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A-422-03

2004 CAF 250

Rou Lan Xie (appelante) (demanderesse)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé) (défendeur)

Répertorié: Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Décary, Létourneau et Pelletier, J.C.A.--Winnipeg, 3 juin; Ottawa, 30 juin 2004.

        Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Exclusion en vertu de l'art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés -- Crime grave de droit commun -- La Section de la protection des réfugiés (Commission) a rejeté la demande d'asile de l'appelante -- La Commission a également estimé que l'appelante risquait la torture et a expliqué que, si l'appelante ne faisait pas l'objet de l'exclusion prévue à l'art. 1Fb) de la Convention, elle aurait la qualité de personne à protéger -- La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision en rejetant l'argument que les risques de torture devaient être soupesés par rapport à la nature du crime pour décider d'appliquer l'exclusion -- Le mandat d'arrestation international lancé contre l'appelante n'était pas illégal -- Rien ne permet de penser que la divulgation de la demande d'asile de l'appelante aux autorités chinoises a augmenté ses risques d'être torturée -- La présomption d'innocence ne s'applique pas à la délivrance des actes introductifs d'une instance criminelle -- La Commission pouvait accorder un certain poids au mandat -- La combinaison du mandat et de la richesse inexpliquée de l'appelante a une valeur probante -- La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait de sérieuses raisons de penser que l'appelante avait commis un crime grave -- L'application de l'exclusion n'équivaut pas à une décision définitive de renvoi -- Ceux à qui la qualité de réfugié est refusée conservent leur droit de revendiquer la protection du ministre à l'étape de l'évaluation des risques avant renvoi -- La Commission a outrepassé son mandat en décidant de se prononcer sur les risques de torture auxquels serait exposée l'appelante en cas de retour en Chine -- Dès lors que la Commission avait conclu que l'exclusion s'appliquait, le seul recours de l'appelante était de présenter une demande de protection, question qui ressortissait au ministre -- L'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.S.C.) n'a aucune incidence sur la façon dont la Commission doit appliquer l'exclusion -- L'arrêt Suresh porte sur le renvoi du Canada d'une personne qui risquait d'être torturée dans son pays d'origine -- L'exclusion en l'espèce porte sur le refus d'accorder l'asile -- Il est toujours possible de réclamer un autre type de protection -- Appel rejeté.

        Appel d'une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelante à l'encontre d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la Commission) avait refusé de lui reconnaître la qualité de réfugiée par application de la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (perpétration d'un crime grave de droit commun)--L'appelante, une citoyenne de la Chine, a demandé l'asile à son arrivée au Canada en 2001 au motif qu'elle craignait d'être persécutée en raison de son refus de participer à certaines manoeuvres frauduleuses. Un mandat d'arrêt international a été lancé contre elle, pour un détournement de 7 millions de yuan de l'État chinois. L'appelante et sa fille ont 2,7 millions de dollars dans leurs comptes bancaires. La Commission a rejeté la demande d'asile de l'appelante mais a estimé qu'elle risquait d'être torturée par les autorités chinoises si elle devait retourner en Chine. La Commission a expliqué que, si l'appelante ne faisait pas l'objet de l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier de la Convention, elle aurait la qualité de personne à protéger. Pour rejeter la demande de contrôle judiciaire de cette décision, la Cour fédérale a écarté l'argument que les risques de torture devaient être soupesés par rapport à la nature du crime pour décider de soumettre l'appelante à l'exclusion. Les deux questions suivantes ont été certifiées en vue de leur examen: 1) le demandeur d'asile peut-il être privé de protection en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu'il a commis une infraction purement économique? 2) Compte tenu de l'arrêt Suresh, la Section des réfugiés est-elle tenue de soupeser la nature et la gravité de l'infraction commise par le demandeur par rapport au risque qu'il court d'être torturé s'il est renvoyé dans son pays d'origine?

        L'appelante a soulevé trois points litigieux. Premièrement, elle a affirmé que le mandat international lancé contre elle n'aurait pas dû être admis en preuve parce qu'il avait été obtenu illégalement. Deuxièmement, elle faisait valoir que la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve susceptible de justifier la conclusion qu'il existait de sérieuses raisons de penser qu'elle avait commis un crime grave, étant donné que sa richesse inexpliquée et l'existence du mandat ne constituaient ni l'un ni l'autre la preuve de la perpétration d'une infraction. Finalement, l'appelante soutenait que, puisque la Cour suprême du Canada avait décidé, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), qu'on ne peut renvoyer du Canada une personne qui risque d'être torturée que dans des «circonstances exceptionnelles», un crime purement économique ne peut jamais constituer un crime grave pour l'application de l'exclusion parce qu'il ne peut jamais répondre à la définition de «circonstances exceptionnelles».

        Arrêt: l'appel doit être rejeté.

        Le mandat international n'a pas été obtenu illégalement. Le fait que des fonctionnaires du consulat canadien n'auraient pas dû révéler que l'appelante demandait l'asile ne rendait pas pour autant leur conduite illégale ou illicite. Le Canada n'a pas manqué aux obligations qu'il a contractées en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (la Convention contre la torture). Rien ne permet à la Cour de penser que la divulgation aux autorités chinoises de la demande d'asile de l'appelante a augmenté les risques de cette dernière d'être torturée ou a créé en soi un risque de torture.

        Le fait de se fonder sur les accusations formulées dans le mandat ne va pas à l'encontre de la présomption d'innocence. La présomption d'innocence ne peut s'appliquer à la délivrance des actes introductifs d'une instance criminelle, parce que cette présomption est incompatible avec l'accusation d'avoir commis un acte fautif. La Commission avait le droit de présumer que le mandat d'arrestation lancé contre l'appelante reposait sur la conviction qu'elle était coupable d'une faute quelconque. Le fait que l'appelante était nommément désignée dans le mandat, qu'une infraction criminelle précise y était articulée, que le lieu et l'heure de l'infraction reprochée y étaient précisés et que la peine maximale y était signalée pouvaient tous raisonnablement conduire la Commission à accorder une certaine valeur au mandat. Quant à la richesse inexpliquée de l'appelante, c'est la combinaison du mandat accusant l'appelante du détournement d'une somme d'argent considérable et la possession, par l'appelante, d'une somme d'argent d'un ordre de grandeur comparable pour laquelle elle n'a aucune explication satisfaisante à fournir qui est probante, même si, pris isolément, chacun de ces éléments n'est peut-être pas probant. Pour ces motifs, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait de sérieuses raisons de penser que l'appelante avait commis un crime grave.

        Quant à l'interdiction, sauf dans des «circonstances exceptionnelles», de renvoyer quelqu'un dans un pays où il risque d'être torturé, l'économie de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection comporte deux volets, le premier concernant les demandes d'asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR). Les questions certifiées reposent sur la prémisse erronée que l'application de l'exclusion équivaut à une décision définitive de renvoi. Ceux à qui la qualité de réfugié a été refusée conservent leur droit de revendiquer la protection du ministre à l'étape de l'ERAR. Il n'y a aucune raison de croire que les décisions que seul le ministre peut prendre devraient pour une raison ou pour une autre être déférées à la Commission dès lors qu'il existe un risque de torture. La Commission a outrepassé son mandat en décidant de se prononcer sur les risques de torture auxquels serait exposée l'appelante en cas de retour en Chine. Dès lors qu'elle avait conclu que l'exclusion s'appliquait, la Commission avait fait tout ce qu'elle devait faire pour l'appelante et elle ne pouvait rien faire de plus pour elle. Le seul recours de l'appelante était alors de présenter une demande de protection, une question qui ressortissait au ministre. L'arrêt Suresh de la Cour suprême n'a aucune incidence sur la façon dont la Commission doit appliquer l'exclusion. L'arrêt Suresh porte sur le renvoi du Canada d'une personne qui risquait d'être torturée dans son pays d'origine. L'exclusion porte sur le refus d'accorder l'asile. Il est toujours possible de réclamer la protection du ministre, sous réserve toutefois de facteurs ayant trait à la sécurité du public et à celle du Canada. La pondération du risque de torture et de la nature du crime a lieu lors de l'examen, par le ministre, de la demande de protection à l'étape de l'ERAR et non au cours de l'examen, par la Commission, de l'application des cas d'exclusion. Vu ce qui précède, la Cour répond par l'affirmative à la première question certifiée et par la négative, à la seconde.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 95, 97, 98, 112, 113, 114, 115.

jurisprudence

décision distincte:

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.

décision examinée:

Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192; 219 N.R. 376 (C.A.F.).

décisions citées:

Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; (1994), 174 N.R. 292 (C.A.); Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

doctrine

Baudouin, Jean-Louis. «L'efficacité de la justice vs La détérioration de la présomption d'innocence» (1978), 38 R. du B. 455.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

APPEL interjeté d'une décision de la Cour fédérale ([2004] 2 R.C.F. 372; (2003), 239 F.T.R. 59; 34 Imm. L.R. (3d) 220) qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (Z.O.M. (Re), [2003] D.S.P.R. no 58 (QL)), qui avait exclu l'appelante du statut de réfugiée en se fondant sur la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Appel rejeté.

ont comparu:

David Matas pour l'appelante.

Sharlene Telles-Langdon pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

David Matas, Winnipeg, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Pelletier, J.C.A.: L'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) prévoit que les personnes qui n'ont pas la qualité de réfugiés par application des sections E ou F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention) ne peuvent non plus avoir la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens de la Loi. Parmi les cas d'exclusion, mentionnons celui qui est prévu à la section Fb) de l'article premier, qui vise les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil. Le présent appel soulève des questions au sujet de l'application de cette exclusion dans les cas où le demandeur risque la torture s'il est renvoyé dans son pays d'origine. L'appelante soutient qu'il découle de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh) que cette exclusion ne s'applique pas lorsque le renvoi de l'intéressé du Canada l'exposerait au risque d'être torturé, sauf s'il existe des «circonstances exceptionnelles». Suivant l'appelante, le fait d'être accusé de crimes purement économiques ne répond pas à la définition de «circonstances exceptionnelles». La thèse de l'intimé est que la question du renvoi du Canada est prématurée, étant donné que l'exclusion a simplement pour effet de refuser le droit d'asile à l'appelante. La question du renvoi du Canada sera traitée lors de l'examen des risques avant renvoi de l'appelante (ERAR). Lors de cet examen, l'appelante aura tout le loisir de faire valoir ses arguments au sujet des risques de torture. À mon avis, la thèse de l'intimé est bien fondée en droit et l'appel devrait par conséquent être rejeté.

LES FAITS

[2]La présente question est soulevée dans le cadre de la demande d'asile de l'appelante. L'appelante est une citoyenne de la Chine, où elle était un des cadres supérieurs de la Commission des relations économiques et du commerce extérieur de Guangzhou. Elle affirme que, parce qu'elle craignait d'être prise pour cible en raison de son refus de participer à certaines manoeuvres frauduleuses, elle s'est enfuie de la Chine en août 1999. Elle est arrivée au Canada en 2001 après avoir séjourné dans divers pays, dont 19 mois au Venezuela. Elle a demandé l'asile à son arrivée au Canada.

[3]Lors de l'examen de sa demande d'asile, les deux faits suivants sont ressortis. En premier lieu, il a été établi que l'appelante et sa fille avaient à leur nom des comptes bancaires dans lesquels se trouvaient environ 2,7 millions de dollars. En second lieu, il a été constaté qu'à la demande des autorités chinoises, un mandat d'arrêt international avait été lancé contre l'appelante, qui était recherchée pour détournement de «sept millions de yuan» de l'État chinois.

[4]Après avoir examiné attentivement les raisons invoquées par l'appelante pour expliquer pourquoi elle s'était enfuie de la Chine, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) qui était saisi de l'affaire a estimé que l'appelante n'était pas crédible [Z.O.M. (Re), [2003] D.S.P.R. no 58 (QL)]. En particulier, la Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas que l'appelante avait été contrainte de fuir la Chine afin d'éviter d'être persécutée pour avoir refusé de tremper dans des manoeuvres frauduleuses et pour avoir critiqué les politiques économiques de l'État. De plus, compte tenu du train de vie modeste qu'elle menait en Chine, la Commission n'a pas cru les explications avancées par l'appelante pour expliquer la provenance de sa fortune. Se fondant sur la richesse inexpliquée de l'appelante et sur le mandat d'arrestation lancée contre elle, la Commission a appliqué l'exclusion que l'on trouve à la section Fb) de l'article premier de la Convention, qui a pour effet de refuser la qualité de réfugié aux personnes «dont on aura des raisons sérieuses de penser [. . .] [q]u'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil».

[5]Malgré sa conclusion que cette exclusion s'appliquait, la Commission a poursuivi en examinant la demande d'asile de l'appelante. Vu ses conclusions sur la crédibilité, la Commission a estimé qu'il n'existait aucun lien entre les agissements de l'appelante et les motifs énumérés dans la Convention qui permette de reconnaître le statut de réfugié et elle a donc jugé que l'appelante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. En revanche, la Commission a estimé que, compte tenu des accusations portées contre elle, l'appelante risquait d'être torturée par les autorités chinoises si elle devait retourner en Chine. La Commission a conclu que, si l'appelante n'était pas exclue de la définition de personne ayant besoin d'asile, elle aurait la qualité de personne à protéger. Toutefois, ayant appliqué l'exclusion en question, la Commission a rejeté la demande d'asile de l'appelante.

[6]L'appelante a saisi la Cour fédérale d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Sa demande a été soumise au juge Kelen, qui l'a rejetée à [2004] 2 R.C.F. 372. Le juge Kelen a estimé que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité de l'appelante n'était pas manifestement déraisonnable. Il a également jugé que la Commission avait le droit de tenir compte du mandat d'arrêt international pour décider s'il existait des raisons sérieuses de penser que l'appelante avait commis un crime grave de droit commun. Après avoir passé en revue le Guide du HCR [Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés], la jurisprudence de la Cour fédérale et la doctrine sur le sujet, le juge Kelen a estimé que rien ne permettait de conclure qu'un crime purement économique ne pouvait être considéré comme un crime grave au sens de la disposition d'exclusion.

[7]Le juge a ensuite examiné l'argument que la Commission avait commis une erreur en ne soupesant pas les risques de torture par rapport à la nature du crime pour décider de soumettre l'appelante à l'exclusion en question. Le juge a appliqué la jurisprudence de notre Cour, et plus particulièrement les arrêts Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.) (Gil) et Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.) (Malouf), dans lesquels le concept de la pondération dans l'application de l'exclusion prévue à la section Fb) de l'article premier a été écarté. Il a également rejeté l'argument que l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada avait changé le droit à cet égard. Il a établi une distinction entre la présente espèce et l'affaire Suresh en expliquant que celle-ci portait sur le renvoi d'une personne du Canada alors que la présente affaire concerne une demande d'admission au Canada. Se fondant sur le texte de la Convention, de même que sur des articles rédigés par des spécialistes sur la Convention, il a conclu que la norme applicable aux décisions relatives à l'admission est moins rigoureuse que celle qui régit les décisions en matière de renvoi.

[8]Finalement, le juge Kelen s'est penché sur l'argument suivant lequel l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) s'applique de manière à empêcher le renvoi de l'appelante en raison des risques de torture auxquels elle serait exposée. Le juge Kelen a souligné que c'est lors de l'examen des risques avant renvoi prévu aux articles 112 et suivants de la Loi que cette question doit normalement être examinée. Le juge de première instance a par conséquent rejeté la demande de contrôle judiciaire.

LES QUESTIONS CERTIFIÉES

[9]Le juge Kelen a certifié les deux questions suivantes [au paragraphe 48]:

1.     Un demandeur d'asile peut-il être privé de protection en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu'il a commis une infraction purement économique?

2.     Compte tenu de l'arrêt Suresh, la Section des réfugiés est-elle tenue de soupeser la nature et la gravité de l'infraction commise par le demandeur par rapport au risque que celui-ci soit torturé s'il est renvoyé dans son pays d'origine?

[10]Devant notre Cour, l'avocat de l'appelante a formulé différemment ces questions en raison de la conclusion de la Commission que l'appelante risquait d'être torturée si elle retournait en Chine pour répondre aux accusations portées contre elle. Bien que les questions certifiées ne restreignent pas la portée de l'appel (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 12), elles traduisent l'opinion du juge de première instance quant aux questions graves de portée générale soulevées par la demande de contrôle judiciaire. En reformulant les questions, l'avocat a donc empiété sur le pouvoir discrétionnaire du juge. Les questions soulevées par l'appelante peuvent être résolues dans le cadre de l'appel sans qu'il soit nécessaire de les reformuler.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DE L'APPELANTE

[11]L'appelante soulève trois points litigieux. Elle affirme que le mandat international n'aurait pas dû être admis en preuve parce qu'il a été obtenu illégalement. En admettant le mandat en preuve, la Commission a déconsidéré l'administration de la justice. L'appelante fait ensuite valoir que, même si la Commission a admis le mandat en preuve, elle ne disposait d'aucun élément de preuve susceptible de justifier la conclusion qu'il existait de sérieuses raisons de penser qu'elle avait commis un crime grave, étant donné que sa richesse inexpliquée et l'existence du mandat ne constituaient ni l'un ni l'autre la preuve de la perpétration d'une infraction. Finalement, l'appelante soutient que, puisque la Cour suprême du Canada a décidé, dans l'arrêt Suresh, qu'on ne peut renvoyer du Canada une personne qui risque d'être torturée que dans des «circonstances exceptionnelles», un crime purement économique ne peut jamais constituer un crime grave pour l'application de l'exclusion parce qu'il ne peut jamais répondre à la définition de «circonstances exceptionnelles». Qui plus est, compte tenu de l'interdiction absolue de renvoyer quelqu'un dans un pays où il risque d'être torturé qui est formulée dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36] (la Convention contre la torture), il n'est jamais question de soupeser la gravité du crime reproché à un demandeur par rapport à son risque d'être torturé. L'avocat de l'appelante a franchement reconnu que la question du renvoi de l'appelante dans un pays où elle risque d'être torturée est la question qui scellera le sort du présent appel. Finalement, les parties ont longuement débattu des critères à appliquer pour déterminer si un crime purement économique peut ou non constituer un «crime grave de droit commun» au sens de la section Fb) de l'article premier de la Convention. Dans la mesure où son analyse porte sur la question des «crimes graves de droit commun» indépendamment de la question de la torture, je souscris aux motifs et à la conclusion du juge Kelen. Je n'ai pas l'intention de m'arrêter plus longuement sur cette question.

ANALYSE

Admissibilité du mandat

[12]Je commencerai par régler les deux premières questions soulevées par l'appelante. Au soutien de son allégation que le mandat international a été obtenu illégalement, l'appelante cite la note diplomatique qui accompagnait le mandat. Dans cette note, le Bureau des affaires étrangères du ministère de la Sécurité publique de la République populaire de Chine reconnaît ce qui suit:

[traduction] Le 23 avril, l'Agence de la sécurité publique de la province de Guangdong de notre pays a reçu une note de votre consul à Guangzhou déclarant qu'une Chinoise du nom de XIE Rou Lan était en train de présenter une demande d'asile au Canada; cependant, cette personne ne possédait pas de papiers d'identité valides et le consulat a demandé de vérifier si Mme XIE faisait l'objet d'accusations d'infraction(s) criminelle(s) en Chine.

[13]La Commission [au paragraphe 71] s'est dit préoccupée par le fait que des fonctionnaires du consulat canadien avaient révélé qu'une personne déterminée demandait l'asile:

J'ajouterais que je m'inquiète de la façon dont la présence de la demandeure au Canada est parvenue à l'attention des autorités chinoises [. . .] Il semblerait que le gouvernement canadien a informé le prétendu procureur de la demande d'asile, ce qui n'aurait pas dû se produire. En fait, le représentant du ministre s'est efforcé lors de l'audience d'expliquer que cela n'aurait pas dû se produire.

[14]Mais ce n'est pas parce qu'une chose «n'aurait pas dû se produire» qu'elle est pour autant illégale ou illicite. Lorsqu'on a insisté pour qu'il explique les raisons pour lesquelles il soutenait que le mandat avait été obtenu illégalement, l'avocat a répondu qu'en signalant aux autorités chinoises la présence de sa cliente au Canada, le gouvernement avait augmenté les risques de cette dernière d'être torturée si elle devait retourner en Chine. Vu l'obligation imposée par la Convention contre la torture aux parties signataires de prendre des mesures pour empêcher la torture, le gouvernement s'est rendu coupable d'un manquement aux obligations que ce traité mettait à sa charge, manquement qui, en l'espèce, devrait être considéré comme un acte illicite.

[15]La question de savoir si le fait de divulguer la demande d'asile de l'appelante a augmenté ses risques d'être torturée relève de la pure spéculation. Autant qu'on puisse en juger à la lecture des motifs de la Commission, les risques de torture augmentent lors de la détention qui a lieu au cours de l'enquête criminelle. Nous ne disposons d'aucun élément qui nous permette de penser que le fait de révéler qu'une demande d'asile a été présentée a une incidence sur ce risque précis ou crée de son propre chef un risque de torture.

[16]Même en supposant que la note diplomatique chinoise donne une image fidèle des faits qui se sont produits, la présumée bévue des services consulaires ne permet pas d'affirmer que le mandat constitue un élément de preuve obtenu illégalement. En conséquence, la question de l'exclusion du mandat au motif qu'il déconsidère l'administration de la justice ne se pose pas.

Éléments de preuve relatifs à la criminalité

[17]L'avocat soutient également que, même si le mandat est admis en preuve, il n'y a aucun élément de preuve qui permette de penser que l'appelante a commis un crime grave à l'étranger et ce, pour deux raisons. Premièrement, le fait d'invoquer le mandat va lui-même à l'encontre de la présomption d'innocence. En second lieu, ni le mandat ni la richesse inexpliquée de l'appelante ne constituent des éléments de preuve de criminalité.

La présomption d'innocence

[18]L'avocat a soutenu que le fait de se fonder sur les accusations formulées dans le mandat va à l'encontre de la présomption d'innocence étant donné que le mandat ne renferme que des accusations non prouvées qui n'ont aucune valeur probante tant que leur bien-fondé n'a pas été établi devant une cour de justice. La présomption d'innocence ne peut s'appliquer à la délivrance des actes introductifs d'une instance criminelle, parce que cette présomption est incompatible avec l'accusation d'avoir commis un acte fautif. On ne peut lancer un mandat d'arrestation contre une personne sans avoir des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis une infraction criminelle. La présomption d'innocence s'applique à ceux qui doivent décider si l'accusé est, en fait et en droit, coupable du crime qu'on lui reproche.

[19]Le rôle de la présomption d'innocence a été expliqué succinctement par Jean-Louis Baudouin dans un compte rendu d'une table ronde sur l'efficacité de la justice et le déclin de la présomption d'innocence («L'efficacité de la justice vs La détérioration de la présomption d'innocence» (1978), 38 R. du B. 455 [aux pages 456 et 457]:

Le système d'investigation de la justice criminelle, sur le plan opérationnel, fonctionne à l'heure actuelle et a toujours fonctionné, non pas en vertu du système de la présomption d'innocence mais bien au contraire en vertu d'un système «d'intime conviction» plus proche, dans un certain sens d'une sorte de présomption de culpabilité entendue non pas dans son sens judiciaire mais dans son sens commun. Ainsi, la police pour procéder à une arrestation doit avoir des «motifs raisonnables et probables» de croire que l'accusé a commis un acte criminel. L'arrestation est donc fondée sur la conviction intime que l'accusé a quelque chose à se reprocher. Lorsque en second lieu la Couronne porte une accusation, elle présume en quelque sorte ou prend pour acquis l'éventuelle culpabilité judiciaire de l'accusé. Cette soi-disant présomption de culpabilité est donc une présomption d'ordre fonctionnel. Elle indique comment la machine pénale doit fonctionner en désignant qui doit entrer dans le système et qui, au contraire, doit en être tenu à l'écart.

La présomption d'innocence se situe sur un autre plan. Elle oblige ceux qui ont à prendre une décision sur la culpabilité de l'accusé à un véritable tour de force contraire à la logique suivie jusqu'ici. Elle les oblige à ignorer la probabilité des faits, à écarter complètement les déductions logiques auxquelles le système est arrivé antérieurement. La présomption d'innocence n'est donc pas fonctionnelle. Elle est légale, idéologique et normative. L'accusé doit être traité par la Cour «comme si» il était innocent alors que toutes les opérations antérieures pointent vers sa culpabilité.

[20]La Commission avait le droit de présumer que le mandat d'arrestation lancé contre l'appelante reposait sur la conviction qu'elle était coupable d'une faute quelconque. La présomption d'innocence s'appliquerait à la preuve de cette faute, mais elle n'a pas pour effet d'empêcher la Commission de tenir compte de la conviction des autorités chinoises quant à sa culpabilité pour décider s'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait commis le crime dont elle était accusée.

Valeur probante des éléments de preuve relatifs à la criminalité

[21]L'avocat poursuit en faisant valoir que, même si le mandat a été admis en preuve, il se résume à des allégations et ne constitue pas une preuve de la perpétration d'une infraction. L'avocat fait une distinction entre la présente espèce et l'affaire Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192 (C.A.F.) (Legault), dans laquelle notre Cour a jugé qu'un arbitre pouvait se fonder sur un acte d'accusation et un mandat d'arrestation pour conclure à l'existence de motifs raisonnables de penser que le demandeur a commis un crime grave à l'étranger. Suivant l'avocat, dans l'affaire Legault, le mandat et l'acte d'accusation renfermaient des détails des crimes reprochés au demandeur alors qu'en l'espèce, le mandat ne contient que d'infimes détails.

[22]Pour décider de la valeur à accorder au mandat, la Commission avait le droit de tenir compte du fait que l'appelante y était nommément désignée, qu'une infraction criminelle précise y était articulée, que le lieu et l'heure de l'infraction reprochée y était précisés et que la peine maximale y était signalée. Tous ces détails pouvaient raisonnablement conduire la Commission à accorder un certain poids au mandat. L'avocat a cherché à tabler sur le fait qu'il était précisé à tort que la peine maximale était l'emprisonnement à perpétuité alors qu'en fait, la peine maximale est la peine capitale. La disposition en question prévoit comme peine maximale une peine allant de l'emprisonnement minimal de 10 ans à l'emprisonnement à perpétuité, et la peine de mort [traduction] «dans les cas particulièrement graves» (dossier d'appel, à la page 119). Loin d'être une erreur, la mention de la peine maximale dans le mandat indique peut-être plutôt que l'État chinois considérait que le cas de l'appelante n'était pas assez grave pour justifier la peine de mort. Il est sans intérêt à cette étape-ci de se lancer dans des spéculations quant aux intentions des autorités chinoises.

[23]L'avocat ajoute que, tout comme le mandat ne constitue pas une preuve de criminalité, la richesse inexpliquée de l'appelante ne prouve pas non plus qu'elle a commis un acte criminel. Une richesse inexpliquée n'a rien de criminel; elle est tout simplement inexpliquée. Ce n'est pas un crime de posséder une fortune énigmatique et ce ne sont pas tous ceux qui ont une richesse inexpliquée qui l'ont acquise par des moyens criminels. Je conviens qu'une richesse inexpliquée ne constitue pas en soi une preuve de criminalité. Toutefois, dans le contexte d'une accusation de détournement de fonds se chiffrant à plusieurs millions de dollars, la richesse inexpliquée acquiert une certaine valeur probante. Elle ne constitue peut-être pas une preuve de criminalité suffisante, mais on ne saurait prétendre qu'elle ne constitue aucune preuve. En dernière analyse, c'est la combinaison du mandat accusant l'appelante du détournement d'une somme d'argent considérable et la possession, par l'appelante, d'une somme d'argent d'un ordre de grandeur comparable pour laquelle elle n'a aucune explication satisfaisante à fournir qui est probante, même si, pris isolément, chacun de ces éléments n'est peut-être pas probant. Pour ces motifs, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait de sérieuses raisons de penser que l'appelante avait commis un crime grave. Le fait que cet élément de preuve ne satisfasse pas à la norme de preuve appliquée dans les affaires criminelles est sans importance, étant donné que la question qui se pose n'est pas celle de savoir si l'appelante a effectivement commis le crime dont elle est accusée. La question à résoudre est celle de savoir s'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle a commis un tel crime. Or, la preuve soumise à la Commission permettait à cette dernière de tirer cette conclusion.

L'arrêt Suresh et la suppression du risque de torture

[24]Comme il a déjà été signalé, le principal argument de l'appelante est que, comme le droit canadien interdit d'expulser une personne vers un pays où elle risque d'être torturée, sauf dans des «circonstances exceptionnelles», l'asile ne peut être refusé à l'auteur d'un crime purement économique parce qu'un tel crime ne peut en aucun cas constituer une «circonstance exceptionnelle». Le raisonnement de l'appelante suppose implicitement que refuser l'asile à quelqu'un équivaut à le renvoyer du Canada.

[25]La difficulté que pose le raisonnement de l'appelante est qu'il va à l'encontre de l'économie de la Loi. Il revient à chercher à conférer à la Section de la protection des réfugiés un pouvoir discrétionnaire que la Loi attribue expressément au ministre.

[26]Alors que l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, offrait l'asile uniquement aux réfugiés au sens de la Convention et à ceux qui étaient autorisés à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire (y compris le risque d'être victime de traitements inhumains en cas de retour dans son pays d'origine), la Loi actuelle augmente et solidifie les motifs pour lesquels le Canada accepte d'accueillir des personnes qui risquent de subir de mauvais traitements. Pour ce faire, elle recourt aux concepts d'asile et de personne protégée. L'asile est la protection conférée aux réfugiés, aux personnes à protéger et aux personnes dont la demande de protection a été accordée. La personne à qui l'asile est conféré est appelée personne protégée. Voici les dispositions applicables:

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas:

a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d'un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l'asile est conféré et dont la demande n'est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

[27]Il y a trois façons d'obtenir l'asile. Tout d'abord, l'asile est conféré aux personnes qui répondent à la définition de réfugié, définition qui est demeurée inchangée dans la nouvelle Loi. Deuxièmement, l'asile est conféré aux personnes à qui est reconnue la qualité de personnes à protéger, qualité qui est attribuée en fonction des risques de mauvais traitements plutôt qu'en fonction des mobiles de ceux qui les infligent. Les motifs pouvant fonder une telle demande sont énumérés à l'article 97 de la Loi; on y trouve, entre autres, le «risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumis [. . .] à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la Torture»:

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes--sauf celles infligées au mépris des normes internationales--et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[28]Le troisième moyen d'obtenir l'asile consiste à présenter une demande de protection en vertu de l'article 112. Les personnes qui risquent l'expulsion peuvent réclamer la protection du ministre en alléguant qu'elles risquent de subir de mauvais traitements si elles retournent dans leur pays d'origine. Si la demande de protection est accordée, ces personnes se voient conférer l'asile en vertu de l'alinéa 95(1)c). Les motifs sur lesquels ces demandes reposent varient selon la procédure qui a été suivie avant que la mesure d'expulsion dont ces personnes font l'objet ait été prise:

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

(3) L'asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants:

[. . .]

c) il a été débouté de sa demande d'asile au titre de la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés;

[29]Selon l'article 95, les personnes visées au paragraphe 112(3) ne peuvent obtenir l'asile. Le paragraphe 112(3) énumère les personnes qui n'ont pas droit à l'asile, notamment celles qui ont été déboutées de leur demande d'asile au titre de la section F de l'article premier de la Convention, ainsi qu'il est précisé à l'article 98 de la Loi:

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[30]Ce n'est cependant pas parce que l'asile est refusé à quelqu'un qu'il n'a droit à aucune protection. L'article 113 précise en effet que les personnes visées au paragraphe 112(3) ont droit à ce que leur demande de protection soit décidée d'une part sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 et d'autre part, en fonction de la question de savoir si elles constituent un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada. C'est à l'article 97 que sont énumérés les motifs qui peuvent être invoqués pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger:

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

[. . .]

c) s'agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s'agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 et, d'autre part:

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

[31]La demande de protection qui est accueillie a diverses conséquences selon la qualité de l'intéressé:

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l'asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s'agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

[32]Pour toutes les personnes, sauf celles qui sont visées au paragraphe 112(3), la décision accueillant la demande de protection a pour effet de conférer l'asile et la qualité de personne protégée au demandeur. Dans le cas des personnes visées au paragraphe 112(3), elle a pour effet de surseoir à la mesure de renvoi les visant. Une des conséquences de cette distinction est que les personnes protégées peuvent obtenir la résidence permanente et bénéficient du principe du non-refoulement:

21. [. . .]

(2) Sous réserve d'un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre--sauf dans le cas d'une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d'une catégorie réglementaire--dont l'agent constate qu'elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu'elle n'est pas interdite de territoire pour l'un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

[. . .]

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

[33]Voilà donc l'économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection. Elle comporte deux volets, le premier concernant les demandes d'asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l'examen des risques avant renvoi. Ceux qui font l'objet de l'exclusion prévue à l'article 98 n'ont pas droit à l'asile mais peuvent présenter une demande de protection à l'étape de l'examen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d'accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui l'asile a été conféré.

[34]Compte tenu de ce qui précède, je passe maintenant aux questions certifiées, que je reproduis par souci de commodité:

1.     Un demandeur d'asile peut-il être privé de protection en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu'il a commis une infraction purement économique?

2.     Compte tenu de l'arrêt Suresh, la Section des réfugiés est-elle tenue de soupeser la nature et la gravité de l'infraction commise par le demandeur par rapport au risque que celui-ci soit torturé s'il est renvoyé dans son pays d'origine?

[35]Ces deux questions ont trait au rôle que joue la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne l'application de l'exclusion pour criminalité énoncée à la section Fb) de l'article premier de la Convention et incorporée par renvoi à l'article 98 de la Loi. La première question porte sur le genre de crimes visés par l'exclusion. La seconde question soulève le même point tout en y ajoutant l'aspect du risque de torture en cas de retour au pays d'origine à la lumière de l'arrêt Suresh de la Cour suprême. Vu l'ensemble des faits de l'espèce, la question de ce qui constitue un crime grave se pose précisément dans le contexte de la torture en cas de retour au pays d'origine, d'où l'argument de l'appelante qu'un délit purement économique ne peut jamais satisfaire au critère des «circonstances exceptionnelles» énoncé dans l'arrêt Suresh. J'estime donc que ces deux questions ne sont que deux aspects d'une seule et même question.

[36]À mon avis, ces deux questions reposent sur la prémisse que l'application de l'exclusion équivaut à une décision définitive de renvoi. Ainsi que notre examen de l'économie de la Loi l'a démontré, l'exclusion n'a pas pour objet d'expulser des demandeurs du Canada. Elle vise à les empêcher de bénéficier du droit d'asile. Les demandeurs qui sont exclus en vertu de l'article 98 conservent leur droit de revendiquer la protection prévue à l'article 112.

[37]S'ils sont retenus, les arguments formulés par l'appelante sur la question de la pondération, tant en ce qui concerne le type d'infraction qui donne lieu à l'application de l'exclusion qu'en ce qui a trait au risque de torture en cas de retour au pays d'origine, auraient pour effet de soustraire les demandeurs au volet ERAR en conférant à la Section de la protection des réfugiés le pouvoir discrétionnaire de trancher des questions que la Loi a expressément réservées au ministre. Les motifs que peut invoquer une personne pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger par la Section de la protection des réfugiés sont les mêmes que ceux que peut faire valoir le demandeur débouté qui présente une demande de protection au ministre. La seule différence est que le ministre peut tenir compte de la question de savoir si l'octroi de la protection à l'intéressé constituerait un danger pour le public ou mettrait en danger la sécurité du Canada. Ce sont là des facteurs dont la Section de la protection des réfugiés ne tient pas compte. Du point de vue de l'interprétation des lois, il n'y a aucune raison de croire que les décisions que seul le ministre peut prendre devraient pour une raison ou pour une autre être déférées à la Section de la protection des réfugiés dès lors qu'il existe un risque de torture.

[38]Ce qui nous amène à la question de savoir si l'arrêt Suresh exige une interprétation différente de la Loi. Je tiens à souligner que la question relative à l'arrêt Suresh ne se pose qu'à ce moment-ci parce qu'ayant conclu que l'exclusion s'appliquait, la Commission s'est ensuite demandée si la demanderesse risquait d'être torturée si elle devait retourner en Chine. À mon avis, la Commission a outrepassé son mandat en décidant de se prononcer sur les risques de torture auxquels serait exposée l'appelante en cas de retour en Chine, et j'estime que le ministre n'est pas lié par cette conclusion. Dès lors qu'elle avait conclu que l'exclusion s'appliquait, la Commission avait fait tout ce qu'elle devait faire pour l'appelante et elle ne pouvait rien faire de plus pour elle. L'appelante était dès lors exclue du droit à l'asile, une question qui relevait de la compétence de la Commission, et son seul recours était de présenter une demande de protection, une question qui ressortissait au ministre. Les conclusions de la Commission au sujet des risques de torture de l'appelante étaient gratuites et constituaient un empiétement sur les attributions du ministre.

[39]L'arrêt Suresh de la Cour suprême n'a aucune incidence sur la façon dont la Section de la protection des réfugiés doit appliquer l'exclusion. L'arrêt Suresh portait sur le renvoi du Canada d'une personne qui risquait d'être torturée dans son pays d'origine. L'exclusion porte sur le refus d'accorder l'asile. Il est toujours possible de réclamer de la protection du ministre, sous réserve toutefois de facteurs ayant trait à la sécurité du public et à celle du Canada. La pondération exigée par les sous-alinéas 113d)(i) et (ii) peut fort bien faire l'objet d'un contrôle judiciaire pour vérifier si ces facteurs constituent des «circonstances exceptionnelles» au sens de l'arrêt Suresh. Mais cette analyse aura lieu lors de l'examen, par le ministre, de la demande de protection à l'étape de l'ERAR. La Section de la protection des réfugiés ne procède pas à cette pondération lors de son examen de l'application des cas d'exclusion énumérés à l'article 98 de la Loi. Cette conclusion va dans le sens de la jurisprudence de notre Cour sur la pondération qu'il y a lieu de faire lorsqu'il s'agit d'appliquer l'exclusion visée aux sections E et F de l'article premier de la Convention (voir les arrêts Gil et Malouf).

[40]Je répondrais donc aux questions certifiées conformément à cette analyse. Plus précisément, je dirais qu'un demandeur peut se voir refuser l'asile par la Section de la protection des réfugiés en cas d'infraction purement économique. Je souligne le mot asile parce que la question certifiée semble laisser entendre que l'exclusion s'applique aussi aux demandes de protection, ce qui n'est pas le cas. L'exclusion vaut uniquement pour les demandes d'asile. Je tiens également à souligner que, pour l'application de l'exclusion, la Section de la protection des réfugiés n'a ni le droit ni l'obligation de pondérer les crimes (véritables ou présumés) de la demanderesse avec les risques qu'elle court d'être torturée si elle retourne dans son pays d'origine.

[41]Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel.

Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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