Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2018] 2 R.C.F. 269

A-414-15

2017 CAF 133

James Paul, à titre de président de Construction de défense (1951) Limitée s/n Construction de défense Canada, Construction de défense (1951) Limitée s/n Construction de défense Canada; et le procureur général du Canada (appelants)

c.

Ucanu Manufacturing Corp. (intimée)

et

Le commissaire à l’information du Canada (intervenant)

Répertorié : Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp.

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Boivin et Rennie, J.C.A.—Ottawa, 1er novembre 2016 et 22 juin 2017.

Accès à l’information — Exceptions obligatoires à la communication — Appel d’une décision de la Cour fédérale statuant que certains documents demandés par l’intimée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) devraient être divulgués — L’appelante a produit des documents, mais elle a refusé d’en divulguer d’autres à la suite de la demande de renseignements de l’intimée — Elle a invoqué des exceptions prévues aux art. 19(1), 20(1)b) de la Loi — La Cour fédérale n’a pas accepté la conclusion selon laquelle les documents non divulgués pouvaient à juste titre être exclus en vertu de l’art. 20(1)b) — L’appelante a fait valoir pour la première fois devant la Cour fédérale une exception obligatoire à la communication énoncée à l’art. 30 de la Loi sur la production de défense — La Cour fédérale a rejeté la demande d’ajournement de l’appelante en vue de produire des éléments de preuve à l’appui de l’allégation d’exception obligatoire et ordonné la communication des documents — Il s’agissait de savoir si 1) l’art. 30 de la Loi sur la production de défense s’applique dans la présente affaire s’il est invoqué à une étape tardive; 2) s’il peut être trop tard pour faire valoir une exception obligatoire dans une instance fondée sur la Loi sur l’accès à l’information — Le juge Stratas, J.C.A. (le juge Rennie, J.C.A. souscrivant à ses motifs) : La conclusion de la Cour fédérale découlait inévitablement de son refus d’accueillir la requête en ajournement tardive — La Cour fédérale est tenue d’accorder à l’appelante la possibilité de produire des éléments de preuve à l’appui de l’allégation tardive d’exception obligatoire — Elle a traité de la question sans être saisie d’éléments de preuve — Elle a commis une erreur de principe — La Cour s’est abstenue dans la présente affaire de trancher la question de droit — Les décisions doivent être fondées sur des règles de droit et des principes juridiques sinon elles sont légitimement susceptibles d’être contestées — Une telle décision lierait les formations futures de la Cour même si elle est trompeuse — Il serait vain d’aborder la question de droit une petite partie à la fois — Dans la présente affaire, la nature de l’intérêt de l’appelante à maintenir la confidentialité n’était pas connue — L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale pour nouvelle décision — Appel accueilli — Le juge Boivin, J.C.A. (dissident) : La Cour ne peut intervenir et annuler l’ordonnance de la Cour fédérale rejetant la requête en ajournement de l’appelante, car l’ordonnance n’a pas été portée en appel ni contestée en l’espèce — La Cour fédérale pouvait statuer sur la question de droit comme elle l’a fait — Elle a rejeté à juste titre l’affirmation selon laquelle une institution fédérale peut invoquer tardivement une exception obligatoire en vertu de l’art. 24(1) de la Loi — Les exceptions doivent être soumises à l’intervenant au cours de son enquête — Permettre d’invoquer tardivement des exceptions priverait les demandeurs du bénéfice du mécanisme prévu dans le mandat de l’intervenant — Si l’on prend en considération l’objet de la Loi et son économie générale, le principe général voulant que l’on ne puisse pas faire valoir tardivement des exceptions obligatoires est bien fondé.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale concluant que certains documents demandés par l’intimée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) devraient être divulgués.

L’intimée a présenté une demande de renseignements visant à obtenir des documents relatifs à un marché adjugé à une coentreprise pour la construction d’un hangar d’entretien sur une base aérienne. L’appelante, Construction de défense Canada, une institution fédérale qui détient les documents, a produit de nombreux documents, mais elle a refusé d’en divulguer d’autres. Elle a invoqué deux exceptions, soit celle qui est prévue au paragraphe 19(1) de la Loi (renseignements personnels) et celle qui est prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi (renseignements commerciaux d’une tierce partie qui sont de nature confidentielle). Après enquête, l’intervenant a conclu que les documents non divulgués étaient correctement soustraits à la divulgation. La Cour fédérale a accepté la conclusion de l’intervenant concernant l’exception prévue au paragraphe 19(1), mais elle a tiré une conclusion différente concernant l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b). L’appelante a invoqué pour la première fois devant la Cour fédérale l’exception obligatoire à la communication prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense. Par la voie d’une ordonnance, la Cour fédérale a rejeté la requête en ajournement de l’appelante en vue de produire des éléments de preuve à l’appui de son allégation d’exception obligatoire, concluant qu’il était trop tard pour faire valoir l’exception obligatoire. La Cour fédérale a accueilli la demande de l’intimée et ordonné la communication des documents.

  Deux questions ont été soulevées en l’espèce. La première était fondée sur des faits : l’article 30 de la Loi sur la production de défense s’applique-t-il aux faits de la présente affaire s’il peut être invoqué à un moment tardif? La deuxième était une question de droit : peut-il être trop tard pour faire valoir une exception obligatoire dans une instance fondée sur la Loi sur l’accès à l’information?

Arrêt (le juge Boivin, J.C.A., dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Stratas, J.C.A. (le juge Rennie, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : La conclusion de la Cour fédérale découlait inévitablement de son refus d’accueillir la requête en ajournement tardive de l’appelante. En d’autres termes, en refusant d’accueillir la requête en ajournement, la Cour fédérale a en fait tranché la question de fond, soit celle de savoir si l’on pouvait faire valoir l’exception obligatoire tardivement, sans avoir d’élément de preuve à ce sujet. Dans ces circonstances précises, l’invocation tardive de l’exception et la nécessité de déposer des éléments de preuve pour l’étayer ne peuvent, à elles seules, constituer un motif suffisant pour refuser la requête en ajournement afin que la question du retard puisse être examinée. La Cour fédérale était tenue d’accorder à l’appelante la possibilité de présenter des éléments de preuve afin d’étayer l’invocation tardive de l’exception obligatoire. En l’absence de ces éléments de preuve, la Cour fédérale ne pouvait pas se livrer à un examen convenable de la question. Pourtant, elle l’a fait. Il s’agissait d’une erreur de principe permettant à la Cour d’intervenir.

La Cour s’est abstenue de trancher la question de droit en l’espèce, étant d’avis qu’il serait peu avisé d’exprimer une opinion définitive et contraignante sur la question de droit. Bien que certains puissent être tentés de résoudre une petite partie de la question de droit en rendant une décision à caractère unique qui évitera une discussion du principe juridique, cette approche est troublante. Les tribunaux doivent fonder leurs décisions sur les règles de droit et les principes juridiques. Si les décisions ne sont pas étayées par des règles de droit et des principes juridiques, c’est qu’il n’en existe probablement pas. Les décisions prises « selon l’ensemble des faits » ou « selon l’équité » seulement découlent de préférences personnelles plutôt que de règles de droit et de principes juridiques et sont légitimement susceptibles d’être contestées en vertu du principe constitutionnel de la primauté du droit. Enfin, et de façon plus pratique, une telle décision lierait les formations futures de la Cour. Le précédent pourrait être trompeur et influer erronément sur d’autres cas. Les exceptions obligatoires se présentent sous différentes formes, en vertu de différentes lois, avec différents objets et différents libellés. D’ici à ce que la question de droit ait été entièrement résolue, il serait vain de l’aborder une petite partie à la fois. En l’espèce, l’intérêt qu’avait l’appelante à l’égard de la confidentialité est inconnu, car l’appelante n’a pas été autorisée à produire des éléments de preuve pour étayer l’exception obligatoire. Pour résoudre la question de droit, la Cour devra se renseigner sur toutes les institutions figurant à l’annexe II de la Loi et tous les intérêts en matière de confidentialité reconnus par le législateur.

Le jugement de la Cour fédérale a été annulé. L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale pour qu’elle puisse recevoir des éléments de preuve des parties concernant l’exception prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense, notamment la raison pour laquelle elle a été invoquée tardivement, et pour déterminer l’affaire à nouveau.

Le juge Boivin, J.C.A. (dissident) : L’ordonnance par laquelle la Cour fédérale a rejeté la requête en ajournement de l’appelante a été rendue séparément, avant la décision visée par l’appel. L’ordonnance n’a pas été portée en appel. De plus, l’ordonnance n’a jamais été contestée devant la Cour. Pour ce seul motif, la Cour ne pouvait intervenir et écarter l’ordonnance. Même en supposant que la Cour puisse trancher cet appel, il n’y avait pas d’erreur de fait ou de droit susceptible de contrôle. Dans les circonstances, la Cour fédérale pouvait statuer sur la question de droit comme elle l’a fait en s’appuyant sur le dossier dont elle était saisie.

La Cour fédérale a rejeté, à juste titre, l’affirmation selon laquelle une institution fédérale comme l’appelante peut invoquer tardivement une exception obligatoire en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi. Le consensus qui émerge de la jurisprudence est qu’une institution fédérale ne peut pas demander une exception tardivement, même une exception obligatoire, si cette exception n’a pas été présentée à l’intervenant pendant l’enquête. La Cour fédérale a souligné à juste titre l’inquiétude que le fait de permettre à une institution fédérale d’invoquer tardivement une exception priverait les demandeurs du bénéfice du mécanisme qui est prévu dans le mandat de l’intervenant. Le principe général voulant que l’on ne puisse pas faire valoir tardivement des exceptions obligatoires est bien fondé si l’on prend en considération l’objet de la Loi et son économie générale et si l’on donne suite au rôle et au mandat de l’intervenant.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1d).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 10(1), 19(1), 20(1)b), 24, ann. II.

Loi sur la production de défense, L.R.C. (1985), ch. D-1, art. 30.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 27(1)c).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 110b).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) [1999] A.C.F. no 522 (QL) (C.A.); Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.), confirmant [1987] 3 C.F. 15 (1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 68; Steel c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 153, [2013] 1 R.C.F. 143; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alta.), [1987] 1 R.C.S. 313.

DÉCISIONS CITÉES :

Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79; Geophysical Service Inc. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, 2003 CFPI 507; Rubin c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 929, conf. par 2003 CAF 37; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Défense nationale), 2015 CAF 56, [2016] 1 R.C.F. 213; Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189; Société Radio-Canada c. Canada (Commissaire à l’information), 2010 CF 954, conf. par 2011 CAF 326.

DOCTRINE CITÉE

Cardozo, Benjamin N. The Nature of the Judicial Process, New Haven : Yale University Press, 1921.

Kellogg, Frederic R. « Law, Morals, and Justice Holmes » (1986), 69 Judicature 214.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 1001) concluant que certains documents demandés par la défenderesse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information devraient être divulgués. Appel accueilli, le juge Boivin, J.C.A., étant dissident.

ONT COMPARU :

Kirk Shannon pour les appelantes.

Personne n’a comparu pour l’intimée.

Louisa Garib et Richard G. Dearden pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour les appelantes.

Commissaire à l’information du Canada, Gatineau, Québec, et Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Les appelants interjettent appel du jugement rendu le 24 août 2015 par le juge Southcott de la Cour fédérale : 2015 CF 1001. La Cour fédérale a conclu que certains documents demandés par l’intimée, Ucanu Manufacturing, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), devraient être divulgués.

[2]        Voici un bref exposé pour ceux qui ne connaissent pas la Loi. En vertu de la Loi, une personne peut déposer une demande d’accès à un document à une institution fédérale. L’institution fédérale qui détient le document donne suite à la demande. Elle peut faire valoir des exceptions obligatoires et facultatives à la communication. La personne qui demande le document peut déposer une plainte concernant l’exception invoquée au commissaire à l’information. Le commissaire à l’information peut faire enquête pour déterminer si l’exception s’applique. Ensuite, la personne peut déposer un recours en révision à la Cour fédérale, qui tranchera la question.

[3]        Dans la présente instance, Ucanu Manufacturing a déposé sa demande d’accès. Elle souhaitait obtenir des documents se rapportant à un marché adjugé à une coentreprise pour la construction d’un hangar d’entretien à la base aérienne de Trenton.

[4]        L’institution fédérale qui détient les documents, l’appelante Construction de défense Canada, a produit de nombreux documents en réponse. Cependant, elle a refusé d’en divulguer d’autres. Elle a invoqué deux exceptions, soit celle au paragraphe 19(1) de la Loi (renseignements personnels) et celle à l’alinéa 20(1)b) de la Loi (renseignements commerciaux qui sont de nature confidentielle).

[5]        Ucanu Manufacturing a déposé une plainte au commissaire à l’information. Le commissaire à l’information a fait enquête sur la plainte d’Ucanu Manufacturing. Au cours de l’enquête, Construction de défense Canada a communiqué d’autres documents, mais pas tous.

[6]        Le commissaire à l’information a conclu son enquête. Il a rendu son rapport. Il a conclu que les documents non divulgués étaient correctement soustraits à la communication. Ucanu Manufacturing a déposé un recours en révision à la Cour fédérale afin d’obtenir la communication des documents en question.

[7]        Nous sommes saisis d’une partie de la décision de la Cour fédérale, mais non d’une autre partie.

[8]        Dans la partie dont nous ne sommes pas saisis, la Cour fédérale a accepté la conclusion du commissaire à l’information concernant l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la Loi, mais elle a tiré une conclusion différente concernant l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi. En conséquence, la Cour fédérale a ordonné la communication de documents, à savoir des parties de l’entente de coentreprise et une lettre d’accompagnement à Construction de défense Canada à laquelle était jointe l’entente de coentreprise. Les appelants ne contestent pas les conclusions de la Cour fédérale à cet égard.

[9]        La partie de la décision de la Cour fédérale dont nous sommes saisis porte sur ce qui s’est produit à une étape tardive de l’instance, au moment où elle a été portée devant la Cour fédérale. Construction de défense Canada a invoqué, pour la première fois, une nouvelle exception obligatoire à la communication, soit celle prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense, L.R.C. (1985), ch. D-1, une exception qui s’applique en raison de l’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information et de l’annexe II de la Loi.

[10]      L’article 30 se lit comme suit :

Renseignements protégés

30 Les renseignements recueillis sur une entreprise dans le cadre de la présente loi ne peuvent être communiqués sans le consentement de l’exploitant de l’entreprise, sauf :

a) à un ministère, ou à une personne autorisée par un ministère, qui en a besoin pour l’accomplissement de ses fonctions;

b) aux fins de toute poursuite pour infraction à la présente loi ou, avec le consentement du ministre, de toute affaire civile ou autre procédure judiciaire.      

[11]      Dans la présente instance, lorsque l’institution fédérale, Construction de défense Canada, a donné suite à la demande d’accès d’Ucanu Manufacturing, elle n’a pas fait valoir l’exception obligatoire prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense. Elle ne l’a pas non plus fait valoir au cours de l’enquête menée par le commissaire à l’information. Elle ne l’a fait que lorsque la Cour fédérale a été saisie de l’affaire.

[12]      Construction de défense Canada a demandé à la Cour fédérale un ajournement « pour permettre que d’autres éléments puissent être soumis à la Cour avant l’audience et pour que les parties puissent formuler des observations complémentaires » (au paragraphe 15). Je suppose qu’en voulant produire « d’autres éléments », Construction de défense Canada souhaitait déposer des éléments de preuve pour étayer l’exception obligatoire. L’intimée s’y est opposée, en affirmant que Construction de défense Canada « n’avait pas antérieurement soulevé l’exception légale qu’elle invoquait maintenant, notamment dans sa première réponse » à la demande d’accès (au paragraphe 15). La Cour fédérale a refusé la requête de Construction de défense Canada, l’autorisant uniquement à présenter des « observations » après l’audience, au besoin.

[13]      Construction de défense Canada a demandé à la Cour fédérale de prendre en considération le fait qu’elle « exécute un mandat en vertu de la [Loi sur la production de défense] » et que « les renseignements en litige [...] peuvent être considérés comme ayant été recueillis par [elle] dans le cadre de cette loi » (au paragraphe 77). Cependant, la Cour fédérale a jugé qu’il était trop tard pour que Construction de défense Canada puisse faire valoir l’exception obligatoire. Par conséquent, elle a refusé de prendre en considération les arguments concernant la « question de fond de l’application de cette exception » (au paragraphe 88). Elle ne pouvait d’ailleurs pas le faire, puisqu’elle n’avait pas donné à Construction de défense Canada la possibilité de déposer des éléments de preuve concernant cette question. Au final, la Cour fédérale a accueilli la demande d’Ucanu Manufacturing et elle a ordonné la communication des documents.

[14]      Les appelants, notamment Construction de défense Canada, demandent à notre Cour d’infirmer le jugement de la Cour fédérale et d’empêcher la communication de tous les documents en raison de l’exception obligatoire.

[15]      Pour les motifs exposés ci-après, j’accueillerais l’appel.

A.        Les observations des parties

[16]      À notre Cour, les appelants soutiennent que l’on peut faire valoir en tout temps une exception obligatoire, telle que celle en cause. Ils soutiennent également que, compte tenu du dossier de preuve qui nous a été présenté, l’exception obligatoire prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense s’applique.

[17]      Le commissaire à l’information souscrit à la conclusion tirée par la Cour fédérale. Il estime que des restrictions doivent s’appliquer au droit d’une institution fédérale de faire valoir une exception obligatoire à un moment tardif, bien après sa réponse à une demande d’accès. Il allègue notamment que faire valoir des exceptions à une étape avancée a pour effet de contourner les protections et les droits importants conférés par la Loi, par exemple le pouvoir du commissaire de faire enquête et de produire des rapports.

B.        Les questions en litige

[18]      Les parties soulèvent devant nous deux questions en litige :

1)         La question de fait. Si l’article 30 de la Loi sur la production de défense peut être invoqué à un moment tardif, s’applique-t-il aux faits en l’espèce?

2)         La question de droit. Est-ce que l’article 30 de la Loi sur la production de défense peut être invoqué à un moment tardif? En d’autres termes, dans une procédure liée à la Loi sur l’accès à l’information, peut-il être trop tard pour faire valoir une exception obligatoire?

C.        Analyse

1)  La question de fait

[19]      La Cour fédérale a jugé que Construction de défense Canada avait trop attendu pour faire valoir l’exception obligatoire. Elle ne s’est pas penchée sur la question de fait, à savoir si l’exception obligatoire s’applique aux faits de l’espèce.

[20]      Le fait que la Cour fédérale avait déjà refusé la demande d’ajournement de Construction de défense Canada en vue de déposer des éléments de preuve à cet égard a mené à sa décision que les appelants avaient attendu trop longtemps pour faire valoir l’exception obligatoire. Voici la partie pertinente des motifs (au paragraphe 16) :

Aux termes de l’ordonnance que j’ai prononcée le 9 juillet 2015 en m’inspirant de l’Avis à la communauté juridique publié par le juge en chef Crampton le 8 mai 2013, j’ai refusé la demande d’ajournement au motif qu’il n’existait pas de circonstances exceptionnelles et inattendues, notamment de circonstances hors du contrôle d’une partie ou de son avocat. J’ai toutefois précisé dans mon ordonnance que j’entendrais les avocats à l’audience, notamment au sujet de la possibilité de recevoir, après l’audience, des observations écrites complémentaires sur les deux questions suivantes qui, selon moi, avaient été soulevées dans les lettres que les avocats avaient échangées avec la Cour :

A. Devrait-on permettre à la défenderesse d’invoquer une autre exception légale à cette étape de l’instance?

B. Dans l’affirmative, quelle serait la conséquence de cette exception sur le fond de la présente demande?

[21]      Selon mon interprétation, cela signifie que Construction de défense Canada ne pouvait pas déposer d’élément de preuve pour étayer l’exception obligatoire et expliquer pourquoi elle l’avait soulevée tardivement parce que sa requête était présentée trop tard.

[22]      On constate une certaine circularité : comme on a soulevé tardivement l’exception obligatoire, la requête en vue de déposer des éléments de preuve ne pouvait être présentée que tardivement, et ce retard a eu pour effet d’empêcher l’examen tardif de cette exception. À mon avis, la conclusion de la Cour fédérale découlait inévitablement de son refus d’accueillir la requête en ajournement tardive de Construction de défense Canada. En d’autres termes, en refusant d’accueillir la requête en ajournement, la Cour fédérale a en fait tranché la question de fond, soit celle de savoir si l’on pouvait faire valoir l’exception obligatoire tardivement, sans avoir d’élément de preuve à ce sujet. Construction de défense Canada n’a pu expliquer pourquoi on devrait tenir compte de l’exception obligatoire en dépit du fait qu’on la présentait tardivement, parce qu’on la présentait tardivement. Ceci est intimement lié aux questions soulevées dans l’avis de demande à la Cour fédérale, à sa capacité de traiter la question de l’exception obligatoire et à l’avis d’appel qui fait que nous sommes saisis de la question de l’exception obligatoire.

[23]      Dans ces circonstances précises, l’invocation tardive de l’exception et la nécessité de déposer des éléments de preuve pour l’étayer ne peuvent, à elles seules, constituer un motif suffisant pour refuser la demande d’ajournement afin que la question du retard puisse être examinée. Dans ces circonstances précises, la Cour fédérale était tenue d’accorder à Construction de défense Canada la possibilité de présenter des éléments de preuve afin d’étayer l’invocation tardive de l’exception obligatoire. Ces éléments de preuve pourraient avoir expliqué pourquoi on tentait de faire valoir l’exception tardivement et pourquoi il devrait être possible de le faire. Ils auraient peut-être aussi précisé et expliqué la raison d’être de certains des intérêts en jeu à l’égard de la confidentialité. Si elle avait disposé de ces éléments de preuve, la Cour fédérale aurait pu examiner l’exception obligatoire, ainsi que la question de droit et la question de fait connexe. En l’absence de ces éléments de preuve, la Cour fédérale ne pouvait pas se livrer à un examen convenable de la question. Pourtant, elle l’a fait. À mon avis, il s’agissait d’une erreur de principe qui permet à notre Cour d’intervenir.

[24]      Par conséquent, pour cette seule raison, j’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. La Cour fédérale devrait déterminer à nouveau, en se fondant sur un dossier de preuve complet, si Construction de défense Canada peut faire valoir une exception obligatoire à un moment tardif et, le cas échéant, si l’exception obligatoire en question est fondée au vu des faits de l’espèce.

[25]      J’ai pris connaissance des motifs dissidents de mon collègue. Il affirme notamment que nous ne sommes pas saisis de la question de l’ajournement parce que les appelants ne l’ont pas soulevée dans l’avis d’appel. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, la question fait partie intégrante du bien-fondé de l’appel et ne peut en être dissociée. En fait, nous sommes saisis de la question par conséquence nécessaire.

[26]      En outre, mon collègue déclare qu’à la suite du refus de la Cour fédérale d’accorder l’ajournement pour permettre aux appelants de déposer des éléments de preuve, la Cour fédérale avait déclaré expressément que les avocats pouvaient présenter des observations au sujet de l’exception invoquée tardivement, notamment en déposant des observations écrites supplémentaires à ce sujet après l’audience. Il mentionne également qu’à l’audience à la Cour fédérale, les parties ont convenu qu’il n’y avait pas lieu de déposer des observations écrites supplémentaires. Toutefois, la Cour fédérale n’a autorisé les parties qu’à déposer des observations sur le droit, et non des éléments de preuve. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, le refus de la Cour fédérale d’accueillir la requête en ajournement tardive de Construction de défense Canada pour permettre aux appelants de produire de nouveaux éléments de preuve a eu comme conséquence inévitable la conclusion sur le bien-fondé de l’exception obligatoire, et d’autres observations sur le droit n’auraient pas suffi.

[27]      Enfin, mon collègue soulève la question de la norme de contrôle. Je suis d’accord avec la façon dont il présente cette norme. Cependant, comme je l’ai mentionné ci-dessus, il existe une erreur de principe qui permet à notre Cour d’intervenir.

2)         La question de droit

[28]      Notre Cour devrait-elle se prononcer sur la question de droit en l’espèce? Les parties en cause nous pressent de la régler. Elles ont présenté des observations utiles à ce sujet.

[29]      Plus précisément, le commissaire à l’information nous propose de tenir compte du cadre analytique suivant au moment de décider si une institution fédérale peut faire valoir une exception obligatoire de façon tardive :

1.  L’institution fédérale aurait-elle pu raisonnablement invoquer l’exception obligatoire plus tôt, par exemple :

a) dans l’avis en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi par lequel l’accès a initialement été refusé;

b) en tout temps pendant l’enquête du commissaire à l’information;

c) à la première occasion au cours du processus judiciaire?

2.  Quels sont les intérêts sous-jacents que l’exception obligatoire vise à protéger et quelles sont les conséquences de la divulgation des documents en cause?

3.  Quel serait le préjudice au demandeur et à son droit d’accès si l’on tenait compte de l’exception à cette étape du processus?

4.  Le fait de soulever de nouvelles questions à cette étape du processus retarderait-il indûment l’audience de la demande et, en conséquence, l’accès au document par le demandeur?

5.  Est-il dans l’intérêt de la justice de permettre qu’on soulève l’exception?

[30]      Le commissaire a aussi suggéré, ce qui est utile, une procédure détaillée qui permettrait à une institution fédérale de faire valoir une exception obligatoire à un moment tardif de façon équitable pour toutes les parties en cause.

[31]      Quelques décisions ont porté sur la question de droit. Celles-ci examinent des aspects moins importants de la question ou comprennent des remarques incidentes. Aucune n’examine cette question à fond et de façon déterminante. Notre Cour peut librement examiner la question. La question est complexe et il y a des arguments convaincants des deux côtés.

[32]      D’une part, il y a l’importance de l’étape de l’enquête qui est effectuée à la suite du dépôt d’une plainte. Ceci a été considéré comme « la pierre angulaire du système d’accès à l’information » : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522 (QL) (C.A.). La clôture de l’étape de l’enquête en vertu de la Loi constitue une condition préalable à tout contrôle ultérieur par la Cour fédérale de la décision de l’institution fédérale de refuser l’accès à des documents demandés en vertu de la Loi : Whitty c. Canada (Solliciteur général), 2014 CAF 30, aux paragraphes 8 et 9; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, au paragraphe 55. Les questions qui portent sur la compétence quant à l’objet du litige ne peuvent pas être négligées : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, aux paragraphes 8 à 10. Le fait de permettre à une institution fédérale de faire valoir une exception pour la première fois à la Cour fédérale contrecarre ces protections : Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.), aux pages 347 et 348; Geophysical Service Inc. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, 2003 CFPI 507. Par conséquent, selon le commissaire à l’information, la possibilité de faire valoir des exceptions obligatoires à un moment tardif doit être limitée.

[33]      D’autre part, il y a la nature obligatoire des exceptions elles-mêmes. Certaines exceptions obligatoires portent sur des questions très importantes, par exemple la sécurité nationale. En fait, il serait étrange que le traitement fautif ou négligent d’une demande d’accès ait pour effet d’interdire le recours à une exception obligatoire et de permettre la communication d’un document très préjudiciable. C’est ce à quoi pensait la Cour fédérale lorsqu’elle a déclaré, dans une remarque incidente : « Il reste à décider si le fait pour le responsable d’une institution fédérale de n’avoir pas correctement indiqué les motifs d’un refus de communication pourrait en fin de compte imposer une communication qui soit contraire à l’intérêt national » : Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1987] 3 C.F. 15 (1re inst.) (Davidson) [à la page 22].

[34]      Notre Cour n’a laissé entendre que l’on pouvait faire valoir une exception obligatoire à une date tardive que dans une seule décision : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 68. Cependant, elle l’a fait parce que l’institution fédérale en cause croyait que les documents n’étaient pas visés par la Loi et qu’il était donc naturel qu’elle n’ait pas pris en considération la question des exceptions obligatoires. Cette décision ne contient aucune autre explication de la raison pour laquelle on pouvait faire valoir tardivement une exception obligatoire.

[35]      La Cour fédérale a renvoyé à plusieurs des décisions susmentionnées (aux paragraphes 79 à 88). Elle a affirmé, à juste titre, que notre Cour n’avait jamais résolu la question de droit. Par exemple, dans l’arrêt Davidson, précité, et dans l’arrêt Rubin c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 37, notre Cour a explicitement choisi de ne pas l’aborder. La Cour fédérale a renvoyé à quelques décisions qu’elle avait rendues dans lesquelles elle avait conclu qu’il était trop tard pour faire valoir une exception obligatoire; cependant, ces décisions ne nous lient pas. La Cour fédérale a donc conclu, en s’appuyant uniquement sur sa jurisprudence, qu’il était trop tard dans la présente instance pour faire valoir l’exception obligatoire (au paragraphe 88).

[36]      Cependant, les jugements antérieurs sur lesquels s’est appuyée la Cour fédérale ne traitent pas la question de droit de manière exhaustive. Ces jugements ne comportent aucune analyse approfondie des considérations importantes de part et d’autre, dont certaines sont exposées ci-dessus. Ces jugements ne font pas un examen approfondi du texte de la Loi, interprété à la lumière de son contexte et de son objet. Ce n’est pas une critique; les tribunaux sont souvent limités par les observations sommaires ou inadéquates qui leur sont présentées.

[37]      Notre Cour devrait-elle régler la question de droit de façon détaillée en l’espèce? Ce genre de question suscite plus de débats aux cabinets des juges que les avocats le supposent.

[38]      La plupart des juges répondent à cette question de façon plutôt souple. Disons cependant qu’il y a deux écoles de pensée distinctes. Certains croient que les tribunaux ne devraient se pencher que sur les questions qui doivent être tranchées pour résoudre l’affaire. D’autres pensent que, lorsque cela est possible, les tribunaux devraient résoudre les questions de droit afin d’apporter plus de précision et de réduire les litiges. Il arrive cependant qu’un cas, comme celui qui nous occupe, provoque un séisme sur cette ancienne faille.

[39]      Comme lors de nombreux débats, la meilleure réponse est : « tout dépend ». J’ai eu l’occasion d’émettre mes commentaires à ce sujet dans l’arrêt Steel c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 153, [2013] 1 R.C.F. 143, aux paragraphes 65, 66 et 68 :

[...] Adopter une approche minimale à l’égard du processus de décision judiciaire présente généralement de grands avantages. Selon cette approche, parfois appelée « minimalisme judiciaire », la Cour élabore des solutions qui sont pratiques et courantes et qui ne soulèvent aucune controverse, et les applique aux affaires dont elle est saisie, en évitant les déclarations inutiles de portée générale. La recherche de solutions la pousse parfois à envisager une légère modification de sa jurisprudence, ce qu’elle ne fait que si elle le juge nécessaire et approprié, et le moins possible, et toujours sous réserve des lois fédérales auxquelles elle est assujettie.

Lorsque nous écartons le minimalisme judiciaire et, qu’à la place, nous énonçons à titre gracieux des principes juridiques généraux, nous nous faisons accuser de légiférer, ce qui excède notre compétence, non élus que nous sommes. En outre, sans les faits concrets qui éclairent nos décisions, tempèrent notre jugement et nous obligent à rendre compte, nous sommes davantage susceptibles de commettre des erreurs, de semer la pagaille et de faire du tort.

[...]

Mais un trop grand dévouement au minimalisme judiciaire peut parfois coûter excessivement cher. Les questions urgentes peuvent persister et s’aggraver, et les parties au litige peuvent en souffrir.

[40]      On pourrait en dire davantage à ce sujet. D’une part, établir la jurisprudence de manière minimale par souci de minimalisme peut être contre-productif, inefficace et contraire à la nouvelle culture en matière de contentieux préconisée par la Cour suprême : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Le fait d’établir la jurisprudence au-delà des besoins d’une instance précise pourrait permettre de mettre de l’ordre dans un domaine qui en a grandement besoin et d’éviter des litiges coûteux et superflus à l’avenir. En outre, dans certains contextes, il est plutôt rare qu’une question de droit importante soit soulevée, ce qui pourrait laisser croire que la question ne sera jamais tranchée par les tribunaux. À titre d’exemple, dans la présente instance, le commissaire à l’information ne peut soulever la question de droit très souvent en raison de son manque de ressources. Enfin, on rencontre des litiges comme celui dont nous sommes saisis, où les avocats nous ont beaucoup aidés et ont fait leur possible pour nous aider à rendre notre décision.

[41]      D’autre part, certaines questions de droit ne se prêtent pas à une solution facile : l’économie judiciaire et le désir de résoudre la question correctement incitent à reporter la prise de la décision. Parfois, le règlement de la question de droit entraîne des conséquences importantes : le règlement définitif aura des conséquences sur des intérêts essentiels et, si la décision est erronée, ces intérêts pourraient être perturbés et lésés. Parfois, en raison de la nature de certaines questions, il vaut mieux laisser les tribunaux trancher au cas par cas avant d’établir la règle de manière définitive. Comme l’ont reconnu les juges Oliver Wendell Holmes et Benjamin Cardozo, la common law fonctionne de manière inductive et il vaut mieux s’appuyer sur des cas particuliers pour élaborer les règles générales : Frederic R. Kellogg, « Law, Morals, and Justice Holmes » (1986), 69 Judicature 214; Benjamin N. Cardozo, The Nature of the Judicial Process (New Haven : Yale University Press, 1921), aux pages 22 et 23. Enfin, il est vrai que l’on peut éliminer les conséquences importantes et l’incertitude entourant une question de droit grâce à la doctrine; cependant, jusqu’à ce qu’elle existe, les conséquences importantes et l’incertitude vont persister.

[42]      Après avoir examiné ces facteurs, j’estime qu’il serait peu avisé à cette étape de l’établissement de la jurisprudence que notre Cour exprime une opinion définitive et contraignante sur la question de droit en l’espèce. Il ne serait non plus pas avisé, sans d’abord établir les principes, d’adopter tout simplement la décision brève et plutôt automatique de la Cour fédérale de suivre ses jugements antérieurs, dont aucun n’a comporté un examen approfondi de la question de droit.

[43]      La question de droit dont nous sommes saisis comporte des enjeux considérables ayant des conséquences importantes et imprévues. Les exceptions obligatoires se présentent sous différentes formes, en vertu de différentes lois, avec différents objets et différents libellés. L’élaboration d’un critère juridique qui fonctionne n’est pas une mince affaire. À la moindre erreur, nous pourrions permettre la communication de renseignements confidentiels et préjudiciables qui, dans l’intérêt public, ne devraient pas être communiqués, car cela nuirait à la bonne administration de l’État. Inversement, nous pourrions retenir des renseignements importants que le public devrait connaître et ainsi entraver la discussion sur laquelle repose la liberté d’expression qui est enchâssée à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’alinéa 1d) de la Déclaration canadienne des droits.

[44]      Comme je l’expliquerai ci-dessous, certaines des questions liées au critère que propose le commissaire à l’information nécessitent un examen plus approfondi, des observations complètes et le bénéfice de décisions de la Cour fédérale. À un moment donné, lorsque nous disposerons de ces observations, nous pourrons régler une fois pour toutes la question de droit.

[45]      Dans les arrêts Rubin et Davidson, précités, notre Cour n’avait pas à régler une fois pour toutes la question de droit et, par conséquent, elle ne l’a pas fait. Depuis que ces décisions ont été rendues, aucun changement, notamment de jurisprudence, ne s’est produit pour nous donner la certitude ou la confiance nécessaires pour trancher la question de droit. Nous irions trop loin en le faisant maintenant.

[46]      Je suis conscient du fait que, pour les meilleures des raisons, certains pourraient être tentés de résoudre une petite partie de la question de droit en rendant une décision à caractère unique qui évitera une discussion des principes juridiques. Ainsi, certains pourraient décider, « eu égard aux faits » ou « compte tenu des circonstances », sans définir ces faits ou ces circonstances, qu’il était trop tard pour faire valoir l’exception obligatoire. D’autres pourraient juger que le fait de soulever tardivement l’exception obligatoire est « injuste ». Ou encore, on pourrait tout simplement rendre une décision sans analyse à l’appui. Ces approches sont troublantes.

[47]      D’abord, les tribunaux sont censés fonder leurs décisions sur les règles de droit et les principes juridiques. Si les décisions ne sont pas étayées par des règles de droit et des principes juridiques, c’est qu’il n’en existe probablement pas.

[48]      Cela est lié au fait de résoudre des litiges « selon l’ensemble des faits » ou « selon l’équité ». Cela équivaut à s’appuyer sur un concept qui n’est qu’« un simple contenant, à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » : Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313 [à la page 394], le juge McIntyre. De telles décisions, fondées sur des préférences personnelles plutôt que sur des règles de droit et des principes juridiques, sont légitimement susceptibles d’être contestées en vertu du principe constitutionnel de la primauté du droit.

[49]      Enfin, et de façon plus pratique, une telle décision lierait les formations futures de notre Cour. La décision pourrait ne dire rien de plus que « parfois, il sera trop tard pour faire valoir des exceptions obligatoires ». Cependant, cela pourrait être trompeur et influer erronément sur d’autres cas. Les exceptions obligatoires se présentent sous différentes formes, en vertu de différentes lois, avec différents objets et différents libellés. Lorsque la question de droit aura été pleinement résolue, on pourrait constater que, peu importe le régime légal, on peut toujours faire valoir des exceptions obligatoires à un moment tardif. Ou peut-être il n’est jamais possible de le faire. Ou peut-être peut-on en faire valoir certaines, mais seulement dans certaines situations bien définies. D’ici à ce que la question de droit ait été entièrement résolue, il serait vain de l’aborder une petite partie à la fois.

[50]      En l’espèce, nous ignorons quel est l’intérêt des appelants à la confidentialité, car les appelants n’ont pu produire des éléments de preuve pour étayer l’exception obligatoire. Si la preuve offerte dans la présente instance montrait que l’intérêt à la confidentialité est énorme et que la divulgation serait préjudiciable pour le Canada, déclarerions-nous quand même qu’il est trop tard pour faire valoir une exception obligatoire? Conclure « selon les faits » ou « selon l’équité » que l’exception obligatoire a été invoquée trop tard reviendrait à donner un coup à l’aveuglette dans un domaine du droit qui a des enjeux de taille et est incertain.

[51]      Enfin, la liste des institutions et des ministères fédéraux à l’annexe II de la Loi est longue et l’étendue des intérêts à la confidentialité reconnus par le législateur est vaste. La question de droit a une incidence sur ces intérêts et sur ces institutions et peut-être même également sur de nombreuses autres institutions fédérales. Pour résoudre la question de droit, la Cour devra se renseigner sur tous ces intérêts et toutes ces institutions. En outre, si à l’avenir le procureur général du Canada ne participe pas à une instance mais devrait le faire, la Cour pourrait l’informer de l’instance et l’inviter à présenter des observations : voir l’alinéa 110b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[52]      Pour toutes ces raisons, j’éviterai de me prononcer sur la question de droit en l’espèce. Je ne ferai pas de commentaire sur le raisonnement de la Cour fédérale et sur ses conclusions à ce sujet.

[53]      Je ne ferai pas non plus de commentaire sur le cadre analytique proposé par le commissaire (au paragraphe 29 ci-dessus), sauf pour dire quelques mots qui pourraient être utiles à la Cour fédérale et à notre Cour lors d’affaires futures.

[54]      Il semble que, sauf s’il est toujours possible de faire valoir une exception obligatoire à un moment tardif, le critère à plusieurs facteurs proposé par le commissaire à l’information est une méthode solide. Les divers facteurs à prendre en considération, à la fois complexes et contradictoires, ne peuvent être saisis qu’au moyen d’une telle approche. La controverse — sur laquelle je n’émettrai pas de commentaire — est attribuable au contenu de ces facteurs. Est-ce que les facteurs sont suffisamment bien ancrés dans le texte, le contexte et l’objet de la Loi sur l’accès à l’information? Est-ce que les facteurs tiennent suffisamment compte du texte, du contexte et de l’objet de la loi dont découle l’exception obligatoire? Qu’arrive-t-il s’il y a un conflit entre les deux? Existe-t-il des facteurs autres que ceux que le commissaire à l’information a soulevés dans la présente instance? De quelle manière la Cour devrait-elle pondérer et équilibrer ces facteurs?

[55]      D’autres questions connexes pourraient se poser. Doit-on faire une distinction entre les exceptions qui sont énumérées dans la Loi (certaines sont discrétionnaires, d’autres sont obligatoires) et les interdictions fondées sur d’autres lois qui sont prévues à l’article 24 et qui sont énumérées à l’annexe II de la Loi? L’objet énoncé au paragraphe 2(1) de la Loi s’applique-t-il aux cas visés par les interdictions prévues à l’article 24 et qui sont énumérées à l’annexe II de la Loi? S’il s’applique, comment devrait-il l’être? Si une partie n’a pas droit, en vertu de la Loi sur la production de défense, aux documents visés par l’article 30 de cette loi, peut-on créer un droit de fond d’accès à ces documents au moyen d’un vice de procédure tel qu’un retard?

[56]      On peut aussi se demander si le tribunal, lorsqu’on fait valoir une exception obligatoire à un moment tardif, devrait ajourner l’affaire et la renvoyer au commissaire à l’information pour enquête.

[57]      Si elle obtient des conseils à ce sujet — peut-être d’une nouvelle décision de la Cour fédérale en l’espèce, d’autres décisions de la Cour fédérale, de la doctrine et des observations des avocats, notamment le procureur général — notre Cour pourrait un jour estimer qu’elle est en mesure de régler la question de droit. Ce jour n’est pas encore venu.

D.        Dispositif proposé

[58]      Par conséquent, pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Je renverrais l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle puisse recevoir des éléments de preuve des parties concernant l’exception prévue à l’article 30 de la Loi sur la production de défense, notamment la raison pour laquelle on l’a invoquée tardivement, et déterminer l’affaire à nouveau.

[59]      Les appelants ont eu gain de cause. Habituellement, à notre Cour et à la Cour fédérale, les dépens suivent l’issue de la cause. Cependant, la seule question en litige lors de l’appel portait sur le fait que les appelants avaient fait valoir tardivement l’exception obligatoire en vertu de la Loi sur la production de défense. S’ils avaient fait valoir l’exception obligatoire au moment opportun, le présent appel n’aurait peut-être jamais été nécessaire. Par conséquent, je n’adjugerais pas de dépens pour l’appel. Au moment de sa nouvelle détermination, la Cour fédérale pourra se pencher sur la question des dépens pour l’audience initiale à cette Cour et pour la nouvelle détermination.

[60]      La Cour remercie les avocats pour leurs excellentes observations.

Rennie, J.C.A. : Je suis d’accord.

âââ

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[61]      Le juge Boivin, J.C.A. (dissident) : J’ai pu lire les motifs rédigés par mon collègue le juge Stratas. Avec égards, je suis incapable de convenir avec lui que l’appel devrait être accueilli.

[62]      D’entrée de jeu, j’estime qu’il est essentiel de se rappeler la manière dont la Cour fédérale a été saisie de l’affaire. Au cours de la procédure qui a mené à l’audience de contrôle judiciaire, la Cour fédérale avait refusé d’accueillir la requête en ajournement de Construction de défense Canada cinq jours avant le début de l’audition (l’ordonnance). Mon collègue conclut [au paragraphe 23 ci-haut] que « l’invocation tardive de l’exception et la nécessité de déposer des éléments de preuve pour l’étayer ne peuvent, à elles seules, constituer un motif suffisant pour refuser la demande d’ajournement afin que la question du retard puisse être examinée ». Je ne suis pas de cet avis.

[63]      L’ordonnance refusant l’ajournement a été rendue séparément, avant la décision visée par l’appel : la Cour fédérale a rendu l’ordonnance le 9 juillet 2015 et la décision visée par l’appel a été rendue environ six semaines plus tard, soit le 24 août 2015. Pourtant, Construction de défense Canada ne porte pas l’ordonnance en appel, comme elle aurait pu le faire en vertu de l’alinéa 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Construction de défense Canada n’a pas non plus présenté de requête à notre Cour demandant une prorogation rétroactive du délai accordé pour en appeler de l’ordonnance et demandant que cette requête soit réunie avec l’appel ou entendue en même temps que l’appel. En outre, l’ordonnance n’est contestée nulle part dans l’avis d’appel, dans le mémoire des faits et du droit ou lors des plaidoiries orales à notre Cour. Pour ce seul motif, je ne peux accepter que notre Cour doive intervenir et, dans les faits, écarter l’ordonnance.

[64]      Même en supposant que notre Cour puisse trancher le présent appel afin d’annuler l’ordonnance, je suis incapable de trouver une erreur de fait ou de droit justifiant l’annulation. Une cour d’appel ne peut pas modifier la décision discrétionnaire d’un juge à moins d’y constater une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante (voir, par exemple, Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, aux paragraphes 68 et 69). Par conséquent, même si l’ordonnance était en jeu, je ne vois aucune raison de modifier la décision discrétionnaire de la Cour fédérale rejetant la requête en ajournement de Construction de défense Canada.

[65]      Il est tout aussi important, à mon avis, qu’en annulant l’ordonnance en l’espèce, on ne tient pas compte des circonstances dans lesquelles celle-ci a été rendue. Mon collègue interprète l’ordonnance comme suit : « Construction de défense Canada ne pouvait pas déposer d’élément de preuve pour étayer l’exception obligatoire et expliquer pourquoi elle l’avait soulevée tardivement parce que sa requête était présentée trop tard ». Avec égards, cela ne tient pas suffisamment compte du fait que, dans son ordonnance, la Cour fédérale a déclaré expressément que les avocats pouvaient présenter des observations au sujet de l’exception invoquée tardivement, notamment en déposant des observations écrites supplémentaires à ce sujet après l’audience.

[66]      De fait, les parties ont présenté des observations sur cette question lors de l’audience à la Cour fédérale et, en fait, ont confirmé à l’audience que les questions « avaient été suffisamment analysées et qu’il n’était plus nécessaire de présenter des observations écrites complémentaires » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 17).

[67]      Ainsi, tous reconnaissaient que la Cour fédérale disposait de tout ce dont elle avait besoin pour statuer sur la question de l’exception invoquée tardivement. Vu les circonstances, je ne peux accepter qu’il puisse être approprié, en fait, d’écarter l’ordonnance en renvoyant l’affaire à la Cour fédérale pour une nouvelle détermination. À mon avis, la Cour fédérale pouvait statuer sur la question de droit comme elle l’a fait, en s’appuyant sur le dossier dont elle était saisie, d’autant plus que les parties étaient d’accord à cet égard.

[68]      Notre Cour est maintenant saisie d’un appel de la décision de la Cour fédérale et, en conséquence, il nous incombe d’y répondre.

[69]      La question précise que nous a présentée Construction de défense Canada et le commissaire à l’information intervenant est la suivante : est-ce que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que Construction de défense Canada ne pouvait pas invoquer tardivement une exception obligatoire en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1?

[70]      Dans le présent appel, la norme de révision est la norme de la décision correcte, puisque la question en litige, par définition, n’a jamais été soumise au décideur administratif (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Défense nationale), 2015 CAF 56, [2016] 1 R.C.F. 213; Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189).

[71]      Dans sa décision concernant la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a rejeté, à juste titre, l’affirmation selon laquelle une institution fédérale telle que Construction de défense Canada peut invoquer tardivement une exception obligatoire en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’accès à l’information. En se penchant sur cette question et en tirant cette conclusion (paragraphes 77 à 88), la Cour fédérale a examiné minutieusement la jurisprudence concernant les exceptions. Elle l’a fait tout d’abord en renvoyant à la décision de notre Cour dans Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.) (Davidson CAF). Dans l’arrêt Davidson CAF, notre Cour a conclu, dans le cas de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, qu’on ne peut invoquer tardivement une exception discrétionnaire. La Cour fédérale a mentionné au paragraphe 82 de ses motifs que le principe énoncé dans l’arrêt Davidson CAF avait par la suite été appliqué aux exceptions obligatoires en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (Rubin c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 929, aux paragraphes 55 à 60, conf. par 2003 CAF 37; Geophysical Service Inc. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, 2003 CFPI 507, aux paragraphes 40 et 41).

[72]      La Cour fédérale n’était pas non plus d’accord avec le fait que Construction de défense Canada se fondait sur l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522 (QL) (C.A.), une décision qui portait sur les exceptions discrétionnaires et que notre Cour avait mentionnée dans l’arrêt Davidson CAF Construction de défense Canada a tenté de tirer une inférence du choix du commissaire à l’information dans cette affaire de s’abstenir de se prononcer sur la possibilité que des exceptions obligatoires puissent être invoquées tardivement, ce que la Cour fédérale a rejeté. Enfin, la Cour fédérale s’est penchée sur la décision de notre Cour dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 68 (Ministre de l’Environnement). Dans cette affaire, notre Cour a permis à une institution fédérale de soulever des exceptions après la conclusion de l’enquête du commissaire à l’information. La Cour fédérale a établi une distinction avec l’arrêt Ministre de l’Environnement pour le motif que l’institution fédérale en cause dans cette affaire avait adopté comme position initiale que les documents demandés étaient hors de la portée de la Loi sur l’accès à l’information, de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’invoquer des exceptions précises. Notre Cour a noté que les circonstances dans l’arrêt Ministre de l’Environnement étaient exceptionnelles. En l’espèce, la Cour fédérale a également noté que les motifs dans l’arrêt Ministre de l’Environnement se limitaient à cette instance précise.

[73]      Par conséquent, le consensus qui émerge de la jurisprudence est qu’une institution fédérale ne peut pas demander une exception tardivement, même une exception obligatoire, si cette exception n’a pas été présentée au commissaire à l’information pendant l’enquête. Il en est ainsi afin de protéger le droit d’accès quasi constitutionnel du demandeur et la révision indépendante au premier palier par le commissaire à l’information (Société Radio-Canada c. Canada (Commissaire à l’information), 2010 CF 954 (Société Radio-Canada), au paragraphe 33, conf. par 2011 CAF 326). À mon avis, la Cour fédérale a souligné à juste titre que le fait de permettre à une institution fédérale d’invoquer une exception tardivement priverait les demandeurs du bénéfice du mandat légal du commissaire (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 80). Notre Cour a exprimé explicitement cette inquiétude dans l’arrêt Davidson CAF, au paragraphe 14 (page 348) :

Il est indubitablement vrai, comme le soutient l’appelant, qu’un juge de première instance de la Cour fédérale a des pouvoirs de révision appropriés sur le refus du responsable d’une institution fédérale, appuyé comme en l’espèce par le Commissaire, de donner communication de renseignements personnels, bien qu’on doive dire qu’un juge siégeant à la Cour n’a pas le personnel investigateur et la flexibilité du Commissaire. Il y a plus important encore, si on permettait que de nouveaux motifs d’exemption soient présentés devant le juge après l’achèvement de l’enquête du Commissaire sur des motifs tout autres, comme c’est le cas en l’espèce, le plaignant se verrait refuser l’avantage des procédures du Commissaire. Il aurait ainsi droit à un seul niveau de protection au lieu de deux. [Non souligné dans l’original.]

[74]      Je mentionne également que, si l’on prend en considération l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et son économie générale, et si l’on donne suite au rôle et au mandat que le législateur a confiés au commissaire à l’information, le principe général voulant que l’on ne puisse pas faire valoir tardivement des exceptions obligatoires est bien fondé (Société Radio-Canada).

[75]      Il est vrai que le principe général selon lequel on ne peut pas invoquer tardivement des exceptions en vertu de la Loi sur l’accès à l’information pourrait avoir des exceptions dans des circonstances limitées, telles que celles qui ont été soulevées dans l’arrêt Ministre de l’Environnement ou, dans une remarque incidente, dans la décision Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1987] 3 C.F. 15 (1re inst.), au paragraphe 7 [page 22]; l’arrêt Davidson CAF, au paragraphe 11 [page 347]. Par exemple, des préoccupations quant à la sécurité nationale pourraient fort bien constituer un intérêt faisant l’objet d’une exception. Toutefois, si une partie était d’avis qu’une exception est justifiée, il lui incomberait de justifier le fait d’invoquer une exception pour la première fois à la Cour fédérale, c’est-à-dire après l’enquête du commissaire à l’information. En l’espèce, de telles circonstances n’existent pas. Construction de défense Canada n’a pas fait valoir d’intérêt qu’elle cherche à protéger à la Cour fédérale ou à notre Cour.

[76]      Vu ma conclusion concernant l’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information, il n’est pas nécessaire de traiter la question subsidiaire, à savoir si l’article 30 de la Loi sur la production de défense, L.R.C. (1985), ch. D-1, s’applique à l’espèce.

[77]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, sans dépens, puisqu’on n’en a pas demandé l’adjudication.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.