145]La FIL soutient que le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière manifestement déraisonnable en réglant le différend sur les disp ositions régissant l'ancienneté en imposant aux parties des conditions qui, effectivement, prévoyaient que l'ancienneté des mécaniciens de locomotive commençait au début de leur emploi initial comme «agents de train», et non à partir du moment où ils obten aient les qualifications de mécaniciens de locomotive. L'avocat a fait valoir que cette «intégration» des listes d'ancienneté était à la fois contraire à la tradition de l'industrie ferroviaire et inadaptée à l'égard des chefs de train et des mécaniciens d e locomotive, parce que les qualifications de ces deux groupes professionnels sont très différentes.
[146]À mon avis, la force persuasive des antécédents est fortement réduite dans le nouveau contexte des relations du travail créé à l'initia tive de VIA: l'abolition de deux groupes professionnels distincts et la création d'un seul nouveau groupe professionnel. Aménager les conséquences de la fusion de ces deux groupes sur le plan de l'ancienneté est un exercice complexe, technique et délicat d e réglementation des relations du travail. La solution du Conseil n'est peut-être pas parfaite, mais elle n'est pas si manifestement dénuée de raison ni si nettement contraire aux objectifs du Code qu'elle en soit manifestement déraisonnable.
[147]La même conclusion s'applique également, à mon avis, aux dispositions de l'ordonnance du Conseil qui concernent le transfert des droits d'ancienneté.
F. CONCLUSION
[148]Pour ces motifs, je rejetterais les demandes de contrôle judicia ire avec dépens.
Le juge Rothstein J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident):
[149]J'ai lu les motifs pondérés de mon collègue le juge Evans et j'estime en toute déférence ne pas pouvoir souscrire à sa conclusion sur la question du caractère manifestement déraisonnable de l'ordonnance attaquée.
[150]Je ne suis pas en désaccord avec la conclusion de mon collègue sur la norme de contrôle applicable, soit la décision manifestement déraisonnable. Je suis en désaccord avec l'application de cette norme aux faits de l'espèce.
[151]Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57 (Southam), le juge Iacobucci a traité de l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable à des questions difficiles:
La différence entre «déraisonnable» et «manifestement déraisonnable» résid e dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable [. . .] Cela ne veut pas dire, évidemment, que les juges qui contrôlent une décision en regard de la norme du caractère manifestement déraisonnable ne peuvent pas examiner le dossier. Si la décision contrôlée par un juge est assez complexe, il est possible qu'il lui faille faire beaucoup de lecture et de réflexion avant d'être en mesure de saisir toutes les dimensions du problème. Mais une fois que les contours du problème sont devenus apparents, si la décision est manifestement déraisonnable, son caractère déraisonnable ressortira. [Citations omises.]
[152]Il s'agit ici d'une question difficile. Elle sera cadrée dans la perspective de l'arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) , [1996] 1 R.C.S. 369 (Royal Oak Mines). Cet arrêt fournit une orientation sur ce qui constitue une décision manifestement déraisonnable dans le contexte des décisions du Conseil canadien des r elations industrielles (le CCRI) ou de son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT). Il donne aussi un exemple d'une intervention dans une négociation collective qui, en raison de sa mesure et de son équilibre, a été jugée à l'a bri du contrôle judiciaire.
[153]Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, la Cour suprême du Canada a conclu qu'une décision manifestement déraisonnable en est une qui l'est au point de «ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente» (à la page 237). On trouve une application spécifique de ce principe dans l'arrêt Royal Oak Mines , quand le juge Cory identifie les types d'er reurs qui rendraient une décision du CCRT manifestement déraisonnable [au paragraphe 68]:
Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Cod e.
La décision qui fait l'objet du contrôle est une décision qui ne peut s'appuyer rationnellement sur la législation pertinente car elle va à l'encontre des objectifs du Code.
[154]Les circonstances qui ont mené le CCRT à rendre l'ordonnance visée dans l'arrêt Royal Oak Mines, sont bien connues en raison de leur nature tragique. L'employeur et le comité de négociation du syndicat avaient convenu d'un projet de convention collective qui a été présenté aux membres du syndicat en vue de sa ratification. Les membres du syndicat ont rejeté l'entente de principe. L'employeur a alors donné un avis de lock-out et engagé des travailleurs de remplacement, ce qui a été accompagné des incidents violents sur la ligne de piquetage qu'une telle stratégie comporte inévitablement.
[155]La question spécifique qui a mené à conclure à un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi a été le refus de l'employeur de prendre en considération toute proposition qui inclurait un mécanisme de réexamen du renvoi d'une quarantaine d'employés congédiés pour inconduite au cours de l'arrêt de travail. Au moment où le CCRT a été saisi de l'affaire, le syndicat avait consenti à deux reprises à des propositions de règlement issues de la médiation. L'employeur a rejeté les deux propositions car il s'opposait à toute possibilité de réintégration des employés congédiés. Il était clair que l'intransigeance de l'employeur sur la question empêchait effectivement toute possibilité d'entente entre les parties.
[156]Ayant conclu que l'employeur avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi, le CCRT est intervenu avec beaucoup de mesure. Il a ordonné à l'employeur de présenter une offre qui comportait les conditions de l'offre originale qui avait été rejetée par les membres du syndicat, sous réserve de quatre exceptions relativement peu importantes. L'ordonnance du CCRT prescrivait à l'employeur d'inclure dans son offre un processus pour régler le cas des employés congédiés spécifiquement conçu par le CCRT. L'offre de l'employeur devait être présentée aux membres du syndicat en vue de la ratification et, dans le cas où elle n'était pas acceptée, les parties devaient retourner à la table de négociation. L'offre a été acceptée par les membres du syndicat et l'arrêt de travail a pris fin.
[157]À l'encontre de la conclusion du juge Major selon laquelle le CCRT a imposé une convention collective aux parties, l'intervention du CCRT se limitait à dicter à la partie qui avait commis un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi les conditions d'une offre qui devait être présentée à l'examen du syndicat. Ces conditions ne prenaient effet pour les parties qu'à partir de leur acceptation par les membres du syndicat. Ce n'est qu'à partir de là qu'elles devenaient exécutoires pour l'employeur, non pas comme objet d'une ordonnance du CCRT, mais comme faisant partie de la convention collective. Le recours du syndicat, en cas de manquement, était d'invoquer les dispositions de plainte et d'arbitrage de la convention collective, et non de s'adresser de nouveau au CCRT pour obtenir de l'aide à la mise en oeuvre de son ordonnance.
[158]L'ordonnance du CCRT a-t-elle servi les objectifs du Code? Elle l'a fait. Les parties avaient une convention collective et les outils de règlement des différends pour son application et son interprétation. Les parties sortaient d'une lutte économique mortelle et retrouvaient une relation régie par la convention collective. Si la proposition relative aux employés congédiés avait été imposée à l'employeur, elle était présentée au syndicat pour qu'il la ratifie. Par conséquent, le syndicat était engagé par la proposition, acceptait et était en mesure de la mettre en oeuvre avec les outils normaux de règlement des différends prévus par la convention collective. Aucun recours ultérieur au CCRT n'était nécessaire. La relation de négociation entre le syndicat et l'employeur était incontestablement tendue, mais au moins les parties fonctionnaient dans le cadre familier d'une relation régie par la convention collective.
[159]En l'espèce, quelle situation l'intervention du CCRI a-t-elle créée? L'ordonnance du CCRI a effectivement exclu de la négociation la question de l'intégration des chefs de train dans les rangs des mécaniciens de locomotive dans la mesure où l'employeur et le syndicat ne peuvent convenir de déroger aux conditions de l'ordonnance. Les parties pourraient, en théorie, demander au CCRI de modifier son ordonnance, mais on peut penser que leur demande donnerait lieu à une intervention des chefs de train, ce qui va à l'encontre du statut du syndicat comme agent négociateur exclusif de l'unité de négociation et de la libre négociation collective. Dans la mesure où les objectifs du Code favorisent le règlement des différends par une négociation collective dont les résultats se reflètent dans la convention collective, ces objectifs n'ont pas été atteints.
[160]S'agissant de la question de la représentation des chefs de train par leur syndicat, la désaffection des chefs de train vis-à-vis de leur syndicat a été consacrée officiellement. La nomination d'un représentant spécial des chefs de train doté d'une voix égale à celle du syndicat dans les négociations avec l'employeur a dégagé le syndicat de son obligation d'intégrer la position des chefs de train dans la sienne, puisque les chefs de train étaient maintenant habilités à défendre leur propre position. Il n'est pas étonnant que l'employeur se soit plaint de ne jamais avoir reçu de proposition commune du syndicat et des chefs de train. La façon dont les négociations futures doivent être menées est loin d'être évidente.
[161]La mise en oeuvre de l'ordonnance du CCRI sera désormais une affaire entre les chefs de train et le CCRI, car l'ordonnance ne pourra être rendue exécutoire par la procédure de plainte et d'arbitrage prévue à la convention collective. Même si l'ordonnance devait être incorporée dans la convention collective, il est peu vraisemblable qu'elle pourrait être appliquée à la satisfaction des chefs de train du fait que ni l'employeur ni le syndicat n'ont aucun intérêt à mettre en oeuvre l'ordonnance conformément aux conditions qu'elle comporte. Toute lenteur de l'une ou l'autre des parties entraînerait inévitablement de nouvelles demandes des chefs de train au CCRI. En somme, l'ordonnance n'a rien fait pour intégrer les chefs de train à leur syndicat.
[162]En fin de compte, les parties ne sont pas plus près d'un retour à une relation de négociation collective normale qu'elles ne l'étaient au moment où le manquement au devoir de représentation juste a été établi. On a retiré de la sphère de la négociation collective des sujets d'intérêt importants pour l'emplo-yeur et le syndicat. Le syndicat reste profondément divisé et la faculté du syndicat de parler et d'agir comme agent négociateur exclusif de tous les membres de l'unité de négociation a subi une atteinte. L'employeur se trouve dans une position non souhaitable à l'égard de toutes les questions qui concernent les chefs de train.
[163]La comparaison fait ressortir les lacunes de l'ordonnance faisant l'objet du présent contrôle. Loin de faire progresser la négociation collective, l'ordonnance a complètement retiré certains éléments de la négociation. Plutôt que d'intégrer les chefs de train à leur syndicat, elle a officiellement consacré l'opposition de leurs intérêts. L'employeur et le syndicat ne peuvent savoir quel doit être leur comportement dans l'avenir sur toute question concernant les chefs de train. À l'évidence, les parties n'ont pas été aidées à reprendre une relation de négociation collective normale. Dans la mesure où les objectifs du Code comprennent la promotion de la négociation collective et du règlement positif des différends dans un contexte de négociation collective, l'ordonnance faisant l'objet du contrôle judiciaire va à l'encontre des ces objectifs.
[164]Dès le préambule, le Code présente la structure de ses objectifs:
Attendu:
qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations de travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;
que le gouvernement du Canada a ratifié la Convention no 87 de l'Organisation internationale du travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical et qu'il s'est engagé à cet égard à présenter des rapports à cette organisation;
que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu'il estime que l'établissement de bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès;
[165]Il est clair que la promotion de la négociation collective et du règlement positif des différends sont les fondements sur lesquels repose le reste du Code.
[166]Lorsqu'on examine la décision attaquée à la lumière du préambule du Code et de la réponse mesurée du CCRT dans l'arrêt Royal Oak Mines, ses défauts sont manifestes. Pour reprendre la formulation du juge Iacobucci, cette décision est «à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir» (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52). Elle devrait être annulée.
[167]Ayant établi que la décision du CCRI est manifestement déraisonnable, il n'est donc pas nécessaire d'établir également qu'il y avait d'autres options raisonnables que cette décision. Précisément, la validité de ma conclusion relative au caractère manifestement déraisonnable de l'ordonnance du CCRI ne repose pas sur la preuve qu'il aurait été raisonnable de laisser libre cours à la procédure engagée avec l'arbitre Picher. Même si l'on suppose que le CCRI était tenu d'intervenir au moment où il l'a fait, il ne s'ensuit pas que le CCRI était tenu de le faire de cette manière. Dans cette mesure, le bien-fondé de la décision du CCRI de mettre fin au mandat de l'arbitre Picher n'affecte pas ma conclusion.
[168]Par ailleurs, s'il était établi que la procédure en cours auprès de l'arbitre Picher pouvait peut-être déboucher sur une conclusion au différend entre les chefs de train et leur syndicat qui soit en conformité avec les objectifs du Code, le caractère manifestement déraisonnable de l'ordonnance du CCRI en serait d'autant renforcé. En d'autres termes, le caractère manifestement déraisonnable de la décision serait mis en lumière plus nettement encore. C'est donc sous cet angle que j'aborde la question du mandat de l'arbitre Picher.
[169]On se rappellera que l'arbitre Picher a été choisi par les parties pour remplir le mandat de chercher par la médiation à parvenir à une entente et, en cas d'échec, de procéder à l'arbitrage des différends et de rendre une décision réglant les questions en litige.
[170]Si M. Picher était parvenu à un règlement par la médiation, l'incorporation de ce règlement à la convention collective aurait satisfait à tous les objectifs du Code. Les parties auraient eu une convention collective viable, mise en oeuvre de la manière usuelle par le syndicat au nom de tous ses membres, y compris les chefs de train. Même si la médiation avait échoué et que la question était passée à la procédure d'arbitrage des différends, les résultats de cet arbitrage auraient également été incorporés à la convention collective, malgré la décision du CCRI d'incorporer sa décision dans une ordonnance. Encore ici, les parties auraient eu une convention collective viable et la négociation collective aurait pu reprendre son cours normal. La procédure confiée à M. Picher avait le potentiel de régler les questions en litige d'une manière qui aurait remédié au manquement initial et replacé les parties dans la position où elles pouvaient renouer une relation de négociation collective normale.
[171]L'élément qui distingue la procédure confiée à M. Picher de celle qu'a par la suite adoptée le CCRI est que la première conduisait à la conclusion d'une convention collective et à la reprise d'une relation de négociation normale. Il faut se rappeler que l'ordonnance originale du CCRI prévoyait que les parties devaient renégocier des parties de leur convention collective. Quand elles ont été incapables de le faire par elles-mêmes, le Conseil a ordonné une procédure de négociation facilitée, initialement avec le concours de son directeur exécutif et, en cas d'échec, avec celui de M. Picher. La médiation et l'arbitrage des différends sont deux techniques pour conclure une convention collective. Le fait que ces techniques soient appliquées par l'effet d'une ordonnance du CCRI ne change pas la nature de la procédure.
[172]Ces considérations m'amènent à la décision de mettre fin au mandat de M. Picher. Lorsque le CCRI a mis fin au mandat de M. Picher, il ne substituait pas simplement sa propre ordonnance coercitive à toute ordonnance qu'aurait pu rendre M. Picher en sa qualité d'arbitre de différends. Il mettait un terme aux négociations, à la demande des chefs de train, afin d'imposer sa notion d'un résultat approprié. Cette décision était déraisonnable pour deux motifs.
[173]Le premier est que le défaut de l'arbitre Picher de respecter les délais prescrits par le CCRI était sans conséquence car ces délais étaient simplement arbitraires. Si tous conviennent qu'un règlement rapide était souhaitable, tous étaient parfaitement conscients de la complexité des questions. Si le CCRI avait peut-être raison de fixer des délais comme moyen de maintenir un sentiment d'urgence, il aurait dû être clair aux yeux de tous que les problèmes qu'on avait chargé le médiateur/arbitre de régler ne se prêtaient pas à des délais rigides. Tout doute sur ce point disparaît quand on considère que le CCRI lui-même, en se ressaisissant de l'affaire, n'a pu rendre sa décision qu'un an après la date de prolongation demandée par M. Picher. Le CCRI a été incapable de se plier aux délais qu'il avait imposés à M. Picher, ce qui prouve simplement le caractère arbitraire de ces délais.
[174]Le second motif est que le CCRI semble avoir simplement oublié le fait que le mandat de M. Picher comportait non seulement la médiation, mais également l'arbitrage des différends. Les parties et le CCRI avaient convenu de confier le différend à un spécialiste expérimenté des relations du travail, qui avait une expertise particulière des relations du travail dans le secteur ferroviaire. Le CCRI a pu croire que les perspectives d'un règlement par la voie de la médiation étaient faibles, mais l'optimisme de M. Picher méritait une certaine déférence de la part du CCRI étant donné son expertise et l'expérience qu'il avait développée avec les parties. Mais sans égard à ce qui précède, si le CCRI estimait que la médiation était rendue à son terme, il aurait au minimum dû demander à M. Picher d'engager l'étape d'arbitrage de son mandat, plutôt que de mettre simplement fin au mandat.
[175]La décision du CCRI d'intervenir de la façon dont il l'a fait ne devient pas manifestement déraisonnable par le simple fait que la procédure engagée avec l'arbitre Picher était une option valable à l'ordonnance faisant l'objet du contrôle. Le CCRI aurait pu décider d'intervenir au moment où il l'a fait sans intervenir d'une manière contraire aux objectifs du Code. Mais la présence d'une option établit à l'évidence le caractère nettement déraisonnable de l'intervention du CCRI. Cette intervention était au sens propre manifestement déraisonnable.
[176]L'ordonnance du CCRI est à ce point viciée qu'elle ne peut être maintenue. Elle a retiré toute la question de l'intégration des chefs de train dans les rangs des mécaniciens de locomotive du champ de la négociation collective. L'ordonnance et la procédure dont elle est issue ont consacré officiellement la désaffection des chefs de train de leur syndicat. Le statut du syndicat comme agent négociateur exclusif de l'unité de négociation est affecté. Les parties ont perdu la capacité de régler leurs différends touchant les objets visés par l'ordonnance en invoquant les dispositions relatives aux plaintes et à l'arbitrage prévues dans la convention collective. Le CCRI s'est enfermé dans un rôle de surveillance continue de tous les aspects de la mise en oeuvre de son ordonnance, en grande partie à la demande des chefs de train. On peut difficilement concevoir un résultat qui aille davantage à l'encontre des objectifs du Code.
[177]Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j'annulerais la décision du CCRI.