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A-207-04

2005 CAF 85

Piran Ahmadi Poshteh (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

et

Canadian Foundation for Children, Youth and the Law (intervenante)

Répertorié: Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Noël et Malone, J.C.A.--Toronto, 20 janvier; Ottawa, 4 mars 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes interdites de territoire -- Raisons de sécurité -- Mineur -- Appel interjeté d'un jugement de la Cour fédérale selon lequel la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait eu raison de conclure à l'existence de motifs raisonnables de croire que l'appelant était membre d'une organisation terroriste, bien qu'il fût un mineur à l'époque pertinente -- L'appelant, de nationalité iranienne, avait participé, alors qu'il était mineur, aux activités de la Mujahedin-e-Khalq (la MEK), une organisation terroriste -- Il n'avait pas été autorisé à adhérer à la MEK, mais on l'avait laissé libre de distribuer des tracts -- Il a continué de le faire jusqu'à ce qu'il atteigne presque l'âge de 18 ans -- Il a cessé cette activité après avoir été arrêté par la police -- L'appelant est arrivé au Canada, puis a été l'objet d'une enquête d'admissibilité -- Sans qu'il soit tenu compte de son âge, y avait-il des motifs raisonnables de croire que l'appelant était membre d'une organisation terroriste (la MEK)? -- La minorité de l'appelant était-elle un facteur à prendre en compte au regard de l'art. 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR)? -- Le mot «membre» dans l'art. 34(1)f) doit être interprété d'une manière libérale -- L'art. 34(1)f) ne fait état d'aucune dispense générale d'application pour les mineurs -- La Section de l'immigration avait la spécialisation requise pour évaluer les facteurs servant à dire si l'appelant était membre d'une organisation terroriste -- La connaissance et la capacité mentale sont les facteurs dont il faut tenir compte en la matière -- La Section de l'immigration a bien tenu compte de tous les facteurs pertinents intéressant l'appelant avant de dire qu'il était membre d'une organisation terroriste.

Citoyenneté et Immigration -- Contrôle judiciaire -- Appel découlant d'une question certifiée par la Cour fédérale dans une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de l'immigration -- Les points soulevés faisaient intervenir des questions mixtes de droit et de fait -- Application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle -- La norme de contrôle applicable à la manière dont la Section de l'immigration a interprété le mot «membre», à l'art. 34(1)f), était la décision raisonnable -- La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la minorité de l'appelant devait être prise en compte et aux facteurs à retenir pour savoir s'il était ou non membre d'une organisation terroriste était la décision correcte.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- Les principes de l'art. 7 de la Charte ne sont applicables que lorsqu'il est démontré qu'un individu est privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne -- Les droits garantis par l'art. 7 de la Charte n'entrent pas en jeu dans un cas d'interdiction de territoire.

Il s'agissait d'un appel découlant d'une question certifiée par la Cour fédérale dans une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, décision selon laquelle l'appelant était interdit de territoire, en application du paragraphe 34(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il était «membre d'une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme». L'appelant est un ressortissant iranien dont le père avait été membre de la Mujahedin-e-Khalq (la MEK), une organisation terroriste dont l'objectif ultime était le renversement et le remplacement du gouvernement iranien en place. Après le décès de son père en 1999, l'appelant a tenté d'adhérer à la MEK, mais il n'y a pas été autorisé. Néanmoins, on l'a laissé distribuer des tracts de la MEK une ou deux fois par mois. Il s'est livré à cette activité jusqu'à ce qu'il atteigne presque l'âge de 18 ans, mais il a cessé lorsqu'il fut arrêté et détenu par la police. L'appelant est arrivé au Canada en septembre 2002, puis a été interrogé par un agent d'immigration, qui a établi un rapport indiquant que l'appelant était interdit de territoire au Canada selon l'alinéa 34(1)f) de la LIPR. Une enquête d'admissibilité a eu lieu devant la Section de l'immigration, qui a conclu que l'appelant était interdit de territoire au Canada. La demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelant à l'encontre de la décision de la Section de l'immigration a été rejetée par la Cour fédérale.

Les deux points principaux soulevés dans cet appel étaient les suivants: sans qu'il soit tenu compte de son âge, y avait-il des motifs raisonnables de croire que l'appelant était membre de la MEK? La minorité de l'appelant était-elle un facteur à prendre en compte au regard de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR et, dans l'affirmative, quels étaient les facteurs à retenir pour savoir si un mineur appartient ou non à une organisation terroriste. La question de la norme de contrôle à appliquer aux décisions de la Section de l'immigration et à celles de la Cour fédérale a aussi été examinée.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Les points soulevés dans cette affaire faisaient intervenir des questions mixtes de droit et de fait auxquelles s'appliquaient diverses normes de contrôle. S'agissant du premier point, la question juridique concernait l'interprétation du mot «membre» à l'alinéa 34(1)f). La loi constitutive de la Section de l'immigration comprend l'alinéa 34(1)f), et la Section de l'immigration jouit d'une certaine spécialisation pour l'interprétation de ce mot. Eu égard à une analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à la manière dont la Section de l'immigration avait interprété le mot «membre» était celle de la décision raisonnable. Toutefois, le point de savoir si la minorité de l'appelant devait être prise en compte et, dans l'affirmative, selon quels facteurs un mineur peut être considéré comme membre d'une organisation terroriste selon l'alinéa 34(1)f), n'était pas une question juridique fréquemment soumise à la Section de l'immigration; la norme de contrôle était donc dans ce cas celle de la décision correcte. La norme de contrôle qui s'appliquait au jugement de la Cour fédérale était celle de la décision correcte pour une question de droit, et celle de l'erreur manifeste et dominante pour une question de fait ou une question mixte de droit et de fait.

Pour savoir si l'appelant devait être considéré comme membre de la MEK aux fins de l'alinéa 34(1)f), il était nécessaire d'examiner les activités de l'appelant au sein de cette organisation. Ce n'est que si les activités de l'appelant ont eu pour résultat de faire de lui un membre de l'organisation, en supposant qu'il fût adulte à l'époque pertinente, qu'il sera nécessaire de prendre en compte sa minorité. La LIPR ne définit pas le mot «membre». La Section de première instance de la Cour fédérale a dit que ce mot, employé dans l'ancienne Loi sur l'immigration, devait recevoir une interprétation large et libérale étant donné que, dans la législation en matière d'immigration, la sécurité publique et la sécurité nationale sont des notions très importantes. Les mêmes considérations valent pour la LIPR, et le mot «membre» devrait continuer d'être interprété d'une manière libérale. Par conséquent, il n'était pas déraisonnable pour la Section de l'immigration d'interpréter ce mot d'une manière libérale. Par ailleurs, selon le paragraphe 34(2) de la LIPR, l'appartenance à une organisation terroriste n'emporte pas interdiction de territoire si l'intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

Il appartenait à la Section de l'immigration, de par sa spécialisation, d'évaluer les facteurs permettant de dire si l'appelant était membre d'une organisation terroriste. Elle a minutieusement évalué la preuve en examinant ce que faisait l'appelant, la durée de ses activités au sein de la MEK, ses démarches pour devenir un membre officiel de l'organisation, et enfin l'effet de ses activités de diffusion d'instruments de propagande. Compte tenu de son évaluation des faits, il n'était pas déraisonnable pour la Section de l'immigration de dire que les activités de l'appelant n'étaient pas négligeables et qu'elles suffisaient à faire de lui un membre de l'organisation aux fins de l'alinéa 34(1)f). Par conséquent, la Cour fédérale n'a pas commis d'erreur en déférant à cette conclusion.

S'agissant de la minorité de l'appelant, l'alinéa 34(1)f) ne fait état d'aucune dispense générale d'application pour les mineurs. Contrairement à l'alinéa 36(3)e), qui prévoit qu'un mineur ne sera pas frappé d'interdiction de territoire pour la plupart des infractions qu'il aura commises, l'article 34 est silencieux sur la question de l'âge. Toutefois, la minorité est généralement reconnue dans le droit écrit et en common law, et cette reconnaissance n'entraîne pas dans tous les cas une dispense générale d'application d'une loi aux mineurs. S'agissant de la reconnaissance de ce statut par la common law, la capacité est souvent considérée comme un phénomène évolutif dans lequel elle est présumée s'accroître à mesure que le mineur avance en âge. Une dispense ou exclusion générale prévue par la loi en ce qui a trait aux mineurs tient souvent lieu de substitut à l'évaluation au cas par cas d'aspects tels que la maturité, la responsabilité ou la capacité mentale de prendre une décision réfléchie. Puisque le législateur n'a pas inséré dans l'article 34 une dispense générale d'application fondée sur l'âge, le statut de mineur constitue simplement un facteur additionnel à prendre en compte dans l'évaluation effectuée en vertu de l'alinéa 34(1)f). S'agissant de l'âge, la connaissance ou la capacité mentale nécessaire, qui doivent être considérées comme un phénomène évolutif, sont les facteurs à retenir lorsqu'il s'agit de savoir si un mineur est ou non membre d'une organisation terroriste. On présumera que plus le mineur se rapproche de l'âge de 18 ans, plus il sera probable qu'il possède la connaissance ou la capacité mentale requise. La Section de l'immigration a considéré plusieurs facteurs, outre l'âge de l'appelant: il avait connaissance des activités violentes de l'organisation, il avait exercé de son plein gré un rôle dans cette organisation, il avait exercé ce rôle durant plus de deux ans et il n'avait quitté l'organisation qu'après avoir été arrêté par la police. Les motifs de la Section de l'immigration montraient qu'elle avait tenu compte de l'âge de l'appelant et implicitement de sa connaissance et de sa capacité mentale, et elle avait eu raison de le faire.

L'argument de l'appelant et de l'intervenante selon lequel, s'agissant d'un mineur, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en compte selon ce que prévoit l'alinéa 3(3)f) de la LIPR a été rejeté. L'appelant était un adulte lorsqu'il a invoqué les lois et procédures de l'immigration du Canada, et qu'il est devenu sujet à ces lois et procédures, et il n'était donc pas nécessaire de considérer l'«intérêt supérieur de l'enfant».

Le droit conféré à l'appelant par l'article 7 de la Charte, c'est-à-dire le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, n'entrait pas en jeu lorsqu'il a été frappé d'interdiction de territoire. Les principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 doivent être considérés uniquement lorsqu'il est d'abord démontré qu'un individu est privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. C'est la privation qui doit être conforme aux principes de justice fondamentale. Une conclusion d'interdiction de territoire ne met pas en cause les droits conférés par l'article 7 de la Charte.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 13.

Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3.

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1.

Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y-1.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 33, 34, 36, 44(1),(2), 74d).

jurisprudence

décisions appliquées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101; 44 Imm. L.R. (2d) 309 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 286 N.R. 1; 219 Sask. R. 1; 2002 CSC 33; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; (2003), 257 R.N.-B. (2e) 207; 223 D.L.R. (4th) 577; 48 Admin. L.R. (3d) 33; 31 C.P.C. (5th) 1; 302 N.R. 1; 2003 CSC 20; R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313; (1986), 27 D.L.R. (4th) 187; 25 C.C.C. (3d) 322; 51 C.R. (3d) 97; 68 N.R. 161; 17 O.A.C. 33; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; [1991] 2 W.W.R. 385; (1990), 69 Man. R. (2d) 161; 62 C.C.C. (3d) 193; 2 C.R. (4th) 1; 1 C.R.R. (2d) 1; 119 N.R. 161; Fitzgerald (Next Friend of) v. Alberta (2003), 331 A.R. 111; [2003] 3 W.W.R. 752; (2002), 10 Alta. L.R. (4th) 155; 104 C.R.R. (2d) 170; 2002 ABQB 1086; confirmé (2004), 348 A.R. 113; [2004] 6 W.W.R. 416; 27 Alta. L.R. (4th) 205; 2004 ABCA 184; autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [2004] C.S.C.R. no 349 (QL); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1; 2000 CSC 44; Barrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 3; (1992), 99 D.L.R. (4th) 264; 18 Imm. L.R. (2d) 81; 151 N.R. 28 (C.A.).

APPEL interjeté contre un jugement de la Cour fédérale ((2004), 248 F.T.R. 95; 2004 CF 310) qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle l'appelant était interdit de territoire en application du paragraphe 34(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il était membre d'une organisation terroriste. Appel rejeté.

ont comparu:

Avi J. Sirlin pour l'appelant.

Stephen H. Gold pour l'intimé.

Lee Ann Chapman et Martha Mackinnon pour l'intervenante.

avocats inscrits au dossier:

Avi J. Sirlin, Toronto, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, Toronto, pour l'intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Le point principal soulevé dans le présent appel est celui de savoir si la Section de l'immigration a eu raison de dire que, bien qu'il fût âgé de moins de 18 ans (un mineur) à l'époque pertinente, il y avait des motifs raisonnables de croire que l'appelant, Piran Ahmadi Poshteh, était membre d'une organisation terroriste, l'un des facteurs permettant de conclure à l'interdiction de territoire au Canada pour raison de sécurité, selon ce que prévoit l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Voici le texte de cet alinéa:

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants:

    [. . .]

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

LES FAITS

[2]Les faits suivants sont extraits de la décision rendue par la Section de l'immigration à la suite de l'enquête sur l'admissibilité de M. Poshteh. Ils ne sont pas contestés.

[3]M. Poshteh est de nationalité iranienne. Son père avait été membre de la Mujahedin-e-Khalq (la MEK), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme. En 1999, alors que M. Poshteh était âgé de 15 ans, son père est décédé. M. Poshteh a imputé au gouvernement iranien la mort de son père.

[4]M. Poshteh a voulu joindre les rangs de la MEK pour tenter de réaliser les desseins de son père, qui, selon ce qu'il croyait, étaient de renverser le gouvernement iranien. Toutefois, lorsqu'il s'est adressé à l'ami de son père, ami qui, à ce qu'il supposait, était membre de la MEK, l'ami ne l'a pas autorisé à adhérer à la MEK, tout en le laissant cependant libre de faire de la propagande pour l'organisation.

[5]M. Poshteh et un ami distribuaient une ou deux fois par mois à Téhéran des tracts de la MEK. Il s'est livré à cette activité de février 2000 jusqu'en juin 2002, alors qu'il avait presque 18 ans (plus exactement 17 ans et 11 mois). Il a cessé cette activité lorsqu'il fut arrêté et détenu durant deux semaines par la police. En dehors de la distribution des tracts, il n'exerçait aucune autre activité au sein de la MEK.

[6]M. Poshteh est arrivé au Canada le 16 septembre 2002, puis a été interrogé par un agent d'immigration. En application du paragraphe 44(1) de la Loi, l'agent a établi un rapport indiquant notamment que M. Poshteh était interdit de territoire au Canada selon l'alinéa 34(1)f) de la Loi. Le rapport de l'agent d'immigration a été transmis au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en application du paragraphe 44(1) de la Loi. Le ministre a soumis le rapport à la Section de l'immigration pour enquête d'admissibilité, en application du paragraphe 44(2). Après l'enquête, la Section de l'immigration a estimé qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Poshteh était membre d'une organisation dont il y a lieu de penser qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme, et que M. Poshteh était par conséquent interdit de territoire au Canada selon l'alinéa 34(1)f) de la Loi.

CONTRÔLE JUDICIAIRE ET QUESTION CERTIFIÉE

[7]M. Poshteh a sollicité devant la Cour fédérale le contrôle judiciaire de cette décision. Le juge Gibson, estimant que la Section de l'immigration n'avait commis aucune erreur sujette à révision, a rejeté la demande de contrôle judiciaire [Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 248 F.T.R. 95; 2004 CF 310]. Cependant, en application de l'alinéa 74d) de la Loi, il a certifié la question suivante en vue d'un appel:

[traduction] Eu égard à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et aux instruments en matière de droits humains et internationaux dont le Canada est signataire, y compris la Convention relative aux droits de l'enfant, existe- t-il, compte tenu des circonstances particulières à l'origine de cette demande de contrôle judiciaire, une différence, aux fins de l'interdiction de territoire selon le paragraphe 34(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, entre la responsabilité du demandeur, qui était mineur à toutes les époques se rapportant à ses activités menées au nom de la Mujahedin-e-Khalq, et la responsabilité d'un adulte se livrant aux mêmes activités au nom d'une telle organisation sans être officiellement membre de cette organisation?

[8]Le présent appel résulte de cette question certifiée.

POINTS LITIGIEUX

[9]Deux points sont soulevés dans le présent appel:

1. sans qu'il soit tenu compte de son âge, y a-t-il des motifs raisonnables de croire que M. Poshteh était membre de la MEK?

2. la minorité de M. Poshteh est-elle un facteur à prendre en compte au regard de l'alinéa 34(1)f) de la Loi et, dans l'affirmative, quels sont les facteurs à retenir pour savoir si un mineur appartient ou non à une organisation terroriste?

[10]Il ne s'agit pas de savoir ici s'il existe des motifs raisonnables de croire que la MEK se livre, s'est livrée ou se livrera au terrorisme. La Section de l'immigration a estimé qu'il y avait des motifs raisonnables de le penser, et cette conclusion n'est pas contestée par M. Poshteh.

POSITION DE M. POSHTEH

[11]M. Poshteh dit que le critère de l'appartenance à une organisation terroriste devrait reposer sur le niveau d'intégration au sein de l'organisation. Il dit qu'il n'était pas suffisamment intégré dans la MEK pour qu'il en soit considéré membre.

[12]Cependant, son argument principal est que, dans le cas d'un mineur, le terme «membre», à l'alinéa 34(1)f), devrait être interprété d'une manière restrictive, de telle sorte qu'il ne s'applique qu'aux personnes qui interviennent directement dans des actes de violence ou qui occupent des postes de commande au sein de l'organisation terroriste. Une telle interprétation signifierait que l'alinéa 34(1)f) ne serait pas applicable à M. Poshteh parce que ses activités n'étaient pas violentes et parce qu'il n'occupait pas un poste de commande.

POSITION DE L'INTERVENANTE

[13]L'intervenante, la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, est d'avis que [traduction] «le point de savoir si l'action d'un enfant consistant à distribuer des tracts fait de lui une personne frappée d'interdiction de territoire en tant que membre d'une organisation terroriste doit être décidé en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant, qu'il demande l'asile au Canada ou qu'il demande l'asile après être devenu un jeune adulte réhabilité».

ANALYSE

Article 33

[14]L'article 33 prévoit ce qui suit:

33. Les faits--actes ou omissions--mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[15]Les parties ne voient rien à redire au critère de l'interdiction de territoire qu'a appliqué la Section de l'immigration--à savoir l'existence de motifs raisonnables de croire que l'étranger était membre d'une organisation dont il y a lieu de croire qu'elle se livre, s'est livrée ou se livrera au terrorisme. Par souci de simplicité, je prendrai la liberté ici d'employer les mots «être membre d'une organisation terroriste», lorsqu'il s'agira de l'interdiction de territoire pour raison de sécurité.

Norme de contrôle--Décision de la Section de l'immigration

[16]Il y a divergence de vues entre les parties sur la question de savoir si la norme de contrôle qui devrait être appliquée par la Cour fédérale à la décision de la Section de l'immigration est celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte. Compte tenu de l'approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, une analyse pragmatique et fonctionnelle est requise.

[17]Une question grave de portée générale découlant de la décision de la Section de l'immigration a été certifiée en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi. La question évoque des [traduction] «circonstances particulières à l'origine de cette demande de contrôle judiciaire», mais j'en déduis que la question a été certifiée pour un appel parce que, de l'avis du juge Gibson, l'application de l'alinéa 34(1)f) aux mineurs est une question de portée générale. Cela militerait généralement pour une norme de contrôle moins circonspecte.

[18]La Section de l'immigration est spécialiste de l'établissement des faits, ce qui commande une retenue considérable à l'égard de ses conclusions de fait. Ici, les conclusions de fait de la Section de l'immigration ne sont pas contestées.

[19]Les points soulevés ici ne sont pas «polycentriques», mais sont plutôt des points dans lesquels la position adoptée par l'État est opposée à celle d'un particulier. La retenue que doit montrer la Cour est donc moindre pour l'un et l'autre points.

[20]Les deux points font intervenir des questions mixtes de droit et de fait. Cependant, les aspects juridiques des points soulevés peuvent être séparés de leurs aspects factuels. S'agissant du premier point, la question juridique concerne l'interprétation du mot «membre», à l'alinéa 34(1)f). S'agissant du deuxième point, la question juridique est celle de savoir si la minorité de M. Poshteh doit être prise en compte et, dans l'affirmative, selon quels facteurs.

[21]L'alinéa 34(1)f) fait partie de la loi constitutive de la Section de l'immigration. La question de l'appartenance à une organisation terroriste n'est pas un aspect extrinsèque de ses fonctions ordinaires. La spécialisation de la Section de l'immigration consiste notamment à dire si les critères d'une interdiction de territoire sont remplis. Ces critères comprennent l'appartenance à une organisation terroriste. L'interpréta-tion du mot «membre», à l'alinéa 34(1)f), est donc, à mon sens, une question juridique à l'égard de laquelle la Section de l'immigration jouit d'une certaine spécialisa-tion. Finalement, j'observerais que l'interprétation du mot «membre», à l'alinéa 34(1)f), bien qu'il faille la considérer, n'est pas un aspect qui entre pleinement dans la question certifiée par le juge Gibson. Pour cette question juridique, il faut donc montrer une certaine retenue envers les conclusions de la Section de l'immigration.

[22]Toutefois, le point de savoir si la minorité de M. Poshteh doit être prise en compte et, dans l'affirmative, selon quels facteurs, n'est pas une question juridique fréquemment soumise à la Section de l'immigration. L'alinéa 34(1)f) ne dit rien sur l'âge. En revanche, les tribunaux sont, eux, saisis de cas où l'application d'une loi à un mineur est un aspect qu'ils doivent considérer. Le point de savoir si l'âge doit être pris en compte et, dans l'affirmative, la manière dont il doit l'être, sont des aspects où la spécialisation de la Cour est plus étendue que celle de la Section de l'immigration, signalant de ce fait une retenue moindre.

[23]Eu égard aux considérations pragmatiques et fonctionnelles évoquées plus haut, j'arrive aux conclusions suivantes:

a) la question de l'interprétation du mot «membre», à l'alinéa 34(1)f), est sujette à révision selon la norme de la décision raisonnable;

b) la question de savoir si l'âge doit être pris en compte dans l'application de l'alinéa 34(1)f) et, dans l'affirmative, selon quels facteurs, est sujette à révision selon la norme de la décision correcte.

[24]Compte tenu des normes de contrôle qui sont applicables aux questions de droit, la Cour, si elle juge nécessaire d'intervenir parce que selon elle M. Poshteh ne pouvait pas être membre d'une organisation terroriste, soit annulera la décision de la Section de l'immigration, soit renverra l'affaire à la Section de l'immigration pour nouvelle décision fondée sur les critères juridiques applicables. Cependant, si la Cour est d'avis que la conclusion de la Section de l'immigration relative au mot «membre» était raisonnable, et que sa conclusion sur la minorité de M. Poshteh était correcte, alors les questions mixtes de droit et de fait, à savoir l'application du droit aux faits par la Section de l'immigration, seront revues selon la norme de la décision raisonnable.

Norme de contrôle--Décision de la Cour fédé-rale

[25]La norme de contrôle que doit appliquer la Cour à la décision de la Cour fédérale est la norme de la décision correcte pour une question de droit, et la norme de l'erreur manifeste et dominante pour une question de fait ou une question mixte de droit et de fait. (Voir l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, et l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.)

Point no 1: Membre--Le droit

[26]Je passe maintenant à la question de savoir si, abstraction faite de l'âge de M. Poshteh, les activités qu'il a menées au nom de la MEK peuvent faire de lui un membre de cette organisation. Pour le cas où un adulte, au vu des faits propres à M. Poshteh, ne serait pas considéré comme membre, il sera inutile d'examiner la question de l'âge. Ce n'est que si les activités de M. Poshteh ont pour résultat de faire de lui un membre de l'organisation, en supposant qu'il fût adulte à l'époque pertinente, qu'il sera nécessaire de se demander si sa minorité à l'époque requiert une conclusion autre.

[27]La Loi ne définit pas le mot «membre». Les tribunaux n'ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu'elle a interprété le mot «membre» employé dans l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, la Section de première instance (sa désignation à l'époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d'être d'une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52 [[1998] A.C.F. no 1147 (QL)]:

Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d'immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut, si cela n'est pas préjudiciable à l'intérêt national, exclure un individu de l'application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu'il est évident que le législateur voulait que le mot «membre» soit interprété d'une façon libérale, sans restriction aucune.

[28]Les mêmes considérations valent pour l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comme c'était le cas dans la Loi sur l'immigration, l'appartenance à une organisation terroriste n'emporte pas interdiction de territoire, selon le paragraphe 34(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, si l'intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Voici le texte du paragraphe 34(2):

34. [. . .]

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

Ainsi, selon le paragraphe 34(2), le ministre a le pouvoir de soustraire l'étranger à l'application de l'alinéa 34(1)f).

[29]Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Singh et, plus particulièrement, à l'existence, dans les cas qui le justifient, d'une dispense d'application de l'alinéa 34(1)f), je suis d'avis que le mot «membre», employé dans la Loi, devrait continuer d'être interprété d'une manière libérale.

[30]Néanmoins, M. Poshteh dit que la Section de l'immigration a commis une erreur parce qu'elle s'est fondée sur la nature et la durée de ses activités pour dire qu'il était membre de l'organisation, sans tenir compte de son niveau d'intégration dans l'organisation. Selon lui, ce qui caractérise l'appartenance à une organisation, c'est l'importance du niveau d'intégration. Il dit que l'adoption de ce critère pour savoir si une personne appartient ou non à une organisation favoriserait des décisions plus uniformes de la part de la Section de l'immigration.

[31]Je ne suis pas convaincu que le critère de l'importance du niveau d'intégration qui est préconisé par M. Poshteh favoriserait l'uniformité qui, selon lui, fait aujourd'hui défaut dans les décisions de la Section de l'immigration. Ce critère obligerait quand même la Section de l'immigration à apprécier les faits et à dire si le niveau d'intégration dans tel ou tel cas suffisait à faire de l'intéressé un membre de l'organisation. Qui plus est, un critère de l'appartenance fondé sur le niveau d'intégration ne serait pas compatible avec une interprétation libérale du mot «membre».

[32]La Section de l'immigration a choisi d'interpréter d'une manière libérale le mot «membre». Cette interprétation n'était pas déraisonnable.

Point no 1: Membre--Les faits

[33]Les conclusions factuelles de la Section de l'immigration sont les suivantes:

a) le rôle de M. Poshteh au sein de la MEK consistait uniquement à faire de la propagande;

b) il a fait de la propagande durant environ deux ans;

c) devant la Section de l'immigration, il s'est à une reprise attribué le qualificatif de membre;

d) son rôle dépassait celui d'un simple sympathisant ou adepte;

e) il partageait l'objectif premier de la MEK, à savoir le renversement du gouvernement iranien;

f) il n'était pas officiellement enrôlé dans la MEK, mais ce n'était pas faute d'avoir essayé. Il souhaitait désespérément s'enrôler d'une manière plus officielle. Il a dit qu'on lui en avait refusé la possibilité mais qu'il avait été autorisé durant deux ans à exercer une activité pour le compte de la MEK;

g) la propagande est une part importante des activités de la MEK. L'objet de cette propagande est en partie la sensibilisation, mais il est aussi de gagner la sympathie et le soutien du public pour la cause. Le soutien pouvait consister dans le versement de fonds, dans le recrutement de nouveaux membres ou encore dans l'instauration d'un climat pouvant déboucher sur des activités, violentes ou autres;

h) la diffusion d'instruments de propagande 24 à 48 fois sur une période de deux ans était un niveau élevé d'activité, qui était loin d'être négligeable.

[34]Eu égard à ces conclusions, la Section de l'immi-gration a estimé que les fonctions exercées par M. Poshteh étaient celles d'un membre de la MEK et qu'il exerçait le rôle d'un membre aux fins de l'alinéa 34(1)f) de la Loi.

[35]M. Poshteh avance plusieurs raisons pour dire qu'il n'était pas considérablement intégré au sein de la MEK. Il affirme qu'il n'a jamais été initié, endoctriné ou reçu de formation. Il n'assistait jamais aux réunions. Il ne savait pas où les réunions avaient lieu ni ne connaissait la hiérarchie du groupe. Il n'avait aucun pouvoir de décision. Ce n'est pas lui qui concevait les instruments de propagande. Il ne recrutait pas de membres et ne faisait pas de collecte de fonds. Ses seules relations étaient l'ami de son père et la personne avec qui il distribuait des tracts. Il dit qu'il n'avait aucun lien avec les grands instruments de propagande tels que la radio, la télévision ou les journaux. De plus, les tracts n'étaient pas distribués au-delà des quartiers et des écoles. Dans ces conditions, M. Poshteh dit que son rôle était restreint.

[36]Dans un cas donné, il sera toujours possible de dire que même si plusieurs facteurs permettent de conclure qu'il y avait appartenance, d'autres autorisent une conclusion contraire. Ce sont là des aspects qu'il appartient à la Section de l'immigration, de par sa spécialisation, d'apprécier.

[37]Ici, la Section de l'immigration a fondé sa conclusion sur ce qui semble être une évaluation minutieuse de la preuve. Elle a examiné ce que faisait M. Poshteh, la durée de ses activités au sein de la MEK, ses démarches pour devenir un membre officiel de cette organisation, et enfin l'effet de ses activités de diffusion d'instruments de propagande. Selon elle, les activités de M. Poshteh n'étaient pas négligeables et suffisaient à faire de lui un membre de l'organisation aux fins de l'alinéa 34(1)f).

[38]Après un examen assez poussé, il m'est impossible de dire que les motifs de la Section de l'immigration ne l'autorisaient pas à conclure que M. Poshteh était membre de la MEK aux fins de l'alinéa 34(1)f) (voir l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 48 à 56). Puisque selon moi la décision de la Section de l'immigration n'est pas déraisonnable, je suis d'avis que le juge Gibson n'a pas commis d'erreur en déférant à cette décision.

Point no 2: Âge--Le droit

[39]Je passe maintenant au deuxième point. M. Poshteh ne demande pas une dispense générale d'application de l'alinéa 34(1)f) pour les mineurs. Il prétend plutôt que, eu égard à sa minorité, il ne devrait pas être considéré comme membre de l'organisation à moins d'avoir participé à des actes violents ou d'avoir été un chef de l'organisation.

[40]L'article 34 ne fait état d'aucune dispense d'application pour les mineurs. Conclure à l'existence d'une dispense générale d'application de l'alinéa 34(1)f) pour les mineurs, ce serait voir dans cet alinéa des mots que n'y a pas mis le législateur. La Cour doit considérer la loi telle qu'elle est. Par conséquent, je souscris à l'avis de M. Poshteh selon lequel il n'existe aucune dispense générale d'application de l'alinéa 34(1)f) pour les mineurs.

[41]En revanche, l'alinéa 36(3)e) de la Loi prévoit qu'une personne ne peut être frappée d'interdiction de territoire pour raison de criminalité eu égard à une infraction prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants. (La Loi sur les jeunes contrevenants [L.R.C. (1985), ch. Y-1] a été abrogée le 1er avril 2003 et remplacée par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1). Voici le texte de l'alinéa 36(3)e):

36. [. . .]

(3) Les dispositions suivantes régissent l'application des paragraphes (1) et (2):

    [. . .]

e) l'interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ni sur une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Essentiellement, cela signifie que, pour la plupart des infractions commises par un mineur, le mineur ne sera pas frappé d'interdiction de territoire pour criminalité. Il n'y a dans l'article 34 aucune disposition semblable prévoyant une dispense générale d'application en raison de l'âge.

[42]Toutefois, je ne dis pas que le silence du législateur sur la question de l'âge à l'article 34 signifie que le statut de mineur ne peut d'aucune manière influer sur la question de l'appartenance à une organisation. La minorité est généralement reconnue dans le droit écrit et en common law, et je ne vois pas pourquoi elle devrait être laissée de côté aux fins de l'alinéa 34(1)f). (Voir l'arrêt R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313, aux pages 348 à 351, où la juge Wilson avait rédigé une opinion dissidente. Les motifs des juges majoritaires ne sont pas en contradiction avec ses observations générales sur ce point.)

[43]Néanmoins, la reconnaissance du statut de mineur n'entraîne pas dans tous les cas une dispense générale d'application d'une loi au mineur. C'est notamment le cas lorsque le statut de mineur est reconnu par la common law, mais non par le droit écrit. S'agissant de la reconnaissance de ce statut par la common law, la capacité est souvent considérée comme un phénomène évolutif dans lequel elle est présumée s'accroître à mesure que le mineur avance en âge. (Pour le droit criminel, voir l'arrêt R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, aux pages 1319 et 1320, le juge en chef Lamer; dans le contexte de la responsabilité délictuelle, voir l'arrêt R. c. Hill, la juge Wilson, aux pages 350 et 351.)

[44]Une dispense ou exclusion générale prévue par la loi en ce qui a trait aux mineurs tient souvent lieu de substitut à l'évaluation au cas par cas d'aspects tels que la maturité, la responsabilité ou la capacité mentale de prendre une décision réfléchie là où, les évaluations de ce genre sont peu pratiques. S'agissant du droit de vote, par exemple, il a été jugé que l'établissement à 18 ans de l'âge requis pour voter vise à garantir, autant que cela est possible, que les électeurs ont suffisamment de maturité pour prendre des décisions rationnelles et informées à propos de ceux qui devraient les représenter au sein du gouvernement (voir le jugement Fitzgerald (Next Friend of) v. Alberta (2003), 331 A.R. 111 (B.R.); jugement confirmé à [2004] 6 W.W.R. 416 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 6 janvier 2005 [[2004] S.C.C.A. no 349 (QL)]. Il ne serait évidemment pas possible de procéder à une telle évaluation au cas par cas dans le système électoral. Un moyen commode de régler la question est donc d'adopter un critère fixant le même âge pour tous.

[45]Diverses considérations interviennent dans l'alinéa 34(1)f). Ici, la Loi prévoit expressément, pour chaque cas, une évaluation aux fins de l'interdiction de territoire. Cela ne signifie pas que le législateur ne pouvait pas, comme il l'a fait dans l'article 36, prévoir dans l'article 34 une dispense générale d'application fondée sur l'âge. Mais, puisque le législateur ne l'a pas fait, le statut de mineur se résume simplement à un facteur additionnel à prendre en compte dans l'évaluation effectuée en vertu de l'alinéa 34(1)f).

[46]J'arrive donc à la conclusion que, bien qu'il n'existe pour les mineurs aucune dispense générale d'application, le statut de mineur reste néanmoins un facteur pertinent en ce qui concerne l'alinéa 34(1)f). Je dois maintenant me demander quels facteurs il convient de retenir.

[47]Il me semble que, s'agissant de l'âge, les facteurs à considérer dans l'alinéa 34(1)f) seraient des aspects tels que le point de savoir si le mineur a la connaissance ou la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes. Il est loisible au mineur concerné de faire valoir ces aspects et tous autres arguments appuyant une dispense d'application de l'alinéa 34(1)f) en raison de sa minorité, et de produire les preuves à l'appui de tels arguments.

[48]Il serait possible théoriquement de dire d'un mineur, quel que soit son âge, qu'il est membre d'une organisation terroriste, mais il serait très improbable que l'on arrive à une telle conclusion dans le cas d'un jeune enfant, dont l'âge serait par exemple inférieur à 12 ans. La réponse dépendra des circonstances de chaque cas, mais il semble couler de source que, dans le cas de jeunes enfants, on présumera qu'ils n'ont pas les connaissances requises ni la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de leurs actes. S'agissant de jeunes enfants, l'âge de l'enfant lui-même serait une preuve prima facie d'une absence des connaissances requises ou de la capacité mentale nécessaire. La Section de l'immigration serait alors tenue d'examiner attentivement le niveau de compréhension de cet enfant.

[49]Il existait d'ailleurs en common law une présomp-tion irréfutable selon laquelle un enfant âgé de moins de sept ans était incapable d'avoir une intention criminelle; après que l'enfant atteignait l'âge de 14 ans, la présomp-tion d'incapacité criminelle disparaissait pour être remplacée par une présomption réfutable de capacité d'intention criminelle. (Voir l'arrêt R. c. Chaulk, à la page 1319.) Aujourd'hui, selon l'article 13 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, un enfant ne peut être reconnu coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part lorsqu'il était âgé de moins de 12 ans. Voici le texte de cet article:

13. Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part lorsqu'il était âgé de moins de douze ans.

[50]Après l'âge de 11 ans, les mineurs sont jugés responsables de leurs agissements criminels. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit un ensemble spécial de procédures, de juridictions et de décisions qui s'écarte de ce que prévoit le Code criminel, mais elle ne prévoit pas pour les mineurs une dispense de responsabilité criminelle.

[51]Pour savoir si un mineur est ou non membre d'une organisation terroriste, il faut se demander où il en est dans l'acquisition de la connaissance ou de la capacité mentale requise. Tout comme l'on présumerait que de jeunes enfants sont dépourvus de la connaissance ou de la capacité mentale requise, on présumera que plus le mineur se rapproche de l'âge de 18 ans, plus il sera probable qu'il possède la connaissance ou la capacité mentale requise.

[52]J'ai dit que le mineur est libre d'invoquer tout facteur qu'il juge approprié dans son cas. Par exemple, la violence ou la contrainte pourraient être des facteurs pertinents. Cependant, ils n'interviennent pas ici puisque c'est M. Poshteh qui avait approché l'ami de son père pour lui demander de faire de lui un membre de la MEK.

[53]Je reconnais avec M. Poshteh qu'il serait très difficile pour un mineur de prétendre qu'il ne devrait pas être considéré comme membre d'une organisation terroriste s'il avait lui-même participé à des activités violentes ou s'il avait occupé un rôle dominant au sein de l'organisation. Cependant, malgré un rôle plus modeste, un mineur pourra néanmoins être considéré comme membre d'une telle organisation. Ce n'est pas nécessairement la nature du rôle exercé au sein de l'organisation terroriste qui permettra de répondre à la question, encore qu'un tel aspect puisse avoir son importance. On prendra plutôt en compte des aspects tels que la connaissance ou la capacité mentale pour dire si, dans un cas donné, un adulte sera considéré comme membre d'une organisation terroriste alors qu'un mineur ne le sera pas.

[54]Les motifs de la Section de l'immigration montrent qu'elle a tenu compte des arguments de M. Poshteh fondés sur son âge, et elle a eu raison de le faire. M. Poshteh n'a pas expressément avancé d'arguments fondés sur l'absence de connaissances ou de capacité mentale, mais les motifs de la Section de l'immigration en tiennent compte par déduction.

Point no 2: Âge--Les faits

[55]Reconnaissant les arguments de M. Poshteh fondés sur son âge, et y donnant suite, la Section de l'immigration est arrivée aux conclusions suivantes:

1.     M. Poshteh n'ignorait pas les activités violentes de la MEK;

2.     il a de son plein gré joué un rôle dans la MEK;

3.     son rôle a pu à l'origine être motivé par la passion, mais il s'est poursuivi durant deux ans;

4.     il a pris ses propres décisions, à l'encontre même de l'avis d'adultes.

[56]La Section de l'immigration a estimé que M. Poshteh avait poursuivi ses activités au sein de la MEK jusqu'à l'âge de 17 ans et 11 mois. Lorsqu'un mineur de cet âge a connaissance des activités violentes d'une organisation, qu'il accepte de son plein gré un rôle dans cette organisation, qu'il exerce ce rôle durant deux ans et qu'il ne quitte l'organisation qu'après avoir été arrêté, on ne saurait dire qu'il est déraisonnable pour la Section de l'immigration de ne pas avoir accepté ses arguments fondés sur son statut de mineur et de l'avoir considéré comme un membre de l'organisation terroriste.

L'intérêt supérieur de l'enfant

[57]M. Poshteh et l'intervenante font valoir que, s'agissant d'un mineur, la Section de l'immigration doit tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. L'alinéa 3(3)f) prévoit en effet que la Loi doit être interprétée et appliquée d'une manière qui s'accorde avec les instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Voici le texte de cette disposition:

3. [. . .]

(3) L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet:

    [. . .]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.

[58]L'un des instruments en question est la Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990). L'article 3 prévoit que, dans toutes les décisions des tribunaux et des autorités administratives, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Voici le texte de l'article 3, paragraphe 1:

Article 3

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

[59]Je ne crois pas que la Convention relative aux droits de l'enfant soit pertinente ici. Aux fins de la Convention, la décision rendue dans la présente affaire résulte d'une procédure engagée devant la Section de l'immigration. Cependant, lorsque l'affaire a été étudiée par la Section de l'immigration, M. Poshteh n'était plus un mineur. Il avait 18 ans lorsqu'il est arrivé au Canada. Après lecture de la Convention, je suis d'avis qu'elle concerne l'intérêt des enfants tant qu'ils sont des enfants. Elle ne prétend pas conférer des droits aux adultes.

[60]Il importe ici de faire la distinction entre d'une part le point de savoir si une personne a la connaissance ou la capacité mentale requise pour comprendre la nature et la conséquence de ses actes, un facteur qui est pertinent, et d'autre part l'«intérêt supérieur de l'enfant» selon la Convention, un facteur qui ne l'est pas. M. Poshteh était un adulte lorsqu'il a invoqué les lois et procédures de l'immigration du Canada et qu'il est devenu sujet à ces lois et procédures, et il ne peut donc s'en rapporter à la Convention.

Droits prévus par la Charte

[61]La Section de l'immigration a estimé que les droits conférés à M. Poshteh par l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] n'entraient pas en jeu. Dans son mémoire, M. Poshteh dit qu'il n'entend pas contester cette conclusion dans la présente instance. Cependant, il fait valoir que, même s'il ne s'agit pas ici de la vie, de la liberté et de la sécurité de sa personne, le législateur voulait que la Loi soit interprétée d'une manière conforme aux principes de justice fondamentale. Plus loin dans son mémoire, M. Poshteh dit que la Charte et autres documents [traduction] «sont unanimes sur le principe selon lequel la responsabilité d'un mineur ne saurait simplement refléter celle d'un adulte et doivent plutôt conférer un traitement spécial».

[62]Les principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 de la Charte ne sont pas des notions autonomes. Ils doivent être considérés uniquement lorsqu'il est d'abord démontré qu'un individu est privé de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. C'est la privation qui doit être conforme aux principes de justice fondamentale. (Voir par exemple l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47.)

[63]Ici, ce qu'il faut décider, c'est le point de savoir si M. Poshteh est interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Selon la jurisprudence, une conclusion d'interdiction de territoire ne met pas en cause le droit conféré par l'article 7 de la Charte (voir par exemple l'arrêt Barrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.)). Plusieurs procédures pourraient encore se dérouler avant qu'il n'arrive au stade où il sera expulsé du Canada. Par exemple, M. Poshteh peut invoquer le paragraphe 34(2) pour tenter de convaincre le ministre que sa présence au Canada n'est pas préjudiciable à l'intérêt national. Par conséquent, les principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 de la Charte n'entrent pas en jeu dans la décision qui doit être prise en vertu de l'alinéa 34(1)f) de la Loi.

DISPOSITIF

[64]Je répondrai de la manière suivante à la question certifiée:

a) l'article 7 de la Charte n'entre pas en jeu dans la décision qui doit être prise par la Section de l'immigration selon l'alinéa 34(1)f) de la Loi;

b) la Convention relative aux droits de l'enfant ne s'applique pas lorsque l'instance et la décision surviennent alors que l'intéressé n'est plus un mineur;

c) le statut de mineur d'un intéressé est pertinent et une distinction peut être faite, si le mineur apporte la preuve qu'elle est nécessaire, entre un mineur et un adulte pour répondre à la question de savoir si l'intéressé est membre d'une organisation terroriste selon l'alinéa 34(1)f) de la Loi;

d) en l'espèce, l'âge de M. Poshteh a été validement pris en compte par la Section de l'immigration et il était loisible à la Section de l'immigration de dire qu'il était un membre d'une organisation terroriste aux fins de l'alinéa 34(1)f) de la Loi.

[65]La Section de l'immigration n'a pas tiré de conclusions déraisonnables lorsqu'elle a dit que M. Poshteh était interdit de territoire selon l'alinéa 34(1)f) de la Loi. Les motifs du juge Gibson ne renferment aucune erreur de droit ni aucune erreur factuelle manifeste et dominante.

[66]L'appel devrait être rejeté avec dépens.

Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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