A-545-04
2005 CAF 27
Le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelants)
c.
Sampanthan Subhaschandran, Jayanthi Subhaschandran et Geetanjali Subhaschandran (intimés)
Répertorié: Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général) (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Décary, Nadon et Sexton, J.C.A.--Toronto, 13 janvier; Ottawa, 21 janvier 2005.
Compétence de la Cour fédérale -- Le juge des requêtes a ajourné la requête en sursis d'expulsion des intimés jusqu'après que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision négative dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi aura été tranchée -- Les appelants ont demandé au juge des requêtes de trancher la requête en sursis elle-même -- Appel du refus de trancher la requête en sursis -- Bien qu'en général les décisions interlocutoires, y compris les ajournements, ne sont pas susceptibles d'appel (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, art. 72(2)e), 74(d)), il doit y avoir une exception lorsqu'un juge refuse d'exercer sa compétence et de traiter le dossier -- En l'espèce, le juge des requêtes a ajourné la requête à un moment où toute décision à son sujet sera devenue théorique et en fait il se trouve à avoir accordé le sursis sans examiner les questions appropriées -- Ceci constitue un refus d'exercer sa compétence -- Dans une telle situation la réparation doit être mandatoire et exiger que le juge exerce sa compétence -- Appel accueilli.
lois et règlements cités
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18.
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(1), (2)e), 74d). |
jurisprudence citée
décisions examinées:
Zündel (Re), 2004 CAF 394; [2004] A.C.F. no 1982 (QL); Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.).
décisions citées:
R. v. D.B.T., [1996] N.S.J. no 11 (C.A.) (QL); R. v. Thompson (1983), 3 D.L.R. (4th) 642 à 651; 48 B.C.L.R. 169; 8 C.C.C. (3d) 127, 136; 7 C.R.R. 222 (C.A.C.-B.).
APPEL d'une ordonnance de la Cour fédérale en date du 23 août 2004 (juge Shore) ajournant la requête en sursis d'expulsion jusqu'après que la demande des intimés pour obtenir l'autorisation et le contrôle judiciaire de la décision négative dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi aura été tranchée, constituant un refus de trancher la requête elle-même. Appel accueilli.
ont comparu:
Amina Riaz pour les appelants.
Barbara L. Jackman pour les intimés.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants.
Barbara L. Jackman, Toronto, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Sexton, J.C.A.: Les intimés ont présenté une requête pour obtenir un sursis de leur expulsion, prévue pour le 10 août 2004, jusqu'au moment où une décision sera rendue sur leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision négative dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi (ERAR), datée du 14 juillet 2004.
[2]La requête en sursis des intimés a été ajournée par le juge Gibson au 23 août 2004, le sursis étant accordé pour la période du 9 au 24 août 2004, afin que les parties puissent compléter le dépôt des documents pour leur dossier de requête.
[3]Le 23 août 2004, le juge Shore a entendu la requête en sursis des intimés en son entier. Le ministre a soutenu que la requête en sursis de l'expulsion devait être rejetée. Lors de l'audience, aucune des parties n'a demandé un ajournement pour quelque raison que ce soit.
[4]Après avoir entendu les plaidoiries, le juge des requêtes a immédiatement décidé d'ajourner la requête en sursis jusqu'au 1er juin 2005.
[5]L'avocat du ministre a demandé qu'on lui fournisse des motifs de l'ajournement, mais le juge des requêtes lui a répondu qu'il ne pouvait motiver sa décision parce qu'il considérait que les deux parties avaient raison.
[6]L'avocat du ministre a alors demandé que le juge des requêtes tranche la requête en sursis elle-même, mais ce dernier a refusé de procéder.
[7]Le 1er septembre 2004, le ministre a présenté une requête en réexamen de l'ordonnance du 23 août 2004, demandant de nouveau que la requête en sursis soit rejetée.
[8]Le 28 septembre 2004, le juge des requêtes a délivré ce qu'il a appelé une clarification (et non un réexamen) de son ordonnance du 23 août 2004. Il a continué à refuser de trancher la requête en sursis, s'exprimant comme suit:
[traduction]
1. Les demandeurs ne doivent pas être expulsés du Canada avant qu'on ait tranché leur requête en sursis et ce, suite à l'examen et au jugement sur leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.
2. L'audience pour entendre cette requête est fixée très précisément au lundi 6 juin 2005, à 9 h 30, ou dans les meilleurs délais après cette date, dans les locaux de la Cour à Toronto après que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire aura été examinée et tranchée. [Non souligné dans l'original.]
[9]Le ministre a porté l'ordonnance du juge des requêtes en appel, plaidant que sa décision devait être annulée parce que le juge des requêtes avait [traduction] «clairement refusé d'exercer sa compé-tence ou avait d'autre façon outrepassé sa compétence».
[10]Les intimés soutiennent que le ministre ne peut en appeler de l'ordonnance interlocutoire du juge des requêtes au vu des dispositions des alinéas 72(2)e) et 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (LIPR).
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure--décision, ordonnance, question ou affaire--prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.
(2) Les dispositions suivantes s'appliquent à la demande:
[. . .]
e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d'appel.
[. . .]
74. Les règles suivantes s'appliquent à la demande de contrôle judiciaire:
[. . .]
d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n'est susceptible d'appel en Cour d'appel fédérale que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.
[11]Les intimés soutiennent que les dispositions précitées et la jurisprudence à leur sujet démontrent que toute ordonnance prise dans le contexte d'une demande d'autorisation ou liée à cette demande de quelque façon que ce soit ne peut faire l'objet d'un appel. Plus particulièrement, les dispositions citées énoncent clairement que toute décision interlocutoire n'est pas susceptible d'appel. S'agissant des jugements eux-mêmes, ils ne sont susceptibles d'appel que si le juge certifie une question grave de portée générale.
[12]Les intimés soutiennent aussi que les tribunaux ont tout à fait compétence pour ajourner les procédures dont ils sont saisis.
[13]Selon moi, bien qu'il soit vrai qu'en général les décisions interlocutoires, y compris les ajournements, ne sont pas susceptibles d'appel dans le contexte d'une affaire comme la présente, il doit y avoir une exception lorsqu'un juge refuse d'exercer sa compétence et de traiter le dossier.
[14]En l'espèce, le juge des requêtes a ajourné la requête en sursis à un moment (après la décision sur la requête liée à l'ERAR) où toute décision à son sujet sera devenue théorique. Par conséquent, il a privé les parties d'une décision sur la requête en sursis, bien qu'en ajournant la requête comme il l'a fait il se trouve à avoir accordé le sursis sans examiner les questions appropriées.
[15]Selon moi, ceci constitue un refus par le juge des requêtes d'exercer sa compétence. Il faut donc qu'une réparation soit disponible pour les parties lorsqu'un juge refuse tout simplement de traiter un dossier dont il est saisi, soit de façon permanente soit, comme en l'espèce, en ajournant la question jusqu'au moment où elle sera devenue théorique.
[16]Dans les situations où un juge refuse d'exercer sa compétence, le droit est clair et il porte que la réparation doit être mandatoire, c'est-à-dire qu'elle doit exiger que le juge ou le tribunal exerce sa compétence.
(Voir R. v. D.B.T., [1996] N.S.J. no 11 (C.A.) (QL) and R. v. Thompson (1983), 3 D.L.R. (4th) 642, à 651 (C.A.C.-B.).)
[17]D'autres décisions qui viennent appuyer mon point de vue ont été prises par notre Cour, qui a jugé que certaines questions, notamment les questions portant sur la compétence, sont susceptibles d'appel même en présence d'une suppression expresse du droit d'appel ou du droit au contrôle judiciaire de la décision principale. Dans l'arrêt Zündel (Re), 2004 CAF 394, le juge Létourneau, J.C.A. a conclu qu'un appel fondé sur une crainte raisonnable de partialité faisait exception à la clause privative qui supprimait tout appel ou contrôle judiciaire de la décision portant sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité. De la même façon, dans l'arrêt Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.), le juge Noël, J.C.A. a accueilli un appel, nonobstant le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29]. Il a conclu que la partialité d'un juge, si elle est démontrée, constitue un défaut de compétence pour rendre une décision. Par conséquent, une décision rendue dans un tel cas ne tomberait pas sous le coup de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté.
[18]Par conséquent, j'accueillerais l'appel, annulerais l'ordonnance et renverrais la question au juge des requêtes avec la directive de rendre une décision de façon expéditive sur la requête en sursis. Dans les circonstances, il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.
Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Nadon, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.