[2018] 2 R.C.F. 229
A-17-16
2017 CAF 130
Curtis Lewis (appelant)
c.
Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimé)
et
Justice For Children and Youth (intervenante)
Répertorié : Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)
Cour d’appel fédérale, les juges Stratas, Webb et Gleason, J.C.A.—Toronto, 7 mars; Ottawa, 21 juin 2017.
Citoyenneté et Immigration –– Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande présentée par l’appelant en contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de refuser d’accéder à la demande que l’appelant a présentée en vertu de l’art. 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de reporter son renvoi du Canada vers le Guyana jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’art. 25 et dans l’attente d’une décision concernant une demande de réouverture d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié –– Dans le cadre de sa décision, la Cour fédérale a certifié des questions portant sur les renvois mettant en cause un enfant autochtone –– L’appelant est résident permanent du Canada et citoyen du Guyana –– Il a la garde exclusive de sa fillette canadienne, qui est membre d’une Première nation –– L’appelant a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité –– Dans le cadre de sa décision, l’agente d’exécution a examiné les répercussions du renvoi pour la fille de l’appelant, notant que son pouvoir se limitait à l’examen de l’incidence à court terme du renvoi sur l’intérêt supérieur de l’enfant, et rejetant la préoccupation quant à l’importance que revêt pour l’enfant le maintien d’un lien avec sa culture autochtone –– La Cour fédérale a rejeté la thèse de l’appelant voulant que doivent s’appliquer à la situation de l’enfant les principes établis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Gladue, R. c. Ipeelee et R. c. Anderson –– Il s’agissait de savoir si ces principes s’appliquaient, avec les adaptations nécessaires, aux renvois prévus à l’art. 48 de la Loi, de sorte qu’il y avait lieu de tenir pleinement compte des conséquences sur l’enfant autochtone du renvoi du Canada du parent non citoyen ayant la garde avant l’exécution de la mesure de renvoi; si la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration) ou d’autres instruments appellent, de la part des agents d’exécution, une analyse de l’intérêt supérieur des enfants touchés plus approfondie qu’auparavant; et si la décision de l’agente d’exécution était raisonnable –– Le simple fait qu’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire a été faite peu avant la date butoir ne signifiait pas que le report de la mesure prévue à l’art. 48 de la Loi était justifié –– L’agent d’exécution n’est pas habilité non plus à se livrer à une véritable analyse de l’intérêt supérieur de ces enfants, mais il peut se livrer à une étude de l’intérêt supérieur, à court terme, de l’enfant qui pourrait être touché par le renvoi de ses parents du Canada –– En ce qui concerne la jurisprudence Kanthasamy, cette décision n’exige pas qu’une véritable analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant soit entreprise avant qu’un parent de l’enfant puisse être renvoyé du Canada –– Quant aux exigences de l’art. 3(3)f) de la Loi et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, la Convention ne prescrit pas que l’intérêt supérieur de l’enfant doive être la priorité de tous les décideurs administratifs chargés de prendre des décisions qui pourraient avoir des répercussions sur les enfants –– Dans la présente affaire, l’agente d’exécution devait être réceptive, attentive et sensible aux racines autochtones de l’enfant et était tenue de leur consacrer une brève considération raisonnable –– En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agente d’exécution, l’hypothèse voulant que l’enfant puisse revenir au Canada n’était que pure conjecture et donc déraisonnable –– Il incombait à l’agente d’exécution d’apprécier si l’enfant pouvait maintenir un lien avec ses racines autochtones pendant la période visée par la demande de report si elle accompagnait l’appelant au Guyana –– Mais dans la présente affaire, elle ne disposait d’aucun élément en fonction duquel elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion –– La décision de l’agente d’exécution était donc déraisonnable et a été annulée –– Appel accueilli.
Droit constitutionnel –– Charte des droits –– Vie, liberté et sécurité –– En appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande présentée par l’appelant en contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada de refuser de reporter le renvoi de l’appelant du Canada vers le Guyana, la Cour fédérale a examiné une question relative à la Charte –– Elle a conclu en particulier que le statut autochtone de l’enfant ne mettait en jeu aucun intérêt protégé par l’art. 7 de la Charte, notamment du fait qu’elle n’était pas visée par une mesure de renvoi du Canada –– L’art. 7 de la Charte exige-t-il qu’il soit tenu compte, à l’instar de l’arrêt Gladue, des conséquences du renvoi du parent ayant la garde de l’enfant autochtone avant l’exécution de la mesure du renvoi? –– L’art. 7 de la Charte ne fait pas obstacle au renvoi du Canada des non-citoyens si ces personnes ne sont pas exposées dans leur pays d’origine à des risques qui les rendraient admissibles à la protection que prévoit l’art. 97 –– Puisque l’appelant ne serait pas exposé à de tels risques, les droits qu’il tire de l’art. 7 de la Charte n’ont pas été enfreints par la mesure de renvoi –– Les droits que son enfant puise dans l’art. 7 ne seraient pas non plus touchés –– L’ascendance autochtone de l’enfant n’imposait pas une conclusion différente, ni ne faisait intervenir un droit protégé par la Charte faisant obstacle au renvoi de l’appelant –– La doctrine Gladue n’y changaient rien.
Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant à l’encontre de la décision d’une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de refuser d’accéder à la demande de l’appelant fondée sur l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), de reporter son renvoi du Canada vers le Guyana jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi et dans l’attente d’une décision concernant une demande de réouverture d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le report demandé était fondé en grande partie sur les conséquences du renvoi de l’appelant sur sa fille, une citoyenne canadienne d’origine autochtone qui, selon toute probabilité, accompagnerait l’appelant au Guyana s’il était renvoyé dans ce pays. Dans le cadre de la décision attaquée, la Cour fédérale a certifié les questions suivantes : 1) Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Gladue, R. c. Ipeelee et R. c. Anderson s’appliquent-ils, avec les adaptations nécessaires, aux renvois prévus à l’article 48 de la Loi, de sorte qu’il y a lieu de tenir pleinement compte des conséquences sur l’enfant autochtone du renvoi du Canada du parent non citoyen ayant la garde avant l’exécution de la mesure de renvoi? (2) L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés exige-il que l’on tienne compte, à l’instar de l’arrêt Gladue, des conséquences du renvoi du parent ayant la garde de l’enfant autochtone avant l’exécution de la mesure du renvoi?
L’appelant est un résident permanent du Canada âgé de 60 ans et un citoyen du Guyana. Il est arrivé au Canada alors qu’il était enfant quand sa famille a immigré ici. Il a la garde exclusive de sa fillette canadienne, qui est membre d’une Première Nation par sa filiation maternelle et a le statut d’« Indienne » en vertu de la Loi sur les Indiens. La mère de la fillette est incapable de prendre soin de l’enfant et a perdu la garde et le droit de visite. L’appelant a un casier judiciaire au Canada, il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité et a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Cette décision a été portée en appel devant la SAI, qui a sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, mais le sursis a par la suite été annulé lorsque les conditions ont été violées. L’appelant a été arrêté, détenu et libéré par les autorités de l’immigration. Il a ensuite été convoqué à une entrevue relative à l’évaluation des risques avant renvoi, mais sa demande a été rejetée. Lorsqu’il a été avisé de son renvoi, l’appelant a déposé trois demandes, dont une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire et une demande de report de son renvoi.
Dans sa décision, l’agente d’exécution a commencé son analyse en notant qu’aux termes de l’article 48 de la Loi, l’ASFC est tenue d’exécuter les mesures de renvoi dès qu’il est possible de le faire et que le pouvoir discrétionnaire lui permettant d’accorder un report était très restreint. L’agente d’exécution a noté en particulier que la demande de l’appelant à la SAI et la demande pour des motifs d’ordre humanitaire n’avaient pas été faites en temps utile et qu’elles ne faisaient pas obstacle au renvoi de l’appelant du Canada. Elle a examiné les répercussions du renvoi pour la fille de l’appelant, notant que son pouvoir se limitait à l’examen de l’incidence à court terme du renvoi sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a également rejeté la préoccupation quant à l’importance que revêt pour l’enfant le maintien d’un lien avec sa culture autochtone.
En ce qui concerne la question relative à la Charte, la Cour fédérale a conclu que le statut autochtone de l’enfant ne mettait en jeu aucun intérêt protégé par l’article 7, notamment du fait qu’elle n’était pas visée par une mesure de renvoi du Canada. La Cour a également rejeté la thèse de l’appelant voulant que doivent s’appliquer à la situation de l’enfant, avec les adaptations nécessaires, les principes des arrêts R. c. Gladue, R. c. Ipeelee et R. c. Anderson (qui se rapportent à des affaires pénales).
Les principales questions en litige visaient à savoir comment répondre aux questions certifiées de la Cour fédérale; si la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration) ou d’autres instruments appellent, de la part des agents d’exécution, une analyse de l’intérêt supérieur des enfants touchés plus approfondie qu’auparavant; et si la décision de l’agente d’exécution de la loi dans la présente affaire était raisonnable.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
En vertu de la jurisprudence bien établie en matière de renvoi mettant en cause des enfants, le simple fait qu’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire a été faite peu avant la date butoir par les personnes susceptibles d’être renvoyées ou le fait qu’elles pourraient emmener leurs enfants nés au Canada avec elles lorsqu’elles seront renvoyées du Canada ne signifie pas que le report de la mesure prévue à l’article 48 de la Loi est justifié. L’agent d’exécution n’est pas non plus habilité à se livrer à une véritable analyse de l’intérêt supérieur de ces enfants, car cela équivaudrait à usurper la fonction des agents chargés d’examiner les circonstances d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la Loi. Cela dit, l’agent d’exécution peut se livrer à une étude de l’intérêt supérieur, à court terme, de l’enfant qui pourrait être touché par le renvoi de ses parents du Canada.
En ce qui concerne le moyen tiré de la Charte, l’article 7 ne fait pas obstacle au renvoi du Canada des non-citoyens si ces personnes ne sont pas exposées dans leur pays d’origine à des risques qui les rendraient admissibles à la protection que prévoit l’article 97 de la Loi. Puisque rien n’indiquait que l’appelant serait exposé à de tels risques, les droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte n’ont pas été enfreints par la mesure de renvoi. En bref, ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne consacrés par la Charte ne seraient pas enfreints s’il était renvoyé au Guyana. Les droits que son enfant puise dans l’article 7 de la Charte ne seraient pas non plus touchés. Rien ne laissait croire que, si elle devait accompagner l’appelant au Guyana, elle serait exposée à un type de risque énoncé à l’article 97 de la Loi qui pourrait proscrire le renvoi. Si l’enfant de l’appelant n’était pas d’ascendance autochtone, rien ne permettrait d’affirmer que les droits qu’elle puise dans l’article 7 de la Charte pourraient être touchés par le renvoi de l’appelant. L’ascendance autochtone de l’enfant n’a pas imposé une conclusion différente. Bien que son ascendance revête une grande importance dans l’analyse de son intérêt supérieur à court terme dans le contexte de la procédure de renvoi, son ascendance en soi n’a fait intervenir aucun droit protégé par la Charte qui faisait obstacle au renvoi de son père, même si l’appelant a invoqué la doctrine Gladue, qui, contrairement à la présente affaire, découlait d’une disposition du Code criminel qui porte sur la détermination de la peine (alinéa 718.2e)). En conclusion, le moyen puisé dans la Charte était sans fondement et les droits que l’appelant et sa fille tirent de l’article 7 de la Charte ne seraient pas touchés par le renvoi de l’appelant au Guyana. De même, l’article 7 de la Charte n’exigeait pas en l’espèce qu’une analyse d’une autre nature soit effectuée par l’agente d’exécution.
En ce qui concerne la jurisprudence Kanthasamy, cette décision n’exige pas qu’une véritable analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant soit entreprise avant qu’un parent de l’enfant puisse être renvoyé du Canada ou que l’intérêt supérieur de l’enfant doive l’emporter sur les autres considérations de l’analyse. La jurisprudence Kanthasamy vise uniquement les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire prises en vertu de l’article 25 de la Loi et, même dans ces cas, n’impose pas que l’intérêt supérieur des enfants touchés constitue la considération prioritaire. Quant aux exigences de l’alinéa 3(3)f) de la Loi et de la Convention relative aux droits de l’enfant (Convention) d’une manière plus générale, la Convention ne prescrit pas que l’intérêt supérieur de l’enfant doive être la priorité de tous les décideurs administratifs chargés de prendre des décisions qui pourraient avoir des répercussions sur les enfants. L’article 3 de la Convention exige que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une priorité, mais pas l’unique priorité. Il appartenait à l’appelant de faire une demande fondée sur l’article 25 de la Loi à tout moment après la naissance de sa fille. S’il l’avait fait, l’intérêt de sa fille aurait probablement déjà été pleinement apprécié par un agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire dans le cadre d’une telle demande. Cependant, il n’a fait cette demande que peu de temps avant la date prévue de son renvoi. Cela ne lui a pas donné le droit de faire obstacle à son renvoi. Ni la jurisprudence Kanthasamy ni la Convention n’imposait en l’espèce à l’agente d’exécution de procéder à une véritable appréciation de l’intérêt supérieur de la fille de l’appelant ou d’accorder le report demandé jusqu’à ce que la demande pour des motifs d’ordre humanitaire de l’appelant présentée à la dernière minute fasse l’objet d’une décision d’un représentant ministériel. L’agente d’exécution n’était tenue que de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme et, dans la présente affaire, elle devait évaluer la situation d’un enfant autochtone dont l’unique parent gardien devait être renvoyé du Canada. Ces faits soulevaient des considérations spéciales qui avaient des conséquences sur l’intérêt supérieur vital à court terme de l’enfant. L’agente d’exécution devait donc être réceptive, attentive et sensible à ses racines autochtones et était tenue de leur consacrer une brève considération raisonnable.
En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agente, celle-ci a reconnu qu’il était important pour la fille de l’appelant de maintenir [traduction] « un lien étroit avec sa collectivité, sa culture et ses traditions autochtones » pendant la période visée par la demande de report. Constatant que l’enfant irait vivre au Guyana avec son père, l’agente d’exécution a tenu le raisonnement que l’enfant pourrait revenir au Canada à n’importe quel moment. L’hypothèse voulant que l’enfant puisse revenir au Canada n’était que pure conjecture et donc déraisonnable. Son père était interdit de territoire et ne pourrait vraisemblablement pas accompagner sa fille qui avait alors 8 ans au pays. L’agente d’exécution n’a pas expliqué comment il serait possible pour l’enfant de revenir au Canada par ses propres moyens, et rien n’a donné à penser que quiconque serait en mesure de l’accompagner. En bref, ayant retenu l’idée qu’il était important pour l’enfant de maintenir un lien avec ses racines autochtones pendant la période visée par la demande de report, il incombait à l’agente d’exécution d’apprécier de manière réaliste et raisonnable si l’enfant pouvait maintenir ce lien si elle accompagnait son père. Vu les faits dont était saisie l’agente d’exécution, elle ne disposait d’aucun élément en fonction duquel elle pouvait raisonnablement conclure que l’enfant pourrait maintenir un tel lien si elle était au Guyana. Par conséquent, la décision de l’agente d’exécution était déraisonnable et a été annulée. Quant à la suggestion de la Cour fédérale selon laquelle la décision de l’agente d’exécution devrait être retenue parce qu’il n’y avait aucune raison de conclure que l’enfant quitterait le Canada, cette conclusion était tout à fait dépourvue de fondement puisqu’il ressortait des faits exactement le contraire.
Enfin, il a été répondu par la négative aux deux questions certifiées.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 718.2e).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 25, 36(1)a), 45d), 48, 63(3), 68(1), 74, 96, 97.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.
Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle 22.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, arts. 3, 21, 30.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311; Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15668 (C.F. 1re inst.); Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2016] 2 R.C.F. 664.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CanLII 99082 (C.I.S.R.); R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133; Law Society of Upper Canada v. Terence John Robinson, 2013 ONLSAP 18 (CanLII); Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 761.
DÉCISIONS CITÉES :
Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.); Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Amado-Cordeiro, 2004 CAF 120; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (QL) (C.A.); United States of America v. Leonard, 2012 ONCA 622, 112 O.R. (3d) 496; R. v. Robinson, 2009 ONCA 205, 95 O.R. (3d) 309; Frontenac Ventures Corporation v. Ardoch Algonquin First Nation, 2008 ONCA 534, 91 O.R. (3d) 1; R. v. Sim (2005), 78 O.R. (3d) 183, 201 C.C.C. (3d) 482 (C.A.); Twins c. Canada (Procureur génégal), 2016 CF 537, [2017] 1 R.C.F. 79; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682; Nguyen c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 225; Danyi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112; Baptiste c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1359; Kampemana c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1060; Ezquivel c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 995; Khamis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 437; Turay c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1090; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711; Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, [2009] 4 R.C.F. 293; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2009] 3 R.C.F. 294; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Parlement. Sénat. Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Les enfants : des citoyens sans voix : mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants : rapport final, avril 2007.
Commission de vérité et réconciliation du Canada. Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015.
Nations Unies Comité des droits de l’enfant. Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une consideration primordial (art. 3, par. 1), Doc. N.U. CRC/C/GC/14 (29 mai 2013).
Statistique Canada. Regards sur la société canadienne : La situation des enfants autochtones âgés de 14 ans et moins dans leur ménage (13 avril 2016), no 75-006-X.
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 309) rejetant la demande présentée par l’appelant en contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada de refuser d’accéder à la demande de l’appelant fondée sur l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de reporter son renvoi du Canada vers le Guyana jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
Andrew J. Brouwer, Allison C. Rhoades, Jonathan Rudin et Emilie Lahaie pour l’appelant.
Angela Marinos et Christopher Ezrin pour l’intimé.
Samira M. Ahmed et Emily Chan pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Bureau du droit des réfugiés et Aboriginal Legal Services of Toronto, Toronto, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Justice for Children and Youth, Toronto, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La juge Gleason, J.C.A. : Dans le présent appel, l’appelant, Curtis Lewis, sollicite l’annulation du jugement daté du 25 novembre 2015 rendu par le juge Annis de la Cour fédérale à l’occasion de l’affaire Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1309 (Lewis) (affiché sur CanLII) par lequel la Cour a rejeté la demande présentée par M. Lewis en contrôle judiciaire de la décision du 28 juillet 2014 d’une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agente) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Par cette décision, l’agente a refusé d’accéder à la demande que M. Lewis avait présentée en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de reporter son renvoi du Canada vers le Guyana jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) en vertu de l’article 25 de la LIPR et dans l’attente d’une décision concernant une demande de réouverture d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la C.I.S.R.) en cours.
[2] Le report demandé était fondé en grande partie sur les conséquences du renvoi de M. Lewis sur sa fille, une citoyenne canadienne d’origine autochtone qui, selon toute probabilité, accompagnerait son père au Guyana s’il était renvoyé dans ce pays.
[3] Dans le cadre de la décision attaquée, la Cour fédérale [au paragraphe 58] a certifié les questions suivantes en application de l’article 74 de la LIPR :
1. Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c Gladue, R. c Ipeele et R. c Anderson s’appliquent-ils, avec les adaptations nécessaires, aux renvois prévus à l’article 48 de la LIPR, de sorte qu’il y a lieu de tenir pleinement compte des conséquences sur l’enfant autochtone du renvoi du Canada du parent non citoyen ayant la garde avant l’exécution de la mesure de renvoi?
2. L’article 7 de la Charte des droits et libertés exige-t-il que l’on tienne compte, à l’instar de l’arrêt Gladue, des conséquences du renvoi du parent ayant la garde de l’enfant autochtone avant l’exécution de la mesure de renvoi?
[4] Pour les motifs qui suivent, je répondrais à ces questions par la négative, mais j’accueillerais le présent appel puisque l’examen de l’intérêt supérieur de la fille de M. Lewis par l’agente était déraisonnable. En conséquence, je casserais la décision de l’agente du 28 juillet 2014 et renverrais la demande de M. Lewis concernant l’article 48 de la LIPR à un autre agent d’exécution de l’ASFC pour réexamen conformément aux présents motifs.
I. Contexte
[5] M. Lewis est résident permanent du Canada et citoyen du Guyana. Il est âgé de près de 60 ans et est arrivé au Canada alors qu’il était enfant, en 1966, quand sa famille a immigré ici. Bien que les membres de sa famille soient maintenant citoyens, il affirme qu’il n’est pas devenu citoyen canadien (alors qu’il était admissible à présenter une demande) essentiellement parce qu’il ignorait l’importance de faire une demande de citoyenneté. Il n’a pas de membres de famille ou de connaissances au Guyana et n’y est pas retourné depuis 1966. M. Lewis a travaillé en tant qu’installateur de cloisons sèches et plâtrier au Canada, mais était sans emploi et vivait de l’aide sociale au moment de sa demande de report.
[6] M. Lewis a la garde exclusive de sa fillette canadienne qui est âgée de 9 ans. Elle est membre de la Première nation des Gwich’in (Inuvik) par sa filiation maternelle et a le statut d’« Indienne » en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. La mère de la fillette est incapable de prendre soin de l’enfant et a perdu la garde et le droit de visite en raison de sa toxicomanie. Bien que d’autres membres de la famille de la mère vivent dans les Territoires du Nord-Ouest et que les membres de la famille de M. Lewis vivent à Toronto, il ne semble y avoir personne d’autre que M. Lewis qui serait disposé et apte à prendre soin de l’enfant à temps plein. Ainsi, le rejet de la demande de report pourrait bien donner concrètement lieu au retrait de l’enfant du Canada puisque le fait qu’elle soit déclarée pupille de l’État semblait la seule autre option possible pour la fillette, ce que M. Lewis n’est pas prêt à voir se produire. L’ASFC a accepté que l’enfant accompagne M. Lewis au Guyana et était prête à acheter les billets pour les deux, M. Lewis et l’enfant.
[7] M. Lewis a un casier judiciaire au Canada. En 1979, il a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles, condamnation pour laquelle il a bénéficié d’un sursis. En 1985, il a été de nouveau reconnu coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et d’un défaut de comparaître, condamnations pour lesquelles il a reçu des amendes et a purgé une courte période d’incarcération (peut-être parce qu’il n’avait pas payé les amendes). En 2003, M. Lewis a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles une troisième fois et a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis.
[8] À la suite de sa condamnation de 2003, la question du statut de M. Lewis sur le plan de l’immigration a été renvoyée à la C.I.S.R. aux fins de décision en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR qui disposait (et dispose toujours) qu’un résident permanent est interdit de territoire pour grande criminalité s’il est reconnu coupable d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été imposée.
[9] Le 7 juillet 2004, la C.I.S.R. a conclu que l’alinéa 36(1)a) de la LIPR jouait et, par conséquent, a pris une mesure d’expulsion à l’égard de M. Lewis en vertu de l’alinéa 45d) de la LIPR. M. Lewis a fait appel de cette décision à la SAI en vertu des paragraphes 63(3) et 68(1) de la LIPR. La SAI a rendu sa décision le 15 novembre 2005. Prenant en considération les liens étroits de M. Lewis avec le Canada, les difficultés que son renvoi causerait, sa participation à des séances de formation en gestion de la colère, le fait qu’il ne représente pas un danger pour le public et son mince casier judiciaire, la SAI a sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion pour une année, sous réserve de conditions. M. Lewis était notamment tenu d’informer Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de tout changement d’adresse et de faire une demande de passeport valide ou d’autres titres de voyage.
[10] M. Lewis a avisé CIC le 12 avril 2006 qu’il avait l’intention de déménager d’Edmonton à Yellowknife, mais ne l’a finalement pas fait. Il est plutôt demeuré à Edmonton et est devenu un sans-abri pendant plusieurs mois à la fin de 2006 et au début de 2007. Le bureau de CIC à Yellowknife a informé le bureau de CIC à Edmonton que M. Lewis n’avait pas signalé son changement d’adresse à Yellowknife. De plus, CIC a conclu que M. Lewis n’avait pas fait de demande de passeport. CIC a avisé la SAI de ces faits, et, le 5 mars 2007, la SAI a annulé le sursis et a rejeté l’appel relatif à la mesure d’expulsion. Puisque la SAI et CIC ne savaient pas où se trouvait M. Lewis, il n’a pas reçu copie de la décision de la SAI rejetant l’appel de la mesure d’expulsion. Un mandat d’arrêt a été lancé contre M. Lewis à la suite de la réactivation de la mesure d’expulsion.
[11] La fille de M. Lewis est née en 2007. M. Lewis a vécu pendant environ trois ans avec la mère de l’enfant et l’enfant à Edmonton, mais, lorsque les responsables de la protection de l’enfance ont retiré l’enfant aux parents, M. Lewis a quitté la mère pour établir sa propre résidence afin de pouvoir obtenir la garde de l’enfant. Le Tribunal de la famille d’Edmonton de la Cour provinciale de l’Alberta a accordé à M. Lewis la garde exclusive de sa fille le 6 octobre 2011. L’ordonnance ne contenait aucune disposition d’accès ou de visite pour la mère de l’enfant, qui n’a pas comparu à l’audience relative à la garde. L’enfant vit avec M. Lewis depuis ce temps et elle n’a eu aucun contact avec sa mère, qui reste incapable de s’occuper d’elle.
[12] M. Lewis a retenu l’attention de la police en octobre 2007 à Edmonton au moment où il a été identifié comme témoin d’un crime. Le 12 novembre 2007, il a été arrêté sur la foi du mandat non exécuté et a été placé en détention pour une courte période. M. Lewis a obtenu une libération à condition, notamment : 1) de fournir une adresse et un avis de tout changement aux autorités et 2) de se présenter régulièrement devant un agent de l’ASFC. Il n’a que partiellement respecté la deuxième condition.
[13] Après son arrestation, M. Lewis n’a pas fait l’objet d’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) (l’étape suivante habituelle du processus de renvoi du Canada de quelqu’un dans sa situation) parce qu’il n’avait pas de documents d’identité du Guyana permettant la délivrance rapide d’un passeport ou de titres de voyage par le Guyana. Sa situation est restée en suspens jusqu’à la fin de 2013.
[14] En août 2013, au su de l’ASFC, M. Lewis a déménagé à Toronto pour se rapprocher de sa propre famille. Sa fille va à l’école à Toronto, et M. Lewis dispose d’un réseau de parents et d’amis qui l’aident à prendre soin d’elle. Par l’affidavit qu’il a produit à l’appui de sa demande de report, M. Lewis a déclaré qu’il a tout fait en son pouvoir pour aider sa fille à préserver ses liens avec sa culture autochtone. L’enseignant de l’enfant, qui est aussi membre d’une Première Nation, lui apporte un soutien, et l’enfant est inscrite à un Programme d’étude des Premières Nations après l’école dispensé par la commission scolaire dans le cadre duquel elle étudie les cultures autochtones et a rencontré d’autres personnes d’origine autochtone. M. Lewis affirme qu’il espérait emmener sa fille aux Territoires du Nord-Ouest pour rendre visite à sa famille maternelle, mais que l’ASFC ne l’a pas autorisé à quitter Toronto.
[15] Le 26 septembre 2013, les autorités du Guyana ont informé l’ASFC que les titres de voyage de M. Lewis avaient été approuvés. Il a été convoqué à une entrevue relative à l’ERAR le 12 novembre 2013 et, peu de temps après, l’agent principal d’immigration a rejeté la demande d’ERAR parce que M. Lewis n’a pas pu démontrer qu’il répondait aux critères énoncés à l’article 97 de la LIPR. À l’époque, cet article contenait, et contient toujours, les dispositions pertinentes suivantes :
Personne à protéger
97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités […]
[16] Le 11 juillet 2014, M. Lewis a été avisé que son renvoi aurait lieu le 1er août 2014. En réponse, il a retenu les services de l’aide juridique et a déposé trois demandes à la fin juillet 2014 : 1) une demande de réouverture de son appel relatif à la mesure de renvoi devant la SAI, 2) une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires prévue à l’article 25 de la LIPR et 3) une demande de report de son renvoi imposé en vertu de l’article 48 de la LIPR.
[17] Le 28 juillet 2014, l’agente d’exécution de l’ASFC a rejeté la demande de report de M. Lewis. C’est cette décision qui fait l’objet du présent appel.
[18] À la date prévue pour son renvoi, M. Lewis a présenté une requête en sursis du renvoi devant la Cour fédérale jusqu’à ce qu’il soit statué sur les trois demandes (réouverture de l’appel à la SAI, demande d’ordre humanitaire et contrôle judiciaire de la décision de renvoi). La Cour fédérale a accordé le sursis dans l’attente de la décision de la Cour fédérale concernant la demande de contrôle judiciaire et dans l’attente de la décision de la SAI sur la demande de réouverture de l’appel relatif à la mesure de renvoi.
[19] Le 15 octobre 2014, la SAI a rejeté la demande de réouverture de l’appel relative à la mesure de renvoi [2014 CanLII 99082], concluant qu’il n’y avait eu aucun manquement au principe d’équité procédurale puisque M. Lewis n’avait pas informé la SAI de ses déplacements.
[20] Comme il a été signalé, la Cour fédérale a rejeté le 25 novembre 2015 la demande de contrôle judiciaire de M. Lewis relative à la décision de l’agente d’exécution sur le report du renvoi. Par conséquent, le rejet de la demande de contrôle judiciaire rendait caduc le sursis du renvoi prononcé par la Cour fédérale. Il semble que l’intimé n’ait pas encore cherché à faire respecter la décision de l’agente d’exécution puisque l’appelant était toujours au Canada quand le présent appel a été entendu. À ce jour, il n’a pas encore été statué sur la demande pour motifs humanitaires de M. Lewis, et il n’est pas controversé entre les parties qu’il faudra encore un certain temps avant qu’une décision soit rendue.
II. Les décisions de l’agente d’exécution de l’ASFC et de la Cour fédérale
[21] Dans ce contexte, il est désormais possible d’examiner plus en détail les décisions de l’agente d’exécution et de la Cour fédérale qui font l’objet du présent appel.
A. Décision de l’agente d’exécution
[22] L’agente d’exécution a examiné les arguments que M. Lewis a présentés à l’appui de la demande de report dans une brève décision-lettre, la forme typique de décision rendue dans les affaires de ce type en raison des échéances serrées applicables à l’examen des demandes de report.
[23] L’agente d’exécution a commencé son analyse en notant qu’aux termes de l’article 48 de la LIPR, l’ASFC est tenue d’exécuter les mesures de renvoi dès qu’il est raisonnablement possible de le faire et que le pouvoir discrétionnaire lui permettant d’accorder un report était donc très restreint. Elle a ensuite conclu que la demande de M. Lewis en cours à la SAI ne faisait état d’aucun fondement appelant l’octroi du report demandé parce qu’elle n’avait pas été faite en temps utile. Elle a également noté que la demande n’empêcherait pas le renvoi de M. Lewis puisque la SAI pourrait toujours examiner sa demande même s’il était renvoyé du Canada.
[24] L’agente s’est alors penchée sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire et a noté que cette demande n’avait pas non plus été faite en temps utile et ne faisait donc pas obstacle au renvoi de M. Lewis du Canada. L’agente a ensuite déclaré que procéder à une évaluation complémentaire de la demande pour motifs d’ordre humanitaire outrepasserait sa compétence.
[25] En ce qui concerne les conséquences du renvoi pour M. Lewis, l’agente a noté que la séparation de la famille est souvent la conséquence malheureuse du processus de renvoi, mais ne justifie pas en soi le report demandé. L’agente d’exécution a également déclaré qu’elle estimait que la séparation de M. Lewis d’avec les membres de sa famille pouvait être temporaire et qu’elle n’était pas convaincue qu’il avait démontré qu’il serait incapable de s’appuyer sur son expérience de travail au Canada afin d’obtenir un emploi rémunérateur [traduction] « dès son arrivée au Guyana ».
[26] L’agente d’exécution a ensuite examiné les répercussions du renvoi pour la fille de M. Lewis, notant que son pouvoir se limitait à l’examen de l’incidence à court terme du renvoi sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans l’appréciation de cet intérêt, l’agente d’exécution a accepté que l’enfant accompagne son père au Guyana et a donc déclaré qu’elle était convaincue que les bons soins de son père atténueront toute période d’adaptation à laquelle l’enfant peut être confrontée après avoir quitté le Canada.
[27] En ce qui a trait à l’importance que revêt pour l’enfant le maintien d’un lien avec sa culture autochtone, l’agente d’exécution a rejeté cette préoccupation dans un seul paragraphe, ainsi rédigé :
[traduction] Je reconnais que le patrimoine autochtone [de l’enfant] revêt une grande importance pour elle et pour son père. Je ne suis cependant pas convaincue que les arguments de l’avocat démontrent que le renvoi de M. Lewis du Canada empêchera [l’enfant] de maintenir des liens étroits avec sa communauté autochtone et avec sa culture et ses traditions. Je constate par exemple que [l’enfant] peut rentrer au Canada en tout temps pour participer à « des danses, des pow-wows, des conférences, des événements spéciaux, des activités organisées par des centres autochtones et des foires artisanales autochtones » que son père a mentionnés dans son affidavit et je constate également qu’elle peut revenir au Canada chaque fois que son tuteur légal le lui permet pour rendre visite à sa mère, à la famille de sa mère et aux membres de la bande Gwich’in à Yellowknife. [Souligné dans l’original.]
[28] L’agente d’exécution a conclu son analyse en soulignant les condamnations pénales et les antécédents en matière d’immigration de M. Lewis, notamment ses omissions de se présenter au Centre de contrôle-cautionnements après avoir été remis en liberté après sa mise en détention par les autorités de l’immigration. À la lumière de toutes ces considérations, l’agente d’exécution a conclu que le report du renvoi de M. Lewis n’était pas indiqué et a par conséquent rejeté sa demande présentée au titre de l’article 48 de la LIPR.
B. La décision de la Cour fédérale
[29] M. Lewis a soulevé devant la Cour fédérale des questions similaires à celles qu’il soulève devant nous, à savoir que la décision de l’agente d’exécution porte atteinte aux droits de son enfant garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agente était déraisonnable. La Cour fédérale a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’examen de ces deux questions.
[30] En ce qui concerne la question relative à la Charte, la Cour fédérale a conclu que le statut autochtone de l’enfant ne mettait en jeu aucun intérêt protégé par l’article 7, notamment du fait qu’elle n’était pas visée par une mesure de renvoi du Canada. La Cour a également rejeté la thèse de M. Lewis voulant que doivent s’appliquer à la situation de l’enfant, avec les modifications nécessaires, les principes des arrêts R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 (Gladue); R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433 (Ipeelee) et R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167 (Anderson).
[31] Cette jurisprudence, qui se rapporte à des affaires pénales, concerne l’alinéa 718.2e) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (Code criminel). L’alinéa 718.2e) exige que la Cour examine « plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones … toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité ». À l’occasion des affaires Gladue, Ipeelee et Anderson, la Cour suprême du Canada a entrepris l’examen détaillé des injustices historiques et de la discrimination que les autochtones ont vécue au Canada. La Cour a conclu que l’alinéa 718.2e) du Code criminel exige que le juge chargé de la détermination de la peine tienne compte des facteurs systémiques qui contribuent à la surreprésentation des délinquants issus des peuples autochtones dans le système de justice pénale et, dans la mesure du possible, adapte les sanctions à la situation des délinquants autochtones à la lumière de ces facteurs, notamment par l’examen d’approches autres que l’incarcération si elles sont opportunes et possibles. Dans la présente affaire, la Cour fédérale a conclu que ces principes ne jouent pas en matière d’immigration.
[32] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour fédérale a conclu que l’analyse de l’agente d’exécution était raisonnable, en grande partie parce que la Cour a jugé qu’il était prématuré de supposer que l’enfant quitterait le Canada avec son père quand il sera renvoyé au Guyana.
[33] La Cour a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire.
III. Question préliminaire — l’opportunité des questions certifiées
[34] L’intimé soulève une objection préliminaire quant à la compétence de notre Cour pour entendre le présent appel, affirmant que la Cour fédérale avait incorrectement certifié les questions en vertu de l’article 74 de la LIPR dans la présente instance. L’intimé a donc demandé que le présent appel soit rejeté pour défaut de compétence.
[35] L’article 74 de la LIPR recense les conditions nécessaires pour que notre Cour ait compétence pour entendre l’appel d’une décision de la Cour fédérale dans une affaire comme celle dont est saisie notre Cour et dispose, dans le passage pertinent, qu’une décision n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale « que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ».
[36] La jurisprudence de notre Cour enseigne que, pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, et que la Cour ait compétence pour entendre l’appel, la question certifiée par la Cour fédérale doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été discutée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non des motifs du juge (ou de la manière dont la Cour fédérale peut avoir tranché l’affaire) : Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, au paragraphe 9; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28 et 29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89 (Zazai), aux paragraphes 11 et 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.), au paragraphe 4.
[37] La jurisprudence reconnaît en outre qu’une fois qu’une question a été dûment certifiée, notre Cour peut examiner toute question en litige dans l’appel sans se borner à n’examiner que la question, ou les questions, ayant fait l’objet de la certification : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), au paragraphe 12; Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 (Mudrak), au paragraphe 19; Zazai, au paragraphe 10.
[38] L’intimé affirme que les deux questions ont été certifiées à tort par la Cour fédérale dans la présente affaire puisque la situation de M. Lewis et de sa fille est peu commune et qu’il est peu probable qu’un autre enfant d’origine autochtone soit obligé de quitter le Canada avec un parent interdit de territoire qui en a la garde et qui fait l’objet d’une mesure de renvoi par l’ASFC. L’intimé soutient donc que les questions certifiées par la Cour fédérale ne soulèvent pas de questions de grande importance ou de portée générale. A l’appui de cette affirmation, l’intimé souligne le fait que les questions soulevées dans le présent appel n’ont jamais fait l’objet de discussions dans la jurisprudence.
[39] À mon avis, le fait que ces questions n’aient jamais fait l’objet de discussions dans la jurisprudence ne signifie pas qu’elles se présentent rarement ou qu’elles ne peuvent pas être dûment certifiées en vertu de l’article 74 de la LIPR. En effet, pour qu’une question soit d’importance générale aux termes de l’article 74 de la LIPR, elle ne peut pas avoir déjà été tranchée dans la jurisprudence : Mudrak, au paragraphe 36; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Amado-Cordeiro, 2004 CAF 120. Ainsi, toutes les questions certifiées à bon droit ne bénéficient d’aucune source jurisprudentielle.
[40] En l’absence de tout élément de preuve portant sur la fréquence des cas comme celui de M. Lewis et de sa fille, je ne suis pas prête à conclure que la Cour fédérale a certifié à tort les questions soulevées dans cette affaire. Par conséquent, je rejetterais l’objection préliminaire de l’intimé.
IV. L’appel sur le fond
[41] Passant à l’examen de l’appel sur le fond, puisqu’il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale relative à une demande de contrôle judiciaire, nous appliquerons la norme de contrôle consacrée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47. Cette norme exige que la cour d’appel se substitue au juge de première instance, recherche si ce dernier a retenu la norme de contrôle appropriée et, dans l’affirmative, décide s’il a appliqué cette norme correctement. Ainsi, nous sommes appelés à reprendre l’analyse requise dans la procédure en contrôle judiciaire.
A. La norme de contrôle
[42] Pour ce qui est de la première partie de cette analyse — rechercher si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée — je retiens la conclusion de la Cour fédérale portant que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la décision de l’agente d’exécution dans son intégralité, y compris l’examen de la question de savoir si cette décision est contraire à l’article 7 de la Charte.
[43] Le droit est bien fixé : la norme de la décision raisonnable joue généralement en matière d’examen des décisions prises par des agents d’exécution en vertu de l’article 48 de la LIPR : Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 (Shpati), au paragraphe 27; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311 (Baron), au paragraphe 25. Quant à la question relative à la Charte, lorsque, comme en l’espèce, il faut décider si la décision discrétionnaire d’un décideur administratif respecte les valeurs de la Charte, la Cour suprême du Canada enseigne que la norme de la décision raisonnable joue également : École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, aux paragraphes 3, 4 et 32; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, aux paragraphes 57 et 58. Ainsi, la décision de l’agente d’exécution doit être examinée selon le critère de la raisonnabilité.
B. Les thèses présentées en appel
[44] M. Lewis et l’intervenante présentent trois principales thèses à l’appui de la demande d’annulation de la décision de l’agente.
[45] Ils soutiennent d’abord que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 (Kanthasamy), doit être interprétée comme ayant succédé à la jurisprudence de notre Cour concernant la portée de l’examen que les agents de l’ASFC sont tenus de consacrer à l’intérêt supérieur des enfants pour décider ou non d’accorder le report de la mesure de renvoi prévue à l’article 48 de la LIPR.
[46] La jurisprudence antérieure de notre Cour — Baron, aux paragraphes 49 à 51 et Shpati, au paragraphe 45 — enseigne que l’agent d’exécution examinant la demande de report de la mesure de renvoi prévue à l’article 48 de la LIPR n’est pas habilité à mener ce qui équivaudrait à un véritable examen de l’intérêt d’un demandeur, comme ce serait le cas à l’égard d’une demande pour motifs humanitaires présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR. C’est également le cas lorsque les intérêts d’enfants sont invoqués : Baron, au paragraphe 57; Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (QL) (C.A.) (Langner).
[47] M. Lewis et l’intervenante soutiennent que cette jurisprudence ne fait plus autorité vu la jurisprudence Kanthasamy, qui, selon eux, appelle un examen beaucoup plus approfondi de l’intérêt supérieur des enfants touchés par la demande de report de la mesure de renvoi du Canada imposée à leur(s) parent(s). À l’appui de cette thèse, ils disent que le raisonnement de la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Kanthasamy et l’alinéa 3(3)f) de la LIPR exigent que tous les décideurs, en appliquant la LIPR, se conforment à la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] des Nations Unies (la Convention). Ils affirment en outre que la Convention exige qu’aucune décision de mise en œuvre de la LIPR ayant des répercussions sur les enfants, dont les décisions relatives aux demandes de report de la mesure de renvoi prévue à l’article 48, ne puisse être prise sans que l’intérêt supérieur des enfants soit soigneusement examiné et pris en considération de façon prioritaire. Comme cela ne s’est pas produit dans la présente affaire dont notre Cour est saisie, ils soutiennent que la décision de l’agente d’exécution doit être annulée.
[48] M. Lewis va plus loin et soutient que l’analyse requise n’en est pas une qui peut être entreprise par les agents d’exécution de l’ASFC compte tenu de leur mandat limité. En d’autres termes, puisque l’article 48 ne confère pas aux agents d’exécution l’autorité compétente pour prendre à l’égard d’enfants des décisions complexes conformes à la jurisprudence Kanthasamy, une telle décision sera incomplète et donc déraisonnable. En conséquence, M. Lewis soutient qu’il avait le droit d’obtenir le report de son renvoi jusqu’à ce que sa demande d’ordre humanitaire ait été entendue sur le fond. Il soutient qu’il en est ainsi puisque c’est seulement à ce stade que l’analyse des répercussions de son renvoi sur l’intérêt supérieur de sa fille peut être entreprise.
[49] M. Lewis fait d’autre part valoir que les principes consacrés par les arrêts Gladue, Ipeelee et Anderson (que j’appelle collectivement la « doctrine Gladue ») ne jouent pas uniquement en matière de détermination de la peine dans le domaine pénal, invoquant la jurisprudence allant dans le sens de cette thèse : United States of America v. Leonard, 2012 ONCA 622, 112 O.R. (3d) 496; R. v. Robinson, 2009 ONCA 205, 95 O.R. (3d) 309; Frontenac Ventures Corporation v. Ardoch Algonquin First Nation, 2008 ONCA 534, 91 O.R. (3d) 1; R. v. Sim (2005), 78 O.R. (3d) 183, 201 C.C.C. (3d) 482 (C.A.); Twins c. Canada (Procureur général), 2016 CF 537, [2017] 1 R.C.F. 79; Law Society of Upper Canada v. Terence John Robinson, 2013 ONLSAP 18 (Robinson LSUC) (affiché sur CanLII). Il affirme que la doctrine Gladue est de nature quasi constitutionnelle et appelle, sur le fondement de l’article 7 de la Charte, un examen approfondi au fond des répercussions de son renvoi sur sa fille avant qu’il soit renvoyé du Canada. Il réitère qu’un tel examen ne peut être effectué que par un agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire (agent CH) en application de l’article 25 de la LIPR et non par des agents d’exécution, étant donné la portée limitée de la compétence qu’ils tirent de l’article 48 de la LIPR.
[50] Enfin, M. Lewis et l’intervenante soutiennent que l’examen de l’intérêt supérieur de la fille de M. Lewis par l’agente d’exécution n’était pas raisonnable puisque l’agente n’a pas suffisamment tenu compte de l’importance pour l’enfant de maintenir un lien avec ses racines et son patrimoine autochtones, ce dont elle serait privée au Guyana. Ils soutiennent également qu’il n’y a aucun fondement rationnel à l’hypothèse émise par l’agente d’exécution voulant que l’enfant puisse revenir au Canada. L’intervenante note en outre que les enfants autochtones sont parmi les plus vulnérables au Canada et que, même si la doctrine Gladue ne joue pas quant aux demandes faites en vertu de la LIPR, l’analyse adéquate de l’intérêt supérieur des enfants autochtones dont le parent gardien est renvoyé du Canada appelle la reconnaissance de la situation de ces enfants et de l’importance du maintien d’un lien avec leur culture, leur communauté et leurs terres ancestrales. Étant donné que nul de ces points n’a fait l’objet d’une analyse pertinente par l’agente d’exécution, l’intervenante soutient que sa décision doit être annulée.
C. Analyse
1) Généralités relatives à l’article 48
[51] Il est utile de commencer par l’examen de l’article 48 de la LIPR et du rôle que joue cette disposition dans le contexte plus large de la LIPR. L’article 48 dispose à l’heure actuelle :
Mesure de renvoi
48 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.
Conséquence
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.
La disposition était identique au moment où l’agente d’exécution a pris sa décision. On pourrait avancer que le libellé du paragraphe 48(2) était auparavant plus général, exigeant que les mesures de renvoi soient exécutées « dès que les circonstances le permettent » (par opposition à l’exigence actuelle relative à l’exécution « dès que possible »).
[52] Les demandes de report, comme celle présentée par M. Lewis en l’espèce, sont généralement faites après que le demandeur a eu — ou avait eu la possibilité d’avoir — plus d’une audience devant d’autres décideurs pour l’application de la LIPR. Ces décideurs sont chargés de l’appréciation d’un éventail de questions, notamment de rechercher si les candidats seraient exposés à un risque de torture ou à des risques pour leur vie ou leur bien-être qui font obstacle à leur renvoi dans leur pays d’origine pour les raisons énoncées à l’article 97 (ou, selon le cas, à l’article 96) de la LIPR ou si des motifs d’ordre humanitaire militent en faveur d’une autorisation à rester au Canada. L’appréciation du risque est généralement menée par la Section de la protection des réfugiés de la C.I.S.R., dans le cadre d’une demande d’asile, et par les agents d’ERAR, avant le renvoi. Des motifs d’ordre humanitaire peuvent faire l’objet d’un examen par la SAI dans le cadre d’une demande de sursis à une mesure de renvoi, comme dans le cas de M. Lewis, et peuvent également être pris en considération par les délégués du ministre en application de l’article 25 de la LIPR.
[53] Plusieurs de ces voies étaient possibles pour M. Lewis, qui s’est prévalu de certaines. L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y aurait aucun risque pour M. Lewis s’il était renvoyé au Guyana qui justifierait qu’il reste au Canada au titre de l’article 97 de la LIPR. La SAI a d’abord accordé le sursis à la mesure de renvoi pour des considérations d’ordre humanitaire et n’a annulé ce sursis que lorsque M. Lewis a négligé de se conformer à la condition de tenir CIC au courant de ses déplacements. À tout moment par la suite, M. Lewis aurait pu présenter une demande CH au titre de l’article 25 de la LIPR et invoquer les mêmes arguments qu’il avait avancés devant l’agente d’exécution de l’ASFC. Il ne s’est cependant pas prévalu de cette possibilité jusqu’à ce qu’il soit confronté au renvoi.
[54] Le report est généralement la dernière demande faite par des personnes qui n’ont pas le droit de demeurer au Canada. Compte tenu de cette situation et du texte utilisé par le législateur à l’article 48 de la LIPR ordonnant que les mesures de renvoi soient exécutées dès que possible (ou anciennement, dès que les circonstances le permettent), notre Cour et la Cour fédérale ont longtemps jugé que les agents d’exécution disposent de peu de latitude : Shpati, au paragraphe 45; Baron, au paragraphe 51; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 45; et Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15668 (C.F. 1re inst.) (Simoes), au paragraphe 12.
[55] Comme la Cour l’a noté à l’occasion de l’affaire Baron au paragraphe 49 (citant avec approbation Simoes, une jurisprudence antérieure de la Cour fédérale) :
[…] le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et […] il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent [d’exécution] chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face.
[56] Notre Cour a ensuite retenu l’autre enseignement de la jurisprudence Simoes selon lequel : « la simple existence d’une demande CH n’empêchait pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide » et que « l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi » (Baron, au paragraphe 50). Le fait que l’intéressé susceptible de renvoi est le parent d’un enfant né au Canada qui pourrait accompagner le parent dans le pays d’origine ne justifie pas non plus le report; c’était précisément le cas dans l’affaire Baron et, en fait, c’est souvent le cas pour ceux qui restent au Canada alors que leur demande d’immigration est en cours de traitement.
[57] Ainsi, en vertu de la jurisprudence bien établie et de longue date selon laquelle le simple fait qu’une demande CH ait été faite peu avant la date butoir par les personnes susceptibles d’être renvoyées ou le fait qu’elles pourraient emmener leurs enfants nés au Canada avec elles lorsqu’elles seront renvoyées du Canada ne signifie pas que le report de la mesure prévue à l’article 48 de la LIPR est justifié. L’agent d’exécution n’est pas non plus habilité à se livrer à une véritable analyse de l’intérêt supérieur de ces enfants, car cela équivaudrait à usurper la fonction des agents chargés d’examiner les circonstances d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la LIPR.
[58] Cela dit, la jurisprudence de la Cour fédérale reconnaît que l’agent d’exécution, dans certains cas appropriés, peut être tenu de se livrer à une étude de l’intérêt supérieur, à court terme, de l’enfant qui pourrait être touché par le renvoi de ses parents.
[59] À l’occasion de l’affaire Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2006] 2 R.C.F. 664 (Munar), le juge de Montigny (alors juge de la Cour fédérale) a conclu que le pouvoir discrétionnaire restreint conféré par la version précédente de l’article 48 de la LIPR n’était pas incompatible avec les obligations imposées à l’État canadien par la Convention parce que tant la Cour suprême du Canada — par la jurisprudence Baker (l’arrêt faisant autorité en matière de principes applicables à l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants dans le contexte de l’immigration) — que la Convention reconnaissent que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ne constitue pas une carte maîtresse qui rend la séparation d’un parent et de son enfant imposée par un État automatiquement inexécutoire. Ce principe appelle la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants en question, mais n’impose aucune solution particulière (Munar, aux paragraphes 33 et 34). Dans le passage souvent cité de la décision Munar, aux paragraphes 36 à 40, le juge de Montigny a défini le type requis d’évaluation par les agents d’exécution de l’intérêt supérieur des enfants lorsque les parents sollicitent le report de leur renvoi imposé en vertu de l’article 48 de la LIPR :
[...] on ne peut pas exiger des agents de renvoi qu’ils se livrent à un examen approfondi des motifs humanitaires que l’on doit examiner dans le cadre d’une évaluation CH. Ceci constituerait non seulement une « demande préalable » CH [...] mais il y aurait double emploi jusqu’à un certain point avec la vraie évaluation CH. Ce qui est plus important encore, c’est que les agents [d’exécution] n’ont aucune compétence ou autorité déléguée pour décider d’une demande de résidence permanente présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR. Ils sont employés par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui est sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et non par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ils n’ont pas la formation requise pour faire une évaluation CH.
Ceci étant, si on veut prendre au sérieux l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut examiner jusqu’à un certain point ce qui lui arriverait si son père ou sa mère ou les deux devaient être renvoyés du Canada. Comme c’est souvent le cas, je crois que la solution se trouve quelque part entre les positions extrêmes adoptées par les parties. Bien qu’il n’y ait pas lieu de décréter un empêchement absolu au renvoi, il serait tout aussi inacceptable d’adopter l’approche où l’agent [d’exécution] n’examine pas du tout la situation de l’enfant.
[…] l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une question de tout ou rien, mais bien une question de degré. Alors qu’une analyse approfondie est nécessaire dans le contexte d’une demande CH, un examen moins élaboré peut suffire dans le contexte d’autres décisions à prendre. Au vu de l’article 48 de la Loi, ainsi que de l’économie générale de celle-ci, […] l’obligation de l’agent [d’exécution] d’examiner l’intérêt des enfants nés au Canada se situe du côté d’un examen moins élaboré […]
[...]
[…] Il doit tenir compte est l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Par exemple, il est clair que l’agent [d’exécution] a le pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi jusqu’à ce que l’enfant ait terminé son année scolaire, si l’enfant doit quitter avec l’un de ses parents. De la même façon, je ne peux tirer la conclusion que l’agent [d’exécution] ne devrait pas vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. Il est clair que ceci est dans son mandat, dans la mesure où l’article 48 de la LIPR doit s’accorder avec les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le fait de s’enquérir de la question de savoir si on s’occupera correctement d’un enfant ne constitue pas une évaluation CH approfondie et ne fait en aucune façon double emploi avec le rôle de l’agent d’immigration qui doit par la suite traiter d’une telle demande […]
[60] Bien que la décision Munar portait sur une demande de sursis à un renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande CH, le raisonnement du juge de Montigny a été suivi par la Cour fédérale lorsqu’elle a examiné la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Munar de la mesure de renvoi prononcée en application de l’article 48 : Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 761, aux paragraphes 18 et 19 (affiché sur CanLII). En outre, les conclusions de la décision Munar ont été appliquées par la Cour fédérale dans ses décisions relatives à des demandes de contrôle judiciaire présentées à l’encontre de mesures de renvoi prévues à l’article 48 dans les cas où des enfants étaient concernés : voir, p. ex., Nguyen c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 225, au paragraphe 15 (affiché sur CanLII); Danyi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112 (Danyi), au paragraphe 30 (affiché sur CanLII); Baptiste c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1359, au paragraphe 9; Kampemana c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1060, aux paragraphes 33 et 34 (affiché sur CanLII); Ezquivel c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 995, au paragraphe 32 (affiché sur CanLII); Khamis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 437 (Khamis), au paragraphe 30 (affiché sur CanLII); Turay c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1090, au paragraphe 21 (affiché sur CanLII).
[61] Ainsi, la jurisprudence actuelle permet à l’agent d’exécution d’examiner l’intérêt supérieur à court terme des enfants lorsque leurs parents font l’objet d’un renvoi du Canada, mais il ne peut se livrer à une véritable analyse des motifs d’ordre humanitaire quand il s’agit de déterminer l’intérêt supérieur à long terme de ces enfants.
[62] Avec cette toile de fond à l’esprit, je me pencherai sur les moyens avancés en l’espèce par M. Lewis et par l’intervenante.
2) Le moyen tiré de la Charte
[63] Il convient d’examiner, en premier lieu, le moyen tiré de la Charte, car il peut être tranché rapidement. Le point de départ de la discussion est ce que l’intimé appelle un [traduction] « principe fondamental dans le contexte de l’immigration » (exposé des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 55), à savoir que l’article 7 de la Charte ne fait pas obstacle au renvoi du Canada des non-citoyens si ces personnes ne sont pas exposées dans leur pays d’origine à des risques qui les rendraient admissibles à la protection que prévoit l’article 97 de la LIPR : Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 5, 78 et 79; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, 1992 CanLII 87 à la page 733. Puisque rien n’indique que M. Lewis serait exposé à de tels risques, les droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte ne sont pas enfreints par la mesure de renvoi. Bref, ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne consacrés par la Charte ne seront pas enfreints s’il est renvoyé au Guyana.
[64] Entre outre, à mon avis, les droits que son enfant puise dans l’article 7 de la Charte ne seront pas non plus touchés. Rien ne laisse croire que, si elle devait accompagner M. Lewis au Guyana, elle serait exposée à un type de risque énoncé à l’article 97 de la LIPR qui pourrait proscrire le renvoi. De plus, notre Cour a jugé que le renvoi de parents d’enfants canadiens de naissance dans leur pays d’origine lorsqu’ils sont interdits de territoire au Canada ne portait pas atteinte aux droits des enfants garantis par l’article 7 : Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, [2009] 4 R.C.F. 293, au paragraphe 49; Langner, aux paragraphes 7 à 9. Ainsi, si l’enfant de M. Lewis n’était pas d’ascendance autochtone, rien ne permettrait d’affirmer que les droits qu’elle puise dans l’article 7 de la Charte pourraient être touchés par le renvoi de M. Lewis.
[65] Je ne vois pas comment l’ascendance autochtone de l’enfant impose une conclusion différente. Bien que son ascendance revête une grande importance dans le type d’analyse que nécessite un examen adéquat de son intérêt supérieur à court terme dans le contexte de la procédure de renvoi (j’y reviendrai en détail), son ascendance en soi ne fait intervenir aucun droit protégé par la Charte qui fait obstacle au renvoi de son père, même si M. Lewis invoque la doctrine Gladue.
[66] Comme il a été expliqué, la doctrine Gladue découle de l’alinéa 718.2e) du Code criminel qui porte sur la détermination de la peine et exige que le juge examine les solutions de rechange à l’incarcération, dans la mesure du possible. L’incarcération, par définition, implique la privation de liberté; la peine d’incarcération doit donc être imposée conformément aux principes de justice fondamentale pour être conforme à l’article 7 de la Charte. Le droit à la liberté est également soulevé dans la jurisprudence qui ne porte pas sur la détermination de la peine citée par l’appelant : l’on peut être assujetti à la détention provisoire par une décision relative au cautionnement, à l’emprisonnement à l’étranger en cas d’extradition et au placement en établissement psychiatrique par un verdict de non-responsabilité criminelle. Ainsi, dans ces cas, l’article 7 de la Charte pourrait bien appeler une analyse conforme à la doctrine Gladue lorsque la personne visée par la sanction est d’ascendance autochtone. L’article 7 de la Charte joue dans de tels cas parce qu’il y va de la liberté des personnes touchées, mais non pas en raison de leur statut d’Autochtones.
[67] En revanche, aucun droit garanti par l’article 7 n’est en l’espèce touché par le renvoi de M. Lewis au Guyana. Ainsi, il n’est pas nécessaire de décider si la mesure de renvoi est conforme à la justice fondamentale puisque les droits que l’article 7 garantit à M. Lewis et à sa fille ne sont tout simplement pas en cause.
[68] Quant à la décision Robinson LSUC invoquée par M. Lewis, elle ne fait nulle mention de la Charte, mais discute le genre de peine qu’un comité de discipline d’un barreau doit imposer à un avocat d’ascendance autochtone reconnu coupable de voies de fait. Elle n’est donc pas pertinente pour l’argument fondé sur la Charte de M. Lewis.
[69] Je conclus donc que le moyen puisé dans la Charte est sans fondement et que les droits que M. Lewis et sa fille tirent de l’article 7 de la Charte ne seraient pas touchés par le renvoi de M. Lewis au Guyana. De même, l’article 7 de la Charte n’exige pas en l’espèce qu’une analyse d’une autre nature soit effectuée par l’agente d’exécution.
3) La jurisprudence Kanthasamy et l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant requise des agents d’exécution
[70] Je passe maintenant à l’argument selon lequel l’enseignement de la Cour suprême du Canada consacré par la jurisprudence Kanthasamy appelle, de la part des agents d’exécution, une analyse de l’intérêt supérieur des enfants touchés plus approfondie qu’auparavant selon la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale ou encore le report d’une telle analyse jusqu’à ce qu’il soit statué sur une demande fondée sur des motifs humanitaires.
[71] Je commence par noter que l’affaire Kanthasamy portait, non pas sur la décision d’un agent d’exécution concernant l’article 48 de la LIPR, mais sur la décision d’un représentant ministériel en vertu de l’article 25 de la LIPR. L’article 25 de la LIPR, contrairement à l’article 48, exige expressément que le décideur apprécie l’intérêt supérieur de tout enfant qui sera directement touché par le refus de prendre de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. L’article 25 dispose à cet égard :
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger
25 (1) […] le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire […], soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada […] qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.
[72] L’opinion des juges majoritaires dans l’arrêt Kanthasamy repose en grande partie sur le fait que l’article 25 de la LIPR exige explicitement qu’un agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire prenne en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés. Au nom de la majorité, au paragraphe 40 de l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella observait :
Lorsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant « directement touché », cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse […]
[73] Même s’il faut accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant touché une « considération singulièrement importante » dans l’analyse relative à l’article 25, il ne s’ensuit pas que l’intérêt supérieur des enfants touchés doive l’emporter sur les autres considérations de l’analyse. Dans les paragraphes précédant le paragraphe 40 de l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella cite de longs extraits de l’arrêt Baker. Dans le passage cité, la juge L’Heureux-Dubé a observé (Baker, au paragraphe 75) :
[…] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.
[74] À la lumière de ce qui précède, je rejette la thèse de M. Lewis et de l’intervenante portant que la jurisprudence Kanthasamy exige qu’une véritable analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant soit entreprise avant qu’un parent de l’enfant puisse être renvoyé du Canada ou que l’intérêt supérieur de l’enfant doive l’emporter sur les autres considérations dans l’analyse. À mon avis, la jurisprudence Kanthasamy vise uniquement les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire prises en vertu de l’article 25 de la LIPR et, même dans ces cas, n’impose pas que l’intérêt supérieur des enfants touchés constitue la considération prioritaire.
[75] Quant aux exigences de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR et de la Convention d’une manière plus générale, je crois que l’arrêt Munar caractérise correctement l’incidence de ces dispositions sur le type d’analyse que doit effectuer un agent d’exécution.
[76] L’alinéa 3(3)f) de la LIPR énonce une règle d’interprétation prévoyant que l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent avoir pour effet « de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ». Notre Cour et la Cour suprême du Canada ont jugé que cette disposition n’incorpore pas des instruments internationaux dont le Canada est signataire au droit interne, mais établit plutôt le fondement contextuel nécessaire à l’interprétation et donne lieu à la présomption selon laquelle la loi doit être interprétée d’une manière conforme aux obligations internationales du Canada : B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704, au paragraphe 49; Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2009] 3 R.C.F. 294, aux paragraphes 34 à 37; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 82 à 89.
[77] Contrairement à ce que l’intervenante affirme, la Convention ne prescrit pas que l’intérêt supérieur de l’enfant doive être la priorité de tous les décideurs administratifs chargés de prendre des décisions qui pourraient avoir des répercussions sur les enfants. L’article 3 de la Convention prévoit plutôt au passage pertinent que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants […], l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (soulignement ajouté). Ainsi, l’article 3 de la Convention exige que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une priorité, mais pas l’unique priorité. Comparons ce libellé à celui de l’article 21 de la Convention, dans les cas d’adoption, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « la considération primordiale ».
[78] Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies reconnaît la différence entre ces deux obligations dans son Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1), Doc. N.U. CRC/C/GC/14 (29 mai 2013), indiquant aux paragraphes 38 et 39 comme suit :
En matière d’adoption (art. 21), le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est encore renforcé; il ne doit pas être simplement « une considération primordiale », mais « la considération primordiale ».
Comme [...] l’article 3 couvre un large éventail de situations, le Comité reconnaît cependant la nécessité d’un certain degré de souplesse dans son application [...] [En caractère gras dans l’original.]
[79] L’article 25 de la LIPR prévoit le mécanisme par lequel l’intérêt supérieur des enfants doit être pleinement apprécié conformément aux obligations imposées à l’État canadien par la Convention. Par l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a expliqué en détail ce que cette appréciation implique.
[80] Il appartenait à M. Lewis de faire une demande fondée sur l’article 25 de la LIPR à tout moment après la naissance de sa fille. S’il l’avait fait, l’intérêt de sa fille aurait probablement déjà été pleinement apprécié par un agent chargé d’examiner les considérations d’ordre humanitaire dans le cadre d’une telle demande. Cependant, il n’a fait cette demande que peu de temps avant la date prévue de son renvoi. À mon avis, cela ne lui donne pas le droit de faire obstacle à son renvoi. S’il en était autrement, il en résulterait une échappatoire importante dans le régime de la LIPR, qui se traduirait par de plus longs séjours au Canada pour ceux qui font l’objet d’une mesure de renvoi. Dans de nombreux cas, de tels séjours prolongés ne sont probablement dans l’intérêt de personne.
[81] L’incidence de la Convention sur le type d’appréciation qui doit être effectuée par les agents d’exécution a été discutée directement par notre Cour à l’occasion de l’affaire Baron. Notre Cour a alors conclu sans équivoque au paragraphe 47 que la Convention n’exige ni une véritable analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par un agent d’exécution ni le report du renvoi tant qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée en temps inopportun n’a pas été réglée. Au contraire, retenant les observations de l’arrêt Simoes, notre Cour à l’occasion de l’affaire Baron a reconnu que c’est seulement lorsqu’une demande CH présentée en temps utile est toujours en suspens en raison d’un retard dans le traitement que le report peut être justifié.
[82] Ainsi, ni la jurisprudence Kanthasamy ni la Convention n’imposait en l’espèce à l’agente d’exécution de procéder à une véritable appréciation de l’intérêt supérieur de la fille de M. Lewis ou d’accorder le report demandé jusqu’à ce que la demande CH de M. Lewis présentée à la dernière minute fasse l’objet d’une décision d’un représentant ministériel. L’agente d’exécution n’était tenue que de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme.
[83] La jurisprudence antérieure enseigne que ces intérêts à court terme englobent des questions telles que la nécessité qu’un enfant termine son année scolaire au cours de la période visée par la demande de report (voir, p. ex., Munar, au paragraphe 40; Khamis, au paragraphe 30) ou la nécessité d’assurer le bien-être des enfants qui exigent des soins médicaux continus au Canada (voir, p. ex., Danyi, aux paragraphes 36 à 40). En outre, comme il a été indiqué dans l’arrêt Munar, aux paragraphes 40 à 42, les besoins à court terme d’un enfant dont l’agent d’exécution doit tenir compte comprennent de s’assurer qu’il y aura quelqu’un pour s’occuper de lui après le renvoi de son parent ou de ses parents s’il doit demeurer au Canada.
[84] À mon avis, ces considérations sont toujours pertinentes vu le libellé actuel de l’article 48 de la LIPR, puisqu’il n’y a pas de différence significative dans l’exécution du renvoi dès que possible — et dès que les circonstances le permettent — lorsque l’intérêt supérieur vital à court terme d’un enfant est en jeu.
[85] Dans la présente affaire, l’agente d’exécution devait évaluer la situation d’un enfant autochtone dont l’unique parent gardien devait être renvoyé du Canada. Ces faits soulèvent des considérations spéciales qui ont des conséquences sur l’intérêt supérieur vital à court terme de l’enfant.
[86] Plus précisément, je retiens la thèse de l’intervenante qui affirme que les enfants autochtones sont sans doute parmi les plus vulnérables au Canada et se retrouvent en famille d’accueil beaucoup plus souvent que les enfants non autochtones. Par exemple, en 2011, 48 p. 100 des enfants de moins de 14 ans et 30 p. 100 des adolescents plus âgés en famille d’accueil au Canada étaient autochtones et plus de la moitié de ces enfants étaient pris en famille d’accueil par des non-Autochtones : voir Statistique Canada, Regards sur la société canadienne : La situation des enfants autochtones âgés de 14 ans et moins dans leur ménage (13 avril 2016), no 75-006-X au catalogue, aux pages 6, 7 et 10, cité par la Commission de vérité et réconciliation du Canada dans Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015), à la page 141. Je retiens également la thèse de l’intervenante portant que le bien-être d’un enfant autochtone sera accru s’il maintient un lien avec sa culture, son patrimoine et, idéalement, son territoire, pour favoriser un sentiment d’appartenance et de fierté. La Convention reconnaît l’importance d’un tel lien et précise à l’article 30 :
Article 30
Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.
[87] L’importance de donner tout son sens à cette disposition au regard des politiques et programmes du gouvernement fédéral visant à assurer le bien-être des enfants autochtones au Canada a été reconnue par le Comité sénatorial permanent des Droits de la personne en avril 2007 dans un rapport final : Les enfants : des citoyens sans voix : mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants, aux pages 188, 196, 197 et 205 à 207.
[88] Ces questions soulèvent dans la présente affaire l’intérêt supérieur de l’enfant à la fois à court et à long terme, compte tenu des conséquences qu’aurait le renvoi sur le lien de l’enfant avec ses racines autochtones pour la période visée par la demande de report. Ainsi, même en ce qui concerne l’intérêt de l’enfant à court terme, l’agente d’exécution devait être réceptive, attentive et sensible à ces questions et était tenue de leur consacrer une brève considération raisonnable.
4) La décision de l’agente d’exécution était-elle raisonnable?
[89] Je passe donc au dernier point soulevé par les parties — le caractère raisonnable de la décision de l’agente d’exécution dans la présente affaire. L’agente d’exécution a reconnu qu’il était important pour la fille de M. Lewis de maintenir [traduction] « un lien étroit avec sa collectivité, sa culture et ses traditions autochtones » pendant la période visée par la demande de report. Constatant que l’enfant irait vivre au Guyana avec son père, l’agente d’exécution a tenu le raisonnement que l’enfant [traduction] « pourrait revenir au Canada pour participer à “des danses, des pow-wows, des conférences, des événements spéciaux, des activités organisées par des centres autochtones et des foires artisanales autochtones” » et qu’elle [traduction] « peut revenir au Canada chaque fois que son tuteur légal le lui permet pour rendre visite à sa mère, à la famille de sa mère et aux membres de la bande Gwich’in à Yellowknife ».
[90] En tout respect, l’hypothèse voulant que l’enfant puisse revenir au Canada n’est que pure conjecture et donc déraisonnable. Son père est interdit de territoire et ne pourrait vraisemblablement pas accompagner sa fille qui avait alors 8 ans au pays. L’agente d’exécution n’explique pas comment il serait possible pour l’enfant de revenir au Canada par ses propres moyens, et rien ne donne à penser que quiconque serait en mesure de l’accompagner. Peut-être plus important encore, compte tenu de l’âge de son père, de sa situation économique, de ses compétences, du fait qu’il n’a pas de relations au Guyana, des conditions qui existent dans ce pays ainsi que de la situation de la mère de l’enfant, il n’y a aucune raison de conclure que quiconque pourrait acheter un billet d’avion pour que l’enfant revienne au Canada ni aucune garantie que l’on pourrait subvenir à ses besoins de base si elle devait rentrer au Canada sans M. Lewis.
[91] Enfin, bien que l’agente d’exécution ait cité l’affidavit de M. Lewis en mentionnant « des danses, des pow-wows, des conférences et des événements spéciaux, ainsi que des activités organisées par des centres autochtones et des foires artisanales autochtones » pour qualifier le type de lien qu’il était important que l’enfant entretienne avec ses racines autochtones, cette observation rabaisse la nature profonde du degré de lien avec la culture, le patrimoine et le territoire qui est probablement important et souhaitable qu’une autochtone maintienne. Ainsi, le traitement par l’agente d’exécution de ces questions démontre une insensibilité que la jurisprudence Baker estime être l’antithèse de l’analyse requise de l’intérêt supérieur de l’enfant.
[92] En bref, ayant retenu l’idée qu’il était important pour l’enfant de maintenir un lien avec ses racines autochtones pendant la période visée par la demande de report, il incombait à l’agente d’exécution d’apprécier de manière réaliste et raisonnable si l’enfant pouvait maintenir ce lien si elle accompagnait son père au Guyana. Il me semble que, vu les faits dont était saisie l’agente d’exécution, elle ne disposait d’aucune élément en fonction duquel elle pouvait raisonnablement conclure que l’enfant pourrait maintenir un tel lien si elle était au Guyana.
[93] Quant à la suggestion de la Cour fédérale selon laquelle la décision de l’agente d’exécution devait être retenue parce qu’il n’y avait aucune raison de conclure que l’enfant quitterait le Canada, je trouve cette conclusion tout à fait dépourvue de fondement puisqu’il ressort des faits exactement le contraire. L’ASFC était prête à acheter un billet pour le Guyana pour l’enfant, et l’agente d’exécution a accepté que l’enfant accompagne M. Lewis à son retour au Guyana.
[94] Je conclus donc que la décision de l’agente d’exécution était déraisonnable.
V. Décision proposée
[95] Je répondrais donc par la négative aux deux questions certifiées comme suit :
a. Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Gladue, R. c. Ipeele et R. c. Anderson s’appliquent-ils, avec les adaptations nécessaires, aux renvois prévus à l’article 48 de la LIPR, de sorte qu’il y a lieu de tenir pleinement compte des conséquences sur l’enfant autochtone du renvoi du Canada du parent non citoyen ayant la garde avant l’exécution de la mesure de renvoi?
Réponse : non.
b. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés exige-t-il que l’on tienne compte, à l’instar de l’arrêt Gladue, des conséquences du renvoi du parent ayant la garde de l’enfant autochtone avant l’exécution de la mesure de renvoi?
Réponse : non.
[96] Toutefois, j’accueillerais le présent appel et, rendant la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’annulerais la décision de l’agente d’exécution et, si la demande CH de M. Lewis était encore en suspens, je renverrais la demande de report de M. Lewis à un autre agent de l’ASFC pour réexamen conformément aux présents motifs. Étant donné le laps de temps écoulé, M. Lewis devrait avoir la possibilité de présenter des observations supplémentaires permettant de faire le point sur sa situation et sur la situation de son enfant avant qu’une décision soit prise à l’occasion de ce réexamen. Rien dans la règle 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, ne permet l’adjudication de dépens.
Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.