[2018] 2 R.C.F. 297
2017 CAF 157
A-478-14
A-313-12
A-479-14
Mohamed Zeki Mahjoub (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimés)
Répertorié : Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Boivin et Woods, J.C.A.—Toronto et Ottawa, 7, 8 et 13 décembre 2016; Ottawa, 19 juillet 2017.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Appels de décisions dans lesquelles la Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — Une enquête a mené à la délivrance d’un certificat de sécurité contre l’appelant, un ressortissant égyptien — La Cour fédérale a conclu que le certificat était raisonnable — Elle a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que deux motifs d’interdiction de territoire étaient présents, à savoir les art. 34(1)d) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) — L’appelant a fait valoir que le certificat n’était pas raisonnable — Plus particulièrement, il a soutenu notamment que la Cour fédérale a appliqué une trop vaste définition du terme « membre » aux fins de l’art. 34(1)f) de la Loi, qu’il doit exister des éléments de preuve d’une « intention de participer ou de contribuer » à une organisation — Il s’agissait principalement de déterminer si les art. 33 et 34 et la section 9 de la Loi ainsi que les art. 4, 6 et 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence contreviennent à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en refusant à l’appelant le droit à une audience équitable — Le titre de membre officiel d’une organisation terroriste n’est pas requis — Certaines activités qui appuient de façon importante les objectifs d’un groupe terroriste peuvent constituer une preuve d’appartenance — L’art. 34(1)f) de la Loi ne précise pas un élément mental qui doit être satisfait pour être membre — Il ne fait qu’exposer le statut de membre — Le manque de crédibilité de l’appelant était l’un des nombreux éléments soulignant le caractère raisonnable du certificat — Il était loisible à la Cour fédérale de conclure que la conversation interceptée comportait une admission d’appartenance — L’appartenance à une organisation terroriste suffit pour maintenir le caractère raisonnable du certificat — La norme d’appréciation du certificat de sécurité est celle d’avoir des « motifs raisonnables de croire » que les motifs liés à la sécurité concernant l’interdiction de territoire sont présents — Les sources des conclusions de la Cour fédérale étaient parfaitement établies et les conclusions étaient bien étayées par des éléments de preuve admissibles souvent très nombreux — Il n’y avait aucune raison d’intervenir dans la décision de la Cour fédérale sur la question de la contestation constitutionnelle de l’appelant — La question certifiée par la Cour fédérale était appropriée et elle n’était pas supplantée par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat — L’art. 77 ne donne pas aux ministres intimés un pouvoir discrétionnaire absolu, mais il n’est pas nécessaire pour les ministres d’examiner la totalité des renseignements et d’être convaincus qu’un certificat est raisonnable avant de le signer — Si telle était la norme, l’appréciation subséquente par la Cour fédérale du caractère raisonnable du certificat de sécurité serait en quelque sorte redondante — Il n’existe aucun lien nécessaire entre les renseignements divulgués en vertu de l’art. 77(2) de la Loi et les renseignements dont les ministres doivent disposer au moment de décider s’ils signent un certificat — L’opinion des ministres doit être suffisamment bien fondée sur des éléments de preuve convaincants et crédibles — En l’espèce, ce critère minimum a été satisfait — L’appelant n’avait pas droit à un contrôle judiciaire à l’encontre de la délivrance du certificat — À sa place, il y a un renvoi automatique du certificat à la Cour fédérale pour une évaluation de son caractère raisonnable qui fait échec au contrôle judiciaire — Le Service canadien du renseignement de sécurité n’a pas d’obligation de franchise aux ministres — Le caractère raisonnable du certificat de sécurité a été confirmé par la preuve — Le régime législatif concernant les certificats de sécurité est constitutionnel — L’instance concernant le certificat de sécurité était fondamentalement juste — Elle a suivi son cours jusqu’à la décision finale statuant sur le fond — En conséquence, le certificat de sécurité a continué d’être une preuve concluante que l’appelant est interdit de territoire, et a continué d’être une mesure de renvoi — Appels rejetés.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — La Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — L’appelant a soutenu notamment que la Cour fédérale a commis une erreur en déterminant la norme juridique requise eu égard au caractère raisonnable — La Cour fédérale a correctement déterminé la norme à appliquer pour décider du caractère raisonnable du certificat — La recherche de faits de la Cour fédérale et son application axée sur les faits des normes juridiques aux faits ne pouvaient être assujetties qu’à la norme de l’erreur manifeste et dominante — Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente — Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire — Une non-mention des éléments de preuve dans les motifs ne mène pas nécessairement à une conclusion d’erreur manifeste et dominante.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — La Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — Le pouvoir prévu à l’art. 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) n’est pas absolu — L’art. 12 n’est ni imprécis ni trop large dans sa portée, et il est limité par l’art. 2 de la Loi sur le SCRS — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en appréciant la constitutionnalité de l’art. 12 et des dispositions connexes sur les mandats — Les art. 21 à 24 de la Loi sur le SCRS ne sont pas invalides — Le régime d’échange de renseignements en vertu de l’art. 17 de la Loi sur le SCRS est assujetti à des mesures de protection et à une surveillance — Il n’a pas donné lieu en principe ou dans les faits de l’espèce à des fouilles abusives en violation de la Charte — Aucun pouvoir n’étaye la proposition selon laquelle les autorités gouvernementales ne peuvent pas parler à l’appelant — La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les droits de l’appelant ont été respectés lors des entrevues n’était pas viciée par une erreur manifeste et dominante.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — La Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — L’appelant a contesté la constitutionnalité de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) — Le pouvoir prévu à l’art. 12 de la Loi sur le SCRS n’est pas absolu — L’art. 12 n’est ni imprécis ni trop large dans sa portée, et il est limité par l’art. 2 de la Loi sur le SCRS — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en appréciant la constitutionnalité de l’art. 12 — Dans la mesure où les art. 21 à 24 de la Loi sur le SCRS ont été utilisés de façon irrégulière, il s’agit d’une question concernant la validité du mandat délivré — Les articles eux-mêmes ne sont pas invalides — Le régime d’échange de renseignements en vertu de l’art. 17 de la Loi sur le SCRS ne donne pas lieu en principe ou dans les faits de l’espèce à des fouilles abusives en violation de la Charte — Les interceptions de communications entre l’avocat et son client étaient inévitables et ont été réalisées de bonne foi — Il n’existait aucun élément de preuve qui laisse entendre que les renseignements interceptés ont été utilisés.
Pratique — Suspension d’instance — La Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — Il n’existait aucun fondement en droit ou dans les faits pour accorder un arrêt permanent des procédures — Un tel arrêt est justifié uniquement dans les « cas les plus manifestes » — Il doit y avoir une mise en balance de l’arrêt permanent des procédures et des besoins de la société — L’arrêt des procédures est justifié uniquement lorsque le premier est disproportionné par rapport aux deuxièmes — L’issue de la mise en balance doit montrer que l’intérêt public et l’intérêt individuel dans un arrêt permanent des procédures est plus grand de façon disproportionnée que l’intérêt public dans une décision sur le fond — La Cour fédérale a appliqué un critère qui était plus favorable à l’appelant que ne le justifiait le droit — Elle a quand même conclu que l’instance concernant le certificat de sécurité ne devrait pas être suspendue de façon permanente — L’appelant n’a pas réussi à établir que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a dit que l’arrêt des procédures n’était pas justifié.
Preuve — La Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure — Il n’y a eu aucune erreur de droit ou erreur manifeste et dominante dans l’examen qu’a fait la Cour fédérale des éléments de preuve en vertu de l’art. 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La Cour fédérale a fait preuve de prudence dans l’évaluation des éléments de preuve dans la présente affaire — Les règles de preuve classiques ne doivent pas être écartées dans leur intégralité en vertu de l’art. 83(1)h) — La Cour fédérale est liée par le critère des éléments dignes de foi et de l’équité — Le critère utilisé par la Cour fédérale concernant les éléments de preuve de source inconnue en vertu de l’art. 83(1.1) de la Loi était correct et respectait les principes de ce qui constitue des éléments de preuve dignes de foi — En ce qui concerne l’utilisation de renseignements obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants, l’approche adoptée par la Cour fédérale était conforme à la jurisprudence et au texte des dispositions opérantes.
Il s’agissait d’appels de décisions dans lesquelles la Cour fédérale a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure.
L’appelant est un ressortissant égyptien qui a obtenu le statut de réfugié en 1995. Une enquête a mené à la délivrance d’un premier certificat de sécurité contre lui en 2000. Pendant les procédures d’expulsion, la Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions sur le certificat de sécurité violaient les articles 7 et 9 de même que l’alinéa 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés. En conséquence, le législateur a modifié les dispositions invalides du certificat de sécurité dans la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence. Les intimés ont ensuite délivré un nouveau certificat de sécurité. Il s’agit de celui que la Cour fédérale a jugé raisonnable et dont la Cour était saisie dans la présente affaire. La Cour fédérale a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que deux motifs d’interdiction de territoire étaient présents : l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) (constituer un danger pour la sécurité du Canada), et l’alinéa 34(1)f) de la Loi (être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte d’espionnage, d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou à se livrer au terrorisme). Le dépôt de trois des avis d’appel de l’appelant a été autorisé : la décision de la Cour fédérale au sujet de la perte de la protection du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige découlant de l’amalgamation de documents (2012 CF 669), le jugement de la Cour fédérale qui maintenait le caractère raisonnable du certificat (2013 CF 1092), et le refus de la Cour fédérale de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance aux motifs d’abus de procédure (2013 CF 1095).
L’appelant a soutenu que le certificat de sécurité n’était pas raisonnable, que la Cour fédérale a commis une erreur en déterminant la norme juridique requise eu égard au caractère raisonnable, et que le certificat n’est pas raisonnable compte tenu des éléments de preuve. Plus particulièrement, l’appelant a soutenu notamment que la Cour fédérale a appliqué une trop vaste définition du terme « membre » aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qu’il doit exister certains éléments de preuve d’une « intention de participer ou de contribuer » à une organisation.
Il s’agissait principalement de déterminer si les articles 33 et 34 et la section 9 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ainsi que les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence contreviennent à l’article 7 de la Charte en refusant à la personne visée (en l’occurrence l’appelant) le droit à une audience équitable. Cependant, les questions en litige dont il a fallu tenir compte en appel ne se limitaient pas à celles figurant dans la question certifiée. La Cour a été saisie de toutes les questions soulevées par l’appelant, qui pourraient avoir eu une incidence sur la décision de la Cour fédérale selon laquelle le certificat était raisonnable.
Arrêt : les appels doivent être rejetés.
Dans l’ensemble, la Cour fédérale a correctement déterminé la norme à appliquer pour décider du caractère raisonnable du certificat et a correctement compris les motifs pour l’interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Un grand nombre des arguments de l’appelant se sont concentrés sur la recherche de faits de la Cour fédérale et son application axée sur les faits des normes juridiques aux faits, en particulier sur la question du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ces affaires ne pouvaient être assujetties qu’à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence sur l’issue de l’affaire. La non-mention d’éléments de preuve dans les motifs ne mène pas nécessairement à une conclusion d’erreur manifeste et dominante.
Les organisations terroristes n’émettent pas de cartes de membre et ne tiennent pas de listes des membres. Ainsi, le titre de membre officiel, au sens entendu en ce qui concerne les organisations légitimes, n’est pas requis. Au contraire, certaines activités qui appuient de façon importante les objectifs d’un groupe terroriste, notamment la fourniture de fonds, la fourniture de faux documents, le recrutement ou l’hébergement de personnes, peuvent constituer des preuves de participation à une organisation terroriste, même si les activités ne sont pas directement liées à la violence terroriste. L’alinéa 34(1)f) de la Loi ne précise pas un élément mental qui doit être satisfait pour être membre; en soi, il ne fait qu’exposer le statut de membre, rien de plus. La Cour fédérale n’a pas confirmé le caractère raisonnable du certificat de sécurité tout simplement parce que les déclarations de l’appelant n’étaient pas crédibles. En fait, son manque de crédibilité n’était que l’un des nombreux éléments soulignant le caractère raisonnable du certificat. Il était loisible à la Cour fédérale de conclure qu’une conversation interceptée comportait une admission d’appartenance. Le fait qu’un autre tribunal puisse avoir conclu différemment ou puisse avoir accordé moins d’importance à un élément de preuve n’établit pas une erreur manifeste et dominante. L’appartenance à une organisation terroriste suffit pour que la Cour fédérale maintienne le caractère raisonnable du certificat de sécurité. La norme d’appréciation du certificat de sécurité est celle d’avoir des « motifs raisonnables de croire » que les motifs liés à la sécurité concernant l’interdiction de territoire aux termes de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont présents. La Cour fédérale a conclu qu’il existait des motifs raisonnables. Loin de soulever une erreur manifeste et dominante, les sources des conclusions de la Cour fédérale étaient parfaitement établies et les conclusions étaient bien étayées par des éléments de preuve admissibles — souvent très nombreux.
Il n’y avait pas de raison pour intervenir dans la décision de la Cour fédérale sur la question de la contestation constitutionnelle de l’appelant. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, la Cour suprême du Canada a rejeté une contestation constitutionnelle également vaste des dispositions du certificat de sécurité qui étaient en litige dans cette affaire. Dans la présente affaire, l’appelant a présenté des arguments qui différaient à certains égards de ceux soulevés dans l’arrêt Harkat. Pour cette raison, la question constitutionnelle certifiée par la Cour fédérale était appropriée et non supplantée par l’arrêt Harkat. Néanmoins, le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat était toujours valide. Les arguments constitutionnels de l’appelant ont été rejetés.
L’appelant a contesté la constitutionnalité de certaines dispositions de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS). Le pouvoir prévu à l’article 12 de la Loi sur le SCRS qui permet la collecte des informations et des renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada n’est pas absolu. L’article 12 n’est ni imprécis ni trop large dans sa portée, et il est limité par l’article 2 de la Loi sur le SCRS. La Cour fédérale n’a pas commis une erreur en appréciant la constitutionnalité de l’article 12 et des dispositions connexes sur les mandats par rapport au droit de l’appelant garanti par la Charte aux termes de l’article 8. Les articles 21 à 24 de la Loi sur le SCRS comportent des dispositions qui ont une vaste portée d’autorisation fondée sur un mandat, à l’instar de toute autre disposition concernant les mandats de perquisition. Dans la mesure où les articles sont utilisés de façon irrégulière, par exemple pour autoriser l’interception de communications entre l’avocat et son client, il s’agit d’une question concernant la validité du mandat délivré en vertu de ces dispositions ou de la façon dont l’interception est exécutée. Les articles eux-mêmes ne sont pas invalides. Le régime d’échange de renseignements en vertu de la Loi sur le SCRS, plus spécifiquement l’article 17, est assujetti à diverses mesures de protection et divers mécanismes de surveillance et il n’a pas donné lieu en principe ou dans les faits de l’espèce à des fouilles abusives en violation de la Charte.
Les ministres intimés n’ont pas négligé d’exercer leurs pouvoirs de façon régulière en délivrant le certificat de sécurité en l’espèce. L’article 77 de la Loi, aux termes duquel les ministres intimés « signent » un certificat de sécurité attestant que la personne visée dans le certificat est interdite de territoire, ne donne pas aux ministres un pouvoir discrétionnaire absolu, mais il n’est pas nécessaire pour les ministres d’avoir examiné la totalité des renseignements, sans exception, et d’être convaincus qu’un certificat est raisonnable avant de le signer. Si telle était la norme, l’appréciation subséquente par la Cour fédérale du caractère raisonnable du certificat de sécurité serait en quelque sorte redondante. La Loi n’exige absolument pas une double évaluation du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Cela étant dit, la délivrance d’un certificat de sécurité à l’encontre d’une personne visée a de lourdes conséquences. Les ministres ne peuvent pas tout simplement autographier le certificat allègrement. Il n’existe aucun lien nécessaire entre les renseignements divulgués en vertu du paragraphe 77(2) de la Loi et les renseignements dont les ministres doivent disposer au moment de décider s’ils signent un certificat de sécurité en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi. Les ministres doivent examiner suffisamment de documents pour être convaincus qu’ils peuvent exprimer une opinion dans le certificat de sécurité selon laquelle la personne visée est interdite de territoire et que l’opinion est suffisamment bien fondée. Pour cela, il faut des éléments de preuve convaincants et crédibles. En l’espèce, ce critère minimum a été facilement satisfait.
L’appelant n’avait pas droit à un contrôle judiciaire à l’encontre de la délivrance du certificat immédiatement après sa délivrance. Le présent régime législatif fait échec au contrôle judiciaire de la délivrance d’un certificat de sécurité. À sa place, il y a un renvoi automatique du certificat à la Cour fédérale pour une évaluation de son caractère raisonnable. Dans ces circonstances, il est loisible au législateur de faire échec au contrôle judiciaire en adoptant une autre forme de contrôle approfondi par un tribunal; il n’est absolument pas question de mettre les mesures de l’exécutif à l’abri du contrôle.
La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en rejetant l’observation selon laquelle le Service canadien du renseignement de sécurité a une obligation de franchise aux ministres afin qu’ils puissent évaluer de façon appropriée s’ils doivent signer le certificat de sécurité. Il n’existe aucun fondement juridique permettant à la Cour de contourner les ministres et de contraindre leurs fonctionnaires et organismes subordonnés à s’acquitter d’une obligation à leur égard.
Il n’existait aucun fondement en droit ou dans les faits pour accorder un arrêt permanent des procédures. Il est justifié uniquement dans les « cas les plus manifestes ». Il doit y avoir une mise en balance du besoin de la réparation et des intérêts de la société pour la poursuite de l’instance. Dans le cadre de cette mise en balance, un arrêt des procédures est justifié uniquement lorsque le besoin est disproportionné par rapport aux intérêts. Lorsqu’il est certain qu’un cas rentre dans la qualification des « cas les plus manifestes » justifiant un arrêt permanent des procédures — par exemple, lorsque la conduite est particulièrement grave — une mise en balance n’est pas nécessaire. Abstraction faite de ces cas les plus manifestes, la mise en balance « des intérêts à maintenir l’intégrité du système judiciaire et des droits individuels d’une part, et de l’intérêt public à aller de l’avant avec l’affaire, d’autre part » « facilite l’exercice du […] pouvoir discrétionnaire ». La Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Conway et R. c. Babos laisse entendre que, pour accorder un arrêt des procédures, l’issue de la mise en balance doit montrer que l’intérêt public et l’intérêt individuel dans un arrêt permanent des procédures est plus grand de façon disproportionnée que l’intérêt public dans une décision sur le fond. Le concept de la disproportion reflète le critère minimum classique souvent énoncé voulant qu’un arrêt permanent des procédures est disponible uniquement dans les « cas les plus manifestes ». Il s’avère que la Cour fédérale a appliqué un critère qui était plus favorable à l’appelant que ne le justifiait peut-être le droit. Et en appliquant ce critère plus favorable, la Cour fédérale a quand même conclu que l’instance concernant le certificat de sécurité ne devrait pas être suspendue de façon permanente. Il s’ensuit alors que, pour avoir gain de cause au sujet de l’abus de procédure, l’appelant devait démontrer que la conclusion de la Cour fédérale était erronée quand elle a dit qu’un arrêt des procédures n’était pas justifié. Cette démonstration ne peut être faite qu’à l’aide de l’erreur manifeste et dominante. Cela, l’appelant ne l’a pas fait.
L’appelant a soulevé une multitude de questions, dont la violation de son droit de connaître la défense à présenter, son droit de garder le silence et à l’assistance de l’avocat de son choix, l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par ouï-dire, des manquements au secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige comme l’amalgamation de documents. La Cour fédérale n’a pas commis une erreur sur une question de droit ou une règle de droit qu’il est possible de dégager à l’égard de l’une de ces questions en litige. Elle n’a pas non plus commis d’erreur manifeste et dominante.
Le Service canadien du renseignement de sécurité a réalisé des entrevues avec l’appelant. Aucun pouvoir n’étaye la proposition selon laquelle, dans le contexte de la sécurité nationale, les autorités gouvernementales ne peuvent absolument pas parler à l’appelant. Globalement, la Cour fédérale a conclu que les droits de l’appelant ont été totalement respectés lors des entrevues et que sa participation aux entrevues et ses déclarations faites à ces occasions étaient volontaires. Cette conclusion fondée sur les faits n’était pas viciée par une erreur manifeste et dominante. De fait, elle était totalement étayée par les éléments de preuve. En l’espèce, il n’existait aucun motif pour ordonner un arrêt permanent des procédures.
Les mandats décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne devraient pas être traités différemment d’un mandat décerné en vertu du droit pénal. La nature différente des mandats délivrés en vertu de l’article 21 ne justifie pas une norme juridique différente. Le fait qu’un mandat délivré en vertu de l’article 21 puisse être difficile à contester dans certains contextes ne mène pas logiquement à la conclusion que, lorsqu’il est contesté devant un tribunal pour omissions ou inexactitudes — exactement comme un mandat de perquisition en vertu du droit pénal —, il devrait être assujetti à un critère juridique différent. Pour ce qui est de la politique juridique, il est difficile de comprendre pourquoi un mandat délivré en vertu de l’article 21, qui pourrait avoir été décerné malgré des omissions ou des inexactitudes, devrait être traité différemment d’un mandat décerné en vertu du droit pénal. De fait, étant donné la nécessité sans cesse croissante de se protéger contre le terrorisme et d’autres menaces pour la sécurité nationale, il est difficile de comprendre pourquoi les critères d’admissibilité dans le contexte de la sécurité nationale devraient être plus rigoureux que ceux dans le contexte du droit pénal. L’alinéa 21(2)b) de la Loi sur le SCRS ne devrait pas être interprété de façon à exiger un examen des preuves démontrant la nécessité de mener une enquête. L’alinéa 21(2)b) exige qu’un déposant qui cherche à obtenir un mandat dépose sous serment que « d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain » ou que « l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ». Par contre, il y a un autre motif lorsque, sans mandat, « il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées […] ne pourraient être acquises ». Ce troisième motif prévoit un fondement indépendant pour obtenir un mandat et n’exige pas une démonstration de la nécessité de mener une enquête.
Il n’y a eu aucune erreur de droit ou erreur manifeste et dominante dans l’examen qu’a fait la Cour fédérale des éléments de preuve en vertu de l’alinéa 83(1)h) de la Loi, y compris les éléments de preuve par ouï-dire ou de source inconnue. En évaluant la preuve à l’aide du critère des éléments dignes de foi et des éléments utiles en vertu de l’alinéa 83(1)h), la Cour fédérale a fait preuve de prudence. Même si l’alinéa permet d’admettre un élément de preuve « même inadmissible en justice », la Cour fédérale a fait remarquer que les règles de preuve classiques ne doivent pas être écartées dans leur intégralité, soulignant qu’un grand nombre d’elles découlent d’une préoccupation au sujet de l’élément digne de foi et de l’équité. Dans l’ensemble, la Cour fédérale s’est estimée elle-même liée par le critère des éléments dignes de foi et de l’équité ou, plus généralement, la garantie d’un procès équitable en vertu des principes de justice fondamentale de l’article 7 de la Charte. Le critère concernant les éléments de preuve de source inconnue utilisé par la Cour fédérale en vertu du paragraphe 83(1.1) de la Loi respectait les principes de ce qui constitue des éléments de preuve dignes de foi exposés dans la jurisprudence. En l’espèce, cette approche a semblé avoir donné de bons résultats. Le critère formulé par la Cour fédérale était valable. En outre, le caractère raisonnable du certificat de sécurité a été amplement confirmé par des éléments de preuve autres que ceux de source inconnue. En ce qui concerne l’utilisation de renseignements obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants, l’approche adoptée par la Cour fédérale dans la présente affaire était conforme à la fois à la jurisprudence sur la sécurité nationale d’autres cours et au texte des dispositions opérantes mêmes. Il n’existait aucun fondement en vertu duquel on devait intervenir.
Toutes les interceptions de communications entre l’avocat et son client ont été exécutées aux termes de l’article 21 de la Loi sur le SCRS ou au moyen d’une autorisation judiciaire et ont été réalisées de bonne foi. Il était inévitable que les mandats de sécurité nationale autorisant l’interception de communications envoyées et reçues à l’aide du téléphone de l’appelant entraîneraient ces interceptions. Cette sorte d’« interception initiale » ne constitue pas des munitions pour une plainte d’abus de procédure en soi. La clé est ce qui survient à ces interceptions par la suite. Il n’existait aucun élément de preuve devant la Cour fédérale qui laissait entendre que les renseignements interceptés ont été utilisés, directement ou indirectement.
Enfin, le régime législatif concernant les certificats de sécurité, y compris les instances pour évaluer le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité, est constitutionnel. L’instance concernant le certificat de sécurité ne pouvait être perçue que comme fondamentalement juste dans son exécution. À l’occasion, des erreurs se sont produites et il a fallu souvent des réparations pour les corriger. Par contre, individuellement ou collectivement, il n’existait aucun fondement factuel et juridique qui aurait permis à la Cour fédérale de prononcer un arrêt permanent de l’instance. Elle a suivi son cours jusqu’à la décision finale statuant sur le fond. En conséquence, aux termes de l’article 80 de la Loi, le certificat de sécurité continue d’être une « preuve concluante » que l’appelant est interdit de territoire et continue d’être « une mesure de renvoi en vigueur, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête ».
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8, 9, 10, 11b), 24(1).
Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3, art. 4, 6, 7(3).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2, 12, 17, 21 à 24.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 6(3), 33, 34, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83(1)c)e),h),(1.1), 85 à 85.5.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Charkaoui c. Canada, 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Harkat (Re), 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331; Decor Grates Incorporated c. Imperial Manufacturing Group Inc., 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Jaballah (Re), 2010 CF 79, [2011] 2 R.C.F. 145; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.); Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601; R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309; R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307; R. v. Alizadeh, 2014 ONSC 1624, 315 C.C.C. (3d) 295; Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Mahjoub (Re), 2013 CF 1094; Mahjoub (Re), 2013 CF 1095; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095, [2001] 4 R.C.F. 644; Charkaoui c. Canada, 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] 2 R.C.S. 332; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 218; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, motifs modifiés, [1998] 1 R.C.S. 1222; Ramoutar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 370 (1re inst.); JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; United States v. Bin Laden, 146 F. Supp. 2d 373 (S.D.N.Y. 2001); R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566; R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144; R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421; R. v. Nero, 2016 ONCA 160, 334 C.C.C. (3d) 148; R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419; A. and Others v. Secretary of State for the Home Department, 2005 UKHL 71, [2006] 2 A.C. 221; Mahjoub (Re), 2010 CF 787; R. c. S.(R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; France v. Diab, 2014 ONCA 374, 120 O.R. (3d) 174; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189; Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482.
DÉCISIONS CITÉES :
Mahjoub (Re), 2013 CF 1096; Mahjoub (Re), 2013 CF 1097; Mahjoub (Re), 2013 CF 1093; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 300, [2017] 3 R.C.F. 263; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2016 CAF 284; McKittrick Properties Ltd. (Re), [1926] 4 D.L.R. 44, (1926), 59 O.L.R. 199 (C.A.); Manie v. Ford (Town) (1918), 14 O.W.N. 83, [1918] O.J. No. 430 (QL) (H.C.), conf. par (1918), 15 O.W.N. 27, [1918] O.J. No. 233 (QL) (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 218; Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3; Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, [2016] 1 R.C.F. 428; Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] UKHL 1, [1968] A.C. 997; Carltona Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, [2016] 4 R.C.F. 268; Mazhero c. Fox, 2014 CAF 219; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; Harkat (Re), 2010 CF 1243; Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3; R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405; R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253; R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992; R. v. Ward, 2012 ONCA 660, 112 O.R. (3d) 321; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3.
DOCTRINE CITÉE
Al-Ahram Center for Political and Strategic Studies. The Spectrum of Islamist Movements, Berlin : Verlag Hans Schiler, 2007.
Al-Zayyat, Montasser. The Road to Al-Qaeda : The Story of Bin Laden’s Right-Hand Man (Critical Studies on Islam), London : Pluto Press, 2004.
National Post, 28 octobre 2006.
New York Times, 3 décembre 2008.
Wright, Lawrence. The Looming Tower : Al-Qaeda and the Road to 9/11, New York : Vintage, 2006.
APPELS de décisions dans lesquelles la Cour fédérale (qui a certifié une question dans 2014 CF 200) a maintenu le caractère raisonnable du certificat de sécurité déclarant l’appelant interdit de territoire pour des raisons de sécurité (2013 CF 1092) et refusé de faire droit à la demande de l’appelant de suspendre l’instance pour abus de procédure (2013 CF 1095 et 2012 CF 669, [2014] 1 R.C.F. 457). Appels rejetés.
ONT COMPARU :
Paul B. Slansky, Johanne Doyon et Yavar Hameed pour l’appelant.
Anil K. Kapoor et Gordon Cameron à titre d’avocats spéciaux.
Marianne Zoric, Christopher Ezrin et Nathalie Benoit pour les intimés.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Doyon & Associés, Montréal, Paul Slansky, Toronto, et Hameed Law, Ottawa, pour l’appelant.
Anil K. Kapoor et Gordon Cameron à titre d’avocats spéciaux.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Stratas, J.C.A. :
A. Introduction
[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont signé un certificat de sécurité en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dans lequel ils disent que M. Mahjoub — un réfugié au Canada — est interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. Le certificat de sécurité est ainsi libellé :
[traduction] Nous déclarons par les présentes que nous estimons, en nous fondant sur un rapport de renseignements de sécurité que nous avons reçu et examiné, que M. Mohamed Zeki Mahjoub, un étranger, est interdit de territoire pour raison de sécurité sur la base des motifs décrits aux alinéas 34(1)b), 34(1)c), 34(1)d) et 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[2] Dans le certificat de sécurité, les motifs pour lesquels M. Mahjoub est interdit de territoire canadien — autrement dit, les parties de l’article 34 mentionnées dans le certificat de sécurité — sont « être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force », « se livrer au terrorisme », « constituer un danger pour la sécurité du Canada », et « être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur », d’actes visant à « se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada », « au renversement d’un gouvernement par la force » ou à se livrer au « terrorisme ».
[3] En vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, par dépôt du certificat de sécurité à la Cour fédérale, les ministres ont demandé à la Cour d’en déterminer le caractère raisonnable.
[4] En vertu de l’article 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour fédérale (sous la plume du juge Blanchard) a conclu que le certificat de sécurité était raisonnable : Mahjoub (Re), 2013 CF 1092. Elle a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que deux motifs d’interdiction de territoire étaient présents : alinéa 34(1)d) (constituer un danger pour la sécurité du Canada) et alinéa 34(1)f) (être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte d’espionnage, d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou à se livrer au terrorisme).
[5] Le jugement de la Cour fédérale qui déclarait raisonnable le certificat de sécurité (Mahjoub (Re) 2013 CF 1092) était l’aboutissement de plusieurs décisions complexes, interreliées dans cette affaire : Mahjoub (Re), 2012 CF 669, [2014] 1 R.C.F. 457; 2013 CF 1094; 2013 CF 1095; Mahjoub (Re), 2013 CF 1096; Mahjoub (Re), 2013 CF 1097, et un autre ensemble de motifs confidentiels (2013 CF 1093) (tous sous la plume du juge Blanchard). Avant ces décisions, 53 ordonnances, dont plusieurs sont étayées par des motifs détaillés, ont été rendues (la plupart sous la plume du juge Blanchard).
[6] Lorsque la Cour fédérale a conclu que le certificat de sécurité était raisonnable, le certificat de sécurité est devenu une « preuve concluante » que M. Mahjoub est interdit de territoire au Canada. Il est aussi devenu « une mesure de renvoi en vigueur, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête ». Voir l’article 80 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[7] M. Mahjoub interjette appel de cette décision devant notre Cour. Plus précisément, nous sommes saisis de trois appels :
• Dossier A-478-14, un appel à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale maintenant le caractère raisonnable du certificat (2013 CF 1092).
• Dossier A-479-14, un appel à l’encontre d’une ordonnance de la Cour fédérale (2013 CF 1095). Dans cette ordonnance, la Cour fédérale a entre autres refusé de faire droit à la demande de M. Mahjoub selon laquelle l’instance devait être suspendue pour abus de procédure. L’abus de procédure aurait découlé, entre autres, de violations alléguées de la Charte, de manquements à l’équité procédurale ainsi que d’erreurs de fond et d’injustice dans la délivrance du certificat par les ministres.
• Dossier A-313-12, un appel à l’encontre d’une ordonnance de la Cour fédérale (2012 CF 669). Dans cette ordonnance, la Cour fédérale a entre autres refusé de faire droit à la demande de M. Mahjoub selon laquelle l’instance devait être suspendue pour abus de procédure. L’abus de procédure aurait découlé de l’amalgamation de documents des parties dans la salle d’audience à la suite d’une audience, entraînant le manquement au secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige.
[8] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter les appels. Les divers motifs invoqués par l’appelant à l’encontre du certificat de sécurité sont sans fondement. Plus précisément, rien ne justifie d’annuler la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le certificat de sécurité est raisonnable. En outre, il n’existe aucun motif d’annuler le refus de la Cour fédérale de suspendre l’instance de façon permanente en raison d’un abus de procédure.
[9] Le dossier de preuves, qui se compose en grande partie de renseignements tirés de sources publiques, notamment judiciaires, démontre qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub était membre de deux organisations terroristes et que, en gardant le contact au Canada avec d’autres terroristes, il constituait un danger pour la sécurité du Canada : voir les paragraphes 107 à 151, ci-dessous. Quant aux décisions judiciaires de la Cour fédérale sur diverses questions soulevées par M. Mahjoub et sur la façon dont la Cour fédérale a appliqué le droit, un résumé figure aux paragraphes 76 à 82, ci-dessous. Une conclusion globale est exposée aux paragraphes 353 à 355, ci-dessous.
B. Résumé des procédures
[10] Seulement un résumé succinct des procédures à l’encontre de l’appelant est nécessaire; un examen plus détaillé des faits est exposé dans les sept décisions très détaillées de la Cour fédérale dans la présente affaire.
[11] M. Mahjoub est un ressortissant égyptien. Il est arrivé au Canada le 31 décembre 1995 et a demandé l’asile. Moins d’un an plus tard, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada lui accordait le statut de réfugié.
[12] Entre-temps, M. Mahjoub a attiré l’attention du Service canadien du renseignement de sécurité. Une enquête au sujet de M. Mahjoub a été lancée.
[13] L’enquête a mené à la délivrance d’un certificat de sécurité contre M. Mahjoub en juin 2000. Peu de temps après, du fait de ce certificat de sécurité, il a été arrêté et détenu.
[14] Comme l’exige la loi, le certificat de sécurité a automatiquement été déposé à la Cour fédérale pour décider de son caractère raisonnable. La Cour fédérale a conclu que le certificat de sécurité était raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095, [2001] 4 R.C.F. 644.
[15] Tout cela s’est fait selon les dispositions relatives aux certificats de sécurité prévues dans la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. En 2001, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 est promulguée et l’a remplacée. Les dispositions relatives au certificat de sécurité dans l’ancienne Loi sur l’immigration n’ont pas été modifiées en profondeur.
[16] En 2007, pendant les procédures d’expulsion de M. Mahjoub, la question de la constitutionnalité des dispositions relatives au certificat de sécurité devait être tranchée par la Cour suprême du Canada.
[17] La Cour suprême a conclu que les dispositions violaient les articles 7 et 9 de même que l’alinéa 10c) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés] : Charkaoui c. Canada, 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui I). Il y avait violation de l’article 7 parce que la personne visée dans le certificat de sécurité n’était pas suffisamment informée de la preuve à réfuter et n’avait pas le moyen d’y répondre, compte tenu du secret rattaché à de nombreux aspects de l’instance concernant le certificat de sécurité. L’article 9 et l’alinéa 10c) ont été violés parce que les dispositions sur la détention comportaient une longue période au cours de laquelle il était interdit aux sujets de contester la légalité de leur détention. Aucune de ces violations n’a été sauvegardée par l’article premier.
[18] La Cour suprême a déclaré inopérantes les dispositions inconstitutionnelles. Cependant, elle a suspendu sa déclaration pour une année afin de permettre au législateur de modifier la Loi.
[19] Pour les fins de la présente demande, l’effet pratique de l’arrêt Charkaoui I a été d’invalider le premier certificat de sécurité délivré en 2000 contre M. Mahjoub. Ayant été autorisé en vertu de dispositions invalides, il était de ce fait invalide.
[20] Avant l’expiration de la suspension de la déclaration d’invalidité pour un an, le législateur a modifié les dispositions invalides du certificat de sécurité : Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L.C. 2008, ch. 3. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 22 février 2008.
[21] Le même jour, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont délivré un nouveau certificat de sécurité contre M. Mahjoub. Il s’agit de celui que la Cour fédérale a jugé raisonnable. Il s’agit de celui dont la Cour est saisie.
[22] Peu après la délivrance par les ministres du nouveau certificat de sécurité contre M. Mahjoub, la Cour suprême a rendu une deuxième décision portant sur l’instance concernant le certificat de sécurité contre M. Charkaoui : Charkaoui c. Canada, 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui II). La Cour suprême du Canada a conclu que la politique du Service canadien du renseignement de sécurité consistant à détruire les originaux des renseignements recueillis tels ceux obtenus à la suite d’entrevues ou d’interceptions contrevenait au droit de M. Charkaoui, reconnu par l’article 7 de la Charte, de connaître la preuve pesant contre lui.
[23] L’arrêt Charkaoui II, contrairement à l’arrêt Charkaoui I, n’a pas automatiquement invalidé le nouveau certificat de sécurité établi contre M. Mahjoub. Par contre, de façon générale, l’arrêt Charkaoui II en dit long sur les obligations de fond et d’équité procédurale dans les instances concernant le certificat de sécurité. Quant à savoir si l’instance concernant le nouveau certificat de sécurité a respecté ces obligations, cela ne constitue qu’un petit bosquet dans la vaste forêt de questions que devait explorer la Cour fédérale.
[24] Depuis 2008, l’appelant n’a cessé de recevoir des documents communiqués par les ministres conformément, selon eux, aux exigences de l’arrêt Charkaoui II. Il a également reçu un résumé révisé des renseignements secrets en matière de sécurité, qui formait la base principale au soutien du certificat de sécurité.
[25] En 2009, M. Mahjoub a obtenu sa remise en liberté à des conditions strictes. Ces conditions ont été assouplies au fil du temps. De nombreuses décisions concernent cet aspect.
[26] L’instance de la Cour fédérale concernant le nouveau certificat — celui dont notre Cour est maintenant saisie — était très complexe et posait de multiples problèmes. Étant donné la façon dont les parties ont mené l’instance et en raison d’autres circonstances, de nombreuses requêtes soulevant des questions difficiles ont été présentées — plusieurs d’entre elles à très court préavis, plusieurs se chevauchant souvent et ayant une connexité avec d’autres requêtes et plusieurs nécessitant une décision rapide. Face à ce chaos, il incombait à la Cour fédérale de mettre de l’ordre. C’est ce qu’elle a fait. Il en est résulté 1 021 pages et 2 160 paragraphes de motifs concis, parfaitement clairs.
[27] Certaines parties des audiences de la Cour fédérale et de notre Cour ont été entendues à huis clos afin que des observations puissent être présentées au sujet d’éléments de preuve portant sur la sécurité nationale et le renseignement. Une disposition ajoutée aux modifications apportées en 2008, l’alinéa 83(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le permet.
[28] Dans le cadre de ces audiences à huis clos, les intérêts de M. Mahjoub ont été représentés par deux avocats spéciaux qui sont autorisés et réglementés en vertu des articles 85 à 85.5 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Leur cote de sécurité leur permet de faire des observations lors de l’audience à huis clos au sujet de documents confidentiels. Devant nous, je confirme que les intérêts de M. Mahjoub ont été représentés de façon experte, dans le respect total des objectifs à l’origine des modifications de 2008.
[29] Dans certains cas, la Cour doit expliquer sa décision en consultant des documents confidentiels et doit émettre des motifs confidentiels de même que des motifs publics, expurgés. Cependant, étant donné le statut et l’importance du principe de la transparence judiciaire — « une caractéristique d’une société démocratique » (arrêt Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] 2 R.C.S. 332, au paragraphe 23) — dans la mesure du possible, la Cour devrait essayer d’exprimer publiquement tous ses motifs du jugement.
[30] La confidentialité n’est pas requise en l’espèce. Le présent document public renferme tous mes motifs qui m’amènent à proposer de rejeter ces appels.
C. Quels sont les appels dont la Cour est régulièrement saisie?
1) Introduction
[31] Après la décision finale de la Cour fédérale, M. Mahjoub a présenté plusieurs appels à notre Cour. Compte tenu des procédures interlocutoires dans notre Cour et des limites rigoureuses quant à la capacité de faire appel auprès de la Cour pour des affaires découlant de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il en ressort une certaine complexité.
[32] Comme on le verra, certains des appels devant notre Cour n’ont pas été présentés de façon régulière et doivent être rejetés dès le départ. Néanmoins, en fin de compte, cela n’a aucune importance : toutes les questions soulevées dans le cadre de tous les appels, que ce soit de façon régulière ou non, ont abouti devant nous. Certaines explications s’imposent.
2) Historique de la procédure de notre Cour
[33] M. Mahjoub a présenté cinq avis d’appel en tout à la Cour.
[34] Le greffe a accepté le dépôt du premier avis d’appel (dossier A-313-12). Il concernait la décision de la Cour fédérale au sujet de la perte de la protection du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige découlant de l’amalgamation de documents (2012 CF 669).
[35] Plus tard, à la suite des décisions rendues par la Cour fédérale portant les numéros de référence 2013 CF 1092, 2013 CF 1095, 2013 CF 1096 et 2013 CF 1097, M. Mahjoub a présenté quatre avis d’appel. Les ministres se sont opposés au dépôt des avis d’appel. La Cour a fait droit en partie à leur opposition.
[36] Le dépôt de deux des quatre avis d’appel n’a pas été autorisé. Une opposition concernait la référence 2013 CF 1096 et l’autre concernait la référence 2013 CF 1097. En conséquence, nous ne sommes pas saisis de ces deux avis d’appel.
[37] Le dépôt des deux autres avis d’appel a été autorisé. Un avis d’appel concernait un jugement de la Cour fédérale qui maintenait le caractère raisonnable du certificat (2013 CF 1092). Il s’agit du dossier A-478-14. L’autre concernait le refus de la Cour fédérale de faire droit à la demande de M. Mahjoub de suspendre l’instance aux motifs d’abus de procédure. Il s’agit du dossier A-479-14.
[38] Compte tenu de ce qui précède — tel qu’il est indiqué au début des présents motifs —, la Cour est saisie de trois appels : les dossiers A-478-14, A-479-14 et A-313-12.
3) Compétence de la Cour pour statuer sur ces appels
[39] Devant notre Cour, les ministres ne se sont pas opposés à la compétence de la Cour pour entendre ces trois appels. Cependant, la Cour doit toujours s’assurer d’avoir la compétence d’attribution pour trancher les affaires dont elle est saisie : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 300, [2017] 3 R.C.F. 263, au paragraphe 16; arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2016 CAF 284, aux paragraphes 22 et 23. C’est le cas même si les parties ne soulèvent aucune préoccupation d’ordre juridictionnel : arrêt McKittrick Properties Ltd. (Re), [1926] 4 D.L.R. 44, (1926), 59 O.L.R. 199 (C.A.); décision Manie v. Ford (Town) (1918), 14 O.W.N. 83 (H.C.), conf. par (1918), 15 O.W.N. 27 (C.A.). Si la Cour n’a pas la compétence d’attribution relativement à un appel, elle ne peut pas le trancher.
[40] Par conséquent, dès le départ, deux des trois avis d’appel —soit les dossiers A-479-14 et A-313-12 — doivent être annulés pour le motif d’absence de compétence.
[41] En vertu de l’article 79 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les appels devant notre Cour sont rigoureusement limités. Ce n’est que lorsque la Cour fédérale a rendu une « décision » au sujet du caractère raisonnable du certificat aux termes de l’article 78 de la Loi qu’un appel peut être interjeté. Aux termes de l’article 79, « la décision » n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge « certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». Pour faire bonne mesure, l’article 79 précise que « les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel ».
[42] En l’espèce, la Cour fédérale a certifié une seule question soumise à l’examen de notre Cour. Ses motifs concernant la délivrance du certificat de sécurité figurent dans la décision portant le numéro de référence 2014 CF 200. La question qu’elle a certifiée concernait l’une des questions en litige liées au jugement de la Cour fédérale selon lequel le certificat était raisonnable (2013 CF 1092), une affaire dont la Cour est maintenant saisie dans le dossier A-478-14.
[43] La question certifiée est la suivante :
Les articles 33 et 34 de la partie 1, section 4 et la partie 1, section 9 de la LIRP ainsi que les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence contreviennent-ils à l’article 7 de la Charte en refusant à la personne visée [en l’occurrence M. Mahjoub] le droit à une audience équitable? Le cas échéant, les dispositions sont-elles justifiées au regard de l’article premier?
[44] Il s’agit d’une question légitime. En conséquence, l’appel à l’encontre de la décision sur le caractère raisonnable prise par la Cour fédérale nous est présenté de façon régulière (dossier A-478-14).
[45] L’avis d’appel dans le dossier A-313-12 a fait l’objet d’un jugement plus tôt devant notre Cour. Les ministres ont présenté une requête en radiation de l’avis d’appel pour défaut de compétence en raison de l’interdiction à l’article 79 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. M. Mahjoub a soutenu, entre autres, que la requête donnant lieu au jugement concernant la perte de privilège ressortant de l’amalgamation de documents n’avait rien à voir avec la décision sur le caractère raisonnable du certificat. La Cour a refusé de trancher l’affaire soulevée dans la requête préliminaire et a laissé à la présente formation le soin de rendre une décision : Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 218. Le présent avis d’appel peut être examiné en même temps que celui touchant le dossier A-479-14 étant donné qu’ils sont similaires.
[46] Ces deux avis d’appel concernent, dans les termes mêmes de l’article 79 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, « les décisions interlocutoires » dans les instances découlant de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon l’article 79, elles ne sont pas susceptibles d’appel.
[47] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter les appels dans les dossiers A-479-14 et A-313-12 pour défaut de compétence.
[48] En fin de compte, nous sommes saisis d’un seul appel présenté de façon régulière : l’appel dans le dossier A-478-14 concernant la décision de la Cour fédérale sur la norme de la décision raisonnable (2013 CF 1092).
4) Les questions soumises à la Cour
[49] Tel qu’il a été mentionné, l’appel dans le dossier A-478-14 est présenté à la Cour au moyen d’une question certifiée. Cependant, les questions en litige dont on doit tenir compte en appel ne se limitent pas à celles figurant dans la question certifiée.
[50] Dès qu’un appel est présenté à la Cour par le biais d’une question certifiée, la Cour doit traiter de la question certifiée et de toutes les autres questions en litige qui pourraient avoir une incidence sur la validité du jugement dont il est fait appel : arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 12; arrêt Harkat (Re), 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635 [Harkat], au paragraphe 6. Sans la certification d’une question, « l’appel ne serait pas justifié » et, une fois la question certifiée, l’appel concerne « le jugement lui-même, et non simplement la question certifiée » : arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 25. En termes simples, « lorsque la Cour d’appel fédérale doit examiner une affaire, elle n’est pas tenue de trancher uniquement la question certifiée »; la Cour peut plutôt « examiner tous les aspects de l’appel dont elle a été saisie » : décision Ramoutar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 370 (1re inst.), aux pages 379 et 380.
[51] Les questions en litige dans le cadre de l’appel dans le dossier A-478-14 sont définies par l’avis d’appel : arrêt Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 218, au paragraphe 22. Les actes introductifs d’instance comme celui en l’espèce doivent être interprétés afin de donner une « appréciation réaliste » de leur « nature essentielle » en nous « employant à en faire une lecture globale et pratique, sans [nous] attacher aux questions de forme », comme il est expliqué au paragraphe 50 de l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557.
[52] L’avis d’appel présenté par M. Mahjoub met clairement en litige la validité des décisions de la Cour fédérale précédant le jugement sur le caractère raisonnable du certificat. Dans son avis d’appel, M. Mahjoub allègue que le jugement de la Cour fédérale sur le caractère raisonnable du certificat, relativement aux décisions antérieures, [traduction] « les concerne ou y est relié ».
[53] C’est effectivement le cas. Voici quelques exemples. Si la Cour fédérale avait dû accorder une suspension permanente des procédures dans ses décisions antérieures (2013 CF 1095 et 2012 CF 669) aux motifs d’abus de procédure ou de la violation de privilèges découlant de l’amalgamation de documents, elle n’aurait pas pu poursuivre et décider si le certificat était raisonnable. Si la Cour fédérale avait décidé à tort (dans ses motifs confidentiels dans la décision portant le numéro de référence 2013 CF 1093, et aussi dans les décisions portant les numéros de référence 2013 CF 1094 et 2013 CF 1096), par exemple par le biais d’un mandat obtenu de façon irrégulière ou de renseignements dont la source n’est pas connue, de se fonder sur des éléments de preuve obtenus de façon irrégulière, sa conclusion selon laquelle le certificat était raisonnable pourrait être viciée. Finalement, si la Cour fédérale a rejeté à tort certaines contestations constitutionnelles mises de l’avant par M. Mahjoub à l’encontre des dispositions sur le certificat de sécurité (2013 CF 1097), le certificat doit être rejeté.
[54] Par conséquent, cela signifie que nous sommes saisis de toutes les questions soulevées par M. Mahjoub. Sur le plan pratique, cela signifie que la Cour est régulièrement saisie de pratiquement toutes les questions tranchées dans les décisions portant les numéros de référence 2010 CF 989, 2012 CF 669, 2013 CF 1092, 2013 CF 1094, 2013 CF 1095, 2013 CF 1096, 2013 CF 1097, et d’une autre affaire confidentielle (2013 CF 1093).
[55] Toutes les parties ont mené l’instance sur ce fondement. Elles ont présenté des arguments complets sur toutes les questions en litige.
D. Analyse
1) La norme de contrôle
[56] La Cour suprême a confirmé que les normes de contrôle exposées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen], s’appliquent lorsque la Cour examine la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle un certificat de sécurité est raisonnable : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33, aux paragraphes 107 à 109.
[57] Par conséquent, en ce qui concerne les questions de droit, les questions de règle de droit et les questions de droit et de fait comprenant des questions de droit ou de règle de droit facilement isolables, la Cour fédérale est assujettie à la norme de la décision correcte. Quant à toutes les autres questions, en particulier les questions de fait, la Cour fédérale est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[58] Tous connaissent la norme de la décision correcte : s’il y a une erreur, la Cour peut substituer son opinion à celle de la Cour fédérale. Par contre, ce n’est pas tout le monde qui connaît la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[59] À l’occasion pendant l’argumentation, il est devenu évident que le point de vue de M. Mahjoub sur ce qui constitue une erreur manifeste et dominante divergeait du nôtre. De plus, comme on le verra, le seuil élevé pour conclure à une erreur manifeste et dominante joue un rôle important dans la présente affaire. Ainsi, dès le début de mon analyse, je souhaite dire quelques mots au sujet de l’erreur manifeste et dominante.
[60] En l’espèce, un grand nombre des arguments de M. Mahjoub se concentrent sur la recherche de faits de la Cour fédérale et son application axée sur les faits des normes juridiques aux faits, en particulier sur la question du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ces affaires ne peuvent être assujetties qu’à la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon], au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St-Germain, précité.
[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.
[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.
[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.
[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.
[66] Souvent, les personnes qui allèguent une erreur manifeste et dominante soutiennent que le tribunal de première instance a oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve ou ne lui a pas accordé suffisamment de poids parce que le tribunal n’a pas mentionné les éléments de preuve dans ses motifs. Devant nous, M. Mahjoub fait souvent cette prétention. Une non-mention dans les motifs ne mène pas nécessairement à une conclusion d’erreur manifeste et dominante.
[67] D’abord, les cours de première instance jouissent d’une présomption réfutable selon laquelle elles ont pris en considération et évalué tous les éléments dont elles disposent : arrêt Housen, au paragraphe 46.
[68] En outre, lorsqu’une cour d’appel examine une allégation d’erreur manifeste et dominante, elle se concentre souvent sur les motifs du tribunal de première instance. Cependant, ses motifs doivent être examinés en contexte et interprétés en fonction à la fois du dossier de preuve dont il disposait et des observations faites à cet égard : arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 35 et 55. Même si les motifs peuvent ne pas mentionner un sujet donné ou des éléments de preuve particuliers, le dossier de preuves et le contexte peuvent jeter un éclairage sur les raisons pour lesquelles le tribunal de première instance a fait ce qu’il a fait. Ils peuvent également confirmer que, même si un sujet n’est pas mentionné dans les motifs, il était néanmoins à la disposition du tribunal et ce dernier l’a examiné.
[69] Parfois, les avocats soutiennent que des lacunes dans les motifs du tribunal de première instance indiquent une erreur manifeste et dominante. En examinant ce genre d’observations, les cours d’appel doivent se rappeler certaines réalités de la rédaction de motifs. Il s’agit d’un art imprécis tributaire de jugements difficiles qui ne peuvent pas facilement faire l’objet d’une appréciation rétrospective. Notre Cour a décrit ainsi la tâche de rédaction des motifs d’un tribunal de première instance :
Les juges de première instance qui, jour après jour et semaine après semaine, sont plongés dans des procès longs et complexes comme c’est le cas en l’espèce, occupent une position unique et privilégiée. Armés des outils de la logique et de la raison, ils étudient et examinent tous les témoignages et toutes les pièces. Au fil du temps, une appréciation des faits se dégage, évolue et finalement prend la forme d’un récit factuel, plein d’interconnexions, de détails et de nuances complexes.
Lorsque vient le temps de rédiger les motifs d’une cause complexe, les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.
Parfois, des appelants soutiennent, en invoquant l’erreur manifeste et dominante, que les motifs ne mentionnent pas certaines questions qu’ils estiment importantes, ou ne le font que sommairement. Pour juger de la validité d’une telle prétention, il faut veiller à bien faire la différence entre l’erreur manifeste et dominante véritable, d’une part, et le sous-produit légitime de l’examen minutieux et de la synthèse ou les formulations inadéquates innocentes, d’autre part.
(Arrêt South Yukon, précité, aux paragraphes 49 à 51.) Ces observations sont particulièrement vraies dans un cas comme l’espèce qui comporte un dossier volumineux, complexe et étendu, dispersé dans de nombreuses requêtes et procédures.
[70] Souvent, l’erreur manifeste et dominante est mieux définie par une description de ce qu’elle n’est pas. Si une cour d’appel avait carte blanche, elle pourrait pondérer différemment les éléments de preuve et parvenir à un résultat différent. Elle pourrait être portée à tirer des inférences différentes ou à voir des implications factuelles différentes dans les éléments de preuve. Mais ces choses, sans plus, n’équivalent pas à l’erreur manifeste et dominante.
[71] Chez les avocats exerçant dans ce domaine, un autre point de confusion est la norme de contrôle concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance.
[72] L’exercice du pouvoir discrétionnaire fait intervenir l’application de normes juridiques aux faits tels qu’on les trouve. Aux fins du cadre de l’arrêt Housen qui régit les normes de contrôle en appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire constitue une question de droit et de fait : arrêts Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, aux paragraphes 28, 71 et 72; et Decor Grates Incorporated c. Imperial Manufacturing Group Inc., 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246, au paragraphe 18.
[73] Parfois, les gens sont confus parce que les questions de fait et de droit ne sont pas toutes semblables. Certaines questions de droit et de fait sont de nature binaire. Par exemple, en se fondant sur les faits, la question de savoir si un professionnel n’a pas respecté la norme juridique de diligence applicable est une question de droit et de fait mixte à laquelle on ne peut répondre que par oui ou par non. D’autres questions de droit et de fait mixtes permettent tout un éventail de réponses possibles. Par exemple, prenons la question de réparations dans le cas d’un abus de procédure, une question très concrète en l’espèce. Régi par les normes juridiques exposées dans la jurisprudence, un tribunal dispose d’un éventail d’options en matière de réparation. Dans les affaires où des questions mixtes de droit et de fait donnent lieu à cette gamme d’options, nous avons tendance à dire que le tribunal jouit d’un pouvoir discrétionnaire. Par contre, cela demeure une question mixte de droit et de fait aux fins du cadre de la jurisprudence Housen qui régit les normes de contrôle en appel.
[74] En vertu de la jurisprudence Housen, les questions mixtes de droit et de fait, y compris l’exercice du pouvoir discrétionnaire, peuvent être annulées uniquement aux motifs d’une erreur manifeste et dominante — le seuil élevé décrit plus haut —, à moins qu’une erreur à l’égard d’une question de droit ou de règle de droit isolable ne soit présente. Donc, par exemple, si un tribunal d’appel peut discerner une erreur de droit ou de règle de droit sous-tendant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance, il peut renverser l’exercice du pouvoir discrétionnaire aux motifs de cette erreur. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le pouvoir discrétionnaire était « entaché ou vicié » d’une méconnaissance de la loi ou de la règle de droit : arrêt Housen, au paragraphe 35.
[75] Ayant examiné ces principes de base du contrôle en appel et étudiant la présente question — comme doit le faire la Cour — sous l’optique des normes de contrôle, je passe maintenant à une description générale de la nature des arguments présentés à la Cour. J’offre également une évaluation globale des décisions de la Cour fédérale dans la présente affaire.
2) Appliquer la norme de contrôle : une conclusion sommaire
[76] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a fait valoir des douzaines de questions juridiques, petites et grandes. Sauf en une occasion, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit ou touchant à la règle de droit. Lors de cette seule occasion, la Cour fédérale a commis une erreur — mais, comme nous le verrons, elle a commis une erreur en faveur de M. Mahjoub.
[77] En outre, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante.
[78] Ainsi, il n’existe aucun motif pour la Cour d’intervenir dans la décision de la Cour fédérale. Sur le plan du droit, sa décision doit être maintenue.
[79] Devant notre Cour, M. Mahjoub invite souvent la Cour à réévaluer et à soupeser à nouveau les éléments de preuve dont la Cour fédérale était saisie et à substituer sa recherche des faits et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à celui de la Cour fédérale : à titre d’exemple, voir les paragraphes 12 à 15, 15.2 et 15.3, 50 à 53 et 67 du mémoire des faits et du droit de M. Mahjoub. Parfois, il demande à la Cour de tirer des inférences factuelles que la Cour fédérale a refusé de tirer (à titre d’exemple, voir ibid., au paragraphe 19), afin de conclure à un préjudice plus grand selon les faits que celui auquel la Cour fédérale était prête à conclure (à titre d’exemple, voir ibid., au paragraphe 20), à présumer que la Cour fédérale a négligé d’examiner les éléments de preuve qu’elle n’a pas mentionnés (à titre d’exemple, voir ibid., aux paragraphes 45 et 69), à alléguer que la Cour fédérale a mal interprété des éléments de preuve afin d’encourager la Cour à substituer sa propre conclusion factuelle à celle de la Cour fédérale (à titre d’exemple, voir ibid., aux paragraphes 48, 55, 64 et 65 et 69), et à contester les conclusions quant à la crédibilité (à titre d’exemple, voir ibid., au paragraphe 87).
[80] Il faut refuser ces invitations. Elles nous incitent à emprunter une voie que la loi nous interdit. À moins que nous constations une erreur juridique, la seule voie que nous pouvons emprunter est celle de l’erreur manifeste et dominante.
[81] À l’intention d’autres qui, un jour, pourraient devoir trancher une affaire aussi complexe que la présente et qui cherchent une orientation, les sept ensembles de motifs de la Cour fédérale — 1 021 pages et 2 160 paragraphes de motifs concis, parfaitement clairs — constituent un modèle qui mérite d’être étudié et émulé, un exemple de l’exécution de l’art judiciaire à son meilleur. À maintes reprises et sans chevauchement inutile, la Cour fédérale a établi sa méthodologie de recherche des faits à l’égard de chaque question précise dont elle était saisie, l’admissibilité des éléments de preuve pertinents à chaque question en litige et ses appréciations de la crédibilité et de l’importance de la preuve. Ses conclusions factuelles, exprimées de façon claire et ferme, se rapportent directement aux critères juridiques fournis par la loi habilitante. On retrouvait dans tous les motifs l’impartialité, la neutralité, la logique et l’analyse clinique. Par exemple, voir l’examen poussé, la discussion lucide et le rejet équitable de plusieurs allégations et éléments de preuve offerts par les ministres : 2013 CF 1092, aux paragraphes 218 à 228, 230 et 231, 248 à 252, 254 à 259, 262, 268 et 269, 292, 294 et 295, 447, 450, 452 à 454, 456 et 457, 501 à 503, 528, 574 à 583, 595 et 596, 599, 600, 609, 614 et 615.
[82] À coup sûr, cela n’intervient nullement dans la tâche de la Cour dans le cadre de ces appels. Lorsqu’un appelant réussit à convaincre la Cour qu’un jugement doit être cassé aux motifs d’une erreur juridique ou d’une erreur manifeste et dominante, les motifs superbement rédigés et la méthode judiciaire par ailleurs stellaire ne valent rien : la responsabilité de la Cour est de casser le jugement. Par contre, en l’espèce, comme je l’ai dit, il n’y a aucune erreur juridique, si ce n’est un cas en faveur de M. Mahjoub, et il n’y a aucune erreur manifeste et dominante.
3) Caractère raisonnable du certificat de sécurité
[83] En examinant le caractère raisonnable du certificat de sécurité, la Cour fédérale disposait de beaucoup d’éléments de preuve, provenant tant des procédures ouvertes au public que des procédures à huis clos. Cependant, elle était d’avis que son jugement quant au caractère raisonnable du certificat pouvait se fonder en grande partie sur les témoignages reçus lors des audiences publiques et d’autres sources publiques, disponibles — non pas des éléments de preuve dont l’admissibilité faisait l’objet d’une contestation juridique. Comme on peut le constater d’après le résumé suivant des faits et les références qui les étayent, c’est vraiment le cas.
[84] La tâche globale de la Cour fédérale consistait à décider « du caractère raisonnable du certificat » et à « l’annule[r] s’il [le juge] ne [pouvait] conclure qu’il [était] raisonnable » : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, article 78.
[85] Tel qu’il est indiqué au début des présents motifs, plusieurs motifs d’interdiction de territoire liés à l’article 34 étaient exposés dans le certificat de sécurité. Les motifs sont lus de façon disjonctive; si un des motifs est établi, le certificat est raisonnable : décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] R.C.F. 163 [Almrei (Re)], au paragraphe 59. En vertu de l’article 33 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les faits qui constituent une interdiction de territoire comprennent les « faits — actes ou omissions — […] appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». En l’espèce, la Cour fédérale a conclu que deux motifs d’interdiction de territoire avaient été établis.
[86] Devant notre Cour, M. Mahjoub soutient que le certificat de sécurité n’était pas raisonnable. Il soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en déterminant la norme juridique requise eu égard au caractère raisonnable. Il soutient également que le certificat n’est pas raisonnable compte tenu des éléments de preuve.
a) La norme juridique requise eu égard au caractère raisonnable
[87] M. Mahjoub soutient que chaque fait allégué par les ministres dans le certificat de sécurité doit être établi selon la prépondérance des probabilités, puis être évalué de façon globale pour savoir si les faits ainsi établis constituent des motifs raisonnables de croire.
[88] La Cour fédérale n’a pas accepté cet argument (2013 CF 1092, aux paragraphes 41 à 44) et je ne l’accepte pas non plus. Chaque fait allégué qui établit l’interdiction de territoire doit seulement être établi selon une norme des « motifs raisonnables de croire ». Cela découle de l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100 [Mugesera], aux paragraphes 114 à 116, et de l’arrêt Charkaoui I, précité, au paragraphe 39.
[89] La norme des motifs raisonnables de croire « exige que le juge se demande s’il existe “un fondement objectif [de croire] reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi” » : arrêt Charkaoui I, au paragraphe 39, citant l’arrêt Mugesera, précité, au paragraphe 114. C’est-à-dire que cette norme exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » : arrêt Mugesera, au paragraphe 114. Si la « prépondérance de la preuve » infirme la version des faits allégués du ministre, le certificat de sécurité ne peut être jugé raisonnable : décision Jaballah (Re), 2010 CF 79, [2011] 2 R.C.F. 145, au paragraphe 45; décision Almrei (Re), précitée. La Cour fédérale a suivi cette jurisprudence et a appliqué les normes substantielles qu’elle prescrit.
[90] Je souscris aussi aux motifs de la Cour fédérale quant au reste des motifs d’interdiction de territoire exposés aux alinéas 34(1)d) et 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les deux motifs à l’égard desquels la Cour fédérale a conclu que le certificat est raisonnable : 2013 CF 1092, aux paragraphes 50 à 66 et 673. Ces deux motifs sont le danger pour la sécurité du Canada et le fait d’être membre d’organisations qui ont commis des actes visant au renversement par la force et qui se sont livrées au terrorisme. Cependant, certains arguments précis que présente M. Mahjoub au sujet de ces deux motifs devraient être examinés de plus près.
[91] M. Mahjoub soutient que la Cour fédérale a appliqué une trop vaste définition du terme « membre » aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Je rejette cette prétention.
[92] Les organisations terroristes n’émettent pas de cartes de membre et ne tiennent pas de listes des membres. Ainsi, comme l’a conclu la Cour fédérale (2013 CF 1092, au paragraphe 63), le titre de membre officiel, au sens entendu en ce qui concerne les organisations légitimes, n’est pas requis. Au contraire, certaines activités qui appuient de façon importante les objectifs d’un groupe terroriste, notamment la fourniture de fonds, la fourniture de faux documents, le recrutement ou l’hébergement de personnes, peuvent constituer des preuves de participation à une organisation terroriste, même si les activités ne sont pas directement liées à la violence terroriste.
[93] M. Mahjoub soutient également qu’il doit exister certains éléments de preuve d’une « intention de participer ou de contribuer » à une organisation. Je rejette cette prétention.
[94] L’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne précise pas un élément mental qui doit être satisfait pour être membre; en soi, il ne fait qu’exposer le statut de membre, rien de plus.
[95] Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a conclu que M. Mahjoub présentait un élément mental de la qualité de membre : il avait « un lien institutionnel avec [Al Jihad] et […] il a sciemment participé aux activités de l’organisation » et il y avait des motifs raisonnables de croire « que [le terroriste] était au courant de cet entraînement » qui se donnait dans une ferme au Soudan où il travaillait et qu’il en était « complice ». Voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 483, 504, 628 à 632.
[96] L’appelant soutient aussi qu’en vertu de l’alinéa 34(1)f), la personne visée dans un certificat de sécurité doit avoir participé à l’activité terroriste de l’organisation avant que l’on puisse conclure qu’elle en est membre. Je rejette aussi cette prétention.
[97] La participation à des actes terroristes constitue un motif exposé à l’alinéa 34(1)c), motif sur lequel, en fin de compte, la Cour fédérale ne s’est pas fiée en l’espèce. Exiger que des actes terroristes soient commis avant que l’on puisse conclure que la personne est membre au sens de l’alinéa 34(1)f) rendrait cet alinéa et d’autres alinéas du paragraphe 34(1) redondants : arrêt Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, [2016] 1 R.C.F. 428, aux paragraphes 20 à 26.
[98] Ainsi, dans l’ensemble, la Cour fédérale a correctement déterminé la norme à appliquer pour décider du caractère raisonnable du certificat et a correctement compris les motifs pour l’interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il n’existe aucun motif d’intervenir compte tenu de ces fondements.
b) Les faits constatés par la Cour fédérale eu égard au caractère raisonnable du certificat de sécurité
[99] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Cour fédérale a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que deux motifs d’interdiction de territoire étaient présents : alinéa 34(1)d) (danger pour la sécurité du Canada) et alinéa 34(1)f) (membre de deux organisations qui ont commis des actes visant au renversement par la force et qui se sont livrées au terrorisme).
[100] La Cour fédérale a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub constituait un danger pour la sécurité du Canada au sens de l’alinéa 34(1)d) du fait de ses contacts continus avec des terroristes : 2013 CF 1092, au paragraphe 673. Elle a aussi conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub était membre d’Al Jihad et de l’Avant-garde de la Conquête, deux organisations qui ont commis des actes visant au renversement par la force et qui se sont livrées au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f) : ibid.
[101] Les faits constatés par la Cour fédérale démontrent amplement le caractère raisonnable du certificat de sécurité à l’égard de ces motifs.
[102] La plupart des faits constatés par la Cour fédérale se fondent sur les témoignages reçus lors d’audiences publiques et sur d’autres sources publiques disponibles — articles de journaux, magazines, livres, encyclopédies, entrées de bases de données en ligne, publications d’organismes non gouvernementaux, publications de groupes de réflexion et publications du gouvernement canadien et de gouvernements étrangers. Ce sont des documents souvent utilisés dans le cadre de procédures d’immigration. La Cour fédérale a précisément conclu que ces documents sont fiables en l’espèce, en partie du fait de témoignages d’experts devant elle. La Cour fédérale était également sensible au poids qu’elle devrait accorder aux documents et elle les a examinés individuellement. Voir de façon générale, 2013 CF 1092, aux paragraphes 94 à 106. Les témoignages d’experts, utilisés dans une certaine mesure dans l’analyse de la Cour, et d’autres témoignages, moins utilisés, ont été évalués minutieusement aux fins de la crédibilité : à titre d’exemple, voir la référence 2013 CF 1092, aux paragraphes 124 à 135 et 139 à 171.
[103] D’autres éléments de preuve sur lesquels la Cour fédérale s’est fondée comprenaient des éléments de preuve documentaire et des éléments de preuve matérielle trouvés en la possession de M. Mahjoub au moment de son arrestation.
[104] Pour la Cour fédérale, cela constituait « les éléments de preuve les plus fiables parmi ceux présentés par les ministres » : 2013 CF 1092, au paragraphe 93. Ils étaient aussi importants — ils formaient le fondement de plusieurs constatations qui reliaient M. Mahjoub à des terroristes connus et qui établissaient qu’il était membre de groupes terroristes : 2013 CF 1092, aux paragraphes 271, 274, 308, 668 et 669.
[105] La Cour fédérale s’est également fondée sur des éléments de preuve secrets ou présentés à huis clos, principalement des documents connus sous le nom de système de références bibliographiques (SRB) et d’autres rapports de renseignements, mais seulement après une minutieuse appréciation de leur poids : à titre d’exemple, voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 107 à 122. Toutefois, en fin de compte, elle a jugé que très peu de ces éléments de preuve étaient nécessaires.
[106] La Cour fédérale a été extrêmement soucieuse de l’utilisation de la majeure partie des éléments de preuve présentés à huis clos. Conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, elle a exclu les éléments de preuve présentés à huis clos à l’égard desquels il existait des motifs raisonnables de croire que ceux-ci avaient été obtenus par la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : ordonnances du 9 juin 2010 et du 31 août 2010 dans le dossier DES-7-08. De même, dans une autre ordonnance du 19 juin 2012 dans le dossier DES-7-08, la Cour fédérale a exclu les rapports du SRB concernant les conversations auxquelles M. Mahjoub n’a pas participé, se conformant ainsi à la décision de notre Cour dans l’arrêt Harkat, précité. Elle a également refusé de se fonder sur des renseignements présentés en privé par des sources humaines à l’appui des allégations des ministres.
[107] Voici un résumé des éléments de preuve sur lesquels la Cour fédérale s’est fondée pour étayer le caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[108] Deux organisations terroristes jouent un rôle central dans ce résumé factuel : Al Jihad et l’Avant-garde de la Conquête. Une troisième — Al-Qaïda — se dissimule parmi elles.
[109] Tout d’abord, Al Jihad. Dans l’ensemble, la Cour fédérale a conclu que les éléments de preuve concernant la participation d’Al Jihad au renversement par la force du gouvernement de l’Égypte et à des actes de terrorisme, « y compris des actes terroristes ayant causé la mort de civils », étaient « accablants [et] probants » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 178 à 182; témoignages de professeurs et éléments de preuve de sources publiques.
[110] Al Jihad est « une organisation islamique sunnite militante égyptienne, organisée en cellules isolées les unes des autres et appliquant une politique stricte de secret » qui se livre au terrorisme : 2013 CF 1092, au paragraphe 178; témoignage du professeur F. Gerges. En 1998, elle est devenue partie intégrante du « Front islamique international pour la destruction des juifs et des croisés » : 2013 CF 1092, au paragraphe 180; témoignage du professeur Wark; publication intitulée Al-Quds al’-Arabi. Al Jihad a été en partie responsable de l’assassinat du président de l’Égypte, Anouar el-Sadate, en octobre 1981, et totalement responsable d’actes de terrorisme contre d’autres dirigeants publics, y compris des attentats à la voiture piégée, des attaques contre des ambassades, et bien d’autres : 2013 CF 1092, au paragraphe 179; témoignage du professeur Byman; témoignage de M. Guay; journal Al-Hayah, 9 août 1998.
[111] Al Jihad était aussi « une entité soit indépendante soit étroitement liée à Al-Qaïda » ou, autrement dit, ces « organisations qui se chevauchaient » se « livraient à des actes de terrorisme et de subversion » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 180, 182, 464, 593 et 622. Selon certains, il s’agissait d’une [traduction] « copie conforme » d’Al-Qaïda qui avait adopté la structure d’Al-Qaïda : 2013 CF 1092, au paragraphe 180; témoignage du professeur Gerges. Al-Qaïda est coupable des attentats à la bombe contre des ambassades des États-Unis en 1998 en Tanzanie et au Kenya, de l’attentat à la bombe commis contre le USS Cole au Yémen, des attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, des attentats à la bombe de Bali en 2002, et d’autres actes terroristes.
[112] L’une des contributions d’Al Jihad au répertoire terroriste — adoptée par la suite par Al-Qaïda — était l’idée d’avoir deux explosions, une première, petite, qui tuerait quelques personnes, mais qui attirerait des personnes non blessées, des personnes curieuses à leurs fenêtres pour voir ce qui se passait, puis la seconde, plus importante, conçue pour les tuer ou les mutiler. Voir 2013 CF 1092, au paragraphe 180; témoignage du professeur Gerges; Lawrence Wright, The Looming Tower : Al-Qaeda and the Road to 9/11 (New York : Vintage, 2006).
[113] Al Jihad « a organisé des entraînements dans une structure en cellules à la fin des années 1980 et au début des années 1990 » et « a mené des attaques violentes contre des représentants égyptiens et des ambassades de l’Égypte » sous la direction et « la dictature » du Dr Ayman Al Zawahiri : 2013 CF 1092, aux paragraphes 178 et 187; témoignage du professeur Gerges. Le Dr Al Zawahiri est un membre ou haut dirigeant d’organisations islamistes radicales qui ont orchestré et exécuté des attaques terroristes un peu partout dans le monde, l’un des fondateurs d’Al-Qaïda, et l’actuel chef d’Al-Qaïda : 2013 CF 1092, au paragraphe 464. Le Dr Al Zawahiri a aussi prévenu qu’il y aurait des attaques dans le style du 11 septembre contre les Canadiens, qu’il considère des [traduction] « croisés de seconde classe » : 2013 CF 1092, au paragraphe 667 : National Post, 28 octobre 2006.
[114] L’Avant-garde de la Conquête constitue le deuxième groupe terroriste pertinent. Avec Al Jihad, ils « se sont chevauchés de manière importante sur le plan du personnel et de la direction » et ont formé un [traduction] « front commun » avec d’autres. L’Avant-garde de la Conquête « a partagé les mêmes objectifs terroristes qu’[Al Jihad], ce qui implique la subversion violente du gouvernement de l’Égypte ainsi que le terrorisme ». L’Avant-garde de la Conquête a été, au minimum « un nom utilisé dans les médias pour désigner un sous-groupe d’[Al Jihad] ou une organisation utilisée par [le Dr Ayman Al Zawahiri] en tant que façade pour [Al Jihad] »; elle a émergé avant 1993 : voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 177, 189 à 208, selon les témoignages des professeurs Gerges et Byman, le rapport d’expert du professeur Wark, et des éléments de preuve de sources publiques, dont les livres, The Road to Al-Qaeda et The Spectrum of Islamist Movements. L’Avant-garde de la Conquête a revendiqué les tentatives d’assassinat contre le ministre de l’Intérieur de l’Égypte en 1993 et le président de l’Égypte Hosni Moubarak en 1995 : 2013 CF 1092, aux paragraphes 199 et 204, citant les professeurs Gerges et Byman.
[115] Se fondant sur les éléments de preuve admissibles dont elle était saisie, la Cour fédérale a conclu que M. Mahjoub était un membre de ces deux organisations terroristes, Al Jihad et l’Avant-garde de la Conquête.
[116] La Cour fédérale a fondé cette conclusion, entre autres, sur les communications de M. Mahjoub, ses associations avec certains terroristes connus et leurs organisations, ses voyages ainsi que sur certaines fausses explications qu’il a fournies lorsqu’il a été interrogé.
[117] En ce qui concerne M. Mahjoub et la présente affaire, l’histoire commence en 1991.
[118] Cette année-là, M. Mahjoub est déménagé au Soudan selon le formulaire de renseignements personnels qu’il a rempli à son arrivée au Canada en 1995 : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub (pièce A2, onglet 3); 2013 CF 1092, au paragraphe 460.
[119] Le déménagement de M. Mahjoub au Soudan était un [traduction] « choix insolite si le motif était économique » : témoignage du professeur Byman, 28 octobre 2010 (dossier d’appel, doc. 506.2, page 139); 2013 CF 1092, au paragraphe 460. Comme l’a dit lui-même M. Mahjoub, [traduction] « il était très difficile de trouver un emploi au Soudan, même pour un Soudanais » : 2013 CF 1092, au paragraphe 462 : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub. En 1992, M. Mahjoub était « sans statut, comme clandestin, dans un marché de l’emploi difficile » au Soudan : 2013 CF 1092, au paragraphe 621. Malgré ce statut, il est resté au Soudan : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub.
[120] Également en 1991 — l’année même où M. Mahjoub est déménagé au Soudan —, Al-Qaïda et Al Jihad ont déménagé de l’Afghanistan, « où le jihad prenait fin », au Soudan « dont le régime soutenu par le Front islamique national les avait accueillis » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 458 et 597; témoignage de M. Al Fadl tiré du procès United States v. Bin Laden, décision rapportée à 146 F. Supp. 2d 373 (S.D.N.Y. 2001) (pièce A12); témoignages des professeurs Byman, Gerges et Wark. À peu près à la même époque, M. ben Laden et d’autres « membres d’[Al Jihad] et d’Al-Qaïda » ont également déménagé au Soudan : Rapport d’expert du professeur Wark, pièce R24, à la page 14; 2013 CF 1092, aux paragraphes 458, 459 et 623. « Des contacts terroristes directs et indirects de M. Mahjoub » ont également déménagé au Soudan à ce moment-là : 2013 CF 1092, au paragraphe 459.
[121] Malgré la situation économique au Soudan, la difficulté pour quiconque de trouver un emploi au Soudan et le statut de M. Mahjoub en tant qu’immigrant illégal au Soudan, M. Mahjoub a néanmoins pu se trouver un emploi. Dans son formulaire de renseignements personnels à l’appui de sa demande de statut de réfugié qu’il a rempli à son arrivée au Canada quelques années plus tard, M. Mahjoub a indiqué qu’il était un ingénieur agricole à la ferme Al-Damazin lorsqu’il était au Soudan : 2013 CF 1092, aux paragraphes 462 et 463.
[122] En fait, M. Mahjoub était beaucoup plus qu’un simple ingénieur agricole.
[123] Même si M. Mahjoub venait tout juste d’arriver au Soudan en tant qu’immigrant illégal et même s’il n’avait « présenté aucun élément de preuve soutenant une expérience en gestion », on lui a tout d’un coup confié un « poste de haute direction » soit directeur général adjoint ou [traduction] « responsable en second » de toute une entreprise, la Althemar Almubarakah Agriculture Company, et le poste de gestionnaire du projet Damazin pour l’agriculture pluviale à la ferme Al-Damazin : 2013 CF 1092, aux paragraphes 75, 462, 463, 477, 481, 490 et 621; lettre de référence du 17 octobre 1993 de M. Al Duri à M. Mahjoub qui donnait les détails de son emploi pour Althemar (pièce A2, onglet 10). M. Mahjoub a omis d’inscrire ces renseignements dans son formulaire de renseignements personnels lorsqu’il a demandé le statut de réfugié au Canada.
[124] Bien que le salaire d’un employé soudanais moyen était inférieur à 50 $US par mois, M. Mahjoub recevait « aux environs de 600 $US par mois, sans comprendre tout montant complémentaire » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 484 à 486; témoignage de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden, précité. Il s’agissait d’une « estimation […] prudente » et, en fait, son salaire aurait pu être le double : 2013 CF 1092, au paragraphe 485; témoignage de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden; The Looming Tower, précités.
[125] L’entreprise et la ferme étaient loin d’être ordinaires.
[126] Toutes deux appartenaient au chef d’alors d’Al-Qaïda, M. Oussama ben Laden : 2013 CF 1092, aux paragraphes 75 et 464; témoignage du professeur Wark, confirmé par le témoignage de M. Al Fadl. Personne ne conteste ce fait : 2013 CF 1092, au paragraphe 464. Al-Qaïda maintenait le contact avec la ferme par radio : 2013 CF 1092, au paragraphe 478; témoignage de M. Al Fadl.
[127] Le supérieur immédiat de M. Mahjoub était M. Al Duri, un membre d’Al Jihad : 2013 CF 1092, aux paragraphes 75, 402 et 464. M. Mahjoub aurait « travaillé en étroite collaboration » avec lui : 2013 CF 1092, aux paragraphes 75, 86, 380, 401, 402, 483, 613 et 621; lettre de référence du 17 octobre 1993 de M. Al Duri à M. Mahjoub; témoignages des professeurs Wark et Byman.
[128] Le grade et la responsabilité de M. Mahjoub étaient semblables à ceux de M. Salim, un des associés les plus fiables de M. ben Laden, un membre fondateur d’Al-Qaïda et membre d’Al Jihad : 2013 CF 1092, aux paragraphes 390 et 483; article du New York Times, 3 décembre 2008; transcription de M. Al Fadl.
[129] Lorsque venait le temps d’engager des employés — en particulier des personnes de niveau supérieur comme M. Mahjoub —, M. ben Laden « était préoccupé par la pureté idéologique de ses partenaires », « a prêté une très grande attention à la sélection » et « adopté d’importantes mesures de sécurité » ce faisant : 2013 CF 1092, au paragraphe 478; témoignage du professeur Byman; transcription de la preuve de M. Al Fadl du procès United States v. Bin Laden, précité. Ainsi, utilisant en partie des éléments de renseignement des autorités soudanaises, les employés faisaient l’objet d’un examen minutieux pour déterminer leur loyauté, dont un volet était l’engagement vis-à-vis des points de vue et de l’idéologie de M. ben Laden et des antécédents connus au sein du mouvement extrémiste : 2013 CF 1092, aux paragraphes 478 et 480; transcription de M. Al Fadl; témoignage du professeur Byman.
[130] M. ben Laden se méfiait tout particulièrement des ressortissants égyptiens tels M. Mahjoub : beaucoup étaient employés par les services du renseignement ou de la sécurité de l’Égypte et pouvaient être des infiltrateurs : 2013 CF 1092, au paragraphe 479; témoignages de M. Al Fadl et de M. Al Ridi au procès United States v. Bin Laden, précité.
[131] Compte tenu de ces circonstances, M. Mahjoub, un ressortissant égyptien, doit avoir fait l’objet d’une « enquête minutieuse, en vue de vérifier » son « identité et [son] orientation », afin de démontrer qu’il était « digne de confiance » et pour confirmer son engagement « envers [les] points de vue et […] l’idéologie [de M. ben Laden] » : 2013 CF 1092, au paragraphe 480; témoignage du professeur Byman. Compte tenu de son « poste de haute direction », M. Mahjoub doit avoir passé haut la main : 2013 CF 1092, aux paragraphes 480 et 481. « M. [ben] Laden connaissait M. Mahjoub et lui faisait confiance ». Cette confiance n’a pu être acquise que si M. Mahjoub a démontré « un engagement idéologique envers le [djihad] » et « une participation connue dans la communauté islamique extrémiste » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 598 et 621.
[132] M. Mahjoub devait être engagé envers la cause. Il a accepté ce poste élevé au sein de l’entreprise de M. ben Laden malgré certains risques personnels. Si les autorités de son pays de nationalité, l’Égypte, avaient été mises au courant de son association avec M. ben Laden, il aurait été en danger : 2013 CF 1092, au paragraphe 482; témoignage d’E. Al Ridi au procès United States v. Bin Laden, précité. De plus, à la ferme, et nulle part ailleurs au Soudan, il s’associait uniquement à des Égyptiens : 2013 CF 1092, au paragraphe 482. Pour la Cour fédérale, cela signifiait que M. Mahjoub « faisait confiance aux autres Égyptiens qui travaillaient pour M. [ben] Laden, du fait qu’il était au courant du processus d’enquête de M. [ben] Laden, au moyen duquel l’infiltration par un gouvernement étranger serait empêchée » : ibid.
[133] Est-ce que la ferme où travaillait M. Mahjoub était seulement une ferme? Dans un sens, certains pourraient la considérer comme un endroit paisible, bucolique : on y cultivait le sésame, les arachides et le maïs blanc : transcription de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden, précité; 2013 CF 1092, au paragraphe 384. L’endroit était loin d’être bucolique et paisible. On y cultivait autre chose : des terroristes entraînés.
[134] Dans [traduction] « le tiers arrière » de la ferme, on donnait un entraînement et un entraînement de remise à niveau « pour le maniement d’armes en général et pour les explosifs », le tout supervisé par des membres d’Al-Qaïda. Un de ces membres était le spécialiste en explosifs d’Al-Qaïda, Salem el-Masry. Voir la transcription de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden, précité; 2013 CF 1092, aux paragraphes 384, 464, 474 et 482.
[135] La Cour fédérale a conclu que tout cela se déroulait alors que M. Mahjoub occupait son poste de haut dirigeant à la ferme : témoignage du professeur Wark; témoignage de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden; 2013 CF 1092, au paragraphe 476. De plus, « dans sa position d’autorité au sein de la société et à la ferme » M. Mahjoub « avait connaissance des activités [liées à l’entraînement aux explosifs et aux armes] », était « complice dans ces activités » et « était au courant de l’entraînement de terroristes au maniement d’armes » qui se donnait à la ferme : témoignage de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden, précité; témoignage du professeur Byman; 2013 CF 1092, aux paragraphes 466, 474, 476, 482, 483 et 621.
[136] En parvenant à sa conclusion au sujet des connaissances de M. Mahjoub, la Cour fédérale a minutieusement examiné la crédibilité du témoignage de M. Al Fadl. Tout en faisant remarquer qu’il avait tendance à exagérer, la Cour fédérale a conclu que sur cet aspect de son témoignage, M. Al Fadl n’a pas exagéré : 2013 CF 1092, au paragraphe 388. Elle a conclu que son témoignage à cet égard était crédible.
[137] Malgré le poste élevé de M. Mahjoub au sein de l’entreprise et de la ferme, et malgré un salaire passablement élevé pour un migrant illégal au Soudan, M. Mahjoub a quitté l’entreprise et la ferme en mai 1993 : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub; 2013 CF 1092, au paragraphe 484. Peu de temps après, en décembre 1995, il s’est rendu au Canada et a demandé l’asile.
[138] Les raisons exactes du départ de M. Mahjoub ne sont pas claires. Cependant, les éléments de preuve en laissent entrevoir certaines. La Cour fédérale a constaté une certaine corroboration concernant l’allégation des ministres selon laquelle M. Mahjoub a quitté le Soudan en raison d’une collaboration accrue entre les gouvernements de l’Égypte et du Soudan, le fait que les ressortissants égyptiens étaient de moins en moins les bienvenus au Soudan à la fin de 1995 et le changement de politique du Soudan concernant l’hébergement de terroristes : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub; 2013 CF 1092, aux paragraphes 494 et 601. De plus, en raison du profil élevé des attaques d’Al Jihad et de l’Avant-garde de la Conquête qui avaient lieu à ce moment-là — plus particulièrement la tentative d’assassinat du président Moubarak et le décès de plusieurs jeunes Égyptiens exécutés par Al Jihad en tant qu’espions —, de nombreux Égyptiens ont quitté le Soudan ou en ont été expulsés : 2013 CF 1092, au paragraphe 495.
[139] En outre, « [d’] autres individus liés au terrorisme au Soudan, dont certains avec des liens directs ou indirects avec M. Mahjoub, se sont rendus à l’étranger ou y ont déménagé vers cette époque » afin de « trouver une base à l’étranger » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 499 et 623, se fondant sur le rapport de renseignements de sécurité offert à l’appui du certificat de sécurité. Il s’agissait notamment de « membres importants » d’Al Jihad et d’Al-Qaïda : 2013 CF 1092, aux paragraphes 499 et 504; Rapport d’expert du professeur Byman; affidavit de J. Dratel (pièce R39, au paragraphe 27). Le départ de M. Mahjoub du Soudan « a coïncidé avec [le départ] de ces groupes terroristes et d’un grand nombre de leurs leaders », ce qui « appuie les allégations des ministres selon lesquelles M. Mahjoub était associé à ces groupes » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 500 et 601; éléments de preuve classifiés à l’appui.
[140] M. Mahjoub est entré au Canada en possession d’un faux passeport saoudien et a demandé l’asile : 2013 CF 1092, au paragraphe 506. Ceci, en plus du moment choisi par M. Mahjoub pour entrer au Soudan et en sortir, constituait un comportement qui coïncidait ou allait de pair avec celui d’autres personnes que la Cour fédérale a reconnues être des terroristes, y compris certains contacts de M. Mahjoub : 2013 CF 1092, aux paragraphes 507, 601 et 602.
[141] À son arrivée au Canada, M. Mahjoub a rempli le Formulaire de renseignements personnels à l’appui de sa demande d’asile. Dans ce formulaire, M. Mahjoub a indiqué qu’il a quitté l’entreprise et la ferme Al-Damazin pour acheter et vendre des marchandises dans un marché au Soudan. La Cour fédérale a jugé que cette explication n’était pas crédible étant donné le salaire que faisait M. Mahjoub à la ferme et compte tenu de l’inquiétude qu’il a exprimée ailleurs dans son Formulaire de renseignements personnels au sujet de [traduction] « la surveillance étroite de personnes égyptiennes, […] en particulier [lorsqu’il était] au marché » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 485 à 490.
[142] Les éléments de preuve relativement aux activités et contacts de M. Mahjoub au Canada à partir du moment de son arrivée jusqu’à son arrestation en 2000 en vertu du premier certificat sont très détaillés. La Cour fédérale a résumé cette preuve comme suit :
La plus grande partie de la preuve inculpatoire que les ministres [ont] présentée en lien avec la résidence de M. Mahjoub au Canada est la preuve de ses liens continus avec des membres établis ou soupçonnés [d’Al Jihad], [de l’Avant-garde de la Conquête], d’Al-Qaïda et [d’un groupe terroriste associé]. Cette preuve est convaincante et elle établit que M. Mahjoub a maintenu un contact avec un terroriste membre d’Al-Qaïda, M. [Ahmed] Khadr, une amitié avec un terroriste membre établi d’Al Qaïda, M. el-Duri, [texte omis] [*], une association étroite et active avec un terroriste membre établi d’Al-Qaïda/[Al Jihad], M. Marzouk, et un contact avec un numéro de téléphone associé à [l’Avant-garde de la Conquête] au Koweït[*]. Un certain nombre de ces contacts étaient encore actifs dans le milieu terroriste, en particulier M. [Ahmed] Khadr et M. Marzouk. Ces contacts étaient régulièrement dissimulés à l’aide de pseudonymes. M. Mahjoub a également caché ces contacts au Service lors d’une ou de plusieurs entrevues [texte omis]. La crainte qu’avait M. Mahjoub des autorités égyptiennes et sa croyance que le Service complotait avec eux n’expliquent pas sa malhonnêteté. Les dénégations de M. Mahjoub sont insuffisantes pour réfuter la preuve des ministres concernant ses contacts avec le milieu terroriste. Je conclus qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le contact de M. Mahjoub, étant donné les antécédents des personnes visées et le manque de transparence de M. Mahjoub relativement à son contact avec elles, le liait au réseau terroriste auquel ces personnes étaient associées.
(2013 CF 1092, au paragraphe 568.)
[143] Seulement deux phrases dans ce passage sont étayées par des éléments de preuve classifiés et elles sont marquées d’un « [*] ». Le reste est tiré des témoignages de Mme El Fouli dans la première instance liée à la sécurité, de la lettre de recommandation de M. Al Duri à M. Mahjoub, d’un carnet d’adresses trouvé en la possession de M. Mahjoub lorsqu’il a été arrêté, des relevés de communications téléphoniques obtenus des compagnies de téléphone au moyen d’une assignation à produire des éléments de preuve du ministère de la Justice, ainsi que de témoignages d’experts et de sources publiques, la plupart résumés à la référence 2013 CF 1092, aux paragraphes 286, 297, 298, 329, 340, 342, 343, 345, 359, 365, 370, 373, 374, 543 et 544.
[144] Au Canada, M. Mahjoub s’est associé ou a entretenu un contact avec plusieurs personnes qui jouent ou jouaient (à tout le moins à ce moment-là) « des rôles importants dans le milieu terroriste », notamment M. Al Duri, M. Ahmed Khadr, qui était « un conseiller principal de M. [Ousama ben] Laden et un agent de financement » et M. Marzouk : 2013 CF 1092, aux paragraphes 270 à 311, 314 à 428 et 624. Dans le cas de M. Al Duri, le membre d’Al-Qaïda qui était le supérieur immédiat de M. Mahjoub à la ferme au Soudan où se donnait l’entraînement au maniement des armes pour les terroristes, la Cour fédérale a conclu, en se fondant sur des documents trouvés sur M. Mahjoub au moment de son arrestation, qu’ils « entretenaient une association ou une amitié étroite » : 2013 CF 1092, au paragraphe 612.
[145] La plupart des éléments de preuve sous-tendant les conclusions de la Cour fédérale dans le paragraphe qui précède provenaient d’éléments de preuve présentés à huis clos. Si ce paragraphe est supprimé et si les portions du paragraphe précédent qui font référence aux éléments de preuve présentés à huis clos sont éliminées, on peut constater qu’il existe quand même une montagne d’éléments de preuve de source publique ou de procès publics qui étayent le caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[146] En tirant des conclusions de fait au sujet de ce qui précède, la Cour fédérale s’est fondée en partie sur le témoignage de M. Al Fadl au procès United States v. Bin Laden, précité. La Cour fédérale a fait preuve d’extrême prudence au sujet de ces éléments de preuve et les a évalués avec la plus grande minutie : à titre d’exemple, voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 152 à 156 et 465 à 474. Elle a conclu que ces éléments de preuve respectaient la norme d’admissibilité de tout élément de preuve « digne de foi et utile » exposée à l’alinéa 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Plus précisément, la Cour fédérale a examiné les éléments de preuve présentés par M. Al Fadl concernant la « ferme » comme étant « convaincant[s] et crédible[s] » : 2013 CF 1092, au paragraphe 474.
[147] La Cour fédérale a confirmé qu’il n’existait aucune preuve exculpatoire crédible, même dans les éléments de preuve très secrets divulgués aux avocats spéciaux et examinés dans le cadre de l’audience à huis clos : 2013 CF 1095, au paragraphe 162. À son avis, il n’existait aucun élément de preuve crédible dans les éléments de preuve directs de M. Mahjoub : 2013 CF 1092, aux paragraphes 586 à 589. Ayant examiné le dossier de preuves, tant les éléments de preuve publics que ceux présentés à huis clos, je souscris à la conclusion de la Cour fédérale à cet égard.
[148] Une grande partie de la recherche de faits de la Cour fédérale est étayée par ses évaluations de la crédibilité de M. Mahjoub, évaluations qui résistent à un examen rigoureux dans le cadre de la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[149] Même si M. Mahjoub n’a pas témoigné, plusieurs de ses déclarations antérieures avaient été présentées de façon régulière à la Cour fédérale. À divers moments, la Cour fédérale a conclu que les déclarations de M. Mahjoub étaient tout simplement non « crédible[s] » ou « trompeu[ses] » ou que M. Mahjoub était « évasif », « ne disait probablement pas la vérité », « ne disait pas la vérité », était délibérément « imprécis », « essayait de dissimuler » ou dissimulait, et manquait « de crédibilité et de franchise » : à titre d’exemple, voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 263, 266, 284, 309 à 311, 444, 445, 486, 487, 490, 491, 514, 515, 529, 532, 533, 550, 551, 566, 568, 588, 599, 603 à 605, 607, 608, 614, 617 à 620, 624, 625 et 645. Par exemple, compte tenu de tous les éléments de preuve au sujet de la ferme, ci-dessus, M. Mahjoub a inscrit dans son formulaire de renseignements personnels remis aux autorités à l’appui de sa demande d’asile lorsqu’il est arrivé au Canada qu’il était simplement une personne au Soudan qui était à la ferme et qui a quitté cet emploi pour « acheter et vendre des marchandises au marché ». Il a dit qu’il craignait particulièrement le marché, étant donné qu’il avait l’impression de faire l’objet de « la surveillance étroite de personnes égyptiennes » lorsqu’il s’y trouvait : Formulaire de renseignements personnels de M. Mahjoub; à titre d’exemple, voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 484 à 487 et 490.
[150] Selon la Cour fédérale, les « omissions et mensonges » de M. Mahjoub avaient « pour but de dissimuler systématiquement tout fait qui pourrait le lier à des terroristes connus, à des activités terroristes ou à des entreprises connues associées au terrorisme, comme Althemar » : 2013 CF 1092, au paragraphe 619. En outre, la Cour fédérale a fait observer que le fait que M. Mahjoub « mente au sujet de son utilisation de pseudonymes [était] particulièrement préoccupant » étant donné l’emploi fréquent de pseudonymes « dans le milieu terroriste » et le fait que l’« emprunt de pseudonymes […] sert à dissimuler la vraie identité des personnes impliquées » : 2013 CF 1092, au paragraphe 619. En partie, les mensonges et omissions de M. Mahjoub ont amené la Cour fédérale à conclure que son compte rendu innocent des événements et ses activités au Soudan et au Canada « n’est pas crédible » : 2013 CF 1092, aux paragraphes 619 et 620.
[151] La Cour fédérale n’a pas confirmé le caractère raisonnable du certificat de sécurité tout simplement parce que les déclarations de M. Mahjoub n’étaient pas crédibles. En fait, son manque de crédibilité n’était que l’un des nombreux, très nombreux éléments soulignant le caractère raisonnable du certificat.
[152] Avant de laisser la question du caractère raisonnable du certificat, certaines observations faites par les avocats spéciaux devraient être abordées.
[153] Premièrement, sur la question de savoir si l’un des contacts de M. Mahjoub était M. Marzouk, les avocats spéciaux laissent entendre que la Cour fédérale n’a pas tenu compte d’éléments de preuve clés tirés de rapports de renseignements. Cependant, comme nous l’avons expliqué plus haut, la non-mention d’éléments de preuve dans les motifs ne signifie pas en soi qu’il existe une erreur manifeste et dominante. Cela est particulièrement vrai dans un cas aussi vaste et étendu que l’espèce. Une erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle élevée difficile à satisfaire. Compte tenu de la façon détaillée et exhaustive dont la Cour fédérale a traité cette question, je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale ait commis une erreur manifeste et dominante à cet égard. Elle disposait de beaucoup d’autres éléments de preuve qui étayaient le contact de M. Mahjoub avec M. Marzouk : 2013 CF 1092, aux paragraphes 306 à 311, 529 à 531, 566 et 568. Par ailleurs, de très nombreux éléments de preuve étayaient l’engagement de M. Marzouk envers le terrorisme : paragraphes 339 et 340. Même s’il y avait une erreur en l’espèce, je ne la considère ni « manifeste » dans le sens d’évidente, ni « dominante » en ce sens qu’elle aura une incidence sur l’issue de l’appel — en l’espèce, la conclusion globale selon laquelle le certificat de sécurité est raisonnable.
[154] En discutant des éléments de preuve qui étayent le lien entre M. Mahjoub et M. Marzouk, les avocats spéciaux ont exprimé une inquiétude voulant qu’une telle conclusion, tirée d’éléments de preuve inadéquats pour l’étayer, pourrait entacher M. Mahjoub de « culpabilité par association ». Dans l’abstrait, je suis d’accord pour dire que le fait que la personne A transige avec la personne B, qui se trouve à être un terroriste, ne constitue pas une preuve, sinon une preuve très faible de quoi que ce soit. En l’espèce, comme il a été expliqué aux paragraphes 107 à 151 ci-dessus, il y avait énormément plus d’éléments qui établissent que le certificat de sécurité est raisonnable.
[155] Les avocats spéciaux ont aussi contesté une conversation interceptée que la Cour fédérale a utilisée pour lier M. Mahjoub à l’Avant-garde de la Conquête : 2013 CF 1092, au paragraphe 585; résumé d’interceptions (pièce A8, onglet 6). Ils soutiennent que la Cour fédérale a mal interprété cette conversation comme étant une admission de la part de M. Mahjoub selon laquelle il était un membre de l’Avant-garde de la Conquête.
[156] En l’espèce, nous traitons d’une question factuelle de fait et de droit. Je ne suis pas convaincu que le seuil élevé de l’erreur manifeste et dominante ait été atteint. Il était loisible à la Cour fédérale de conclure que la conversation interceptée comportait une admission d’appartenance. Le fait qu’un autre tribunal puisse avoir conclu différemment ou puisse avoir accordé moins d’importance à un élément de preuve n’établit pas une erreur manifeste et dominante. Finalement, même si la conclusion selon laquelle M. Mahjoub est membre de l’Avant-garde de la Conquête n’est pas maintenue, il était établi qu’il était un membre de l’organisation terroriste Al Jihad. L’appartenance à une organisation terroriste suffit pour que la Cour fédérale maintienne le caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[157] Pour résumer, la norme d’appréciation du certificat de sécurité est celle d’avoir des « motifs raisonnables de croire » que les motifs liés à la sécurité concernant l’interdiction de territoire aux termes de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont présents. La Cour fédérale a conclu qu’il existait des motifs raisonnables. Loin de soulever une erreur manifeste et dominante, les sources des conclusions de la Cour fédérale sont parfaitement établies et les conclusions sont bien étayées par des éléments de preuve admissibles — souvent très nombreux.
c) Implications concernant les questions juridiques qui s’ensuivent
[158] En appel, M. Mahjoub a soulevé plusieurs questions concernant l’admissibilité d’éléments de preuve. Je n’ai pas à en tenir compte. Même si les éléments de preuve que M. Mahjoub a contestés étaient exclus, les autres éléments de preuve admissibles qui étayent le caractère raisonnable du certificat de sécurité seraient maintenus. Le certificat de sécurité reste donc raisonnable.
[159] En conséquence, je ne vois que deux façons pour M. Mahjoub de pouvoir avoir gain de cause dans le présent appel.
[160] La première façon est qu’il établisse une objection juridique qui porte directement sur la délivrance du certificat de sécurité. En l’espèce, M. Mahjoub soulève deux objections juridiques : le régime législatif concernant les certificats de sécurité est inconstitutionnel; et la délivrance du certificat de sécurité n’est pas valide parce que les conditions juridiques nécessaires n’ont pas été satisfaites en l’espèce. Si l’une de ces prétentions est acceptée, alors le certificat de sécurité doit être annulé.
[161] La deuxième façon serait que la Cour fédérale ait commis une erreur susceptible de révision en décidant de ne pas suspendre les procédures de façon permanente aux motifs d’un abus de procédure. M. Mahjoub fait aussi cette observation. Il soutient qu’en raison de divers cas d’inconduite, d’erreurs et d’incidents, notamment des cas d’obtention illicite et d’utilisation illicite d’éléments de preuve, de violations du secret professionnel de l’avocat et de violations des droits garantis par la Charte, la Cour fédérale a commis une erreur donnant lieu à révision en ne suspendant pas de façon permanente les procédures. Autrement dit, peu importe le caractère raisonnable du certificat de sécurité, l’attaque contre la réputation et l’intégrité de l’administration de la justice en l’espèce est tellement grande que les présentes procédures auraient dû être suspendues de façon permanente.
[162] En conséquence, je dois examiner chaque erreur et incident allégué par M. Mahjoub et évaluer la question de savoir si une suspension était justifiée à l’égard de l’un de ces incidents et erreurs. Ensuite, je dois examiner si, collectivement, ces erreurs et incidents justifiaient une suspension permanente des procédures aux motifs d’un abus de procédure.
[163] Bien entendu, ces questions doivent être examinées au titre du contrôle en appel visé par l’arrêt Housen — norme de la décision correcte dans le cas des erreurs de droit et de la règle de droit et norme de l’erreur manifeste et dominante pour toutes les autres affaires.
4) Objections juridiques qui touchent éventuellement un point essentiel de la délivrance du certificat de sécurité en l’espèce
a) La constitutionnalité du régime législatif concernant les certificats de sécurité
[164] M. Mahjoub conteste la constitutionnalité des articles 2, 12, 17 et 21 à 24 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 et la section 9 [articles 76 à 87.2] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui porte principalement sur le régime des certificats de sécurité suivi en l’espèce. Si M. Mahjoub avait gain de cause dans ces arguments constitutionnels, le certificat de sécurité ne serait plus valide, tout comme le premier certificat de sécurité a cessé d’être valide après la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui I, précité.
[165] Devant la Cour fédérale, certains des fondements de la contestation constitutionnelle de M. Mahjoub n’étaient absolument pas fondés. Ils avaient déjà été tranchés par l’arrêt Charkaoui I et le fait qu’ils soient invoqués de nouveau devant la Cour fédérale aurait pu être perçu comme un abus de procédure. Néanmoins, la Cour fédérale a examiné la contestation constitutionnelle de M. Mahjoub dans son intégralité.
[166] Dans des motifs détaillés, la Cour fédérale a rejeté la contestation constitutionnelle de M. Mahjoub : 2013 CF 1097. Je ne vois pas de raison pour intervenir dans sa décision sur cette question.
[167] La Cour fédérale a conclu que les dispositions contestées de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne violaient pas les droits garantis par la Charte et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner la question de la justification en vertu de l’article premier de la Charte. Je suis d’accord.
[168] Les éléments clés des conclusions de la Cour fédérale sont les suivants. La disposition prévue dans les modifications apportées en 2008 concernant les avocats spéciaux était constitutionnelle et ne portait pas atteinte au droit de M. Mahjoub de choisir ses avocats. Des procédures à huis clos dans des situations telles que celle-ci sont constitutionnelles. Les juges qui président les procédures concernant le certificat de sécurité sont indépendants et impartiaux. La norme de l’élément « digne de foi et utile » concernant l’admissibilité d’éléments de preuve en vertu de l’alinéa 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était susceptible de définition et n’était pas arbitraire. Le régime législatif exigeait que la personne visée soit informée de la thèse à réfuter et, par conséquent, il était tout à fait constitutionnel à cet égard. En outre, la personne visée, en l’espèce M. Mahjoub, disposait de suffisamment de renseignements en vertu du présent régime législatif pour savoir s’il devait ou non témoigner. La norme des « motifs raisonnables de croire » pour apprécier le caractère raisonnable du certificat de sécurité était constitutionnelle. De plus, le régime législatif n’autorisait pas de détention arbitraire. Voir de façon générale 2013 CF 1097, aux paragraphes 15, 24, 47, 57 à 61, 87, 95, 122, 128, 144, 152, 156 à 162, 164 et 171 à 174. Une lecture soigneuse et attentive de la jurisprudence pertinente éclairait ces conclusions, notamment les arrêts Charkaoui I et Charkaoui II, la décision de notre Cour dans l’arrêt Harkat, précité, les décisions Almrei (Re), précitée, et Jaballah (Re), précitée.
[169] En effet, dans l’arrêt Harkat, tranché après la décision de la Cour fédérale, la Cour suprême a rejeté une contestation constitutionnelle également vaste des dispositions du certificat de sécurité qui sont en litige en l’espèce.
[170] Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a conclu que le régime du certificat de sécurité établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était constitutionnel (au paragraphe 4) :
Je conclus que le régime établi par la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] [concernant les certificats de sécurité] est constitutionnel. Il n’est pas facile de concevoir un régime qui instaure un processus fondamentalement équitable tout en protégeant les renseignements confidentiels touchant la sécurité nationale. Un tel régime doit s’appliquer à un large éventail de cas faisant intervenir toute une gamme de considérations liées à la sécurité nationale. La réponse du législateur fut de conférer aux juges le pouvoir discrétionnaire et la latitude nécessaires pour leur permettre d’établir un processus équitable dans chaque affaire particulière dont ils sont saisis. Si cela s’avère impossible, ces juges ne doivent pas hésiter à conclure à une violation du droit à un processus équitable et à accorder toute réparation jugée appropriée, y compris un arrêt des procédures.
À mon avis, ces propos s’appliquent également à la contestation générale de la constitutionnalité du régime des certificats de sécurité par M. Mahjoub.
[171] Devant nous, M. Mahjoub présente des arguments qui diffèrent à certains égards de ceux soulevés devant la Cour suprême dans l’arrêt Harkat. Pour cette raison, j’ai estimé la question constitutionnelle certifiée par la Cour fédérale comme étant appropriée et non supplantée par l’arrêt Harkat. Néanmoins, le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat est toujours valide. L’arrêt Harkat signifie que les arguments constitutionnels de M. Mahjoub doivent être rejetés.
[172] Pour ce qui est de la question de la constitutionnalité des procédures ex parte ou à huis clos dans des parties des procédures concernant le certificat de sécurité, la Cour suprême a confirmé dans l’arrêt Harkat que les procédures à huis clos sont constitutionnelles pourvu que la personne visée reçoive suffisamment de communications pour connaître la position de la partie adverse et y réagir. Il s’agit d’une instruction propre à l’affaire. Voir l’arrêt Harkat, précité, aux paragraphes 4, 51 à 60 et 77.
[173] Sans disposer de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat, la Cour fédérale a procédé à cette instruction propre à l’affaire. Suite à cette instruction, elle a conclu que « après examen de l’ensemble de la preuve, y compris les résumés, mise à la disposition de M. Mahjoub, je conclus que M. Mahjoub a été raisonnablement informé de la preuve produite contre lui et a été en mesure d’y répondre » : 2013 CF 1092, au paragraphe 173. Tout au long des procédures, M. Mahjoub pouvait faire des choix éclairés sur la façon de réfuter la preuve produite : 2013 CF 1097, au paragraphe 152. La Cour fédérale a conclu que de temps à autre il y avait des lacunes dans la divulgation — p. ex., l’omission de remettre à M. Mahjoub les résumés de certains rapports d’organismes étrangers —, mais a aussi conclu que ces lacunes ne violaient pas son droit de connaître la preuve produite contre lui, en partie en raison de l’existence d’autres éléments de preuve, provenant souvent de sources publiques, qui fournissaient les mêmes renseignements : à titre d’exemple, voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 213 à 217.
[174] Je souligne que, dans la mesure où M. Mahjoub ou son avocat n’étaient pas personnellement au courant de tous les détails des renseignements classifiés, les avocats spéciaux l’étaient. Je confirme qu’ils les ont effectivement utilisés de façon à maximiser les chances de succès de M. Mahjoub dans sa contestation du caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[175] Je vais maintenant aborder les prétentions précises de M. Mahjoub au sujet de la constitutionnalité de certains des articles précis de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
[176] Je souscris aux motifs de la Cour fédérale concernant la constitutionnalité de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité : 2013 CF 1096. L’article 12 de la Loi permet la collecte des informations et des renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Contrairement à l’allégation de M. Mahjoub, ce pouvoir n’est pas absolu : des enquêtes peuvent être entreprises uniquement s’il existe des « motifs raisonnables de soupçonner » que des activités constituent « des menaces envers la sécurité du Canada », et alors seulement « dans la mesure strictement nécessaire ». Je suis d’accord avec la Cour fédérale quand elle dit que l’article 12 n’est ni imprécis ni trop large dans sa portée. L’article 12 est limité par l’article 2, qui définit en détail ce qui constitue des « menaces envers la sécurité du Canada » d’une manière qui se conforme aux normes exposées par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606 (imprécision) et Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101 (portée excessive).
[177] Dans le même ordre d’idées, je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale ait commis une erreur en appréciant la constitutionnalité de l’article 12 et des dispositions connexes sur les mandats (p. ex., l’article 21) par rapport au droit de M. Mahjoub garanti par la Charte aux termes de l’article 8 à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. La Cour fédérale a examiné et appliqué les principes de la jurisprudence connexe de la Cour suprême sur les fouilles, les perquisitions et les saisies et a correctement conclu que la norme moins exigeante des « motifs raisonnables de soupçonner » respectait les dispositions de l’article 8 étant donné l’« atteinte minimum » à la vie privée que représentent les fouilles et le fait que les mandats d’enquête prévus à l’article 21 doivent se fonder sur la norme des « motifs raisonnables de soupçonner » : 2013 CF 1096, aux paragraphes 35 et 36. Tout cela est conforme à la décision de la Cour dans l’arrêt Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.).
[178] Devant notre Cour, M. Mahjoub soutient que les articles 21 à 24 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité violent l’article 8 de la Charte dans la mesure où ils permettent l’interception systématique et l’écoute des communications entre l’avocat et son client. Je ne suis pas de cet avis. En soi, les articles comportent des dispositions qui ont une vaste portée d’autorisation fondée sur un mandat, à l’instar de toute autre disposition concernant les mandats de perquisition. Dans la mesure où les articles sont utilisés de façon irrégulière, par exemple pour autoriser l’interception de communications entre l’avocat et son client, il s’agit d’une question concernant la validité du mandat délivré en vertu de ces dispositions ou de la façon dont l’interception est exécutée. Les articles eux-mêmes ne sont pas invalides.
[179] L’article 17 permet l’échange de renseignements. M. Mahjoub soutient que cet article viole également son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de Charte. À cet égard, une fois de plus, je souscris à la conclusion de la Cour fédérale : 2013 CF 1096, au paragraphe 65. Le régime d’échange de renseignements en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité est assujetti à diverses mesures de protection et divers mécanismes de surveillance et ne donne pas lieu en principe ou dans les faits de l’espèce à des fouilles abusives en violation de la Charte, selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wakeling c. États-Unis d’Amérique, 2014 CSC 72, [2014] 3 R.C.S. 549.
[180] Devant notre Cour, M. Mahjoub fait valoir une autre série d’arguments fondés sur la Charte à l’encontre du régime législatif des certificats de sécurité sans cause pertinente portant directement sur ce point. Ces arguments sont supplantés par l’autorisation générale de la Cour suprême concernant le régime d’examen des certificats de sécurité au paragraphe 4 de sa décision dans l’arrêt Harkat, précité. Néanmoins, j’en aborderai quelques-uns.
[181] Devant notre Cour, M. Mahjoub conteste le régime législatif et sa disposition concernant les avocats spéciaux au titre du droit à un avocat garanti par l’article 10 de la Charte. Je n’y vois aucune violation. La Cour suprême a maintenu les rôles distincts des avocats pour la personne visée et les avocats spéciaux et je suis aussi d’accord avec la Cour fédérale quand elle rejette cet argument pour les motifs qu’elle a donnés : 2013 CF 1097, aux paragraphes 116 à 122; arrêt Harkat, précité, aux paragraphes 67 à 73.
[182] Quant au droit garanti par la Charte d’être à l’abri de la détention arbitraire, la Cour suprême a confirmé que les dispositions contestées, en principe, ne violent pas l’article 9 de la Charte. Ce régime comporte des liens qui, pour reprendre les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui I, « ont un lien rationnel avec l’objectif visé par l’attribution du pouvoir de détention » (aux paragraphes 89 et 93). Comme l’a souligné la Cour fédérale (aux paragraphes 171 à 173 de la référence 2013 CF 1097), en vertu de l’article 81 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les ministres doivent avoir des motifs raisonnables de croire que la personne visée constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure relative à la mesure de renvoi. Aux termes de l’article 82 de la Loi, au moment du contrôle de la détention ou des conditions de mise en liberté de la personne visée, la Cour fédérale doit examiner minutieusement les circonstances de la personne et évaluer le caractère approprié de la détention. Il s’agit d’une réponse proportionnée et d’une mesure de protection appropriée qui garantit une détention non arbitraire et, de ce fait, elle est constitutionnelle.
[183] En résumé, je rejette les allégations constitutionnelles que fait valoir M. Mahjoub, principalement pour les motifs donnés par la Cour fédérale. Étant donné que la Cour fédérale a conclu à juste titre qu’aucune des dispositions contestées ne portait atteinte aux droits de M. Mahjoub garantis par la Charte, il n’était donc pas nécessaire de tenir compte de l’article premier de la Charte. Le régime législatif en litige en l’espèce est constitutionnel.
b) Conditions juridiques concernant la délivrance des certificats de sécurité
[184] M. Mahjoub soutient que les ministres ont négligé d’exercer leurs pouvoirs de façon régulière en délivrant le certificat de sécurité en l’espèce.
[185] La Cour fédérale a examiné minutieusement cette allégation et l’a rejetée. Elle a conclu que les ministres ont mené leurs propres examens du rapport de renseignements de sécurité, se sont fondés de façon régulière sur les conseils et recommandations de leurs fonctionnaires et ont personnellement examiné et signé le certificat de sécurité : 2013 CF 1095, aux paragraphes 114 et 119. Ils ont eu droit à des séances d’information et ont reçu tous les documents justificatifs : 2013 CF 1095, aux paragraphes 109, 114 et 115. La Cour fédérale est parvenue à ces conclusions en se fondant en partie sur le témoignage personnel de l’un des ministres et sur les témoignages de plusieurs fonctionnaires. Il n’existe aucun fondement pour rejeter ces conclusions.
[186] Devant notre Cour, M. Mahjoub semble laisser entendre qu’avant de signer le certificat de sécurité, les ministres devaient lire et prendre en compte la totalité des éléments de preuve, sans exception. Je rejette cette prétention.
[187] Aux termes de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les ministres « signent » un certificat de sécurité attestant que la personne visée dans le certificat est interdite de territoire. Il s’agit d’un vaste pouvoir potentiel apparemment absolu selon le texte de loi. Toutefois, l’article ne donne pas aux ministres un pouvoir discrétionnaire absolu.
[188] Le pouvoir potentiel de faire quelque chose est une chose; le pouvoir discrétionnaire de l’exercer en est une autre : arrêt Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304, au paragraphe 21. Autrement dit,
[traduction] [...] il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi [...] Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est [...] répréhensible [...]
(arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140; voir aussi l’arrêt Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] UKHL 1, [1968] A.C. 997 (H.L.)).
[189] [traduction] « Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique » et, pour identifier cette optique, nous devons tenir compte du libellé, du contexte et de l’objet des dispositions portant sur le certificat de sécurité dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 et arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559. L’ayant fait, je conclus qu’il n’est pas nécessaire pour les ministres d’examiner la totalité des renseignements, sans exception, et d’être convaincus qu’un certificat est raisonnable avant de le signer. Si telle était la norme, l’appréciation subséquente par la Cour fédérale du caractère raisonnable du certificat de sécurité serait en quelque sorte redondante. La Loi n’exige absolument pas une double évaluation du caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[190] À cet égard, je souscris également à l’observation de la Cour fédérale selon laquelle [traduction] « l’exécutif ne pourrait pas fonctionner si les ministres étaient tenus de mener personnellement une enquête dans le cadre de chaque décision ou même de lire chaque document établissant des faits se reportant à la décision, en particulier si, comme en l’espèce, l’affaire comporte un très grand nombre de documents » : 2013 CF 1095, au paragraphe 109.
[191] Cela étant dit, la délivrance d’un certificat de sécurité à l’encontre d’une personne visée n’est pas une mince tâche. Elle a de lourdes conséquences. Comme nous le fait remarquer M. Mahjoub, et comme il est arrivé en l’espèce, cela peut donner lieu à l’arrestation et la détention de la personne visée, sans parler de la nature prolongée des procédures qui s’ensuivent et de la conséquence ultime de l’interdiction de territoire. Les ministres ne peuvent pas tout simplement autographier le certificat allègrement; loin de là. Dans le cas du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le ministre doit personnellement signer le certificat : paragraphe 6(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[192] J’attire l’attention du lecteur sur le paragraphe 77(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En vertu de ce paragraphe, « le ministre », en l’espèce le ministre de la Sécurité publique, dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve qui se rapportent à l’interdiction de territoire constatée dans le certificat et justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse. Ce n’est pas nécessairement le ministre à titre personnel. Habituellement, ce sont les fonctionnaires du ministre qui le font, agissant en vertu du principe exposé dans l’arrêt Carltona Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.). Il n’existe aucun lien nécessaire entre les renseignements divulgués en vertu du paragraphe 77(2) et les renseignements dont les ministres doivent disposer au moment de décider s’ils signent un certificat de sécurité en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi.
[193] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il n’est pas nécessaire que les ministres examinent tous les renseignements à divulguer en vertu du paragraphe 77(2) à la personne visée avant de signer un certificat de sécurité. Au contraire, ils doivent examiner suffisamment de documents pour être convaincus qu’ils peuvent exprimer une opinion dans le certificat de sécurité selon laquelle la personne visée est interdite de territoire en vertu de l’un des motifs énoncés au paragraphe 34(1) de la Loi et que l’opinion est suffisamment bien fondée pour justifier les conséquences qui découlent de la délivrance du certificat. Pour cela, il faut des éléments de preuve convaincants et crédibles.
[194] En l’espèce, ce critère minimum a été facilement satisfait. Les ministres ont reçu le rapport de renseignements de sécurité, en l’espèce un document très détaillé. Ce document donnait aux ministres suffisamment de renseignements pour qu’ils signent le certificat de sécurité. Pour faire bonne mesure, outre le rapport de renseignements de sécurité, les ministres ont eu accès aux conseils et recommandations de leurs fonctionnaires, à des séances d’information et à tous les documents justificatifs.
[195] Comme tel, le certificat de sécurité que les ministres ont signé constitue un « certificat » au sens du paragraphe 77(1) de la Loi. Il précise que les ministres sont « d’avis [...] qu’à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité dont [ils] ont eu connaissance » que M. Mahjoub est interdit de territoire. Ils assurent qu’ils ont reçu et pris en compte le rapport de renseignements de sécurité, rien de plus, et qu’ils se sont fait « un avis », rien d’autre. On peut alors vérifier le caractère raisonnable du certificat de sécurité en le renvoyant à la Cour fédérale et, comme on le sait bien, tous les éléments de preuve qui ont une incidence sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité peuvent être admis pour l’appuyer.
[196] M. Mahjoub soutient aussi qu’il aurait dû avoir droit à un contrôle judiciaire à l’encontre de la délivrance du certificat immédiatement après sa délivrance. Je rejette cette prétention. Le présent régime législatif fait échec au contrôle judiciaire de la délivrance d’un certificat de sécurité. À sa place, il y a un renvoi automatique du certificat à la Cour fédérale pour une évaluation de son caractère raisonnable. Dans ces circonstances, il est loisible au législateur de faire échec au contrôle judiciaire en adoptant une autre forme de contrôle approfondi par un tribunal; il n’est absolument pas question de mettre les mesures de l’exécutif à l’abri du contrôle : arrêt JP Morgan, précité; arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, aux paragraphes 51, 77 et 78. Par exemple, comme l’indique l’arrêt JP Morgan, bien que les avis de cotisation établis par le ministre du Revenu national soient des décisions du ministre, le législateur a fait échec au contrôle judiciaire. Il a fourni une autre forme de contrôle rigoureux de la décision du ministre par le biais d’une révision administrative et, en fin de compte, un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt et des cours de juridiction supérieure.
[197] Finalement, les avocats spéciaux soutiennent que le Service canadien du renseignement de sécurité a une obligation de franchise — une obligation de faire une communication pleine et entière — aux ministres afin qu’ils puissent évaluer de façon appropriée s’ils doivent signer le certificat de sécurité.
[198] La Cour fédérale a rejeté cette observation. Elle a conclu qu’il n’existait aucun fondement juridique permettant à la Cour de contourner les ministres et de contraindre leurs fonctionnaires et organismes subordonnés à s’acquitter d’une obligation à leur égard : 2013 CF 1095, au paragraphe 142. Le rôle des organismes subordonnés et des fonctionnaires consistait à offrir leur recommandation spécialisée aux ministres : 2013 CF 1095, au paragraphe 160. La reconnaissance tacite d’une telle obligation n’était pas nécessaire. Si les ministres se sont fiés à des renseignements incomplets ou trompeurs lorsqu’ils ont signé le certificat de sécurité, la Cour fédérale pourrait conclure que le certificat n’est pas raisonnable : 2013 CF 1095, au paragraphe 140.
[199] La validité juridique de cette conclusion n’a pas à être tranchée. La Cour fédérale a conclu que, dans la mesure où il existait une obligation de franchise, elle était satisfaite. Elle n’a trouvé aucun renseignement trompeur ni omission dans le rapport de renseignements de sécurité qui formait le fondement des certificats : 2013 CF 1095, aux paragraphes 160 et 161. En outre, elle a conclu que le Service canadien du renseignement de sécurité n’avait pas tenu compte de renseignements exculpatoires lorsqu’il a rédigé le rapport de renseignements de sécurité : 2013 CF 1095, aux paragraphes 160 et 161. Ayant revu les documents d’établissement des faits à la base du rapport de renseignements de sécurité, la Cour fédérale était bien placée pour l’apprécier : 2013 CF 1095, au paragraphe 155. Il n’y a aucune erreur manifeste et dominante dans ces conclusions.
[200] Les avocats spéciaux soutiennent qu’il y avait des renseignements non divulgués qui n’avaient pas été communiqués aux ministres et qui étaient de nature confidentielle. Lors de l’audience à huis clos, ils ont fait des observations à ce sujet. La Cour fédérale était au courant de ces renseignements non divulgués, mais elle a quand même conclu comme elle l’a fait. Cependant, ces renseignements non divulgués n’auraient pas pu vraisemblablement avoir d’incidence sur la délivrance du certificat. En outre, leur non-divulgation ne revêt pas une importance telle que les valeurs qui sous-tendent notre système de justice sont bafouées d’une façon qui pourrait donner lieu à la réparation sous forme d’un arrêt permanent des procédures.
5) Est-ce qu’il y aurait dû y avoir, aux motifs d’un abus de procédure, un arrêt permanent des procédures concernant le certificat de sécurité?
[201] M. Mahjoub soutient que divers cas d’inconduite, violations des droits juridiques et manquements à la Charte ont eu lieu et que, individuellement et collectivement, ces cas auraient dû entraîner un arrêt permanent des procédures concernant le certificat de sécurité.
[202] Souvent, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y a eu aucune inconduite, aucune violation de droits juridiques et aucun manquement à la Charte. Parfois, elle a conclu qu’il y a eu inconduite, violations des droits juridiques et manquements à la Charte, mais a maintenu que rien de tout cela ne justifiait pas en soi un arrêt permanent des procédures concernant le certificat de sécurité. Elle a aussi conclu que, collectivement, les cas d’inconduite, de violations des droits juridiques et de manquements à la Charte ne justifiaient pas un arrêt permanent des procédures concernant le certificat de sécurité
[203] Ces points sont développés ci-dessous. Dans l’ensemble, sur pratiquement la totalité de ces points, je suis d’accord avec les résultats auxquels est parvenue la Cour fédérale, principalement pour les motifs qu’elle a donnés.
[204] Dès le départ, je tiens à examiner les règles de droit régissant les abus de procédure et les réparations disponibles, en particulier la réparation sous la forme d’un arrêt permanent.
[205] À cet égard, je ne vois aucune erreur de droit ou de règle de droit de la part de la Cour fédérale.
[206] La réparation qui consiste en un arrêt permanent aux motifs d’un abus de procédure existe dans le système de la Cour fédérale du fait de sa loi constitutive, de ses pouvoirs pléniers et, lorsqu’il s’agit d’une violation des droits garantis par la Charte, des dispositions réparatrices de la Charte : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, article 50; arrêt Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, [2016] 4 R.C.F. 268, au paragraphe 23; arrêt Mazhero c. Fox, 2014 CAF 219, au paragraphe 4; arrêt Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50; paragraphe 24(1) de la Charte (« une réparation convenable et juste »).
[207] Comme l’a souligné la Cour fédérale, les abus de procédure surviendraient souvent dans deux situations. Certains abus portent sur l’incidence d’une instance sur la personne à laquelle elle s’adresse et concernent l’équité de l’instance envers cette personne. D’autres « contrev[iennent] aux notions fondamentales de justice » et « [portent] ainsi [atteinte à] l’intégrité du processus judiciaire » : 2012 CF 669, au paragraphe 68, citant l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, au paragraphe 73; voir aussi l’arrêt R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566, au paragraphe 36. Les racines de ces deux catégories se trouvent dans la déclaration classique de l’arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, aux pages 136 et 137 concernant le moment où un abus de procédure sera constaté : « lorsque forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société, ainsi que d’empêcher l’abus des procédures de la cour par une procédure oppressive ou vexatoire ».
[208] De plus, comme l’a souligné la Cour fédérale, il n’existe pas de réparation unique pour les abus de procédure. De fait, il existe de nombreuses réparations pour réparer les cas d’inconduite, les violations des droits juridiques et les manquements à la Charte. Dans l’arrêt O’Connor, précité au paragraphe 69, la Cour suprême a parlé d’une gamme d’outils qui existent en vertu de la Charte et de la common law, allant du scalpel à la hache, qui pourraient servir à « façonner mieux que jamais des solutions qui tiennent compte […] des préoccupations parfois complémentaires et parfois contraires que sont l’équité envers les individus […] les intérêts de la société et l’intégrité du système judiciaire ».
[209] La réparation la plus draconienne — peut-être la masse dans la boîte à outils judiciaire — est l’arrêt permanent de l’instance. Il est justifié uniquement dans les « cas les plus manifestes » : arrêt O’Connor, au paragraphe 68; arrêt Jewitt, à la page 137; arrêt Nixon, au paragraphe 37; arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, à la page 616.
[210] La plus récente intervention de la Cour suprême sur le critère des « cas les plus manifestes » est exposée dans l’arrêt R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, au paragraphe 32. La Cour suprême y a exposé le critère en trois volets pour un arrêt des procédures, citant l’arrêt R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297 :
Le test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie est le même pour les deux [situations] et comporte trois exigences :
(1) Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue » (Regan, au par. 54);
(2) Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte;
(3) S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond », d’autre part (ibid., par. 57).
[211] Cela est conforme au passage tiré de l’arrêt Nixon, au paragraphe 42 adopté par la Cour fédérale au paragraphe 42 de la référence 2013 CF 1095 :
Le critère à appliquer pour décider s’il y a lieu d’accorder une suspension de l’instance pour abus de procédure, peu importe qu’il y ait eu ou non atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice, est celui qui a été exposé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, et R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297. Il ne conviendra d’ordonner la suspension de l’instance que lorsque les deux critères suivants seront remplis : « (1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; (2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice » (Regan, par. 54, citant O’Connor, par. 75).
[212] Dans certaines de ses décisions, la Cour suprême n’a pas seulement expliqué qu’il existe un seuil élevé (« cas les plus manifestes »), mais elle a aussi exigé qu’il y ait une mise en balance du besoin de la réparation et des intérêts de la société pour la poursuite de l’instance, comme le prévoit le troisième volet du critère exposé dans l’arrêt Babos, précité. Dans le cadre de cette mise en balance, un arrêt des procédures est justifié uniquement lorsque le besoin est disproportionné par rapport aux intérêts.
[213] Par exemple, au paragraphe 38 de l’arrêt Nixon, la Cour suprême a indiqué que « [t]rouver le juste équilibre entre les préoccupations des individus et celles de la société : voilà le caractère essentiel de l’analyse relative à l’abus de procédure ».
[214] La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, à la page 1667 (cité par la Cour fédérale au paragraphe 36 de la référence 2013 CF 1095) l’a expliqué ainsi :
Suivant la doctrine de l’abus de procédure [dans le contexte criminel], le traitement injuste ou oppressif d’un accusé prive le ministère public du droit de continuer les poursuites relatives à l’accusation. Les poursuites sont suspendues, non à la suite d’une décision sur le fond (voir Jewitt, précité, à la p. 148), mais parce qu’elles sont à ce point viciées que leur permettre de suivre leur cours compromettrait l’intégrité du tribunal. Cette doctrine est l’une des garanties destinées à assurer « que la répression du crime par la condamnation du coupable se fait d’une façon qui reflète nos valeurs fondamentales en tant que société » (Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, à la p. 689, le juge Lamer). C’est là reconnaître que les tribunaux doivent avoir le respect et le soutien de la collectivité pour que l’administration de la justice criminelle puisse adéquatement remplir sa fonction. Par conséquent, lorsque l’atteinte au franc-jeu et à la décence est disproportionnée à l’intérêt de la société d’assurer que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies, l’administration de la justice est mieux servie par l’arrêt des procédures. [Non souligné dans l’original.]
[215] Et dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307 (cité par la Cour fédérale au paragraphe 37 de la référence 2013 CF 1095), la Cour suprême a indiqué ce qui suit (au paragraphe 120) :
Pour conclure qu’il y a eu abus de procédure [dans le contexte administratif], la cour doit être convaincue que [traduction] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures » (Brown et Evans, [Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback, 1998) (feuilles mobiles)] à la p. 9-68).
[216] Comme l’a souligné la Cour fédérale (2013 CF 1095, au paragraphe 38), la Cour suprême a aussi parlé de cet équilibre dans d’autres arrêts : à titre d’exemple, voir l’arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, aux pages 811 et 812; l’arrêt Regan, précité, au paragraphe 57; l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, au paragraphe 200.
[217] Devant la Cour fédérale et devant nous, M. Mahjoub a soutenu que cette mise en balance devrait être faite uniquement dans des cas difficiles à trancher. Je partage l’avis de la Cour fédérale (2013 CF 1095, au paragraphe 38) quand elle conclut que, lorsqu’il est certain qu’un cas rentre dans la qualification des « cas les plus manifestes » justifiant un arrêt permanent des procédures — par exemple, lorsque la conduite est particulièrement grave — une mise en balance n’est pas nécessaire. Je partage également l’avis de la Cour fédérale (2013 CF 1095, au paragraphe 38) qu’abstraction faite « des cas les plus manifestes », la mise en balance [traduction] « des intérêts à maintenir l’intégrité du système judiciaire et des droits individuels d’une part, et de l’intérêt public à aller de l’avant avec l’affaire, d’autre part » [traduction] « facilite l’exercice du […] pouvoir discrétionnaire ». Je souscris aussi à l’utilisation antérieure par la Cour fédérale de cette même mise en balance dans la décision Harkat (Re), 2010 CF 1243, au paragraphe 56.
[218] La Cour fédérale était à juste titre consciente de la possibilité que la conduite puisse être « si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant » et qu’ainsi la partie demandant un arrêt des procédures [traduction] « n’ait pas à démontrer que le préjudice envers l’administration de la justice ou la [partie demanderesse] sera perpétué ou aggravé » : 2013 CF 1095, aux paragraphes 43 et 492.
[219] Ayant examiné ces considérations, la Cour fédérale a conclu que la décision d’accorder ou non un arrêt des procédures était discrétionnaire, guidée par les facteurs susmentionnés. La Cour fédérale a formulé le critère suivant et l’a appliqué en l’espèce (au paragraphe 44) :
[traduction]
a) Est-ce que les ministres, leurs ministères, le Service [canadien du renseignement de sécurité] ou l’[Agence des services frontaliers du Canada] ont eu une conduite qui a porté atteinte au droit de M. Mahjoub à un procès équitable ou qui a miné les attentes de la société sur le plan de l’équité en matière d’administration de la justice?
b) Est-ce que le préjudice envers M. Mahjoub ou l’administration de la justice causé par la violation ou l’abus en question sera manifesté, perpétué ou aggravé par la conduite du procès ou par son issue? Ou s’agit-il d’un cas exceptionnel où la conduite antérieure est si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant?
c) S’agit-il du cas le plus manifeste à l’égard duquel aucune autre réparation n’est raisonnablement susceptible d’éliminer ce préjudice? Autrement dit, s’il est évident qu’il s’agit de l’un des cas les plus manifestes, est-ce que l’intérêt public et l’intérêt individuel dans un arrêt permanent des procédures sont plus importants que l’intérêt public dans une décision sur le fond?
[220] Je souscris à ce critère, mais avec une petite réserve. Au volet c), des passages tirés de décisions comme l’arrêt Conway, cité plus haut, et comme l’arrêt Babos, précité, au paragraphe 44, laissent entendre que, pour accorder un arrêt des procédures, l’issue de la mise en balance doit montrer que l’intérêt public et l’intérêt individuel dans un arrêt permanent des procédures est plus grand de façon disproportionnée que l’intérêt public dans une décision sur le fond. Le concept de la disproportion reflète le critère minimum classique souvent énoncé voulant qu’un arrêt permanent des procédures est disponible uniquement dans les « cas les plus manifestes ».
[221] Il s’avère qu’en vertu du volet c) de ce critère, la Cour fédérale a appliqué un critère qui était plus favorable à M. Mahjoub que ne le justifiait peut-être le droit. En appliquant ce critère plus favorable, la Cour fédérale a quand même conclu que l’instance concernant le certificat de sécurité ne devrait pas être suspendue de façon permanente.
[222] Ainsi, avec la petite exception en faveur de M. Mahjoub mentionnée au paragraphe précédent, l’analyse du droit par la Cour fédérale est exacte.
[223] Il s’ensuit alors que, pour avoir gain de cause au sujet de l’abus de procédure, M. Mahjoub doit démontrer que la conclusion de la Cour fédérale est erronée quand elle dit qu’un arrêt des procédures n’est pas justifié. Cette démonstration ne peut être faite qu’à l’aide de l’erreur manifeste et dominante.
[224] Cela, M. Mahjoub ne l’a pas fait. Dans un grand nombre des décisions qu’il mentionne, il n’a pas établi en droit des cas d’inconduite, des violations des droits juridiques ou des manquements à la Charte. Dans d’autres, bien qu’il y ait eu inconduite, violations des droits juridiques ou manquements à la Charte, M. Mahjoub n’a pas établi que la Cour avait commis une erreur manifeste et dominante en refusant l’arrêt des procédures concernant le certificat de sécurité.
[225] M. Mahjoub soulève une multitude de questions, dont un grand nombre sont interreliées et ont tendance à se chevaucher, parfois de façon importante, parfois refaisant surface avec une légère variation. Dans de telles circonstances, il est téméraire d’essayer de les régler en reproduisant la façon dont les avocats les ont présentées. Au lieu de cela, on peut se concentrer seulement sur l’essence même des arguments avancés, en ne tenant pas compte de leur forme particulière. Agir autrement équivaut à plonger notre Cour dans l’examen de « dizaines de questions étroitement liées, énoncées de façon confuse et se chevauchant », courant le risque d’en « omett[re] une », mais seulement dans « un sens purement technique » : Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144, au paragraphe 17. Ainsi, j’ai pris la multitude de questions présentées et je les ai organisées dans un ensemble de sujets acceptable.
[226] Lorsque l’essence même de la présente affaire est examinée sous l’angle de toutes les observations écrites et orales faites, les sujets suivants ont été soulevés par M. Mahjoub et, dans certains cas, les avocats spéciaux :
a) Violation du droit de connaître la défense à présenter : divulgation tardive, incapacité de décider de témoigner ou non, la destruction d’éléments de preuve originaux par le Service canadien du renseignement de sécurité et l’admission de résumés de ces éléments de preuve;
b) Entrevues injustes : violations du droit de garder le silence et du droit à l’assistance de l’avocat de son choix;
c) Le mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qui est contesté;
d) L’utilisation d’éléments de preuve obtenus par ouï-dire et d’éléments de preuve provenant de renseignements de source inconnue;
e) L’utilisation de renseignements obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants;
f) Manquements au secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige : l’amalgamation de documents;
g) Manquements au secret professionnel de l’avocat : l’interception de conversations protégées;
h) Le retard global;
i) L’effet cumulatif de ce qui précède : savoir si un arrêt des procédures devrait être accordé.
L’analyse de chacun suit.
a) Violation du droit de connaître la preuve à réfuter : divulgation tardive, incapacité de décider de témoigner ou non; la destruction d’éléments de preuve originaux par le Service canadien du renseignement de sécurité et l’admission de résumés de ces éléments de preuve
[227] La Cour fédérale a reconnu que, bien qu’il n’existe aucun droit à une défense pleine et entière dans les instances concernant le certificat de sécurité, il existe un droit analogue de savoir ce qu’il faut prouver et d’avoir la possibilité de le faire : voir 2013 CF 1095, au paragraphe 402; arrêt Charkaoui I, au paragraphe 53. Cette affirmation était correcte en droit.
[228] La Cour fédérale a examiné la question de la divulgation retardée ou omise et de l’arrêt applicable, l’arrêt Charkaoui II. En évaluant la divulgation retardée ou omise, la Cour doit se concentrer sur le préjudice causé à la personne visée par le certificat de sécurité : 2013 CF 1095, aux paragraphes 399 et 400.
[229] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a soulevé de nombreuses allégations de divulgation retardée ou omise. La Cour fédérale a minutieusement examiné chacune et a conclu que les réparations adéquates avaient été accordées, notamment des ordonnances de divulgation supplémentaire, l’octroi de prolongations et des ajournements des instances : 2013 CF 1095, aux paragraphes 424, 426, 429 et 438.
[230] Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale ait commis une erreur sur une question de droit ou une règle de droit qu’il est possible de dégager à l’égard de l’une de ces questions en litige. Elle n’a pas non plus commis d’erreur manifeste et dominante. Il n’existe aucun fondement en droit ou dans les faits pour accorder un arrêt permanent des procédures en se fondant sur ces questions.
[231] Le principal document renseignant M. Mahjoub sur la défense à présenter était le résumé public du rapport de renseignements de sécurité, qui lui avait d’abord été remis au même moment que la délivrance du deuxième certificat de sécurité. Il a été régulièrement mis à jour. À mon avis, dès la communication du résumé public supplémentaire à jour du rapport de renseignements de sécurité le 22 janvier 2010, la communication de la thèse des ministres était en grande partie terminée et lui permettait de connaître la défense à présenter. Quelques modifications ont été apportées par la suite, mais elles ne divulguaient pas de nouvelles allégations à l’encontre de M. Mahjoub.
[232] L’alinéa 83(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige que la personne visée, en l’espèce M. Mahjoub, reçoive « tout au long de l’instance [...] un résumé de la preuve » permettant à l’intéressé d’être « suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause ». Après le 22 janvier 2010, M. Mahjoub n’a pas reçu de nouvelles communications, mais à mon avis tous les renseignements dont disposaient les ministres avaient trait à des détails, et non pas à de nouvelles allégations qui avaient une incidence sur la connaissance par M. Mahjoub de la défense à présenter.
[233] Compte tenu de ces circonstances, M. Mahjoub ne soutient pas sérieusement devant notre Cour qu’il ne connaissait pas la défense à présenter : voir le mémoire des faits et du droit de M. Mahjoub, aux paragraphes 72 à 76. Il conteste plutôt plusieurs questions relativement à l’équité procédurale qu’il a débattues devant la Cour fédérale.
[234] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a présenté une longue liste de questions relatives à l’équité des procédures. En appel, M. Mahjoub est en désaccord avec la façon dont la Cour fédérale a traité ces questions. Ces questions concernent le refus par la Cour fédérale d’accorder certains ajournements, la décision de la Cour fédérale selon laquelle les ministres, en se conformant à une ordonnance concernant la présentation d’éléments de preuve à huis clos n’ont pas de façon inappropriée scindé leur preuve, et la conclusion par la Cour fédérale que l’arrêt Charkaoui II apportait une réparation complète des lacunes alléguées dans la divulgation lors des procédures précédentes concernant le certificat de sécurité : décision Re Mahjoub, 2010 CF 989; voir aussi 2013 CF 1095, aux paragraphes 258 et 464.
[235] Concernant ces refus, décisions et conclusions, il n’y a aucune erreur sur une question de droit ou de règle de droit qu’il est possible de dégager. Je ne vois pas non plus d’erreur manifeste et dominante. En outre, il n’existait aucun fondement en droit ou dans les faits pour accorder un arrêt permanent des procédures en se fondant sur ces questions.
[236] M. Mahjoub conteste également la destruction de certaines notes originales prises par le Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS ou le Service]. La Cour fédérale a conclu que cela ne justifiait pas un arrêt permanent des procédures : 2013 CF 1095, aux paragraphes 75 à 77 et 84.
[237] Le Service a détruit des documents opérationnels originaux conformément à sa politique interne, OPS-217. En vertu de cette politique, des documents originaux devaient être systématiquement détruits une fois que les agents avaient terminé leurs résumés et rapports définitifs. En l’espèce, les rapports et résumés ont été communiqués à M. Mahjoub.
[238] Tant dans l’arrêt Charkaoui II, au paragraphe 38, que dans l’arrêt Harkat, au paragraphe 93, la Cour suprême a conclu que cette destruction systématique violait les droits de la personne visée garantis par l’article 7. Cependant, il est important de souligner que la Cour suprême n’a pas conclu, dans l’un ou l’autre arrêt, que la destruction justifiait un arrêt permanent des procédures.
[239] Dans l’arrêt Charkaoui II, au paragraphe 46, la Cour suprême a insisté pour dire que chaque affaire doit être examinée en fonction de ses propres faits et que le tribunal doit tenir compte de l’effet préjudiciable de la destruction dans le cas de la personne visée. Tenant compte des enseignements de l’arrêt Charkaoui II, c’est précisément ce que la Cour fédérale a fait.
[240] Dans la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat, tranché après la décision de la Cour fédérale en l’espèce, ces principes ont été réaffirmés. La Cour suprême a ajouté que les résumés des documents détruits ne devraient être exclus que si leur admission «“rendrait le procès inéquitable ou minerait autrement l’intégrité du système de justice”» : arrêt Harkat, au paragraphe 95.
[241] Même si la Cour fédérale ne disposait pas de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat, elle s’est acquittée de sa tâche avec clairvoyance, d’une façon qui reflétait ce qu’a fait la Cour suprême. La Cour fédérale a minutieusement évalué la fiabilité des résumés des éléments de renseignements saisis dans les rapports du système de références bibliographiques. Elle a estimé que ces rapports étaient fiables : ils étaient rédigés par des employés du Service, ils faisaient l’objet d’une vérification par d’autres membres du personnel qui étaient des témoins de ce qui était arrivé et par des superviseurs, et ils contenaient des renseignements directs provenant d’entrevues, de surveillance physique et de communications interceptées. Voir 2013 CF 1092, aux paragraphes 107 à 122; témoignage de M. Guay daté du 15 octobre 2010 (dossier d’appel, doc. 505.2, aux pages 140 à 142, 192 à 210). De l’avis de la Cour fédérale, le grand nombre de personnes en cause tendait à assurer le contrôle de la qualité : 2013 CF 1095, aux paragraphes 81 et 83.
[242] M. Mahjoub tente aussi de miner la fiabilité de ces documents en laissant entendre que les personnes qui préparaient les résumés n’avaient pas un soutien adéquat sur le plan de la traduction. Le dossier montre que ces personnes avaient amplement le soutien dont elles avaient besoin sur le plan de la traduction; au moins deux témoins ont indiqué qu’ils possédaient une connaissance exhaustive de la langue arabe : 2013 CF 1095, au paragraphe 83, se fondant sur le témoignage de M. Guay, daté du 12 octobre 2010 (dossier d’appel, doc. 505, aux pages 122 à 128) et les témoignages du témoin no 2 du SCRS et du témoin no 2B du SCRS, datés du 6 juillet 2012 (dossier d’appel, doc. 536, à la page 9) et du 7 août 2012 (dossier d’appel, doc. 540, aux pages 3 et 4) respectivement.
[243] Devant la Cour fédérale et devant notre Cour, M. Mahjoub accorde beaucoup de poids à une réponse donnée par un témoin du Service lors du contre-interrogatoire. M. Mahjoub soutient que le témoin a dit dans son témoignage qu’il était pratique courante pour le Service de détruire les transcriptions des communications interceptées afin d’éviter d’avoir à témoigner devant la Cour.
[244] La Cour fédérale a examiné tous les témoignages antérieurs à cette réponse et a interprété la réponse du témoin comme disant que le Service ne voulait pas que ses fonctionnaires témoignent devant un tribunal au sujet de leur travail d’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada : 2013 CF 1095, au paragraphe 82. La Cour fédérale a conclu que [traduction] « [e]n fonction du témoignage du [témoin] intégralement lu et examiné dans le contexte des éléments de preuve d’autres témoins sur le sujet, je ne suis pas convaincu que le Service se soit délibérément employé à entraver le processus judiciaire en détruisant les interceptions » : 2013 CF 1095, au paragraphe 82. La Cour fédérale a explicitement fait une distinction entre la situation dont elle était saisie et celle dont était saisie la Cour suprême pour abus de procédure dans l’arrêt R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80. Dans l’arrêt Carosella, un centre d’aide aux victimes d’agression sexuelle a délibérément détruit les éléments de preuve afin d’entraver le processus judiciaire. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce.
[245] Toutes ces conclusions de la Cour fédérale sont étayées par le droit et les éléments de preuve dont elle était saisie. Elles ne sont pas viciées par une erreur manifeste et dominante. Il n’y a pas non plus de motifs en droit ou dans les faits pour accorder un arrêt permanent des procédures fondé sur ces questions.
[246] Malgré sa conclusion selon laquelle les résumés et rapports étaient très fiables, la Cour fédérale a donné à M. Mahjoub le bénéfice du doute et, par conséquent, a réduit au maximum tout préjudice causé par les lacunes dans la divulgation. Elle ne s’est pas fondée sur des parties des résumés et rapports qui avaient trait au comportement général et au comportement subjectif de M. Mahjoub : 2013 CF 1092, au paragraphe 119. Cela souligne le niveau élevé de sollicitude de la Cour fédérale eu égard aux droits de M. Mahjoub, sollicitude démontrée à maintes reprises tout au long des sept décisions dont il est ici question.
[247] La Cour fédérale a donné à M. Mahjoub le bénéfice du doute concernant des communications interceptées détruites à un autre égard. Elle a exclu toutes les communications auxquelles M. Mahjoub n’a pas participé. Ce faisant, elle a suivi la décision de notre Cour dans l’arrêt Harkat. Cela signifiait que les seuls résumés de conversations admissibles étaient ceux des conversations dont M. Mahjoub pouvait personnellement traiter : 2013 CF 1092, au paragraphe 120; 2013 CF 1095, aux paragraphes 84 et 88. En appel, la Cour suprême a renversé la décision de notre Cour à ce sujet, concluant effectivement que ce critère minimum était trop rigide pour l’exclusion de ce genre d’éléments de preuve.
[248] La Cour fédérale a conclu que, même sans les éléments de preuve provenant d’interceptions de communications, elle aurait quand même conclu que M. Mahjoub était membre d’une organisation terroriste : 2013 CF 1092, aux paragraphes 570, 585 et 630. Étant donné le résumé des faits et la provenance de ces faits aux paragraphes 107 à 151 ci-dessus, c’est incontestablement le cas.
[249] Dans l’ensemble, la Cour fédérale a conclu que, bien que la destruction des éléments de preuve concernant les interceptions originales violait les droits de M. Mahjoub garantis par l’article 7 de la Charte, les éléments de preuve étaient loin d’établir le droit à un arrêt des procédures. Cette conclusion est amplement étayée par les faits et le droit. L’évaluation par la Cour fédérale ne comporte aucune erreur de droit ou erreur manifeste et dominante.
[250] D’autres éléments de preuve ont été détruits : certaines notes d’entrevue, une lettre dans un porte-documents et des articles trouvés sur M. Mahjoub lors de son arrestation. Seulement des photocopies ont été conservées et ont été entrées en preuve. La Cour fédérale a rendu une décision à l’égard de ces éléments de preuve tôt dans le procès (22 octobre 2010). M. Mahjoub a tenté de contester leur admissibilité pour d’autres motifs et la Cour fédérale a déclaré qu’il était trop tard. Néanmoins, la Cour fédérale a examiné de nouveau la question et a rejeté la contestation pour le motif qu’un préjudice minimum avait été causé; M. Mahjoub pouvait quand même vérifier l’authenticité et le contenu des éléments de preuve : 2013 CF 1092, aux paragraphes 92 et 93. Encore une fois, cette décision n’est pas viciée par une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante, et il n’y a pas non plus de motifs justifiant un arrêt permanent des procédures fondé sur ces questions.
b) Entrevues injustes : violations du droit de garder le silence et du droit à l’assistance de l’avocat de son choix
[251] Le Service canadien du renseignement de sécurité a réalisé des entrevues avec M. Mahjoub. M. Mahjoub allègue que les entrevues ont porté atteinte à ses droits protégés par la Charte et ont violé les politiques du Service.
[252] Certaines conclusions de fait de la Cour fédérale tranchent ces questions à l’encontre de M. Mahjoub. Ces conclusions de fait sont maintenues, à moins d’être annulées par une erreur manifeste et dominante. Il n’y en a aucune.
[253] La Cour fédérale a conclu que M. Mahjoub avait reçu un préavis suffisant pour satisfaire à toutes les exigences de l’équité procédurale : 2013 CF 1095, aux paragraphes 65 à 67; arrêt Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, à la page 1076. Cette conclusion de droit et de fait en grande partie fondée sur des faits est amplement démontrée par les éléments de preuve présentés à la Cour fédérale.
[254] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub n’a pas présenté d’éléments de preuve laissant entendre que les entrevues n’étaient pas volontaires ou qu’il ne comprenait pas la raison d’être des entrevues. En fait, la Cour fédérale dispose de beaucoup d’éléments de preuve à l’effet contraire.
[255] La Cour fédérale a conclu que le Service canadien du renseignement de sécurité a informé M. Mahjoub de l’objet et des conséquences éventuelles des entrevues, à savoir sécurité et contre-terrorisme, et lui a fait savoir que les entrevues étaient volontaires. La Service a dit à M. Mahjoub qu’il n’avait aucun pouvoir pour la contraindre à parler. Compte tenu de ce qui précède, la Cour fédérale a entendu les éléments de preuve d’un agent du Service qui a fait savoir que si [traduction] « [M. Mahjoub] n’avait pas voulu répondre à une question, il aurait tout simplement pu dire “je ne veux pas répondre à la question” » : témoignage de M. Guay, daté du 18 octobre 2010 (dossier d’appel, doc. 505.3, aux pages 65 et 66).
[256] Les éléments de preuve dont la Cour fédérale était saisie démontrent que le Service était soucieux des droits de M. Mahjoub. Il est évident que M. Mahjoub était bien conscient que les entrevues étaient volontaires et qu’il était au courant de ses droits. De fait, en une occasion, le Service a offert de mettre fin à une entrevue après que M. Mahjoub eut demandé s’il devrait obtenir l’assistance d’un avocat. M. Mahjoub a toutefois invité le Service à poursuivre l’entrevue. Voir 2013 CF 1095, aux paragraphes 59, 62 et 63. De plus, on a offert à M. Mahjoub les services d’un interprète, mais il a choisi de recourir à sa femme et à un ami : 2013 CF 1095, au paragraphe 70.
[257] Devant notre Cour, certaines allégations de M. Mahjoub semblent vouloir laisser entendre que, dans des circonstances comme celle-ci, les autorités gouvernementales ne peuvent absolument pas parler à M. Mahjoub. Aucun pouvoir n’étaye une telle proposition dans le contexte de la sécurité nationale. Et il n’y en a pas non plus dans le contexte criminel. Dans ce cas, le droit de garder le silence consiste essentiellement au droit de faire un choix, l’aspect volontaire étant à sa base : à titre d’exemple, voir les arrêts R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 27, et R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405, au paragraphe 37.
[258] Globalement, la Cour fédérale a conclu que les droits de M. Mahjoub ont été totalement respectés lors des entrevues et sa participation aux entrevues et ses déclarations faites à ces occasions étaient volontaires. Cette conclusion fondée sur les faits n’est pas viciée par une erreur manifeste et dominante. De fait, elle est totalement étayée par les éléments de preuve. En l’espèce, il n’existe aucun motif pour ordonner un arrêt permanent des procédures.
c) Le mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qui est contesté
[259] Les avocats spéciaux soutiennent qu’un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité aurait dû être annulé en raison de l’omission d’une divulgation franche et entière à l’appui du mandat, tout particulièrement la non-divulgation de renseignements exculpatoires.
[260] Si le mandat avait été annulé, ils disent que la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle M. Mahjoub était un membre de l’Avant-garde de la Conquête aurait été invalide. La conclusion selon laquelle M. Marzouk était un des contacts de M. Mahjoub serait aussi minée.
[261] La réponse brève à tous ces motifs est que, même si les avocats spéciaux ont raison et qu’on ne tient pas compte de ces éléments de preuve, le caractère raisonnable du certificat de sécurité demeure amplement confirmé par les faits exposés aux paragraphes 107 à 151 des présents motifs. En outre, même s’il était déraisonnable de conclure que M. Mahjoub était un membre de l’Avant-garde de la Conquête, les faits établissent qu’il était un membre d’Al Jihad. Pour les fins du caractère raisonnable du certificat de sécurité, l’appartenance à une seule organisation terroriste suffit.
[262] En outre, en litige en l’espèce est la révision par la Cour fédérale d’une décision d’un juge désigné pour autoriser un mandat. La norme de contrôle est celle de la retenue : à titre d’exemple, voir l’arrêt R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253; l’arrêt R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992; l’arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421; l’arrêt R. v. Ward, 2012 ONCA 660, 112 O.R. (3d) 321; et l’arrêt R. v. Nero, 2016 ONCA 160, 334 C.C.C. (3d) 148. La question globale est de savoir s’il existe des motifs pour lesquels le juge saisi de la demande « pourrait » décerner le mandat. Le tribunal de révision évalue la question au moyen d’une [traduction] « analyse contextuelle du dossier, non pas une dissection fragmentaire d’éléments de preuve individuels sortis de leur contexte dans une vaine recherche d’inférences exculpatoires de rechange » : arrêt Nero, au paragraphe 68.
[263] On est loin d’entendre de nouveau la demande originale pour obtenir le mandat. Le tribunal de révision n’est pas habilité à substituer ses points de vue ou son orientation à ceux du tribunal qui a délivré le mandat.
[264] Dans des motifs confidentiels concernant la validité du mandat, la Cour fédérale a recensé et appliqué ces normes. Citant l’arrêt Garofoli, à la page 1452, la Cour fédérale a indiqué que «[s]i, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir » (pas d’italiques dans l’original) : 2013 CF 1096, au paragraphe 129. Elle a conclu que, même en éliminant du mandat les parties qui posent problème, il y aurait quand même eu suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le juge désigné qu’il existait des motifs raisonnables de décerner le mandat : 2013 CF 1096, au paragraphe 133.
[265] Les avocats spéciaux font valoir que les mandats décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité devraient être traités différemment des mandats décernés en vertu du droit pénal. Les mandats décernés en vertu de l’article 21 peuvent avoir trait uniquement à une menace pour la sécurité du Canada. Ils peuvent être révisés uniquement lorsque les éléments de preuve obtenus par le truchement du mandat sont nécessaires dans une procédure judiciaire. En conséquence, les avocats spéciaux disent qu’il existe un motif — même plus que dans le contexte normal des mandats de perquisition délivrés en vertu du droit pénal — pour le Service de procéder à une divulgation complète, franche et équitable au juge qui décerne le mandat lorsqu’ils demandent ce mandat, même la divulgation de documents que le Service peut lui-même ne pas accepter comme étant exacts ou véridiques.
[266] Ainsi, les avocats spéciaux soutiennent que notre Cour devrait s’écarter de l’approche habituelle appliquée au contrôle des mandats de perquisition en vertu du droit pénal. Comme on l’a indiqué plus haut, dans le cadre de cette approche, le tribunal de révision demande si le mandat aurait pu être décerné nonobstant la suppression des éléments de preuve exculpatoires. Au paragraphe 65 de leur mémoire des faits et du droit, ils soutiennent que, lorsqu’il y a eu une omission de divulguer des éléments de preuve importants, [traduction] « le mandat ne devrait pas être délivré ou devrait être annulé ».
[267] À mon avis, la nature différente des mandats délivrés en vertu de l’article 21 ne justifie pas une norme juridique différente. Le fait qu’un mandat délivré en vertu de l’article 21 puisse être difficile à contester dans certains contextes ne mène pas logiquement à la conclusion que, lorsqu’il est contesté devant un tribunal pour omissions ou inexactitudes — exactement comme un mandat de perquisition en vertu du droit pénal —, il devrait être assujetti à un critère juridique différent. Pour ce qui est de la politique juridique, il est difficile de comprendre pourquoi un mandat délivré en vertu de l’article 21, qui pourrait avoir été décerné malgré des omissions ou des inexactitudes, devrait être traité différemment d’un mandat décerné en vertu du droit pénal. De fait, étant donné la nécessité sans cesse croissante de se protéger contre le terrorisme et d’autres menaces pour la sécurité nationale, il est difficile de comprendre pourquoi les critères d’admissibilité dans le contexte de la sécurité nationale devraient être plus rigoureux que ceux dans le contexte du droit pénal.
[268] Les avocats spéciaux soutiennent également que l’alinéa 21(2)b) de la Loi devrait avoir été interprété de façon à exiger un examen des preuves démontrant la nécessité de mener une enquête et qu’en l’espèce aucune enquête n’était nécessaire.
[269] Je rejette cette prétention. L’alinéa 21(2)b) exige qu’un déposant qui cherche à obtenir un mandat dépose sous serment que « d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain » ou que « le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ». Par contre, il y a un autre motif lorsque, sans mandat, « il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées […] ne pourraient être acquises ». Ce troisième motif prévoit un fondement indépendant pour obtenir un mandat et n’exige pas une démonstration de la nécessité de mener une enquête : décision R. v. Alizadeh, 2014 ONSC 1624, 315 C.C.C. (3d) 295, aux paragraphes 20 à 29.
[270] Plus précisément, je souscris au passage suivant tiré de la décision Alizadeh (au paragraphe 29) :
[traduction] […] En vertu du troisième volet de l’alinéa 21(2)b) de la [Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité], il n’est pas nécessaire de démontrer que d’autres procédures d’enquête ont été essayées et épuisées. Au contraire, en tenant compte des réalités pratiques et complexes exigées du SCRS pour s’acquitter de son mandat qui consiste à mener des enquêtes à l’égard de menaces actuelles et futures pour la sécurité nationale, la probabilité de la perte de renseignements importants à l’égard de ces futures menaces constitue un motif distinct, légitime et nécessaire pour lequel un juge peut délivrer un mandat. Il existe des limites internes dans le libellé de cette disposition, à savoir que les renseignements doivent être « importants » et qu’il doit y avoir une « probabilité » qu’il ne soit pas possible d’obtenir les renseignements autrement. Ces mots doivent être interprétés de façon significative de manière à protéger les intérêts privés importants de citoyens et résidents canadiens.
[271] La Cour fédérale, dans des motifs plutôt déterminants, a estimé que, quoi qu’il en soit, la nécessité de mener une enquête était présente. À l’examen du dossier public et du dossier à huis clos, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion.
d) L’utilisation d’éléments de preuve obtenus par ouï-dire et d’éléments de preuve provenant de renseignements de source inconnue
[272] M. Mahjoub présente de nombreuses allégations qui, de façon générale, peuvent être perçues comme une attaque contre l’iniquité alléguée de l’alinéa 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cet alinéa prévoit que le juge « peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui-ci ».
[273] Dans la mesure où ces arguments sur l’iniquité ont trait à la constitutionnalité, ils sont rejetés.
[274] Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a maintenu la constitutionnalité de l’alinéa 83(1)h), justifiant effectivement la façon dont la Cour fédérale a procédé.
[275] Dans l’arrêt Harkat, la Cour suprême a examiné l’utilisation du ouï-dire dans des éléments de preuve de source inconnue. Elle a conclu que « [b]ien que [l’alinéa] 83(1)h) de la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] puisse entraîner l’admission de preuve par ouï-dire et empêcher les avocats spéciaux de contre-interroger les sources, il n’enfreint pas l’art. 7 de la Charte » : arrêt Harkat, au paragraphe 76. La Cour suprême a rejeté l’idée voulant que les règles de preuve classiques, notamment le ouï-dire, ont « été érigées dans la Constitution en principes inaltérables de justice fondamentale » : arrêt Harkat, au paragraphe 76; arrêt R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419, à la page 453, sous la plume de la juge L’Heureux-Dubé.
[276] Plutôt, selon la Cour suprême, la considération prédominante de la constitutionnalité est l’élément digne de foi, quoique des considérations liées à l’élément utile, y compris l’équité dans les procédures, doivent en venir à influer sur l’admissibilité. : arrêt Harkat, au paragraphe 76; arrêt R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, au paragraphe 48. Cela comprend le pouvoir discrétionnaire d’exclure des éléments de preuve dont l’effet préjudiciable l’emporte sur l’effet probant : arrêt Harkat, au paragraphe 76. L’alinéa 83(1)h) confirme ces considérations, pourvu que la norme concernant l’admissibilité soit l’élément digne de foi et utile.
[277] Sans disposer de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat, la Cour fédérale, une fois de plus de façon assez clairvoyante, a maintenu la constitutionnalité de l’alinéa 83(1)h) et a fait de l’élément digne de foi et utile, au sens de l’arrêt Harkat de la Cour suprême, son point de repère dans sa navigation dans les questions de preuve, y compris les questions du ouï-dire.
[278] Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que la preuve par ouï-dire pouvait être admise en vertu de l’alinéa sans compromettre le caractère équitable des procédures. Dans l’arrêt Harkat, aux paragraphes 75 et 76, la Cour suprême a maintenu cette proposition, soulignant que le tribunal a un large pouvoir discrétionnaire pour écarter les éléments de preuve qui ne sont pas dignes de foi après examen. C’est exactement de cette façon que la Cour fédérale a procédé et qu’elle écarte fréquemment des éléments de preuve sur lesquels elle estime qu’il est dangereux de se fonder : 2013 CF 1092, aux paragraphes 218 à 228, 230, 231, 248 à 252, 254 à 259, 262, 268, 269, 292, 294, 295, 447, 450, 452 à 454, 456, 457, 501 à 503, 528, 574 à 583, 595, 596, 599, 600, 609, 614 et 615.
[279] En évaluant la preuve à l’aide du critère des éléments dignes de foi et des éléments utiles en vertu de l’alinéa 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour fédérale a fait preuve de prudence. Même si l’alinéa permet d’admettre un élément de preuve « même inadmissible en justice », la Cour fédérale fait remarquer que les règles de preuve classiques ne doivent pas être écartées dans leur intégralité, soulignant qu’un grand nombre d’elles découlent d’une préoccupation au sujet de l’élément digne de foi et de l’équité. Dans l’ensemble, la Cour fédérale s’est estimée elle-même liée par le critère des éléments dignes de foi et de l’équité ou, plus généralement, la garantie d’un procès équitable en vertu des principes de justice fondamentale de l’article 7 de la Charte : 2013 CF 1097, aux paragraphes 131 à 134. Je souscris aux motifs de la Cour fédérale sur ce point.
[280] Devant la Cour fédérale et devant notre Cour, M. Mahjoub s’en est pris à l’utilisation « d’éléments de preuve de source inconnue » dans la preuve contre lui. Des « éléments de preuve de source inconnue » sont des éléments de preuve ou renseignements obtenus d’un organisme étranger dont la source n’est pas fournie. M. Mahjoub soutient que les éléments de preuve de source inconnue ne devraient pas du tout être utilisés.
[281] La Cour fédérale a rejeté cet argument. J’y souscris compte tenu des motifs qu’elle a donnés.
[282] La Cour fédérale a fait observer que, dans le contexte du renseignement, poser des questions au sujet de la source de renseignements constituerait une [traduction] « transgression fondamentale de la relation [d’échange de renseignements] » et, ainsi, mettrait les relations d’échange de renseignements du Canada en péril et mettrait en danger la sécurité nationale : 2013 CF 1094, aux paragraphes 18 et 19; témoignage de M. Brooks lors de l’audience à huis clos. À son avis, des éléments de preuve dont la source est inconnue ne peuvent pas être catégoriquement inadmissibles. Cependant, ils ne sont pas automatiquement présentés en preuve non plus. Il faut démontrer qu’ils sont dignes de foi et utiles dans toutes les circonstances — autrement dit, admissibles en vertu des normes prévues par la loi et exposées à l’alinéa 83(1)h).
[283] En outre, en vertu du paragraphe 83(1.1), il ne peut pas s’agir de « renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture […] ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». J’aborde ce motif précis dans la prochaine section des présents motifs.
[284] En examinant des éléments de preuve de source inconnue donnés par un organisme étranger, la Cour fédérale a tenu compte de plusieurs facteurs (à la référence 2013 CF 1094, aux paragraphes 21, 26 et 27), notamment des éléments de preuve des méthodes utilisées par l’organisme étranger et son dossier au chapitre des droits de la personne, la nature et la durée de la relation entre l’organisme étranger et le Service, les expériences du Service avec l’organisme étranger, la réputation internationale de l’organisme étranger et la crédibilité de l’organisme étranger, y compris ses motivations, ses incohérences ou ses exagérations. Pour la Cour fédérale, il ne s’agissait pas d’une liste fixe.
[285] Les avocats spéciaux indiquent que la Cour fédérale, dans son utilisation du critère concernant les éléments de preuve de source inconnue, interprète le paragraphe 83(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés trop étroitement étant donné qu’il ne protège pas adéquatement contre les éléments de preuve viciés par la torture ou d’autres méthodes inacceptables et il ne tient pas compte de la réalité selon laquelle de nombreux États n’indiquent pas la source de leurs renseignements lorsqu’ils se livrent à un échange. Autrement dit, le fait que les éléments de preuve soient de source inconnue fait qu’il est impossible pour les avocats spéciaux de les contester aux motifs qu’ils sont obtenus par la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou qu’ils ne sont pas par ailleurs dignes de foi ou utiles. Les avocats spéciaux se demandent aussi si le critère proposé par la Cour fédérale, sur le plan pratique, peut s’appliquer de façon significative.
[286] Je ne partage pas les inquiétudes des avocats spéciaux. Le critère respecte les principes de ce qui constitue des éléments de preuve dignes de foi exposés dans la jurisprudence, notamment la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Harkat. Tel qu’elle a été déployée en l’espèce, l’approche semble avoir donné de bons résultats. Dans certains cas, la Cour fédérale n’a donné à des éléments de preuve de source inconnue aucun poids, a exigé qu’ils aient une « corroboration indépendante véritable », ou a agi avec prudence : 2013 CF 1092, aux paragraphes 62, 115, 575, 582 et 589.
[287] À cet égard, la Cour fédérale a reçu l’aide de témoignages relativement à l’approche du Service canadien du renseignement de sécurité vis-à-vis des renseignements des organismes étrangers, plus particulièrement dans l’appréciation de leur valeur. Étant donné que l’échange de renseignements s’appuie sur le principe « qu’il faut donner pour recevoir », un organisme étranger qui fournit continuellement des renseignements inexacts ou trompeurs pourrait mettre en danger sa réputation dans la communauté du renseignement et nuire à sa capacité d’interagir avec succès avec d’autres organismes. En conséquence, le Service canadien du renseignement de sécurité a mis au point un indicateur détaillé pour évaluer les renseignements qu’il reçoit et il évalue minutieusement les organismes avec lesquels il transige pour s’assurer qu’ils fournissent des renseignements suffisamment dignes de foi. Par conséquent, il est toutefois faux de croire, comme semble le faire M. Mahjoub, que tous les éléments de preuve de source inconnue sont intrinsèquement non dignes de foi et devraient être exclus.
[288] Le critère formulé par la Cour fédérale est valable. En outre, à la fin, le caractère raisonnable du certificat de sécurité est amplement confirmé par des éléments de preuve autres que ceux de source inconnue.
[289] Il n’y a aucune erreur de droit ou erreur manifeste et dominante dans l’examen qu’a fait la Cour fédérale des éléments de preuve en vertu de l’alinéa 83(1)h), y compris les éléments de preuve par ouï-dire ou de source inconnue. Il n’existe aucun motif pour accorder un arrêt permanent des procédures.
e) L’utilisation de renseignements obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants
[290] On se rappellera que « les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture […] ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » ne sont pas admissibles : paragraphe 83(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[291] Dans une requête présentée en 2010, la Cour fédérale a exclu certains éléments de preuve sur lesquels s’étaient fondés les ministres dans le rapport de renseignements de sécurité parce qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il y avait un lien vraisemblable avec la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : Mahjoub (Re), 2010 CF 787. La Cour fédérale était persuadée qu’une « part importante des renseignements » avaient été recueillis « par des méthodes autres que la torture ou les [peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] » : Mahjoub (Re), 2010 CF 787, aux paragraphes 116, 117, 160 à 168, 207 et 229.
[292] Dans le cadre d’une requête générale sur l’abus de procédure, M. Mahjoub a soulevé une fois de plus cette question. La Cour fédérale a conclu que son ordonnance antérieure avait remédié à toute violation des droits de M. Mahjoub garantis par l’article 7 et qu’aucune autre réparation n’était justifiée pour protéger le caractère équitable du procès ou pour faire prévaloir les intérêts de la justice : 2013 CF 1095, aux paragraphes 120 à 132. La Cour fédérale a conclu que le Service comptait exclure les renseignements obtenus par la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il n’a à aucun moment agi sans tenir compte des normes prévues par la Charte ou en faisant preuve d’un mépris délibéré et flagrant de la Charte.
[293] M. Mahjoub soutient qu’en rejetant ses arguments dans le cadre de la requête sur l’abus de procédure, la Cour fédérale n’a pas tenu compte de critères pertinents. Je n’en suis pas convaincu. La Cour fédérale a cité toute la jurisprudence pertinente et l’a appliquée fidèlement aux éléments de preuve dont elle était saisie. Il n’y a aucune erreur de droit, ni aucune erreur manifeste et dominante.
[294] En évaluant cette question, la Cour fédérale a eu recours à une approche à deux volets pour apprécier l’admissibilité des éléments de preuve en vertu du paragraphe 83(1.1). Elle a tiré en grande partie son approche de la décision de la Chambre des lords dans l’arrêt A. and Others v. Secretary of State for the Home Department, 2005 UKHL 71, [2006] 2 A.C. 221 et de l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. S.(R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, aux pages 565 et 566. Premièrement, la personne visée ou, plus habituellement, les avocats spéciaux agissant au nom de la personne visée, doivent démontrer [traduction] « l’existence plausible d’un lien » entre l’utilisation de la torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et les renseignements à utiliser contre elle. Ce fardeau préliminaire peut être satisfait : le public dispose d’énormément de renseignements au sujet des pratiques en matière des droits de la personne des différents régimes un peu partout dans le monde. En conséquence, la Chambre des lords a dit qu’il s’agit d’un [traduction] « critère très peu exigeant » : arrêt A. and Others, au paragraphe 116. Une fois ce critère très peu exigeant satisfait, le fardeau passe aux ministres à qui il incombe de présenter des éléments de preuve qui satisferont le tribunal quant à la question de l’admissibilité.
[295] La Cour d’appel de l’Ontario a approuvé et adopté l’approche à deux volets de la Cour fédérale dans l’arrêt France v. Diab, 2014 ONCA 374, 120 O.R. (3d) 174, aux paragraphes 261 à 264, et j’en fais autant.
[296] Les avocats spéciaux soutiennent que, pour que les renseignements soient admissibles en vertu du paragraphe 83(1.1), les ministres devraient être tenus de prouver un élément négatif, à savoir que les [traduction] « renseignements ne pouvaient pas avoir été obtenus » par la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, même en l’absence de tout élément de preuve selon lequel les renseignements avaient été obtenus par la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
[297] Ce n’est pas conforme au libellé de l’alinéa 83(1)h) et du paragraphe 83(1.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le cadre à l’origine de ces dispositions est « l’admissibilité en l’absence de motifs raisonnables » et non pas « l’inadmissibilité à moins qu’il ne soit prouvé que les renseignements n’ont pas été obtenus par la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Plus précisément, l’alinéa 83(1)h) énonce une présomption selon laquelle les renseignements qui sont dignes de foi et utiles sont admissibles. Le paragraphe 83(1.1) renvoie plus précisément à l’alinéa 83(1)h) et fait exception des renseignements « dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture […] ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
[298] Par conséquent, l’approche adoptée par la Cour fédérale dans la présente affaire est conforme à la fois à la jurisprudence sur la sécurité nationale d’autres cours et au texte des dispositions opérantes mêmes. Il n’existe aucun fondement en vertu duquel notre Cour devrait intervenir.
f) Manquements au secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige : l’amalgamation de documents
[299] On peut trouver un résumé complet des faits pertinents à cette question dans la décision de la Cour fédérale à la référence 2012 CF 669.
[300] En juillet 2011, l’audience de la Cour fédérale sur le caractère raisonnable du certificat a été ajournée pour l’été. Des adjoints du ministère de la Justice ont assisté à l’audience de la Cour fédérale à Toronto pour récupérer les documents des ministres de la salle d’audience et d’une salle de travail. Le plan consistait à recueillir les documents, revenir aux bureaux du ministère de la Justice et organiser les documents.
[301] Par inadvertance, les adjoints ont aussi recueilli des documents entreposés dans la salle de travail de M. Mahjoub. Les documents des deux parties ont été placés, amalgamés, dans un bureau inoccupé au ministère de la Justice. Les adjoints ont commencé à trier les documents. Dès qu’ils ont soupçonné que certains documents n’appartenaient pas aux ministres, ils ont cessé leur tri. Par inadvertance, des documents des ministres avaient été mêlés à des documents de M. Mahjoub.
[302] M. Mahjoub craignait que certains de ses documents — confidentiels et assujettis au privilège relatif au litige et au privilège du secret professionnel liant l’avocat à son client — avaient été acquis par les ministres et avaient été examinés. Il a présenté une requête en arrêt immédiat des procédures.
[303] Avant de statuer sur la requête en arrêt des procédures de M. Mahjoub, la Cour fédérale a établi un processus pour séparer les documents amalgamés. Un protonotaire a présidé au processus de séparation et a rédigé un rapport sur les résultats.
[304] Tenant compte de tout ce qui avait transpiré et du rapport du protonotaire, la Cour fédérale a rejeté la requête en arrêt permanent des procédures. Elle a qualifié la conduite des ministres pour avoir pris les documents de M. Mahjoub « d’erreur involontaire commise par négligence » : 2012 CF 669, au paragraphe 149. Elle a conclu que les ministres avaient présenté suffisamment d’éléments de preuve qui indiquaient que les documents de M. Mahjoub n’avaient pas été examinés par qui que ce soit au sein de l’équipe des ministres : 2012 CF 669, aux paragraphes 122 à 133. Dans l’ensemble, elle a conclu que M. Mahjoub n’avait pas effectivement subi de préjudice. À son avis, le caractère équitable même du procès n’avait pas été touché.
[305] Cependant, la Cour fédérale a conclu que la saisie elle-même constituait une violation du droit de M. Mahjoub d’être protégé contre toute perquisition ou saisie abusive : 2012 CF 669, aux paragraphes 157 et 158. Elle a aussi conclu que le sentiment que le procès était équitable avait souffert. En conséquence, elle a conclu qu’il y avait eu abus de procédure en vertu de la soi-disant catégorie résiduelle — un abus qui ne menace pas le caractère équitable du procès, mais qui risque de miner l’intégrité du processus judiciaire et de l’administration de la justice.
[306] Toutefois, la Cour fédérale a estimé que la réparation la plus extrême, soit l’arrêt des procédures, n’était pas justifiée quant aux faits. Selon ses propres propos, nous n’avions pas affaire à une « situation claire qui justifierait une suspension permanente des procédures » : 2012 CF 669, au paragraphe 145. Ce faisant, elle appliquait une bonne compréhension du droit aux faits dont elle était saisie.
[307] Appliquant la jurisprudence de la Cour suprême concernant l’arrêt permanent des procédures, la Cour fédérale a procédé à un exercice d’équilibre, sous-pesant les intérêts que servirait l’arrêt des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond : 2012 CF 669, au paragraphe 146. Ce faisant, elle a examiné les détails de l’affaire et la nature du procès, les circonstances de M. Mahjoub, le caractère grave de la conduite des ministres et son incidence sur l’intégrité de l’administration de la justice, ainsi que l’intérêt pour la société quant au jugement de l’affaire sur le fond. La Cour fédérale a conclu (au paragraphe 147) que « l’atteinte au franc jeu et à la décence causée par la saisie et par l’amalgame, par les ministres, des documents confidentiels de M. Mahjoub, n’est pas disproportionnée par rapport à l’intérêt de la société de faire en sorte que l’instance sous-jacente se poursuive et qu’une décision définitive soit rendue sur le fond ».
[308] La Cour fédérale était consciente du fait qu’il existe des réparations moindres pour inconduite pour constituer une réponse satisfaisante à l’apparence d’entrave à l’administration de la justice. En l’espèce, elle a donc ordonné une réparation moindre, mais tout de même importante. Son but — approprié compte tenu du droit sur ce point — était de « faire en sorte que la conduite des ministres ne mine pas les attentes de la société envers l’administration de la justice » et « faire en sorte que toute atteinte à l’apparence d’équité ne sera pas manifestée, perpétuée ou aggravée lors du déroulement de l’instance ou en raison de l’issue de la demande » : 2012 CF 669, au paragraphe 145.
[309] À cette fin, elle a déclaré que « pour écarter toute perception qui pourrait subsister et qui donnerait à penser que les avocats des ministres ont pris connaissance des documents confidentiels appartenant à M. Mahjoub et pour s’assurer de préserver la confiance du public dans le système de justice », elle ordonnait que les membres pertinents de l’équipe du contentieux des ministres soient retirés du dossier, qu’il leur soit interdit de consulter quelque document ou renseignement que ce soit se rapportant au dossier, et qu’il leur soit interdit de discuter de tout renseignement concernant le dossier avec qui que ce soit : 2012 CF 669, aux paragraphes 136, 143, 144, 148 et 155; 2013 CF 1095, au paragraphe 26. En concevant cette réparation, elle était soucieuse du droit concernant le retrait d’avocats abordé par la Cour suprême dans l’arrêt Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189 et a appliqué les facteurs discutés dans cet arrêt.
[310] Encore une fois, en l’espèce, la Cour fédérale a appliqué les bonnes règles de droit aux faits dont elle était saisie. En tirant un grand nombre de conclusions factuelles et en appliquant le droit aux faits dont elle était saisie, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante. Une fois de plus, en l’espèce, il n’existe aucun motif pour accorder un arrêt permanent des procédures.
g) Manquements au secret professionnel de l’avocat : l’interception de conversations protégées
(i) Interceptions en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité jusqu’en octobre 2001
[311] Certaines communications entre l’avocat et son client ont été interceptées en vertu de mandats de sécurité nationale autorisés par l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Toutes les interceptions de communications entre l’avocat et son client ont eu lieu après l’arrestation de M. Mahjoub : 2013 CF 1095, aux paragraphes 183 et 184. M. Mahjoub soutient que l’interception de communications entre l’avocat et son client constitue un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures concernant le certificat de sécurité.
[312] En l’espèce, il ne faut pas oublier que la question centrale dont la Cour est saisie est le caractère raisonnable du certificat de sécurité. L’interception n’a pas mené à des éléments de preuve utilisés pour étayer le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Les ministres n’ont pas essayé d’utiliser une seule des communications en preuve. Aucune des communications ne fait partie des renseignements, ci-dessus, qui étayent le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ainsi, les interceptions n’ont rien à voir directement avec l’instance concernant le certificat dont nous sommes saisis.
[313] La seule question en litige est de savoir si l’interception était si abominable pour notre système de justice que l’instance concernant le certificat de sécurité devrait être suspendue. À ce sujet, ayant correctement défini les règles de droit relativement à une suspension et en appliquant ces règles aux faits dont elle était saisie, la Cour fédérale a refusé d’accorder une suspension. Il n’y a aucune erreur révisable en l’espèce.
[314] Toutes les interceptions ont été exécutées aux termes de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ou au moyen d’une autorisation judiciaire et ont été réalisées de bonne foi.
[315] Dès le départ, il faut reconnaître qu’il est inévitable que les mandats de sécurité nationale autorisant l’interception de communications envoyées et reçues à l’aide du téléphone de M. Mahjoub entraîneraient l’interception de communications entre l’avocat et son client. Lorsqu’un avocat téléphone à M. Mahjoub et discute de l’instance, ces discussions seront inévitablement interceptées. Cette sorte d’« interception initiale », qui est inévitable, ne constitue pas des munitions pour une plainte d’abus de procédure en soi : arrêt Atwal, précité, aux paragraphes 15 et 30. La clé est ce qui survient à ces interceptions par la suite.
[316] Dans l’arrêt Atwal, notre Cour a conclu que les communications entre l’avocat et son client peuvent être interceptées et être examinées par un directeur ou un directeur général régional du Service de sécurité pour déterminer si la communication a trait à des « menaces envers la sécurité du Canada ». Sinon, la communication est détruite et aucune autre divulgation n’est faite : arrêt Atwal, aux paragraphes 15 et 30. Cette démarche a été intégrée dans une politique qui exige qu’un analyste se retire de la communication dès qu’il sait qu’il s’agit d’une communication entre l’avocat et son client. Cette politique exige ensuite la destruction de la communication. À l’exception d’un petit nombre d’appels pour lesquels l’épouse de M. Mahjoub agissait en tant que représentante, cette politique a été respectée.
[317] La Cour fédérale a considéré comme un fait établi que les ministres avaient réfuté tout le préjudice présumé découlant de l’interception de communications entre l’avocat et son client, si ce n’est un préjudice minimal découlant de l’interception d’appels concernant des membres de la famille de M. Mahjoub qui, à l’occasion, transmettaient des renseignements en tant que représentants de ses avocats. À son avis, tout préjudice résultant de cette situation était [traduction] « contenu, voire neutralisé complètement » par l’embauche par M. Mahjoub d’un nouvel avocat en 2008, son adoption d’une nouvelle stratégie juridique et l’absence d’un avantage obtenu par les ministres : 2013 CF 1095, aux paragraphes 191 à 202.
[318] La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas commis non plus d’erreur manifeste et dominante en parvenant à ces conclusions fondées sur des faits. Je réitère qu’il n’existe aucun élément de preuve devant la Cour fédérale qui laisse entendre que les renseignements interceptés ont été utilisés, directement ou indirectement.
[319] M. Mahjoub soutient aussi que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant l’arrêt Atwal, précité, à certaines interceptions au cours de la période précédant son arrestation. Cette allégation est rejetée parce qu’il n’y a eu aucune interception de communications entre l’avocat et son client au cours de cette période.
(ii) Interceptions en vertu d’une ordonnance de mise en liberté de la Cour fédérale
[320] M. Mahjoub a été détenu après son arrestation jusqu’en juin 2007. La Cour fédérale a délivré une ordonnance qui exposait les modalités de la mise en liberté : ordonnance du 5 avril 2011 dans le dossier DES-7-08.
[321] L’une des modalités permettait l’interception des communications téléphoniques de M. Mahjoub. Quelque 18 mois plus tard, une clarification a été apportée : ordonnance du 19 décembre 2008 dans le dossier DES-7-08. En vertu de cette clarification, [traduction] « l’analyste, dès qu’il se rend compte qu’il s’agit effectivement d’une communication avocat-client, cesse de surveiller la communication, et supprime l’interception ».
[322] Entre la date de l’ordonnance de mise en liberté et l’ordonnance de clarification, le Service canadien du renseignement de sécurité croyait qu’il pouvait écouter tous les appels, y compris ceux comportant des communications entre l’avocat et son client, afin de déterminer s’il y avait des renseignements qui constituaient un manquement aux conditions ou une menace. La Cour fédérale a conclu que les analystes « croyaient honnêtement » qu’ils pouvaient le faire. Cependant, conformément à la politique décrite plus haut, toutes les copies des communications entre l’avocat et son client ont été détruites le plus tôt possible. Voir 2013 CF 1095, aux paragraphes 204 à 216.
[323] Pendant que l’ordonnance de clarification était en vigueur, certaines communications comportant des discussions entre l’avocat et son client ont par inadvertance été transmises à l’Agence des services frontaliers du Canada. Cependant, la Cour fédérale a conclu que, dans les faits, personne n’a écouté les communications au-delà de ce que permettait l’ordonnance de clarification : 2013 CF 1095, aux paragraphes 224 à 226. Pour ce qui est des appels acheminés de façon régulière à l’Agence des services frontaliers du Canada, la Cour fédérale a conclu que les analystes écoutaient les appels transmis par le Service de sécurité seulement le temps nécessaire pour établir qu’il s’agissait de communications entre l’avocat et son client, puis se retiraient rapidement de l’écoute et mettaient les communications dans un coffre-fort.
[324] En raison des politiques mises en place, personne d’autre que quelques membres du personnel du Service de sécurité et de l’Agence des services frontaliers du Canada ont eu accès aux communications. La Cour fédérale a conclu que les politiques comportaient des mesures de protection suffisantes et étaient suivies à la lettre. Ainsi, selon la Cour fédérale, la présomption de préjudice découlant de l’interception des conversations entre l’avocat et son client a été réfutée et le droit de M. Mahjoub à un procès juste et équitable n’a pas été enfreint : 2013 CF 1095, aux paragraphes 217 à 220.
[325] La Cour fédérale a ajouté qu’il n’y avait aucun [traduction] « élément de preuve précis » indiquant que M. Mahjoub avait discuté avec son avocat ou le personnel de son avocat de renseignements protégés par le secret professionnel au cours de la période entre l’ordonnance de mise en liberté et l’ordonnance de clarification : 2013 CF 1095, au paragraphe 208. Si la Cour fédérale était parvenue à une telle conclusion, son analyse concernant le respect des politiques par le Service de sécurité et l’Agence des services frontaliers du Canada aurait suffi à éliminer tout préjudice.
[326] Dans l’ensemble, compte tenu de ces faits, la Cour fédérale n’a pas conclu qu’il s’agissait des « cas les plus manifestes » justifiant un arrêt des procédures.
[327] À l’égard de toutes ces affaires, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante ou d’erreur de droit ou de règle de droit isolable.
(iii) L’allégation de partialité contre la Cour fédérale découlant de la violation du privilège des communications entre avocat et client
[328] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a soutenu que la violation du privilège des communications entre avocat et client par le Service canadien du renseignement de sécurité agissant en vertu de mandats délivrés par la Cour fédérale remettait en question l’apparence d’impartialité de la Cour. La Cour aurait été influencée en raison de son [traduction] « incapacité de protéger de façon adéquate d’éventuelles communications protégées par le secret professionnel qui lie un avocat et son client dans le cadre de l’interception autorisée en omettant de mettre en place des mesures de protection appropriées exigées par la loi » qui [traduction] « ont constitué un manquement à l’impartialité ou une apparence d’impartialité et donné l’impression que le tribunal donnait à l’autre partie un avantage en écoutant la stratégie et les renseignements » : mémoire des faits et du droit de M. Mahjoub, au paragraphe 60. En outre, l’impression a été créée voulant que [traduction] « si [le Service canadien du renseignement de sécurité] poursuivait sa procédure, c’était pour des raisons découlant des interceptions des communications entre l’avocat et son client dont le tribunal était au courant, ce qui constituait un autre désavantage » : ibid.
[329] La Cour fédérale a rejeté cette prétention : 2013 CF 1092, au paragraphe 481.
[330] Il n’existe pas d’erreur susceptible de révision en l’espèce. La norme est celle de l’évaluation du point de vue d’une personne bien renseignée et raisonnable qui étudierait la question de façon réaliste et pratique : arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369. Par rapport à cette norme, le simple fait qu’un tribunal ait délivré un mandat pour permettre aux organismes de sécurité ou d’exécution de la loi de faire certaines choses ne signifie pas que ce tribunal est responsable de la conduite de personnes agissant en vertu de ce mandat et, par conséquent, ne le rend pas partial et inhabile à poursuivre l’instance.
[331] Ce point est tellement sans fondement que les propos prononcés par notre Cour dans l’arrêt Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 50, doivent être répétés :
[…] [L]a Cour suprême a déclaré que formuler une allégation de partialité était « une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère » [(R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484]. Compte tenu du préjudice causé à l’administration de la justice lorsque des allégations non fondées sont formulées et compte tenu des lacunes graves contenues dans l’opinion présentée en l’espèce, nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer notre grande déception.
h) Le retard global
[332] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a soutenu que les retards dans l’instance concernant le certificat de sécurité violaient ses droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11b) de la Charte et l’obligation de la Cour de procéder sans formalisme et selon la procédure expéditive aux termes de l’alinéa 83(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[333] La Cour fédérale a examiné cette question en profondeur. Elle a examiné les arrêts de la Cour suprême faisant jurisprudence sur le retard, y compris l’arrêt Morin, précité, l’arrêt R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3 et l’arrêt Blencoe, précité. Elle a bien défini et appliqué les principes dans ces arrêts. Sa décision est également étayée par d’autres décisions similaires. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit ou touchant à la règle de droit isolable.
[334] En appliquant le droit aux éléments de preuve dont elle était saisie, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante. Elle a examiné la période à compter de la signature du deuxième certificat de sécurité en février 2008 et la fin de l’audience sur le caractère raisonnable en janvier 2013. Se fondant sur les éléments de preuve, elle a identifié quatre périodes de retard attribuables aux ministres. La Cour fédérale a conclu que tout préjudice attribuable aux ministres a été largement atténué au cours de l’instance. Par exemple, la publication de nouvelles communications importantes a coïncidé avec l’ajournement au cours duquel M. Mahjoub a changé d’avocat.
[335] Devant notre Cour, M. Mahjoub soutient que [traduction] « tous les retards en l’espèce ont été créés et causés par les ministres qui n’ont pas respecté leur obligation de communication en vertu de l’article 7 de la Charte » : mémoire des faits et du droit de M. Mahjoub, au paragraphe 72. Cette déclaration catégorique ne tient pas compte des éléments de preuve en l’espèce, examinés avec la plus grande minutie et énumérés par la Cour fédérale dans sa décision de 186 paragraphes sur ce sujet, sans oublier le fait qu’elle ne tient pas compte de la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[336] M. Mahjoub soutient également que, dans son appréciation du retard, la Cour fédérale aurait dû tenir compte de la décision des ministres de commencer par la période de 2000 à 2007 en vertu du premier certificat délivré dans le cadre d’un régime inconstitutionnel et de la communication inadéquate au cours de cette période.
[337] La Cour fédérale a rejeté cet argument au titre du fait que M. Mahjoub n’a pas recensé un seul retard précis qui aurait pu avoir une incidence sur l’instance : 2013 CF 1095, au paragraphe 258. Il n’y a aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion. Cela étant dit, il importe de signaler que la plus grande partie de l’activité en vertu du premier certificat a avantagé l’instance en vertu du deuxième certificat et a probablement réduit le temps nécessaire à la délivrance et à l’évaluation du deuxième certificat.
[338] Dans l’ensemble, le rejet par la Cour fédérale des allégations de M. Mahjoub relativement aux retards déraisonnables est fondé sur une bonne interprétation du droit. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en appliquant le droit à ces faits.
[339] Il reste beaucoup de choses à dire à l’appui de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle il n’y a aucun motif légitime de plainte. Il s’agissait d’une affaire exceptionnellement imposante et très complexe, rare, voire unique, dans l’histoire judiciaire du Canada : la nature et le volume de la divulgation, le degré de diligence intégrale nécessaire pour la gérer en raison de la nécessité de protéger la sécurité nationale tout en veillant à ce que le devoir d’équité envers M. Mahjoub soit rempli, les perturbations causées par le remplacement des avocats, des deux côtés, le déluge de questions, d’arguments et d’éléments de preuve qui s’est abattu sur la Cour fédérale, la fréquente remise en cause de questions ou le réexamen de questions, mais sous une forme modifiée, les dizaines de milliers de pages d’arguments juridiques et d’éléments de preuve — parfois difficiles et hallucinants dans leur détail — et le droit qui ne cesse d’évoluer dans ce nouveau domaine, relativement inexploré. Il y avait toujours le spectre du chaos et de l’erreur. À son crédit, la Cour fédérale a tout évité cela. À la fin, la Cour fédérale a délivré 53 ordonnances, plusieurs d’entre elles étayées par des motifs détaillés de l’ordonnance — sans oublier les sept motifs complexes et délicats du jugement directement examinés en l’espèce. Tout cela étaye la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle il n’y a pas eu de retard déraisonnable.
i) L’effet cumulatif de ce qui précède : savoir si un arrêt permanent des procédures devrait être accordé
[340] Devant la Cour fédérale, M. Mahjoub a demandé un arrêt de l’instance concernant le certificat de sécurité contre lui fondé sur les violations de ses droits tel qu’il est exposé ci-dessus et sur l’abus de procédure global allégué. Il soutient que la Cour fédérale s’est mal renseignée quant à la disponibilité d’un arrêt des procédures. En outre, s’appuyant sur ces faits, la Cour fédérale aurait dû suspendre l’instance concernant le certificat de sécurité.
[341] Dès le départ, M. Mahjoub soutient que la Cour fédérale n’a jamais examiné la question de savoir si un arrêt de l’instance pour abus de procédure devrait être accordé en raison de l’effet cumulatif des cas d’inconduite, des erreurs et d’autres incidents, notamment des cas d’obtention illicite et d’utilisation illicite d’éléments de preuve, des violations du privilège des communications entre avocat et client et des violations des droits garantis par la Charte : voir le mémoire des faits et du droit de M. Mahjoub, au paragraphe 26. La Cour fédérale n’aurait pas « tenu compte » des effets cumulatifs.
[342] Cet argument est totalement sans fondement, à tel point qu’il n’aurait jamais dû être mis de l’avant. La Cour fédérale aborde cette question aux paragraphes 494 et 506 à 510 de la référence 2013 CF 1095. Au paragraphe 494 de la référence 2013 CF 1095, la Cour fédérale a fait allusion au [traduction] « nombre cumulatif de violations des droits garantis par la Charte et d’abus de procédure ». La rubrique qui précède immédiatement le paragraphe 496 de la référence 2013 CF 1095 est : [traduction] « Est-ce que les réparations qui ont été accordées de façon continue suffisent à corriger le préjudice cumulatif »? La rubrique qui précède immédiatement le paragraphe 506 de la référence 2013 CF 1095 est : [traduction] « En tenant compte de toutes les violations de la Charte et de tous les abus globalement et cumulativement, s’agit-il du cas le plus manifeste à l’égard duquel aucune autre réparation n’est raisonnablement susceptible d’éliminer ce préjudice »? De plus, la conclusion au paragraphe 510 de la référence 2013 CF 1095 traite précisément des [traduction] « effet[s] cumulatif[s] ».
[343] La Cour fédérale s’est bien renseignée sur les principes généraux régissant l’octroi d’un arrêt permanent de l’instance pour abus de procédure : voir l’analyse aux paragraphes 204 à 222, ci-dessus; voir 2012 CF 669, aux paragraphes 67, 68, 76 à 79, 138 à 141 et 144, ainsi que la référence 2013 CF 1095, aux paragraphes 38 à 44, 477 et 478.
[344] M. Mahjoub soutient que la Cour fédérale a, à tort, exigé une preuve de mauvaise foi avant d’accorder un arrêt permanent des procédures. Il souligne la référence 2013 CF 1095, aux paragraphes 479 et 486. Je ne suis pas de cet avis. Au paragraphe 493, la Cour fédérale traitait d’affaires où la mauvaise foi était présente, mais elle ne laissait pas entendre que la mauvaise foi est une condition préalable nécessaire à un arrêt permanent des procédures. Au paragraphe 500, la Cour fédérale a fait observer qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle l’interception des communications entre l’avocat et son client était [traduction] « faite de mauvaise foi, négligemment ou dans le but d’obtenir un avantage dans le contentieux », mais la Cour fédérale n’a nullement laissé entendre que la mauvaise foi est une condition préalable nécessaire à un arrêt des procédures. Comme on l’a mentionné au paragraphe précédent, la Cour fédérale s’est bien renseignée sur le droit.
[345] La Cour fédérale a conclu que le nombre cumulatif de violations des droits garantis par la Charte et des abus de procédure qu’elle avait relevés plus tôt dans ses motifs n’équivalait pas au niveau de la gravité conclue dans les [traduction] « très rares » affaires — affaires d’inconduite grave et intentionnelle — mentionnées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 : 2013 CF 1095, aux paragraphes 492 à 494. Ainsi, il ne s’agissait [traduction] « pas de l’une de ces rares affaires décrites dans la jurisprudence qui exige un arrêt immédiat et permanent de l’instance sans autre examen » : 2013 CF 1095, aux paragraphes 43, 492 et 494.
[346] La Cour fédérale a ensuite examiné le préjudice cumulatif causé au caractère équitable des procédures. Elle a conclu qu’il n’était pas important parce que les réparations qu’elle avait accordées ou d’autres circonstances avaient atténué ou réduit tout préjudice : 2013 CF 1095, aux paragraphes 496 à 505.
[347] Il y avait une seule petite exception, une période d’un retard de quelques mois qui aurait eu une incidence sur la liberté de M. Mahjoub en tant que personne détenue ou assujettie à des conditions de mise en liberté rigoureuses : 2013 CF 1095, au paragraphe 505. Étant donné qu’il s’agissait d’une [traduction] « affaire complexe qui exigeait l’examen de nombreuses questions nouvelles », la complexité ajoutée par la présence [traduction] « d’éléments de preuve et de procédures en audiences publiques et à huis clos », d’une [traduction] « multitude d’avocats », [traduction] « de contestations constitutionnelles et procédurales exhaustives », [traduction] « d’obligations permanentes de divulgation » et [traduction] « d’examens périodiques de la détention », le préjudice global doit être considéré comme [traduction] « relativement mineur » : 2013 CF 1095, au paragraphe 506.
[348] Même si le préjudice global était [traduction] « relativement mineur », la Cour fédérale a décidé de mettre en balance l’intérêt du public dans une décision sur le fond par rapport à l’intérêt du public dans l’octroi d’un arrêt des procédures : 2013 CF 1095, au paragraphe 507.
[349] En procédant à cette pondération, la Cour fédérale (au paragraphe 508 de la référence 2013 CF 1095) a cité les observations de la Cour dans l’arrêt Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482, aux paragraphes 38 et 39 :
[…] Les organisations terroristes sont par leur nature imprévisibles […] l’allégation selon laquelle une personne est un ancien membre d’une organisation terroriste est donc fort sérieuse. Par conséquent, la gravité des allégations milite en faveur de la continuation des procédures.
[…] Je reconnais que certaines des questions soulevées par l’appelant pourraient, dans certains cas, étayer un argument fondé sur l’abus de procédure. Toutefois, dans le contexte de procédures concernant l’allégation selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que l’appelant est ou a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des actes de terrorisme, il existe pour la société un intérêt irrésistible à ce que soit rendu un jugement au fond.
[350] La Cour fédérale a alors examiné l’affaire dont elle était saisie (2013 CF 1095, aux paragraphes 509 et 510) :
[traduction] La gravité des allégations contre M. Mahjoub, selon lesquelles il était un membre dirigeant d’organisations terroristes et présentait un danger pour la sécurité du Canada favorise une détermination du caractère raisonnable du certificat de sécurité sur le fond de l’espèce. Par ailleurs, les violations de la Charte et les abus de procédure par les ministres dont il est question plus haut ont entraîné une éventuelle iniquité pour M. Mahjoub.
Mettant en balance ces deux facteurs, je conclus que l’importance que la décision sur le fond de ces graves allégations qui ont une incidence sur la sécurité de tous les Canadiens l’emporte sur les injustices de nature procédurale pour M. Mahjoub et leur effet cumulatif causé par les ministres. Nous sommes loin des cas les plus manifestes à l’égard desquels la justice exige un arrêt des procédures.
[351] Pour ces raisons, en appliquant correctement le droit aux faits dont elle était saisie, la Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire contre l’arrêt permanent de l’instance concernant le certificat de sécurité.
[352] À tous ces égards, M. Mahjoub n’a pas réussi à établir une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante. Loin de là : me fondant sur le présent dossier fondé sur les faits, j’aurais pris la même décision que la Cour fédérale. En effet, compte tenu des arrêts de la Cour suprême faisant jurisprudence quant au moment où un arrêt permanent des procédures devrait être accordé, il ne semble pas être disponible du tout d’après la preuve au présent dossier.
E. Conclusion
[353] Le régime législatif concernant les certificats de sécurité, y compris les instances pour évaluer le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité, est constitutionnel. Il exprime un engagement vis-à-vis de l’équité fondamentale — un engagement digne d’une société libre et démocratique — pour la personne visée par le certificat, en l’occurrence, M. Mahjoub. Examinée en même temps que d’autres caractéristiques liées à l’équité, notamment la représentation de M. Mahjoub par des avocats qui ont été payés par l’État tout au long des instances, la présente instance concernant le certificat de sécurité peut être perçue comme fondamentalement juste dans son exécution. Il est vrai qu’à l’occasion des erreurs se sont produites et qu’il a fallu souvent des réparations pour les corriger. Par contre, individuellement ou collectivement, il n’existe aucun fondement factuel et juridique qui aurait permis à la Cour fédérale de prononcer un arrêt permanent de l’instance. Elle a suivi son cours jusqu’à la décision finale statuant sur le fond.
[354] Dans sa décision définitive statuant sur le fond (2013 CF 1092), la Cour fédérale a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub est interdit de territoire au Canada pour deux motifs : en représentant un danger pour la sécurité du Canada (alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés) et en étant membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte d’espionnage, d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou d’actes visant à se livrer au terrorisme (alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés). En parvenant à cette conclusion, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision.
[355] En conséquence, aux termes de l’article 80 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le certificat de sécurité continue d’être une « preuve concluante » que M. Mahjoub est interdit de territoire au Canada et, selon le libellé de l’article 80, continue d’être « une mesure de renvoi en vigueur, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête ».
F. Décision
[356] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter les appels. Dans le dossier A-478-14, je réponds ainsi à la question que la Cour fédérale a certifiée pour l’examen par notre Cour :
Question : Les articles 33 et 34 de la partie 1, section 4 et la partie 1, section 9 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ainsi que les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence contreviennent-ils à l’article 7 de la Charte en refusant à la personne visée [en l’occurrence M. Mahjoub] le droit à une audience équitable? Le cas échéant, les dispositions sont-elles justifiées au regard de l’article premier?
Réponse : Il n’y a pas de violation de l’article 7 de la Charte. Il n’est pas nécessaire de répondre à la question relative à l’article premier de la Charte.
Le juge Boivin, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Woods, J.C.A. : Je suis d’accord.