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[2013] 2 R.C.F. 83

T-450-10

T-451-10

2011 CF 876

Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau (demandeurs)

c.

Air Canada (défenderesse)

et

Commissaire aux langues officielles (intervenant)

Répertorié : Thibodeau c. Air Canada

Cour fédérale, juge Bédard—Ottawa, 28 et 29 mars et 13 juillet 2011.

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été infirmée en partie en appel (A-358-11, 2012 CAF 246). Voici la référence de publication des motifs du jugement prononcés le 25 septembre 2012 : [2013] 2 R.C.F. 155.

Langues officielles — Recours engagé par les demandeurs en vertu de l’art. 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO) en vue d’obtenir, à titre de réparation, des dommages‑intérêts de la part de la défenderesse parce qu’elle n’a pas respecté les obligations que lui impose la partie IV de la LLO d’assurer aux demandeurs des services en français — Les demandeurs demandent également que soient prononcées contre la défenderesse des ordonnances institutionnelles, et que des dommages exemplaires et punitifs leur soient accordés — Les demandeurs ont déposé chacun huit plaintes auprès du commissaire aux langues officielles relativement aux services qu’ils ont reçus de la défenderesse à l’occasion de deux voyages qu’ils ont faits entre le Canada et les États‑Unis — Le commissaire n’a pas retenu les plaintes relatives à deux des incidents, mais il a confirmé que les autres plaintes étaient fondées — La défenderesse a-t-elle manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs? Était-il convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts aux demandeurs, notamment des dommages exemplaires et punitifs, et de rendre des ordonnances institutionnelles à l’endroit de la défenderesse? — La défenderesse a reconnu qu’elle a manqué à son obligation d’assurer des services en français lors de quatre des cinq incidents qui ont été rapportés — Les demandeurs ont obtenu des dommages-intérêts car leurs droits linguistiques sont très importants pour eux et la violation de leurs droits leur a causé un préjudice moral, des troubles et inconvénients et la perte de jouissance de leurs vacances; l’octroi de dommages‑intérêts a également eu un effet dissuasif — Les obligations ont été imposées par le législateur, notamment grâce à la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada et la LLO, et requièrent de la part de la défenderesse qu’elle fasse tous les efforts nécessaires pour respecter ses obligations — Bien que la défenderesse faissait des efforts pour satisfaire à ses obligations linguistiques, les problèmes persistaient — Il existait un problème systémique chez la défenderesse; il était donc convenable et juste de lui imposer de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent notamment en vertu de la partie IV de la LLO — L’attitude des employés de la défenderesse ou de la défenderesse elle-même ne justifiait aucunement l’octroi de dommages exemplaires — La preuve a révélé que les violations commises par la défenderesse ne justifiaient pas l’imposition d’une « punition » — Demande accueillie.

Conflit de lois — Les demandeurs réclamaient, à titre de réparation, des dommages‑intérêts de la part de la défenderesse parce qu’elle n’a pas respecté les obligations que lui impose la partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO) — La défenderesse soutenait que le pouvoir réparateur de la Cour est limité par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (la Convention de Montréal) — La Convention de Montréal est un traité international qui consacre un régime uniforme de responsabilité visant les transporteurs aériens internationaux et les utilisateurs de vols internationaux — Elle prévoit de façon limitative les circonstances pouvant donner lieu à une indemnisation; elle n’impose pas d’obligations en matière linguistique — L’art. 77(4) de la LLO habilite incontestablement la Cour à prononcer une mesure réparatrice — Il y a donc conflit entre la Convention de Montréal et le pouvoir réparateur de la Cour prévu à l’art. 77(4) de la LLO; il ne semble pas possible de concilier ces deux textes — L’art. 77(4) de la LLO l’emporte sur la Convention de Montréal — Faire primer la LLO constitue une dérogation à la Convention de Montréal, mais cela ne compromet pas les obligations conventionnelles du Canada, ni ne porte atteinte à l’intégrité de celle‑ci.

Il s’agissait d’un recours engagé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO) en vue d’obtenir, à titre de réparation, des dommages‑intérêts de la part de la défenderesse parce qu’elle n’a pas respecté les obligations que lui impose la partie IV de la LLO de leur assurer des services en français. Les demandeurs ont demandé également que soient prononcées contre la défenderesse des ordonnances institutionnelles, car ils soutenaient que les manquements de la défenderesse à ses obligations en matière de langues officielles sont de nature systémique, et demandaient également de leur accorder des dommages exemplaires et punitifs. Le présent recours a été institué après que les demandeurs eurent déposé chacun huit plaintes auprès du commissaire aux langues officielles relativement aux services qu’ils ont reçus de la défenderesse à l’occasion de deux voyages qu’ils ont faits entre le Canada et les États‑Unis entre janvier et mai 2009. Les demandeurs alléguaient qu’à différentes occasions, au cours de ces ceux voyages, ils n’ont pas reçu les services en français auxquels ils avaient droit. En l’espèce, le commissaire n’a pas retenu les plaintes relatives à l’absence de services en français dans deux des incidents rapportés par les demandeurs, mais il a par ailleurs confirmé que les autres plaintes déposées par les demandeurs étaient fondées.

Les questions en litige étaient celles de savoir si la défenderesse avait manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs, quel était le pouvoir de la Cour en matière de réparation et s’il était convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts aux demandeurs, de rendre des ordonnances institutionnelles à l’endroit de la défenderesse et d’accorder aux demandeurs des dommages exemplaires et punitifs.

Arrêt : la demande doit être accueillie.

La défenderesse a reconnu qu’elle a manqué à son obligation d’assurer des services en français lors de quatre des cinq incidents qui ont été rapportés : trois fois en vol et une fois lors de l’annonce relative à la réception des bagages à l’aéroport de Toronto.

En ce qui concerne le pouvoir réparateur de la Cour, la défenderesse soutenait, pour sa part, que le pouvoir de la Cour d’accorder des dommages‑intérêts est limité par la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (la Convention de Montréal), laquelle, selon la défenderesse, exclut toute possibilité d’accorder des dommages pour les manquements survenus au cours des vols internationaux pris par les demandeurs. La Convention de Montréal est un traité international qui consacre un régime uniforme de responsabilité visant les transporteurs aériens internationaux et les utilisateurs de vols internationaux. Elle prévoit de façon limitative les circonstances pouvant donner lieu à une indemnisation. Le paragraphe 77(4) de la LLO habilite la Cour à prononcer une mesure réparatrice et doit recevoir une interprétation libérale, et les dommages-intérêts constituent l’une des mesures de réparation envisageables. Il est évident que la Convention de Montréal n’impose pas d’obligations en matière linguistique. La défenderesse est le seul transporteur assujetti à la LLO et les questions visées par ce texte n’ont rien à voir, en soi, avec le transport international. Il y a donc conflit entre la Convention de Montréal et le pouvoir réparateur de la Cour prévu au paragraphe 77(4) de la LLO et il ne semble pas possible de concilier ces deux textes. Le paragraphe 77(4) de la LLO doit l’emporter sur la Convention de Montréal, et ce, pour deux principaux motifs. En faisant primer les dispositions de la partie IV (paragraphe 82(1) de la LLO), le législateur a, de façon implicite, donné préséance aux voies de recours qui permettent de faire sanctionner les manquements aux obligations prévues par la partie IV de la LLO. Il n’était pas nécessaire que le législateur énonce expressément la primauté du recours prévu par le paragraphe 77(1), puisqu’elle découle de sa nature accessoire aux règles de fond qu’il vise à sanctionner. Conclure autrement équivaudrait à vider de son sens la primauté accordée aux dispositions énumérées au paragraphe 82(1) de la LLO. En faisant primer le paragraphe 77(4) de la LLO sur la Convention de Montréal, la Cour a donné effet à la nature quasi-constitutionnelle de la LLO sans que cela se traduise par la violation des obligations conventionnelles du Canada. Faire primer la LLO constitue une dérogation à la Convention de Montréal, mais cela ne compromet pas les obligations conventionnelles du Canada, ni ne porte atteinte à l’intégrité de celle‑ci.

Les demandeurs ont obtenu des dommages-intérêts, car leurs droits linguistiques sont très importants pour eux et la violation de leurs droits leur a causé un préjudice moral, des troubles et inconvénients et la perte de jouissance de leurs vacances. De plus, l’octroi de dommages‑intérêts servira à reconnaître l’importance des droits en cause tout en servant l’objet de dissuasion.

Quant à savoir s’il était juste et convenable de rendre des ordonnances institutionnelles contre la défenderesse, les obligations qui ont été imposées par le législateur, notamment par la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada et la LLO, requièrent de la part de la défenderesse qu’elle fasse tous les efforts nécessaires pour respecter ses obligations. La preuve a révélé que bien que la défenderesse fasse des efforts pour satisfaire à ses obligations linguistiques, les problèmes persistent et la défenderesse et Jazz, un transporteur contractuel d’Air Canada, n’ont pas complètement développé le réflexe de mettre en œuvre, de façon proactive, tous les outils et les processus requis pour respecter leurs obligations, pour mesurer leur performance réelle en matière de services en français et pour se fixer des objectifs d’amélioration. C’est ainsi qu’on a conclu qu’il existait un problème systémique chez la défenderesse et qu’il était donc convenable et juste d’imposer à Air Canada de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent, notamment en vertu de la partie IV de la LLO.

Les défenderesses invoquaient, comme justification de leur réclamation en dommages exemplaires et punitifs, la nature systémique des manquements de la défenderesse et l’attitude arrogante de ses employés. L’attitude des employés de la défenderesse ou de la défenderesse elle-même ne justifiait aucunement l’octroi de dommages exemplaires. Les preuves ne révélaient pas de la part de la défenderesse une attitude malveillante, opprimante ou abusive justifiant une telle sanction. La défenderesse n’a pas fait suffisamment d’efforts pour satisfaire aux obligations que lui impose la LLO, mais les violations qu’elle a commises ne justifiaient pas l’imposition d’une « punition ».

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16, 20, 23, 24(1).

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12.

Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.

Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 35, art. 10 (mod. par L.C. 2000, ch. 15, art. 18).

Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 2, 3 « institutions fédérales » (mod. par L.C. 2002 ch. 7, art. 224; 2004, ch. 7, art. 26), 21, 22, 23, 25, 56, 58, 60, 63, 64, 73, 76, 77 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2), 78(1),(3), 79, 82(1).

Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2.

Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, art. 7(1),(2),(3),(4)c).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 400(1) (mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)), (3) (mod. par DORS/2010-176, art. 11).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal, le 28 mai 1999, qui constitue l’annexe VI de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26, art. 1, 17, 18, 19, 21, 29.

Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie, le 12 octobre 1929, qui constitue l’annexe I de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26, art. 17, 24.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1156, [2006] 2 R.C.F. 70.

décisions différenciées :

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20.

Décisions examinées :

DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575; Morten c. Air Canada, 2009 TCDP 3; Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345; Sidhu v. British Airways, [1997] 1 All E.R. 193 (H.L.); El Al Israel Airlines, Ltd. v. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155, 119 S. Ct. 662 (2d Cir. 1999); King v. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2d Cir. 2002); Carey v. United Airlines, 255 F.3d 1044 (9th Cir. 2001); Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Air Canada, 1997 CanLII 5843 (C.F. 1re inst.); Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Air Canada, [1999] A.C.F. no 738 (C.A.) (QL); Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1621, conf. par 2007 CAF 115.

Décisions citées :

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; Simard c. Air Canada, 2007 QCCS 4452; Chau v. Delta Air Lines Inc. (2003), 67 O.R. (3d) 108, [2003] O.T.C. 945 (C.S.); Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739; Walton v. Mytravel Canada Holdings Inc., 2006 SKQB 231, 26 C.P.C. (6th) 253, 280 Sask. R. 1; Connaught Laboratries Ltd. v. British Airways (2002), 61 O.R. (3d) 204, 217 D.L.R. (4th) 717, [2002] O.T.C. 639 (C.S.); Lavigne c. Société canadienne des postes, 2009 CF 756.

DOCTRINE CITÉE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.

Dempsey, Paul Stephen et Michael Milde. International Air Carrier Liability: The Montreal Convention of 1999, Montréal : McGill University Centre for Research of Air & Space Law, 2005.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

DEMANDE présentée en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO) en vue d’obtenir, à titre de réparation, des dommages‑intérêts de la part de la défenderesse parce qu’elle n’a pas respecté les obligations que lui impose la partie IV de la LLO d’assurer aux demandeurs des services en français. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau, pour leur propre compte.

 David Rheault et Louise-Hélène Sénécal, pour la défenderesse.

Pascale Giguère et Ghady Thomas, pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Centre Air Canada Affaires juridiques (1276), Dorval, Québec, pour la défenderesse.

Commissariat aux langues officielles, Direction générale des affaires juridiques, Ottawa, pour l’intervenant.

Table des matières

Paragraphe

I. Les questions en litige

4

II. Les faits et le cadre législatif

5

III. Analyse

30

A. Air Canada a-t-elle manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs?

30

B. Quelle sont les mesures de réparation qui sont convenables et justes eu égard aux circonstances?

36

1) Est-il convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts aux  demandeurs?

46

a) La Convention de Montréal limite-t-elle le pouvoir réparateur de la Cour d’ordonner le versement de dommages-intérêts?

48

b) Le montant de dommages-intérêts

84

2) Est-il convenable et juste de rendre des ordonnances institutionnelles contre Air Canada?

91

3) Est-il convenable et juste d’accorder des dommages exemplaires et punitifs?

156

IV. Les dépens

165

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

[1]        La juge Bédard : Je suis saisie d’un recours engagé en vertu du paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (LLO).

[2]        Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau (les demandeurs ou M. et Mme Thibodeau) soutiennent que la défenderesse, Air Canada, n’a pas respecté les obligations que lui impose la partie IV [art. 21 à 33] de la LLO de leur assurer des services en français et ils sollicitent, à titre de réparation, des dommages-intérêts. Ils soutiennent également que les manquements d’Air Canada à ses obligations en matière de langues officielles sont de nature systémique; par conséquent ils demandent à la Cour de prononcer contre elle des ordonnances institutionnelles et de lui accorder les dommages exemplaires et punitifs.

[3]        Les demandeurs ont intenté des recours distincts qui ont été réunis aux termes d’une ordonnance rendue le 5 mai 2010 par la protonotaire Aronovitch. Il a par ailleurs été convenu à l’audience que seul M. Thibodeau ferait des observations, lesquelles seraient versées dans le dossier de sa conjointe, Mme Thibodeau.

I. Les questions en litige

[4]        Le présent recours soulève les questions suivantes :

A. Air Canada a-t-elle manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs?

B. Quelle sont les mesures de réparation qui sont convenables et justes eu égard aux circonstances?

1) Est-il convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts aux demandeurs?

2) Est-il convenable et juste de rendre des ordonnances institutionnelles à l’endroit d’Air Canada?

3) Est-il convenable et juste d’accorder des dommages exemplaires et punitifs?

II. Les faits et le cadre législatif

[5]        Le présent recours a été institué après que les demandeurs eurent déposé chacun huit plaintes auprès du commissaire aux langues officielles (le commissaire) relativement aux services qu’ils ont reçus d’Air Canada à l’occasion de deux voyages qu’ils ont faits entre janvier et mai 2009. Les demandeurs allèguent qu’à différentes occasions, dans les aéroports d’Atlanta, d’Ottawa et de Toronto et à bord de trois vols entre le Canada et les États-Unis, ils n’ont pas reçu les services en français auxquels ils avaient droit.

[6]        Pour bien saisir la nature du présent litige, il est utile d’exposer la législation à laquelle est assujettie Air Canada en matière de droits linguistiques.

[7]        La LLO, qui vise les institutions fédérales, concrétise le principe d’égalité des deux langues officielles au Canada qui est consacré à l’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) et le droit du public de s’adresser à l’administration centrale dans la langue officielle de son choix qui est prévu à l’article 20 de la Charte. Une jurisprudence constante enseigne que la LLO est de nature quasi constitutionnelle (Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.) (disponible sur QL); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 (disponible sur CanLII); Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194 (DesRochers)).

[8]        Selon l’article 2 de la LLO, l’objet de celle-ci est d’assurer le respect du français et de l’anglais comme langues officielles, leur égalité de statut et l’égalité des droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment dans le cadre des communications avec le public et de la prestation des services.

[9]        La LLO vise les institutions fédérales qui sont définies à l’article 3 [mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 224; 2004, ch. 7, art. 26] de celle-ci.

[10]      Air Canada a initialement été constituée comme société d’État et, à ce titre, elle était assujettie à la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2, et par la suite, à la LLO qui l’a remplacée. En 1988, Air Canada a été privatisée et la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 35 (LPPCAC) l’a prorogée sous le régime de la Loi canadienne des sociétés par actions [L.R.C. (1985), ch. C-44]. L’article 10 [mod. par L.C. 2000, ch. 15, art. 18] de la LPPCAC a par ailleurs maintenu l’assujettissement d’Air Canada à la LLO. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 10 de la LPPCAC se lisent comme suit :

10. (1) La Loi sur les langues officielles s’applique à la Société.

Loi sur les langues officielles

(2) Sous réserve du paragraphe (5), la Société est tenue de veiller à ce que les services aériens, y compris les services connexes, offerts par ses filiales à leurs clients le soient, et à ce que ces clients puissent communiquer avec celles-ci relativement à ces services, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elle-même les services, elle serait tenue, au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, à une telle obligation.

Communication avec les voyageurs

[11]      La partie IV de la LLO vise les communications avec le public et la prestation des services. Cette partie comprend notamment les dispositions suivantes :

21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services conformément à la présente partie.

Droits en matière de communication

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux — auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services — situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

Langues des communications et services

23. (1) Il est entendu qu’il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

Voyageurs

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, dans les bureaux visés au paragraphe (1), les services réglementaires offerts aux voyageurs par des tiers conventionnés par elles à cette fin le soient, dans les deux langues officielles, selon les modalités réglementaires.

[…]

Services conventionnés

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu’il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

Fourniture dans les deux langues

[12]      Selon l’article 22 de la LLO, les institutions fédérales sont tenues de pouvoir communiquer et offrir des services dans les deux langues officielles là où il y a une demande importante de service dans la langue de la minorité et là où la vocation du bureau le justifie. Le Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement) précise que l’emploi d’une langue officielle fait l’objet d’une demande importante dans un aéroport lorsque le nombre de passagers embarqués et débarqués, au cours d’une année, s’y élève à au moins un million et, pour les autres aéroports, lorsqu’au moins 5 p. 100 de la demande de services faite par le public à cet aéroport, au cours d’une année, est dans cette langue (paragraphes 7(1) et 7(3)). En ce qui a trait aux services à bord des vols, le Règlement prévoit que certains vols sont automatiquement désignés comme vols à demande importante dans la langue de la minorité, alors que d’autres le sont en fonction du volume de demande. À cet égard, le paragraphe 7(2) et l’alinéa 7(4)c) du Règlement disposent :

7. […]

(2) Pour l’application du paragraphe 23(1) de la Loi, l’emploi d’une langue officielle fait l’objet d’une demande importante à un bureau d’une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs lorsque le bureau offre ces services sur un trajet et qu’au moins cinq pour cent de la demande de services faite par les voyageurs sur ce trajet, au cours d’une année, est dans cette langue.

[…]

(4) Pour l’application du paragraphe 23(1) de la Loi, l’emploi des deux langues officielles fait l’objet d’une demande importante à un bureau d’une institution fédérale en ce qui a trait aux services offerts aux voyageurs, dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

[…]

c) le bureau offre les services à bord d’un aéronef :

(i) soit sur un trajet dont la tête de ligne, une escale ou le terminus est un aéroport situé dans la région de la capitale nationale, dans la région métropolitaine de recensement de Montréal ou dans la ville de Moncton, ou un aéroport situé à proximité de l’une de ces régions ou ville qui la dessert principalement,

(ii) soit sur un trajet dont la tête de ligne et le terminus sont des aéroports situés dans une même province dont la population de la minorité francophone ou anglophone représente au moins cinq pour cent de l’ensemble de la population de la province,

(iii) soit sur un trajet dont la tête de ligne et le terminus sont des aéroports situés dans deux provinces dont chacune a une population de la minorité francophone ou anglophone représentant au moins cinq pour cent de l’ensemble de la population de la province;

[13]      Air Canada reconnaît qu’elle est assujettie à la LLO et qu’en vertu de l’article 25 de la LLO, elle est responsable des services offerts par Jazz avec laquelle elle a un contrat d’achat de capacité [1]. Les vols qui sont identifiés comme étant à demande importante de services en français parce qu’il y a au moins 5 p. 100 des voyageurs qui demandent un service dans cette langue sur ce trajet, au cours d’une année, sont déterminés par les sondages qu’Air Canada effectue une fois tous les trois ans, sous la surveillance du Conseil du Trésor.

[14]      Les manquements allégués aux obligations linguistiques d’Air Canada et qui sont à l’origine du présent contentieux, se sont produits à l’occasion de deux voyages que les demandeurs ont faits; il s’agissait de vols entre le Canada et les États-Unis. Les demandeurs ont fait un premier voyage qui consistait en un aller-retour entre Ottawa et Atlanta, Géorgie avec les itinéraires de vols suivants :

DATE

VOL

ORIGINE

DESTINATION

23 janvier 2009

AC457

Ottawa

Toronto

23 janvier 2009

AC8627

Toronto

Atlanta

DATE

VOL

ORIGINE

DESTINATION

1er février 2009

AC8622

Atlanta

Toronto

1er février 2009

AC484

Toronto

Ottawa

[15]      Les demandeurs soutiennent que, à l’occasion de ce voyage, Air Canada a manqué à son obligation de leur assurer des services en français à cinq reprises :

• Absence de services en français à bord du vol AC8627 (opéré par Jazz) qui assurait le trajet Toronto-Atlanta le 23 janvier 2009;

• Absence de services en français au comptoir d’enregistrement du vol AC8622 (opéré par Jazz) à l’aéroport d’Atlanta le 1er février 2009;

• Absence de services en français au comptoir d’embarquement du vol AC8622 (opéré par Jazz) à l’aéroport d’Atlanta le 1er février 2009;

• Absence de services en français à bord du vol AC8622 qui assurait le trajet Atlanta-Toronto le 1er février 2009;

• Annonce faite en anglais seulement aux passagers concernant un changement de carrousel à bagages à l’aéroport d’Ottawa le 1er février 2009.

[16]      Les demandeurs ont fait un deuxième voyage qui consistait en un aller-retour entre Toronto et St-Martin avec une correspondance à Philadelphie à l’aller et à Charlotte, Caroline du Nord, au retour :

DATE

VOL

ORIGINE

DESTINATION

2 mai 2009

AC7916

Toronto

Philadelphie

3 mai 2009

US1209

Philadelphie

St-Martin

DATE

VOL

ORIGINE

DESTINATION

11 mai 2009

US1556

St-Martin

Charlotte

12 mai 2009

AC7923

Charlotte

Toronto

[17]      Les demandeurs soutiennent que, à l’occasion de ce voyage, Air Canada a manqué à son obligation de leur assurer des services en français à deux reprises :

• Absence de services en français à bord du vol AC7923 (opéré par Jazz) qui assurait le trajet Charlotte-Toronto le 12 mai 2009;

• Annonce faite en anglais seulement aux passagers concernant la réception des bagages à l’aéroport de Toronto le 12 mai 2009.

[18]      Les demandeurs ont porté plainte auprès du commissaire relativement à chacun de ces incidents.

[19]      Le commissaire joue un rôle important en matière de protection des langues officielles. Sa mission est définie par l’article 56 de la LLO :

56. (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Mission

[20]      L’article 58 de la LLO habilite le commissaire à instruire toute plainte concernant un acte ou une omission faisant état de cas précis de non-reconnaissance du statut d’une des langues officielles, de manquement à une loi ou à un règlement fédéral sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la LLO et à l’intention du législateur.

[21]      Au terme de l’enquête, le commissaire peut rendre un rapport motivé et faire les recommandations qu’il juge indiquées (articles 63 et 64). Il n’a toutefois pas le pouvoir d’ordonner des mesures de réparation.

[22]      En l’espèce, le commissaire n’a pas retenu les plaintes relatives à l’absence de services en français aux comptoirs d’enregistrement et d’embarquement d’Air Canada à l’aéroport d’Atlanta au motif qu’il ne s’agissait pas d’un aéroport où il y a une demande importante qui appelle la prestation de services en français. Il n’a pas non plus retenu la plainte relative à l’annonce faite aux passagers à l’aéroport d’Ottawa parce qu’il a estimé ne pas avoir été en mesure de confirmer si les actes reprochés avaient été commis par Air Canada. Il a par ailleurs confirmé que les autres plaintes déposées par les demandeurs étaient fondées.    

[23]      Selon le paragraphe 77(1) de la LLO, un recours est ouvert à quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévu par diverses dispositions de la LLO, dont les articles prévus à la partie IV :

77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

Recours

[24]      L’article 76 précise que c’est la Cour fédérale qui est compétente pour entendre ce recours.

[25]      Après le dépôt des rapports du commissaire, les demandeurs ont formé le présent recours.

[26]      Le paragraphe 77(4) de la LLO habilite la Cour à prononcer une mesure réparatrice :

77. […]

(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Ordonnance

[27]      En vertu du paragraphe 78(1) de la LLO, le commissaire a le pouvoir d’exercer lui-même le recours lorsqu’il a conclu une enquête relativement à une plainte. Il peut aussi demander l’autorisation d’intervenir dans une instance (paragraphe 78(3)). En l’espèce, le commissaire a demandé et obtenu la qualité d’intervenant.

[28]      Dans l’arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276 (Forum des maires) [2], la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur les missions respectives du commissaire et de la Cour et sur la nature du recours prévu par l’article 77 [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2] de la LLO. Le juge Décary a fait les observations suivantes au nom de la Cour (aux paragraphes 16 et 17) :

La commissaire, il est important de le rappeler, n’est pas un tribunal. Elle ne rend pas de décision proprement dite; elle reçoit des plaintes, elle mène une enquête, puis elle fait un rapport qu’elle peut assortir de recommandations (paragraphes 63(1), (3)). Si l’institution fédérale concernée ne donne pas suite au rapport ou aux recommandations, la commissaire peut s’en plaindre au gouverneur en conseil (paragraphe 65(1)) et, si ce dernier ne donne pas suite non plus, la commissaire peut s’en plaindre au Parlement (paragraphe 65(3)). Le remède, à ce niveau, est politique.

Pour s’assurer, toutefois, que la Loi sur les langues officielles ait des dents, que les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique, le législateur a créé un «recours» devant la Cour fédérale dont peut se prévaloir la commissaire elle-même (article 78) ou le plaignant (article 77). Ce recours, dont j’examinerai l’étendue plus loin, cherche à vérifier le bien-fondé de la plainte, pas le bien-fondé du rapport de la commissaire (paragraphe 77(1)), et le cas échéant, à assurer une réparation convenable et juste dans les circonstances (paragraphe 77(4)).

[29]      À la lumière des textes législatifs pertinents, je suis appelée, dans un premier temps, à rechercher si les plaintes des demandeurs sont bien fondées et si Air Canada a manqué à son obligation d’assurer aux demandeurs des services en français conformément à la partie IV de la LLO. Le cas échéant, je devrai déterminer les mesures de réparation qui sont convenables et justes.

III. Analyse

A.        Air Canada a-t-elle manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs?

[30]      Le recours formé par M. et Mme Thibodeau visait au départ, l’ensemble des plaintes qu’ils ont portées auprès du commissaire. En cours d’instance, Air Canada a admis certains manquements et M. et Mme Thibodeau ont retiré certaines de leurs allégations [3], de sorte que cinq incidents demeurent en cause dans la présente instance, dont quatre pour lesquels Air Canada reconnaît avoir manqué à ses obligations d’assurer des services en français. Il s’agit des quatre incidents suivants :

• Absence de services en français à bord du vol AC8627 qui assurait le trajet Toronto-Atlanta le 23 janvier 2009: Air Canada reconnaît qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue sur ce vol, alors qu’il s’agissait d’un vol à demande importante de services en français.

• Absence de traduction d’une annonce faite en anglais par le pilote concernant l’heure d’arrivée et la météo lors du vol AC8622 qui assurait le trajet Atlanta-Toronto le 1er février 2009 : Air Canada reconnaît que l’annonce aurait dû être traduite par l’agent de bord (lequel était bilingue) parce qu’il s’agissait d’un vol à demande importante de services en français.

• Absence de services en français à bord du vol AC7923 qui assurait le trajet Charlotte‑Toronto le 12 mai 2009: Air Canada reconnaît qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue sur ce vol et qu’il s’agissait d’un vol à demande importante de services en français.

• Annonce faite en anglais seulement aux passagers concernant la réception des bagages à l’aéroport de Toronto le 12 mai 2009 : Air Canada admet que cette annonce aurait dû être faite en anglais et en français parce que l’aéroport de Toronto fait l’objet d’une demande importante de services en français.

[31]      Air Canada nie toutefois avoir manqué à ses obligations relativement à l’annonce faite aux passagers concernant un changement de carrousel à bagages à l’aéroport d’Ottawa le 1er février 2009. Elle nie qu’il lui incombait de faire ces annonces et soutient que c’est l’administration aéroportuaire qui en avait la responsabilité et que les compagnies aériennes n’avaient pas accès au système de transmission pour faire elles-mêmes ces annonces. Air Canada reconnaît par ailleurs que l’aéroport d’Ottawa fait l’objet d’une demande importante de services en français et soutient que la situation est désormais réglée et qu’elle peut maintenant effectuer elle-même les annonces destinées aux passagers.

[32]      Le commissaire n’avait pas retenu cette plainte parce qu’il n’avait pas été en mesure de déterminer, en toute certitude qui, de l’administration aéroportuaire ou d’Air Canada, avait commis l’infraction. Il s’est exprimé comme suit dans son rapport :

Nous avons reçu la confirmation de la part d’Air Canada que, puisque l’annonce signalait de l’équipement défectueux, elle aurait été livrée par un responsable de l’Administration de l’aéroport d’Ottawa plutôt que les employés du comptoir des bagages Air Canada. Ainsi, nous vous avons informé par lettre le 16 juin 2009 du transfert de responsabilité de cette plainte à l’encontre de l’Administration aéroportuaire d’Ottawa. L’enquête que nous avons menée à l’encontre de cette institution a révélé que la responsabilité des annonces entourant la réception des bagages relève plutôt d’Air Canada. En somme, les faits obtenus ne nous ont pas permis de déterminer avec certitude quelle institution a commis l’infraction à laquelle vous référez. L’enquête nous a toutefois permis de constater que ni la gestion d’Air Canada à cet aéroport ni l’Administration aéroportuaire d’Ottawa connaissent bien leurs responsabilités respectives en matière de langues officielles. À la suite de notre intervention dans ce dossier, nous avons demandé au gestionnaire d’Air Canada à l’aéroport d’Ottawa et au responsable du dossier linguistique à l’Administration aéroportuaire d’Ottawa de se rencontrer afin de clarifier les obligations linguistiques d’Air Canada sur le territoire de l’aéroport.

[33]      J’abonde dans le sens du commissaire; vu les éléments de preuve, il n’est pas possible de décider si Air Canada a manqué à ses obligations lors de cet incident.

[34]      Je conclus par ailleurs, à la lumière des aveux d’Air Canada, qu’elle a manqué à son obligation d’assurer des services en français à quatre reprises, trois fois en vol et une fois lors de l’annonce relative à la réception des bagages à l’aéroport de Toronto.

[35]      Ayant conclu qu’Air Canada a manqué aux obligations que lui impose la LLO, il convient d’examiner le pouvoir réparateur de la Cour et les mesures de réparation sollicitées par les demandeurs.  

B.        Quelle sont les mesures de réparation qui sont convenables et justes eu égard aux circonstances?

[36]      Le paragraphe 77(4) de la LLO et le paragraphe 24(1) de la Charte sont formulés de manière identique et les parties reconnaissent que les principes d’interprétation du paragraphe 24(1) de la Charte peuvent être utilement suivis en ce qui concerne la portée du pouvoir de réparation de la Cour en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO. Dans l’arrêt Forum des maires, au paragraphe 56, la Cour d’appel fédérale s’est d’ailleurs prononcée dans ce sens.

[37]      Dans la décision DesRochers, précitée, la juge Charron a rappelé comme suit, au paragraphe 31, les principes qui doivent guider les tribunaux dans leur interprétation des dispositions de la LLO consacrées aux droits linguistiques :

Avant d’examiner les dispositions contestées en l’espèce, il est utile de rappeler les principes qui régissent l’interprétation des dispositions sur les droits linguistiques. Les tribunaux sont tenus d’interpréter ces droits de façon libérale et téléologique. À cette fin, les dispositions pertinentes doivent être interprétées d’une façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada (R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, par. 25). D’ailleurs, la Cour a plusieurs fois réaffirmé que le concept de l’égalité en matière de droits linguistiques doit recevoir son sens véritable (voir, par exemple, Beaulac, par. 22 et 24-25; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 31). L’égalité réelle, par opposition à l’égalité formelle, doit être la norme et l’exercice des droits linguistiques ne doit pas être considéré comme une demande d’accommodement.

[38]      La Cour suprême s’est prononcée à plusieurs reprises sur la portée et l’interprétation du paragraphe 24(1) de la Charte. Dans l’arrêt R c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575 (Dunedin), au paragraphe 18, elle a indiqué que le paragraphe 24(1) de la Charte appelait une interprétation large et téléologique, qu’il constituait un élément essentiel de la Charte et qu’il devait être interprété de la manière la plus généreuse qui soit compatible avec la réalisation de son objet. La Cour a en outre précisé qu’il s’agissait d’une disposition réparatrice qui appelait une interprétation large et libérale et réitéré que le texte du paragraphe 24(1) de la Charte [au paragraphe 18] « paraît accorder au tribunal le plus vaste pouvoir discrétionnaire possible aux fins d’élaboration des réparations applicables en cas de violations des droits garantis par la Charte ». La Cour a également insisté sur l’importance d’interpréter le paragraphe 24(1) de manière à ce que soit fixée une réparation complète, efficace et utile. À cet égard, la Cour a fait les observations suivantes (aux paragraphes 19 et 20) :

Si la jurisprudence de notre Cour concernant le par. 24(1) peut être réduite à un thème, on peut dire que le par. 24(1) doit être interprété de manière à assurer une réparation complète, efficace et utile à l’égard des violations de la Charte : Mills, précité, p. 881-882 (le juge Lamer), p. 953 (le juge McIntyre); Mooring, précité, par. 50-52 (le juge Major). Comme l’a indiqué le juge Lamer dans l’arrêt Mills, le par. 24(1) « fait du droit à une réparation la pierre angulaire de la mise en œuvre effective des droits accordés par la Charte » (p. 881). C’est l’établissement d’une voie de recours par le par. 24(1) qui « avant tout fera de la Charte un instrument éloquent et vigoureux de protection des droits et des libertés des Canadiens » (p. 881).

L’effet de l’interprétation du par. 24(1) se répercute nécessairement sur tous les droits garantis par la Charte, puisqu’un droit, aussi étendu soit-il en théorie, est aussi efficace que la réparation prévue en cas de violation, sans plus. [Souligné dans l’original.]

[39]      Dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3 (Doucet-Boudreau), la Cour suprême s’est penchée sur la nature des mesures de redressement et de réparation possibles aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte dans une affaire où était en cause le droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Le juge de première instance avait conclu que le gouvernement avait omis de donner priorité aux droits garantis par l’article 23 de la Charte et qu’il avait tardé à remplir ses obligations en dépit de l’existence de rapports démontrant que le taux d’assimilation avait atteint un seuil critique. Le juge a conclu à une violation de l’article 23 de la Charte et il a ordonné au gouvernement provincial et au conseil scolaire de « faire de leur mieux » pour fournir des établissements et des programmes d’enseignement homogènes de langue française dans des délais déterminés. Le juge avait aussi conservé compétence pour recevoir des comptes rendus sur les efforts déployés par les autorités. Le débat à la Cour suprême portait sur la portée du pouvoir de réparation prévu au paragraphe 24(1) de la Charte. 

[40]      La Cour a porté une attention particulière sur la signification de l’expression « “convenable et juste eu égard aux circonstances” », et indiqué que le juge appelé à rechercher ce qui constitue une ordonnance convenable et juste, « doit exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents » (paragraphe 52). La Cour s’est abstenue de formuler une définition détaillée de cette expression mais elle a énoncé un certain nombre de facteurs généraux pertinents. Elle a fait les observations suivantes (aux paragraphes 55 à 59) :

Premièrement, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d’une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur. Il va sans dire qu’elle tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur. Une réparation utile doit être adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause […]

Deuxièmement, la réparation convenable et juste fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle. Comme nous l’avons vu, le tribunal qui accorde une réparation fondée sur la Charte doit s’efforcer de respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces trois pouvoirs […] L’essentiel est que, lorsqu’ils rendent des ordonnances fondées sur le par. 24(1), les tribunaux ne s’écartent pas indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends.

Troisièmement, la réparation convenable et juste est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal. Il ne convient pas qu’un tribunal se lance dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n’est manifestement pas conçu ou n’a pas l’expertise requise. Les capacités et la compétence des tribunaux peuvent s’inférer, en partie, de leurs tâches normales pour lesquelles ils ont établi des règles de procédure et des précédents.

Quatrièmement, la réparation convenable et juste est celle qui, en plus d’assurer pleinement la défense du droit du demandeur, est équitable pour la partie visée par l’ordonnance. La réparation ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit.

Enfin, il faut se rappeler que l’art. 24 fait partie d’un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte. C’est ce qui explique pourquoi, en raison de son libellé large et de la multitude de rôles qu’il peut jouer dans différentes affaires, l’art. 24 doit pouvoir évoluer de manière à relever les défis et à tenir compte des circonstances de chaque cas. Cette évolution peut forcer à innover et à créer au lieu de s’en tenir à la pratique traditionnelle et historique en matière de réparation, étant donné que la tradition et l’histoire ne peuvent faire obstacle aux exigences d’une notion réfléchie et péremptoire de réparation convenable et juste. Bref, l’approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

[41]      Plus récemment, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28 (Ward), que des dommages-intérêts pour violation à la Charte pouvaient être accordés en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[42]      Les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Doucet-Boudreau, précité, ont été repris par la Cour d’appel fédérale relativement à l’application de la LLO dans l’affaire Forum des maires. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a également indiqué que si l’on doit apprécier les violations alléguées au moment du dépôt de la plainte, l’on doit déterminer la réparation appropriée aux termes du paragraphe 77(4) de la LLO en tenant compte de la situation au moment où la cause est entendue. La Cour peut donc tenir compte de l’évolution de la situation et des mesures correctives qui ont été prises. À cet égard, le juge Décary a fait les observations suivantes (aux paragraphes 19 et 20) :

Le fait que le recours prévu à la partie X s’apparente, sur le fond, à une action entraîne des conséquences importantes.

Ainsi, le juge entend l’affaire de novo et n’est pas limité à la preuve offerte lors de l’enquête de la commissaire. Le recours est en mouvance constante en ce sens que même si le bien-fondé de la plainte est déterminé en fonction du moment de la violation alléguée, le remède, s’il en est un qui soit alors convenable et juste, doit être adapté aux circonstances qui prévalent au moment où l’affaire est mise en délibéré. Le remède variera selon que la violation perdure ou non.

[43]      Quelles sont donc, à la lumière de ces principes, les mesures de réparation qui sont convenables et justes? Les demandeurs sollicitent un certain nombre de mesures. Ils sollicitent, dans un premier temps, un jugement déclaratoire portant qu’Air Canada a manqué aux obligations que lui impose la LLO et a violé leurs droits linguistiques, une lettre d’excuse et des dommages‑intérêts. Les demandeurs soutiennent également qu’Air Canada manque à ses obligations linguistiques de façon systémique et ils demandent à la Cour de prendre en compte cet élément dans la détermination de la réparation convenable et juste. À cet égard, ils demandent à la Cour de rendre des ordonnances institutionnelles contre Air Canada et de lui ordonner de payer des dommages punitifs et exemplaires.

[44]      Air Canada ne s’oppose pas à ce que la Cour rende un jugement déclaratoire portant qu’elle a manqué à ses obligations linguistiques à l’endroit des demandeurs. Elle consent également à remettre une lettre d’excuse aux demandeurs. Les demandeurs et Air Canada m’ont d’ailleurs remis des projets de lettre d’excuse. Air Canada s’oppose toutefois à toute autre mesure de réparation et elle nie l’existence de problèmes de nature systémique.

[45]      Je me pencherai sur les mesures de réparation qui sont matière à controverse.

1)         Est-il convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts aux demandeurs?

[46]      Les demandeurs réclament des dommages-intérêts de 25 000 $ chacun, soit 5 000 $ pour chaque manquement, et se fondent sur l’arrêt Ward [4]. Ils invoquent également la décision Morten c. Air Canada, 2009 TCDP 3 (disponible sur CanLII); dans cette affaire, le Tribunal canadien des droits de la personne a accordé 10 000 $ au titre du préjudice moral découlant d’un acte discriminatoire de la part d’Air Canada [5].

[47]      Air Canada soutient, pour sa part, que le pouvoir de la Cour d’accorder des dommages‑intérêts est limité par la Convention de Montréal [Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal, le 28 mai 1999, qui constitue l’annexe VI de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26], laquelle exclut toute possibilité d’accorder des dommages pour les manquements survenus au cours des vols internationaux pris par les demandeurs. Ainsi, le pouvoir d’accorder des dommages ne subsisterait qu’à l’égard du manquement relatif à l’annonce aux passagers à l’aéroport de Toronto. 

a)         La Convention de Montréal limite-t-elle le pouvoir réparateur de la Cour d’accorder des dommages-intérêts?

[48]      La Convention de Montréal est un traité international qui consacre un régime uniforme de responsabilité visant les transporteurs aériens internationaux et les utilisateurs de vols internationaux. La Convention de Montréal a été précédée par un autre traité international, la Convention de Varsovie [Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie, le 12 octobre 1929, qui constitue l’annexe I de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26], qui a été signée par plusieurs pays en 1929. Celle-ci instituait un régime de responsabilité unifié en matière de transport international de passagers, de bagages et de marchandises qui se substituait au droit interne de chaque pays signataire. Ce régime imposait notamment aux transporteurs aériens, en cas de décès ou de dommages corporels résultant d’un accident survenu lors d’un transport international, ou en cas de perte ou de vol de bagages, de marchandises perdues et de retards de vols, un ensemble de règles afférentes à la responsabilité des transporteurs.

[49]      La Convention de Varsovie, qui a été signée par le Canada, a été intégrée au droit interne canadien par la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26. Elle a ensuite été modifiée à quelques reprises et, en 1999, elle a été remplacée par la Convention de Montréal qui est entrée en vigueur en novembre 2003. La Loi sur le transport aérien a été modifiée en décembre 2001 afin que les autorités canadiennes puissent ratifier et adopter la Convention de Montréal; celle‑ci constitue donc une mise à jour de la Convention de Varsovie. Cette nouvelle convention maintient le principe d’un régime unifié de responsabilité des transporteurs aériens bien qu’elle en modifie certaines modalités.

[50]      À l’instar de la Convention de Varsovie, la Convention de Montréal prévoit de façon limitative les circonstances pouvant donner lieu à une indemnisation. 

[51]      Les dispositions suivantes de la Convention sont pertinentes :

CONVENTION POUR L’UNIFICATION DE CERTAINES RÈGLES RELATIVES AU TRANSPORT AÉRIEN INTERNATIONAL

RECONNAISSANT l’importante contribution de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929, ci-après appelée la « Convention de Varsovie » et celle d’autres instruments connexes à l’harmonisation du droit aérien international privé,

RECONNAISSANT la nécessité de moderniser et de refondre la Convention de Varsovie et les instruments connexes,

RECONNAISSANT l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation,

RÉAFFIRMANT l’intérêt d’assurer le développement d’une exploitation ordonnée du transport aérien international et un acheminement sans heurt des passagers, des bagages et des marchandises, conformément aux principes et aux objectifs de la Convention relative à l’aviation civile internationale faite à Chicago le 7 décembre 1944,

CONVAINCUS que l’adoption de mesures collectives par les États en vue d’harmoniser davantage et de codifier certaines règles régissant le transport aérien international est le meilleur moyen de réaliser un équilibre équitable des intérêts,

[…]

Article 1 — Champ d’application

1. La présente convention s’applique à tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef contre rémunération. Elle s’applique également aux transports gratuits effectués par aéronef par une entreprise de transport aérien.

2. Au sens de la présente convention, l’expression transport international s’entend de tout transport dans lequel, d’après les stipulations des parties, le point de départ et le point de destination, qu’il y ait ou non interruption de transport ou transbordement, sont situés soit sur le territoire de deux États parties, soit sur le territoire d’un seul État partie si une escale est prévue sur le territoire d’un autre État, même si cet État n’est pas un État partie. Le transport sans une telle escale entre deux points du territoire d’un seul État partie n’est pas considéré comme international au sens de la présente convention.

[…]

Chapitre III

Responsabilité du transporteur et étendue de l’indemnisation du préjudice

Article 17 — Mort ou lésion subie par le passager — Dommage causé aux bagages

1. Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement.

2. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés, par cela seul que le fait qui a causé la destruction, la perte ou l’avarie s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toute période durant laquelle le transporteur avait la garde des bagages enregistrés. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable si et dans la mesure où le dommage résulte de la nature ou du vice propre des bagages. Dans le cas des bagages non enregistrés, notamment des effets personnels, le transporteur est responsable si le dommage résulte de sa faute ou de celle de ses préposés ou mandataires.

[…]

Article 18 — Dommage causé à la marchandise

1. Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de la marchandise par cela seul que le fait qui a causé le dommage s’est produit pendant le transport aérien.

2. Toutefois, le transporteur n’est pas responsable s’il établit, et dans la mesure où il établit, que la destruction, la perte ou l’avarie de la marchandise résulte de l’un ou de plusieurs des faits suivants :

[…]

Article 19 — Retard

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

[…]

Article 21 — Indemnisation en cas de mort ou de lésion subie par le passager

1. Pour les dommages visés au paragraphe 1 de l’article 17 et ne dépassant pas 100 000 droits de tirage spéciaux par passager, le transporteur ne peut exclure ou limiter sa responsabilité.

2. Le transporteur n’est pas responsable des dommages visés au paragraphe 1 de l’article 17 dans la mesure où ils dépassent 100 000 droits de tirage spéciaux par passager, s’il prouve :

a) que le dommage n’est pas dû à la négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable du transporteur, de ses préposés ou de ses mandataires, ou

b) que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d’un autre acte ou omission préjudiciable d’un tiers.

[…]

Article 29 — Principe des recours

Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.

[52]      Il n’est pas contesté que les vols en cause constituent des « transports internationaux » au sens dans la Convention de Montréal puisqu’il s’agissait de vols entre le Canada et les États-Unis et vice versa. Il n’est pas non plus contesté que les dommages réclamés par M. et Mme Thibodeau n’entrent pas dans les catégories des préjudices qui sont indemnisables aux termes des articles 17 à 19 de la Convention de Montréal.

[53]      Air Canada soutient que la Convention de Montréal, à l’instar de la Convention de Varsovie, établit un régime international de responsabilité qui est complet et qui écarte totalement le droit interne des pays signataires lorsqu’un fait générateur de responsabilité, quel qu’il soit, se produit durant un transport international. Ainsi, la Convention de Montréal jouerait dès qu’une situation qui peut être génératrice de responsabilité pour un transporteur aérien se produit durant un transport international, et ce, que la cause d’action soit prévue par la Convention, ou non. Si une cause d’action relative à un incident ou un événement survenu lors d’un transport international n’est pas prévue par la convention, elle ne peut tout simplement pas donner lieu à une indemnisation en dommages-intérêts.

[54]      Air Canada s’appuie sur l’article 29 de la Convention de Montréal lequel, à son avis, énonce clairement le cadre limité et exclusif de la responsabilité de tout transporteur aérien pour des évènements ayant eu lieu lors d’un transport international. Air Canada soutient également que s’il pouvait subsister un doute quant à la portée de l’article 24 de la Convention de Varsovie [6], l’article 29 de la Convention de Montréal, lequel dispose que « toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause » [je souligne], a clarifié la portée de la Convention et exclu toute demande en dommages-intérêts quelque soit la cause des dommages. Ainsi, un manquement à la LLO survenu lors d’un transport international ne pourrait donc pas donner lieu à des dommages‑intérêts.

[55]      Air Canada soutient que cette interprétation, qui est celle retenue par la jurisprudence canadienne et internationale, est la seule qui soit compatible avec l’objet de la Convention, qui vise à protéger à la fois les transporteurs et les passagers et à établir un équilibre, un compromis, entre les droits des uns et la responsabilité des autres.

[56]      Air Canada soutient que la Cour doit retenir une interprétation du paragraphe 77(4) de la LLO qui s’harmonise avec la Convention; il ne serait donc pas convenable et juste d’accorder des dommages-intérêts lorsque les manquements à la LLO se produisent à l’occasion d’un transport international. À l’appui de sa thèse, Air Canada invoque les principes d’interprétation relatifs à la présomption de conformité aux règles de niveau supérieur et aux obligations conventionnelles internationales. Le législateur est censé, sauf indication claire de sa part, vouloir se conformer aux obligations conventionnelles de l’État et Air Canada soutient que rien dans la LLO n’indique que le législateur entendait se soustraire à ses obligations internationales. Elle soutient que, au contraire, le paragraphe 82(1) de la LLO qui énumère les dispositions de la LLO qui priment sur les dispositions incompatibles de toute autre loi, n’inclut pas le paragraphe 77(4) de la LLO. C’est donc dire que le législateur n’a pas accordé de statut prépondérant au pouvoir réparateur de la Cour en vertu de la LLO. 

[57]      Air Canada soutient qu’il y a une analogie entre la présente affaire et l’affaire Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 (disponible sur CanLII), dans laquelle la Cour suprême a reconnu le caractère exclusif du régime d’indemnisation des victimes de lésions professionnelles au Québec, excluant les réclamations au titre de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q., ch. C-12] vu l’intention du législateur d’instituer un régime complet et exclusif. Air Canada soutient qu’il en va de même du régime d’indemnisation prévu par la Convention de Montréal.

[58]      Le commissaire et les demandeurs s’opposent à la thèse d’Air Canada, mais c’est le commissaire qui, pour l’essentiel, a formulé l’argumentation pertinente. Le commissaire soutient que la Convention de Montréal ne limite nullement le pouvoir réparateur de la Cour prévu au paragraphe 77(4) de la LLO.

[59]      Il soutient, dans un premier temps, qu’il n’y a pas conflit entre la Convention de Montréal et la LLO puisqu’elles ont des champs d’application respectifs complètement différents. Il soutient que la Convention de Montréal vise le transport aérien international et consacre des règles de responsabilité dans des situations précises qui n’ont aucun rapport avec la LLO et que le mécanisme de réclamation et d’indemnisation « en cas de mort ou de lésion » résultant d’un « accident » n’est tout simplement pas pertinent en ce qui concerne l’application de la LLO, qui porte sur le respect des langues officielles au Canada. Le commissaire soutient que la Convention vise l’uniformisation des règles d’indemnisation: les mêmes règles doivent s’appliquer dans tous les pays signataires, pour des situations similaires. Il prétend que l’expression de « toute autre cause » que l’on retrouve à l’article 29 de la Convention de Montréal, doit s’entendre de toute autre cause de même nature. Or, il soutient qu’Air Canada est le seul transporteur aérien au monde à être assujetti au recours prévu par la LLO et qu’il serait illogique de conclure que les États signataires, plus particulièrement le Canada, ont voulu « uniformiser » les règles en matière de langues officielles qui visent uniquement Air Canada. 

[60]      Subsidiairement, le commissaire soutient que s’il y a conflit entre la Convention de Montréal et la LLO, c’est la LLO qui doit primer. Sa thèse est fondée sur la nature quasi constitutionnelle de la LLO et sur le paragraphe 82(1) de cette loi. Contrairement à Air Canada, le commissaire soutient que le paragraphe 82(1) de la LLO n’avait pas à préciser que le recours prévu à la partie X [art. 76 à 81] de la LLO doit primer; cela découle implicitement de son caractère accessoire aux règles de fond dont il permet la mise en œuvre. Le commissaire fait valoir que la LLO définit deux catégories de dispositions: les dispositions de fond qui imposent des obligations et les dispositions qui prévoient les voies de recours qui sont ouvertes en cas de manquement. Le législateur a choisi d’accorder la prépondérance à certaines dispositions de fond et le recours prévu au paragraphe 77(1) est de nature purement accessoire. Le commissaire soutient qu’il serait absurde de supposer que le législateur ait voulu imposer la primauté des droits linguistiques prévus à la partie IV de la LLO sans assurer que ces droits puissent être assortis de sanctions efficaces. Cela aurait pour effet de rendre illusoire la primauté de la partie IV de la LLO, prévue au paragraphe 82(1).

[61]      Je considère pour ma part qu’il y a conflit entre le paragraphe 77(4) de la LLO et la Convention de Montréal, et ce, pour les motifs qui suivent.

[62]      J’ai déjà discuté de l’interprétation du paragraphe 77(4) de la LLO dans la section précédente. Ce paragraphe doit recevoir une interprétation libérale et les dommages-intérêts constituent l’une des mesures de réparation envisageables.

[63]      Examinons maintenant la portée de la Convention de Montréal.

[64]      La Convention de Montréal a été intégrée au droit interne canadien par la Loi sur le transport aérien, et, comme il s’agit d’un traité international, il y a lieu de l’interpréter selon les principes d’interprétation applicables aux traités internationaux, et ce, à la lumière de la jurisprudence développée dans les pays signataires.

[65]      Dans leur traité sur la responsabilité des transporteurs aériens internationaux et la Convention de Montréal [7], Paul Stephen Dempsey et Michael Milde, résument comme suit les principes d’interprétation de la Convention de Montréal, aux pages 45 et 47 :

[traduction] La Convention de Montréal de 1999 [M99] est un traité multilatéral international et son interprétation est régie, notamment, par le droit international des traités. En 1968, on a codifié le droit des traités dans la Convention de Vienne sur le droit des traités (Nations Unies). Étant donné que les principales dispositions de la Convention de Vienne codifient le droit international coutumier en matière de traités, en principe, cette dernière est applicable à tous les États, même à ceux qui ne l’ont pas ratifiée. [Renvoi omis.]

[…]

Les dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités s’harmonisent avec les principes reconnus en droit interne en matière d’interprétation des lois : l’interprétation grammaticale (le sens ordinaire des mots), l’interprétation logique (à partir du contexte de la loi) et l’interprétation téléologique (fondée sur l’objet de la loi). L’article 32 de la Convention de Vienne reconnaît également l’interprétation historique (travaux préparatoires) comme moyen complémentaire d’interprétation.

[66]      Mme Sullivan [8] fait les observations suivantes au sujet de l’interprétation du traité international incorporé au droit interne :

[traduction] Lorsqu’une convention internationale est incorporée, en tout ou en partie, elle acquiert le même statut que le droit interne et a force de loi sans subir aucune modification. Même si elle fait partie du droit interne, elle garde son identité à titre d’instrument du droit international et, par conséquent, conserve son caractère international. Lors de l’interprétation d’une convention qui a été incorporée, le tribunal applique comme il se doit les principes d’interprétation du droit international, il examine des documents de droit international et il se fonde sur les interprétations données à cette convention par des tribunaux internationaux ou des tribunaux dans d’autres juridictions.

[67]      Je suis tentée, à première vue, de retenir la thèse du commissaire selon laquelle la Convention de Montréal ne peut jouer en l’espèce puisqu’elle vise des situations, des causes d’action totalement étrangères au champ d’application de la LLO et que le propre d’une convention dont l’objet est l’unification des règles de responsabilité et d’indemnisation est de s’appliquer dans des circonstances qui sont susceptibles, si elles se produisent dans les divers pays signataires, d’être régies par des règles de droit différentes et de donner lieu à des issues différentes selon le lieu où le fait générateur de responsabilité se produit. L’objectif d’une telle convention est d’éviter les incohérences et les contradictions. La portée de la convention internationale doit toutefois, à mon sens, être circonscrite par ce qui est « commun » à l’ensemble des pays signataires; il s’agit d’éviter, en ce qui concerne certains faits et situations, des conséquences juridiques différentes d’un pays signataire à l’autre.

[68]      Dans l’arrêt Sidhu v. British Airways, [1997] 1 All E.R. 193 (Sidhu), qui fait autorité en matière d’interprétation de la Convention de Varsovie, la Chambre des lords a fait les observations suivantes quant à l’objet de la Convention (aux pages 212 et 213) :

[traduction] À mon avis, la réponse à la question soulevée en l’espèce se trouve dans l’objet et la structure de la Convention. En effet, la terminologie qu’elle utilise et l’objet qu’elle vise démontrent que cette convention visait à mettre en place un code international uniforme pouvant être appliqué par les tribunaux de toutes les hautes parties contractantes, indépendamment des règles de droit interne. La Convention ne porte pas sur toutes les questions relatives aux contrats de transport aérien international. Cependant, en ce qui a trait aux matières que ce code réglemente, et la responsabilité du transporteur en est une, il se veut d’application uniforme, indépendamment de toute règle de droit interne.

[…]

Il faut donc conclure que la Convention exclut tout recours, étant donné que l’ensemble de règles uniformes n’en prévoient pas. Il n’est pas loisible aux tribunaux nationaux de permettre un recours en vertu du droit interne, car cela aurait pour effet de porter atteinte à la Convention. En effet, une telle pratique aurait pour effet d’établir, parallèlement à la Convention, un autre ensemble de règles différentes qui auraient pour effet de miner le fonctionnement de l’ensemble du régime.

[69]      L’objet de la Convention a également été discuté par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt El Al Israel Airlines, Ltd. v. Tsui Yuan Tseng, 525 U.S. 155 (2d Cir. 1999) (Tseng) lequel fait aussi autorité en ce qui concerne l’interprétation de la Convention de Varsovie et de la Convention de Montréal. La Cour a fait les observations suivantes [à la page 169] :

[traduction] Comme nous l’avons observé, l’objet principal de la Convention de Varsovie est « l’institution [**672] de règles uniformes encadrant les réclamations découlant du transport aérien international. »

[70]      Il est évident que la Convention de Montréal n’impose pas d’obligations en matière linguistique. Air Canada est le seul transporteur assujetti à la LLO et les questions visées par ce texte n’ont rien à voir, en soi, avec le transport international et elles ne concernent pas non plus les autres pays signataires de la Convention. Je suis donc tentée de conclure que, vu la portée de l’article 29, cette disposition n’écarte pas les recours fondés sur des causes d’action qui sont étrangères à l’objet et au champ d’application de la Convention.

[71]      Je ne saurais toutefois faire abstraction de la jurisprudence qui s’est prononcée sur la portée de la Convention de Varsovie et celle de Montréal.

[72]      Par l’arrêt Sidhu, précité, la Chambre des lords a retenu une interprétation très large de l’article 24 de la Convention de Varsovie en excluant toute possibilité d’indemnisation pour des causes d’action non prévues par la Convention. Dans cette affaire, des passagers avaient intenté une action contre British Airways et lui réclamaient des dommages physiques et moraux résultant d’une prise d’otage dont ils avaient été victimes après que l’avion à bord duquel ils voyageaient eut atterri au Koweït pour faire le plein de carburant alors que la guerre du Koweït venait d’être déclenchée. Les demandeurs invoquaient la négligence de British Airways. Alors qu’elle discutait de la portée des articles 17 et 24 de la Convention, la Chambre des lords s’est exprimée comme suit, à la page 207 :

[traduction] En raison des termes liminaires du paragraphe 24(2), qui se lisent comme suit : « [L]es cas prévus à l’article 17 », on peut se demander si l’article 17 ne vise  que les cas pour lesquels le transporteur est responsable, en vertu de cet article, du dommage survenu. La réponse à cette question se trouve peut être au cœur de la présente affaire. À mon avis, on ne trouvera pas la réponse en faisant une analyse précise des termes utilisés, mais plutôt en examinant l’objet de l’article. Dans le contexte, selon moi, l’objet de cette disposition semble être de prévoir les circonstances, c’est à dire les seules circonstances, dans lesquelles le transporteur est responsable du dommage survenu, à l’égard de passagers, à la suite de réclamations découlant de ses activités de transport aérien international.

L’expression « les cas prévus à l’article 17 » vise donc toutes les réclamations des passagers à l’encontre du transporteur qui découlent du transport aérien international, à l’exclusion des réclamations pour le dommage causé à des bagages enregistrés, lesquelles sont visées à l’article 18, et des réclamations résultant d’un retard, lesquelles sont visées par l’article 19. L’expression « à quelque titre que ce soit » au paragraphe 24(1), laquelle vise  les réclamations des passagers prévues au paragraphe 24(2), va dans ce sens. Il semble que l’intention soit d’offrir un régime arrêté à l’intérieur duquel s’appliquent les limites à la liberté contractuelle du transporteur. En revanche, des avantages sont conférés aux passagers, mais seulement dans des circonstances bien définies auxquelles s’appliquent les limites à la responsabilité prévues par la Convention. Autoriser des exceptions et donc permettre au passager de poursuivre le transporteur en dehors du cadre de la Convention relativement à des pertes survenues au cours d’un transport aérien international, aurait pour effet de miner l’ensemble du système, même dans des cas où la Convention n’aurait pas prévu la responsabilité du transporteur. En ce qui trait à l’ensemble des questions relatives à la responsabilité du transporteur,  l’objet de la Convention est de veiller à ce que seules les dispositions de la Convention s’appliquent et à ce que les passagers ne puissent intenter d’autres recours, en vertu de la common law ou autrement, dans l’État où ils choisissent d’intenter l’action. Le transporteur n’a donc pas à prendre de dispositions particulières de crainte de faire l’objet de tels recours, car toutes ces questions sont régies par la Convention. [Je souligne.]

[73]      La Cour suprême des États-Unis a suivi cette jurisprudence quant à la portée de la Convention par l’arrêt Tseng, précité. Elle a alors statué qu’un passager ne pouvait pas intenter un recours en dommages-intérêts suite à une fouille à laquelle il avait été assujetti dans un aéroport parce que la réclamation n’entrait pas dans les paramètres de la Convention de Varsovie. La U.S. Second Circuit Court of Appeal dans l’arrêt King v. American Airlines, Inc., 284 F.3d 352 (2002) (disponible sur QL) a, pour sa part, interprété la Convention comme excluant toute possibilité de recours quant à des actes discriminatoires commis par des employés du transporteur aérien lorsqu’ils se sont produits au cours d’un transport international. La U.S. Court of Appeals for the Ninth Circuit, par la décision Carey v. United Airlines, 255 F.3d 1044 (2001) (disponible sur QL), s’est prononcée dans le même sens à l’égard d’une action en dommages-intérêts intentée suite à un incident survenu entre un agent de bord et un passager. 

[74]      La jurisprudence canadienne, quant à elle, a surtout été développée à l’occasion d’affaires mettant en cause des situations où les faits générateurs de responsabilité auraient pu être envisagés dans le cadre de la Convention de Varsovie ou de Montréal, mais où les types de préjudices invoqués, notamment un préjudice moral ou psychologique, n’étaient pas susceptibles d’indemnisation au sens de la convention. La jurisprudence s’est prononcée largement en faveur de l’exclusivité du régime d’indemnisation prévu par la Convention de Varsovie ou de celui prévu par la Convention de Montréal; elle exclut donc l’exercice de toute autre voie de recours (Simard c. Air Canada, 2007 QCCS 4452; Chau v. Delta Air Lines Inc. (2003), 67 O.R. (3d) 108 (C.S.) (disponible sur CanLII);  Plourde c. Service aérien FBO inc. (Skyservice), 2007 QCCA 739 (disponible sur CanLII); Walton v. Mytravel Canada Holdings Inc., 2006 SKQB 231, 26 C.P.C. (6th) 253; Connaught Laboratories Ltd. v. British Airways (2002), 61 O.R. (3d) 204 (C.S.)).

[75]      L’interprétation libérale qui a été donnée aux conventions de Varsovie et de Montréal m’amène à reconnaître la très large portée de la Convention de Montréal, laquelle joue dès lors qu’un incident ou une situation survient au cours d’un transport international et qui énonce de façon limitative les causes d’action qui peuvent donner lieu à une indemnisation et les préjudices indemnisables.

[76]      Malgré mes réserves, je suis d’avis que je dois m’incliner devant la jurisprudence; je conclus donc qu’il y a conflit entre la Convention de Montréal et le pouvoir réparateur de la Cour prévu au paragraphe 77(4) de la LLO.

[77]      De surcroît, je considère qu’il n’est pas possible de concilier ces deux textes. Conclure que le paragraphe 77(4) de la LLO exclut l’octroi de dommages-intérêts lorsque la violation de celle-ci se produit lors d’un vol international affaiblirait considérablement les droits garantis par la LLO. Je considère d’autre part qu’interpréter la Convention de Montréal comme permettant une indemnisation fondée sur une cause d’action qui n’est pas prévue par la Convention irait à l’encontre de la jurisprudence canadienne et internationale.  

[78]      Ayant conclu qu’il y a conflit entre les deux textes, je dois maintenant rechercher lequel, du paragraphe 77(4) de la LLO ou de la Convention de Montréal, doit primer. Le professeur Pierre‑André Côté [9] traite ainsi du sujet :

1325. Conscient de la possibilité de conflits entre les lois qu’il adopte, le législateur a pu formuler expressément des règles de solution qui permettront d’établir la priorité d’une loi sur une autre.

[…]

1334. À défaut de dispositions expresses sur la hiérarchisation, l’interprète est réduit à rechercher, à l’aide des règles ordinaires d’interprétation, celle des lois que le législateur a entendu faire prédominer.

[79]      En l’espèce, sont en cause deux textes de niveau supérieur et deux principes d’interprétation : la présomption de conformité au droit international et la primauté des lois quasi constitutionnelles.

[80]      Le professeur Sullivan [10] énonce comme suit ces deux principes :

[traduction] Un statut spécial pour les lois en matière de droits de la personne. Depuis l’arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink de la Cour suprême du Canada, il est reconnu que les lois visant la protection des droits de la personne sont de nature quasi constitutionnelle. Cela a plusieurs conséquences.

1)    Les lois en matière de droits de la personne appellent une interprétation libérale, fondée sur l’objet visé. Les droits protégés reçoivent une interprétation large, alors que les exceptions et les moyens de défense font l’objet d’une interprétation restrictive.

2)    En ce qui a trait à l’interprétation des termes et des concepts généraux, c’est la méthode organique et souple qui prévaut. Les principales dispositions des lois sont adaptées en fonction non seulement des changements de conditions sociales, mais encore de l’évolution des conceptions en matière de droits de la personne.

3)    En cas de conflit ou d’incompatibilité avec d’autres types de lois, les lois en matière de droits de la personne prévalent indépendamment de l’ordre dans lequel les lois ont été édictées.

[…]

Principe applicable. Bien que le droit international ne soit pas opposable aux autorités législatives canadiennes, il existe une présomption selon laquelle les lois fédérales et les lois provinciales sont élaborées de façon à respecter, de façon générale, le droit international et, plus particulièrement, les obligations du Canada en droit international.

[…]

Comme ces arrêts l’enseignent, la présomption du respect du droit international comporte deux aspects. Premièrement, le législateur est présumé respecter les obligations du Canada en tant que signataire d’instruments internationaux et, plus généralement, en tant que membre de la communauté internationale. Par conséquent, dans le choix des interprétations possibles, la jurisprudence évite d’adopter une interprétation qui soustrairait le Canada à ses obligations internationales. Deuxièmement, le législateur est présumé respecter les valeurs et les principes du droit international, fondés sur le droit coutumier ou conventionnel. Ces deux aspects de la présomption font partie du contexte juridique dans lequel les lois sont édictées et interprétées. Ainsi, dans la mesure du possible, on préférera adopter une interprétation qui respecte ces valeurs et ces principes. [Renvois omis.]

[81]      En l’espèce, je suis d’avis que le paragraphe 77(4) de la LLO doit l’emporter sur la Convention de Montréal, et ce, pour deux principaux motifs.

[82]      J’estime, dans un premier temps, qu’en faisant primer les dispositions de la partie IV (paragraphe 82(1) de la LLO), le législateur a, de façon implicite, donné préséance aux voies de recours qui permettent de faire sanctionner les manquements aux obligations prévues par la partie IV de la LLO. Je suis d’avis qu’il n’était pas nécessaire que le législateur énonce expressément la primauté du recours prévu par le paragraphe 77(4), puisqu’elle découle de sa nature accessoire aux règles de fond qu’il vise à sanctionner. Conclure autrement équivaudrait à vider de son sens la primauté accordée aux dispositions énumérées au paragraphe 82(1) de la LLO.

[83]      Deuxièmement, je suis d’avis qu’en faisant primer le paragraphe 77(4) de la LLO sur la Convention de Montréal, la Cour donne effet à la nature quasi constitutionnelle de la LLO sans que cela se traduise par la violation des obligations conventionnelles du Canada. Faire primer la LLO constitue, certes, une dérogation à la Convention de Montréal, mais je suis d’avis que cela ne compromet pas les obligations conventionnelles du Canada, ni ne porte atteinte à l’intégrité de celle‑ci. La LLO ne vise aucun autre transporteur régi par la Convention de Montréal. D’ailleurs, Air Canada est assujetti à la LLO, non pas en raison de son activité de transporteur international, mais bien en sa qualité « d’ancienne » institution fédérale. Les obligations d’Air Canada en matière de langues officielles n’intéressent ni ne concernent aucun autre pays signataire de la convention. Déroger à la Convention de Montréal pour assurer l’efficacité des recours visant à sanctionner les obligations d’Air Canada en matière de langues officielles n’a aucune incidence sur les autres pays signataires de la convention; la Convention de Montréal n’est pas fragilisée et l’intégrité du régime uniforme de responsabilité qu’elle consacre n’est nullement en péril. En l’occurrence, il s’agit d’une entorse bien mineure à la Convention de Montréal qui n’a aucun impact sur la responsabilité des autres transporteurs assujettis à la Convention ni sur les obligations conventionnelles du Canada; ainsi, on donne plein effet à la voie de recours et aux sanctions prévues par la LLO.  

b)         Le montant de dommages-intérêts

[84]      Les demandeurs réclament 5 000 $ chacun pour chacun des manquements à leur droits linguistiques. Ils réclament donc un total de 50 000 $.

[85]      Air Canada soutient que les demandeurs n’ont pas subi de préjudice indemnisable et qu’il n’y a pas lieu de leur accorder des dommages-intérêts.

[86]      Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême a confirmé que les dommages-intérêts constituaient l’une des mesures de réparation concevables au titre du paragraphe 24(1) de la Charte et elle a formulé une grille d’analyse. La première étape consiste à établir qu’il y a eu violation d’un droit garanti. C’est le cas en l’espèce. Le demandeur doit ensuite démontrer que les dommages-intérêts constituent la mesure réparatrice juste et convenable au regard des critères suivants, qui peuvent avoir un effet conjugué : l’indemnisation du préjudice, l’importance du droit en cause et la dissuasion. L’État (Air Canada en l’espèce) peut, pour sa part, tenter de réfuter le caractère convenable et juste des dommages-intérêts en invoquant différents facteurs, par exemple la possibilité d’exercer d’autres recours et le bon fonctionnement de l’État. Si le juge estime que les dommages-intérêts sont appropriés, il doit alors en fixer le montant. Les dommages-intérêts doivent correspondre à la gravité de l’atteinte et aux objectifs des dommages-intérêts accordés en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

[87]      Dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64 (de Montigny), au paragraphe 34, la Cour suprême enseigne également que le préjudice moral peut être indemnisé sans qu’il soit nécessaire d’en catégoriser toutes les différentes facettes.

[88]      Je suivrai donc ces principes en l’espèce. D’abord, je rejette la thèse d’Air Canada selon laquelle les demandeurs n’ont subi aucun préjudice. Je conviens que le préjudice qu’ils ont subi n’est pas comparable à celui qui découle, par exemple, d’une fouille comme c’était le cas dans l’affaire Ward, mais il est clair que les droits linguistiques des demandeurs sont très importants pour eux et que la violation de leurs droits leur a causé un préjudice moral, des troubles et inconvénients et la perte de jouissance de leurs vacances. Je suis également d’avis que l’octroi de dommages-intérêts servira à reconnaître l’importance des droits en cause tout en servant l’objet de dissuasion.  

[89]      Il y a toujours une part d’arbitraire lorsqu’il s’agit de déterminer le montant de dommages qu’il est convenable et juste d’accorder. Dans la décision Fédération franco-ténoise c. Procureur général du Canada, 2006 NWTSC 20 (Fédération franco‑ténoise), aux paragraphes 909 à 919, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a passé en revue la jurisprudence relative aux dommages‑intérêts accordés pour indemniser des manquements aux droits constitutionnels et au titre des dommages moraux découlant de la violation des droits constitutionnels. La Cour a constaté que les montants allaient de 3 000 $ à 10 000 $ et que, dans certains cas, il s’agissait de montants essentiellement symboliques.

[90]      En l’espèce, et en tenant compte des trois objectifs d’indemnisation du préjudice, de reconnaissance de l’importance des droits en cause et de dissuasion, j’estime qu’il est juste et convenable d’ordonner le versement de 6 000 $ à chacun des demandeurs, soit 1 500 $ pour chaque manquement.

2)         Est-il convenable et juste de rendre des ordonnances institutionnelles contre Air Canada?

[91]      Les demandeurs soutiennent qu’Air Canada a manqué à ses obligations linguistiques de façon répétée et sur une longue période et que, par conséquent, la Cour doit rendre des ordonnances institutionnelles pour l’obliger à se conformer à ses obligations. Ils demandent à la Cour d’ordonner à Air Canada de :

• prendre toutes les mesures nécessaires afin que le public puisse communiquer avec elle et recevoir tous les services en français, conformément à la partie IV de la LLO, à l’article 10 de la LPPCAC et au Règlement; et sans limiter la généralité de ce qui précède;

• veiller à avoir une capacité bilingue adéquate et à prendre toutes les autres mesures requises pour assurer ses services au public, en français, sur les vols à demande importante de services en français;

• prendre les mesures pour offrir activement ses services au public, notamment en faisant une offre active de services en français, en entrant en communication avec lui ou encore par la signalisation, avis ou documentation conformément à la partie IV de la LLO, à l’article 10 de la LPPCAC et au Règlement;

• mettre en œuvre des procédures et un système de surveillance adéquats permettant de rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations des droits linguistiques, tel qu’énoncés à la partie IV de la LLO, à l’article 10 de la LPPCAC et au Règlement;

• faire en sorte que les droits linguistiques, tels que décrit à la partie IV de la LLO, à l’article 10 de la LPPCAC et au Règlement, aient préséance sur tout accord signé par la défenderesse et toutes les conventions collectives impliquant celle-ci.

[92]      Pour prouver leur allégation de manquement de nature systémique, les demandeurs invoquent l’article 79 de la LLO qui rend admissible en preuve les renseignements concernant des plaintes similaires :

79. Sont recevables en preuve dans les recours les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale.

Preuve — plainte de même nature

[93]      Notre Cour s’est prononcée à quelques reprises sur l’objet de l’article 79 de la LLO et elle a statué que cette disposition avait pour objet de permettre au demandeur, ou au commissaire, de faire valoir que les violations à la LLO qui ont donné lieu au recours sont révélatrices d’un problème plus important et de permettre à la Cour de tenir compte du problème global dans son appréciation de ce qui constitue une réparation « convenable et juste ». Dans la décision Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Air Canada, 1997 CanLII 5843 (C.F. 1re inst.) (disponible sur QL), le juge Dubé a expliqué comme suit l’objet de l’article 79 de la LLO (aux paragraphes 17 à 19) :

Cet article est unique en son genre et ne se retrouve pas dans d’autres législations similaires. L’intention du législateur est clairement de présenter un contexte complet au tribunal. J’adopte donc la position du Commissaire à l’effet que le recours n’est pas limité à certains types de services au sol énumérés dans les deux plaintes spécifiques de Paul Comeau, mais qu’il peut viser l’ensemble des services au sol offerts par Air Canada à l’aéroport d’Halifax.

À mon avis, le but de l’article 79 est de permettre au Commissaire de démontrer à la Cour l’existence d’un problème systémique qui persiste depuis un certain nombre d’années. Sans le dépôt en preuve de toutes les plaintes de même nature, la Cour ne pourra pas apprécier l’ampleur du problème et les circonstances du recours.

Libre au juge présidant l’audition de la requête sur le fond de jauger de la valeur probante de tous ces faits ou renseignements dans le cadre de considérations plus générales.

[94]      Ces principes ont été repris par le juge Beaudry dans la décision Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1156, [2006] 2 R.C.F. 70 (Thibodeau I) et par le juge de Montigny dans la décision Lavigne c. Société canadienne des postes, 2009 CF 756 (disponible sur CanLII).

[95]      La Cour d’appel fédérale s’est elle aussi prononcée sur l’objet et la portée de l’article 79 de la LLO dans la décision Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Air Canada, [1999] A.C.F. no 738 (QL). Le juge Décary s’est exprimé comme suit au nom de la Cour (aux paragraphes 13 et 16) :

Les pouvoirs du commissaire aux langues officielles ont ceci d’unique que la Loi lui permet expressément, de par les termes de l’article 79, de déposer dans le cadre d’un recours judiciaire relatif à une plainte précise « les renseignements portant sur des plaintes de même nature ». Le recours ne cesse pas d’être particulier, en ce que la plainte en litige est celle-là qui fait l’objet du recours, mais le législateur a voulu que la Cour, qui, de par le paragraphe 77(4), peut « accorder la réparation qu’[elle] estime convenable et juste eu égard aux circonstances » (ce sont là les mêmes termes qu’on retrouve au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés), puisse être saisie d’une vue d’ensemble, donc de l’ampleur du problème si problème il y a.

[…]

La Loi elle-même fait en sorte qu’une plainte particulière puisse servir de porte d’entrée dans tout le système d’une institution fédérale. C’est ce qu’a voulu le Parlement, de manière à donner plus de dents encore à une loi, la Loi sur les langues officielles, qui est un instrument privilégié de reconnaissance, d’affirmation et de prolongement des droits linguistiques reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés.

[96]      À l’appui de leur allégation de violation systémique de la part d’Air Canada de ses obligations linguistiques, les demandeurs ont produit divers documents, notamment des rapports annuels du commissaire et, invoquant l’article 79 de la LLO, des rapports d’enquête du commissaire concernant des plaintes de même nature, des plaintes déposées par deux autres personnes et des statistiques concernant les plaintes déposées contre Air Canada auprès du commissaire. Je conclus que ces documents sont admissibles en preuve aux termes de l’article 79 de la LLO.

[97]      Outre qu’elle nie manquer à ses obligations linguistiques de façon systémique, Air Canada  soutient que les demandeurs n’ont pas qualité pour agir au nom de l’intérêt public et alléguer des violations de nature systémique et pour demander des ordonnances de nature institutionnelle. Air Canada soutient que les demandeurs ont qualité pour agir uniquement en ce qui a trait aux incidents qui les concernent directement.

[98]      Je me pencherai d’abord sur cette question avant de discuter des éléments de preuve produits au soutien de l’allégation de manquements systémiques.

[99]      Dans les arrêts Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607 (disponible sur CanLII) et Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 (disponible sur CanLII), la Cour suprême a confirmé que les trois critères suivants devaient être appliqués par le juge appelé à reconnaître au demandeur qualité pour agir au nom de l’intérêt public dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire:

1- Le demandeur doit soulever une question sérieuse; en d’autres mots, il doit y avoir un vrai litige;

2- Le demandeur doit avoir un intérêt véritable dans ce litige; et

3- Il ne doit pas y avoir une autre manière plus raisonnable et efficace de saisir les tribunaux de cette question.

[100]   Air Canada soutient que la Cour ne doit pas reconnaître aux demandeurs qualité pour invoquer des manquements de nature systémique puisqu’il serait plus efficace et raisonnable qu’un tel recours soit exercé par le commissaire. Air Canada soutient en outre que la Cour doit considérer l’économie des ressources judiciaires et elle insiste sur le mémoire du commissaire dans lequel il précise qu’il mène actuellement une vérification pour les années 2010–2011. Air Canada en infère qu’il n’est pas exclu qu’un recours soit éventuellement engagé par le commissaire à l’issue de sa vérification et soutient que, dans ce cas, il y aurait multiplicité de recours.

[101]   Le commissaire estime pour sa part que les demandeurs ont autant intérêt que lui pour former le présent recours et pour alléguer des violations de nature systémique de ses obligations par Air Canada. Il soutient même qu’il est plus propice, dans le contexte actuel, que ce soit les demandeurs qui agissent au nom de l’intérêt public. Le commissaire a signalé que, parmi les voies dont il dispose pour assurer le respect de la LLO, la voie judiciaire, bien qu’importante, n’est utilisée qu’en dernier recours. De plus, il procède actuellement à une vérification d’Air Canada et il estime qu’il est plus opportun que les demandeurs agissent à la fois en leur nom et au nom de l’intérêt public. Le commissaire insiste sur le fait que, de toute manière, il est intervenant en l’espèce et que s’il avait lui-même engagé la présente procédure, il aurait versé au dossier des éléments de preuve de même nature que ceux versés par les demandeurs.

[102]   Dans l’affaire Thibodeau I, le juge Beaudry a reconnu à M. Thibodeau, qui avait intenté un premier recours contre Air Canada, qualité pour agir dans l’intérêt public. Les faits étaient analogues à ceux de la présente affaire : M. Thibodeau avait intenté un recours contre Air Canada  par lequel il alléguait qu’Air Canada et l’une de ses filiales, Air Ontario, n’avaient pas respecté les obligations imposées par la LLO. Tout comme en l’espèce, M. Thibodeau alléguait des manquements de nature systémique de la part d’Air Canada et il demandait à la Cour de rendre des ordonnances institutionnelles. Tout comme en l’espèce, Air Canada soutenait que M. Thibodeau n’avait pas qualité pour agir au nom de l’intérêt public au motif que le commissaire était mieux placé à cet égard.

[103]   Suivant les critères consacrés dans l’arrêt Finlay, le juge Beaudry a exercé son pouvoir discrétionnaire et reconnu à M. Thibodeau qualité pour agir au nom de l’intérêt public (au paragraphe 79) :

En l’espèce, il n’y a aucun doute que le demandeur soulève une question sérieuse et qu’il possède un intérêt véritable dans l’objet de la demande. Cependant, y a-t-il une autre manière plus raisonnable et efficace de saisir les tribunaux de cette question? Peut-être, la Commissaire aurait pu exercer elle-même le recours, version anglaise « 78(1)(a) … may apply to the Court for a remedy » à la suite de la conclusion de son enquête. Mais, en analysant l’alinéa 78(1)a) et le paragraphe 78(2), je crois que le plaignant (le demandeur dans la présente instance) ainsi que la Commissaire peuvent exercer les recours prévus à l’alinéa 78(1)a). Dans les circonstances actuelles, en utilisant ma discrétion, j’accorde au demandeur la qualité d’agir au nom de l’intérêt public.

[104]   J’abonde dans le sens du juge Beaudry; ses observations sont entièrement pertinentes en l’espèce. Il ne fait aucun doute que les demandeurs soulèvent des questions sérieuses et qu’ils ont un intérêt quant à l’objet de la demande. De plus, le paragraphe 77(1) de la LLO dispose clairement que le recours est ouvert à toute personne qui a saisi le commissaire et l’article 79, selon lequel sont recevables en preuve les renseignements portant sur des plaintes de même nature, n’opère pas de distinction selon l’identité du demandeur. Le législateur n’a pas limité l’admissibilité en preuve de tels renseignements uniquement lorsque le recours est exercé par le commissaire. On ne peut concevoir que le législateur accorde à un demandeur autre que le commissaire la possibilité de produire des renseignements portant sur des plaintes de même nature pour le priver ensuite de la qualité requise pour les faire valoir devant la justice. En adoptant l’article 79, le législateur a voulu permettre tant au commissaire qu’au demandeur qui réunit les conditions du paragraphe 77(1), d’invoquer des problèmes de nature systémique et de produire en preuve des renseignements au soutien de telles allégations. 

[105]   En l’espèce, le commissaire a déclaré que s’il avait lui-même engagé la présente procédure, il aurait produit les mêmes éléments de preuve que M. Thibodeau; d’ailleurs, une bonne partie des éléments de preuve en cause ont été transmis à M. Thibodeau aux fins de la présente procédure en vertu de l’alinéa 73b) de la LLO.

[106]   Enfin, je conclus que la thèse d’Air Canada selon laquelle il y aurait éventuellement multiplicité de recours si le commissaire décidait de s’adresser aux tribunaux à l’issue de sa vérification est hypothétique. En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je conclus donc que les demandeurs ont qualité pour agir dans l’intérêt public.

[107]   Passons maintenant aux allégations de violations systémiques des obligations linguistiques d’Air Canada.

[108]   À l’appui de leur allégation de problème systémique, les demandeurs ont produit plusieurs éléments de preuve que je passerai en revue.

i) Le recours intenté contre Air Canada par M. Thibodeau en 2002

[109]   Les demandeurs ont produit des documents ayant trait à une plainte déposée par M. Thibodeau contre Air Canada en 2002 relativement à l’absence de service en français à bord d’un vol d’Air Ontario, alors filiale d’Air Canada, et qui a abouti aux décisions Thibodeau I, Thibodeau c. Air Canada, 2005 CF 1621 et l’arrêt Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115. Les demandeurs soutiennent que, même s’ils ont eu alors gain de cause, leurs droits linguistiques sont à nouveau violés par Air Canada, neuf ans plus tard. Voilà, selon eux, une indication que les problèmes qui existaient en 2002 ne sont toujours pas réglés.

ii) Les plaintes déposées par le député Yvon Godin

[110]   Les demandeurs ont obtenu l’autorisation écrite d’Yvon Godin, député fédéral, de produire les plaintes qu’il a déposées auprès du commissaire contre Air Canada, de même que les rapports du commissaire à l’égard de certaines des plaintes. Les plaintes et les rapports contiennent les renseignements suivants :

Plainte

Rapport du Commissaire

Plainte déposée le 20 mars 2001 : Consignes de sécurité écrite à bord de l’avion non traduites en français.  

Rapport du 30 mars 2004 : Plainte fondée et engagement d’Air Canada de changer l’affichage dans ses Boeing.

Plainte déposée le 9 mai 2001 : Absence de service en français sur un vol d’Air Ontario entre Ottawa et Montréal le 4 mai 2001 et annonce aux passagers concernant les bagages faite en anglais seulement à l’aéroport de Montréal.

Enquête interrompue en raison de la cessation des activités d’Air Ontario.

Enquête non concluante concernant l’annonce aux passagers faite à l’aéroport mais engagement d’Air Canada de mettre en place des mesures correctives.

Problématique rapportée au Commissaire et à Air Canada le 4 mars 2002 : des agents de bord d’Air Canada se sont plaint parce qu’ils devaient donner des directives de sécurité en anglais seulement et parce que le dépliant remis à l’attention de l’agent de bord était écrit en anglais seulement.

Plainte du 6 février 2008 : Absence de service en français au comptoir d’embarquement d’Air Canada à l’aéroport d’Ottawa pour un vol Ottawa-Montréal.

Rapport du 21 avril 2008 : Plainte fondée.

Plainte du 24 mars 2010 : Absence de service en français sur un vol Montréal-Bathurst (N-B) le 11 mars 2010.

Pas de rapport du Commissaire.

Plainte du 1er avril 2010 : Absence de service en français sur un vol Bathurst-Montréal le 29 mars 2010.

Pas de rapport du Commissaire.

iii) Les incidents concernant Jean Léger

[111]   M. Léger était président de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse. Les demandeurs ont produit des documents et deux vidéos qui relatent un incident survenu le 26 mars 2007, alors que M. Léger s’apprêtait à monter à bord d’un appareil d’Air Canada à l’aéroport d’Halifax et qu’il a constaté que les agents au comptoir d’embarquement n’étaient pas en mesure de lui assurer un service en français. M. Léger a insisté pour recevoir un service en français et, comme il filmait la scène, les agents d’Air Canada lui ont refusé l’embarquement et ont fait appel aux forces de l’ordre. M. Léger a pu prendre un autre vol un peu plus tard. Les demandeurs ont produit la lettre d’excuse envoyée à M. Léger par Air Canada par laquelle elle reconnaissait que le service aurait dû être assuré en français, mais justifiait le refus d’embarquement par ses agents par l’attitude de M. Léger. Suite à ces incidents, M. Léger a déposé des plaintes auprès du commissaire. Dans une lettre du 30 juillet 2007, le commissaire fait état des engagements d’Air Canada pour améliorer sa capacité d’assurer des services en français à l’aéroport d’Halifax.  

iv) Les rapports annuels du commissaire

[112]   Les demandeurs ont produit les rapports annuels du commissaire pour les années 1999–2000 à 2008–2009. Ces rapports présentent les constats du commissaire quant au respect des dispositions de la LLO par les diverses institutions fédérales et par Air Canada. Ils contiennent également des données statistiques sur les plaintes déposées. On peut y constater que le commissaire juge sévèrement la performance d’Air Canada en matière de langues officielles.

v) Les statistiques sur les plaintes déposées contre Air Canada auprès du commissaire

[113]   Les demandeurs ont produit des statistiques qui leur ont été transmises par le commissaire. Selon l’article 60 de la LLO, les enquêtes menées par le commissaire sont confidentielles. Toutefois, l’article 73 de la LLO accorde au commissaire le pouvoir de communiquer, dans le cadre d’un recours intenté en vertu de la partie X de la LLO, les renseignements recueillis dans le cadre de ses enquêtes s’il l’estime approprié. En l’espèce, le commissaire a communiqué aux demandeurs des données statistiques indiquant le nombre de plaintes admissibles reçues depuis 1999 et l’état de ces plaintes. Il a également transmis aux demandeurs une compilation des résumés de chacune des plaintes. Le présent tableau consigne le nombre de plaintes reçues par le commissaire relativement à la langue de service pour chaque année et l’état des plaintes :

Année

# de plaintes

Plaintes fondées

Plaintes réglées

Cas actifs

2009-2010

60

0

9

51

2008-2009

67

0

16

51

2007-2008

76

40

23

13

2006-2007

57

39

18

3

2005-2006

67

47

20

2004-2005

81

71

10

2003-2004

52

38

14

2002-2003

115

86

29

2001-2002

135

106

29

2000-2001

128

99

29

1999-2000

144

79

65

[114]   Les demandeurs et le commissaire insistent sur le fait que plusieurs résumés de plaintes font état d’une attitude arrogante de la part d’employés et préposés d’Air Canada ou des tiers qui offrent des services au nom de celle-ci.

vi) L’affidavit de Manon Stuart

[115]   Les demandeurs ont produit l’affidavit de Manon Stuart, Chef de service, Communications de l’entreprise au sein de Jazz, dans lequel elle reconnaît que Jazz n’est pas toujours en mesure de respecter la LLO. Plus précisément, les demandeurs ont attiré l’attention de la Cour sur les passages suivants de cet affidavit :

36. Avec tous les efforts investis depuis 2001, Jazz dispose maintenant d’effectifs suffisants pour offrir un service en français pour tous les vols ayant une demande importante dont l’origine ou la destination est située en Ontario, au Québec et dans les provinces maritimes. Au total, il y a environ 75 trajets de vol à demande importante dont l’origine ou la destination est située en Ontario, au Québec et dans les provinces maritimes, incluant les trajets de vol déterminés de façon automatique et les trajets de vol déterminés par sondage.

37. Tous les trajets de vol considérés comme étant à demande importante de façon automatique décollent ou atterrissent dans ces provinces.

38. Cependant, la situation est plus délicate pour ce qui est des vols exploités dans les provinces situées à l’ouest de l’Ontario, ou certains trajets de vols sont considérés comme étant à demande importante suite à des sondages effectués, bien qu’il n’y ait cependant pas de trajet de vol à demande importante automatique dans ces provinces.

39. En effet, Jazz dispose de moins d’agents de bord bilingues aux bases de Vancouver et Calgary pour l’exploitation de ces trajets de vol. Dépendamment de l’horaire de vol, de l’affectation des employés et de la survenance d’imprévus de dernière minute, il peut arriver, occasionnellement, que Jazz ne puisse affecter un employé bilingue sur un vol considéré comme à demande importante, soit un vol exploité sur un des huit trajets de vol suivants :

Vancouver-Victoria

Calgary-Castlegar

Calgary-Winnipeg

Calgary-Victoria

Edmonton-Fort McMurray

Edmonton-Winnipeg

Edmonton-Yellowknife

Winnipeg-Regina

[116]   Les demandeurs ont également produit l’interrogatoire écrit sur affidavit de Mme Stuart et les réponses écrites de cette dernière dans lesquelles elle a reconnu qu’avant le dépôt de la plainte des demandeurs, le système d’affectation des vols ne permettait pas de repérer les trajets identifiés à demande importante de services en français suite aux sondages. Elle a également reconnu que les agents de bord affectés aux vols ayant donné lieu aux plaintes des demandeurs étaient toujours affectés à des vols à demande importante de services en français à bord desquels il n’y a qu’un agent. Les extraits suivants de l’interrogatoire écrit de Mme Stuart et de ses réponses sont particulièrement pertinents :

[Réponse]

[…]

7.    Les vols en questions [sic] sont considérés être à demande importante pour le service en français en raison des sondages effectués en 2007 sous la supervision du Secrétariat du Conseil du trésor, et non considérés comme étant à demande importante de façon automatique. Nous avons découvert, lors de notre enquête, que les trajets à demande importante en raison des sondages effectués en 2007 n’avaient pas été programmés dans notre Système d’affectation des vols. Jazz met actuellement en place les mesures nécessaires afin de s’assurer d’identifier ces trajets dans le Système d’affectation des vols.

8.    Jazz met actuellement en place les mesures pour s’assurer que tous les vols à demande importante soient identifiés correctement par le Système d’affectation, et soient conséquemment, équipés avec du personnel bilingue. Ceci étant, il reste possible qu’occasionnellement un agent de bord bilingue ne soit pas disponible pour l’exploitation d’un vol à demande importante. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’opérations irrégulières, il est possible qu’un agent de bord soit incapable de se présenter à un vol qui lui était assigné. Parfois, l’agent de bord bilingue qui doit initialement assurer le service sur un vol à demande important ne se présente pas au travail, pour des raisons de maladie par exemple, et il n’est pas toujours possible d’assigner un autre agent de bord bilingue à la dernière minute.

[117]   Plusieurs questions posées par les demandeurs dans le cadre de l’interrogatoire écrit de Mme Stuart visaient à déterminer le nombre de fois où aucun agent de bord bilingue n’était affecté à des vols à demande importante de services en français. À chaque occasion, Mme Stuart a indiqué que le système d’affectation de Jazz ne permettait pas d’obtenir ces renseignements. Voici quelques exemples de questions et réponses à ce sujet :

[Question]

[…]

1.       Dans votre affidavit du 14 juin 2010, vous mentionnez au paragraphe 10 que Jazz exploite actuellement environ 840 vols par jour vers plusieurs destinations.

a)    De ces 840 vols par jour actuellement exploités par Jazz, combien sont des vols considérés comme à demande importante pour le service en français?

b)   De ces vols quotidiens à demande importante, combien sont des vols exploités avec un seul agent de bord?

c)      De ces vols quotidiens à demande importante exploités par un seul agent de bord, combien sont exploités avec un agent de bord qui n’a pas au minimum la compétence en langue française du niveau 2C, niveau tel que décrit au paragraphe 23 de votre affidavit?

[…]

[Réponse]

1a)    En date de cet interrogatoire, 498 des vols quotidiens exploités par Jazz, sont des vols considérés comme à demande importante.

1b)    En date de cet interrogatoire, sur les 498 vols considérés à demande importante, 437 d’entre eux sont exploités avec des appareils dont la capacité respective est de 37 passagers ou de 50 passagers, pour lesquels il n’y a qu’un seul agent de bord.

1c)    Nous ne possédons pas ces statistiques et le système d’affectation des vols n’est pas en mesure de le déterminer de façon automatique. Pour ce faire, il faudrait revoir chaque vol, pour chaque jour, et chaque dossier de l’agent de bord afin de déterminer le niveau de français de cet agent au moment de l’exploitation du vol en question. En effet, en raison du programme d’entrainement en français, les habiletés linguistiques de notre personnel de bord évoluent. Cette question est donc déraisonnable.

[118]   Air Canada, pour sa part, reconnaît qu’elle n’est pas toujours en mesure d’assurer tous ses services en français, comme le lui impose la LLO, mais elle fait valoir que ses manquements sont occasionnels et qu’ils sont loin de révéler un problème de nature systémique.

[119]   Air Canada iniste sur l’évolution des choses au sein de son organisation, sur les engagements et les efforts considérables qu’elle déploie pour engager du personnel bilingue et pour développer les compétences linguistiques de ses employés et des employés de Jazz, sur l’amélioration des services en français au cours des années et sur son bilan de plaintes qui s’est largement amélioré.

[120]   Air Canada fonde sa thèse sur les affidavits de Mme Stuart de Jazz et de Chantal Dugas, Chef de service générale-affaires linguistiques au sein d’Air Canada.

[121]   Dans son affidavit, Mme Dugas relate certaines restructurations qu’a connues Air Canada depuis 2001. Air Canada insiste également sur le contexte socio-économique qui a été passablement difficile pour elle au cours de la dernière décennie. Elle insiste, en outre, sur la crise économique, les événements du 11 septembre 2001, l’effondrement bancaire, le SRAS, l’éruption volcanique en Islande qui a bouleversé le trafic aérien, etc. Elle fait valoir que, en dépit d’une conjoncture souvent  défavorable, Air Canada a toujours pris, et prend toujours, d’importantes dispositions afin d’assurer des services dans les deux langues officielles. Air Canada insiste sur sa politique en matière de langues officielles signée par son Président et Chef de direction qui vise la prestation de services dans les deux langues officielles à bord de tous ses vols.

[122]   Mme Dugas signale qu’Air Canada ne reçoit pas toutes les plaintes déposées auprès du commissaire, lesquelles demeurent anonymes si elles ne sont pas aussi déposées directement auprès d’Air Canada. Elle confirme que, suite à la réception des plaintes de M. et Mme Thibodeau, Air Canada a demandé à Jazz de revoir son système d’affectation pour s’assurer que le système repère les vols à demande importante de services en français déterminés en fonction des sondages et qu’il requiert automatiquement l’affectation d’agents de bord bilingues. Elle confirme que Jazz procède actuellement aux ajustements nécessaires.

[123]   Elle confirme également que la situation à l’aéroport d’Ottawa a été revue et corrigée à la suite des plaintes déposées par les demandeurs. Les agents d’Air Canada peuvent maintenant faire eux-mêmes les annonces aux passagers lors de changement de carrousels de réception de bagages. Elle confirme également qu’un système permettant la diffusion de messages préenregistrés bilingues sera mis en place en 2011.

[124]   Mme Dugas insiste également sur les programmes de formation linguistique qui sont dispensés aux employés et les sommes importantes qui sont investies au titre de la formation linguistique. Elle précise qu’entre 2005 et 2009, un nombre moyen de 1 470 employés, sur un total de près de 10 000 employés d’Air Canada en contact avec le public, reçoivent chaque année des cours de formation en français. Air Canada a également développé, en collaboration avec Jazz, des programmes de formation en français qui sont assurés aux employés de Jazz. Elle affirme qu’Air Canada assure un suivi régulier auprès de Jazz. Mme Dugas présente le tableau linguistique suivant du personnel d’Air Canada au 15 mars 2010 :

• 47 p. 100 des agents de bord peuvent être considérés comme bilingues;

• 26 p. 100 des employés des aéroports d’Air Canada qui ont un contact avec le public peuvent être considérés comme bilingues;

• 59 p. 100 des centres téléphoniques d’Air Canada peuvent être considérés comme bilingues.

[125]   Mme Dugas affirme qu’Air Canada dispose de suffisamment d’agents de bord bilingues pour assurer un service en français sur tous les vols à demande importante de services dans cette langue, et ce, tant ceux déterminés de façon automatique que ceux déterminés par sondage. Quant aux aéroports, Air Canada dispose de suffisamment d’employés bilingues pour que le service soit toujours offert aux passagers dans les deux langues officielles.

[126]   Air Canada estime que son bilan en matière de plaintes est bon et que le nombre de plaintes doit être analysé au regard du nombre de contacts que les passagers d’Air Canada ont avec son personnel. L’affidavit de Mme Dugas contient un tableau qui présente des données sur les plaintes qui diffèrent légèrement de celles présentées par le commissaire. Elle affirme que le nombre total de plaintes est passé d’une moyenne de 85 par année pour les années 2000 à 2004 à une moyenne de 54 pour les années 2005 à 2009. Quant aux plaintes relatives aux services en vol, pour Air Canada et Jazz, elles sont passées d’une moyenne de 25 par année pour les années 2000 à 2004 à une moyenne de 15 pour les années 2005 à 2009. Elle affirme également que depuis 2007, soit lors de la dernière mise à jour des vols à demande importante déterminés par sondage, seulement 9 plaintes ont été reçues du commissaire concernant le service en français relatif à ceux-ci, dont les 6 plaintes déposées par les demandeurs. 

[127]   Mme Dugas déclare qu’Air Canada a transporté au cours des trois dernières années environ 32 300 000 passagers par année (ce chiffre incluant les vols exploités par Jazz) avec environ 5 à 6 points de contact avec ses employés par passager et que le ratio de plaintes représente en moyenne 53 plaintes par année (pour les années 2007 à 2009) pour environ 161 500 000 points de contacts par année, soit un pourcentage d’au plus 0,000033 p. 100.

[128]   Air Canada soutient que ces chiffres démontrent clairement qu’il n’y a pas de problème systémique.

[129]   Parmi les éléments de preuve, il y a également l’affidavit de Mme Stuart, Chef de service, Communications de Jazz.

[130]   Jazz intervient à titre de fournisseur de capacité pour Air Canada en exploitant pour celle-ci des vols à court et moyen courriers. Jazz exploite pour le compte d’Air Canada environ 840 vols par jour vers plus de 85 destinations en Amérique du Nord (dont 57 au Canada et 28 aux États-Unis). Au total, elle exploite environ 140 trajets différents dans son réseau.

[131]   Mme Stuart fait état des importants progrès effectués par Jazz en matière linguistique.  Elle affirme qu’au 1er janvier 2001, environ 27 p. 100 des agents de bord de tous les transporteurs régionaux fusionnés possédaient des compétences linguistiques adéquates en français. Elle ajoute que depuis, des sommes importantes ont été investies et que des programmes de formation d’envergure ont été institués. Jazz a investi un montant de plus de 13 millions de dollars en enseignement du français auprès de ses agents de bord depuis le 30 septembre 2004. Depuis 2001, Jazz favorise l’embauche d’agents de bord qui peuvent assurer un service dans les deux langues. Les employés reçoivent une formation et leurs compétences linguistiques sont vérifiées de manière périodique.

[132]   Mme Stuart signale qu’environ 61 p. 100 des agents de bord de Jazz sont maintenant en mesure d’assurer le service en français. La plus grande concentration d’agents de bord bilingues se trouve dans l’est du Canada (Halifax, Montréal et Toronto), là où il y a une demande plus importante de service en français. Mme Stuart confirme que Jazz dispose d’effectifs suffisants pour assurer le service en français sur tous les vols à demande importante dont l’origine ou la destination est située en Ontario, au Québec et dans les provinces maritimes.

[133]   Elle reconnaît par ailleurs que la situation est plus délicate pour ce qui est des vols exploités dans les provinces situées à l’ouest de l’Ontario où, bien qu’il n’y ait pas de trajets de vol à demande importante automatique de services en français, certains vols sont considérés comme étant à demande importante selon les sondages effectués. Mme Stuart indique que Jazz priorise toujours l’embauche d’employés bilingues, mais qu’il y a moins d’agents de bord bilingues sur les bases de Vancouver et Calgary pour l’exploitation de ces trajets de vol. Mme Stuart indique que, selon l’horaire de vol, l’affectation des employés et les imprévus de dernière minute, il peut arriver, occasionnellement, que Jazz ne puisse affecter un employé bilingue à un vol sur les huit [trajets de] vol de l’Ouest. Elle indique que Jazz met l’accent sur la formation des employés de ces bases afin d’assurer un service en français le plus étendu possible pour les huit vols, tout en favorisant l’embauche d’agents de bord bilingues.

[134]   Mme Stuart fait état des changements et correctifs apportés par Jazz après le dépôt des plaintes des demandeurs. Elle indique que les agents de bord qui était affectés aux vols qu’ont pris les demandeurs sont inscrits à des programmes de formation linguistique.

[135]   Elle précise également que les équipages de vols sont constitués selon un système d’affectation aux vols qui donne priorité à l’ancienneté et au bilinguisme et que Jazz met actuellement en place les mesures nécessaires afin que les vols désignés à demande importante de services en français suite aux sondages soient identifiés comme tels par le système d’affectation aux vols.

[136]   Mme Stuart insiste sur le caractère relatif du nombre de plaintes déposées contre Jazz. Elle déclare qu’en 2009, 13 plaintes (incluant les 6 plaintes des demandeurs) ont été déposées pour les vols exploités par Jazz. En 2008, il y a eu 17 plaintes, 6 plaintes en 2007, 6 plaintes en 2006 et 12 plaintes en 2005. Mme Stuart déclare qu’il ne s’agit aucunement d’un problème systémique lorsque l’on considère que Jazz a transporté au cours des trois dernières années environ 9 400 000 passagers par année qui ont 5 à 6 points de contact chacun avec les employés de Jazz. Elle indique que le ratio de plaintes concernant la langue représente en moyenne 12 plaintes pour environ 47 millions de points de contact soit 0,0000255 p. 100.

[137]   À la lumière de ces éléments de preuve, Air Canada rejette vigoureusement toute allégation de problèmes de nature systémique. Elle reconnaît qu’il peut lui arriver de manquer à ses obligations de manière ponctuelle, mais elle soutient que, de façon générale, elle est en mesure de les respecter et que la situation est loin de constituer un problème systémique qui appelle des ordonnances institutionnelles.  

[138]   Air Canada soutient que les faits qui ont amené les tribunaux à prononcer des ordonnances institutionnelles dans les affaires Doucet-Boudreau et Fédération franco-ténoise étaient complètement différents des faits en l’espèce: dans ces deux affaires, la preuve des violations était accablante et il s’agissait de violations beaucoup plus graves.

[139]   Air Canada cite également la décision Forum des maires à l’appui de sa thèse. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a refusé d’annuler une réorganisation administrative parce que les violations aux droits linguistiques étaient épisodiques.

[140]   Le commissaire, pour sa part, appuie la demande d’ordonnances institutionnelles. Il soutient qu’Air Canada n’a pas démontré que les situations donnant lieu à des violations à ses obligations étaient pleinement corrigées. Il soutient également que les plaintes de même nature déposées par les demandeurs, de même que ses propres rapports annuels, révèlent l’existence d’un problème systémique, et qui perdure depuis plus d’une décennie. Il soutient que les mesures de réparation prévues par la LLO ne seront utiles, efficaces et complètes que si des ordonnances institutionnelles sont prononcées.

[141]   Bien que les parties n’aient pas directement abordé ce sujet, il m’apparaît pertinent aux fins de déterminer s’il ressort des éléments de preuve des manquements de nature systémique, de me pencher sur l’intensité des obligations que la LLO impose à Air Canada.

[142]   C’est l’article 10 de la LPPCAC qui assujettit Air Canada à la LLO. Il est utile d’en reproduire à nouveau les deux premiers paragraphes :

10. (1) La Loi sur les langues officielles s’applique à la Société.

Loi sur les langues officielles

(2) Sous réserve du paragraphe (5), la Société est tenue de veiller à ce que les services aériens, y compris les services connexes, offerts par ses filiales à leurs clients le soient, et à ce que ces clients puissent communiquer avec celles-ci relativement à ces services, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elle-même les services, elle serait tenue, au titre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles, à une telle obligation.

Communication avec les voyageurs

[143]   Dans la décision Thibodeau I, le juge Beaudry a conclu que la LLO imposait à Air Canada  une obligation de résultat et non pas une obligation de moyen. La Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest s’est prononcée dans le même sens dans la décision Fédération franco‑ténoise. En appel dans l’affaire Thibodeau, le Commissaire avait avancé que les obligations imposées par la LLO ne devaient pas être définies selon la conception civiliste. Dans l’arrêt Thibodeau c. Air Canada [précité], la Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle n’avait pas à se prononcer sur cette question parce que les preuves ne donnaient pas ouverture au moyen de défense de diligence raisonnable; cependant, elle a quand même fait des observations à ce sujet.

[144]   En l’espèce, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire que je décide si Air Canada est assujettie à une obligation de résultat ou à une obligation de moyen selon la conception civiliste. Il m’apparaît suffisant de constater que la LPPCAC impose à Air Canada une obligation claire : elle « est tenue de veiller à » (en anglais, « has the duty to ensure »). La LLO impose des obligations qui sont énoncées clairement; le législateur ne s’est pas exprimé en termes de pouvoirs ou de facultés. À mon sens, ces obligations qui ont été imposées par le législateur requièrent de la part d’Air Canada qu’elle fasse tous les efforts nécessaires pour respecter ses obligations.

[145]   Mon analyse de l’ensemble des éléments de preuve m’amène à conclure qu’Air Canada et Jazz font des efforts non négligeables et investissent des sommes importantes pour respecter leurs obligations en matière de droits linguistiques. Je conviens que le bilan des compétences linguistiques du personnel de Jazz et d’Air Canada s’est amélioré au cours des 10 dernières années. Je reconnais également qu’il est plus difficile de recruter du personnel bilingue dans les provinces de l’Ouest qu’il ne l’est au Québec, en Ontario ou dans les provinces maritimes.

[146]   Je constate toutefois que tout n’est pas parfait et qu’il y a encore du chemin à faire, notamment au sein de Jazz qui reconnaît d’ailleurs qu’elle n’est pas toujours en mesure d’assurer un service bilingue sur les trajets identifiés comme étant à demande importante de services en français suite aux sondages. Il est utile de reproduire à nouveau l’extrait suivant de l’affidavit de Mme Stuart :

38. Cependant, la situation est plus délicate pour ce qui est des vols exploités dans les provinces situées à l’ouest de l’Ontario, ou certains trajets de vols sont considérés comme étant à demande importante suite à des sondages effectués, bien qu’il n’y ait cependant pas de trajet de vol à demande importante automatique dans ces provinces.

39. En effet, Jazz dispose de moins d’agents de bord bilingues aux bases de Vancouver et Calgary pour l’exploitation de ces trajets de vol. Dépendamment de l’horaire de vol, de l’affectation des employés et de la survenance d’imprévus de dernière minute, il peut arriver, occasionnellement, que Jazz ne puisse affecter un employé bilingue sur un vol considéré comme à demande importante, soit un vol exploité sur un des huit trajets de vol suivants :

Vancouver-Victoria

Calgary-Castlegar

Calgary-Winnipeg

Calgary-Victoria

Edmonton-Fort McMurray

Edmonton-Winnipeg

Edmonton-Yellowknife

Winnipeg-Regina [Je souligne.]

[147]   Air Canada invoque le faible ratio des plaintes qui sont déposées. Il est exact que le nombre de plaintes déposées contre Air Canada et/ou Jazz n’est pas élevé lorsque l’on considère le nombre de points de contacts entre les passagers et les employés d’Air Canada et de Jazz. Toutefois, bien que le nombre de plaintes puisse servir d’indicateur du niveau de satisfaction de la clientèle, ou encore de son niveau d’insatisfaction à l’égard des services en français offerts par Air Canada et Jazz, il ne s’agit pas nécessairement d’un indicateur fiable de la véritable performance d’Air Canada et de Jazz en matière de droits linguistiques. Il suffit d’analyser les éléments de preuve pour s’en convaincre. Jazz a admis que les deux agents de bord sur les vols pris par les demandeurs qui n’étaient pas en mesure d’assurer le service en français avaient continué d’être affectés à des vols à demande importante de services en français, et ce, à plus de 200 reprises. À chacune de ces occasions, Air Canada a manqué à ses obligations linguistiques. Or, outre les plaintes déposées par M. et Mme Thibodeau, aucune autre plainte n’a été déposée relativement à ces manquements.

[148]   Je conclus donc que, vu les preuves, le nombre de plaintes déposées n’est pas nécessairement un indicateur fiable de la performance réelle d’Air Canada et du nombre de manquements de la part d’Air Canada et de Jazz à leurs obligations linguistiques.

[149]   Je conclus également que, bien que le nombre de plaintes déposées contre Air Canada soit  moins élevé qu’au début des années 2000, Air Canada fait encore l’objet d’un nombre considérable de plaintes qui sont presque toutes de la même nature que celles en cause en l’espèce.

[150]   Ce qui me frappe également, c’est le fait que certaines des améliorations importantes qui ont été apportées par Jazz et Air Canada l’ont été suite au dépôt des plaintes de M. et Mme Thibodeau ou encore, à l’aéroport d’Halifax, suite au dépôt des plaintes de M. Léger. Il m’apparaît indéniable que c’est la vigilance de ces usagers des services d’Air Canada qui a amené Air Canada et Jazz à apporter des modifications à leurs processus et équipements afin d’améliorer la prestation de services en français. Il est d’autant plus troublant de constater que, n’eût été de la plainte de M. et Mme Thibodeau, le système d’affectation du personnel de Jazz continuerait probablement de ne pas repérer les vols à demande importante de services en français qui ne sont pas désignés comme tels de manière automatique et qui appellent l’affectation de personnel bilingue. Compte tenu des obligations non équivoques imposées à Air Canada par la LLO et le Règlement, il aurait été élémentaire qu’après toutes ces années, Jazz dispose d’un système d’affectation du personnel qui identifie tous les vols qui requièrent un personnel bilingue. Il s’agit du minimum pour assurer que la prestation de services soit conforme à la LLO.

[151]   Je suis tout aussi surprise de constater que Jazz ne semble pas disposer d’un système de contrôle lui permettant d’identifier le nombre de fois où aucun agent de bord bilingue n’est affecté alors qu’un vol est à demande importante de services en français. Dans son interrogatoire sur affidavit de Mme Stuart, M. Thibodeau lui a demandé à quelle fréquence Jazz affectait des agents de bord ne possédant pas le niveau linguistique minimal (niveau 2C) pour assurer les services en français sur des vols à demande importante pour lesquels il n’y a qu’un agent de bord. Mme Stuart a répondu que Jazz ne possédait pas ces statistiques et que le système d’affectation des vols n’était pas en mesure de le déterminer de façon automatique.

[152]   Il est essentiel qu’Air Canada dispense une formation en français pour améliorer et maintenir les compétences linguistiques de son personnel ou de celui de Jazz, mais il m’apparaît tout aussi important qu’elle dispose d’un processus de mesure de sa performance réelle au regard de ses obligations en matière de langues officielles.

[153]   Je conclus donc que, bien qu’Air Canada fasse des efforts pour satisfaire à ses obligations linguistiques, les problèmes persistent et Air Canada (et Jazz) n’a pas complètement développé le réflexe de mettre en œuvre, de façon proactive, tous les outils et les processus requis pour respecter ses obligations, pour mesurer sa performance réelle en matière de services en français et pour se fixer des objectifs d’amélioration. Ce constat, ajouté à la reconnaissance par Jazz quant aux difficultés qu’elle éprouve encore à respecter l’ensemble de ses obligations linguistiques, m’amène à conclure qu’il existe un problème de nature systémique au sein d’Air Canada. Ma conclusion ne doit toutefois pas être comprise comme étant un constat d’un problème généralisé au sein de l’organisation. Je dis bien « problème systémique », par opposition à des problèmes ponctuels ou isolés et hors du contrôle d’Air Canada. Je reconnais qu’il est impossible d’atteindre la perfection et, malgré tous les efforts, il pourra toujours y avoir des ratés. Je considère toutefois que nous sommes en présence de manquements qui ne peuvent être qualifiés d’isolés ou hors du contrôle d’Air Canada. En fait, Air Canada elle-même ne semble pas savoir à quelle fréquence elle manque à ses obligations. Comme il est observé dans la décision Fédération franco-ténoise, au paragraphe 862, « [d]’ailleurs il est difficile pour le GTNO de maintenir qu’il a “fait de son mieux”, dans l’absence d’un processus régulier et bien établi de vérification des services disponibles. » J’estime qu’il existe chez Air Canada, et plus particulièrement chez Jazz, des façons de faire qui favorisent les situations dans lesquelles Air Canada n’est pas en mesure de respecter l’ensemble de ses obligations en matière linguistique ni de vérifier dans quelle mesure elle manque à celles-ci.

[154]   Je conclus donc qu’il est convenable et juste d’imposer à Air Canada de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la LLO et de veiller à mettre en place un processus de suivi qui lui permettra d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas le personnel bilingue requis à bord des vols à demande importante de services en français.

[155]   Je conviens que les faits en l’espèce diffèrent des faits des affaires Doucet-Boudreau, Fédération franco-ténoise et Forum des maires, mais il n’y a pas de formule fourre-tout ni de système de gradation qui permette de déterminer le niveau à partir duquel des violations à des droits linguistiques justifient des ordonnances institutionnelles. Chaque cas est un cas d’espèce et les mesures de réparation convenables et justes doivent être déterminées à la lumière du contexte et des circonstances propres à l’organisation en cause et à la lumière des manquements en cause.

3)         Est-il convenable et juste d’accorder des dommages exemplaires et punitifs?

[156]   M. et Mme Thibodeau demandent à la Cour 50 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires. Ils invoquent la nature systémique des manquements d’Air Canada et l’attitude arrogante des employés d’Air Canada.

[157]   Dans l’arrêt de Montigny, la Cour Suprême a rappelé les principes directeurs en matière de dommages exemplaires (au paragraphe 47) :

Contrairement aux dommages compensatoires, dont la raison d’être est la réparation du préjudice résultant d’une faute, les dommages exemplaires existent, quant à eux, pour une autre fin. L’octroi de ces dommages a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non. Comme l’exprime le juge Cory :

On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages-intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur.

(Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196)

[158]   Les demandeurs soutiennent que la violation de leurs droits linguistiques lors des événements ci-haut décrits a été aggravée par l’attitude arrogante et condescendante des employés de Jazz ou d’Air Canada à leur endroit. M. Thibodeau a évoqué trois incidents.

[159]   Dans son affidavit, M. Thibodeau a relaté comme suit l’incident relatif à l’annonce concernant un changement de carrousel à l’aéroport d’Ottawa le 1er février 2009 :

17.    J’ai été au comptoir des bagages d’Air Canada et j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas eu d’annonce en français. La personne au comptoir ne parlait pas français. Il est allé chercher une personne qui parlait français. Je lui ai demandé pourquoi il n’y avait pas eu d’annonce en français au sujet des bagages redirigés au carrousel numéro 4. Il a dit qu’il pourrait en faire une.

18.    Plusieurs minutes ce sont écoulées et il n’y avait toujours pas d’annonce en français. Je suis retourné au comptoir d’Air Canada. L’employé a qui j’ai parlé était le même avec qui j’avais parlé au comptoir plus tôt et qui m’avait dit qu’il pourrait faire une annonce en français. Je lui ai demandé pourquoi il n’y avait pas d’annonce en français. Il a dit de lui donner une minute car il était en train de manger son sandwich.

19.    Il riait et je lui ai demandé pourquoi il riait. Je lui ai dit que ce n’était pas drôle. Je lui ai dit que les francophones ont droit aux mêmes services que les anglophones.

20.    Je lui ai dit que l’annonce devrait se faire tout de suite pour informer les passagers. Il a répété de lui donner une minute avec un air nonchalant. Je lui ai dit que j’allais porter plainte. Je lui ai demandé son nom et il n’a pas voulu me le donner.

21.    À 18h20 il n’y avait toujours pas eu d’annonce en français et j’ai quitté l’aéroport avec ma famille et mes bagages. Le carrousel numéro 4 était presque désert, les gens ayant déjà pris leurs bagages et ayant quittés. Il n’y a donc jamais eu d’annonce en français pour indiquer aux passagers francophones que leurs bagages avaient été redirigés du carrousel 3 au carrousel 4.

[160]   M. Thibodeau reproche également à une agente de bord son attitude lors du vol Charlotte‑Toronto le 12 mai 2009. Son affidavit contient les déclarations suivantes :

31.    Lorsque je suis monté à bord de l’avion à 11h00, j’ai dis bonjour à l’agente de bord. Elle m’a répondu en anglais. Je lui ai demandé si elle parlait français et elle a dit non en anglais. Elle a dit qu’il n’y avait pas de service en français. Donc pas d’offre active de service en français et pas de service en français sur ce vol.

[…]

33.    À 11h10 l’agente de bord passait dans l’allée et elle s’est arrêtée pour me dire qu’elle n’était pas obligé de parler français, que elle et plusieurs autres agents unilingues anglophones avaient été embauchés dans les années 90 et que le service en français n’est pas obligatoire.

34.    Elle nous a demandé à Lynda et moi si on venait du Québec avec un sourire sarcastique. On a répondu qu’on demeurait en Ontario à Ottawa. Je lui ai demandé son nom car j’allais porter plainte pour l’absence de service en français.

[…]

38.    À 11h46 l’agente de bord est passée dans l’allée et nous a demandé à mon épouse et moi : « Anything to drink folks? » Lynda lui a dit « Rien merci ». Je lui ai dit « Je vais prendre un 7-Up s.v.p. ». Elle m’a servi un Sprite.

[161]   Pour ce qui est de l’incident relatif à l’annonce concernant les bagages à l’aéroport de Toronto, l’affidavit de M. Thibodeau contient les déclarations suivantes :

40.    À l’arrivée du vol AC 7923 à Toronto, nous sommes allés, mon épouse et moi, chercher nos bagages. Nous étions près des carrousels où les bagages devaient arriver. Une annonce a été faite au micro de l’aéroport vers 13h20 pour les passagers du vol AC 7923 pour leur dire où ramasser leurs bagages, au carrousel 11, et leur dire comment procéder pour les correspondances. L’annonce a été faite en anglais seulement.

41.    Je suis allé au comptoir d’Air Canada près du carrousel 11 et il y avait deux personnes, un homme et une femme. J’ai dis bonjour et demandé à l’homme s’il parlait français et il a répondu non. J’ai demandé la même chose à la dame et elle non plus ne parlait pas français.

42.    J’ai demandé à l’homme, en anglais, si c’était lui qui avait fait l’annonce pour les bagages au micro et il a dit oui. Je lui ai demandé pourquoi l’annonce n’avait pas été faite en français et il a dit qu’il ne parlait pas français.

43.    Il a continué en disant que c’est le personnel de l’aéroport qui fait les annonces. Je lui ai répondu qu’il venait juste de faire une annonce pour les passagers du vol de Jazz Air. Il a répondu qu’il fait les annonces pour « ses passagers ». Je lui ai dit que j’étais un de « ses passagers ». Il m’a  alors dit que je parlais anglais alors « what’s the problem » a-t-il dit.

44.    À 13h23, alors que j’étais encore au comptoir, il a refait la même annonce au micro de l’aéroport s’adressant aux passagers du vol AC 7923 pour leurs dire où aller chercher les bagages. Encore une fois l’annonce a été faite en anglais seulement.

45.    Je lui ai dit que j’avais le droit au même service que les passagers anglophones. Il a alors dit, en anglais, que si j’avais besoin du service en français il allait le procurer. J’ai répondu que je voulais que l’annonce qui avait été faite en anglais soit aussi faite en français. Il a répondu qu’il ne pourrait pas faire cela parce qu’il ne parle pas français. Il a dit que je pouvais aller demander à l’autorité de l’aéroport pour qu’une annonce soit faite en français.

46.    À 13h27, alors que j’étais encore au comptoir, il a refait la même annonce au micro de l’aéroport s’adressant aux passagers du vol AC 7923 pour leurs dire où aller chercher les bagages. Encore une fois l’annonce a été faite en anglais seulement.

47.    Je lui ai dit que je n’allait pas courrir un peu partout dans l’aéroport pour qu’une annonce soit faite en français. Il a dit que si je n’étais pas content je pouvais aller voir son gestionnaire un peu plus loin dans l’aéroport pour qu’une annonce soit faite en français.

48.    Je lui ai demandé qu’il appelle son gestionnaire lui-même pour que l’annonce soit faite en français et il ne l’a pas fait. Il a répété que si j’ai besoin d’un service en français il pourrait s’arranger pour le donner. Je lui ai répété que ce que je voulais c’est que l’annonce pour les bagages qui a été faite en anglais soit aussi faite en français. Il a dit qu’il ne pouvait pas faire cela. [Sic pour l’ensemble de la citation.]

[162]   Air Canada nie que ses employés ou les employés de Jazz ont eu une attitude arrogante à l’endroit des demandeurs et elle soutient au contraire qu’ils ont tenté de leur venir en aide.

[163]   D’abord, j’écarte l’incident qui s’est produit à l’aéroport d’Ottawa puisque, vu les éléments de preuve, il n’est pas possible de conclure qu’Air Canada a manqué à ses obligations. Quant à l’incident à bord du vol Charlotte-Toronto, je suis d’avis qu’il ne ressort pas des éléments de preuve que l’agente de bord a eu une attitude arrogante ou condescendante.

[164]   En ce qui a trait au troisième incident, je constate que l’employé d’Air Canada n’a fait aucun effort pour s’assurer que les demandeurs bénéficient des services en français auxquels ils avaient droit. Au contraire, il a adopté une attitude nonchalante qui banalise les droits des demandeurs. À la lumière des éléments de preuve, cet incident semble isolé. Je suis toutefois loin de considérer que l’attitude des employés d’Air Canada ou d’Air Canada elle-même justifie l’octroi de dommages exemplaires. Les preuves ne révèlent pas de la part d’Air Canada une attitude malveillante, opprimante ou abusive justifiant une telle sanction. Comme je l’ai conclu précédemment, Air Canada ne fait pas suffisamment d’efforts pour satisfaire aux obligations que lui impose la LLO, mais je ne considère pas qu’elle aborde ses obligations d’une manière qui justifie l’imposition d’une « punition ».

IV. Les Dépens

[165]   Selon les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les Règles), le pouvoir de déterminer le montant des dépens appartient à la Cour (paragraphe 400(1) [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] des Règles). Les facteurs que la Cour prend en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sont énoncés au paragraphe 400(3) [mod. par DORS/2010-176, art. 11] des Règles.

[166]   Les demandeurs réclament des déboursés d’un montant de 1 982,19 $ et des frais de 3 500 $ chacun pour un total de 7 000 $. M. Thibodeau a précisé qu’il avait consacré environ 250 à 300 heures dans la préparation du dossier et que Mme Thibodeau y avait consacré environ 75 heures.

[167]   Air Canada a reconnu à l’audience que le présent litige soulevait des questions importantes et elle a consenti à verser 4 000 $ à M. Thibodeau et 1 000 $ à Mme Thibodeau à titre de dépens. Air Canada n’a pas contesté le montant des déboursés réclamés par les demandeurs.

[168]   La proposition d’Air Canada m’apparaît raisonnable en l’espèce et, conformément à mon pouvoir discrétionnaire, j’accorde aux demandeurs la somme totale de 6 982,19 $ à titre de dépens, incluant les déboursés.

JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la présente demande;

DÉCLARE qu’Air Canada a manqué aux obligations que lui impose la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Plus précisément, Air Canada a manqué à ses obligations :

• en n’offrant pas de services en français le 23 janvier 2009 à bord du vol AC8627 (opéré par Jazz) qui était un vol à demande importante de services en français;

• en omettant de traduire en français une annonce faite en anglais par le pilote qui commandait le vol AC8622 (opéré par Jazz) le 1er février 2009;

• en n’offrant pas de service en français le 12 mai 2009 à bord du vol AC7923 (opéré par Jazz) qui était un vol à demande importante de services en français;

• en faisant une annonce adressée aux passagers concernant la réception des bagages en anglais seulement à l’aéroport de Toronto le 12 mai 2009.

ORDONNE à Air Canada :

• de remettre aux demandeurs une lettre d’excuse contenant le texte apparaissant à l’Annexe A de la présente ordonnance, lequel correspond au texte du projet de lettre d’excuse versé au dossier par Air Canada;

• de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles;

• d’instaurer, dans les six mois suivant le présent jugement, des procédures et un système de surveillance adéquats visant à rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations à ses obligations linguistiques, tel qu’énoncés à la partie IV de la LLO et à l’article 10 de la LPPCAC, notamment en instituant un processus permettant d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas des agents de bord en mesure d’assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français;   

• de verser la somme de 6 000 $ en dommages-intérêts à chacun des demandeurs.

• de verser aux demandeurs la somme totale de 6 982,19 $ à titre de dépens, incluant les déboursés.

ANNEXE A

AIR CANADA

Affaire[s] linguistiques

C.P. 14000, Succursale Aéroport

Z1P 1230

Dorval (Québec) H4Y 1H4

Le 28 mars 2011

Madame Lynda Thibodeau

Monsieur Michel Thibodeau

Ottawa (Ontario)                     

Madame,

Monsieur,

C’est en ma qualité de chef de service générale des Affaire linguistiques d’Air Canada et au nom de la Société que je vous fais part de nos excuses du fait que vous n’ayez pu obtenir un service dans la langue officielle de votre choix, service auquel vous étiez en droit de vous attendre, lors des vols suivants :

AC8627 le 23 janvier 2009

AC8622 le 1er février 2009 (seulement pour ce qui est de l’annonce du pilote quant à l’heure d’arrivée et à la température à destination)

AC7923 le 12 mai 2009

Il en va de même pour l’annonce effectuée pour la récupération des bagages et pour votre passage au comptoir des bagages à l’aéroport Pearson de Toronto le 12 mai 2009.

Un suivi et rappel de la politique linguistique ont été effectués auprès des employés concernés. De plus, un atelier de sensibilisation a été offert à tous les agents affectés au comptoir des bagages de Toronto.

Air Canada ainsi que Jazz, qui exploitait les vols mentionnés ci-dessus au nom d’Air Canada, sont conscients de leurs obligations et de leurs responsabilités linguistiques et comprennent l’importance d’offrir un service aux clients d’Air Canada dans les deux langues officielles.

Je comprends votre insatisfaction ainsi que votre déception et je vous prie de croire, Madame, Monsieur, qu’Air Canada et Jazz prennent très au sérieux leurs responsabilités linguistiques et déploient des efforts continus afin d’offrir à leurs clients un service dans la langue officielle de leur choix.

Veuillez recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de nos sentiments les plus distingués.

La chef de service générale ― Affaires linguistiques

Chantal Dugas



[1] Air Canada achète la quasi-totalité de la capacité du parc aérien de Jazz qui est essentiellement un transporteur contractuel d’Air Canada. Jazz est issu du regroupement de transporteurs régionaux qui étaient des filiales d’Air Canada. En 2001, les transporteurs régionaux Air BC, Air Nova, Air Ontario et Canadien Régional se sont regroupés pour former Air Canada Régionale Inc., filiale d’Air Canada. En 2002, Air Canada Régionale Inc. est devenue Air Canada Jazz. En février 2006, Jazz est devenue une société ouverte.

[2] Ces observations furent par la suite reprises par la Cour suprême dans l'arrêt DesRochers.

[3] Les allégations retirées concernaient des plaintes déposées relativement aux services au comptoir d’enregistrement et d’embarquement d’Air Canada à l’aéroport d’Atlanta. Le commissaire a conclu que les plaintes n’étaient pas fondées parce que l’aéroport d’Atlanta n’était pas identifié comme faisant l'objet d'une demande importante de services en français; par conséquent, Air Canada n’avait pas l’obligation d’y offrir des services en français.

[4] Dans cette affaire, la violation des droits constitutionnels du demandeur s'est produite à l'occasion d'une fouille à nu pour laquelle le juge de première instance avait accordé 5 000 $. La Cour suprême a jugé ce montant convenable.

[5] Dans cette affaire, Air Canada avait empêché le demandeur, qui est atteint d’un handicap visuel et auditif, de voyager sans accompagnateur.

[6] L’article 24 de la Convention de Varsovie se lisait initialement comme suit :

(1) Dans les cas prévus aux articles 18 et 19 toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par la présente Convention.

(2) Dans les cas prévus à l’article 17, s’appliquent également les dispositions de l’alinéa précédent, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs.

[7] Paul Stephen Dempsey et Michael Milde, International Air Carrier Liability: The Montreal Convention of 1999 (Montréal : McGill University Centre for Research of Air & Space Law, 2005).

[8] Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008), p. 550.

[9] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal : Thémis, 2009), pp. 414, 416.

[10] Sullivan on the Construction of Statutes, supra note 8, aux pp. 497, 538 et 539.

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