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DES-3-03

2005 CF 248

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, signé par le Ministre de l'immigration et le Solliciteur général du Canada (les Ministres), L.C. 2001, ch. 27 (la L.I.P.R.);

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la L.I.P.R.;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention en vertu des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.;

ET DANS L'AFFAIRE concernant la quatrième revue de la détention de M. Adil Charkaoui (M. Charkaoui) en vertu des paragraphes 83(2) et 83(3) de la L.I.P.R.;

Répertorié: Charkaoui (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël--Montréal, 10 et 11 janvier et 7 février; Ottawa, 17 février 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Examen des motifs de la détention -- Quatrième examen depuis la détention au titre du certificat des ministres (LIPR, art. 77(1)) -- Il n'a pas encore été statué sur le caractère raisonnable ou non du certificat -- La personne détenue était prétendument membre d'une organisation liée à Al-Qaida -- Elle a témoigné pour la première fois au quatrième examen des motifs de sa détention -- Elle a donné des raisons pour expliquer son voyage au Maroc et en Turquie -- Elle a nié être allée en Afghanistan -- Elle a appelé un polygraphiste comme témoin, mais le témoignage de celui-ci a été rejeté par la Cour -- Norme de preuve devant être appliquée dans l'examen des motifs d'une détention -- Raison pour laquelle le juge désigné qui est saisi d'un examen des motifs d'une détention est en meilleure position que les ministres lorsque les décisions initiales ont été prises -- Fonction du juge désigné, selon l'art. 83(3) -- Signification de l'expression «danger pour la sécurité nationale» et de l'expression «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui» -- Principale question: un danger existe-t-il encore? -- Un danger autrefois imminent peut plus tard être neutralisé -- La libération peut être accordée sous réserve de conditions, mais non si la personne détenue constitue encore un danger -- Questions prises en compte au quatrième examen -- Si le danger était imminent lorsque la personne a été détenue, il est maintenant neutralisé -- Ordonnance de libération de la personne détenue, sous réserve de nombreuses conditions, la Cour se réservant le droit d'annuler la libération si les circonstances devaient l'exiger -- Les conditions seront réévaluées tous les trois mois.

Il s'agissait du quatrième examen des motifs de la détention d'Adil Charkaoui, fondée sur un certificat signé par le ministre de l'Immigration et par le solliciteur général en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il avait été mis en détention en mai 2003, et l'alinéa 78c) de la LIPR requiert que la procédure relative au certificat soit conduite d'une manière expéditive, mais l'audience concernant le caractère raisonnable ou non du certificat n'a toujours pas eu lieu, en raison de requêtes de nature constitutionnelle ou autre ainsi qu'en raison de certaines ententes conclues entre les parties.

On a fait valoir que M. Charkaoui était membre d'une organisation liée à Al-Qaida, laquelle aurait signé les attentats survenus à Casablanca et à Madrid, qu'il avait été endoctriné à Montréal par un imam libyen et qu'il avait donné de l'argent et un ordinateur portable à l'organisation terroriste.

Lors de cette quatrième audience, M. Charkaoui a témoigné pour la première fois. Il s'est rendu au Maroc en 1996 pour voir sa fiancée, et de nouveau en 1998 pour se marier. En 1999, il s'est rendu en Turquie pour un concours d'arts martiaux. En 1999, il est retourné au Maroc pour visiter son épouse, qui attendait de recevoir le statut de résident permanent au Canada. C'est lors d'un retour au Maroc en 2000-2001 avec son épouse qu'il a rencontré pour la première fois des difficultés avec les services de sécurité, et cela au Canada et au Maroc, et, à son retour, à New York, où il fut détenu durant une nuit par le FBI Il a nié être jamais allé en Afghanistan. Il a aussi nié qu'il existe un imam libyen à Montréal.

M. Charkaoui a assigné comme témoin un polygraphiste qui lui avait administré un test polygraphique. Après examen du tracé polygraphique informatisé, il est apparu que M. Charkaoui disait la vérité lorsqu'il affirmait qu'il n'était pas et n'avait jamais été membre d'un réseau terroriste. Plusieurs raisons ont été avancées pour les ministres au soutien de l'affirmation selon laquelle le témoignage du polygraphiste ne pouvait pas être accepté.

Durant l'examen des motifs de détention, qui doit avoir lieu tous les six mois après le premier examen, le juge désigné doit analyser la preuve ancienne et la preuve nouvelle, en recourant à la même norme des «motifs raisonnables» que celle qui est applicable à l'examen de la décision des ministres de décerner un mandat d'arrêt. Toutefois, cette norme se rapproche de la prépondérance de la preuve.

La fonction essentielle du juge désigné, en application du paragraphe 83(3), est d'analyser la preuve et de dire si la personne concernée constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou si elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Le sens de l'expression «danger pour la sécurité du Canada», dans le contexte des dispositions de l'ancienne Loi sur l'immigration relatives à l'expulsion, examinées par la Cour suprême dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), est applicable au paragraphe 83(3) de la LIPR, qui emploie l'expression «danger pour la sécurité nationale». Il y a une autre expression dans le paragraphe 83(3): «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui» et, s'agissant de l'examen des motifs de la détention, il semblerait que cette expression est plus étendue que l'expression «danger pour le public», examinée dans l'arrêt Suresh, qui se limitait aux personnes déclarées coupables d'une infraction grave. L'expression «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui» englobe la possibilité de prévenir l'acte avant qu'il ne survienne, ce qui en soi élargit la notion de «danger pour le public» au-delà des personnes déclarées coupables d'une infraction grave. La principale question est de savoir si un danger existe encore. Un danger peut exister à un certain moment et pas à un autre. Le juge désigné doit apprécier la preuve en ayant bien conscience de ce fait. Un danger autrefois imminent peut plus tard être neutralisé. S'agissant des mots «se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi», il semblerait que le législateur voulait qu'un certain degré de probabilité ou d'improbabilité soit pris en compte dans l'appréciation de la preuve.

La section 6 de la LIPR prévoit, en son paragraphe 58(3), la possibilité d'une libération assortie des conditions jugées nécessaires, notamment une garantie d'exécution. Mais si le juge désigné estime que la personne détenue constitue encore un danger, il ne saurait être question d'une libération, même assortie de conditions exceptionnelles.

Jugement: M. Charkaoui doit être libéré, sous réserve de quelque 16 conditions préventives.

Cette décision était fondée sur la preuve produite à ce jour, sans qu'il soit statué sur la crédibilité de M. Charkaoui, ce qui sera fait lorsqu'aura lieu l'audience relative au caractère raisonnable ou non du certificat.

Une fois que les ministres décident de faire arrêter une personne en vertu du paragraphe 82(1) de la LIPR afin d'empêcher un incident susceptible de se produire, le juge en chef de la Cour fédérale, ou un juge désigné par lui, doit, dans un délai de 48 heures à compter du début de la détention préventive, examiner les motifs propres à justifier le maintien en détention: paragraphe 83(1) de la Loi. Si la détention est alors confirmée, elle doit être réexaminée tous les six mois jusqu'à ce qu'il soit statué sur le certificat. Dans la décision Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528, la Cour avait recensé trois sujets de préoccupation: les voyages au Maroc, le voyage au Pakistan et les contacts avec cinq personnes en particulier. M. Charkaoui avait refusé de témoigner lors des trois premiers examens des motifs de sa détention. Lorsqu'il s'agit de sécurité nationale, l'imposition d'un cautionnement, même considéra-ble, comme condition d'une libération ne suffira pas. Au vu de la responsabilité exceptionnelle conférée par le législateur au juge désigné, la Cour ne pouvait que conclure, lors des premiers examens, que M. Charkaoui demeurait une menace pour la sécurité nationale.

S'agissant du quatrième examen des motifs de la détention, la Cour avait devant elle des déclarations assermentées qui appuyaient M. Charkaoui et qui venaient non seulement de la communauté musulmane, mais également du milieu universitaire, du milieu politique, du milieu religieux et du milieu syndical. La Cour devait aussi considérer l'appui apporté par son épouse, par sa famille et par M. Ouazzani, le plus important contributeur du cautionnement proposé. La Cour n'a pas accepté le témoignage du polygraphiste. Outre sa connaissance limitée des aspects médicaux du test et certains doutes sur le déroulement de ce test, conclure que la preuve polygraphique démontrait la crédibilité de la personne détenue reviendrait à déléguer indûment la tâche du juge, qui doit décider lui-même de la crédibilité de la personne détenue.

Les examens des motifs de détention font intervenir des faits qui sont propres à chaque cas particulier. En l'espèce, l'incarcération, le passage du temps, la médiatisation, la présence de la famille et le soutien de la collectivité, de même que le témoignage de M. Charkaoui, tous ces aspects devaient être pris en compte pour savoir si un danger existait encore et s'il était vraisemblable que M. Charkaoui se soustrairait à la procédure ou au renvoi. Si un danger était imminent lorsqu'il a été placé en détention préventive, ce danger est aujourd'hui neutralisé. La médiatisation de cette affaire est telle que M. Charkaoui devra montrer dans le public un comportement exemplaire et au-dessus de tout soupçon. Le danger pour la sécurité nationale et pour la sécurité d'autrui s'était atténué avec le passage du temps au point qu'il était maintenant neutralisé.

La libération de M. Charkaoui a été ordonnée, sous réserve de 16 conditions, à savoir: cautionnement fixé à 50 000 $; devra demeurer à une adresse précisée (non divulguée afin de préserver la vie privée de la famille) et y demeurer chaque jour de 20 h 30 à 8 heures (sauf pour urgence médicale); ne pas utiliser un ordinateur, un téléphone cellulaire, un Blackberry, un télécopieur, un télé-avertisseur ou un émetteur-récepteur portatif; porter un bracelet électronique (si les ministres l'exigent); remettre son passeport avant sa libération; ne pas posséder d'arme ou d'explosif; ne pas quitter l'île de Montréal; s'abstenir de communiquer avec une liste de cinq individus nommément désignés, ainsi qu'avec un individu appelé «Abdeslam le Canadien» et toute personne ayant un casier judiciaire. La Cour s'est réservé le droit d'annuler la libération si les circonstances le justifiaient et, au besoin, après décision se rapportant au caractère raisonnable ou non du certificat. Par ailleurs, les conditions seront réexaminées au cours d'une audience qui aura lieu tous les trois mois.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 12, 15.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 127 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 185).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 53 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 9, 58(3), 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 78, 80(1), 81, 82(1), 83, 84(1), 85.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 149.

jurisprudence citée

décision suivie:

Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299; (2004), 247 D.L.R. (4th) 405; 328 N.R. 201; 2004 CAF 421.

décisions appliquées:

Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32; (2003), 253 F.T.R. 22; 38 Imm. L.R. (3d) 56; 2003 CF 1419; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; 2002 CSC 1; Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451; (2003), 236 D.L.R. (4th) 91; 315 N.R. 1; 2003 CAF 407; Suresh (Re), [1998] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL).

décisions citées:

Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528; (2003), 237 F.T.R. 143; 2003 CF 882; Charkaoui (Re) (2004), 247 F.T.R. 276; 39 Imm. L.R. (3d) 318; 2004 CF 107; Charkaoui (Re), 2004 CF 1031; [2004] A.C.F. no 1236 (QL); Charkaoui (Re), 2005 CF 149; [2005] A.C.F. no 139 (QL); Gauthier c. Assurances générales Desjardins inc., [2004] R.R.A. 517 (C.S. Qué.); Services financiers DaimlerChrysler c. Hébert, [2003] R.R.A. 1482 (C.Q. (civ.)); R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398; (1987), 43 D.L.R. (4th) 641; 36 C.C.C. (3d) 481; 60 C.R. (3d) 1; 79 N.R. 263; 9 Q.A.C. 293.

EXAMEN DES MOTIFS D'UNE DÉTENTION en application des paragraphes 83(2) et (3) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La personne détenue sera libérée après s'être engagée à se conformer à certaines conditions.

ont comparu:

J. Daniel Roussy et J. C. Luc Cadieux pour le solliciteur général du Canada.

Daniel Latulippe pour le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Dominique Larochelle et Karine Giguère pour Adil Charkaoui.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Des Longchamps, Bourassa, Trudeau et Lafrance, Montréal, pour Adil Charkaoui.

Voici les motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus en français par

Le juge Noël:

INTRODUCTION

[1]La présente traite de la quatrième revue de la détention de M. Charkaoui tel que le paragraphe 83(2) de la LIPR [Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27] le prévoit. Pour les fins de cette décision, le soussigné a traité des trois revues de détention précédentes dans les décisions suivantes:

-     Charkaoui (Re), [2004] 1 R.C.F. 528 (C.F.) (ci-après Charkaoui I);

-     Charkaoui (Re) (2004), 247 F.T.R. 276 (C.F.) (ci-après Charkaoui II);

-     ;Charkaoui (Re), 2004 CF 1031; [2004] A.C.F. no 1236 (QL) (ci-après Charkaoui III);

Pour bien comprendre l'analyse de la notion de danger (qui est à la base de l'étude aux fins de la revue de la détention) il serait important de référer à ces décisions.

Brève récapitulation de la situation et mise à jour de la preuve des parties

[2]Un certificat et une ordonnance de mise en détention furent signés, émis et exécutés à la fin mai 2003 (voir les articles 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] et 81 de la LIPR).

[3]Bien que la LIPR, selon l'alinéa 78c), demande que la procédure concernant le certificat soit traitée de façon «expéditive» et sans formalisme, l'audience concernant la raisonnabilité du certificat (voir le paragraphe 80(1) de la LIPR) n'a toujours pas eu lieu (elle est prévue pour la dernière semaine de février 2005); la raison étant que plusieurs requêtes d'ordre constitutionnel et autres ont été présentées et que certaines ententes entre les parties eurent lieu (i.e., procéder à traiter de l'aspect constitutionnel en premier lieu et par la suite du certificat lui-même, suspension des procédures, changement d'avocates, etc.).

[4]Étant donné cette situation, il y a eu, en date de ce jour, quatre audiences pour revue de la détention (la dernière étant le sujet de la présente), en plus d'autres audiences convoquées pour déterminer un ensemble de requêtes découlant de l'application du dossier.

[5]Tant et aussi longtemps que le test constitutionnel des aspects fondamentaux de la section 9 de la LIPR n'aura pas été examiné par la plus haute cour du pays, il y aura des contestations qui amèneront des délais et en conséquence, plusieurs revues de la détention. Il sera donc difficile d'atteindre l'objectif législatif de procéder «de façon expéditive» tant que le débat constitutionnel n'aura pas été finalisé.

[6]Pour les fins de la présente revue de la détention, les parties se réfèrent à la preuve déposée lors des trois revues antérieures et à celle présentée lors de la présente audition.

[7]Il est important de noter que les ministres ont présenté de la preuve additionnelle lors d'une audition en date du 5 janvier 2005 qui a eu lieu en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocates (il y a eu objection à la tenue de l'audition par les avocates de M. Charkaoui). Cette preuve additionnelle a résulté en un sommaire de renseignements supplémentaires qui fut communiqué aux avocates de M. Charkaoui le 6 janvier 2005, le tout conformément aux alinéas 78e) et h) de la LIPR. En plus, un résumé d'entrevues les 31 janvier et 2 février 2002 par M. Charkaoui avec des représentants du Service canadien de renseignements de sécurité (le SCRS), ainsi qu'un résumé d'une autre avec des représentants du Federal Bureau of Investigation (le FBI) en date du 30 janvier 2001, furent communiqués aux avocates de M. Charkaoui et font partie de la preuve des ministres. Les avocates de M. Charkaoui se sont objectées à cette preuve additionnelle dans une requête entendue le 18 janvier 2005, mais le soussigné a rejeté leur demande d'exclusion (voir Charkaoui (Re), 2005 CF 149).

[8]Pour fins d'information, lors de l'audience du 5 janvier 2005 à l'exclusion de M. Charkaoui et de ses avocates, le soussigné a interrogé deux témoins pendant plusieurs heures dans le but de vérifier la fiabilité des faits relatés, tout en prenant en considération la source (ou les sources) de ceux-ci, du genre de source(s) et de l'analyse de la documentation. Ce travail a permis au soussigné d'identifier ce qui pouvait être communiqué à M. Charkaoui dans le but de lui permettre d'être suffisamment informé des faits et des allégations, tout en s'assurant de la confidentialité de ce qui est couvert sous la rubrique de sécurité nationale, y incluant la sécurité d'autrui (voir les alinéas 78b) et h) de la LIPR).

[9]En résumé, le nouveau sommaire révèle ce qui suit:

- l'enquête sur M. Charkaoui est continue;

- les autorités marocaines ont identifié M. Charkaoui comme étant membre du Groupe islamique combattant marocain (le GICM);

- le GICM est un groupe lié à Al-Qaida et il aurait signé les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et du 11 mars 2004 à Madrid;

- lors d'un voyage en Afghanistan au début de 1998, M. Charkaoui aurait suivi un stage militaire et une formation théologique à l'institut de charia à Khalden;

- l'émir du GICM, Noureddine Nafia, détenu au Maroc, révèle que M. Charkaoui aurait été endoctriné à Montréal par un imam libyen;

- des fonds auraient été collectés pour implanter des cellules dans différents pays soient le Canada, le Pakistan, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni;

- M. Charkaoui a maintenu contact et aurait transmis une somme de 2 000 $ (CAN) au GICM et il aurait remis un ordinateur portatif à un membre du GICM;

[10]Lors de l'audition publique, les ministres n'ont pas présenté de témoins ou déposé de la preuve documentaire.

[11]Par ailleurs, M. Charkaoui déposa des déclarations assermentées qui, essentiellement, exprimaient le désir des signataires que M. Charkaoui soit libéré et incluaient l'offre d'un montant d'argent à titre de contribution à une caution. La preuve de M. Charkaoui inclut environ une trentaine de déclarations assermentées dont le contenu varie selon les signataires. La famille de M. Charkaoui, des professeurs de celui-ci, des compagnons de classe, des amis et des personnes qui appuient sa cause en sont des exemples. Certains signataires se proposaient comme superviseur si la Cour optait pour une libération sous conditions. En plus, il déposa en preuve des articles de journaux concernant les présentes procédures. Ce bref résumé ne reflète pas l'ensemble de la preuve. Pour avoir une connaissance complète, il est important de se référer aux décisions Charkaoui I, Charkaoui II et Charkaoui III.

[12]De plus et pour la première fois, M. Charkaoui témoigna de façon succincte par l'entremise de questions de ses avocates et en réponse aux questions découlant du contre-interrogatoire des avocats des ministres. Le témoignage de M. Charkaoui résulte en très grande partie de réponses aux questions posées par la Cour.

[13]M. Charkaoui informa la Cour que les nombreux juristes qu'il avait consultés lui avaient recommandé de ne pas témoigner dans le contexte d'un tribunal qui utilise des procès secrets, car son témoignage allait permettre à la partie adverse de prétendre qu'il était peu crédible ou encore, menteur. C'est pour cette raison qu'il a décidé de ne pas témoigner lors des trois premières revues de détention précédentes, et qu'il a plutôt demandé à d'autres personnes (ses professeurs, ses amies, sa famille, etc.) de le faire pour lui. Récemment, après la décision de la Cour d'appel fédérale (voir Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299 (ci-après Charkaoui IV)) à l'égard de la constitutionnalité des certificats de sécurité, il décida de témoigner pour démontrer sa bonne foi.

[14]Pour les fins de la présente revue de détention (voir les paragraphes 83(2) et (3) de la LIPR), le soussigné résume le témoignage de M. Charkaoui de la façon suivante:

[15]Ses voyages:

- En 1996, il est allé dans la banlieue de New York pour une compétition d'arts martiaux avec son équipe de karaté de Montréal-Nord;

- En 1996, il est allé au Maroc pour visiter sa fiancée, qu'il connaît depuis 1989, ainsi que des amis d'enfance, des amis de son quartier, et de la parenté;

- En 1997, il n'a pas voyagé puisqu'il a pris des cours supplémentaires pour pouvoir finir son baccalauréat à l'Université de Montréal;

- De février à juillet 1998, il est allé au Pakistan où, entre autres, il a assisté à une réunion annuelle d'un groupe musulman, «Adawaa Wa Tabligh», qui prêchait souvent dans la région de Montréal. Il a voyagé avec quelqu'un d'Alberta, dont il ne se souvient pas du nom et qu'il n'a jamais revu depuis son retour au Canada;

- Quelques semaines après son retour du Pakistan, M. Charkaoui est allé au Maroc pour se marier (entre août et septembre, pour environ un mois);

- Au printemps 1999, il est allé en Turquie pour une compétition d'arts martiaux et pour visiter la région;

- Plus tard cette année-là, il est allé pendant deux ou trois jours aux États-Unis. Il est resté chez le mari de sa tante qui habitait à Astoria, près de New York;

- En 1999, il est retourné au Maroc. Son épouse restait toujours là puisqu'elle attendait de recevoir sa résidence permanente canadienne. Il est resté quelques mois au Maroc, puis ensuite il est parti pour l'Europe afin d'acheter des tissus et vêtements à revendre au Maroc afin de financer son voyage de retour au Canada. Tout d'abord, il est allé en Turquie, et ensuite en Allemagne par avion. Par la suite, il a fait le tour de la France et de l'Espagne en autocar et train, avant de revenir au Maroc au début janvier 2000. Il est retourné au Canada avec sa femme à la fin de février 2000;

- Son dernier voyage fut en 2000-2001. En décembre 2000, il est retourné au Maroc avec son épouse, qui était enceinte à ce moment-là (elle a fait une fausse-couche par la suite), pendant quelques mois pour visiter la famille de celle-ci. C'est à cette époque que M. Charkaoui a commencé à avoir des problèmes avec les services de sécurité à l'aéroport. Avant de quitter le Canada, il s'est fait arrêter par un caporal de la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) qui lui a dit que son nom figurait sur une liste de présumés terroristes. Arrivé au Maroc, il a eu d'autres problèmes. Aussi, il dit qu'une voiture de la DST (le service de sécurité marocain) était toujours stationnée devant la maison de ses beaux-parents pendant son séjour. Lors de son retour, il a été détenu une nuit à New York par le FBI (où son avion avait fait escale pour une heure) et on lui a demandé les noms de toutes les personnes qu'il connaissait dans les mosquées et cafés de Montréal (M. Charkaoui a refusé d'acquiescer à leur demande). Les agents du FBI lui ont aussi dit que "Ottawa" voulait le contacter;

- Finalement, M. Charkaoui mentionne n'être jamais allé en Afghanistan;

[16]Ses contacts:

- M. Charkaoui ne connaît pas quelqu'un du nom d'«Abdeslam le canadien»;

- Il connaît Samir Ezzine (ci-après, M. Ezzine); il le voyait souvent dans la communauté musulmane montréalaise et aux mosquées, mais ne le connaissait pas très bien avant que celui-ci finance l'achat de sa pizzeria en 2001 (M. Ezzine lui a fourni environ 9 000 $ d'équipement sur crédit et a travaillé avec lui par la suite pour environ un mois et demi, jusqu'après le 11 septembre 2001). M. Charkaoui sait que M. Ezzine est allé en Bosnie il y a quelques années avec un groupe humanitaire (avec M. Karim Saïd Atmani (ci-après, M. Atmani) et M. Abdallah Ouzghar (ci-après, M. Ouzghar), entre autres), mais n'en sait pas plus;

- M. Charkaoui connaît des Marocains et des Algériens qui sont des représentants en informatique à Ottawa. Il est déjà allé à Ottawa une ou deux fois, en 2001 et 2002, et est demeuré chez ces gens lorsqu'il a passé des entrevues dans la région;

- M. Charkaoui connaît Raouf Hannachi (ci-après, M. Hannachi) puisqu'il faisait l'appel de la prière à la mosquée Assuna à Montréal. Cependant, il dit ne le connaître que superficiellement. Il sait que M. Hannachi avait déjà été torturé en Tunisie, son pays d'origine, et il sait que M. Hannachi est actuellement incarcéré par les autorités tunisiennes, mais il ignore si M. Hannachi a été trouvé coupable d'activités terroristes;

- M. Charkaoui a déjà entendu parler d'un homme arabe de Montréal qui est allé en Bosnie avec un groupe humanitaire (avec M. Ezzine et M. Ouzghar), mais il ne l'a jamais rencontré. Cet homme a pris la citoyenneté bosniaque et y est resté pour combattre. Il sait qu'après le 11 septembre 2001, cet homme fut renvoyé de Bosnie vers la France où il est actuellement détenu comme terroriste. Il croit que cet homme s'appelle «Karim» et est d'accord qu'il pourrait s'agir de Karim Saïd Atmani, le nom reconnu par la SCRS;

- Tout ce que M. Charkaoui a dit à propos de M. Samir Ait Mohammed est qu'il ne fréquentait pas les mosquées montréalaises;

- M. Charkaoui ne connaît pas Noureddine Nafia (ci-après, M. Nafia), et dit qu'il a vu ce nom pour la première fois en consultant la preuve documentaire que le SCRS détenait contre lui;

- M. Charkaoui connaît M. Ouzghar et sait qu'il est allé en Bosnie avec M. Atmani et M. Ezzine. Il a aussi lu dans les journaux que la France demandait son extradition du Canada parce qu'elle l'accusait de trafic de faux papiers, mais que cette demande fut rejetée par un juge de la Cour supérieure d'Ontario;

- Abousfiane Abdelrazik (ci-après, M. Abdelrazik) est une connaissance de M. Charkaoui. Il le voyait partout à Montréal, puisque c'est un homme affilié avec les mosquées montréalaises, mais ne le connaissait pas très bien avant 2001. M. Charkaoui sait que M. Abdelrazik connaissait Ahmed Ressam (ci-après, M. Ressam), et ils ont déjà discuté de l'affaire Ressam ensemble;

- M. Charkaoui ne connaît pas M. Ressam personnellement; pourtant, il connaît des gens qui le connaissent, et admet qu'il est possible que M. Ressam l'ait déjà vu à Montréal, sans qu'ils se rencontrent (i.e. dans un café). M. Ressam ne fréquentait pas les mosquées montréalaises. Parmi la communauté musulmane à Montréal, plusieurs personnes croient que M. Ressam fût recruté par les services secrets pour mettre le Canada dans l'embarras et que M. Ressam n'a jamais fait partie du réseau Al-Qaida;

- Hicham Tahir (ci-après, M. Tahir) a travaillé à la pizzeria de M. Charkaoui. Ils se sont rencontrés en 1995 ou 1996 lors de l'arrivée de M. Charkaoui à Montréal, puisqu'ils fréquentaient souvent la même mosquée et jouaient au soccer ensemble;

- M. Charkaoui n'a jamais rencontré Abu Zubaida (ci-après, M. Zubaida), jamais utilisé ses services ni son argent, ses vêtements ou quoi que ce soit. Il ne connaît personne qui le connaisse personnellement. Il n'a entendu parler de M. Zubaida qu'après les attentats du 11 septembre 2001 et ce, dans les journaux. Il croit que M. Zubaida est en fait décédé sans jamais avoir été capturé par les Américains, mais que les autorités américaines s'en servent pour porter des accusations contre d'autres;

- M. Charkaoui insiste qu'il n'y a pas d'imam libyen à Montréal, chose alléguée par M. Nafia;

[17]Sa vie personnelle:

- M. Charkaoui a terminé ses études de baccalauréat à l'Université de Montréal au printemps 1997. En septembre 1997, il a commencé sa maîtrise à la même faculté. Pendant le premier semestre de sa maîtrise (avant qu'il parte pour le Pakistan), il détenait deux emplois, s'entraînait aux arts martiaux et donnait des cours de karaté;

- En 2001, puisqu'il ne trouvait pas d'emploi dans son domaine (enseignement), il a acheté une pizzeria avec l'aide de son père. Il l'a vendue en mars 2003 puisqu'il était endetté et avait trouvé quelqu'un qui était prêt à l'acheter ainsi que les dettes à sa charge. Il trouvait trop difficile de travailler à la pizzeria et de faire sa maîtrise en même temps. Aussi, son professeur lui avait offert un emploi à temps partiel comme chercheur;

- M. Charkaoui priait à plusieurs mosquées à Montréal, non pas à une seule;

- M. Charkaoui dit n'avoir jamais commis de crime. Cependant, en mars 1999, il a plaidé coupable à une tentative de vol pour laquelle il a reçu un absolution inconditionnelle. Il se dit innocent, qu'il n'a jamais tenté de voler quelque chose, et qu'il ne pouvait se défendre puisque ça coûtait trop cher;

- En 1999, lors de son voyage au Maroc, il a vendu un ordinateur portatif, qu'il avait amené avec lui du Canada, à un voisin qui était représentant d'informatique, puisque c'était bon marché pour le voisin. Il ne l'avait pas amené avec lui lors de ses voyages en Europe;

[18]De plus, M. Charkaoui a raconté à la Cour l'histoire de sa rencontre au printemps 2001 avec des agents du SCRS, lors de laquelle les agents lui ont dit qu'ils faisaient une enquête de sécurité sur lui dans le cadre de sa demande de citoyenneté. Après cette rencontre, il a décidé, par «pure curiosité», d'en savoir plus sur les gens dont les noms avaient été mentionnés par le SCRS ainsi que par le FBI (lors de la rencontre plus tôt cette année-là).

[19]Finalement, M. Charkaoui a amplement opiné sur le terrorisme. Il trouve déplorable qu'un prototype de «terroriste» se soit développé au cours des années, soit celui d'un jeune homme arabe et musulman qui voyage beaucoup, qui étudie les langues et les arts martiaux. Il dit connaître beaucoup de gens innocents qui ont été soupçonnés d'être des terroristes, souvent en raison de ce prototype. Il a aussi raconté à la Cour comment il concevait difficilement que quelqu'un «qui se trouve dans un pays moyenâgeux dans une grotte» (c'est-à-dire, Oussama ben Laden en Afghanistan) ait pu perpétrer un attentat de l'ampleur du 11 septembre 2001 aux États-Unis. M. Charkaoui a fait remarquer qu'en décembre 2000, il fût fouillé par le FBI à l'aéroport JFK lorsqu'il était accompagné de sa femme enceinte mais que 19 jeunes hommes arabes ont pu monter à bord d'avions le 11 septembre 2001 sans problème. Il trouve curieux le fait que les 19 passeports de ces hommes aient été retrouvés mais que les boîtes noires des quatre avions sont toujours manquantes. D'après ses lectures et ses études sur l'Internet et dans les journaux, M. Charkaoui n'est pas convaincu que ces attentats aient été commis par des musulmans; il dit que c'est aussi probable qu'ils furent perpétrés par les néo-conservateurs et autorités religieuses des États-Unis.

[20]M. Charkaoui fit entendre un polygraphiste, M. John Galianos (ci-après M. Galianos). Cependant, M. Galianos n'a jamais été reconnu comme expert pour les fins de son témoignage. Succinctement, M. Galianos a élaboré avec les avocates de M. Charkaoui cinq questions qui, pour eux, cernaient les préoccupations du dossier. Par la suite, M. Charkaoui a subi l'examen du polygraphe. Les questions et réponses sont les suivantes:

a)     Concernant les allégations du certificat (sic) de sécurité déposé contre vous, avez-vous l'intention de dire la vérité en répondant à chaque question de ce test?

Réponse: «OUI»

b) Avez-vous déjà participé à un camp d'entraînement terroriste?

Réponse: «NON»

c) Avez-vous déjà été membre d'un réseau terroriste?

Réponse: «NON»

d) Êtes-vous membre d'un réseau terroriste?

Réponse: «NON»

e) Avez-vous déjà planifié de commettre un crime avec un ou des membres d'Al-Quaïda?

Réponse: «NON»

Deux polygraphistes (MM. Donald Bourque et Jacques Gagné) ont révisé et analysé la procédure, la technique suivie et les tracés polygraphiques informatisés. Ils ont conclu que M. Charkaoui disait la vérité. Ceux-ci n'étaient pas présents lors de l'examen polygraphique et n'ont pas témoigné.

[21]Sommairement et à titre d'information, M. Galianos témoigna de la façon suivante: Il est devenu membre de la Sûreté du Québec en 1968. En 1976, il a été choisi pour suivre un cours pour devenir polygraphiste (auparavant, il n'y avait pas de polygraphiste dans la Sûreté du Québec), un poste qu'il a comblé jusqu'à sa retraite en 1993. Par la suite, il a fondé sa propre compagnie, Galianos Polygraphe Expert Inc., qui fait des examens de polygraphe dans le domaine privé. Dans les années `80, il a aidé à former la première école de polygraphie à Ottawa, et a assisté à plusieurs reprises avec la formation des agents de la GRC, la Sûreté du Québec, et quelques collèges de police au Canada, entre autres.

[22]Selon M. Galianos, le polygraphe permet d'avoir une idée plus précise de savoir si quelqu'un est menteur ou non, puisque quand quelqu'un ment, il y a des réactions psycho-physiologiques que le polygraphe peut enregistrer. M. Galianos dit que la marge d'erreur est entre 5 et 10 pour cent.

[23]M. Galianos a été approché par les avocates de M. Charkaoui qui lui ont donné un document d'une page concernant le certificat de sécurité et lui ont raconté un peu l'historique des faits. Il a aussi fait un peu de recherche sur l'Internet. Tel qu'à l'habitude, il a formulé les cinq questions pour les fins de l'examen avec les avocates de M. Charkaoui.

[24]Par la suite, en date du 17 novembre 2003, il s'est rendu à Rivière-des-Prairies pour rencontrer M. Charkaoui et lui faire passer l'examen du polygraphe. Il a demandé la version des faits de M. Charkaoui et lui a posé plusieurs questions concernant le terrorisme et les allégations contre lui. Il lui a montré les cinq questions pour qu'il puisse se préparer. En tout, M. Galianos dit avoir passé trois heures avec M. Charkaoui, la plupart de ce temps étant dédié à la discussion informelle avant l'examen, ou le «pré-test», étape importante pour s'assurer du meilleur résultat possible à l'examen de polygraphe.

[25]Ceci résume la preuve des parties telle que présentée et c'est à la lumière des obligations imposées par le paragraphe 83(3) de la LIPR que le soussigné l'évalua.

Les prétentions des parties

[26]Les ministres plaident que la norme applicable à l'évaluation de la dangerosité continue se fait en appliquant celle du motif raisonnable (voir Charkaoui IV au paragraphe 103 et Charkaoui I au paragraphe 39). Selon leurs prétentions, la détermination du danger continu faite à trois reprises (voir Charkaoui I, Charkaoui II et Charkaoui III) demeure, et ce, même à la lumière de la nouvelle preuve présentée par M. Charkaoui.

[27]Les avocats des ministres prétendent que lors de son témoignage, M. Charkaoui s'est parjuré à la lumière de la preuve entendue lors des auditions sans la présence de ce dernier et de ses avocates. En audience publique, les avocats ne pouvaient pas être plus précis pour des raisons de sécurité nationale. Aussi, le témoignage du polygraphiste Galianos ne peut être retenu pour plusieurs raisons: les questions choisies ne reflètent pas les préoccupations de la Cour, elles ne sont pas appropriées pour les fins d'un test de polygraphe, elles contiennent des dédoublements, la question contrôle n'avait aucune pertinence. Par ailleurs, M. Galianos n'avait pas la connaissance pertinente pour comprendre le contenu d'un tel test (il ne pouvait pas expliquer pourquoi les changements au niveau des glandes sudoripares (les sueurs) sont enregistrés en ohms et non pas en ph, ni pourquoi c'était important de les enregistrer; il ne savait pas quand il mesurait la respiration, si c'était le rythme ou le volume d'air qui était important; il ne connaissait pas la pression sanguine d'une personne normale, ni si la mesure de la pression se faisait en millimètres ou d'une autre mesure, et n'a pas évalué la pression sanguine de M. Charkaoui avant de lui faire passer le test). En dernier lieu, les avocats des ministres ont déposé de la jurisprudence (Gauthier c. Assurances générales Desjardins inc., [2004] R.R.A. 517 (C.S. Qué.), et Services financiers DaimlerChrysler c. Hébert, [2003] R.R.A. 1482 (C.Q. (civ.))) dans laquelle la crédibilité de M. Galianos fut remise en question. Conséquemment, les ministres soumettent que le soussigné ne devrait pas accorder de crédibilité à M. Galianos. De plus, pour les ministres, les préoccupations identifiées dans Charkaoui I et reprises dans Charkaoui II et Charkaoui III demeurent et la nouvelle preuve ne les atténuent pas. En dernier lieu, les ministres ajoutent qu'une libération sous conditions n'est pas envisageable étant donné le danger associé à M. Charkaoui et qu'aucun plan de supervision ou de conditions n'a été soumis pouvant permettre à la Cour de trancher sur une remise en liberté.

[28]Les avocates de M. Charkaoui demande à la Cour d'analyser l'ensemble de la preuve concernant les quatre révisions de la détention et ajoutent qu'avec les témoignages de M. Charkaoui et du polygraphiste M. Galianos, la preuve est concluante quant à l'absence de dangerosité associée à leur client. De plus, les engagements monétaires (à titre de participation pour la caution) et de supervision des signataires sont à prendre en considération pour établir des conditions de libération satisfaisante. On ajoute que la détention empêche M. Charkaoui de s'occuper de ses deux jeunes enfants et qu'il est dans l'impossibilité de gagner un revenu pour assumer ses obligations de père de famille. On précise qu'il s'est engagé sous serment à respecter «toutes conditions de libération qu'il plaira à la Cour de lui ordonner.» En dernier lieu, il plaide que la continuation de la détention sans libération sous caution contrevient aux articles 7, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (ci-après la Charte).

Les questions en litige

[29]Il y a deux questions à trancher:

1) Tenant compte de la preuve présentée par les ministres dans le cadre des auditions tenues lors des quatre revues de la détention, de la détermination du tribunal à trois reprises que M. Charkaoui était toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi, et de la preuve de ce dernier présentée depuis la première révision y incluant la récente preuve, est-ce que M. Charkaoui demeure toujours un danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou se soustraira-t-il vraisemblablement à la procédure ou au renvoi?

2) Dans l'hypothèse où le danger est neutralisé et que M. Charkaoui ne se soustraira vraisemblablement pas à la procédure ou au renvoi à la lumière de la plus récente preuve, y a-t-il lieu d'envisager une libération avec conditions tel que le prévoit l'article 85 et la section 6 [art. 54 à 61] de la LIPR?

LE DROIT APPLICABLE

La norme de preuve

[30]Lors d'une revue de détention, la Cour évalue la preuve en tenant compte de la norme de preuve de motifs raisonnables. Au moment de la décision ministérielle d'émettre un mandat pour l'arrestation et la mise en détention de la personne visée par le certificat, ladite décision des ministres doit être prise en autant que ceux-ci ont des motifs raisonnables de croire que la personne visée constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi (voir paragraphe 82(1) de la LIPR). Il est logique de penser que lors de révisions subséquentes par un juge désigné, la même norme sera utilisée. C'est ce que le soussigné constatait dans Charkaoui I au paragraphe 39 et que la Cour d'appel sous la plume du juge Létourneau, J.C.A. confirmait dans Charkaoui IV au paragraphe 103:

La norme des «motifs raisonnables» requiert plus que des soupçons. Elle exige aussi plus qu'une simple croyance subjective de la part de celui qui les invoque. L'existence des motifs raisonnables doit être établie objectivement, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait cru à l'existence de motifs raisonnables, dans le cas d'une arrestation, de procéder à l'arrestation: R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, à la page 250.

La norme de preuve de motifs raisonnables est celle applicable pour la revue de la décision ministérielle d'émettre un mandat d'arrestation et de procéder à l'arrestation de la personne intéressée.

[31]Toutefois, lors de revues de détention à tous les six mois après la première révision (prévue au paragraphe 83(2) de la LIPR), le juge désigné doit analyser l'ancienne et la nouvelle preuve car il est en meilleure position pour le faire que les ministres, ayant reçu de la nouvelle preuve des parties. Il le fait en ayant recours à la même norme de «motifs raisonnables» mais celle-ci se rapproche de la prépondérance de la preuve. Dans l'arrêt Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.) (ci-après Charkaoui V), ce sujet fut traité de façon exhaustive aux paragraphes 125, 126 et 128:

Avec égards, j'estime que la situation dans laquelle le juge désigné se trouve lorsqu'il détermine le caractère raisonnable du certificat ou la nécessité de maintenir la détention peut s'avérer plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les ministres lorsqu'ils prennent les décisions initiales. Le juge désigné a l'avantage d'avoir examiné les renseignements que les ministres possédaient lors de leurs décisions tout en ayant la possibilité d'obtenir des renseignements supplémentaires (alinéas 78d) et 78e) de la LIPR), d'entendre et de voir les témoins produits par les ministres et par la personne concernée, d'avoir de la documentation additionnelle qui peut même être défavorable à la thèse des ministres (arrêt Ruby, précité) et d'entendre les arguments de chacune des parties lors de l'audience. À la demande de l'une des parties, le juge désigné peut même admettre en preuve tout élément normalement inadmissible qu'il juge utile et prendre en considération ces éléments dans sa décision (alinéa 78j) de la LIPR). Bref, selon la preuve présentée, le juge désigné peut se trouver dans une meilleure position que les ministres lorsqu'ils ont pris leurs décisions.

Le législateur a choisi des normes autres que la prépondérance de la preuve parce que c'est ce que requiert la protection de la sécurité nationale. La façon dont doivent être abordées les questions liées à la sécurité nationale diffère de l'approche que l'on adopte face aux autres litiges de tous les jours. En l'espèce, les enjeux sont la sécurité de l'État et celle de ses citoyens, ainsi que la protection de notre système démocratique. L'État doit donc utiliser des moyens de protection et d'enquête qui sont hors de l'ordinaire, comme le démontre les régimes institués notamment en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Les situations et les entités qui menacent la sécurité nationale sont souvent difficilement détectables et ont pour objectif de frapper là où la société est la plus vulnérable. Les attentats à la sécurité nationale peuvent avoir des conséquences tragiques. Les personnes qui constituent une menace à la sécurité nationale ont souvent une «mission» pour laquelle elles sont prêtes à se sacrifier, elles sont difficilement identifiables et les réseaux sans frontière dont elles font partie sont très difficiles à percer. Elles frappent à des moments où on s'en attend le moins. Dans le domaine de la sécurité nationale, on doit tout faire pour tenter d'éviter la catastrophe. L'accent doit être mis sur la prévention. En effet, ce qui est en jeu, c'est notamment la sécurité de l'État et de sa population. Une fois certains gestes posés, il peut être trop tard. L'importance de l'intérêt en jeu, soit la sécurité nationale, me semble justifier le recours à des normes autres que la prépondérance de la preuve. Cela dit, comme nous le verrons, les normes du «caractère raisonnable» et des «motifs raisonnables de croire» comportent des exigences qui se rapprochent de la norme de la prépondérance de la preuve.

[. . .]

Ces normes n'exigent pas que le juge désigné recherche la preuve de l'existence des faits mais plutôt qu'il analyse l'ensemble de la preuve en se demandant si celle-ci permet d'avoir une croyance raisonnable qu'il existe des motifs justifiant l'interdiction de territoire, le mandat d'arrestation et le maintien de la détention. Bien que les normes ne soient pas la prépondérance de la preuve, il doit tout de même exister à la lumière d'éléments fiables et fondés, une possibilité sérieuse que ces faits existent. Dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.) au paragraphe 60, les normes prévues dans la LIPR sont comparés avec la prépondérance de la preuve:

Quant à savoir s'il existait des «motifs raisonnables» étayant la croyance de l'agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l'expression «motifs raisonnables» (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s'agit d'une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins «la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuve digne de foi». Voir Le Procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.).

[32]Tel que mentionné précédemment, la logique suivie dans cette décision fut confirmée par la Cour d'appel (voir la citation contenue au paragraphe 30 de la présente).

[33]Donc, dès le début de la révision de la détention et par la suite, la norme de preuve est celle de motifs raisonnables de croire. C'est à la lumière de cette norme que le soussigné analysera la preuve dans le but de faire les déterminations appropriées.

Les obligations légales découlant d'une revue de la détention (paragraphe 83(3) de la LIPR)

[34]La première révision de détention est assujettie au paragraphe 83(1) de la LIPR. Les paragraphes 83(2) et 83(3) de la LIPR établissent les obligations de base applicables aux comparutions supplémentaires du détenu. Pour les fins de l'analyse, ils sont reproduits ici:

83. [. . .]

(2) Tant qu'il n'est pas statué sur le certificat, l'intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.

(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

J'y ajoute à titre de complément le paragraphe suivant, 84(1): «[l]e Ministre peut, sur demande, mettre le résident permanent ou l'étranger en liberté s'il veut quitter le Canada».

[35]L'obligation clé du juge désigné, en vertu du paragraphe 83(3), est d'analyser la preuve et de déterminer si la personne intéressée constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou celle d'autrui ou encore si celle-ci évitera vraisemblablement la procédure ou le renvoi. Ceci nécessite une preuve sur la base de motifs raisonnables. (À titre d'argument, il se pourrait que la forme de détention puisse changer et ce, malgré la présence de danger mais le sujet n'a pas à être abordé dans le présent dossier. Ce sera probablement le sujet d'une autre décision.)

[36]Les Cours ont déjà eu à traiter et à interpréter l'expression «danger à la sécurité du Canada» dans le contexte des dispositions de l'expulsion sous le régime de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l'ancienne Loi) et l'application de l'article 53 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). En effet, la Cour suprême dans l'arrêt, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 90, concluait:

[. . .] qu'une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada» si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d'un pays est souvent tributaire de la sécurité d'autres pays. La menace doit être «grave», en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

Il ne semble pas y avoir quelque raison que ce soit voulant que cette définition ne s'applique pas au paragraphe 83(3) de la LIPR qui se réfère à un vocabulaire semblable, c'est-à-dire «danger pour la sécurité nationale».

[37]L'autre expression du paragraphe 83(3), «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui», ne semble pas avoir été traitée spécifiquement. L'arrêt Suresh, au paragraphe 84, fait une distinction entre «danger pour la sécurité du Canada» et «danger pour le public» que l'on retrouve à l'article 53 de l'ancienne Loi. Ce dernier concept s'apparente à l'expression «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui» que l'on retrouve au paragraphe 83(3) de la LIPR. La Cour suprême dans Suresh, limite l'expression «danger pour le public» aux personnes ayant été déclarées coupables d'un crime grave.

[38]Ayant noté ceci, il apparaît que la notion «danger pour autrui» pour les fins de révision de la détention, se concrétise lorsque la preuve révèle des faits appuyant la sérieuse possibilité de participation directe ou indirecte à la conceptualisation et/ou de planification d'activités terroristes. L'un des objectifs de la section 9 et de l'alinéa 3h) de la LIPR est «de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité». Dans le but d'assumer ces obligations, il est important de prévenir les situations qui peuvent sérieusement avoir lieu plutôt que de vivre les tristes conséquences de l'actualisation d'un tel événement. Le danger à la sécurité d'autrui inclut la possibilité de prévenir avant l'actualisation de l'acte, ce qui en soi, élargit le concept de «danger pour le public» à plus qu'aux personnes qui ont été trouvées coupables d'un crime grave. Ceci me semble être le sens à donner à l'expression «danger pour [. . .] la sécurité d'autrui» inclut au paragraphe 83(3) de la LIPR.

[39]Le point commun entre ces deux expressions est à savoir si le danger à la sécurité nationale ou celle d'autrui existe toujours. Le législateur demande au juge désigné d'analyser la preuve en s'interrogeant si le danger est toujours existant. Ceci veut donc dire qu'il peut exister à un certain moment et non à un autre moment. On exige donc que le juge désigné évalue la preuve avec cette préoccupation à l'esprit. Il y a donc possibilité qu'il y ait imminence d'un danger mais que par la suite, celui-ci soit neutralisé. Il me semble que c'est ce que le législateur entend du rôle du juge désigné.

[40]L'autre expression du paragraphe 83(3) de la LIPR à prendre en considération lors de l'analyse de la preuve est si la personne visée «se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi». L'utilisation du vocabulaire «vraisemblablement» dans la version française et de «is unlikely to appear» dans la version anglaise démontre que le législateur voulait qu'un certain degré de probabilité ou encore d'impro-babilité soit pris en considération dans le cadre de l'évaluation de la preuve.

La possibilité (ou non) d'envisager l'imposition de conditions pour fin de prévention

[41]L'article 85 de la LIPR se lit ainsi:

85. Les articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6.

[42]La section 6 de la LIPR sous le titre «Détention et mise en liberté» prévoit au paragraphe 58(3) la possibilité d'une libération avec conditions estimées nécessaires y incluant une garantie d'exécution. Dans Charkaoui I, au paragraphe 66, le même sujet fut traité:

Une libération avec la remise d'une garantie d'exécution est prévue au paragraphe 58(3) de la section 6 de la Loi (Détention et liberté). Cette section s'applique par le biais de l'article 85 de la Loi qui indique que les articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6. Donc, puisque les articles 82 à 84 ne couvrent pas les conditions pouvant se rattacher à une libération avant l'audition sur le certificat, a contrario, n'ayant pas d'incompatibilité sur ce point spécifique, le paragraphe 58(3) peut servir de référence de base sur la remise en liberté et ses conditions.

La situation législative n'a pas changé depuis la rédaction de ce texte ou encore aucun autre argument a été présenté pouvant permettre une réévaluation de la démarche proposée.

[43]Pour envisager une libération avec conditions, le juge désigné doit, sur la base de motifs raisonnables, être satisfait que la personne intéressée n'est pas un danger pour la sécurité nationale ou celle d'autrui. S'il y a danger, il ne peut pas envisager la libération, même avec des conditions hors de l'ordinaire. Il n'a pas cette discrétion. Dans Charkaoui IV, le juge Létourneau, J.C.A., tout en concluant que la détention prévue aux articles 82 à 84 de la LIPR était justifiée, précisait aux paragraphes 120 et 121:

Enfin, l'absence de discrétion du juge désigné lorsqu'il y a danger pour la sécurité nationale ou d'autrui peut se justifier par la nature des activités envisagées à l'article 34 de la LIPR, dont notamment les activités terroristes.

Quoiqu'il en soit, la détention d'un résident permanent en attente de la détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité émis contre lui n'est pas une mesure injustifiée lorsqu'il y a preuve d'un danger pour la sécurité nationale ou qu'il se soustraira aux procédures entreprises contre lui.

[44]C'est avec cette toile de fond à coloration juridique que j'entends analyser et faire les déterminations appropriées.

L'analyse

[45]Pour bien couvrir l'ensemble de la problématique découlant de la présente revue de la détention, j'entends répondre aux questions suivantes:

- Depuis le début des procédures jusqu'à la détermination concernant la troisième revue de la détention, y avait-t-il danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou encore, M. Charkaoui se serait-il vraisemblablement soustrait à la procédure ou au renvoi, s'il y a lieu?

- Dans le cadre de la quatrième revue de la détention, y-a-t-il toujours un danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou encore, M. Charkaoui se soustraira-t-il vraisemblablement à la procédure ou au renvoi, s'il y a lieu?

- Si le danger est neutralisé, y-a-t-il lieu d'envisager des conditions préventives? Dans l'affirmative, lesquelles?

Mise en garde

[46]La présente analyse et les déterminations faites en conséquence, le sont à la lumière de la preuve présentée à ce jour. Je n'ai pas l'intention de décider de la crédibilité de M. Charkaoui, ce que je ferai lorsque l'audition concernant la raisonnabilité du certificat aura lieu et que toute la preuve aura été présentée. Pour répondre aux questions mentionnées au paragraphe 45, j'entends dédier mon analyse à la notion de «danger à la sécurité nationale» ou celle «d'autrui» et à la vraisemblance ou l'invraisemblance que M. Charkaoui se soustraira à la procédure ou au renvoi, si tel est le cas. La détermination sur la raisonnabilité du certificat se fera ultérieurement.

Depuis le début des procédures jusqu'à la détermination concernant la troisième revue de la détention, y avait-il danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou encore, M. Charkaoui se serait-il vraisemblablement soustrait à la procédure ou au renvoi, s'il y a lieu?

[47]Lors de la signature par les ministres du mandat pour l'arrestation et la mise en détention de M. Charkaoui, ceux-ci le faisaient non pas dans un but de porter des accusations ou encore éventuellement d'en arriver à une condamnation, mais plutôt de procéder à une arrestation et à une détention préventive d'événements qui pourraient survenir. Cet outil confié par le législateur aux ministres par l'entremise du paragraphe 82(1) de la LIPR a entre autres comme objectif de «garantir leur sécurité», soit celle des Canadiens (voir l'alinéa 3(1)h), «Objet en matière d'immigration» de la LIPR) ainsi que la sécurité nationale. Tel que vu précédemment, cette décision se fait sur une base de motifs raisonnables de croire. Le juge Létourneau, J.C.A. dans Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451 (C.A.F.), au paragraphe 21 qualifiait lui-même la détention comme étant préventive:

La détermination de la dangerosité d'un détenu implique en général une question de fait. Celle de savoir si cette dangerosité est suffisante pour justifier une détention préventive, i.e. une détention en attente d'une décision sur une question principale [. . .]

[48]Une fois cette décision prise, le législateur a prévu l'intervention rapide du judiciaire par l'entremise du juge en chef de la Cour fédérale ou encore du juge qu'il a désigné. L'implication doit se faire dans les 48 heures suivant le début de la détention préventive lorsque le juge désigné entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention (voir le paragraphe 83(1) de la LIPR). Il fait son analyse et la détermination utilisant la norme des motifs raisonnables tel que vu précédemment (voir les paragraphes 29 à 32 de la présente).

[49]Une fois cette première détermination maintenant la détention, le juge désigné doit réévaluer la détention préventive une fois dans les six mois ou sur autorisation, tant qu'il n'aura pas statué sur le certificat. Il le fait en utilisant la norme de motifs raisonnables et en se demandant si le danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui existe toujours ou encore si la personne intéressée se soustraira à la procédure ou au renvoi, s'il y a lieu.

[50]C'est ce que le soussigné a fait à trois reprises depuis le début de la détention préventive. À chaque fois, il a été déterminé qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Charkaoui était toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il tenterait d'éviter la procédure et/ou le renvoi (voir Charkaoui I, paragraphe 65; Charkaoui II, paragraphes 16, 17 et 18; Charkaoui III, paragraphe 38).

[51]Dès Charkaoui I, j'identifiais pour M. Charkaoui trois préoccupations qui découlaient du dossier et qui nécessitaient des explications. Ces préoccupations sont:

- la vie de l'intimé de 1992 à 1995 (au Maroc) et de 1995 à 2000 (au Canada) y incluant les voyages;

- le voyage de l'intimé au Pakistan de février à juillet 1998;

- les contacts de M. Charkaoui avec entre autres, M. Abdelrazik, M. Mohammed, M. Atmani, M. Hannachi, M. Ouzghar.

J'associais ces préoccupations à la notion de danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ou encore à la vraisemblance ou pas que M. Charkaoui tenterait d'éviter la procédure et/ou le renvoi, s'il y a lieu.

[52]Ces préoccupations ne furent pas abordées spécifiquement par M. Charkaoui lors des trois premières revues de la détention. Il s'est limité en grande partie à soumettre de la preuve demandant une libération avec conditions y incluant un montant à titre de caution. Certains témoins (Abdurahman Khadr (ci-après, M. Khadr), M. Ezzine, etc.) ont témoigné mais ces témoignages ne répondaient pas à l'ensemble des préoccupations identifiées. M. Charkaoui, bien qu'invité à plusieurs reprises à témoigner, refusait de le faire. La Cour informa qu'un danger ne s'évaluait pas dans un «vacuum» et invitait les parties à participer pleinement (voir Charkaoui III, paragraphe 41). Dans Charkaoui IV, le juge Létourneau, J.C.A. se permettait le commentaire suivant concernant le témoignage de M. Charkaoui au paragraphe 16: «À ce jour, l'appelant n'a pas daigné le faire»; i.e. n'a pas daigné témoigner.

[53]D'ailleurs, comment un juge désigné peut-il évaluer l'existence d'un danger et la possibilité d'une libération avec conditions si la personne intéressée ne l'informe pas, entre autres, qu'il entend respecter les conditions? Comment un juge désigné peut-il évaluer la confiance qu'il doit avoir à l'égard de la personne intéressée pour envisager une possibilité de libération avec conditions? En sécurité nationale, la simple suggestion de conditions pour fin de libération (y incluant une caution monétaire faramineuse) ne suffit pas. Le juge désigné doit avoir à sa disposition tous les éléments nécessaires pour pouvoir assumer pleinement son rôle en tenant compte des responsabilités exceptionnelles que le législateur lui a confiées.

[54]Tenant compte du moment où les trois premières décisions ont été prises de la preuve à la disposition de la Cour, de la question en litige (l'évaluation du danger, etc.), du fardeau dûment assumé par les ministres, du peu de preuve pertinente présentée par M. Charkaoui pour les fins d'une revue de détention, le soussigné ne pouvait que conclure que M. Charkaoui était toujours un danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou encore qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

Dans le cadre de la quatrième revue de la détention, y-a-t-il toujours un danger à la sécurité nationale ou à celle d'autrui ou encore, M. Charkaoui se soustraira-t-il vraisemblablement à la procédure ou au renvoi, s'il y a lieu?

[55]Comme il a été fait dans le passé (voir les décisions Charkaoui I, Charkaoui II et Charkaoui III), la Cour a révisé la preuve documentaire présentée y incluant les déclarations assermentées. Ces dernières se limitent en grande partie à accorder à M. Charkaoui un appui à sa cause et à contribuer un montant d'argent pour fin de caution. Les signataires de ces déclarations ne proviennent pas seulement de la communauté musulmane de Montréal mais aussi de la province de Québec et de l'extérieur. Ce type d'appui provient de plusieurs milieux, incluant les milieux universitaire, politique, religieux et syndical. Il provient de toute sorte de monde. Bref, une partie de la communauté indique un certain appui à M. Charkaoui.

[56]Les déclarations provenant de la famille Charkaoui en général ainsi que le témoignage du père informent la Cour de leur plein appui humain et monétaire, et proposent un plan de supervision si une libération avec conditions est envisagée. Bien qu'on puisse s'attendre à ce que les membres d'une famille se rallient en de telles circonstances, il demeure que leur persistance, leur dévouement dans la démarche sont édifiants et tout à l'honneur de la famille. On y retrouve potentiellement un sanctuaire de quiétude et possiblement de sécurité.

[57]La déclaration et les témoignages de M. Larbi Ouazzani démontrent de la crédibilité et du sérieux quant à l'option d'une libération avec conditions. Ses réponses reflétaient une confiance et une assurance que la Cour ne peut que prendre en considération. Il est le plus important contributeur monétaire à titre de caution offerte en faveur de M. Charkaoui.

[58]La présence à la Cour de l'épouse de M. Charkaoui, qu'il connaît depuis 1989, et le fait que M. Charkaoui et son épouse soient père et mère de deux jeunes enfants (âgés de quatre ans et de 17 mois) sont des faits en soi que la Cour ne peut que constater.

[59]Pour une meilleure compréhension de ces déclarations assermentées, la Cour réfère le lecteur à l'analyse qui a été faite dans les décisions Charkaoui I, Charkaoui II et Charkaoui III.

[60]En ce qui concerne les témoignages de M. Ezzine, M. Khadr et des autres témoins, le soussigné réserve ses commentaires, si nécessaires, pour les fins de la détermination concernant la raisonnabilité du certificat.

[61]Quant au témoignage de M. Galianos, polygraphiste, celui-ci est résumé aux paragraphes 20 à 23 de la présente.

[62]Cependant, la Cour ne retient pas le témoignage de M. Galianos pour les raisons suivantes:

- les questions choisies ne reflètent pas les préoccupations découlant de l'ensemble de la preuve. À titre de simple exemple, on n'a pas cru bon demander si M. Charkaoui était déjà allé en Afghanistan, sujet d'importance;

- la question contrôle, élément essentiel pour assurer une certaine véracité au test, apparaît non significative dans les circonstances et ne permet pas d'être la norme pour les questions à venir;

- le déroulement du test, y incluant la préparation, partie importante, m'apparaît discutable. La Cour note qu'à titre de référence, le témoin se référait qu'à de simple notes sur un bout de papier pour expliquer ce qui s'était passé;

- l'évaluation de la crédibilité du témoin faite dans les arrêts Gauthier, et Services financiers DaimlerChrysler, n'ajoute pas à la situation;

- le peu de connaissances concernant les aspects médicaux du test (la pression sanguine, les glandes sudoripares, l'effet que les drogues pourraient avoir sur l'examen) ainsi que sur certains des aspects plutôt techniques de l'examen (ohms versus ph, si la pression se mesurait en millimètres ou non, etc.) peut soulever des interrogations;

[63]De toute façon, dans le cadre des présentes procédures, vouloir donner un certain poids à ce genre de témoignage et d'en déduire qu'il corrobore la crédibilité à donner à la position de M. Charkaoui ou encore à son témoignage, est clairement une délégation inappropriée de la tâche du juge de décider lui-même de la crédibilité à accorder à la position d'une partie et à des témoignages. (Voir pour d'autres raisons la position de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, et en particulier les propos du juge McIntyre pour la majorité.)

[64]À ce moment-ci, le témoignage de M. Charkaoui (résumé aux paragraphes 15 à 18 de la présente décision) ne change pas les décisions prises lors des trois revues de détention précédentes. Ayant dit ceci et tel que mentionné précédemment, mon intention n'est pas de décider par la présente de la raisonnabilité du certificat mais seulement de déterminer si M. Charkaoui demeure toujours un danger et s'il se soustraira vraisemblable-ment à la procédure ou au renvoi.

[65]Son témoignage a permis au soussigné de comprendre un peu mieux les préoccupations identifiées précédemment (voir le paragraphe 51 de la présente) et la position de M. Charkaoui en réponse à ces préoccupations. Ce n'est que suite à l'audition sur la raisonnabilité du certificat que la Cour sera en position de prendre position de façon complète et définitive.

[66]À titre de rappel, il s'agit d'une détention préventive d'événements qui pourraient mettre en péril la sécurité nationale ou celle d'autrui ou qui permettrait encore d'assurer la présence de la personne intéressée lors des procédures et/ou au renvoi, si tel est le cas.

[67]Les revues de détention sont des questions de faits propre à chaque situation. Dans notre cas, l'incarcération, le passage du temps, la médiatisation des procédures la présence de la famille, le ralliement de la communauté et le témoignage du principal intéressé, sont des exemples de situations à prendre en considération lorsqu'on a à évaluer si un danger existe toujours ou encore s'il est vraisemblable qu'une personne se soustraira à la procédure et/ou au renvoi, si tel est le cas.

[68]M. Charkaoui est détenu de façon préventive depuis le 21 mai 2003. Vingt et un mois se sont écoulés et le deuxième anniversaire de son arrestation pointe à l'horizon. Pendant cette période, ses contacts furent extrêmement limités avec le monde extérieur et ses allées et venues étaient limitées à l'institution carcérale. S'il y avait imminence d'un danger, il va de soi qu'il est neutralisé en conséquence.

[69]De plus, ses contacts avec certains individus avant son arrestation et qui pouvaient être en soi problématiques à ce moment-là ne devraient plus l'être. Il y a eu interruption de certains contacts pendant environ 21 mois, ce qui devrait neutraliser ce qui devrait l'être.

[70]Les voyages de M. Charkaoui sont terminés depuis son dernier voyage au Maroc se terminant en janvier 2001. Si ceux-ci étaient source de préoccupation, ils ne devraient plus l'être car il n'a pas voyagé depuis plus de quatre ans.

[71]La présence du père et de la mère de M. Charkaoui ainsi que de son épouse et de ses deux enfants sur un même étage dans un immeuble à plusieurs logis est une situation à prendre en considération.

[72]La médiatisation de la procédure et de M. Charkaoui assujettit ce dernier à avoir dans le public un comportement exemplaire au-dessus de tout soupçon.

[73]Le ralliement d'une partie de la communauté à son égard oblige M. Charkaoui à se comporter de telle façon qu'il ne décevra pas.

[74]Si le législateur voulait que le juge désigné évalue s'il y avait toujours un danger, il imposait donc une évaluation de l'évolution du danger. De l'imminence d'un danger, il se peut que celui-ci décline avec le passage du temps.

[75]C'est la détermination que je fais. Le danger à la sécurité nationale et à celle d'autrui s'est atténué avec le passage du temps et l'interaction d'un concours de circonstances mentionné ci-haut. Je dirais même que le danger est neutralisé au moment de la présente évaluation.

[76]Concernant sa présence lors des procédures et/ou du renvoi (si tel est le cas), je conclus qu'il est invraisemblable qu'il se soustraira à la procédure et/ou au renvoi pour les raisons mentionnées ci-haut. J'ajoute que la présence familiale (père, mère, épouse et ses deux enfants) est un élément humain impliquant et attachant que la vie de tous les jours enseigne. Le témoignage de M. Charkaoui fut utile pour le soussigné sur ce point.

[77]Sommairement, ayant à l'esprit la preuve dans son ensemble, je conclus sur une base de motifs raisonnables de croire que le danger associé à M. Charkaoui est neutralisé et qu'il ne se soustraira vraisemblablement pas à la procédure et/ou au renvoi, (si tel est le cas). C'est ce que le paragraphe 83(3) requiert du juge désigné lors d'une revue de la détention. Dans le but de s'assurer que le danger demeure neutralisé, le soussigné invite le lecteur à lire ce qui suit.

Si le danger est neutralisé, y-a-t-il lieu d'envisager des conditions préventives? Dans l'affirmative, lesquelles?

[78]La Cour a déjà mentionné qu'elle réservait la détermination de la raisonnabilité du certificat et ceci ne pourra pas être fait avant la fin des auditions prévues, une fois que toute la preuve aura été déposée. À ce moment-ci, la Cour limite ses conclusions aux questions du danger et de la présence lors de l'actualisation des procédures et si nécessaire, au renvoi. N'ayant pas entendu toute la preuve et dans le but d'assurer une continuation de neutralité associée au danger, la Cour entend imposer des conditions dont la très grande partie est acceptée par M. Charkaoui. Ces conditions sont pour le soussigné des conditions préventives. Ceci n'est pas une première. Dans l'arrêt Suresh (Re), [1998] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL), mon collègue le juge Teitelbaum avait libéré M. Suresh avec conditions et ce, après avoir validé l'attestation des ministres.

[79]Lors de l'audition, le soussigné, en indiquant qu'il s'agissait d'une hypothèse, a demandé aux avocats de s'entendre sur des conditions à suggérer à la Cour si celle-ci concluait qu'une libération était de mise.

[80]Les parties ne se sont pas entendues et chacune a soumis ses conditions.

[81]Après avoir indiqué que M. Charkaoui était toujours un danger, les ministres ont informé la Cour que les conditions qu'ils suggéraient ne suffiraient pas à conceptualiser un plan de supervision suffisant, qui permettrait d'assurer l'absence de danger pour la sécurité nationale. Les conditions qu'ils proposent varient donc entre demeurer dans l'appartement sauf pour urgence médicale ou présence à la Cour et l'interdiction à M. Charkaoui et les membres immédiats de la famille d'utiliser les moyens de communication.

[82]En contrepartie, M. Charkaoui considère que certaines conditions soumises par les ministres équivalent à une détention à domicile, portant atteinte à sa dignité humaine, mettant en péril sans nécessité la vie privée, la liberté et la dignité de tiers qui ne sont visés par aucun reproche ni aucune accusation, et privent la famille d'outils de communication nécessaires à la vie.

[83]Par l'interaction de l'article 85 et du paragraphe 58(3) de la LIPR et ses règlements, la Cour doit trancher et choisir les conditions préventives à être associées à la libération de M. Charkaoui. Elle le fait en tenant compte de la conclusion de neutralité du danger mais aussi en ayant à l'esprit l'objectif que cette neutralité demeure, le tout sujet à une détermination finale concernant la raisonnabilité du certificat qui se fera plus tard.

[84]Dans l'hypothèse ou la mise en liberté avec conditions était la conclusion du tribunal, les ministres ont demandé une audition selon l'alinéa 78e) de la LIPR et les avocates de M. Charkaoui s'y sont objectées prétendant que l'alinéa 78e) ne s'appliquait pas. Lors d'une conférence téléphonique avec les avocats des parties, l'objection fut rejetée sur la base que le paragraphe 83(1) de la LIPR autorisait une telle audition, le législateur ayant prévu que l'article 78 s'appliquait au contrôle de la détention «avec les adaptations nécessaires». Pour en arriver à la détermination des conditions, j'ai pris en considération les préoccupations reliées à la sécurité nationale soulevées par les ministres.

[85]M. Charkaoui pourra être libéré en autant qu'il accepte par écrit chacune des conditions énoncées ci-après et qu'il reconnaisse que le bris de l'une des conditions enclenche sa détention. Le document à être signé par M. Charkaoui sera préparé par ses avocates et soumis aux ministres pour leur accord préalable. S'il y a désaccord, sur demande, la Cour sera appelée à trancher. La libération ne pourra pas avoir lieu avant que le document soit signé et déposé à la Cour. Si nécessaire, la Cour signera une ordonnance à cet effet. Les conditions pourront être révisées sur demande selon les circonstances.

[86]Les conditions préventives sont les suivantes:

1. Une caution au montant de 50 000 $ dont 25 000 $ doivent être déposés au greffe de la Cour avant la mise en libération et 25 000 $ à être déposés au plus tard le 31 mars 2005, le tout conformément à la règle 149 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2). S'il y a bris à la présente ordonnance, ce montant deviendra payable au procureur général du Canada suite à une ordonnance de la Cour;

2. Demeurer au -- (l'adresse est retirée pour donner dans la mesure du possible, une vie privée à la famille) avec son épouse et ses enfants et s'y trouver obligatoirement entre 20h30 et 8h00 et ce, chaque jour de la semaine sauf pour urgence médicale de sa famille. Si M. Charkaoui doit être à l'extérieur de l'appartement pendant les heures permises, il doit être constamment accompagné de son père ou de sa mère ou encore, de M. Larbi Ouazzani. Ce dernier ainsi que M. Mohammed Charkaoui (le père de M. Charkaoui) auront la responsabilité et la supervision de M. Charkaoui et devront s'assurer qu'il respecte intégralement les conditions préventives de la libération. Avant que M. Charkaoui soit libéré, ils devront chacun signer un document dans lequel ils acceptent les responsabilités. Ce document sera préparé par les avocates de M. Charkaoui et devra être approuvé par les ministres, et par la suite le document devra être déposé au greffe de la Cour. Si les parties ne s'entendent pas, sur demande, la Cour interviendra. Ils devront obligatoirement déposer au greffe de la Cour un rapport à chaque fin de mois. Ceux-ci pourront être appelés à rendre compte à la Cour de leur supervision. Les avocates de M. Charkaoui pourront l'accompagner à l'extérieur aux fins de le préparer pour toutes audiences devant la Cour;

3. M. Charkaoui ne doit pas utiliser directement ou indirectement de téléphone cellulaire ou encore d'ordinateur, de quel que type que ce soit, notamment des terminaux de messagerie comme le Blackberry, des télécopieurs, des télé-avertisseurs, et des émetteur- récepteurs portatifs. Toutefois, il pourra utiliser le téléphone conventionnel mais seulement celui de son appartement;

4. À la demande des ministres, un bracelet offrant des fonctions GPS (electronic monitoring device) devra être porté par M. Charkaoui;

5. M. Charkaoui permettra en tout temps l'accès de son domicile aux employés de l'Agence des services frontaliers du Canada ou à tout agent de la paix;

6. M. Charkaoui s'engage à être présent lors des auditions de la Cour et à l'endroit déterminé pour fin de renvoi (si tel est le cas);

7. M. Charkaoui, avant sa libération, devra remettre son passeport ainsi que tout autre document de voyage à un agent de l'Agence des services frontaliers du Canada. Les ministres l'informeront du nom de cet agent;

8. M. Charkaoui s'engage à ne pas être en possession d'une arme, d'une imitation d'arme ou de substances explosives et chimiques;

9. Lors des sorties, M. Charkaoui s'engage à ne pas quitter l'île de Montréal;

10. M. Charkaoui s'engage à ne pas communiquer directement ou indirectement avec les personnes suivantes:

- Abousofiane Abdelrazik;

- Raouf Hannachi;

- Samir Ait Mohammed;

- Abdellah Ouzghar;

- Karim Saïd Atmani;

- l'individu d'Ottawa connu sous le nom de «Abdeslam le Canadien»; et,

- toute personne ayant un casier judiciaire;

Cette liste pourra être amendée par les parties sur demande à la Cour. De plus, M. Charkaoui ne devra pas s'associer avec toutes personnes qui représentent une menace à la sécurité nationale et ce, en connaissance de cause. Il va de soi que les avocates de M. Charkaoui pourront communiquer avec ces personnes pour la préparation du dossier de Cour, s'il y a lieu;

11. M. Charkaoui s'engage à garder la paix et à avoir une bonne conduite;

12. M. Charkaoui reconnaît que s'il ne respecte pas chacune des conditions préventives, il sera à nouveau détenu suite à une ordonnance de la Cour;

13. Les conditions préventives peuvent être amendées selon les circonstances sur demande des parties. Toutefois, la Cour se réserve le droit à tout moment d'annuler la libération et les conditions préventives si les circonstances le justifient et de façon plus précise, si nécessaire, après la décision concernant la raisonnabilité du certificat (s'il y a lieu) ou celle au sujet de la légalité de la décision du ministre. Ayant dit ceci, le soussigné révisera en audition à chaque trois mois les conditions préventives, le délai de révision pourra changer avec le temps;

14. M. Charkaoui devra se présenter à un endroit déterminé, une fois la semaine (ou plus) à l'agent de l'Agence des services frontaliers à être identifié;

15. Avant de prendre une décision concernant un changement d'adresse, M. Charkaoui devra en discuter avec la Cour. Par la suite, une autorisation pourra être envisagée;

16. Un bris à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l'article 127 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 185] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

[87]Le soussigné réserve sa juridiction suite à la détermination de la raisonnabilité du certificat (s'il y a lieu) et celle concernant la légalité de la décision du ministre.

[88]Les ministres pourront demander une audience en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocates si l'examen de renseignements ou éléments de preuve est requis et que la divulgation de ceux-ci porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, le tout selon l'alinéa 78d) de la LIPR.

POUR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:

- M. Charkaoui soit mis en liberté en autant qu'il signe un document à être préparé par les avocates de M. Charkaoui et approuvé par les avocats des ministres dans lequel il s'engage à respecter chacune des conditions préventives et que certaines de celles-ci soient actualisées avant sa libération. Les conditions préventives sont les suivantes:

1.     Une caution au montant de 50 000 $ dont 25 000 $ doivent être déposés au greffe de la Cour avant la mise en libération et 25 000 $ à être déposés au plus tard le 31 mars 2005, le tout conformément à la règle 149 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2). S'il y a bris à la présente ordonnance, ce montant deviendra payable au procureur général du Canada suite à une ordonnance de la Cour;

2.     Demeurer au -- (l'adresse est retirée pour donner dans la mesure du possible, une vie privée à la famille) avec son épouse et ses enfants et s'y trouver obligatoirement entre 20h30 et 8h00 et ce, chaque jour de la semaine sauf pour urgence médicale de sa famille. Si M. Charkaoui doit être à l'extérieur de l'appartement pendant les heures permises, il doit être constamment accompagné de son père ou de sa mère ou encore, de M. Larbi Ouazzani. Ce dernier ainsi que M. Mohammed Charkaoui (le père de M. Charkaoui) auront la responsabilité et la supervision de M. Charkaoui et devront s'assurer qu'il respecte intégralement les conditions préventives de la libération. Avant que M. Charkaoui soit libéré, ils devront chacun signer un document dans lequel ils acceptent les responsabilités. Ce document sera préparé par les avocates de M. Charkaoui et devra être approuvé par les ministres, et par la suite le document devra être déposé au greffe de la Cour. Si les parties ne s'entendent pas, sur demande, la Cour interviendra. Ils devront obligatoirement déposer au greffe de la Cour un rapport à chaque fin de mois. Ceux-ci pourront être appelés à rendre compte à la Cour de leur supervision. Les avocates de M. Charkaoui pourront l'accompagner à l'extérieur aux fins de le préparer pour toutes audiences devant la Cour;

3.     M. Charkaoui ne doit pas utiliser directement ou indirectement de téléphone cellulaire ou encore d'ordinateur, de quel que type que ce soit, notamment des terminaux de messagerie comme le Blackberry, des télécopieurs, des télé-avertisseurs, et des émetteur-récepteurs portatifs. Toutefois, il pourra utiliser le téléphone conventionnel mais seulement celui de son appartement;

4.     À la demande des ministres, un bracelet offrant des fonctions GPS (electronic monitoring device) devra être porté par M. Charkaoui;

5.     M. Charkaoui permettra en tout temps l'accès de son domicile aux employés de l'Agence des services frontaliers du Canada ou à tout agent de la paix;

6.     M. Charkaoui s'engage à être présent lors des auditions de la Cour et à l'endroit déterminé pour fin de renvoi (si tel est le cas);

7.     M. Charkaoui, avant sa libération, devra remettre son passeport ainsi que tout autre document de voyage à un agent de l'Agence des services frontaliers du Canada. Les ministres l'informeront du nom de cet agent;

8.     M. Charkaoui s'engage à ne pas être en possession d'une arme, d'une imitation d'arme ou de substances explosives et chimiques;

9.     Lors des sorties, M. Charkaoui s'engage à ne pas quitter l'île de Montréal;

10.    M. Charkaoui s'engage à ne pas communiquer directement ou indirectement avec les personnes suivantes:

-     Abousofiane Abdelrazik;

-     Raouf Hannachi;

-     Samir Ait Mohammed;

-     Abdellah Ouzghar;

-     Karim Saïd Atmani;

-    l'individu d'Ottawa connu sous le nom de «Abdeslam le Canadien»; et,

-     toute personne ayant un casier judiciaire;

Cette liste pourra être amendée par les parties sur demande à la Cour. De plus, M. Charkaoui ne devra pas s'associer avec toutes personnes qui représentent une menace à la sécurité nationale et ce, en connaissance de cause. Il va de soi que les avocates de M. Charkaoui pourront communiquer avec ces personnes pour la préparation du dossier de Cour, s'il y a lieu;

11.     M. Charkaoui s'engage à garder la paix et à avoir une bonne conduite;

12.     M. Charkaoui reconnaît que s'il ne respecte pas chacune des conditions préventives, il sera à nouveau détenu suite à une ordonnance de la Cour;

13.     Les conditions préventives peuvent être amendées selon les circonstances sur demande des parties. Toutefois, la Cour se réserve le droit à tout moment d'annuler la libération et les conditions préventives si les circonstances le justifient et de façon plus précise, si nécessaire, après la décision concernant la raisonnabilité du certificat (s'il y a lieu) ou celle au sujet de la légalité de la décision du ministre. Ayant dit ceci, le soussigné révisera en audition à chaque trois mois les conditions préventives, le délai de révision pourra changer avec le temps;

14.     M. Charkaoui devra se présenter à un endroit déterminé, une fois la semaine (ou plus) à l'agent de l'Agence des services frontaliers à être identifié;

15.     Avant de prendre une décision concernant un changement d'adresse, M. Charkaoui devra en discuter avec la Cour. Par la suite, une autorisation pourra être envisagée;

16.     Un bris à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l'article 127 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 185] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

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