Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer--Montréal, 20 septembre; Ottawa, 13 octobre 2004.
IMM-2909-03
2004 CF 1428
Catherine Cecilia (demanderesse)
c.
Solliciteur général du Canada (défendeur)
Répertorié: Cecilia c. Canada (Solliciteur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge Lemieux--Montréal, 29 juin; Ottawa, 18 octobre 2004.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Personne qui s'est vue refuser le statut de réfugiée et qui s'est fait dire de quitter le Canada à une date précise -- Contrôle judiciaire visant l'annulation de la directive et une déclaration que la mesure de renvoi est non exécutoire -- Question en litige: quand, sous la LIPR, la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle émise en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration était-elle devenue une mesure d'expulsion exécutoire? -- L'avis tardif d'une décision négative relativement à l'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) a privé la demanderesse de l'opportunité de quitter volontairement le Canada et ainsi éviter la sanction prévue à l'art. 52 de la LIPR -- Il y avait des dispositions transitoires lorsque la LIPR est entrée en vigueur -- Interprétation des lois -- Les anciennes et les nouvelles dispositions doivent être interprétées harmonieusement -- Question de savoir s'il y a un sursis statutaire -- La position du solliciteur général sur la question du sursis allait carrément à l'encontre de l'esprit du législateur -- Le nouveau régime ERAR a créé une nouvelle classe de personnes qui méritent la protection au-delà de celle accordée par la Convention -- Ceux qui sont exposés soit à une menace à leur vie ou soit au risque d'être soumis à la torture ne sont pas expulsés tant que la demande d'ERAR n'a pas été examinée -- La demanderesse avait une expectative légitime qu'elle aurait le choix de partir volontairement -- La Cour n'était pas en mesure de déclarer non exécutoire la mesure de renvoi -- Demande accueillie en partie -- L'affaire est renvoyée devant un autre agent pour l'émission d'une nouvelle directive d'interdiction de séjour.
Il s'agissait d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui visait à obtenir l'annulation de la directive de l'agent d'immigration de se présenter à l'aéroport international de Dorval en exécution d'une ordonnance de renvoi du type interdiction de séjour conditionnelle ainsi qu'une déclaration que la mesure de renvoi était non exécutoire.
Le 26 juin 2001, en vertu du paragraphe 28(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a été émise à l'encontre de la demanderesse pour omission d'obtenir un visa d'immigrant avant de se présenter à un point d'entrée. En vertu de la Loi sur l'immigration, lorsqu'une mesure d'expulsion a été émise et que la personne a été renvoyée du Canada ou l'a quitté, elle ne peut pas revenir au Canada sans l'autorisation écrite du ministre. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a par la suite décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention et sa demande de contrôle judiciaire fut rejetée. Dans l'intervalle, elle avait déposé une demande DNRSRC (demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada), comme le permettait l'ancien Règlement. Cependant, lorsque la nouvelle loi (la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR)) et le règlement (le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le RIPR)) sont entrés en vigueur le 28 juin 2002, la catégorie DNRSRC a été remplacée par un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée le 10 mars 2003. Le 8 avril 2003, l'agent d'immigration a remis en main propre à la demanderesse la décision négative ERAR, laquelle mentionnait que «[l]a mesure de renvoi prise à votre endroit est maintenant exécutoire. Vous devez partir du Canada immédiatement. [. . .] Veuillez prendre note que votre mesure de renvoi est devenue une mesure d'expulsion. À partir de maintenant, vous n'aurez plus jamais le droit de revenir au Canada sans l'autorisation écrite d'un agent».
La question était de savoir quand, sous la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle était devenue une mesure d'expulsion exécutoire. Selon la prétention de la demanderesse, ce serait le 10 avril 2003, 30 jours après le 10 mars 2003, date de la décision négative ERAR. La demanderesse a fait valoir que la communication tardive de cette décision négative l'a privée de l'opportunité de quitter volontairement le Canada et ainsi éviter la sanction prévue à l'article 52 de la LIPR. Le solliciteur général du Canada a soumis que la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle était devenue une mesure de renvoi dès l'entrée en vigueur de la LIPR. Il a laissé entendre que l'argument de la demanderesse concernant les conséquences de l'avis tardif du rejet de sa demande ERAR reposait sur l'existence d'un sursis après l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR mais qu'il n'y avait pas de sursis de la mesure d'interdiction de séjour et celle-ci était devenue exécutoire dès l'entrée en vigueur de la LIPR. La demanderesse aurait dû quitter le Canada au plus tard le 28 juillet 2002 afin d'éviter que la mesure d'interdiction de séjour soit convertie en une mesure d'expulsion. À l'entrée en vigueur de la LIPR, la mesure d'interdiction de séjour fut assujettie à cette loi en vertu du paragraphe 319(1) du RIPR: «la mesure de renvoi prise sous le régime de l'ancienne loi qui n'avait pas encore été exécutée à la date d'entrée en vigueur du présent article continue d'avoir effet et est assujettie aux dispositions de la» LIPR.
Jugement: la demande doit être accueillie en partie.
Il était essentiel d'interpréter la loi et le règlement pertinents harmonieusement et, en l'espèce, la Cour devait interpréter harmonieusement les nouvelles et les anciennes dispositions législatives et réglementaires tout en prenant en compte la disposition transitoire concernant l'ancien régime DNRSRC et les conséquences du nouveau régime ERAR sur l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour et sa transformation en une mesure de déportation dans le contexte de l'article 52 de la LIPR.
La proposition du défendeur que, à l'entrée en vigueur du régime ERAR, la mesure d'interdiction de séjour ne jouissait d'aucun sursis statutaire et que, dès le 28 juin 2002, cette mesure était devenue exécutoire, obligeant la demanderesse de quitter le Canada avant le 28 juillet afin d'empêcher la conversion de la mesure d'interdiction de séjour en une mesure d'expulsion, n'a pas été acceptée. Le ministre a laissé entendre que pour jouir d'un sursis sous le nouveau régime ERAR, toute personne, même celle ayant fait une demande de DNRSRC sous l'ancien système, doit être avisée par le ministre, sous l'article 160 du RIPR, qu'il ou elle peut faire une demande de protection sous l'article 112 de la LIPR, avis que la demanderesse n'a jamais reçu puisque sa demande ERAR était réputée être déjà introduite. Une telle interprétation irait carrément à l'encontre de l'esprit du législateur et de la raison d'être de la disposition transitoire visant les demandes de DNRSRC subsistantes lorsque le nouveau régime a commencé. Le nouveau régime ERAR a créé une nouvelle classe de personnes qui méritent la protection au-delà de celle accordée par la Convention. La logique du sursis statutaire prévu à l'article 232 du RIPR était évidente: le Canada ne veut pas refouler une personne assujettie à un risque d'être soumis à la torture ou de perdre la vie avant d'avoir examiné sa demande de protection ERAR. L'interprétation préconisée par le solliciteur général ne respectait pas l'objet de l'article 346 du RIPR concernant les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. L'intention claire de cette disposition transitoire était qu'une demande subsistante de DNRSRC était traitée comme si elle était une demande de protection et, de ce fait, l'exigence prévue à l'article 160 du RIPR, que le ministre avise l'intéressé qu'il peut faire une demande de protection aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR avant qu'un sursis statutaire puisse être créé selon l'article 232 du RIPR n'a aucune application. Au moment de l'entrée en vigueur du nouveau régime ERAR, il y avait sursis d'exécution de la mesure d'interdiction de séjour. De plus, le libellé de la lettre d'avis du 10 mars 2003 était tel qu'il pouvait créer une expectative légitime de la part de la demanderesse qu'elle aurait le choix de quitter volontairement le Canada. La communication tardive du rejet de la demande ERAR l'a privée du choix, que lui accordait la loi, d'exécuter la mesure d'interdiction de séjour en quittant volontairement. Le défendeur a commis une erreur de droit en exerçant mal la latitude qu'il possédait concernant la communication de la décision ERAR.
La Cour n'aurait pu déclarer non exécutoire la mesure de renvoi que si la demanderesse avait invoqué l'invalidité de certaines dispositions législatives et réglementaires, ce qui ne fut pas le cas. La Cour devait donc maintenir la mesure de renvoi en vigueur tout en annulant la décision qui ordonnait à la demanderesse de quitter le 26 avril 2003. L'affaire devrait être renvoyée devant un autre agent de renvoi pour qu'il émette une nouvelle directive fixant le départ de la demanderesse à une date postérieure au 1er février 2005.
lois et règlements cités
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 28 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6), 49 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41). |
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 48, 49, 52, 97, 112, 113, 114. |
Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 160, 224(1), (2), 226(1), 232, 237, 238, 240, 319, 346. |
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) (édicté par DORS/93-44, art. 1; 97-182, art. 1), 27(2)b) (mod., idem, art. 12). |
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285; (2004), 244 D.L.R. (4th) 277; 325 N.R. 369 2004 CSC 60.
décision citée:
Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 1 Admin. L.R. (2d) 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 1 B.C.A.C. 241; 127 N.R. 161.
DEMANDE de contrôle judiciaire d'un avis d'un agent d'immigration selon lequel la demanderesse doit quitter le Canada à une date précise et visant à obtenir une déclaration que la mesure de renvoi est non exécutoire. Demande accueillie en partie.
ont comparu:
Michel LeBrun pour la demanderesse.
Sébastien Dasylva pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
Lacoursière LeBrun Vézina, Trois-Rivières (Québec), pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
[1]Le juge Lemieux: Le 11 avril 2003, André Graveline, agent d'immigration à la Section d'investigation et de renvoi, avise Catherine Cecilia (la demanderesse), une citoyenne de la Malaisie qui avait revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada le 30 mai 2001, qu'elle doit se présenter en personne à l'aéroport international de Dorval, maintenant l'aéroport Pierre Elliott Trudeau, avec ses bagages et quitter le Canada le 26 avril 2003 en exécution d'une ordonnance de renvoi du type interdiction de séjour conditionnelle émise le 26 juin 2001. La demanderesse ne s'est pas présentée pour son départ.
[2]Au lieu de partir, elle a déposé le 22 avril 2003, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui recherche l'annulation de la directive rendue par André Graveline ainsi qu'une déclaration que la mesure de renvoi est non exécutoire.
[3]La question soulevée par cette demande est de savoir quand, sous la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR) en vigueur depuis le 28 juin 2002, la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle émise le 26 juin 2001 en vertu de l'article 28 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], telle que modifiée (l'ancienne Loi) est devenue une mesure d'expulsion exécutoire.
[4]La demanderesse prétend que cette date est le 10 avril 2003, 30 jours après le 10 mars 2003, date de la prise d'une décision négative par un agent de l'évaluation des risques avant renvoi (ERAR). La prétention de la demanderesse est à l'effet qu'en lui communiquant tardivement cette décision négative ERAR, l'agent de renvoi Graveline lui a nié l'opportunité de quitter volontairement le Canada et ainsi éviter la sanction prévue à l'article 52 de LIPR. Cet article prévoit que l'exécution de la mesure de renvoi emporte l'interdiction de revenir au Canada, sauf avec autorisation d'un agent d'immigration ou dans les autres cas prévus par règlement.
[5]De son côté, le solliciteur général du Canada soumet que la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle est devenue une mesure de renvoi dès l'entrée en vigueur de la LIPR. Étant déjà visée par une mesure d'expulsion lorsqu'elle a rencontré M. Graveline en avril 2003, celui-ci ne l'a donc pas privée de l'opportunité de se conformer à la LIPR.
FAITS
[6]Je résume les faits principaux qui ne sont pas contestés.
[7]Catherine Cecilia est venue au Canada le 30 mai 2001 et a revendiqué le statut de réfugié.
[8]Le paragraphe 28(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration exigeait que soit prise une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle au lieu d'une mesure d'exclusion ou d'interdiction de séjour si la recevabilité d'une revendication du statut de réfugié avait été conclue.
[9]Le 26 juin 2001, une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle (conditional departure order) est émise à l'encontre de celle-ci.
[10]Cette mesure se lie en partie comme suit:
[traduction] Par les présentes, j'émets contre vous une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi sur l'immigration puisque je suis convaincu que vous êtes une personne visée par l'alinéa 19(2)d) et le paragraphe 9(1).
L'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration au motif que vous ne répondez pas aux exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration puisque vous n'avez ni demandé ni obtenu un visa d'immigrant avant de vous présenter à un point d'entrée. |
IMPORTANT
Cette mesure deviendra une mesure d'expulsion si une attestation de départ n'est pas délivrée dans le délai prévu par le Règlement sur l'immigration.
Sous réserve de l'article 56 de la Loi sur l'immigration, quiconque fait l'objet d'une mesure d'expulsion ne peut plus revenir au Canada sans l'autorisation écrite du ministre, sauf si la mesure est annulée en appel. [Je souligne.]
[11]Le 28 février 2002, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) décide que la demanderesse n'est pas une réfugiée sous la Convention. Elle dépose une demande de contrôle judiciaire qui fut rejetée le 14 juin 2002. Entre temps, elle dépose le 8 mai une demande DNRSRC (demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada) prévue sous l'ancien Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172, art. 2(1) (édicté par DORS/93-44, art. 1; 97-182, art. 1)].
[12]Le 28 juin 2002, la LIPR et le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (le RIPR) entrent en vigueur. La demande dans la catégorie DNRSRC devient une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR).
[13]La demande ERAR de la demanderesse est rejetée le 10 mars 2003.
[14]Les notes d'André Graveline au dossier certifié du tribunal établissent que le 8 avril 2003 à 11 h 00 il a rencontré Mme Cecilia et que la décision négative ERAR lui a été remise en main propre. La demanderesse est tenue de revenir le voir le 11 avril pour le suivi de son dossier.
[15]La demanderesse s'est présentée tel que convenu. Elle était accompagnée d'un interprète tamul puisque Mme Cecilia «ne parle pas beaucoup l'anglais» note M. Graveline. Il continue «je l'ai informée de son départ et lui ai remis une convocation pour se présenter à l'Aéroport international de Dorval le 26 avril 2003».
[16]La décision ERAR du 10 mars 2003, que M. Graveline lui avait remis seulement le 8 avril 2003, se lit en partie comme suit:
[traduction] La mesure de renvoi ordonnée contre vous est maintenant exécutoire. Vous devez partir du Canada immédiatement. Vous devez confirmer votre départ du Canada ainsi:
- lorsque vous partez du Canada, vous devez présenter cette lettre à un agent d'immigration se trouvant au point d'entrée; |
- vous devez obtenir une attestation de départ [. . .] |
Veuillez prendre note que votre mesure de renvoi est devenue une mesure d'expulsion. À partir de maintenant vous n'aurez plus jamais le droit de revenir au Canada sans l'autorisation écrite d'un agent. [Je souligne.]
Questions en litige
[17]Le solliciteur général du Canada soulève trois questions en litige:
1) Est-ce que la demanderesse était visée par une mesure d'expulsion ou par une mesure d'interdiction de séjour lors de l'examen ERAR?
2) Est-ce que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder la demande de contrôle judiciaire compte tenu du comportement de la demanderesse?
3) Est-ce que la Cour a le pouvoir de déclarer que la mesure de renvoi visant la demanderesse n'est pas exécutoire malgré les dispositions de la loi?
Schéma législatif et réglementaire
[18]Le paragraphe 52(1) de la LIPR, dont la note marginale est libellée «Interdiction de retour», se lit:
52. (1) L'exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement.
[19]Le paragraphe 226(1) du RIPR prévoit que pour l'application du paragraphe 52(1) de la Loi, la mesure d'expulsion (deportation order) oblige l'étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l'exécution de la mesure.
[20]Par contraste, le paragraphe 224(1) du RIPR dispose que l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour (departure order) à l'égard d'un étranger est un cas prévu par règlement qui exonère celui-ci de l'obligation d'obtenir l'autorisation prévue au paragraphe 52(1) pour revenir au Canada à condition de satisfaire les exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) du RIPR, au plus tard dans les 30 jours après que la mesure devient exécutoire à défaut de quoi la mesure devient une mesure d'expulsion (deportation order).
[21]L'article 240 du RIPR requiert que l'étranger comparaisse devant un agent pour confirmer son départ volontaire du Canada et obtenir du ministre l'attestation du départ, le tout à l'intérieur des 30 jours prescrits au paragraphe 224(2) du RIPR.
[22]La section 4 du RIPR est intitulée «Exécution des mesures de renvoi». Son article 237 statue que l'exécution d'une mesure de renvoi est soit volontaire ou forcée et l'article 238 établit les conditions de l'exécution volontaire. Ces deux articles se lisent:
237. L'exécution d'une mesure de renvoi est soit volontaire, soit forcée.
238. (1) L'étranger qui souhaite se conformer volontaire-ment à la mesure de renvoi doit comparaître devant l'agent afin que celui-ci vérifie:
a) s'il a les ressources suffisantes pour quitter le Canada à destination d'un pays où il sera autorisé à entrer;
b) s'il a l'intention de se conformer aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) et s'il sera en mesure de le faire.
(2) L'étranger doit ensuite soumettre à l'approbation de l'agent le pays de destination qu'il a choisi; l'approbation n'est refusée que dans les cas suivants:
a) l'étranger constitue un danger pour le public;
b) il est un fugitif recherché par la justice au Canada ou dans un autre pays;
c) il cherche à échapper à des contraintes juridiques au Canada ou dans un autre pays. [Je souligne.]
[23]La Section 3 de la LIPR est intitulée «Examen des risques avant renvoi». Ses articles 112 et 113 disposent qu'une personne se trouvant au Canada peut, conformément au règlement, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet.
[24]L'article 160 du RIPR prévoit pour l'application du paragraphe 112(1) de la LIPR, toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministre un avis à cet effet. Il se lit:
160. (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l'application du paragraphe 112(1) de la Loi, toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministère un avis à cet effet.
(2) La personne visée aux articles 165 ou 166 peut faire une demande de protection conformément à ces articles sans avoir reçu du ministère un avis à cet effet.
(3) L'avis est donné:
a) dans le cas de la personne visée par une mesure de renvoi ayant pris effet, avant son renvoi du Canada;
b) dans le cas de la personne mentionnée dans le certificat prévu au paragraphe 77(1) de la Loi, lorsque le résumé de la preuve visé à l'alinéa 78h) de la Loi est fourni.
(4) L'avis est donné:
a) soit sur remise en personne du formulaire de demande de protection;
b) soit à l'expiration d'un délai de sept jours suivant l'envoi par courrier du formulaire de demande de protection à la dernière adresse fournie au ministère par la personne. [Je souligne.]
[25]L'alinéa 232c) du RIPR crée un sursis statutaire durant l'examen ERAR. Il se lit:
232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l'intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu'il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Le sursis s'applique jusqu'au premier en date des événements suivants:
[. . .]
c) la demande de protection est rejetée; [Je souligne.]
[26]Les articles 48 et 49 de la LIPR concernant l'exécution des mesures de renvoi se lisent:
48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis.
(2) L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.
49. (1) La mesure de renvoi non susceptible d'appel prend effet immédiatement; celle susceptible d'appel prend effet à l'expiration du délai d'appel, s'il n'est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure. [Je souligne.]
[27]Il n'est pas contesté par le défendeur que le 8 mai 2002, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie de DNRSRC et qu'avant l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR le 28 juin 2002, aucune décision n'avait été prise sur cette demande.
[28]La LIPR abolit le régime de la DNRSRC mais le remplace par la demande de protection sous ses articles 112 à 114.
[29]Le RIPR prévoit, à son article 346, une mesure transitoire pour une DNRSRC subsistante à l'entrée en vigueur du RIPR. L'article 346 se lit:
346. (1) Est assimilée à une demande de protection visée par les articles 112 à 114 de laLoi sur l'immigration et la protection des réfugiés la demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada à l'égard de laquelle aucune décision n'a été prise avant l'entrée en vigueur du présent article quant à savoir si le demandeur a cette qualité.
(2) Avant qu'une décision ne soit prise quant à la demande, le demandeur est avisé qu'il lui est permis de présenter des observations supplémentaires à l'appui de sa demande.
(3) Il ne peut être statué sur la demande avant l'expiration d'un délai de trente jours suivant l'avis au demandeur.
(4) L'avis est considéré comme donné, selon le cas:
a) lorsqu'il est remis en personne au demandeur;
b) à l'expiration d'un délai de sept jours suivant son envoi par courrier à la dernière adresse fournie au ministère par le demandeur. [Je souligne.]
Analyse
[30]Selon le défendeur, la thèse du demandeur est à l'effet que le délai de l'agent de renvoi de l'aviser en temps approprié que sa demande ERAR avait été rejetée la privant ainsi de l'opportunité de quitter volontairement le pays afin d'éviter la sanction de l'article 52 de la LIPR, repose nécessairement sur l'existence d'un sursis après l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR.
[31]Le conseiller du défendeur s'oppose à cette thèse. Il soutient que la mesure d'interdiction de séjour émise à l'endroit de la demanderesse ne jouissant pas d'un sursis est devenue exécutoire dès l'entrée en vigueur de la LIPR le 28 juin 2002 et qu'en conséquence elle devait quitter le Canada au plus tard le 28 juillet 2002 afin d'éviter que sa mesure d'interdiction de séjour devienne une mesure d'expulsion.
[32]Le conseiller du défendeur appuie sa prétention en invoquant les éléments suivants:
1) La CISR a rejeté la revendication du statut de réfugié de la demanderesse le 19 février 2002 alors que l'ancienne Loi était en vigueur;
2) Selon le paragraphe 28(2) de l'ancienne Loi, dès cette date sa mesure d'interdiction de séjour inconditionnelle est exécutoire mais puisqu'elle avait déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, cette mesure d'interdiction de séjour jouissait d'un sursis d'exécution sous l'article 49 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de l'ancienne Loi, sursis qui a pris fin le 14 juin 2002 lorsqu'un juge de cette Cour a rejeté sa demande d'autorisation (voir l'alinéa 49(1)c) de l'ancienne Loi).
3) Malgré cela, étant donné que la demanderesse avait logé une DNRSRC le délai de 30 jours pour quitter volontairement le Canada et obtenir une attestation de départ était suspendu jusqu'à la date où la personne est avisée de la décision négative de sa DNRSRC (voir l'alinéa 27(2)b) [mod. par DORS/97-182, art, 12] de l'ancien Règlement sur l'immigration de 1978).
4) À l'entrée en vigueur de la LIPR, sa demande de résidence permanente dans la catégorie des DNRSRC est devenue en vertu de l'article 346 du RIPR une demande ERAR.
5) Au même moment, la mesure d'interdiction de séjour émise à l'endroit de la demanderesse est assujettie aux dispositions de la LIPR en vertu du paragraphe 319(1) du RIPR:
319. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la mesure de renvoi prise sous le régime de l'ancienne loi qui n'avait pas encore été exécutée à la date d'entrée en vigueur du présent article continue d'avoir effet et est assujettie aux dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. [Je souligne.]
6) Étant donné que la mesure d'interdiction de séjour émise à l'endroit de la demanderesse avait pris effet et qu'elle ne faisait pas l'objet d'un sursis, la mesure de renvoi était dès lors exécutoire sous les articles 48 et 49 de la LIPR.
[33]Le conseiller du défendeur explique pourquoi selon lui la demanderesse ne jouissait d'aucun sursis à l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR. Voici ce qu'il écrit aux paragraphes 50 et 51 de son mémoire supplémentaire:
Contrairement à ce qui est allégué par la demanderesse dans son mémoire, il n'y avait pas de sursis à sa mesure de renvoi en vertu de l'article 232 du RIPR puisque cet article prévoit seulement qu'un sursis existe à partir du moment où la demanderesse reçoit l'avis prévu à l'article 160 du RIPR qu'elle peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la LIPR. Or, la demanderesse n'a jamais reçu cet avis puisque sa demande dans la catégorie des DNRSRC a été assimilée à une demande ERAR par l'effet des dispositions transitoires.
La demanderesse, dont la demande ERAR était réputée être déjà introduite ne pouvait recevoir l'avis prévu à l'article 160 du RIPR à l'effet qu'elle pouvait faire une demande ERAR. La demanderesse ne pouvait que recevoir l'avis prévu au paragraphe 346(2) du RIPR, soit qu'elle pouvait faire des observations supplémentaires. [Je souligne.]
[34]Dans une autre partie de son mémoire supplémentaire, le conseiller du défendeur discute les nouvelles dispositions de l'ERAR sous la LIPR en ces termes:
La LIPR a créé un nouveau mécanisme de protection. Avant l'exécution d'une mesure de renvoi qui a pris effet ne puisse être exécutée, la personne visée a le droit de demander un ERAR.
L'ERAR débute lorsqu'un agent d'immigration envoie un avis au terme de l'article 160 du RIPR. Le paragraphe 160(4) prévoit la façon dont cet avis est donné [. . .]
L'objectif de l'ERAR est très clair. Il vise à empêcher le renvoi d'individus qui seraient à risques si on les renvoyait du Canada.
Les circonstances dans un pays donné peuvent changer avec le temps. Le moment où les risques sont évalués est donc d'une importance critique. Afin que l'ERAR soit vraiment efficace, il est essentiel qu'il puisse être effectué immédiatement avant le renvoi. En conséquence, l'ERAR est effectué au moment où le Ministre est en position de procéder au renvoi de la personne visée. Un ERAR effectué avant que le Ministre puisse procéder au renvoi, soit lorsque la personne visée peut quitter volontairement le Canada, serait superflu puisqu'une personne qui est prête à quitter volontairement le Canada ne craint aucun risque en le faisant et ne requiert donc pas la protection du Canada.
En vertu de l'article 232 du RIPR, suite à la réception de l'avis aux termes de l'article 160 du RIPR, il y a un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Ce sursis statutaire empêche le renvoi de la personne visée jusqu'à ce qu'une décision négative soit rendue à l'égard de sa demande ERAR.
[. . .]
Il est important de noter que le sursis ne vise pas toutes les personnes qui ont présenté une demande ERAR mais seulement celles qui ont reçu un avis aux termes du paragraphe 160(3) du RIPR. De plus, le sursis ne s'applique qu'à partir du moment où l'avis est donné.
Le moment où l'avis est donné est déterminé par un agent d'immigration. En pratique, l'ERAR n'est pas débuté avant que la personne concernée soit susceptible d'être renvoyée du Canada, c'est-à-dire après la période de trente jours durant laquelle la personne visée peut quitter volontairement le Canada. Ceci est conforme à l'objectif de l'ERAR décrit précédemment, c'est-à-dire de protéger les personnes dont la vie est menacée par leur renvoi, ce qui n'est pas le cas des personnes qui sont prêtes à quitter volontairement le Canada. [Je souligne.]
[35]Le conseiller du défendeur conclut au paragraphe 53 de son mémoire supplémentaire:
La demanderesse s'est donc retrouvée dans une situation semblable à celle des autres personnes qui ont présenté une demande ERAR après l'entrée en vigueur de la LIPR, c'est-à-dire qu'elle était visée par une mesure d'expulsion et non par une mesure d'interdiction de séjour au moment de l'ERAR.
[36]La question principale dans le présent litige soulève une question d'interprétation législative et réglementaire. L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Rizzo and Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.S.C. 26, établit les principes applicables.
[37]Je cite les paragraphes suivants des motifs de jugement rendus par le juge Iacobucci [aux paragraphes 20 à 22]:
Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.
Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:
[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. |
Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons: R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto- Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.
Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois «sont réputées apporter une solution de droit» et doivent «s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables». [Je souligne.]
[38]Récemment, ce principe d'interprétation a été réitéré par la juge Deschamps dans l'arrêt Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, de la Cour suprême du Canada [au paragraphe 5]:
La méthode d'interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l'occasion de l'analyse de textes législatifs, s'impose, avec les adaptations nécessaires, pour l'interprétation de textes réglementaires. [Je souligne.]
[39]À mon avis, il est essentiel dans l'application de ce principe d'interprétation d'interpréter le texte législatif (la LIPR) et réglementaire (le RIPR) harmonieusement afin d'assurer une compatibilité entre toutes leurs dispositions afin de promouvoir l'objet et l'efficacité de ceux-ci et de refléter l'intention du législateur.
[40]En l'occurrence, il s'agit d'interpréter, selon moi, harmonieusement, les anciennes dispositions législatives et réglementaires entourant une demande de DNRSRC avec le nouveau régime ERAR créé par l'article 112 de la LIPR considérant la disposition transitoire concernant l'ancien régime DNRSRC et les conséquences de ce nouveau régime ERAR sur l'exécution d'une mesure d'interdiction de séjour et sa transformation en mesure de déportation dans le contexte de l'article 52 de la LIPR interdisant le retour au Canada sauf avec autorisation d'un agent d'immigration.
[41]Selon l'article 112 de la loi établissant le régime ERAR, une personne se trouvant au Canada pouvait, dès le 28 juin 2002, date de l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR, conformément au RIPR, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet.
[42]Je souscris aux prétentions suivantes du ministre sur la situation juridique de la demanderesse au Canada à la date de l'entrée en vigueur du nouveau régime ERAR:
1) La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle qui la frappait avait pris effet immédiatement après la date de la décision de la CISR du 19 février 2002 lui refusant la reconnaissance d'asile. Dès cette date, cette mesure n'était plus conditionnelle.
2) Cependant, cette mesure d'interdiction de séjour n'était pas exécutoire puisqu'elle faisait l'objet d'un sursis aux termes de l'article 49 de l'ancienne Loi, sursis qui cesse avoir effet le 14 juin 2002 suite au refus de cette Cour de sa demande d'autorisation d'attaquer la décision de la CISR.
3) Avant l'entrée en vigueur de la LIPR et du RIPR, la mesure d'interdiction de séjour visant la demanderesse n'avait pas été transformée en mesure d'expulsion du fait que le 8 mai 2001 elle avait déposé une demande de DNRSRC qui n'avait pas été décidée avant le 28 juin 2002.
[43]Il est aussi vrai qu'à l'entrée en vigueur du nouveau régime ERAR la mesure d'interdiction de séjour frappant la demanderesse, n'ayant pas encore été exécutée, continue d'avoir effet et est assujettie à la LIPR selon les dispositions de l'article 319 du RIPR.
[44]La prétention du ministre que je ne peux pas accepter est l'affirmation de son conseiller qu'à l'entrée en vigueur du régime ERAR, la mesure d'interdiction de séjour visant la demanderesse ne jouissait d'aucun sursis statutaire sous la LIPR et le RIPR et que dès le 28 juin 2002, cette mesure était devenue exécutoire obligeant la demanderesse de quitter le Canada avant le 28 juillet 2002 afin d'éviter que sa mesure d'interdiction de séjour devienne une mesure d'expulsion et donc les conséquences de l'article 52 de la LIPR.
[45]Le conseiller du ministre prétend que pour jouir d'un sursis sous le nouveau régime ERAR, toute personne, y inclus une personne ayant fait une demande de DNRSRC sous l'ancien régime, doit être avisée par le ministre, sous l'article 160 du RIPR qu'il ou elle peut faire une demande de protection sous l'article 112 de la LIPR, avis que la demanderesse n'a pas reçu puisque sa demande ERAR était réputée être déjà introduite.
[46]Nier l'existence d'un sursis sous le nouveau régime ERAR sur la base d'une telle interprétation va, selon moi, carrément à l'encontre de l'esprit du législateur et de la raison d'être de la disposition transitoire visant les demandes de DNRSRC subsistantes à la date de l'entrée en vigueur du nouveau régime.
[47]Le nouveau régime ERAR crée une nouvelle classe de personnes qui méritent la protection du Canada au-delà de la protection accordée par la Convention. Selon l'article 97 de la LIPR, a qualité de personne à protéger celle qui est exposée soit au risque d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36] ou soit une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans certains cas.
[48]La logique d'un sursis statutaire prévu à l'article 232 du RIPR est évidente. Le Canada ne veut pas refouler une personne assujettie à de tels risques avant d'avoir étudié sa demande de protection ERAR.
[49]L'interprétation préconisée par le défendeur ne respecte pas l'objet de l'article 346 du RIPR concernant les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. L'intention de cette disposition transitoire m'apparaît très claire. Une demande subsistante de DNRSRC est considérée ou est traitée comme si elle était une demande de protection et de ce fait l'exigence prévue à l'article 160 du RIPR que le ministre avise l'intéressé qu'il peut faire une demande de protection au terme du paragraphe 112(1) de la LIPR avant qu'un sursis statutaire puisse être créé selon les dispositions de l'article 232 du RIPR n'a aucune application. L'article 346 du RIPR dispose, dans le cas d'une demande de DNRSRC subsistante, que cette demande de protection a déjà été déposée.
[50]J'ajoute, entre parenthèses, que Me LeBrun a basé sa plaidoirie devant moi sur la prémisse que le sursis dont il invoquait l'existence a pris fin le 10 mars 2003, date où l'agent d'immigration a rejeté la demande ERAR de Mme Cecilia malgré le fait que cette décision ne lui ait été communiquée que le 8 avril 2003 par M. Graveline. J'accepte cette prémisse pour les fins de la demande de contrôle judiciaire devant moi.
[51]Je conclus, qu'à la date de l'entrée en vigueur du nouveau régime ERAR, la demanderesse jouissait d'un sursis d'exécution de sa mesure d'interdiction de séjour.
[52]Une telle interprétation me semble en harmonie avec le but du nouveau régime ERAR, conforme à l'objectif de la disposition transitoire visant les demandes subsistantes de DNRSRC; elle évite les conséquences néfastes de l'absence de sursis pendant l'étude d'une demande de protection y inclus une transformation virtuelle d'une mesure d'interdiction de séjour en mesure d'expulsion sans que le demandeur puisse éviter les conséquences de l'article 52 de la LIPR.
[53]L'interprétation que je donne aux textes législatifs et réglementaires maintient en vigueur pour les demandeurs DNRSRC le choix de se conformer volontairement à une mesure de renvoi prévue aux articles 237 et 238 du RIPR.
[54]Il me semble que la conclusion que j'énonce était celle envisagée par le Ministère lorsqu'on a remis à la demanderesse la décision négative ERAR. La lettre de l'agent ERAR en date du 10 mars 2003 avise la demanderesse [traduction] «la mesure de renvoi prise à votre endroit est maintenant exécutoire» ce qui présuppose l'existence d'un sursis et, de plus, l'avise que [traduction] «si votre mesure d'interdiction de séjour est devenue une mesure d'expulsion, il ne vous sera pas permis de revenir ultérieurement au Canada, à quelque moment que ce soit, sans l'autorisation écrite d'un agent» ce qui présuppose que la demanderesse avait l'opportunité de quitter volontairement le Canada.
[55]Ces deux facteurs créent, selon moi, une expectative légitime dans l'esprit de la demanderesse (voir Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525).
[56]Je conclus que la partie défenderesse en communiquant tardivement le rejet de sa demande ERAR a éliminé le choix que la loi accordait à Mme Cecilia d'exécuter volontairement sa mesure d'interdiction de séjour en quittant volontairement le pays. La partie défenderesse a ainsi commis une erreur de droit en exerçant mal la latitude qu'elle avait en matière de communication de la décision ERAR.
[57]Le remède recherché par la demanderesse est problématique. Je crois que le défendeur a raison de prétendre que cette Cour n'a pas le pouvoir de déclarer non exécutoire la mesure de renvoi sauf si la demanderesse avait invoqué l'invalidité de certains articles de la LIPR et du RIPR ce qui n'est pas le cas. Malheureusement pour la demanderesse elle est maintenant affligée d'une mesure d'expulsion.
[58]Je dois, dans les circonstances, décréter un remède qui maintient la mesure de renvoi en vigueur mais qui accorde une réparation appropriée à Mme Cecilia. Cet équilibre est atteint en cassant la décision de M. Graveline ordonnant la demanderesse de quitter le Canada le 26 avril 2003 et en renvoyant l'affaire devant un autre agent de renvoi qui devra émettre une nouvelle directive établissant le départ de la demanderesse du Canada à une date postérieure au 1er février 2005. Avant le départ de la demanderesse, j'ordonne au défendeur d'autoriser, selon l'article 52 de la LIPR, Mme Cécilia à revenir au Canada si son entrée est par ailleurs conforme aux dispositions législatives ou réglementaires applicables.
[59]L'une ou l'autre partie peut, le ou avant le 1er novembre 2004, proposer une ou des questions à être certifiées et, advenant le cas, l'autre partie pourra déposer le ou avant le 8 novembre 2004, au greffe, ses commentaires.