[2013] 1 R.C.F. 86
2011 CAF 142
A-224-10
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Kevin Richard Buckingham (intimé)
A-225-10
Kevin Richard Buckingham (appelant)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Buckingham c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Pelletier et Mainville, J.C.A.—Fredericton, 6 avril; Ottawa, 21 avril 2011.
Impôt sur le revenu –– Sociétés — Appels d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (la C.C.I.) selon laquelle l’intimé (l’appelant dans A-225-10) n’est pas redevable, en sa qualité d’administrateur de diverses sociétés, des montants que les sociétés ont omis de verser à titre de retenues à la source en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, mais que sa responsabilité était engagée à l’égard des défauts de versement de la TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise — L’intimé était le président du conseil et l’actionnaire le plus important d’une société par actions offrant des services d’éducation — Cette société a éprouvé de graves difficultés financières et a cessé toutes ses activités en septembre 2003 — Elle a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’art. 323 de la Loi sur la taxe d’accise et de l’art. 227.1 de la LIR — La C.C.I. a appliqué une norme objective, a analysé les versements des retenues à la source sur le salaire distinctement des versements de la TPS/TVH — La norme de soin, de diligence et d’habileté applicable fondée sur l’art. 227.1(3) de la LIR est-elle une norme objective?; La norme fondée sur l’art. 227.1(3) de la LIR s’applique-t-elle différemment lorsqu’elle est fondée sur l’art. 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise?; Un moyen de défense valable fondé sur l’art. 227.1(3) de la LIR est-il recevable si les efforts déployés par les administrateurs visent à remédier aux défauts de versement plutôt qu’à les prévenir? — La norme de soin, d’habileté et de diligence requise en vertu de l’art. 227.1(3) de la LIR et de l’art. 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise constitue une norme objective — Pour invoquer des moyens de défense fondés sur la LIR et la Loi sur la taxe d’accise, l’administrateur doit démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés — Il n’y a aucune différence conceptuelle fondamentale entre les versements des retenues à la source sur les salaires et les versements de TPS/TVH qui justifierait une analyse distincte de l’obligation de soin, de diligence et d’habileté — La responsabilité des administrateurs visée à l’art. 227.1(1) de la LIR n’est pas assujettie à la condition que la société dispose de suffisamment de fonds pour effectuer les versements des retenues à la source sur les salaires — Une fois que la C.C.I. a conclu que les efforts déployés par l’intimé ne visaient plus à éviter les défauts de versement, les moyens de défense fondés sur l’art. 227.1(3) de la LIR et sur l’art. 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvaient être retenus — La C.C.I. a donc commis une erreur en établissant que l’intimé pouvait invoquer un moyen de défense fondé sur l’art. 227.1(3) de la LIR — Appel accueilli dans A-224-10; appel rejeté dans A-225-10.
Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — La Cour canadienne de l’impôt (la C.C.I.) a établi, entre autres choses, que l’intimé (l’appelant dans A-225-10) était redevable de l’omission d’effectuer des versements de TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise — La norme de soin, de diligence et d’habileté applicable fondée sur l’art. 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est-elle une norme objective?; Un moyen de défense valable fondé sur cette disposition est-il recevable si les efforts déployés par les administrateurs visent à remédier aux défauts de versement plutôt qu’à les prévenir? — La norme de soin, de diligence et d’habileté fondée sur l’art. 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise constitue une norme objective — Une fois que la C.C.I. a conclu que les efforts déployés par l’intimé ne visaient plus à éviter les défauts de versement, le moyen de défense fondé sur l’art. 323(3) ne pouvait être retenu — Par conséquent, la C.C.I. a conclu, avec raison, que l’intimé ne pouvait pas invoquer un moyen de défense fondé sur l’art. 323(3).
Il s’agissait d’appels conjoints d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle l’intimé (l’appelant dans A-225-10) n’était pas redevable, en sa qualité d’administrateur de diverses sociétés, des montants que ces sociétés ont omis de verser à titre de retenues à la source en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, mais que sa responsabilité était engagée, après le mois de février 2003, à l’égard des défauts de versement de TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. En 1997, l’intimé et sa famille ont acquis le contrôle d’une société, qui avait aussi une division offrant des cours en ligne, afin d’exploiter une entreprise de services d’éducation. Au fil des ans, la société a dû faire face à de graves difficultés financières et a cessé toutes ses activités en septembre 2003 ou peu après. L’intimé était le président du conseil d’administration de la société et son actionnaire le plus important. Il a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise principalement en ce qui a trait aux versements de TPS/TVH que la société n’avait pas versés en mars et en juin 2003. Il a aussi fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 227.1 de la LIR et de lois connexes pour le défaut de la société de verser les retenues à la source sur les salaires pour la période d’octobre 2002 à août 2003. L’intimé a interjeté appel de toutes les cotisations en alléguant qu’il n’était pas responsable de ces montants en vertu du paragraphe 227.1(3) de la LIR et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, lesquels dégagent l’administrateur de sa responsabilité dans certains cas s’il a agi avec un certain degré de soin, de diligence et d’habileté. La Cour canadienne de l’impôt a établi qu’une norme objective devrait être utilisée aux fins de l’application des paragraphes 227.1(3) de la LIR et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. Elle a en outre analysé la question du versement des retenues à la source sur les salaires distinctement de celle relative au versement de la TPS/TVH, compte tenu du fait que la TPS/TVQ est payée par des tiers alors que les retenues à la source sur les salaires sont financées à même les revenus généraux de la société. L’appelante a interjeté appel du jugement concernant le versement des retenues à la source sur les salaires et l’intimé a interjeté appel du jugement concernant le versement de la TPS/TVH.
Il s’agissait d’établir si la norme de soin, de diligence et d’habileté applicable fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR et le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ést une norme objective; si la norme fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR s’applique différemment lorsqu’elle ést fondée sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise et si un moyen de défense valable fondé sur le paragraphe 227.1(3) ou le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est recevable lorsque les efforts déployés par les administrateurs visent principalement à remédier aux défauts de versement plutôt qu’à les prévenir.
Arrêt : l’appel de l’appelante doit être accueilli et l’appel de l’intimé doit être rejeté.
La norme de soin, d’habileté et de diligence requise en vertu du paragraphe 227.1(3) de la LIR et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise. Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci. Ainsi, les éléments factuels du contexte dans lequel agit l’administrateur sont importants, contrairement aux motifs subjectifs de celui-ci. Néanmoins, les circonstances propres à un administrateur doivent être prises en compte et doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ». Par conséquent, la Cour canadienne de l’impôt a établi, avec raison, que la norme « subjective objective » a été remplacée par la norme objective. Le paragraphe 227.1(3) de la LIR et le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise requièrent que l’administrateur s’acquitte de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versement. Pour invoquer ces moyens de défense, l’administrateur doit par conséquent démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.
L’analyse distincte de la Cour canadienne de l’impôt en vertu des paragraphes 227.1(3) de la LIR et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise a donné lieu à deux applications distinctes du moyen de défense fondé sur la norme de soin, de diligence et d’habileté : une pour les versements des retenues à la source et l’autre pour les versements de TPS/TVH. Or, les retenues à la source sur les salaires sont également payées pas des tiers, les employés, et il n’y a par conséquent pas de différence conceptuelle fondamentale entre les versements des retenues à la source sur les salaires et les versements de TPS/TVH qui justifierait une analyse distincte de l’obligation de soin, de diligence et d’habileté sur le seul fondement de l’origine des fonds. Par conséquent, les sommes retenues sur la rémunération des employés au titre de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi sont réputées avoir été payées par les employés à toutes les fins prévues par ces lois. L’analyse du flux de trésorerie proposée par la Cour canadienne de l’impôt était par conséquent incompatible avec les dispositions applicables de la LIR. La responsabilité des administrateurs visée au paragraphe 227.1(1) de la LIR n’est pas assujettie à la condition que la société dispose de suffisamment de fonds pour effectuer les versements des retenues à la source sur les salaires.
L’administrateur d’une société qui avalise la poursuite des activités de sa société en réaffectant à d’autres fins des retenues à la source sur les salaires ne peut établir une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR. Dans le cas présent, même si l’intimé avait une attente raisonnable que la vente de la division de production de cours en ligne donnerait lieu à un paiement important pouvant servir à satisfaire les créanciers, il a consciemment fait assumer par la Couronne une partie des risques associés à cette transaction en continuant les activités tout en sachant que les retenues à la source ne seraient pas versées. Il s’agit précisément du méfait que le paragraphe 227.1(3) de la LIR vise à éviter. Une fois que la Cour canadienne de l’impôt a tiré la conclusion que les efforts déployés par l’intimé après le mois de février 2003 ne visaient plus à éviter les défauts de versement, le moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR ou le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être retenu. La Cour canadienne de l’impôt a en conséquence eu raison de conclure qu’un moyen de défense fondé sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être invoqué après le mois de février 2003, mais elle a commis une erreur en n’appliquant pas le même raisonnement au moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la LIR en ce qui concerne les défauts de verser les retenues à la source sur les salaires après le mois de février 2003.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, art. 1 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1(F)), 122(1)b) (mod. idem, art. 13(F); 2001, ch. 14, art. 135, ann., no 43(A)).
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 153(1)a) (mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 151; 2007, ch. 35, art. 49), (3), 227(4) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 226), 227.1 (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 202; 2006, ch. 4, art. 87).
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 228(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 210), (2) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1996, ch. 21, art. 65; 1997, ch. 10, art. 210), 323 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 2004, ch. 25, art. 200; 2005, ch. 30, art. 24).
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 82(1),(7), 83(1) (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 134(A)), (2).
Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 21(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 24, art. 143), (5), 21.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2; L.C. 2004, ch. 25, art. 112(A)), (2) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
décisions examinées :
Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124; Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203 (C.A.); Smith c. Canada, 2001 CAF 84.
décisions citées :
Higgins c. La Reine, 2007 CCI 469; Hartrell c. Canada, 2008 CAF 59; Liddle c. La Reine, 2009 CCI 451; BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, [2008] 3 R.C.S. 560; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Pointe‑Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.S.C. 867; Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173 (C.A.); Ruffo c. Canada (Ministre du revenu national), 2000 CanLII 15199 (C.A.F.).
DOCTRINE CITÉE
McGuinness, Kevin P. Canadian Business Corporations Law, 2e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2007.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.
APPELS d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2010 CCI 247) selon laquelle l’intimé (l’appelant dans A-225-10) n’était pas redevable, en sa qualité d’administrateur de diverses sociétés, des montants que les sociétés ont omis de verser à titre de retenues à la source en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, mais que sa responsabilité était engagée, après le mois de février 2003, à l’égard des défauts de versement de TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. Appel accueilli dans A-224-10; appel rejeté dans A-225-10.
ONT COMPARU
Cecil Woon pour l’appelante.
D. Andrew Rouse pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
Peters Oley Rouse, Fredericton, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Mainville, J.C.A. : Dans des motifs répertoriés sous la référence 2010 CCI 247 (les motifs), le juge Webb de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’intimé n’était pas redevable, en sa qualité d’administrateur de diverses sociétés, des montants que les sociétés ont omis de verser à titre de retenues à la source en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8, et de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, mais que sa responsabilité était engagée, après le mois de février 2003, à l’égard des défauts de versement de la TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15.
[2] La Couronne interjette appel du jugement concernant les versements de retenues à la source sur les salaires dans le dossier A‑224‑10, alors que l’intimé interjette appel du jugement concernant les versements de la TPS/TVH dans le dossier A‑225‑10. Les deux appels ont été joints.
[3] Ces appels conjoints soulèvent la question de la norme appropriée de soin, de diligence et d’habileté requise d’un administrateur en vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (et les dispositions connexes du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance‑emploi) et en vertu du paragraphe 323(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] de la Loi sur la taxe d’accise.
Le contexte
[4] L’intimé et sa famille ont acquis le contrôle de Mosaic Technologies Corporation (Mosaic) vers 1997 afin d’exploiter une entreprise de services d’éducation. Peu après, Mosaic a acquis des installations éducatives à divers endroits du Canada. Mosaic avait aussi une division qui produisait des cours en ligne pour de grandes sociétés et les gouvernements.
[5] Les actions de Mosaic ont commencé à se négocier à la Bourse de croissance TSX en 1998 ou 1999. La société a subi une perte d’exploitation de 970 866 $ en 1999, a fait des profits de 253 110 $ en 2000, puis a subi des pertes de 451 161 $ en 2001 et de 1 446 396 $ en 2002. Après plusieurs efforts infructueux en 2002 et au début de 2003 pour obtenir des capitaux et du financement additionnels, la société a tenté en vain de vendre ses actifs et une partie de son entreprise afin de payer ses créanciers. Mosaic a mis complètement fin à ses activités en septembre 2003 ou peu après.
[6] L’intimé était le président du conseil d’administration de Mosaic et son actionnaire le plus important. Le juge de première instance a conclu qu’il s’occupait des activités quotidiennes de Mosaic au jour le jour et qu’il jouait un rôle important dans son exploitation.
[7] L’intimé a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 323 [art. 323(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 2005, ch. 30, art. 24), (2)c) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 2004, ch. 25, art. 200)] de la Loi sur la taxe d’accise pour les montants de TPS/TVH que Mosaic n’avait pas versés en mars et juin 2003, ainsi que pour les pénalités et intérêts afférents. Il a également fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 227.1 [art. 227.1(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 4, art. 87), (2)c) (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 202)] de la Loi de l’impôt sur le revenu, de l’article 21.1 [art. 21.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2; L.C. 2004, ch. 25, art. 112(A)), (2) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2)] du Régime des pensions du Canada et de l’article 83 [art. 83(1) (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 134(A))] de la Loi sur l’assurance‑emploi pour le défaut de Mosaic de verser les retenues à la source sur les salaires pour la période d’octobre 2002 à août 2003, et pour les pénalités et les intérêts afférents. Des cotisations similaires ont été établies contre l’intimé en raison du défaut de diverses filiales de Mosaic, soit Multimedia Ventures (Alberta) Inc., Multimedia Ventures Inc. et 6678 British Columbia Ltd., de verser les retenues à la source sur les salaires.
[8] L’intimé a interjeté appel de toutes ces cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt en se fondant uniquement sur sa prétention qu’il n’était pas responsable de ces montants en vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, lesquels dégagent l’administrateur de sa responsabilité s’« il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habilité pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ».
Les motifs du juge de première instance
[9] S’appuyant sur sa décision dans Higgins c. La Reine, 2007 CCI 469, le juge de première instance a conclu, aux paragraphes 16 à 18 de ses motifs, que le critère « objectif subjectif » énoncé dans l’arrêt Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.) (Soper), en ce qui a trait à la norme de soin, de diligence et d’habileté requise en vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, a été modifié par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461 (Magasins à rayons Peoples). Le juge de première instance a conclu qu’il convenait donc d’utiliser une norme objective afin d’appliquer le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ainsi que le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, et que cette norme comprenait le critère de la décision d’affaires raisonnable énoncé dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples.
[10] Le juge de première instance a identifié la question à laquelle il devait répondre comme étant celle de savoir si l’intimé avait agi prudemment en s'appuyant sur les renseignements dont il disposait et si ses décisions d’affaires étaient raisonnables compte tenu de ce qu’il savait ou aurait dû savoir afin de prévenir les défauts de versement (les motifs, aux paragraphes 31, 56 et 82).
[11] Le juge de première instance était toutefois d’avis qu’il devait effectuer une analyse quant aux versements des retenues à la source sur les salaires distincte de celle relative aux versements de la TPS/TVH. La nécessité d’effectuer des analyses distinctes découlait, selon le juge de première instance, du fait que les « montants pour les retenues à la source ne proviennent pas d’un tiers; ils sont payés à l’aide des ressources que la société peut avoir à sa disposition » (les motifs, au paragraphe 33). Pour le juge de première instance, les obligations relatives aux versements des retenues à la source font partie des coûts associés aux employés et sont acquittées grâce aux revenus généraux de la société, lesquels peuvent ne pas suffire pour assurer ces versements. En revanche, les versements de TPS/TVH sont financés par des tiers, desquels la TPS/TVH est perçue. Cette distinction a conduit le juge de première instance à conclure que deux analyses distinctes de la norme de soin, de diligence et d’habileté étaient requises, une pour les versements de retenues à la source et une autre pour les versements de la TPS/TVH (les motifs, aux paragraphes 33 ainsi que 74 et 75).
[12] En ce qui concerne les versements des retenues à la source sur les salaires, le juge de première instance a accepté le témoignage de l’intimé selon lequel des mesures d’affaires raisonnables avaient été prises en 2002, ainsi qu’en janvier et février 2003, pour régler les difficultés financières de Mosaic et pour prévenir les défauts de versement d’impôt, notamment des initiatives en vue d’une émission d’actions proposée, des tentatives pour obtenir une marge de crédit, des réductions des dépenses et des tentatives de fusion avec une autre société.
[13] Le juge de première instance a conclu, aux paragraphes 58 à 65 de ses motifs, que les faits qui lui avaient été présentés étaient similaires à ceux de l’affaire Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203 (C.A) (sub nom. Worrell c. Canada), [2001] 1 C.T.C. 79 (Worrell), dans lequel la Cour a accordé beaucoup d’importance aux efforts continus déployés pour trouver de nouveaux investisseurs. Le juge de première instance a également renvoyé à l’arrêt Smith c. Canada, 2001 CAF 84, de notre Cour, pour appuyer le principe selon lequel l’administrateur est seulement tenu d’agir raisonnablement. Il a conclu, aux paragraphes 66 à 73 de ses motifs, que l’intimé avait fait tout son possible dans les circonstances pour obtenir par différents moyens du financement additionnel pour Mosaic, et qu’il avait en conséquence satisfait à la norme de diligence que lui imposait le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
[14] Le juge de première instance a en outre souligné qu’après ses vaines tentatives pour obtenir du financement additionnel, Mosaic a entrepris à compter de février 2003 des mesures visant à liquider des éléments de son actif afin de payer ses créanciers, dont les arriérés des versements de retenues à la source sur les salaires. Mosaic a notamment conclu une entente de 1,6 millions de dollars en mai 2003 pour la vente de sa division de production de cours en ligne. Un montant de 600 000 $ a été reçu pour cette vente en juin 2003 et il a servi à payer divers créanciers, la somme de 100 000 $ ayant notamment été envoyée au receveur général à titre de paiement partiel à l’égard des versements dus. Cependant, le solde d’un million de dollars sur le prix de vente n’a jamais été reçu.
[15] Le juge de première instance a en outre reconnu, aux paragraphes 69 à 72 de ses motifs, que même si les efforts de l’intimé après le mois de février 2003 visaient principalement à vendre des éléments d’actif afin de payer des arriérés ou de remédier à des défauts de versement plutôt qu’à prévenir des défauts, et même si les retenues à la source sur les salaires avaient été réaffectées, un moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu pouvait néanmoins être retenu :
Il semble également raisonnable que, pendant que l’appelant essayait d'organiser une injection de capitaux, une fusion ou la vente d’une division ou des éléments d’actif, la société continue à exploiter son entreprise tant qu’il existait une attente raisonnable que ces événements se produisent. Il me semble que cette attente raisonnable n’aurait pas pris fin avant que le marché prévu avec GITI échoue. Après l’échec de ce marché, au mois de février 2003, les mesures à prendre ont changé, et au lieu de chercher à obtenir des injections de capitaux, on a cherché à liquider les éléments d’actif. Il me semble que la liquidation des éléments d’actif visait davantage à assurer le paiement des arriérés (ou à remédier aux défauts) qu’à prévenir quelque défaut.
Il s’écoulerait un certain temps entre le moment où le marché qui devait être conclu avec GITI a échoué et le moment où il pouvait être mis fin à l’emploi des employés. Il faut donner un préavis raisonnable pour procéder à un congédiement non motivé. Comme le juge Major l’a fait remarquer dans l’arrêt Sylvester c. Colombie‑Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315 :
1 L’emploi suppose, entre autres choses, un contrat entre l’employeur et l’employé. L’employé qui est congédié injustement et qui ne reçoit pas de préavis raisonnable de cessation d’emploi a droit à des dommages‑intérêts pour rupture de contrat. Ces dommages‑intérêts représentent le salaire que l’employé aurait gagné s’il avait travaillé au cours de la période visée par le préavis, déduction faite de toute somme devant être affectée à la limitation des dommages.
On ne peut tout simplement pas congédier des employés sans un préavis approprié. Cela voudrait dire que l’obligation de verser les salaires (ou une indemnité tenant lieu de préavis) continuera après qu’il est décidé de congédier les employés et que pareils coûts (qui donneront lieu à des obligations de versement en vertu de la loi applicable) seront versés, et ce, peu importe que la société ait ou non suffisamment de revenus pour les couvrir. Aucun tiers ne fournit nécessairement à la société les fonds nécessaires pour couvrir ces coûts.
De plus, étant donné que Maxim acquérait une division, il semble raisonnable que les employés de cette division continuent à exercer leur emploi tant que la vente n’était pas conclue et il me semble qu’il aurait été raisonnable pour l’appelant de s’attendre à ce que le marché soit conclu avec Maxim. [Non souligné dans l’original.]
[16] Le juge de première instance a néanmoins tiré une conclusion différente en ce qui a trait aux défauts de versement de la TPS/TVH. Il a rejeté le moyen de défense de l’intimé, qui était essentiellement le même que celui invoqué à l’égard du défaut de verser les retenues à la source sur les salaires, et il a expliqué comme suit sa décision à cet égard (les motifs, au paragraphe 82) :
La liquidation des actifs n’a pas été effectuée en vue de prévenir les omissions de verser la TPS/TVH. Comme l’appelant l’a fait remarquer, la décision de vendre les actifs a été prise afin d'obtenir de l’argent pour que la société puisse acquitter ses factures. Une telle mesure viserait à remédier aux défauts et non à les prévenir. Par conséquent, il me semble que l’appelant n’a pas satisfait à la norme de diligence, que lui imposait le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, de prévenir l'omission de verser la taxe nette qui était payable le 30 avril et le 30 juillet 2003.
La thèse de la Couronne
[17] La Couronne soutient que le juge de première instance a commis une erreur de droit en incorporant une analyse relative à la trésorerie dans la défense fondée sur l’obligation de soin, de diligence et d’habileté prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon la Couronne, cette approche élargit considérablement la portée du moyen de défense fondé sur cette disposition et aurait pour effet, si cette approche est acceptée, de faire assumer à la Couronne une partie du risque associé à la poursuite de l’exploitation d’une entreprise exposée à des difficultés financières. Cette situation est particulièrement choquante pour la Couronne compte tenu de la conclusion du juge de première instance, au paragraphe 33 de ses motifs, selon laquelle l’intimé a « admis que les montants qui avaient été retenus de la paie étaient utilisés pour acquitter d’autres frais ».
[18] En utilisant des montants prélevés à même les retenues à la source sur les salaires pour payer des tiers créanciers, l’intimé a essayé de refinancer son entreprise afin de la sauver. Des paiements préférentiels ont été faits à des créanciers autres que la Couronne dans le seul but d’assurer le maintien et la sauvegarde des activités de l’entreprise afin de protéger l’investissement de l’intimé. Pour la Couronne, cette situation correspond exactement au méfait que l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu vise à prévenir.
[19] La Couronne soutient que le juge de première instance n’a pas fait la distinction énoncée dans l’arrêt Worrell entre des mesures qui peuvent être raisonnables d’un point de vue d’affaires et des mesures qui auraient pu prévenir les défauts de versement des retenues à la source sur les salaires, et qu’il a ainsi commis une erreur en mettant sur un pied d’égalité un objectif d’affaires général et les exigences plus précises de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui visent à prévenir les défauts de versement.
La thèse de l’intimé
[20] De l’avis de l’intimé, l’arrêt Worrell appuie le principe selon lequel les administrateurs qui peuvent démontrer avoir fait des efforts sérieux et raisonnables pour résoudre les difficultés financières auxquelles leur société est exposée satisfont à la norme de soin, de diligence et d’habileté requise pour étayer la défense prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise.
[21] En l’espèce, le juge de première instance a reconnu que l’intimé avait fait des efforts sérieux et raisonnables pour résoudre les difficultés financières de Mosaic et de ses filiales, et il a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Worrell pour conclure que l’intimé avait réussi à établir une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
[22] L’intimé ajoute que le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne suivant pas l’arrêt Worrell en ce qui avait trait aux versements de TPS/TVH. Le juge de première instance s’est plutôt livré à une analyse distincte de ces versements, en se fondant sur la nécessité de tenir compte du fait que les fonds de la TPS/TVH sont reçus de tiers, tandis que les retenues à la source proviennent des revenus généraux de l’entreprise. Selon l’intimé, le juge de première instance a commis une erreur en établissant cette nette distinction entre les versements de TPS/TVH et les versements des retenues à la source. Cette distinction a également conduit le juge de première instance à tirer des conclusions contradictoires en regard des faits.
Les questions en litige
[23] Les appels conjoints soulèvent trois questions principales :
a. La norme de soin, de diligence et d’habileté applicable fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est-elle une norme objective?
b. La norme fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique-t-elle différemment lorsqu’elle est fondée sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise?
c. Un moyen de défense valable fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est-il recevable si les efforts déployés par les administrateurs visent à remédier aux défauts de versement plutôt qu’à prévenir de tels défauts?
La norme de contrôle
[24] L’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, énonce la norme de contrôle applicable en appel à un jugement de la Cour canadienne de l’impôt. La norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte, et les conclusions de fait ne doivent pas être infirmées sauf s’il peut être établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante. L’application d’une norme juridique à un ensemble de faits est une question mixte de fait et de droit qui commande la retenue sauf lorsqu’il est possible d’en dégager une question de droit.
[25] La question de savoir si une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise a été établie requiert l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits. En conséquence, il s’agit là généralement de questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Hartrell c. Canada, 2008 CAF 59, au paragraphe 3. Cependant, l’on peut dégager des trois questions soulevées par les présents appels conjoints des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.
Les dispositions législatives pertinentes
[26] L’alinéa 153(1)a) [mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 151; 2007, ch. 35, art. 49] de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit des retenues d’impôts à la source sur les salaires et le versement de ces retenues au receveur général. Le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les administrateurs d’une société ayant fait défaut d’effectuer ces retenues et ces versements sont solidairement responsables avec la société du paiement de ces sommes, ainsi que des intérêts et pénalités afférents. Les paragraphes 227.1(2) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoient certaines restrictions à cette responsabilité des administrateurs, notamment en permettant une défense fondée sur le soin, la diligence et l’habileté :
153. (1) Toute personne qui verse au cours d’une année d’imposition l’un des montants suivants : a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l’exception des sommes visées aux paragraphes 115(2.3) ou 212(5.1); […] doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l’impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l’année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée. […] |
Retenue |
227.1 (1) Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant. |
Responsabilité des administrateurs pour défaut d’effectuer les retenues |
(2) Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme; b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution; c) la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite. |
Restrictions relatives à la responsabilité |
(3) Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. |
Idem |
[27] Les paragraphes 21(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 24, art. 143] et 21.1(1) et (2) du Régime de pensions du Canada prévoient des obligations de retenues et de versements similaires à l’égard des cotisations au régime des pensions du Canada :
21. (1) Tout employeur payant une rémunération à un employé à son service, à une date quelconque, dans un emploi ouvrant droit à pension est tenu d’en déduire, à titre de cotisation de l’employé ou au titre de la cotisation pour l’année au cours de laquelle la rémunération au titre de l’emploi ouvrant droit à pension est payée à cet employé, le montant déterminé conformément à des règles prescrites; l’employeur remet au receveur général, à la date prescrite, ce montant ainsi que le montant qui est prescrit à l’égard de la cotisation qu’il est tenu de verser selon la présente loi. De plus, lorsque l’employeur est une personne prescrite à la date prescrite, le montant est versé au compte du receveur général dans une institution financière (au sens du paragraphe 190(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, compte non tenu des alinéas d) et e) de la définition de cette expression). […] |
Montant devant être déduit et remis par l’employeur |
21.1 (1) En cas d’omission par un employeur personne morale de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 21(1), les personnes qui en étaient les administrateurs à la date de l’omission sont solidairement responsables envers Sa Majesté du paiement de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent. |
Responsabilité des administrateurs |
(2) Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, à l’administrateur d’une personne morale visée au paragraphe (1). |
Application de la Loi de l’impôt sur le revenu |
[28] Les paragraphes 82(1) et 83(1) et (2) de la Loi sur l’assurance‑emploi prévoient également des dispositions similaires :
82. (1) L’employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution, au titre de la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l’article 67 pour toute période à l’égard de laquelle cette rétribution est payée, un montant déterminé conformément à une mesure d’ordre réglementaire et de le verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l’article 68, au moment et de la manière prévus par règlement. […] |
Retenue et paiement des cotisations |
83. (1) Dans les cas où un employeur qui est une personne morale omet de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 82(1), les administrateurs de la personne morale au moment de l’omission et la personne morale sont solidairement responsables envers Sa Majesté de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent. |
Responsabilité des administrateurs |
(2) Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l’administrateur de la personne morale. |
Application de la Loi de l’impôt sur le revenu |
[29] Les paragraphes 228(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 210] et (2) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1996, ch. 21, art. 65; 1997, ch. 10, art. 210] de la Loi sur la taxe d’accise requièrent la production de déclarations et le versement de la taxe nette due relativement aux biens et aux services, alors que le paragraphe 323(1) prévoit que les administrateurs d’une personne morale ayant fait défaut d’effectuer ces versements sont solidairement tenus, avec cette personne morale, de payer les montants visés ainsi que les intérêts et pénalités afférents. Les paragraphes 323(2) et (3) prévoient certaines restrictions à la responsabilité des administrateurs, qui sont similaires à celles énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu relativement aux retenues à la source des employés :
228. (1) La personne tenue de produire une déclaration en application de la présente section doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée, sauf si les paragraphes (2.1) ou (2.3) s’appliquent à la période de déclaration. |
Calcul de la taxe nette |
(2) La personne est tenue de verser au receveur général le montant positif de sa taxe nette pour une période de déclaration dans le délai suivant, sauf les paragraphes (2.1) ou (2.3) s’appliquent à la période de déclaration : a) si elle est un particulier auquel le sous alinéa 238(1)a)(ii) s’applique pour la période, au plus tard le 30 avril de l’année suivant la fin de la période; b) dans les autres cas, au plus tard le jour où la déclaration visant la période est à produire. […] |
Versement |
323. (1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents. |
Responsabilité des administrateurs |
(2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si : a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme; b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution; c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance. |
Restrictions |
(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. |
Diligence |
Analyse
La norme de soin, de diligence et d’habileté
[30] La jurisprudence n’a pas été constante ces dernières années sur la question de savoir si la norme objective de soin, de diligence et d’habileté énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples au regard de l’alinéa 122(1)b) [mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 13(F); 2001, ch. 14, art. 135, ann., art. 43(A)] de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44 [art. 1 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1(F))] (LCSA), pouvait s’appliquer au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise dont les libellés sont presque identiques dans leurs versions anglaises et similaires dans leurs versions françaises : Hartrell c. Canada, précité, au paragraphe 12; comparer Higgins c. La Reine, précité, aux paragraphes 6 à 11, avec Liddle c. La Reine, 2009 CCI 451, aux paragraphes 33 à 35. L’alinéa 122(1)b) de la LCSA est rédigé comme suit :
122. (1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir : […] b) avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. |
Devoir des administrateurs et dirigeants |
[31] Bien qu’elles soient similaires, les dispositions de l’alinéa 122(1)b) de la LCSA et du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ont des objets foncièrement différents. Les objets différents visés par ces diverses dispositions doivent avoir une incidence sur la norme de soin, de diligence et d’habileté applicable dans chaque cas.
[32] L’énoncé de l’obligation de soin à l’alinéa 122(1)b) de la LCSA ne précise pas une partie identifiable qui serait le bénéficiaire de l’obligation : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 57. Par conséquent, l’identité des bénéficiaires de l’obligation de diligence visée à l’alinéa 122(1)b) de la LCSA n’est pas assujettie à une restriction et comprend tous les créanciers. Cette disposition énonce une norme de conduite à laquelle on peut raisonnablement s’attendre, mais elle ne peut servir de fondement indépendant à un recours : BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, [2008] 3 R.C.S. 560, au paragraphe 44.
[33] En revanche, le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoient expressément que les administrateurs « sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités [se] rapportant » aux versements que la société est tenue d’effectuer. Le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne prévoient pas une obligation générale de diligence, mais plutôt un moyen de défense visant la responsabilité précise prévue aux paragraphes 227.1(1) et 323(1) de ces lois respectives, et il incombe aux administrateurs de démontrer que les conditions requises pour se prévaloir avec succès d’une telle défense sont remplies. L’obligation de diligence prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu vise aussi expressément à empêcher la société de faire défaut de verser des retenues d’impôts précises, notamment les retenues à la source sur les salaires. Le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise a un objet similaire. Les administrateurs doivent établir qu’ils ont exercé le degré de soin, de diligence et d’habileté requis « pour prévenir le manquement ». L’objet de ces dispositions est clairement de prévenir les défauts de versement.
[34] Cette précision étant faite, je conviens avec le juge de première instance que la norme « objective subjective » énoncée dans l’arrêt Soper a été remplacée par la norme objective établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples. J’arrive à cette conclusion compte tenu du libellé du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise, et en appliquant le principe de la présomption de cohérence entre les lois.
[35] Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26. Le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ainsi que le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise renvoient tous deux au degré de soin, de diligence et d’habileté « qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ». Le renvoi à une personne raisonnablement prudente indique clairement que le critère est objectif plutôt que subjectif.
[36] De plus, le libellé de l’alinéa 122(1)b) de la LCSA est similaire à celui des paragraphes 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, mais plutôt d’une autre indication que la norme de soin, de diligence et d’habileté requise par toutes ces dispositions est similaire. Il convient de donner une interprétation similaire à des libellés similaires traitant de questions similaires sauf s’il existe une indication contraire dans le contexte législatif : Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, au paragraphe 61; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 52; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, précité, au paragraphe 27; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition (Markham, Ontario : LexisNexis Canada, 2008), aux pages 223 à 225.
[37] Par conséquent, je conclus que la norme de soin, de diligence et d’habileté exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples.
[38] Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci : Magasins à rayons Peoples, aux paragraphes 59 à 62. Si l’on qualifie cette norme d’objective, il devient évident que ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l’administrateur qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ce dernier : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 63. L’apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d’administration au moyen de l’établissement de bonnes règles de régie d’entreprise : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 64. Des normes plus strictes empêchent aussi la nomination d’administrateurs inactifs choisis pour l’apparence ou qui ne remplissent pas leurs obligations d’administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction : Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e édition (Markham, Ontario : LexisNexis Canada, 2007), à § 11.9.
[39] Une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérés au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ». Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 62 :
Le texte de l’al. 122(1)b) de la LCSA qui énonce l’obligation de diligence reprend presque mot à mot celui que propose le Rapport Dickerson. La principale différence réside dans le fait que la version qui a été adoptée comprend les mots « en pareilles circonstances », ce qui modifie la norme légale en exigeant qu’il soit tenu compte du contexte dans lequel une décision donnée a été prise. Le législateur n’a pas introduit un élément subjectif relatif à la compétence de l’administrateur, mais plutôt un élément contextuel dans la norme de diligence prévue par la loi. Il est clair que l’al. 122(1)b) est plus exigeant à l’égard des administrateurs et des dirigeants que la norme traditionnelle de diligence prévue par la common law et expliquée, par exemple, dans la décision Re City Equitable Fire Insurance, précitée [[1925] 1 Ch. 407].
[40] L’objectif de l’examen prévu aux paragraphes 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise différera toutefois de celui qu’exige l’alinéa 122(1)b) de la LCSA, car les premières dispositions requièrent que l’administrateur s’acquitte de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versement. Pour invoquer ces moyens de défense, l’administrateur doit par conséquent démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.
La norme fondée sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise s’applique-t-elle différemment lorsqu’elle est fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu?
[41] Comme la TPS/TVH est payée par des tiers, alors que les retenues à la source sur les salaires proviennent des revenus généraux d’entreprise qui peuvent ne pas suffire pour assurer leur paiement, le juge de première instance était d’avis que l’analyse requise au titre du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu devait être distincte de l’analyse requise au titre du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. Cette distinction a donné lieu à deux manières différentes d’appliquer la défense fondée sur la norme de soin, de diligence et d’habileté.
[42] Or, les retenues à la source sur les salaires sont également payées pas des tiers, les employés, et il n’y a par conséquent pas de différence conceptuelle fondamentale entre les versements des retenues à la source sur les salaires et les versements de TPS/TVH qui justifierait une analyse distincte de l’obligation de soin, de diligence et d’habileté sur le seul fondement de l’origine des fonds. Cette interprétation découle notamment du paragraphe 153(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu selon lequel toute somme retenue sur la rémunération des employés « est, pour l’application générale de la présente loi, réputée avoir été reçue à ce moment par la personne à qui la rémunération, la prestation, le paiement, les honoraires, les commissions ou d’autres sommes ont été payés ». Le paragraphe 21(5) du Régime de pensions du Canada et le paragraphe 82(7) de la Loi sur l’assurance-emploi comportent des dispositions similaires.
[43] Par conséquent, les sommes retenues sur la rémunération des employés au titre de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi sont réputées avoir été payées par les employés à toutes les fins prévues par ces lois, notamment celle de déterminer la responsabilité des administrateurs pour le défaut de leur société de verser les sommes ainsi retenues.
[44] De plus, le paragraphe 227(4) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 226] de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la Loi est réputée le détenir en fiducie, de manière séparée, en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la Loi.
[45] L’analyse du flux de trésorerie proposée par le juge de première instance est par conséquent incompatible avec les dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu. La responsabilité des administrateurs visée au paragraphe 227.1(1) n’est pas assujettie à la condition que la société dispose de suffisamment de fonds pour effectuer les versements des retenues à la source sur les salaires, bien au contraire.
[46] L’analyse du flux de trésorerie proposée par le juge de première instance suppose aussi que le cadre temporel durant lequel la conduite de l’administrateur est évaluée commence au moment où la société manque de fonds. L’examen de la conduite de l’administrateur commence plutôt lorsqu’il devient évident pour l’administrateur, agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et l’habileté qui sont requises, que la société entame une période de difficultés financières : Soper, au paragraphe 50.
[47] La distinction proposée par le juge de première instance ferait également de la responsabilité des administrateurs prévue au paragraphe 323 de la Loi sur la taxe d’accise une responsabilité absolue, ce qui n’est clairement pas l’intention du Parlement à la lumière du paragraphe 323(3) de cette loi. Cette distinction ferait également de la responsabilité des administrateurs à l’égard du versement des retenues à la source sur les salaires une responsabilité moindre que celle qui leur incombe à l’égard du versement de la TPS/TVH, une distinction que n’étayent nullement les libellés de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise. Ces deux dispositions législatives étant rédigées dans des termes similaires, elles devraient donc être appliquées de manière similaire. Il faut éviter d’introduire une distinction qui n’est pas énoncée dans la législation.
Un moyen de défense valable fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est-il recevable si les efforts déployés par les administrateurs visent à remédier aux défauts de versements plutôt qu’à prévenir de tels défauts?
[48] Le présent appel soulève l’importante question de savoir si une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est recevable lorsque les administrateurs continuent d’exploiter leur entreprise tout en sachant que cela entraine, ou pourrait entraîner, un défaut de versement, mais qu’ils ont néanmoins une expectative raisonnable de remédier audit défaut, notamment au moyen de la vente d’éléments d’actif ou de la vente totale ou partielle de l’entreprise. Le juge de première instance a adopté deux points de vue apparemment contradictoires sur cette question, ayant accepté une telle défense en ce qui a trait aux versements des retenues à la source sur les salaires (les motifs, aux paragraphes 69 à 72), et l’ayant rejetée en ce qui a trait aux versements de la TPS/TVH (les motifs, au paragraphe 82).
[49] L’approche traditionnelle est celle voulant que l’administrateur a le devoir de prévenir les défauts de versement, et non de les avaliser dans l’espoir qu’il sera ensuite possible de remédier aux problèmes : Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173 (C.A.), au paragraphe 35; Ruffo c. Canada (Ministre du revenu national), 2000 CanLII 15199 (C.A.F.). Contrairement aux fournisseurs d’une société qui peuvent limiter leurs risques financiers en exigeant des paiements comptants en avance, la Couronne est un créancier involontaire. Le niveau des risques encourus par la Couronne à l’égard d’une société peut donc accroître si la société poursuit ses activités en versant aux employés les salaires nets sans effectuer les versements des retenues à la source sur ces salaires, ou si la société décide de percevoir la TPS/TVH des clients sans déclarer et verser ces montants en temps opportun. Une société qui fait face à des difficultés financières pourrait s’hasarder à réaffecter les versements dus à la Couronne afin de payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite de ses activités. C’est précisément une telle conjoncture que les articles 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323 de la Loi sur la taxe d’accise visent à éviter. Le moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne devrait pas servir à encourager de tels défauts de versement en permettant aux administrateurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable lorsqu’ils financent les activités de leur société à l’aide de remises dues à la Couronne, en espérant remédier plus tard à ces défauts.
[50] L’intimé invoque toutefois l’arrêt Worrell à l’appui de sa prétention selon laquelle cette approche traditionnelle aurait été modifiée. L’arrêt Worrell portait sur l’application de la défense fondée sur le soin, la diligence et l’habileté dans le contexte où la capacité de la société d’effectuer des versements était à la discrétion de sa banque et où il était raisonnable de la part des administrateurs de croire qu’en continuant les activités de la société, ils pourraient la remettre à flot. La Cour, dans l’arrêt Worrell, a reconnu qu’il ne suffit normalement pas que les administrateurs continuent simplement à exploiter leur entreprise tout en sachant qu'un défaut de versement est probable, mais en se fondant sur l’espoir que la société sera remise à flot à la suite d’une reprise de l'économie ou d’une amélioration de sa position sur le marché; cependant, la Cour a également reconnu dans l’arrêt Worrell que lorsqu’une attente raisonnable appuyait cette croyance afin d’éviter à l’avenir des défauts de versements, le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable pouvait être retenu dans certaines circonstances exceptionnelles. Il convient toutefois d’interpréter l’arrêt Worrell à la lumière des faits particuliers de cette affaire, notamment des « restrictions [qu’]imposait [aux administrateurs] le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie » (Worrell, au paragraphe 79) et il ne faut donc pas interpréter cet arrêt comme s’il constituait une nouvelle approche à l’égard du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.
[51] Il est par conséquent important de souligner que l’arrêt Worrell n’a pas modifié l’objet du moyen de défense fondé sur le soin, la diligence et l’habileté qui vise à prévenir les défauts de versement et non à y remédier. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Worrell, au paragraphe 34 :
Cependant, que ces administrateurs en aient fait assez ou non pour s'exonérer de la responsabilité tenant au défaut de versement des retenues à la source et de la TPS, cela dépend, du moins en partie, du quatrième principe dégagé par la jurisprudence, savoir que la diligence raisonnable imposée aux administrateurs de société par le paragraphe 227.1(3) consiste à prévenir [souligné dans l’original] ce défaut. Il a été jugé que ce principe signifie que si ceux-ci deviennent à première vue responsables du défaut de versement de la compagnie, ils ne peuvent normalement se réclamer du bénéfice du paragraphe 227.1(3) si leurs efforts n'avaient pour effet que de les mettre en état de remédier au défaut après coup. Il s'ensuit que des mesures prises en vue de remettre [leur société] à flot, celles qui comptent le plus pour notre propos se limitent à celles qui étaient logiquement à même de prévenir le défaut de verser, à l'échéance, les retenues à la source et la TPS. [Non souligné dans l’original.]
[52] Le Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue relativement aux versements de leurs sociétés. En conséquence, le Parlement accepte qu’une société puisse, dans certaines circonstances, ne pas effectuer des versements sans que la responsabilité de ses administrateurs ne soit engagée. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.
[53] En l’espèce, le juge de première instance a conclu que, jusqu’au mois de février 2003, l’intimé avait une attente raisonnable que les efforts déployés permettraient d’éviter les défauts de versement, mais qu’après cette date les efforts visaient plutôt à remédier aux défauts de versements (les motifs, au paragraphe 69, reproduit ci-dessus). Cette conclusion de fait n’a pas été contestée devant nous. Par conséquent, dès la fin du mois de février 2003, l’intimé ne pouvait plus raisonnablement s’attendre à prévenir les défauts de versement des retenues à la source sur les salaires et de la TPS/TVH.
[54] Cependant, le juge de première instance a en outre conclu qu’il était raisonnable de la part de l’intimé de croire que la vente de la division de production de cours en ligne pour 1,6 millions de dollars pouvait permettre d’obtenir des fonds pour le paiement des arriérés de versements. Cela suffisait-il à écarter la responsabilité de l’intimé à l’égard des versements pour la période postérieure à février 2003? Le juge de première instance a répondu par l’affirmative relativement aux versements des retenues à la source sur les salaires, mais il a répondu par la négative relativement aux versements de la TPS/TVH.
[55] Le juge de première instance a justifié son approche en se fondant sur le raisonnement que, même si tous les employés avaient été mis à pied peu après le mois de février 2003, un avis raisonnable aurait été requis, ce qui aurait donné lieu à des versements de retenues à la source connexes sans égard à la question de savoir si la société avait des revenus suffisants pour s’acquitter de tels coûts. Il a en outre conclu, à la lumière de la vente espérée de la division de production de cours en ligne, qu’il était raisonnable de retenir les employés de cette division jusqu’à la conclusion finale de la vente. Je suis d’avis que ces arguments ne sont ni l’un ni l’autre convaincants.
[56] L’administrateur d’une société qui avalise la poursuite des activités de sa société en réaffectant à d’autres fins des retenues à la source sur les salaires ne peut établir une défense fondée sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Tout le régime de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, lu dans son ensemble, est précisément conçu pour éviter de telles situations. En l’espèce, l’intimé avait une attente raisonnable (mais erronée) que la vente de la division de production de cours en ligne donnerait lieu à un paiement important pouvant servir à satisfaire les créanciers, mais il a consciemment fait assumer par la Couronne une partie des risques associés à cette transaction en continuant les activités tout en sachant que les retenues à la source ne seraient pas versées. Il s’agit précisément du méfait que le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu vise à éviter.
[57] Une fois que le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que les efforts déployés par l’intimé après le mois de février 2003 ne visaient plus à éviter les défauts de versements, le moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être retenu.
[58] Le juge de première instance a en conséquence eu raison de conclure qu’un moyen de défense fondé sur le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne pouvait être invoqué après le mois de février 2003, compte tenu de sa conclusion voulant que l’objectif de l’intimé n’était plus d’éviter les défauts de versement des taxes dues. Le juge de première instance a toutefois commis une erreur en n’appliquant pas le même raisonnement au moyen de défense fondé sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les défauts de verser les retenues à la source sur les salaires après le mois de février 2003.
Conclusion
[59] J’accueillerais l’appel dans le dossier A‑224‑10, j’annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt dans le dossier 2008‑2817(IT)G et, prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, je renverrais l’affaire au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’intimé est redevable, en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, de l’article 21.1 du Régime de pensions du Canada et de l’article 83 de la Loi sur l’assurance-emploi, en sa qualité d’administrateur de Mosaic Technologies Corporation, Multimedia Ventures (Alberta) Inc., Multimedia Ventures Inc. et 6678 British Columbia Ltd., des montants que ces sociétés ont fait défaut de verser en application de ces lois, pendant la période postérieure au mois de février 2003, ainsi que des intérêts et pénalités afférents à ces montants.
[60] Je rejetterais également l’appel dans le dossier A‑225‑10. Je n’ordonnerais qu’un seul mémoire de dépens en faveur de la Couronne dans le dossier A‑224‑10.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.