T-738-03
2004 CF 1264
CanZinco Limited (demanderesse)
c.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défendeur)
Répertorié: CanZinco Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.F.)
Cour fédérale, juge Russell--Toronto, 22 juin; Ottawa, 16 septembre 2004.
Interprétation des lois -- Art. 76(1) de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut -- Société désireuse de fermer une mine à qui un permis a été octroyé, mais insatisfaite du montant de la sûreté exigé pour garantir la remise en état du site -- Le ministre a donné son agrément au permis selon les conditions prévues et a rejeté la demande de réexamen de la demanderesse -- Il s'agissait de savoir si le libellé de la loi actuelle différant de celui de l'ancienne dénote l'intention du législateur de modifier le pouvoir discrétionnaire du ministre -- On a rejeté, à l'étape de l'étude en comité, un amendement proposé pour clarifier le libellé -- Le Comité a semblé donner son aval à la confirmation donnée par le représentant du ministre du sens à attribuer à la disposition concernée -- L'analyse de l'objet visé, conformément aux précisions de la C.S.C. dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), n'est pas concluante puisque de bons arguments ont été avancés d'un côté comme de l'autre -- L'historique du texte et l'économie générale de la Loi étayent l'interprétation faite par le ministre -- Le texte législatif donne lieu à un partage de pouvoirs plutôt nébuleux.
Environnement -- Fermeture de la mine de zinc, de plomb et d'argent de Nanisivik -- L'Office des eaux du Nunavut a octroyé un permis, mais a fixé pour la sûreté à fournir un montant jugé inacceptable par le propriétaire de la mine -- Le propriétaire a demandé un réexamen par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien -- L'Office n'a pas retenu l'évaluation faite par le propriétaire des coûts de remise en état -- La loi exige qu'une sûreté soit fournie afin d'empêcher, de diminuer ou de réparer tout effet négatif sur les personnes, les biens ou l'environnement -- Obligation de solvabilité de la part du titulaire d'un permis -- Que l'Office ait compétence pour fixer le montant d'une sûreté importe pour qu'il puisse s'acquitter de sa mission, soit veiller à la conservation et à l'utilisation des eaux du Nunavut de la façon la plus avantageuse possible pour les habitants du Nunavut et les autres Canadiens.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de rejeter une requête présentée par la demanderesse, une société minière, en vue du réexamen du montant de la sûreté devant être fournie par celle-ci aux termes d'un permis octroyé par l'Office des eaux du Nunavut. Le ministre a refusé de se reconnaître compétent.
La demanderesse a décidé de fermer la mine de Nanisivik, une mine de zinc, de plomb et d'argent. L'article 57 de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut prévoit la nécessité d'obtenir un permis d'utilisation des eaux en vue d'activités d'abandon. L'Office a exigé que la demanderesse fournisse une sûreté de 17,6 M$ dont la forme soit jugée acceptable par le ministre. L'Office n'a pas retenu l'évaluation faite par la demanderesse des coûts de remise en état et doutait de sa stabilité financière. Le ministre a donné son agrément à l'octroi du permis aux conditions établies par l'Office. Le ministre a soutenu ne pas avoir refusé de reconnaître sa compétence, mais avoir plutôt donné son agrément au permis en son entier conformément à l'article 56 de la Loi. La Loi, de concert avec le Règlement sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, vise à assurer qu'en cas de fermeture d'un site minier, un mécanisme existe pour empêcher ou diminuer tout effet négatif sur les personnes, les biens ou l'environnement, et que la solvabilité du titulaire soit exigée comme condition de l'octroi d'un permis, laquelle doit être suffisante pour assurer la remise en état.
La question en litige était celle de savoir si la décision ou le refus du ministre de se reconnaître compétent constituait ou non une violation de principes d'équité procédurale ou un déni de justice naturelle.
La demanderesse a soutenu que le ministre avait mal interprété la loi et avait donc commis une erreur de droit en refusant de se reconnaître compétent. Le paragraphe 76(1) est de nature réparatrice puisqu'il prévoit au profit de la demanderesse la possibilité d'un réexamen par le ministre du montant de la sûreté à fournir; il convient donc de lui donner une interprétation large et libérale. Le permis lui-même, en outre, conférait compétence au ministre pour réexaminer le montant de la sûreté. La demanderesse a ajouté que, si le ministre prétend avoir exercé sa compétence en avalisant le montant suggéré par l'Office, cette façon d'agir enfreignait les principes de justice naturelle et l'obligation d'agir équitablement. En refusant de rencontrer la demanderesse, le ministre a pris sa décision sans disposer de renseignements pertinents. Le ministre a commis une erreur de droit qui touche sur le fond à sa compétence.
Le ministre a soutenu que c'était l'Office qui avait compétence pour délivrer, modifier, renouveler et annuler un permis d'utilisation des eaux, de même que pour établir le montant de la sûreté à fournir. La demanderesse avait tiré profit de l'occasion prévue d'être entendue à diverses étapes du processus conduisant à la délivrance du permis. Le ministre a exercé le pouvoir conféré par l'article 56 en donnant son agrément au permis en son entier. La Loi ne prévoit pas d'occasion pour le titulaire d'un permis d'être entendu par le ministre. La demanderesse n'a pas fait appel de la décision du Conseil devant la Cour fédérale, tel que le paragraphe 81(1) de la Loi le lui permettait. Le ministre a souligné que, bien qu'en vertu du paragraphe 76(1) la forme de la sûreté puisse être celle exigée par l'Office ou jugée acceptable par le ministre, son montant doit être conforme aux règlements. Les dispositions législatives antérieures étaient de même teneur. Il existait un fondement pratique à la compétence du ministre quant à la forme (par opposition au montant) de la sûreté; en vertu du paragraphe 76(1), le titulaire d'un permis doit fournir au ministre et maintenir une sûreté. Étant donné la mission de l'Office--veiller à la conservation des eaux du Nunavut de la façon la plus avantageuse possible pour ses habitants --, il importait que l'Office ait compétence pour fixer le montant de la sûreté. Il est clairement énoncé dans le Règlement et dans la Loi elle-même qu'il incombe à l'Office de fixer le montant de la sûreté à fournir par le titulaire d'un permis. La solvabilité, l'évaluation des frais à engager pour réaliser l'opération et les risques que celle-ci comporte constituaient des questions de fait à examiner par l'Office. Le ministre a donc soutenu qu'il serait incompatible avec l'objet de la Loi, ainsi que les pouvoirs de l'Office, qu'il ait compétence pour modifier arbitrairement le montant de la sûreté établi par un tribunal qui dispose de connaissances spécialisées dans le domaine de la conservation et de l'utilisation de l'eau.
Pour ce qui était de l'équité procédurale et de la justice naturelle, le ministre a-t-il souligné, la demanderesse n'avait pas demandé à le rencontrer avant l'expiration du délai prévu pour sa prise de décision. Pour ce qui était du mandamus sollicité par la demanderesse, le ministre a soutenu que ce recours ne pouvait être accordé pour forcer un décideur à prendre une décision particulière dans la gamme d'options disponibles. La Loi n'investit le ministre d'aucune fonction déterminée quant à la fixation du montant de la sûreté. Le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de donner son agrément ou non au permis en son entier.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
On soulève en l'espèce une question bien circonscrite d'interprétation législative. En vertu du paragraphe 76(1), «L'Office peut exiger du demandeur [. . .] qu'il fournisse au ministre [. . .] une sûreté dont [. . .] la forme et le montant sont [. . .] jugés acceptables par ce dernier». Le paragraphe 76(1) est assez récent et n'est entré en vigueur qu'au moment de la promulgation de la Loi en 2002. Son libellé diffère de celui du paragraphe 17(1), la disposition équivalente de la loi antérieure, la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest. L'on pourrait alors croire qu'on a voulu, par la modification du libellé, rajuster la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre. Il s'agissait de savoir si le verbe «is» à la dernière ligne de la version anglaise se rapportait uniquement à la «forme» ou s'il visait aussi le «montant». La disposition est véritablement ambiguë. Ce problème particulier a d'ailleurs été soulevé lors de l'examen en comité parlementaire, mais un amendement qu'on avait alors suggéré d'apporter au paragraphe concerné a perdu aux voix. L'auteur de l'amendement avait prévu le problème rencontré en l'espèce. Le représentant du ministère a toutefois confirmé ce qui suit devant le Comité: «Personne ne conteste que c'est l'Office qui établit le montant de la sûreté et personne ne préconise que quiconque, outre le ministre, décide de la forme que prendra la sûreté» La Cour était encline à conclure que le Comité jugeait acceptables les assurances données quant au sens à prêter au paragraphe en cause. Une analyse de l'objet visé par le paragraphe, conformément aux précisions de la Cour suprême dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), ne conduisait pas à un résultat parfaitement clair, puisque de bons arguments avaient été avancés d'un côté comme de l'autre. Toutefois, l'historique du texte et l'économie générale de la Loi étayaient la position du ministre quant au pouvoir discrétionnaire dont ce dernier dispose relativement au montant de la sûreté. Le libellé du paragraphe gagnerait assurément à être clarifié.
Malgré tout, un texte législatif qui confie à l'Office le rôle d'établir le montant de la sûreté à fournir tout en conférant au ministre le pouvoir de rejeter un permis si ce montant ne suffit pas donne lieu à un partage de pouvoirs plutôt nébuleux et fait se demander qui a le dernier mot quant au montant de la sûreté. Il a cependant été reconnu que l'Office avait bien pour responsabilité d'établir le montant de la sûreté, de sorte que le montant stipulé dans un permis ne constituait pas qu'une simple suggestion requérant l'assentiment du ministre. Attribuer au ministre le pouvoir de rejeter un permis n'équivalait pas à lui donner le pouvoir de fixer le montant de la sûreté dans le cadre des négociations et de l'enquête publique conduisant à l'octroi du permis par l'Office. La demanderesse ne disposait pas du droit à une reprise du processus--avec participation de toutes les parties à des négociations avec le ministre--déjà mené à bien par l'Office.
La portée des pouvoirs du ministre en vertu de l'article 56 n'était pas en litige en l'espèce et la demanderesse n'a nullement soutenu que la décision de l'Office était douteuse.
lois et règlements
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26). |
Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, L.C. 1992, ch. 39, art. 17(1). |
Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, L.C. 2002, ch. 10, art. 11(1), 35, 42, 43, 56, 57, 76(1), 81, 89. |
Règlement sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, DORS/93-303, art. 12. |
jurisprudence
décision appliquée:
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201.
décisions examinées:
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; (2003), 226 D.L.R. (4th) 193; 50 Admin. L.R. (3d) 1; 304 N.R. 76; 173 O.A.C. 38.
décisions citées:
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th) 641; [1985] 6 W.W.R. 147; 36 Man.R. (2d) 215; 18 Admin. L.R. 59; 32 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101; Gerle Gold Ltd. c. Golden Rule Resources Ltd., [2001] 1 C.F. 647; (2000), 261 N.R. 356 (C.A.); Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (2002), 223 F.T.R. 290 (C.F. 1re inst.); Moreau-Bérubé c. Nouveau- Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249; (2002), 245 R. N.-B. (2d) 201; 209 D.L.R. (4th) 1; 36 Admin. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 201; Ominayak c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.F. 174; (1987), 11 F.T.R. 75 (1re inst.); Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574; 41 N.R. 257 (C.A.); Minister of Finance of British Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278; [1935] 3 D.L.R. 316; Central Canada Potash Co. Ltd. et al. and Minister of Mineral Resources of Saskatchewan (Re) (1972), 32 D.L.R. (3d) 107; [1973] 1 W.W.R. 193 (C.A. Sask.); conf. (1973), 38 D.L.R. (3d) 317; [1973] 2 W.W.R. 672 (C.S.C.); Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1999), 181 D.L.R. (4th) 404; 3 C.P.R. (4th) 1; 252 N.R. 72 (C.A.F.); Schwarz Hospitality Group Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (2001), 32 Admin. L.R. (3d) 113; 37 C.E.L.R. (N.S.) 295; 201 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.); Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 386; (1986), 30 D.L.R. (4th) 157; 26 C.R.R. 152 (C.A.).
doctrine
Canada. Parlement. Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones du développement du Grand Nord et des ressources naturelles. Témoignages, 1re Sess., 37e Légis., 30 octobre 2001.
DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a rejeté la requête présentée par une société minière en vue du réexamen du montant de la sûreté devant être fournie relativement à la fermeture d'une mine aux termes d'un permis que l'Office des eaux du Nunavut lui a octroyé. Demande rejetée.
ont comparu:
Douglas Hamilton, pour la demanderesse.
Anusha Aruliah et Jennifer M. Roy, pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
McCarthy Tétrault, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par
[1]Le juge Russell: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). Par lettre en date du 11 avril 2003 (la décision), le ministre a rejeté la requête présentée par la demanderesse en vue du réexamen du montant de la sûreté devant être fournie par la demanderesse aux termes du permis NWB1NAN0208 (le permis) que lui a octroyé l'Office des eaux du Nunavut (l'Office) en vertu de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut [L.C. 2002, ch. 10] (la Loi). Plus spécifiquement, le ministre a refusé dans la décision de se reconnaître compétent pour réexaminer le montant de la sûreté à fournir.
CONTEXTE
[2]La demanderesse est une filiale en propriété exclusive de Breakwater Resources Ltd., société minière qui, depuis la fin de 1997, possède et exploite la mine Nanisivik, une mine souterraine de zinc, de plomb et d'argent.
[3]La Loi, en son paragraphe 11(1), exige qu'un permis d'utilisation des eaux soit délivré pour autoriser l'utilisation de l'eau et l'élimination des déchets qui peuvent affecter l'eau.
[4]En octobre 2001, la demanderesse a annoncé la cessation définitive des activités de production de la mine Nanisivik, devant se produire d'ici au 30 septembre 2002.
[5]L'article 57 de la Loi prévoit la nécessité d'obtenir un permis d'utilisation des eaux en vue d'activités d'abandon, permis qui doit viser l'utilisation de l'eau et l'élimination des déchets ainsi que la fermeture ultérieure de la mine.
[6]Pendant les années d'exploitation de la mine, la demanderesse n'a pas observé certaines conditions de son permis de 1997. L'inobservation la plus importante mentionnée dans le rapport de conformité de 2002 concernait le défaut d'augmenter de 1 M$, avant l'échéance du 31 juillet 2002, le montant de la sûreté déposée, tel que l'exige l'article 2 de la partie B du permis de 1997.
[7]La demanderesse a présenté, à l'Office, une demande de renouvellement du permis d'utilisation des eaux pour la mine Nanisivik, relativement aux activités de fermeture et de remise en état. L'Office a compétence pour délivrer les permis d'utilisation des eaux au Nunavut.
[8]Le 5 juin 2002, l'Office a tenu à Arctic Bay une réunion préalable à l'enquête publique de juillet 2002, afin qu'il soit discuté de la portée de la demande et de diverses questions de procédure. La demanderesse, le ministre, le gouvernement du Nunavut, le ministère des Pêches et des Océans (MPO), Environnement Canada et Nunavut Tunngavik Incorporated ont chacun présenté à l'Office une intervention écrite avant la tenue de l'enquête publique. La demanderesse et le ministre ont tous deux joint à leur document une évaluation des coûts de remise en état.
[9]L'enquête publique devant l'Office s'est déroulée les 22, 23 et 24 juillet 2002, à Arctic Bay. L'Office a entendu la preuve de la demanderesse, du ministre, du gouvernement du Nunavut, du MPO, d'Environnement Canada, de Nunavut Tunngavik Incorporated, du hameau d'Arctic Bay et de plusieurs citoyens d'Arctic Bay.
[10]L'Office a permis que d'autres observations et engagements lui soient présentés avant qu'il ne rende sa décision finale sur la demande. La demanderesse a eu l'occasion de présenter une réfutation finale à l'encontre de toutes les interventions écrites soumises à l'Office, ce qu'elle a fait le 30 août 2002.
[11]Le 10 octobre 2002, l'Office a accordé à la demanderesse le renouvellement de son permis en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi.
[12]L'Office a exigé de la demanderesse qu'elle fournisse une sûreté de 17,6 M$. Il a également motivé par écrit sa décision.
[13]Le permis accordé visait les activités de fermeture et de remise en état de la mine Nanisivik.
[14]L'Office a soumis l'attribution du permis à un certain nombre de conditions à remplir par la demanderesse, tout particulièrement la condition 2 de la partie B du permis, selon laquelle la demanderesse doit fournir au défendeur une sûreté dont la forme est jugée acceptable par le ministre:
[traduction] Le titulaire du permis doit, dans les trente (30) jours suivant la délivrance, fournir et maintenir une sûreté de 17,6 M$ dont la forme et la nature sont conformes au règlement ou jugées acceptables par le ministre.
[15]L'Office, pour fixer le montant de la sûreté, n'a pas retenu l'évaluation de la demanderesse et s'est plutôt fondé sur une version modifiée de l'évaluation des coûts de remise en état du ministre. Lorsqu'il a fixé le montant à 17,6 M$, l'Office a souligné qu'il lui restait certains doutes quant à la stabilité financière de la demanderesse et de sa société mère, Breakwater. L'Office s'est dit inquiet plus particulièrement de l'inobservation par la demanderesse de l'obligation (prévue dans le permis antérieur) de verser une sûreté de 1 M$ avant le 31 juillet 2002.
[16]Le 19 novembre 2002, le ministre a informé l'Office qu'il avait donné son agrément au permis, en application du paragraphe 56(2) de la Loi. Le ministre a souligné avec approbation l'examen par l'Office des diverses questions soulevées pendant le processus de renouvellement du permis. Le dossier présenté au ministre comprenait à la fois le permis et les motifs de la décision de l'Office.
[17]La demanderesse a demandé à trois reprises de rencontrer le ministre; ces demandes ont toutefois été faites une fois que le ministre eût donné son agrément au permis.
[18]Le paragraphe 56(2) de la Loi prévoit que le ministre doit décider s'il y a lieu d'agréer ou non un permis dans un délai de 45 jours à partir du moment où il est saisi de la question. L'Office a délivré le permis le 10 octobre 2002. Ce n'est que le 11 décembre 2002, soit une fois expiré le délai de 45 jours, que la demanderesse a écrit pour la première fois au ministre, en vue de pouvoir discuter avec lui du montant de la sûreté.
[19]La demanderesse n'a pas interjeté appel de la décision de l'Office conformément à la procédure d'appel précisée à l'article 81 de la Loi.
[20]La demanderesse était d'avis d'entrée de jeu que le montant de la sûreté à fournir suggéré par l'Office ne convenait pas. La demanderesse a donc communiqué avec le ministre à de nombreuses occasions pour pouvoir le rencontrer et lui expliquer pourquoi le montant suggéré ne convenait pas et pourquoi il devrait décider en ce sens. Le ministre a refusé de rencontrer la demanderesse.
DÉCISION À L'EXAMEN
[21]La demanderesse soutient qu'au moyen d'une lettre en date du 11 avril 2003, le ministre a refusé de reconnaître qu'il avait compétence pour réexaminer le montant de la sûreté que la demanderesse doit fournir aux termes du permis. Cette lettre est la raison de la présente demande de contrôle judiciaire.
[22]Le ministre soutient que, dans sa lettre du 11 avril 2003, il n'a pas [traduction] «refusé de reconnaître sa compétence» comme l'allègue la demanderesse. Il a plutôt donné son agrément au permis en son entier conformément à l'article 56 de la Loi.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[23]Le paragraphe 76(1) de la Loi prévoit ce qui suit:
76. (1) L'Office peut exiger du titulaire, du demandeur ou du cessionnaire éventuel d'un permis qu'il fournisse au ministre et maintienne une sûreté dont la nature, les conditions, la forme et le montant sont conformes aux règlements ou jugés acceptables par ce dernier.
[24]La sûreté prévue au paragraphe 76(1) ainsi que les critères applicables énoncés au Règlement sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest [DORS/93-303] (le Règlement) visent à assurer l'existence d'un mécanisme «pour empêcher, neutraliser, atténuer ou réparer tout effet nuisible sur les personnes, les biens ou l'environnement» (paragraphe 89(1)). Si de tels effets se produisent, le paragraphe 89(1) de la Loi permet d'utiliser la sûreté afin d'y remédier. En accord avec cet objectif, l'alinéa 57b) de la Loi exige la «solvabilité» comme condition de la délivrance d'un permis, laquelle doit être suffisante pour assurer l'entretien des lieux et leur remise en état en cas d'abandon ou de fermeture d'un site minier.
QUESTIONS EN LITIGE
[25]La demanderesse soulève les questions suivantes:
Le ministre a-t-il interprété la Loi erronément en décidant qu'il n'avait pas compétence pour réexaminer le montant de la sûreté à fournir?
Le ministre a-t-il commis une erreur en refusant de reconnaître qu'il avait compétence, aux termes du permis, pour réexaminer le montant de la sûreté à fournir?
Le refus du ministre de reconnaître sa compétence pour réexaminer le montant de la sûreté à fournir, soit en vertu de la Loi ou aux termes du permis, constitue-t-il une violation de principes d'équité procédurale ou un déni de justice naturelle?
ARGUMENTS DES PARTIES
Demanderesse
Arguments généraux
[26]La demanderesse soutient que le ministre a compétence pour réexaminer le montant de la sûreté qu'elle doit fournir. Constitue une erreur de droit, à ce titre, le refus du ministre de se reconnaître compétent par suite de l'interprétation erronée d'une mesure habilitante.
[27]Selon la demanderesse, le paragraphe 76(1) de la Loi ne présente aucune ambiguïté, son libellé est clair--il confère compétence au ministre--et on doit lui donner son plein effet.
[28]Le paragraphe 76(1) est de nature réparatrice puisqu'il prévoit au profit de la demanderesse le réexamen par le ministre du montant de la sûreté à fournir. En tant que tel, il convient de lui donner une interprétation large et libérale (Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, article 12).
[29]La demanderesse soutient qu'en outre, le permis lui-même confère compétence au ministre pour réexaminer le montant de la sûreté. Le ministre a refusé de reconnaître la compétence ainsi conférée. Voici le libellé du permis:
[traduction] Le titulaire du permis doit, dans les trente (30) jours de la délivrance, fournir et maintenir une sûreté de 17,6 M$ dont la forme et la nature sont conformes au règlement ou jugées acceptables par le ministre.
[30]La demanderesse ajoute que, si le ministre prétend avoir exercé sa compétence quant au réexamen du montant de la sûreté à fournir et qu'il a bel et bien exercé cette compétence en avalisant simplement le montant suggéré par l'Office, la décision du ministre a enfreint les principes de justice naturelle et l'obligation d'agir équitablement pour les raisons suivantes:
1. le ministre a rejeté les demandes faites par la demanderesse en vue de le rencontrer pour lui communiquer de l'information d'intérêt direct pour la décision à prendre; |
2. le ministre n'a pas donné à la demanderesse l'occasion de se faire entendre avant de prendre sa décision; |
3. en refusant de rencontrer la demanderesse, le ministre a pris sa décision sans disposer de renseignements pertinents. |
Se reporter à Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et à Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. Francois Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164.
Norme de contrôle judiciaire
[31]La demanderesse déclare que la norme de contrôle judiciaire applicable en l'espèce est celle de la décision correcte. Le ministre est tenu d'interpréter correctement une disposition qui tient lieu à son endroit, partiellement, de mesure habilitante. L'erreur du ministre équivaut à une erreur de droit qui touche sur le fond à sa compétence (Gerle Gold Ltd. c. Golden Rule Resources Ltd., [2001] 1 C.F. 647 (C.A.); Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (2002), 223 F.T.R. 290 (C.F. 1re inst.); Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249.
Défendeur
Arguments généraux
[32]Le ministre souligne que la demanderesse désigne la présente instance comme [traduction] «une demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [. . .] [de refuser] de se reconnaître compétent à l'égard de la demande par la demanderesse d'un réexamen du montant de la sûreté devant être fournie [comme condition préalable de la délivrance du permis d'utilisation des eaux NWB1NAN028)]». Tel que le précise la demanderesse, ce soi-disant exercice de pouvoirs discrétionnaires s'est produit le 11 avril 2003, lorsque le ministre a informé par lettre la demanderesse qu'il rejetait sa demande d'une rencontre.
[33]Le ministre soutient que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, aucun pouvoir discrétionnaire n'a été exercé le 11 avril 2003 lorsqu'on a informé cette dernière que [traduction] «à moins qu'une autorité compétente ne modifie les exigences de la partie B du permis concernant le dépôt d'une sûreté, celles-ci demeurent en vigueur et obligatoires».
[34]C'est l'Office qui, en vertu des articles 42 et 43 de la Loi, a compétence pour délivrer, modifier, renouveler et annuler un permis d'utilisation des eaux. Aux termes du paragraphe 76(1) de la Loi, l'Office a également compétence pour établir le montant de la sûreté devant être fournie par la demanderesse. La Loi prévoit pour le titulaire d'un permis l'occasion d'être entendu à plusieurs étapes du processus conduisant à la délivrance du permis. La demanderesse a été entendue à chacune de ces étapes.
[35]Tout pouvoir discrétionnaire dont dispose le ministre relativement aux questions visées par la présente demande découle de l'article 56 de la Loi, qui prévoit que «[s]ont subordonnés à l'agrément du ministre la délivrance, le renouvellement, la modification et l'annulation d'un permis de type [. . .] B».
[36]Le ministre a donné son agrément au permis en son entier, en vertu du pouvoir conféré par l'article 56 de la Loi d'accorder ou de refuser son agrément. La Loi ne prévoit pas d'occasion pour le titulaire d'un permis d'être entendu par le ministre. Il est plutôt prévu au paragraphe 81(1) de la Loi que le titulaire peut faire appel de la décision de l'Office devant la Cour fédérale lorsque se soulève une question de droit ou une question de compétence. Les questions autres que de droit ou de compétence peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]). Aucun appel n'a été interjeté ni aucune demande de contrôle n'a été présentée.
[37]Le ministre est d'avis que, si la Cour devait examiner au fond sa décision de donner agrément au permis, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter, et que le pouvoir discrétionnaire exercé en l'espèce avait un caractère raisonnable.
[38]Le défendeur ajoute que, si la demanderesse devait avoir gain de cause, la Cour n'a néanmoins pas compétence pour lui accorder un mandamus, la mesure de redressement souhaitée.
Le ministre n'a pas interprété la Loi erronément
[39]La demanderesse soutient que le ministre a fait erreur dans son interprétation de la Loi.
[40]Le ministre affirme pour sa part ne pas avoir mal interprété la Loi. Le paragraphe 76(1) de la Loi confère compétence à l'Office pour établir le montant de la sûreté. Il relève du pouvoir discrétionnaire du ministre d'exiger du titulaire d'un permis qu'il fournisse le montant de la sûreté, établi par l'Office, en une forme et une nature que le ministre juge acceptables.
[41]Le paragraphe 76(1) prévoit que le montant de la sûreté doit être «[conforme] aux règlements», et que sa forme peut être celle exigée par l'Office ou jugée acceptable par le ministre.
[42]L'analyse fondée sur l'objet visé constitue le principe directeur en matière d'interprétation des lois. C'est là le fondement de l'article suivant de la Loi d'interprétation: «Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet» (article 12).
[43]La Cour suprême du Canada a sanctionné ce principe de l'analyse fondée sur l'objet visé dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 22:
Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois «sont réputées apporter une solution de droit» et doivent «s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables».
[44]On doit interpréter les dispositions d'une loi d'une manière conforme à son objet. Tant l'historique de la Loi que l'examen de ses dispositions dans leur ensemble sont pertinents aux fins du sens à attribuer à son paragraphe 76(1).
Conformité avec les dispositions législatives antérieures
[45]Le pouvoir discrétionnaire du ministre s'attachant à la forme, et non au montant, de la sûreté ou garantie a son écho dans les dispositions législatives qui ont précédé les dispositions pertinentes de la Loi, soit le paragraphe 17(1) de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, L.C. 1992, ch. 39, dont voici le libellé:
17. (1) L'Office peut exiger du titulaire ou du demandeur de permis, ou d'un éventuel cessionnaire d'un permis, qu'il fournisse une garantie au ministre et qu'il la maintienne en permanence au même montant, pour le montant prévu par les règlements d'application de l'alinéa 33(1)g) ou déterminé en conformité avec ceux-ci et en la forme prévue par ces règlements ou que le ministre juge acceptable.
[46]Tandis que la forme de la garantie peut être prescrite soit par l'Office soit par le ministre, c'est manifestement l'Office qui a compétence pour en fixer le montant en conformité avec le Règlement. C'est encore le Règlement qui régit l'évaluation du montant de la garantie aux termes de la Loi qui nous occupe et qui a remplacé la précédente:
12. (1) L'Office peut fixer le montant de la garantie exigée du demandeur en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi, lequel ne doit pas excéder la somme des coûts:
a) de l'abandon de l'entreprise;
b) de la restauration de l'emplacement de l'entreprise;
c) des mesures permanentes qu'il resterait à prendre après l'abandon de l'entreprise.
(2) Pour fixer le montant de la garantie en vertu du paragraphe (1), l'Office peut prendre en considération les facteurs suivants:
a) la capacité du demandeur, du titulaire de permis ou du cessionnaire éventuel de payer les coûts visés à ce paragraphe;
b) la conduite antérieure du demandeur, du titulaire de permis ou du cessionnaire éventuel à l'égard de tout autre permis.
(3) La garantie visée au paragraphe (1) est sous l'une ou l'autre des formes suivantes:
a) un billet à ordre garanti par une banque au Canada et établi à l'ordre du receveur général;
b) un chèque visé tiré sur une banque au Canada et établi à l'ordre du receveur général;
c) un cautionnement d'exécution approuvé par le Conseil du Trésor pour l'application de l'alinéa c) de la définition de «dépôt de garantie» à l'article 2 du Règlement sur les marchés de l'État;
d) une lettre de crédit irrévocable émise par une banque au Canada;
e) de l'argent comptant.
[47]Le défendeur affirme qu'il existe de nombreux liens entre ces deux lois, tant pour ce qui est de leur objet explicite que des dispositions de l'un et l'autre article pertinent. Le lien direct entre les deux lois se dénote toutefois par le rôle continu des règlements. Selon le défendeur, s'il existe la moindre ambiguïté dans la loi remplaçante, il y a lieu de recourir à la loi antérieure pour la résoudre.
[48]Il est approprié et souvent nécessaire de recourir aux règlements d'application pour interpréter une loi, tel que la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 29:
Dans les cas les plus évidents, la loi elle-même énumère les critères qui limitent l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Dans d'autres cas, des règlements ou des lignes directrices précisent les éléments pertinents qui doivent être considérés.
Conformité avec la Loi dans son ensemble
[49]Le ministre souligne qu'il existe un fondement pratique à sa compétence quant à la forme de la sûreté dont le montant est fixé par l'Office, fondement qui n'existe pas eu égard à ce montant. En vertu du paragraphe 76(1) de la Loi, le titulaire d'un permis doit «fourni[r] au ministre et maint[enir] une sûreté». Puisque c'est le ministre, et non l'Office, qui détient la sûreté, il s'ensuit que c'est le ministre qui doit, en pratique, disposer des pouvoirs discrétionnaires requis quant à sa forme.
[50]Le fait que le ministre jouisse d'un pouvoir discrétionnaire quant à la forme de la sûreté déposée, et non quant à son montant, est conforme à l'esprit même de la Loi, son article 56 restreignant les pouvoirs du ministre à l'«agrément» de la «délivrance, le renouvellement, la modification et de l'annulation d'un permis de type [. . .] B».
[51]Le ministre est d'avis que la compétence qu'a l'Office d'établir le montant de la sûreté revêt une grande importance dans l'économie de la Loi. On vise à assurer avec la sûreté la réalisation par l'Office de sa mission.
[52]Voici la mission de l'Office selon l'article de la Loi qui nous occupe, ainsi que la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest qui l'a précédée:
35. L'Office a pour mission de veiller à la conservation et à l'utilisation des eaux du Nunavut--à l'exclusion des parcs nationaux--de la façon la plus avantageuse possible pour les habitants du Nunavut en particulier et les Canadiens en général.
[53]L'Office a ainsi pour mission de veiller à la conservation, à l'exploitation et à l'utilisation des eaux de la façon la plus avantageuse possible pour les habitants de toutes les parties des Territoires du Nord-Ouest en particulier, et les Canadiens en général, à qui l'Office est autorisé à délivrer des permis.
[54]Tel que l'Office l'a souligné dans les motifs de sa décision, [traduction] «l'objet premier de l'obligation, imposée par l'Office, de fournir une sûreté consiste à "[. . .] empêcher, neutraliser, diminuer ou réparer tout effet négatif sur les personnes, les biens ou l'environnement"». Cet objet explicite constitue une conséquence directe de la mission de l'Office. Pour que les habitants du Nunavut tirent profit des eaux de la façon la plus avantageuse possible, il incombe à l'Office d'empêcher tout effet négatif pour ceux-ci. La sûreté déposée par un demandeur vise à empêcher tout effet négatif de cette nature.
[55]L'article 57 de la Loi décrit de manière assez détaillée ce dont l'Office doit être convaincu avant de délivrer un permis. Voici les dispositions de l'article 57 les plus importantes pour nos fins:
57. L'Office ne délivre le permis que si le demandeur le convainc:
a) d'une part, que le traitement et l'élimination des déchets produits par l'entreprise principale se feront de manière à respecter à la fois:
(i) les normes réglementaires de qualité des eaux ou, à défaut, celles que l'Office juge acceptables,
(ii) les normes réglementaires relatives aux effluents ou, à défaut, celles que l'Office juge acceptables;
b) d'autre part, que sa solvabilité est de nature, compte tenu de ses antécédents, à lui permettre:
(i) de mener à bien l'entreprise principale,
(ii) de prendre les mesures d'atténuation nécessaires,
(iii) d'assurer l'entretien des lieux et leur remise en état en cas d'abandon ou de fermeture.
[56]En plus de s'assurer du respect des conditions requises pour la délivrance du permis, l'Office doit veiller à fixer le montant de la sûreté de manière conforme au Règlement.
[57]Des critères précis sont énoncés dans la Loi pour la fixation du montant de la sûreté à fournir par le titulaire d'un permis. Il est clairement énoncé dans le Règlement et dans la Loi elle-même qu'il incombe à l'Office de fixer ce montant de la sûreté.
[58]L'établissement du montant de la sûreté repose sur des considérations de fait, que l'Office est tenu de prendre en compte. Tant la question de la solvabilité, que de l'évaluation des frais à engager pour réaliser l'opération et des risques que celle-ci comporte, nécessitent de se pencher sur les faits.
[59]C'est à l'Office que la Loi confère la responsabilité de procéder à toutes ces appréciations de faits servant à établir le montant approprié de la sûreté. Si des effets négatifs devaient se produire, la valeur en serait alors imputée sur le montant de la sûreté (article 89 de la Loi).
[60]Le ministre soutient qu'il serait totalement incompatible avec l'objet de la Loi, ainsi que le mandat et les pouvoirs de l'Office, qu'il ait compétence pour modifier arbitrairement le montant de la sûreté établi par un tribunal qui dispose des connaissances spécialisées dans le domaine de la conservation et de l'utilisation de l'eau.
Le ministre n'a pas commis d'erreur en refusant de se reconnaître compétent en vertu du permis
[61]La demanderesse soutient que le permis confère compétence au ministre pour réexaminer le montant de la sûreté devant être fourni par CanZinco.
[62]Le défendeur rétorque que ce sont les dispositions législatives pertinentes qui confèrent sa compétence au ministre. Celle-ci ne peut être octroyée par le biais d'un permis.
[63]D'après les termes de la Loi, c'est l'Office qui a compétence pour fixer le montant de la sûreté. Le permis prévoit d'ailleurs lui-même que [traduction] «[l]e titulaire du permis doit, dans les trente (30) jours suivant la délivrance, fournir et maintenir une sûreté de 17,6 M$ dont la forme et la nature sont conformes au règlement ou jugées acceptables par le ministre».
Le refus du ministre de se reconnaître compétent pour réexaminer le montant de la sûreté ne constituait pas la violation de principes d'équité procédurale non plus qu'un déni de justice naturelle
[64]La demanderesse affirme que le ministre a enfreint des principes de justice naturelle et d'équité [traduction] «en avalisant simplement le montant suggéré par l'Office des eaux du Nunavut». La demanderesse ajoute que, par suite, [traduction] «CanZinco a été privée de l'occasion d'être entendue par le ministre avant qu'il ne prenne sa décision, et ce dernier a ainsi pris sa décision sans disposer de renseignements pertinents».
[65]Le ministre reconnaît qu'il jouit du pouvoir discrétionnaire de réexaminer le permis. Conformément aux dispositions de la Loi et aux pouvoirs de l'Office, toutefois, c'est devant celui-ci que la demanderesse doit avoir l'occasion d'être entendue. Or, l'Office a entendu la demanderesse à toutes les étapes du processus. La Loi ne prévoit pas pour les intéressés l'occasion d'être entendus par le ministre.
[66]Tel que le ministre le déclare dans sa lettre du 11 avril 2003, [traduction] «Il lui est loisible [à la demanderesse] d'utiliser toute voie de recours autorisée par la loi.» Le paragraphe 81(1) de la Loi prévoit le droit de porter en appel devant la Cour fédérale les questions de droit et de compétence. Pour les questions autres que de droit et de compétence, on peut présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.
[67]Le ministre a compétence pour donner son agrément au permis en son entier ou pour le rejeter, pour tout motif raisonnable et pertinent, y compris le montant de la sûreté. Est sans objet la question de savoir si le ministre était tenu ou non de consentir à une demande de rencontre de la demanderesse avant la prise de sa décision, puisqu'avant qu'il ne prenne celle-ci, la demanderesse n'a pas demandé à le rencontrer. La demanderesse n'a d'ailleurs pas sollicité de rencontre avant l'expiration du délai prévu pour la prise de décision par le ministre. Quoi qu'il soit, en outre, la demanderesse a eu amplement l'occasion de se faire entendre tout au long du processus d'octroi du permis.
La norme de contrôle judiciaire
[68]Selon le défendeur, la norme de contrôle applicable à l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de rejeter le permis ou d'y donner son agrément est celle de la décision «raisonnable simpliciter».
[69]La détermination de la norme de contrôle que la cour de justice doit appliquer est centrée sur l'intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause. Plus précisément, la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit se demander: «La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission?» (Voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 26.)
[70]L'analyse «pragmatique et fonctionnelle» décrite par la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan (aux paragraphes 30 à 38), et ensuite appliquée dans Baker (aux paragraphes 55 à 62), repose sur quatre facteurs servant à établir la norme de contrôle judiciaire applicable:
a) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel; |
b) l'expertise relative du décideur; |
c) l'objet de la disposition en cause en particulier, et de la Loi dans son ensemble; |
d) la nature du problème en question, particulièrement s'il s'agit de droit ou de faits. |
[71]Il n'y a pas de clause privative dans l'affaire qui nous occupe. Le ministre dispose toutefois d'une expertise à portée large et spécialisée. Les pouvoirs du ministre, en outre, ont un caractère discrétionnaire. La nature de ce qu'on étudie en l'espèce, enfin, est largement tributaire des faits et du contexte. Le ministre apprécie la preuve dont il est saisi aux fins de donner son agrément ou non à un permis.
[72]Ces facteurs, au total, penchent en faveur d'un degré élevé de retenue judiciaire. Le défendeur soutient qu'entre les pôles de la norme de la décision correcte et de celle de la décision manifestement déraisonnable, la norme de contrôle qui convient en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[73]Le ministre s'est penché sur le montant de la sûreté avant de décider de donner son agrément au permis en son entier. Le ministre n'en est arrivé à la décision visée par le présent contrôle qu'après examen complet et approfondi du permis et des motifs de la décision de l'Office.
[74]Dans ses motifs, l'Office a explicité son appréciation des faits ayant conduit au montant fixé de la sûreté. Il a joint en annexe à ses motifs les interventions soumises par écrit par la demanderesse, le ministre, le gouvernement du Nunavut, le MPO, Environnement Canada ainsi que Nunavut Tunngavik Incorporated. Étaient également intégrées aux motifs les observations présentées à l'enquête publique entourant le processus de renouvellement du permis ainsi que les observations produites par la demanderesse après la tenue de l'enquête.
[75]Le ministre soutient qu'était raisonnable, compte tenu de tous ces facteurs, sa décision de donner son agrément au permis en son entier ainsi que, par conséquent, au montant de la sûreté.
Recours en mandamus ne pouvant être octroyé
[76]La demanderesse sollicite dans sa demande une ordonnance en mandamus [traduction] «enjoignant au ministre de réexaminer le montant de la sûreté à fournir par la demanderesse en conformité avec le permis» et «enjoignant au ministre d'accepter la communication par la demanderesse des renseignements pertinents dont elle dispose et de prendre en compte ces renseignements».
[77]En common law, il est bien établi qu'on ne peut prononcer une ordonnance de mandamus contre la Couronne (Ominayak c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.F. 174 (1re inst.), aux pages 181 et 182; Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599 (C.A.), à la page 601; Minister of Finance of British Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278, aux pages 284 à 286).
[78]Il existe une exception, de portée restreinte, à l'immunité de la Couronne en matière de mandamus. Les tribunaux ont en effet compétence pour décerner une ordonnance de mandamus contre un fonctionnaire s'il est tenu par la loi d'exercer une fonction déterminée au profit d'un tiers. En d'autres termes, une ordonnance de mandamus peut être prononcée contre un fonctionnaire lorsqu'il agit non pas à ce titre, mais plutôt à titre personnel dans l'exercice d'une fonction déterminée prévue par la loi (Ominayak; Central Canada Potash Co. Ltd. et al. and Minister of Mineral Resources of Saskatchewan (Re) (1972), 32 D.L.R. (3d) 107 (C.A. Sask.), aux pages 112 à 114, confirmée par (1973), 38 D.L.R. (3d) 317 (C.S.C.)).
[79]En l'absence d'une fonction prescrite par la loi, aucune ordonnance de mandamus, ni aucune mesure injonctive ou de redressement déclaratoire ne peut être prononcée contre la Couronne. Bien que la Cour d'appel fédérale ait récemment soulevé la possibilité que le mandamus puisse être accordé dans des circonstances exceptionnelles telles que la mauvaise foi, l'état actuel du droit c'est qu'une telle ordonnance ne peut généralement pas être décernée (Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1999), 181 D.L.R. (4th) 404 (C.A.F.)).
[80]Le ministre déclare que, quoi qu'il en soit, «un mandamus peut être accordé pour forcer le décideur à trancher quand il a une gamme d'options à sa disposition, mais non pour le forcer à prendre une décision particulière dans la gamme d'options disponibles» (Schwarz Hospitality Group Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (2001), 32 Admin. L.R. (3d) 113 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 33). Autrement dit, bien qu'il puisse être possible pour une cour d'ordonner par mandamus à un ministre d'exécuter une fonction discrétionnaire, elle ne peut toutefois lui dicter le mode d'exécution (Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 386 (C.A.), à la page 387).
[81]Le ministre souligne qu'en l'espèce, la loi ne l'investit d'aucune fonction déterminée quant à la fixation du montant de la sûreté. C'est plutôt l'Office qui a compétence pour établir ce montant. Le ministre a pour sa part le pouvoir discrétionnaire de donner son agrément ou non au permis en son entier et, en l'espèce, il a exercé ce pouvoir en faveur de l'agrément.
[82]Le ministre soutient par conséquent que, si notre Cour devait accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, elle ne pourrait toutefois délivrer une ordonnance de mandamus.
ANALYSE
[83]On soulève en l'espèce une question bien circonscrite d'interprétation législative. Voici par souci de commodité le paragraphe 76(1) de la Loi, la disposition clé pour nos fins:
76. (1) L'Office peut exiger du titulaire, du demandeur ou du cessionnaire éventuel d'un permis qu'il fournisse au ministre et maintienne une sûreté dont la nature, les conditions, la forme et le montant sont conformes aux règlements ou jugés acceptables par ce dernier.
[84]Selon la demanderesse, il découle de cette disposition qu'est assujetti au pouvoir discrétionnaire du ministre le montant de la sûreté à fournir. On comprend aisément le fondement de la position de la demanderesse. À première vue à tout le moins, le paragraphe 76(1) semble prévoir que la forme, la nature, les conditions et le montant de la sûreté doivent être conformes aux règlements applicables ou être jugés acceptables par le ministre. Le paragraphe 76(1), en outre, est assez récent et n'est entré en vigueur qu'au moment de la promulgation de la Loi en 2002. La disposition équivalente de la loi antérieure était le paragraphe 17(1) de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, aussi reproduit ci-après par souci de commodité:
17. (1) L'Office peut exiger du titulaire ou du demandeur de permis, ou d'un éventuel cessionnaire d'un permis, qu'il fournisse une garantie au ministre et qu'il la maintienne en permanence au même montant, pour le montant prévu par les règlements d'application de l'alinéa 33(1)g) ou déterminé en conformité avec ceux-ci et en la forme prévue par ces règlements ou que le ministre juge acceptable.
[85]Il découle clairement du paragraphe 17(1) que le pouvoir discrétionnaire du ministre ne vise que la «forme» de la garantie requise et non son «montant». L'on pourrait alors croire qu'un but quelconque était recherché par la modification de libellé au paragraphe 76(1) de la Loi et qu'on a voulu rajuster la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre.
[86]Le ministre souligne qu'il y a toutefois quelque chose de véritablement singulier dans le libellé du paragraphe 76(1). Pour commencer, le verbe «is» à la dernière ligne de la version anglaise est au singulier, et il est donc difficile de préciser à quoi il se rapporte dans la liste (la forme, la nature, les conditions et le montant) qui le précède. Selon le ministre, le verbe «is» ne se rapporte qu'à la forme, de telle manière qu'il ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire à l'égard du montant. Je suis cependant d'avis, en ce qui me concerne, qu'il n'y a aucun motif à la lecture de la disposition pour que le verbe «is» se rapporte davantage à la «forme» qu'au «montant». La disposition, à la vérité, n'en est pas à une ambiguïté près.
[87]Chose assez curieuse, ces problèmes évoqués quant à la portée précise des pouvoirs discrétionnaires du ministre en vertu du paragraphe 76(1) de la Loi ont fait l'objet de discussions lors de l'examen du projet de loi en comité. Le député Maurice Vellacott a alors suggéré qu'un amendement soit apporté à ce paragraphe, de façon à établir clairement que «seul l'Office des eaux a le pouvoir de fixer le montant de la sûreté que doit fournir un demandeur, un titulaire de permis ou un cessionnaire éventuel» (Canada, Parlement, Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles, extraits tirés de Témoignages, 37e Législature, 1re Session (30 octobre 2001) [ci-après comité permanent des affaires autochtones]).
[88]En réponse au libellé proposé de l'amendement, M. Will Dunlop (directeur, Direction de la politique des ressources et des transferts, Direction générale de l'environnement et des ressources naturelles, Affaires indiennes et du Nord Canada) a déclaré: «Je pense que ce libellé a le même effet que le projet de loi. Je m'en remets aux membres du comité, mais les deux formulations vont dans le même sens. Elles sont analogues. L'effet est le même» (Comité permanent des affaires autochtones).
[89]M. Vellacott avait manifestement compris les problèmes découlant du libellé du paragraphe 76(1), puisqu'il a continué d'insister en vue de l'adoption de l'amendement qu'il avait proposé (Comité permanent des affaire autochtones):
Je pense que la proposition précise très clairement que seul l'Office des eaux est habilité à fixer ce montant. Encore une fois, il s'agit simplement d'une question d'harmonisation. Ce doit être un cauchemar pour les fonctionnaires du ministère de se demander s'il y a des nuances légèrement différentes dans les différentes lois en vigueur au pays. J'estime qu'en rendant notre libellé conforme à celui de ces autres mesures législatives, nous rentabilisons le temps du ministère puisque les fonctionnaires savent qu'ils sont en présence des mêmes conditions et qu'ils peuvent donc faire des références d'un cas à l'autre, notamment se prévaloir d'un précédent dans l'un ou l'autre des contextes. Voilà donc l'argument que j'invoque.
Comme le représentant du ministère l'a indiqué, la motion ne dérange rien du tout; elle n'est certainement pas pire que le libellé actuel et elle est aussi bonne. Je soutiens que c'est sans doute une initiative judicieuse et prudente que de l'adopter.
[90]Les avertissements de M. Vellacott semblent avoir toutefois été moins convaincants que le point de vue optimiste de M. Dunlop. L'amendement suggéré a perdu aux voix. Cela est bien dommage puisque, comme la présente demande de contrôle judiciaire permet de le constater, M. Vellacott a fait preuve de prescience avec ses inquiétudes. Ce sont maintenant la demanderesse et la Cour qui ont à se demander ce que veulent dire les «nuances légèrement différentes» qui préoccupaient tant le député.
[91]M. Dunlop semble avoir lui-même approuvé le but visé par les suggestions de M. Vellacott, puisqu'il a qualifié la proposition d'amendement de «tout à fait acceptable». Il a d'ailleurs ajouté: «Personne ne conteste que c'est l'Office qui établit le montant de la sûreté et personne ne préconise que quiconque, outre le ministre, décide de la forme que prendra la sûreté (Comité permanent des affaires autochtones).
[92]Nous ne savons pas bien sûr si, en rejetant l'amendement, le Comité donnait son aval à la claire distinction établie par M. Dunlop entre le «montant» et la «forme», ou plutôt aux «nuances légèrement différentes» jugées si inquiétantes par M. Vellacott. Tout bien considéré, je suis enclin à penser que le Comité jugeait acceptables les assurances données par M. Dunlop quant au sens à donner au paragraphe 76(1) («Je pense que ce libellé a le même effet que le projet de loi [. . .] L'effet est le même»), et estimait que le but visé avec la disposition, c'était que le ministre déciderait de la «forme» de la sûreté, tandis que l'Office aurait à décider de son «montant», conformément aux critères prévus par loi et par règlement.
[93]Tant la demanderesse que le ministre ont suggéré à la Cour une analyse de l'objet visé par le paragraphe 76(1), conformément aux précisions de la Cour suprême du Canada dans Rizzo. Pour parler net, une telle analyse ne conduit pas à un résultat parfaitement clair. De bons arguments sont avancés d'un côté comme de l'autre. Selon la prépondérance des probabilités, toutefois, l'historique du texte et l'économie générale de la Loi me donnent à croire que doit prévaloir l'interprétation du ministre quant au pouvoir discrétionnaire dont ce dernier dispose relativement au montant de la sûreté que l'Office peut exiger en vertu du paragraphe 76(1).
[94]On ne doit toutefois pas blâmer la demanderesse pour l'interprétation qu'elle a fait valoir. Il me semble en effet que le paragraphe 76(1) est très ambigu à sa face même et gagnerait à être clarifié.
[95]Cependant, mes conclusions sur ce point ne règlent pas véritablement les questions en litige dans le cadre de la présente demande. La décision ou la question dont la demanderesse se plaint, c'est le refus du ministre de se reconnaître compétent quant au montant de la sûreté à fournir en vertu du permis et d'engager des négociations avec la demanderesse au sujet de ce montant. Ce refus est exprimé dans la lettre du 11 avril 2003 du ministre, dont voici un extrait:
[traduction] Comme vous le savez, j'ai donné mon agrément à ce permis d'utilisation des eaux en son entier. Je l'ai fait en vertu de l'article 56 de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut et conformément à cette disposition; cet article et cette loi sont d'accès facile par le titulaire du permis ainsi que son avocat. Le permis ayant reçu agrément, chacune de ses dispositions a plein effet obligatoire. L'article 2 de la partie B du permis portant que le titulaire doit fournir une sûreté d'un montant de 17,6 M$ a force obligatoire. Ce n'est pas une simple suggestion faite par l'Office des eaux du Nunavut. Il n'y a pas lieu que le montant de la sûreté fasse l'objet de négociations entre le titulaire du permis, les fonctionnaires du ministère et moi-même.
D'après ce que j'en sais, avant la délivrance du permis d'utilisation des eaux, une enquête publique et une réunion à caractère technique ont eu lieu et des observations écrites ont été présentées. Le titulaire n'a pas simplement eu alors amplement l'occasion de soumettre sa preuve et son point de vue, mais il a véritablement tiré profit de cette occasion. Si, malgré tout, vous étiez ou vous êtes convaincu d'une faille quelconque dans le processus ou le résultat atteint, il vous était et il vous est toujours loisible d'exercer tout recours autorisé par la loi. Aux termes de l'article 21 (partie G) et de l'article 3 (partie B) du permis, en outre, si des renseignements ne pouvant être connus auparavant venaient à l'être, le titulaire du permis aura périodiquement l'occasion d'en faire état dans le cadre d'une estimation révisée des obligations quant à la remise en état. Veuillez toutefois noter qu'à moins qu'une autorité compétente ne modifie les exigences de la partie B du permis concernant le dépôt d'une sûreté, celles-ci demeurent en vigueur et obligatoires.
[96]Cette lettre a été la dernière parmi celles échangées entre le ministre et la demanderesse, une correspondance dans laquelle celle-ci opinait que tant la forme que le montant de la sûreté mentionnés dans le permis constituaient de simples suggestions de l'Office, et que le ministre avait le dernier mot à cet égard.
[97]Le ministre concède qu'il découle de l'article 56 de la Loi que [traduction] «le ministre a compétence pour donner son agrément au permis en son entier ou pour le rejeter, pour tout motif raisonnable et pertinent, y compris le montant de la sûreté».
[98]À mon avis, un texte législatif qui confie à l'Office le rôle d'établir le montant de la sûreté à fournir tout en conférant au ministre le pouvoir de rejeter un permis si ce montant ne suffit pas donne lieu à un partage des pouvoirs plutôt nébuleux entre l'Office et le ministre, et fait se demander qui a le dernier mot quant au montant de la sûreté.
[99]En l'espèce le ministre a donné son agrément au permis--ce qui comprend le montant de la sûreté--dans le délai prévu par la loi et avant que la demanderesse ne demande à rencontrer des représentants du ministre.
[100]Je souscris à l'interprétation de la Loi du ministre selon laquelle c'est l'Office qui a pour responsabilité d'établir le montant de la sûreté, de sorte que le montant stipulé dans le permis ne constitue pas qu'une simple suggestion requérant l'assentiment final du ministre. Attribuer au ministre le pouvoir de rejeter un permis (même en raison d'inquiétudes liées à la sûreté) n'équivaut pas à lui donner le pouvoir de fixer le montant de la sûreté dans le cadre des négociations et de l'enquête publique qui conduisent à l'octroi du permis par l'Office. Je suis en outre convaincu (ce que la demanderesse ne conteste d'ailleurs pas) que, pendant ce processus, on a fourni à cette dernière toutes les occasions possibles en l'espèce d'être entendue et de présenter son point de vue.
[101]La demanderesse se plaint du fait que le ministre a refusé de reconnaître qu'il avait compétence pour négocier avec elle le montant de la sûreté à fournir. J'estime correcte l'interprétation qu'a faite le ministre de son pouvoir de réexaminer avec la demanderesse le montant de sûreté à fournir en vertu du permis.
[102]La demanderesse affirme en outre, toutefois, que le refus du ministre de la rencontrer constituait une violation de principes d'équité procédurale et un déni de justice naturelle. La demanderesse ne pousse cependant pas son argumentation plus avant. Elle affirme uniquement que le refus du ministre de la rencontrer l'a privée de l'occasion d'être entendue avant qu'il ne prenne sa décision, et que le ministre a ainsi pris sa décision sans disposer de renseignements pertinents.
[103]Ces arguments ne sont pas particulièrement convaincants, étant donné que le ministre a décidé de donner son agrément au permis avant la demande d'une rencontre par la demanderesse. Cette décision se fondait sur l'examen de l'ensemble des observations présentées à l'Office. Le ministre n'a procédé à cet examen qu'en vue de décider s'il devait ou non donner son agrément au permis. L'examen n'avait pas pour objet de fournir une fois encore à l'une ou l'autre des parties l'occasion de présenter son point de vue au ministre ou de faire appel de la décision prise par l'Office. La demanderesse avait eu amplement l'occasion de faire valoir son point de vue sur la sûreté et de répliquer aux arguments des autres parties concernées. La demanderesse disposait du droit et elle a eu l'occasion de soumettre la décision de l'Office à contestation judiciaire. Elle a choisi de n'en rien faire, et a plutôt tenté de négocier avec le ministre le montant de la sûreté. Si le ministre avait accepté d'engager de telles négociations, il aurait fallu que toutes les autres parties y prennent part et, en fait, que soit repris le processus déjà mené à bien par l'Office. La Loi ne le prévoit tout simplement pas, et c'est pour ce motif que le ministre a déclaré à la demanderesse ne pas avoir compétence pour négocier le montant de la sûreté.
[104]La Loi ne précise pas les critères en vertu desquels, en application de son article 56, le ministre doit ou non donner son agrément à un permis. Le ministre affirme qu'il a [traduction] «compétence pour donner son agrément au permis en son entier ou pour le rejeter, pour tout motif raisonnable et pertinent, y compris le montant de la sûreté».
[105]Je suis toutefois d'avis que la portée et le mode d'exercice des pouvoirs du ministre en vertu de l'article 56 ne sont pas en litige en l'espèce. Dans la présente affaire, le ministre a donné son agrément au permis et il a simplement refusé de se reconnaître compétent pour engager des négociations bilatérales avec la demanderesse au sujet du montant de la sûreté fixé par l'Office. La demanderesse ne soutient nullement que la décision de l'Office était douteuse ou susceptible d'examen pour quelque motif que ce soit. Et elle ne soutient assurément pas que devrait être soumise à examen la décision du ministre de donner son agrément au permis. La plainte de la demanderesse est donc d'étroite portée et consiste à dire que le ministre aurait dû engager avec elle des négociations bilatérales quant au montant de la sûreté. Je suis d'avis que la position du ministre était entièrement justifiée. En l'espèce, il n'y a pas eu de décision prise sans que la demanderesse ait eu l'occasion d'être entendue ou alors que manquaient des renseignements pertinents. On a pleinement entendu le point de vue de la demanderesse. La demanderesse désirait simplement renégocier directement avec le ministre le montant de la sûreté. La Loi ne conférant pas au ministre un tel pouvoir de négociation, il n'y a eu aucune erreur sujette à révision ni aucun manquement à l'équité procédurale ou déni de justice naturelle.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE:
1. La demande est rejetée. |
2. Les dépens sont adjugés en faveur du défendeur. |