2004 CAF 424
A-9-04
Société canadienne de perception de la copie privée (demanderesse)
c.
Canadian Storage Media Alliance [Sony du Canada Ltée; Verbatim Corporation; Fuji Photo Film Canada Inc.; Compaq Computer Corporation; Intel Corporation; Maxell Canada Corp.; Thomson Multimedia Ltd.; Imation Canada Inc.; Hewlett Packard (Canada) Ltd.; Apple Canada Inc.; Memorex Canada Ltd.; AVS Technologies Inc.; Dell Computer Corporation; Samsung Electronics Canada Inc.] et Association canadienne des télécommunications sans fil, Cognos Inc., Consumer Electronic Marketers of Canada, Costco Wholesale Canada Ltd.; Intertan, Inc. (exploitée sous la raison sociale RadioShack Canada); London Drugs Limited; Conseil canadien du commerce de détail; The Business Depot Ltd. (exploitée sous la raison sociale Staples Business Depot/Bureau en Gros); Wal-Mart Canada Corporation; Future Shop Ltd., Hydraulic Design, Vencon Technologies Inc., M. Jeremy Hellstrom, M. Martin Hemmings, M. Brian M. Hunt, M. V. Kuz, M. Richard C. Pitt et M. Tom A. Trottier (défendeurs)
et
Société Radio-Canada (intervenante)
A-10-04
Apple Canada Inc., Dell Computer Corporation of Canada, Hewlett Packard (Canada) Co., et Intel Corporation (demanderesses)
c.
Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP), Association canadienne des télécommunications sans fil (CWTA), Cognos Inc., Consumer Electronic Marketers of Canada (CEMC), «Coalition des détaillants» (Costco Wholesale Canada Ltd.; Intertan, Inc. (exploitée sous la raison sociale RadioShack Canada); London Drugs Limited; Conseil canadien du commerce de détail; The Business Depot Ltd. (exploitée sous la raison sociale Staples Business Depot/Bureau en Gros); Wal-Mart Canada Corp.; Future Shop Ltd.), Hydraulic Design, Vencon Technologies Inc., M. Jeremy Hellstrom, M. Martin Hemmings, M. Brian M. Hunt, M. V. Kuz, M. Richard C. Pitt et M. Tom A. Trottier (défendeurs)
et
Commission du droit d'auteur (intervenante)
A-11-04
Conseil canadien du commerce de détail, Wal-Mart Canada, The Business Depot Ltd. (Staples Business Depot/Bureau en Gros), London Drugs Limited, Intertan Inc. (RadioShack Canada), Future Shop Ltd. et Costco Wholesale Canada Ltd. (les «détaillants») (demanderesses)
c.
Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) et Canadian Storage Media Alliance, Association canadienne des télécommunications sans fil, Cognos Inc., Consumer Electronic Marketers of Canada, Hydraulic Design, Vencon Technologies Inc., M. Jeremy Hellstrom, M. Martin Hemmings, M. Brian M. Hunt, M. V. Kuz, M. Richard C. Pitt et M. Tom A. Trottier (défendeurs)
Répertorié: Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Linden, Noël et Evans, J.C.A.--Ottawa, 12 et 13 octobre; 14 décembre 2004.
Droit d'auteur -- Demandes de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission du droit d'auteur du Canada a homologué le tarif des redevances imposées en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur sur les supports audio vierges pour 2003 et 2004 -- Cette redevance indemnise les auteurs, artistes-interprètes et producteurs (les titulaires de droits) de la perte d'exclusivité qu'ils subissent en raison du fait que la partie VIII légalise la copie pour usage privé d'enregistrements sonores -- La Commission a confirmé la constitutionnalité de la partie VIII de la Loi en déclarant qu'il s'agissait de dispositions législatives fédérales sur le droit d'auteur qui imposent une redevance de nature réglementaire et non une taxe -- Appliquant le critère du caractère véritable, la Commission a estimé que la partie VIII de la Loi constituait un texte législatif portant sur le droit d'auteur -- Application de l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority: la partie VIII est un régime réglementaire et non une taxe -- Demande contestant la décision de la Commission quant à la constitutionnalité de la partie VIII rejetée -- La Commission a jugé sans fondement juridique le «programme d'exonération de la redevance» (qui dispense du paiement des redevances les utilisateurs inscrits qui ne font pas de copie privée) -- Elle a estimé que la Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP), qui répartit entre les titulaires des droits les redevances perçues, n'a pas le pouvoir de créer des exemptions comme le «programme d'exonération de la redevance» -- Même si elle n'est pas autorisée à se prononcer sur la légalité du programme d'exonération de la redevance, la Commission pouvait ne pas en tenir compte pour établir une redevance juste et équitable, une fonction qui relevait de sa compétence en matière de réglementation -- La décision résiste au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter -- La décision de la Commission n'a pas pour effet de retirer à la SCPCP la faculté que la common law lui reconnaît de renoncer au paiement des redevances; elle prévoit seulement que cette renonciation ne donnera pas lieu à une indemnisation -- Demande contestant la décision de la Commission sur la légalité du programme d'exonération de la redevance rejetée -- La Commission a estimé que la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique était assujettie à la redevance sur la copie privée -- Examen de l'historique législatif du projet de loi C-32 -- L'enregistreur audionumérique ne conserve pas son identité de «support audio» et ne répond pas à la définition de la Loi -- C'est l'appareil et non la mémoire qui y est intégrée qui est l'élément qui doit servir à définir la redevance -- Il n'était pas loisible à la Commission d'établir une redevance sur cette mémoire -- Pour le cas où la Cour aurait tort, la Commission pouvait homologuer un tarif plus élevé que celui qui était demandé par la SCPCP -- Le législateur est libre de soustraire les tribunaux administratifs aux contraintes du principe interdisant de statuer ultra petita -- En l'espèce, les art. 83(8) et (9) de la Loi montrent qu'une fois saisie du projet de tarif, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire de fixer un tarif «juste et équitable» et d'établir à son appréciation, les modalités afférentes aux redevances -- Demande contestant la redevance imposée sur la mémoire intégrée aux lecteurs MP3 accueillie en partie.
Droit constitutionnel -- Partage des pouvoirs -- La partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur légalise la copie pour usage privé d'enregistrements sonores d'oeuvres musicales et indemnise les auteurs, artistes-interprètes et producteurs (les titulaires de droits) de la perte d'exclusivité qu'ils subissent ainsi -- La partie VIII de la Loi, qui impose des redevances sur les supports audio vierges, constitue-t-elle, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur? -- Application de la théorie du caractère véritable: les dispositions doivent, de par leur caractère véritable, viser une question qui relève de la compétence du législateur fédéral; si elles empiètent sur les pouvoirs des législatures provinciales, elles doivent s'inscrire dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide et si elles s'inscrivent dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide, les dispositions doivent être suffisamment intégrées à ce régime et être assez importantes pour en assurer l'efficacité -- En l'espèce, la partie VIII est étroitement liée à l'objectif visé par le législateur fédéral, en l'occurrence indemniser les titulaires de droits, ce qui constitue un aspect essentiel de la compétence législative fédérale sur le droit d'auteur.
Droit constitutionnel -- Taxe ou redevance de nature réglementaire -- Il s'agit de savoir si la redevance imposée sur les supports audio vierges en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur constitue une taxe (laquelle est, de ce fait, inconstitutionnelle parce qu'elle n'a pas été présentée à la Chambre des communes par le biais d'une motion de voies et moyens) ou une redevance de nature réglementaire -- Les critères qui permettent généralement de conclure à l'existence d'une taxe ont été énoncés dans l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority: un prélèvement est habituellement considéré comme une taxe s'il est exigible en vertu de la loi, imposé sous l'autorité du Parlement, perçu par un organisme public et destiné à une fin d'intérêt public -- Un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d'une taxe est qu'il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni -- Les quatre premiers critères ont été respectés -- Toutefois, les indices énumérés dans l'arrêt Westbank pour pouvoir conclure à l'existence d'un «régime réglementaire» sont réunis: la partie VIII constitue un code de réglementation complet et détaillé; la redevance est manifestement calculée de manière à favoriser l'atteinte de l'objectif visé par le régime législatif; les fabricants et les importateurs de supports vierges ont créé le besoin qui a incité le législateur fédéral à adopter la partie VIII; la redevance vise un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels.
Interprétation des lois -- La partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur permet l'imposition de redevances sur les supports audio vierges pour indemniser les auteurs, artistes-interprètes et producteurs (les titulaires de droits) de la perte d'exclusivité qu'ils subissent en raison de la légalisation, aussi en vertu de la partie VIII, de la copie pour usage privé d'oeuvres musicales -- La Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP) est chargée de percevoir les redevances et de les répartir entre les titulaires de droits -- La SCPCP administre le «programme d'exonération de la redevance», qui dispense du paiement des redevances les utilisateurs inscrits qui ne font pas de copie privée -- Principe d'interprétation des lois bien connu suivant lequel la mention d'une chose dans une loi implique l'exclusion de l'autre -- La Partie VIII prévoit deux exemptions en ce qui concerne le paiement de la redevance -- L'art. 87a) de la Loi prévoit que c'est le gouverneur en conseil, et non la Commission ou la SCPCP, qui est habilité à prendre des règlements au sujet du mode de fonctionnement de l'exemption prévue à l'art. 86 -- Le législateur n'envisageait manifestement pas que la SCPCP puisse créer et appliquer des exemptions comme le «programme d'exonération de la redevance» -- Il est nécessaire d'appliquer la méthode moderne d'interprétation des lois pour déterminer si la Loi confère le pouvoir implicite d'accorder les exemptions à la base du «programme d'exonération de la redevance» -- La Commission était d'avis que ce pouvoir n'a pas été conféré à la SCPCP.
Droit administratif -- Principe interdisant de statuer ultra petita -- Ce principe signifie en règle générale que le tribunal ne doit pas accorder plus qu'il n'a été demandé par les parties -- Toutefois, le législateur est libre de soustraire les tribunaux administratifs aux contraintes du principe interdisant de statuer ultra petita, étant donné que les tribunaux administratifs sont le plus souvent créés pour promouvoir des intérêts qui peuvent aller au-delà des intérêts immédiats des parties qui comparaissent devant eux -- En l'espèce, les art. 83(8) et (9) de la Loi sur le droit d'auteur montrent qu'une fois saisie du projet de tarif, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire de fixer un tarif «juste et équitable» et d'établir à son appréciation, les modalités afférentes aux redevances -- La Commission n'a pas commis d'erreur en fixant une redevance plus élevée que celle qui était demandée.
Il s'agit de trois demandes de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission du droit d'auteur du Canada (la Commission) a établi les redevances sur la copie pour usage privé d'oeuvres musicales, de prestations d'oeuvres musicales et d'enregistrements sonores (musique enregistrée) sur supports audio vierges pour 2003 et 2004. Ces redevances sont établies par la Commission et sont perçues par la Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP) en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur, qui a pour effet de légaliser la copie pour usage privé d'enregistre-ments sonores d'oeuvres musicales et qui indemnise les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles (les titulaires de droits) de la perte d'exclusivité qu'ils subissent ainsi en imposant une redevance sur les supports utilisés pour enregistrer de la musique. Les redevances perçues par la SCPCP sont ensuite réparties entre les sociétés de gestion qui représentent les titulaires de droits dans les proportions établies par la Commission. Dans la décision à l'examen, la Commission a estimé que la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique était assujettie à la redevance sur la copie privée. La Commission a également jugé sans fondement juridique le «programme d'exonération de la redevance» administré par la SCPCP, un régime qui a pour effet de dispenser certains groupes d'acheteurs (les utilisateurs qui ne font pas de copie privée et qui se sont inscrits comme tels auprès de la SCPCP) du paiement des redevances autorisées par la Commission lorsqu'ils achètent des supports à des fabricants autorisés. La Commission a également confirmé la constitutionnalité de la partie VIII de la Loi en déclarant qu'il s'agissait de dispositions législatives fédérales sur le droit d'auteur qui imposent une redevance de nature réglementaire et non une taxe.
La coalition des détaillants, une coalition de vendeurs au détail de supports vierges (dossier A-11-04), conteste la partie de sa décision dans laquelle la Commission a confirmé la constitutionnalité de la partie VIII. À leur avis, la partie VIII de la Loi ne constitue pas, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur. À titre subsidiaire, les détaillants soutiennent que la partie VIII crée une taxe et qu'elle est, de ce fait, inconstitutionnelle parce qu'elle n'a pas été présentée à la Chambre des communes par le biais d'une motion de voies et moyens. Finalement, les détaillants font valoir que le législateur fédéral n'était pas compétent pour adopter le régime de redevances parce qu'il est extrêmement vague et général. La SCPCP conteste (dossier A-9-04) la décision de la Commission dans la mesure où elle a déclaré illégal le programme d'exonération de la redevance. Quant à la Canadian Storage Media Alliance (la CSMA), qui représente les principaux fabricants et importateurs de supports vierges, elle conteste (dossier A-10-04) la conclusion de la Commission suivant laquelle la mémoire intégrée à un lecteur MP3 est assujettie à la redevance en vertu de la partie VIII et elle s'oppose à l'imposition d'une redevance plus élevée que celle qui est proposée par la CCPC. (La Loi autorise la SCPCP à déposer auprès de la Commission un projet de tarif des redevances à percevoir au profit des titulaires de droits. Après examen du projet de tarif et, le cas échéant, des oppositions, la Commission certifie le tarif qu'elle estime juste et équitable.)
Arrêt: la demande de la coalition des détaillants (dossier A-11-04) doit être rejetée; la demande de la SCPCP (dossier A-9-04) doit être rejetée; la demande de la CSMA (dossier A-10-04) doit être accueillie en partie.
A-11-04
La première question en litige est celle de savoir si la partie VIII de la Loi constitue, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur. Pour être constitutionnelles, les dispositions d'une loi fédérale doivent, de par leur caractère véritable, viser une question qui relève de la compétence du législateur fédéral. Si les dispositions empiètent sur les pouvoirs des législatures provinciales, elles doivent s'inscrire dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide. Si elles s'inscrivent dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide, les dispositions doivent être suffisamment intégrées à ce régime et être assez importantes pour en assurer l'efficacité. Envisagées sous l'angle de leur objet et de leurs effets juridiques, toutes les dispositions de la partie VIII sont étroitement liées à l'objectif visé par le législateur fédéral, en l'occurrence indemniser les titulaires de droits pour la reproduction d'oeuvres musicales pour usage privé. La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que la partie VIII de la Loi constitue, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur.
Sur la question de savoir si la partie VIII donne lieu à une taxe, la Cour suprême a, dans l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, énoncé les cinq critères qui permettent généralement de conclure à l'existence d'une taxe. Suivant les quatre indices traditionnels, un prélèvement est habituellement considéré comme une taxe s'il est exigible en vertu de la loi, imposé sous l'autorité du Parlement, perçu par un organisme public et destiné à une fin d'intérêt public. Il est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d'une taxe: il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni. La Commission a eu tort de conclure que les redevances ne servaient pas une fin d'intérêt public et qu'elles n'étaient pas perçues par un organisme public. La redevance a été créée pour une fin publique: venir en aide aux créateurs et à l'industrie de la musique en créant un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Le fait que la redevance soit versée directement aux titulaires de droits par l'entremise de la SCPCP n'est pas incompatible avec cette fin et ne transforme pas la Loi en un texte législatif dont l'objectif premier serait la défense d'intérêts privés. La redevance est perçue par un organisme public, puisque c'est la Commission, un organisme public, qui la détermine. Les quatre indices habituels permettant de conclure à l'existence d'une taxe sont donc présents. Toutefois, en ce qui concerne le dernier critère, c'est à juste titre que la Commission a estimé que la partie VIII constituait un «régime réglementaire» (par opposition à une taxe au sens constitutionnel) et que le lien nécessaire entre la redevance et ce régime avait été établi. Les indices énumérés par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank pour pouvoir conclure à l'existence d'un «régime réglementaire» étaient réunis: la partie VIII constitue un code de réglementation complet et détaillé; la redevance est manifestement calculée de manière à favoriser l'atteinte de l'objectif visé par le régime législatif, ainsi que le démontre le fait que, lorsqu'elle fixe des redevances, la Commission doit s'assurer qu'il existe une corrélation entre, d'une part, l'ampleur de la copie privée qui découle de l'utilisation de supports vierges et, d'autre part, les redevances qui sont homologuées relativement à ces supports; en mettant des supports vierges à la disposition des consommateurs, les fabricants et les importateurs de supports vierges ont favorisé la prolifération de copies par les consommateurs, créant ainsi le besoin qui a incité le législateur fédéral à adopter la partie VIII; la redevance vise un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels du fait qu'elle encourage la création en faisant en sorte que les titulaires de droits obtiennent une certaine rémunération financière pour leur création dans des circonstances où ils ne recevaient aucune rétribution auparavant. Pour les mêmes raisons, la partie VIII n'est pas inconstitutionnelle parce qu'elle serait trop vague et qu'elle ne se rattacherait pas suffisamment au droit d'auteur.
A-9-04
La Commission a jugé à bon droit que, pour établir une redevance juste et équitable, elle ne devait pas tenir compte du programme d'exonération de la redevance de la SCPCP. La conclusion de la Commission suivant laquelle elle n'a pas le pouvoir de créer des exemptions n'était pas contestée et elle s'accorde avec le principe d'interprétation des lois bien connu suivant lequel la mention d'une chose dans une loi implique l'exclusion de l'autre (si la loi assortit une règle générale d'une ou de plusieurs exceptions, on ne peut inclure dans cette loi des exceptions qui ne s'y trouvent pas). La partie VIII renferme deux exemptions: 1) aucune redevance n'est payable par le fabricant ou l'importateur lorsque le support audio vierge est exporté du Canada; 2) la vente ou toute autre forme d'aliénation d'un support audio vierge par un fabricant ou un importateur au profit d'une société, association ou personne morale qui représente les personnes ayant une déficience perceptuelle ne donne pas lieu à redevance (article 86). Le législateur fédéral a par ailleurs expressément habilité le gouverneur en conseil à exonérer certains supports. L'alinéa 87a) de la Loi prévoit que c'est le gouverneur en conseil, et non la Commission ou les organismes de perception, qui est habilité à prendre des règlements au sujet du mode de fonctionnement de l'exemption prévue à l'article 86. Compte tenu du fait que le législateur fédéral a confié au Cabinet le soin de définir la procédure à suivre pour appliquer une exemption législative, on ne saurait logiquement prétendre que le législateur envisageait que la SCPCP puisse créer et appliquer, par le biais de son programme d'exonération de la redevance, des exemptions qui ne sont pas explicitement prévues par la loi. Il faut toutefois pousser l'analyse plus loin que ce principe d'interprétation des lois. La Cour doit lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. Bien qu'il soit possible d'interpoler dans la loi le pouvoir implicite d'accorder les exemptions qui sont à la base du programme d'exonération de la redevance parce que ce programme permet d'atteindre les objectifs visés par la Loi, il faut démontrer que le législateur avait l'intention de conférer ce pouvoir. La Commission n'a pas accepté l'idée que le législateur fédéral ait pu vouloir accorder des pouvoirs aussi vastes sans en encadrer l'exercice.
Bien que l'utilité du programme d'exonération de la redevance pour la détermination de la redevance soulève une question d'interprétation des lois, la Commission a fait appel à ses connaissances fouillées en matière d'établissement de tarifs. La Cour doit faire preuve d'une certaine retenue envers cet aspect de la décision et la norme de la décision raisonnable simpliciter est la norme de contrôle appropriée. La décision de la Commission résiste à l'«examen assez poussé» auquel sont assujetties les décisions susceptibles de faire l'objet d'un contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision raisonnable et ce, même si la Commission n'était pas légalement habilitée à se prononcer sur la légalité du programme d'exonération de la redevance. En déclarant illégal le programme d'exonération de la redevance, la Commission signifiait seulement son intention de ne pas en tenir compte pour établir la redevance. La Commission peut rendre des décisions qui ont des incidences sur des droits contractuels (en l'espèce, le programme d'exonération de la redevance de la SCPCP) si sa fonction d'établissement des tarifs l'exige. La décision de la Commission n'a pas pour effet de retirer aux titulaires de droits la faculté que la common law leur reconnaît de renoncer au paiement des redevances. D'ailleurs, la Commission a bien précisé que la SCPCP pouvait choisir de ne pas percevoir les redevances qui lui sont légalement dues. La SCPCP ne peut toutefois plus s'attendre à ce que Commission l'indemnise des effets négatifs du programme sur ses revenus. La Commission n'a commis aucune erreur en jugeant que le programme d'exonération de la redevance n'était pas autorisé par la Loi et en le déclarant «illégal» parce qu'autrement, la SCPCP serait soustraite à ce régime, ce qui serait contraire à la volonté du législateur. La Cour rejette la demande de sursis de sa décision présentée par la SCPCP ainsi que la demande présentée par la coalition des détaillants en vue d'obtenir une ordonnance forçant la SCPCP à se conformer à la décision de la Commission.
A-10-04
La Commission a estimé que les enregistreurs audionumériques (lecteur MP3) sont habituellement utilisés par les consommateurs pour copier de la musique et que la mémoire intégrée à ces dispositifs répond à la définition de «support audio» et qu'elle est donc passible de la redevance. La mémoire non amovible ou intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique ne conserve pas son identité de «support audio». Il n'était pas loisible à la Commission de fixer une redevance sur ces mémoires en vertu de la partie VIII. Il ressort du raisonnement de la Commission et du tarif qu'elle a homologué que c'est l'appareil et non la mémoire qui y est intégrée qui est l'élément qui doit servir à définir la redevance. La Commission ne peut établir une redevance et déterminer les taux applicables en fonction de l'appareil tout en affirmant que la redevance s'applique à autre chose (c.-à-d. la mémoire intégrée). La partie VIII de la Loi et la définition de l'expression «support audio» ne donnaient pas ce pouvoir à la Commission. Il ressort de l'historique législatif du projet de loi C-32, qui modifiait la Loi en y insérant la partie VIII, que la définition que le législateur donne du «support audio» a comme effet d'établir une distinction d'avec l'enregistreur et les autres appareils semblables qui existaient à l'époque et dont la fonction est d'enregistrer et de faire jouer des bandes audio vierges. Les enregistreurs à bande magnétique ne répondent pas à cette définition et un enregistreur audionumérique n'est pas un support. La Commission n'a pas examiné ce que les importateurs vendaient ou aliénaient et décidé si l'objet de la vente ou de l'aliénation en question répondait à la définition, comme elle devait le faire. Si elle s'était posé cette question, elle aurait conclu que l'objet de la vente ou de l'aliénation était un enregistreur audionumérique ou un appareil, mais pas un support au sens de la Loi, de sorte qu'il ne pouvait y avoir d'obligation de payer la redevance.
La Commission a homologué un tarif plus élevé que celui qui était demandé par la SCPCP pour les mémoires intégrées. Le principe interdisant de statuer ultra petita signifie en règle générale que le tribunal ne doit pas accorder plus qu'il n'a été demandé par les parties. Toutefois, le législateur est libre de soustraire les tribunaux administratifs aux contraintes du principe interdisant de statuer ultra petita, et c'est souvent le cas, étant donné que les tribunaux administratifs sont le plus souvent créés pour promouvoir des intérêts qui peuvent aller au-delà des intérêts immédiats des parties qui comparaissent devant eux. En l'espèce, les paragraphes 83(8) et (9) de la Loi montrent qu'une fois saisie du projet de tarif, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire de fixer un tarif «juste et équitable» et d'établir «à son appréciation, les modalités afférentes [aux redevances] . Le principe interdisant de statuer ultra petita n'empêchait pas la Commission de s'écarter comme elle l'a fait du projet de tarif. La Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a déclaré que l'augmentation qu'elle accordait ne causerait aucune injustice.
lois et règlements cités
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 468.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 53, 54, 91(23), 125. |
Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20, art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301), 61. |
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 79 (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 50; 2001, ch. 27, art. 240), 80 (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 50), 81 (édicté, idem), 82 (édicté, idem), 83 (édicté, idem), 84 (édicté, idem), 85 (édicté, idem; 2001, ch. 27, art. 240), 86 (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 50), 87 (édicté, idem), 88 (édicté, idem). |
Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32. |
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494; (2000), 185 D.L.R. (4th) 439; [2000] 5 W.W.R. 1; 74 B.C.L.R. (3d) 1; 134 B.C.A.C. 207; 252 N.R. 290; 2000 CSC 21, Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; (1999), 176 D.L.R. (4th) 276; [1999] 9 W.W.R. 517; 67 B.C.L.R. (3d) 1; 129 B.C.A.C. 1; [1999] 4 C.N.L.R. 277; 246 N.R. 201; Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; [1931] 2 D.L.R. 193; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; (1998), 40 O.R. (3d) 160; 165 D.L.R. (4th) 1; [2000] 1 C.T.C. 284; 23 E.T.R. (2d) 1; 231 N.R. 55; 114 O.A.C. 55; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; (1990), 72 D.L.R. (4th) 97; 31 C.P.R. (3d) 394; 111 N.R. 376; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2002] 4 C.F. 3; (2002), 215 D.L.R. (4th) 118; 19 C.P.R. (4th) 289; 290 N.R. 131;2002 CAF 166.
décisions examinées:
Copie privée 1999-2000, [1999] D.C.D.A. no 8 (QL); Copie pour usage privé 2001-2002, [2000] D.C.D.A. no 16 (QL); Australian Tape Manufacturers Association Ltd. and Others v. Commonwealth of Australia (1993), 176 C.L.R. 480 (H.C.A.); Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336; (2002), 210 D.L.R. (4th) 385; 23 D.L.R. (3d) 1; 17 C.P.R. (4th) 161; 285 N.R. 267; 2002 CSC 34; Réseau de télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 115; (1993), 99 D.L.R. (4th) 216; 46 C.P.R. (3d) 343; 149 N.R. 363 (C.A.); Trans Mountain Pipe Line Co. Ltd. c. Office national de l'Énergie, [1979] 2 C.F. 118; (1979), 22 N.R. 44 (C.A.); Posen c. Le ministre de la Consommation et des Corporations du Canada, [1980] 2 C.F. 259; (1979), 46 C.P.R. (2d) 63; 36 N.R. 572 (C.A.); FWS Joint Sports Claimants c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1992] 1 C.F. 487; (1991), 81 D.L.R. (4th) 412; 36 C.P.R. (3d) 483; 129 N.R. 289; 4 T.C.T. 6192 (C.A.).
décisions citées:
General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; (1989), 58 D.L.R. (4th) 255; 24 C.P.R. (3d) 417; 93 N.R. 326; 32 O.A.C. 332; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; (2002), 212 D.L.R. (4th) 1; [2002] 5 W.W.R. 1; 166 B.C.A.C. 1; 100 B.C.L.R. (3d) 1; 18 C.P.R. (4th) 289; 93 C.R.R. (2d) 189; 287 N.R. 248; 2002 CSC 42; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; (1997), 193 A.R. 321; 143 D.L.R. (4th) 385; [1997] 2 W.W.R. 457; 46 Alta. L.R. (3d) 87; 44 C.B.R. (3d) 1; 8 C.P.C. (4th) 5089; 97 DTC 5089; 12 P.P.S.A.C. (2d) 68; 208 N.R. 161; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; (1997), 151 D.L.R. (4th) 32; 118 C.C.C. (3d) 97; 24 C.E.L.R. (N.S.) 167; 9 C.R. (5th) 157; 217 N.R. 241; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; (1995), 127 D.L.R. (4th) 193; [1995] 2 C.T.C. 369; 95 DTC 5551; 186 N.R. 243; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; (2003), 232 D.L.R. (4th) 385; 17 C.R. (6th) 276; 311 N.R. 201; 179 O.A.C. 291; Johnston v. Buckland, [1937] R.C.S. 86; [1937] 2 D.L.R. 433; Corporation Agencies Ltd. v. Home Bank of Canada, [1925] R.C.S. 706; [1925] 4 D.L.R. 585; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627; (1995), 124 D.L.R. (4th) 449; 29 C.R.R. (2d) 1; [1995] 1 C.T.C. 382; 95 DTC 5273; 182 N.R. 1; 12 R.F.L. (4th) 1.
doctrine citée
Black's Law Dictionary, 7th ed. St. Paul, Minn.: West Group, 1999.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent du patrimoine canadien. Procès-verbaux. Rencontre no 24, 9 octobre 1996.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent du patrimoine canadien. Procès-verbaux. Rencontre no 27, 22 octobre 1996.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent du patrimoine canadien. Procès-verbaux. Rencontre no 36, 6 novembre 1996.
Canada. Chambre des communes. Deuxième rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, décembre 1996.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.
DEMANDES de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission du droit d'auteur du Canada (Copie pour usage privé (Re), [2003] D.C.D.A. no 7 (QL)) a établi les redevances sur la copie pour usage privé à percevoir par la Société canadienne de perception de la copie privée pour 2003 et 2004 et, ce faisant, a conclu que la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur constitue, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur, qu'il s'agit d'un régime réglementaire et non d'une taxe (A-11-04); que le programme d'exonération de la taxe n'est pas autorisé par la Loi et qu'il ne faut pas en tenir compte pour fixer la redevance (A-9-04); que la mémoire non amovible ou intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique conserve son identité de «support audio» et qu'elle est passible de la redevance prévue à la partie VIII à ce titre et, finalement, a assujetti cette mémoire intégrée à une redevance supérieure à celle que réclamait la SCPCP (A-10-04). Demande (A-11-04) rejetée; Demande (A-9-04) rejetée; Demande (A-10-04) accueillie en partie.
ont comparu:
David R. Collier pour la Société canadienne de perception de la copie privée.
J. Aidan O'Neill pour la Société Radio-Canada.
Howard P. Knopf et John S. Macera pour le Conseil canadien du commerce de détail.
Randall J. Hofley et Nicholas McHaffie pour la Canadian Storage Media Alliance.
Mario Bouchard pour la Commission du droit d'auteur du Canada.
avocats inscrits au dossier:
Ogilvy Renault, Montréal, pour la Société canadienne de perception de la copie privée.
Johnston & Buchan LLP, Ottawa, pour la Société Radio-Canada.
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour le Conseil canadien du commerce de détail.
Stikeman Elliott, s.r.l., Ottawa, pour la Canadian Storage Media Alliance.
Commission du droit d'auteur du Canada pour la Commission du droit d'auteur du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Noël, J.C.A.: La Cour est saisie de trois demandes de contrôle judiciaire d'une décision [Copie pour usage privé (Re), [2003] D.C.D.A. no 7 (QL), ci-après appelé Copie privée III], par laquelle la Commission du droit d'auteur du Canada (la Commission) a établi les redevances sur la copie pour usage privé à percevoir par la Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP) pour les années 2003 et 2004. Les demandes ont été réunies et instruites conjointement sur ordonnance de la Cour.
Contexte
[2]La Commission est un tribunal administratif constitué sous le régime de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi). Elle est notamment chargée de fixer les redevances et les modalités afférentes relatives à la copie pour usage privé d'oeuvres musicales, de prestations d'oeuvres musicales et d'enregistrements sonores (musique enregistrée) sur supports audio vierges vendus ou autrement aliénés au Canada.
[3]La partie VIII [articles 79 à 88 (édictés par L.C. 1997, ch. 24, art. 50; 2001, ch. 27, art. 240)] de la Loi a pour effet de légaliser la copie pour usage privé d'enregistr ements sonores d'oeuvres musicales sur des supports vierges, prévoyant ainsi une exception au droit de reproduction exclusif des auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles (les titulaires de droits). Elle indemnise par ailleurs les titulaires de droits de la perte d'exclusivité qu'ils subissent ainsi en imposant une redevance sur les supports utilisés pour enregistrer de la musique. Pour faciliter la consultation, le texte intégral de la partie VIII est reproduit à l'annexe 1 des présents motif s.
[4]Depuis l'entrée en vigueur de la partie VIII en mars 1998, la Commission a homologué trois tarifs de redevances pour la copie privée, ainsi qu'un tarif provisoire. En 1999, la Commission a publié sa première décision sur le tarif des r edevances pour la copie privée [Copie privée 1999-2000, [1999] D.C.D.A. no 8 (QL)] (Copie privée I) et sa deuxième, en 2001 [Copie privée 2001-2002, [2000] D.C.D.A. no 16 (QL)] (Copie privée II). En 2002, la Commission a, sur demande, reconsidéré sa deuxième décision au motif que le marché des supports audio vierges connaissait une évolution rapide et elle a modifié le tarif en conséquence. Les présentes demandes visent la plus récente décision sur la copie privée, qui a été rendue le 12 décembre 2003 (Copie privée III).
[5]La SCPCP est l'«organisme de perception» désigné par la Commission en vertu de la Loi pour percevoir les redevances et pour les répartir entre les titulaires de droits. Les fabricants et les importateurs de supports vierges vendus au Canada doivent payer des redevances à la SCPCP. L'organisme de perception est chargé de répartir les redevances entre les sociétés de gestion qui représentent les catégories susmentionnées de titulaires de droits dans les proportions établies pa r la Commission.
[6]Bien que les fabricants et les importateurs soient tenus de payer la redevance prévue par la Loi, ils n'en assument pas nécessairement le coût. Normalement, les fabricants et les importateurs incluent le montant de la redevance dans le prix de vente exigé de l'acheteur, de sorte que c'est habituellement le consommateur qui assume le coût de la redevance.
[7]La Loi autorise la SCPCP à déposer auprès de la Commission un projet de tarif des redevances à percevoir au profit des titulaires de droits. Après examen du projet de tarif et, le cas échéant, des oppositions, la Commission certifie le tarif qu'elle estime juste et équitable.
[8]Dans son projet de tarif pour 2003-2004, la SCPCP a demandé que des redevances soient désormais exigées pour divers types de nouveaux supports audio servant à copier de la musique tels que les «disques numériques polyvalents» enregistrable s ou réinscriptibles (DVD), les cartes de mémoire électronique amovibles et les mémoires non amovibles intégrées en permanence à un «enregistreur audionumérique», expression que la Commission a employée pour désigner les lecteurs MP3 et autres appareils an alogues.
[9]Dans la décision à l'examen, la Commission a maintenu le statu quo sur les taux de redevances applicables aux cassettes audio, aux MiniDiscs, aux disques compacts enregistrables (CD-R), aux disques compacts réinscriptibles (CD-RW ), aux disques compacts audio enregistrables (CD-R audio) et aux disques compacts audio réinscriptibles (CD-RW audio). Elle a jugé que les DVD enregistrables ou réinscriptibles et les cartes de mémoire électronique amovibles ne devaient pas être assujettis à la redevance sur la copie privée. Elle a toutefois estimé que la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique était assujettie à la redevance.
[10]Les taux de redevances homologués par la Commission étaient inférieurs à ceux que réclamait la SCPCP, sauf dans le cas de la redevance de 2 $ fixée par la Commission pour les enregistreurs audionumériques. La SCPCP souhaitait une redevance de 2,1 cents par mégaoctet pour les lecteurs MP3 ayant une capacité de stockage inférie ure à un gigaoctet (1 Go), ce qui se serait traduit par des redevances de 67 ¢ et de 1,34 $ respectivement.
[11]En plus de fixer les redevances sur la copie privée pour 2003 et 2004, la Commission a déclaré que ce qu'il était convenu d'appel er le «programme d'exonération de la redevance» administré par la SCPCP était sans fondement juridique. Le programme d'exonération de la redevance est un régime administré par la SCPCP depuis 1999 qui a pour effet de dispenser certains groupes d'acheteurs du paiement des redevances autorisées par la Commission.
[12]La Commission a également confirmé la constitutionnalité de la partie VIII de la Loi en déclarant qu'il s'agissait de dispositions législatives fédérales sur le droit d'auteur qui imposent une redevance de nature réglementaire et non une taxe.
Les parties
[13]La SCPCP est une société sans capital-actions et sans but lucratif constituée sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes [S.R.C. 1970, ch. C-32]. Ses membres sont les sociétés de gestion qui exercent le droit à rémunération en matière de copie privée pour le compte des titulaires de droits. Comme nous l'avons déjà signalé, la SCPCP est l'organisme de perception désigné par la Commis sion en vertu de la Loi.
[14]La SCPCP conteste la décision de la Commission dans la mesure où celle-ci a déclaré illégal le programme d'exonération de la redevance. La Société Radio-Canada, en qualité d'intervenante, se rallie à la thèse de la SCPCP à cet égard et ajoute qu'elle devrait avoir le droit, en vertu de ce programme, de continuer à acheter des supports vierges sans être tenue de verser des redevances. La SCPCP appuie la décision que la Commission a rendue en réponse aux deux autres demandes.
[15]Les «détaillants», pour reprendre l'expression employée par la Commission dans sa décision, sont composés d'une coalition de vendeurs au détail de supports vierges représentés par la «coalition des détaillants», qui affirment vendre environ 75 pour 100 des supports vierges au Canada. Les détaillants contestent la partie de sa décision dans laquelle la Commission a confirmé la constitutionnalité de la partie VIII, mais ils appuient sa conclusion que le programme d'exonération de la redevance est illégal. Contrairement aux deux autres principaux participants, les détaillants ne sont pas intervenus dans les instances ayant donné lieu aux décisions Copie privée I et Copie privée II.
[16]La Canadian Storage Media Alliance (la CSMA) représente les principaux fabricants et importateurs de supports vierges. La CSMA appuie la décision de la Commission en ce qui concerne le programme d'exonération de la redevance. Elle conteste toutefois la conclusion de la Commission suivan t laquelle la mémoire intégrée à un lecteur MP3 est assujettie à la redevance en vertu de la partie VIII et elle s'oppose à l'imposition d'une redevance plus élevée que celle qui est proposée par la SCPCP. La Commission a été autorisée à intervenir sur ce dernier point. La participation des détaillants à la présente instance se résume essentiellement à une adhésion inconditionnelle à la thèse de la CSMA.
Ordre d'examen des questions en litige
[17]La Cour abordera d'abord la question plus générale que soulève la contestation par les détaillants de la constitutionnalité de la partie VIII (dossier A-11-04). Elle examinera ensuite les moyens invoqués par la SCPCP pour confirmer la validité du programme d'exonération de la redevance (dossier A-9-0 4), pour ensuite se pencher sur les questions plus précises soulevées par la CSMA dans le dossier A-10-04 quant à la question de savoir si la partie VIII s'applique à la mémoire intégrée à un lecteur MP3 et celle de savoir si le taux fixé par la Commission à cet égard porte atteinte au principe interdisant de statuer ultra petita ou s'il est par ailleurs injuste.
Dossier A-11-04--La question de la constitutionnalité
[18]Suivant les détaillants, la partie VIII de la Loi ne consti tue pas, de par son caractère véritable, un texte législatif portant sur le droit d'auteur. À titre subsidiaire, les détaillants soutiennent que le régime de redevances établi par la partie VIII crée une taxe et qu'il est, de ce fait, inconstitutionnel par application de l'article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 , 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (la Loi constitutionnelle de 1867).
[19]L'article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose en effet que «[t]out bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des communes». Or, il est acquis aux débats que, bien que la partie VIII ait été présentée à la Chambre des communes, elle n'était pas considérée comme une mesure introduisant une taxe ou un impôt et elle n'a pas été prés entée par le biais d'une motion de voies et moyens (voir l'article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 , qui exige que ce qu'on est convenu d'appeler les «projets de loi de finances» soient précédés d'un «message du gouverneur général» recommandant leur adoption).
[20]Finalement, les détaillants font valoir que, si le régime de redevances ne crée pas de taxe, le législateur fédéral n'était pas compétent pour l'adopter parce qu'il est extrêmement vague et général et qu'il ne se rattache pas suffisamment au droit d'auteur ou à toute autre question ressortissant à la compétence fédérale.
Décision de la Commission
[21]La Commission a posé deux questions au sujet de la constitutionnalité des redevances: la partie VIII constitue-t- elle, de par sa nature véritable, un texte de loi sur le droit d'auteur et, dans l'affirmative, la redevance sur la copie privée constitue-t-elle une taxe au sens constitutionnel?
[22]En ce qui concerne cette dernière question, la Commission a cité ses propres motifs dans la décision Copie privée I, dans laquelle elle déclarait ce qui suit (à la page 17):
La redevance pour la copie privée n'est pas une taxe, mais une charge obligatoire imposée conformément à un régime de réglementation lié d irectement au droit d'auteur. Elle vise à assurer un paiement, sous forme de redevance, à titre de rémunération à l'égard de la reproduction d'oeuvres protégées par le droit d'auteur par suite de la légalisation de la copie privée d'oeuvres musicales enregis trées.
[23]Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a retenu la démarche proposée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134. Après avoir a ppliqué les cinq indices formulés par la Cour suprême dans cet arrêt, la Commission a conclu que la redevance n'était pas une taxe mais bien un prélèvement de nature réglementaire.
[24]Dans Copie privée III, la Commission a repris le raisonnement qu'elle avait suivi dans Copie privée I en réponse à la contestation constitutionnelle qui avait été formulée dans cette première affaire. La Commission a expliqué que les détaillants n'avaient présenté depuis aucun argument de poids qui aurait été d e nature à l'amener à changer de point de vue sur la question.
[25]La Commission a ajouté qu'il fallait aussi aborder la question de la terminologie. Elle a écarté l'argument des détaillants suivant lequel la seule acception commune au mot a nglais «levy» et au terme français «redevance» était la notion de taxe. La Commission a expliqué que cet argument mettait trop l'accent sur de simples étiquettes. La Commission a estimé qu'il valait mieux se demander si le régime constituait, de par sa con ception ou sur le plan pratique, une taxe ou une sorte de prélèvement de nature réglementaire.
[26]La Commission a par ailleurs précisé qu'elle continuait à croire (comme dans Copie privée I) que la redevance n'était pas imposée par une inst itution publique, puisque la Commission ne peut ni mettre en marche le processus d'établissement du tarif ni percevoir aucun montant dû. Finalement, la Commission a conclu que, bien que la Loi ait été édictée du moins en partie pour le bénéfice du public c anadien, il était faux de prétendre pour autant que les redevances servaient une fin d'intérêt public.
[27]En ce qui concerne la première question constitutionnelle (c.-à -d. celle de savoir si la partie VIII constitue un texte de loi portant sur le droit d'auteur), la Commission a réitéré l'avis qu'elle avait formulé dans Copie privée I et suivant lequel la partie VIII est, de par sa nature véritable, un texte de loi portant sur le droit d'auteur.
[28]Pour détermi ner la nature véritable de la partie VIII, il faut examiner deux aspects des dispositions législatives en cause: leur objet et leurs conséquences juridiques. La partie VIII a été édictée pour résoudre le problème de l'incapacité pratique des titulaires de droits de faire respecter leur droit de reproduction dans un contexte de violation généralisée de ce droit imputable à l'accès de plus en plus facile aux supports vierges. Voilà, selon la Commission, l'«injustice» que la partie VIII cherchait à corriger.
[29]Les effets du régime législatif se rattachent à l'injustice en question. Les consommateurs qui s'adonnent à la copie privée le font désormais en toute légalité et les titulaires de droits touchent une rémunération. La Commission a poursui vi en concluant que la partie VIII constitue un exercice légitime par le législateur fédéral de sa compétence en matière de droit d'auteur.
Analyse
[30]Les questions à trancher sont les suivantes:
1. La Commission a-t-elle eu raison de juger que la redevance sur la copie privée constitue un prélèvement de nature réglementaire régulièrement adopté et non une taxe au sens constitutionnel?
2. La Commission a-t-elle eu raison de déclarer constitutionnelle la partie VIII de la Loi au motif que, de par son caractère véritable, elle relève du pouvoir législatif exclusif du législateur fédéral sur «les droits d'auteur»?
[31]Comme il s'agit de questions de droit constitutionnel, c'est la norme du bien-fondé (ou no rme de la décision correcte) qui s'applique pour évaluer la décision de la Commission.
La question du caractère véritable
[32]On peut régler assez rapidement l'argument que la partie VIII de la Loi ne constitue pas, de par son caractère vér itable, un texte de loi sur le droit d'auteur. L'élément essentiel de la compétence sur le droit d'auteur que la catégorie 23 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère expressément au législateur fédéral consiste en la création d'un cadre juridique permettant aux titulaires de droits de toucher une rémunération pour la reproduction, par des tiers, d'enregistrements sonores d'oeuvres musicales. C'est précisément l'objectif visé par la partie VIII. Elle légalise la copie pour usage privé fait e par une catégorie déterminée de consommateurs en accordant une rémunération aux titulaires de droits pour l'expropriation de leurs droits exclusifs.
[33]Pour être constitutionnel, un texte législatif fédéral doit, de par sa nature même ou de par son objet principal--ce qu'on appelle son caractère véritable--, porter sur une question qui relève, aux termes de la Constitution, de la compétence exclusive du législateur fédéral. La loi fédérale qui répond à ce critère sera jugée constitutionnelle , même si elle touche de façon accessoire des questions qui ne relèvent pas de la compétence constitutionnelle du législateur fédéral (le plus souvent sur la propriété et les droits civils dans la province).
[34]La Cour suprême a précisé le sens de la théorie du caractère véritable qui est utilisée pour déterminer si les dispositions d'une loi fédérale sont constitutionnelles (voir l'arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing , [1989] 1 R.C.S. 641, appliqué dans l'arrêt Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission) , [2000] 1 R.C.S. 494). L'analyse comporte trois questions essentielles:
1. De par leur caractère véritable, les dispositions législatives en cause visent-elles une question qui relève de la compétence du législateur fédéral?
2. Si les dispositions empiètent sur les pouvoirs des législatures provinciales, s'inscrivent-elle dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide?
3. Si elles s'inscrivent dans le cadre d'un régime législatif fédéral valide, les dispositions sont-elle suffisamment intégrées à ce régime et à quel point sont-elles importantes pour en assurer l'efficacité?
[35]Les détaillants ne trouvent rien à redire à la démarche juridique retenue par l a Commission pour en arriver à sa conclusion que la partie VIII est, de par son caractère véritable, un texte législatif sur le droit d'auteur. Ils reprennent plutôt leur argument que le régime de redevances ne repose pas sur «de solides principes en matière de droit d'auteur» et qu'il ne relève donc pas du droit d'auteur.
[36]Leur thèse est essentiellement la suivante. Bien que la partie VIII légalise la copie privée et prévoie un moyen pratique de verser une rémunération aux titulaires de d roits, le prix à payer pour y parvenir est assumé en partie par des personnes qui ne s'adonnent pas à la copie privée.
[37]La Commission a reconnu cet état de fait dans ses motifs. Mais la théorie du caractère véritable exige que, envisagé s ous l'angle de son objet et de ses effets juridiques, chaque aspect du régime soit étroitement lié à l'objectif visé par le législateur fédéral, en l'occurrence indemniser les titulaires de droits pour la reproduction d'oeuvres musicales pour usage privé. À mon avis, toutes les dispositions de la partie VIII se rattachent effectivement à cet objectif.
[38]Les détaillants ne sont pas en mesure de citer de dispositions de la partie VIII qui soient étrangères à cet objectif. Je ne décèle aucune e rreur dans la conclusion de la Commission suivant laquelle la partie VIII constitue, de par son caractère véritable, un texte de loi portant sur le droit d'auteur.
Taxe ou prélèvement de nature réglementaire?
[39]Il faut entamer cette analyse par les cinq critères énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank . La présence de ces cinq éléments permet en règle générale de conclure à l'existence d'une taxe. Les quatre premiers critères correspondent aux caractéris tiques habituelles d'une taxe qui ont été précisées par la Cour suprême il y a plus de 70 ans dans l'arrêt Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction , [1931] R.C.S. 357. La Cour signalait dans cet arrêt (aux pages 362 et 363), qu'un prélèvement est habituellement considéré comme une taxe s'il est: 1) exigible en vertu de la loi; 2) imposé sous l'autorité du Parlement; 3) perçu par un organisme public; (4) destiné à une fin d'intérêt public. Encore de nos jours, il est difficile de co nclure à l'existence d'une taxe si ces quatre indices essentiels ne sont pas réunis.
[40]Le cinquième critère est le fruit d'une série de décisions qui ont conduit à l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Succession Eurig (Re) , [1998] 2 R.C.S. 565. Dans cet arrêt, le juge Major, qui écrivait au nom des juges majoritaires, fait remarquer ce qui suit (au paragraphe 21): «[i]l est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d'une taxe: il doit y avoir un rapport en tre la somme exigée et le coût du service fourni». Dans l'arrêt Westbank , la Cour suprême a précisé que ce «rapport» constituait «un autre élément possible» pouvant aider à faire la distinction entre les taxes et les frais d'utilisation (au paragraphe 22). La Cour a expliqué que les frais d'utilisation sont «un sous-ensemble des "redevances de nature réglementaire"» (idem ).
[41]Ce dernier critère est différent des quatre premiers sur le plan conceptuel, car il s'explique par le régime constit utionnel propre au Canada. Voici ce que dit le juge Gonthier, au nom d'une Cour suprême unanime, dans l'arrêt Westbank , au sujet de cet indice (paragraphe 2):
Notre Cour a examiné à de nombreuses reprises et dans plusieurs contextes la façon de qualifier un prélèvement gouvernemental. Cette qualification est pertinente dans l'examen de la constitutionnalité d'un prélèvement provincial qui présente des aspects de taxation indirecte puisque, s'il s'agit d'une redevance de nature réglementaire ou d'une compos ante d'un régime de réglementation, les provinces ont compétence en vertu de la Constitution pour l'imposer. Elle est également pertinente pour l'examen de l'art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 parce que, si le prélèvement est une taxe, il doit alo rs être imposé par le législateur. Et, comme je le mentionne plus loin, si le prélèvement est qualifié de taxe, il est inapplicable en vertu de la Constitution à l'autre palier de gouvernement.
[42]Après avoir posé le principe constitutionnel à la base de l'article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 (qui a pour effet d'interdire la taxation inter-gouvernementale entre les provinces et le Canada), le juge précise ce qui suit, au début de son analyse (paragraphe 15):
Ce sont des valeurs constitutionnelles [à la base de l'article 125] qui fondent la distinction constitutionnelle entre les «taxes» et les «redevances de nature réglementaire», et qui expliquent pourquoi l'art. 125 s'applique aux premières mais pas au x secondes.
[43]Il a poursuivi en expliquant ces valeurs ainsi que le cadre directeur dans lequel elles s'inscrivaient [aux paragraphes 17 et 19]:
Cet article [l'article 125] est un des moyens prévus par la Constitution pour assurer le bon fonctionnement du système fédéral canadien. Il donne à chaque palier de gouvernement suffisamment d'espace opérationnel pour gouverner sans intervention externe. Il est fondé sur l'idée que l'imposition d'une taxe à un palier de gouvernement peut nuire co nsidérablement à la capacité de ce gouvernement d'exercer les fonctions que la Constitution lui confère. Dans M'Culloch c. Maryland, 17 U.S. (4 Wheat.) 316 (1819), à la p. 431, le juge en chef Marshall a expliqué ainsi cette notion:
[traduction] Que le pouvoir de taxer comporte le pouvoir de détruire; que le pouvoir de détruire peut enrayer et annihiler le pouvoir de créer; qu'il y a une répugnance manifeste à conférer à un gouvernement un pouvoir de contrôle sur les mesures constitutionnelles d'un autre , cet autre qui, relativement à ces mesures mêmes, est déclaré suprême par rapport à celui qui exerce le contrôle; il s'agit de propositions qu'on ne peut écarter. |
Dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, à la p. 1056, notre Cour, à la majorité, fait allusion à cet énoncé, et explique, à la p. 1065, que «l'art. 125 a manifestement pour objet d'empêcher un palier de gouvernement d'empiéter, par voie de taxation, sur les biens d'un autre palier de gouvernement».
[. . .]
Bien que la première valeur constitutionnelle soutenue par l'art. 125 soit le fédéralisme, cet article favorise aussi, de façon secondaire, la valeur constitutionnelle que constitue la démocratie. Notre Cour a expliqué récemment dans l'arrêt Succession Eurig (Re) , [1998] 2 R.C.S. 565, au par. 30, que la Constitution canadienne (par l'application de l'art. 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 ) exige qu'il n'y ait aucune taxation sans représentation. En d'autres termes, les personnes assujettie s à la taxation dans une démocratie ont droit à ce que leurs représentants élus débattent des questions de savoir si cet argent devrait être prélevé et comment il devrait être dépensé. La taxation entre gouvernements est interdite en partie parce qu'il ne devrait pas être permis à un groupe de représentants élus de décider comment devraient être dépensées des taxes qu'un autre groupe de représentants élus a prélevées dans le cadre de son autorité. Par ailleurs, les gouvernements ne sont pas exonérés du paie ment de frais d'utilisation, comme la taxe d'eau, en partie parce que le gouvernement peut choisir d'utiliser le service ou non, et parce que le montant prélevé est dépensé uniquement pour fournir ce service: Attorney General of Canada c. City of Toronto (1892), 23 R.C.S. 514; Attorney-General of Canada c. Registrar of Titles, [1934] 4 D.L.R. 764 (C.A.C.-B.), aux pp. 771 et 772. En ce sens, les frais d'utilisation ressemblent plutôt à un prix exigé pour des produits commercialisables qu'à une forme de taxat ion.
[44]La Cour a ensuite examiné la question de la distinction constitutionnelle entre les «taxes» et les «redevances de nature réglementaire». Après avoir cité les quatre indices habituels, le juge Gonthier déclare ce qui suit [aux paragr aphes 22 et 23]:
Ces indicateurs d'une «taxation» ont récemment été adoptés par notre Cour dans Succession Eurig , précité, au par. 15. Le juge Major, pour la majorité de la Cour, a ajouté un autre élément possible pour qualifier un prélèvem ent gouvernemental, disant au par. 21 qu'«[i]l est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d'une taxe: il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni». Il s'agit d'une précision utile, car elle aide à faire la distinction entre les taxes et les frais d'utilisation qui sont un sous-ensemble des «redevances de nature réglementaire».
On fait une distinction entre la simple «taxation» et la «réglementation», ou ce qui a été décrit comme des «redevances de nature réglementaire»: P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, à la p. 30-28; J. E. Magnet, Constitutional Law of Canada (7e éd. 1998), vol. 1, à la p. 481; G. V. La Forest, The Allocation of Taxing Power Under the Canadian Constitution (2e éd. 1981). La distinction entre, d'une part, les taxes et, d'autre part, les redevances de nature réglementaire, a été mise en évidence par une majorité de notre Cour dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, aux pp. 1055, 1070, 1072 et 1075. Dans cette affaire, les juges majoritaires ont expliqué, à la p. 1070, qu'il fallait faire une distinction entre une taxe et une «taxe [imposée] essentiellement à des fins de réglementation ou [. . .] indissociable d'une réglementation plus générale».
[45]Après avoir affirmé que les frais d'utilisation ne peuvent être considérés comme une «taxation» au sens où l'entend la Constitution, le juge Gonthier poursuit en expliquant les raisons pour lesquelles il en va de même pour les redevances de nature réglementaire [aux paragraphes 32 et 33]:
L'article 125 ne s'applique pas non plus à d'autres types de redevances de nature réglementaire décrites précédemment. Lorsque le prélèvement lui-même est le mécanisme qui favorise l'objet de la réglementation, telle une redevance qui encourage ou décourage certains types de comportement, ou lorsque le prélèvement «accessoire ou rattaché à un régime de réglementation» peut être utilisé pour couvrir les coûts de ce régime, il sera alors généralement applicable à l'autre palier de gouvernement. Les juges majoritaires de notre Cour s'en expliquent dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précité, à la p. 1070:
Si elle a comme objet principal de produire des revenus à des fins fédérales générales, alors elle relève du par. 91(3) et la restriction de l'art. 125 s'applique. Si, par contre, le gouvernement fédéral établit une taxe essentiellement à des fins de réglementation ou si cette taxe est indissociable d'u ne réglementation plus générale, comme c'est le cas des «contributions d'ajustement» dont il est question dans le Renvoi relatif à la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7 et autres, [1978] 2 R.C.S. 1198, ou des primes d'assurance-chômage dans l'affaire Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario , [1937] A.C. 355, il ne s'agit pas véritablement de «taxation» et l'art. 125 ne s'applique pas. |
En protégeant chaque palier de gouvernement contre la taxation, mais pas contre les autres types de redevances de nature réglementaire, la Constitution leur confère un certain espace opérationnel d'une manière qui favorise le mieux les objectifs du fédéralisme sou ple au Canada. C'est en fonction de ces notions que j'examine maintenant le prélèvement gouvernemental en cause.
[46]Ce cinquième indice a donc pour effet d'apporter à l'analyse une nuance qui est d'une nature différente de celles qui s'appl iquent aux quatre autres indices. Au Canada, une redevance qui présente les caractéristiques d'une taxe peut néanmoins s'avérer être autre chose qu'une taxe, si l'on peut démontrer qu'elle se rattache à ce point à un régime réglementaire que le fait de la considérer comme une taxe priverait de son efficacité le fédéralisme, lequel constitue la principale valeur constitutionnelle à la base de l'article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 .
[47]Dans ce contexte, la décision rendue par la Hau te Cour de l'Australie dans l'affaire Australian Tape Manufacturers Association Ltd. and Others v. Commonwealth of Australia (1993), 176 C.L.R. 480, sur laquelle les détaillants tablent si fortement, est de peu d'utilité pour répondre à la question de savo ir si la redevance constitue une taxe ou un prélèvement de nature réglementaire.
[48]Dans cette décision, la Haute Cour de l'Australie, qui était appelée à se prononcer sur un texte législatif structuré de façon semblable à celui qui nous intéresse en l'espèce, a jugé que la redevance était une taxe. Elle a tiré cette conclusion après avoir estimé que les quatre indices classiques que j'ai évoqués étaient présents. Elle n'a pas abordé le cinquième critère, car la Constitutio n de l'Australie n'exige pas de faire la distinction qu'il faut établir au Canada entre une taxe et un prélèvement de nature réglementaire.
[49]Les détaillants se fondent sur le raisonnement de la Haute Cour de l'Australie pour soutenir que la Commission a commis une erreur en déclarant que deux des quatre indices habituels d'une taxe n'étaient pas présents. Plus précisément, les détaillants s'inscrivent en faux contre la conclusion de la Commission suivant laquelle la redevance ne vise pas u ne fin d'intérêt public et n'est pas prélevée par un organisme public.
[50]Pour en arriver à cette dernière conclusion, la Commission a expliqué que ce n'est pas elle qui impose la redevance, étant donné qu'elle ne peut ni mettre en branle l e processus d'établissement du tarif ni percevoir les montants dus. La redevance est plutôt imposée par la SCPCP, un organisme qui est voué à la protection des intérêts privés des titulaires de droits et qui, par définition, ne constitue pas une institutio n publique. La Commission a également déclaré que, bien que la Loi ait été édictée pour le bénéfice du public canadien, il était faux de prétendre que les redevances servent une fin d'intérêt public. En tirant ces conclusions, la Commission se concentrait sur l'objet immédiat des redevances, en l'occurrence indemniser les titulaires de droits des pertes de revenus imputables à la copie privée.
[51]La conclusion tirée par la Commission sur l'un ou l'autre de ces indices se justifie difficileme nt. Il semble acquis que la redevance a été créée dans le but de venir en aide aux créateurs et à l'industrie de la musique en créant un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Ainsi que le juge Binnie l'a déclaré dans l'arrêt Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, au paragraphe 30:
La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d'une part, la promotion, dans l'intérêt du public, de la création et de la diffusion des oeuvre s artistiques et intellectuelles et, d'autre part, l'obtention d'une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l'assurance que personne d'autre que le créateur ne pourra s'approprier les bénéfices qui pourraient être générés).
La partie VIII de la Loi répond à ces critères. La redevance est perçue pour une fin publique. Le fait que la redevance soit versée directement aux titulaires de droits par l'entremise de la SCPCP n'est pas incompatible avec cette fin et ne transforme pas la Loi en un texte législatif dont l'objectif premier serait la défense d'intérêts privés.
[52]La conclusion que la redevance n'est pas perçue par un organisme public pose aussi problème. Aux termes de l'article 83 de la Loi, la Commission est l'organism e chargé de déterminer les redevances, de décider des supports auxquels elles seront appliquées et de fixer le montant de ces redevances. En vertu de l'alinéa 83(8)c ), la Commission se voit conférer le pouvoir d'établir les redevances ainsi que les modalités y afférentes. C'est la SCPCP qui met en branle le processus et qui perçoit les redevances, mais c'est la Commission qui établit les redevances. Les redevances sont donc imposées par un organisme public.
[53]Je suis par conséquent d'avis q ue les quatre indices habituels permettant de conclure à l'existence d'une taxe sont présents en l'espèce. Il nous reste donc à nous demander si le dernier critère posé par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank est rempli, c'est-à -dire à nous demander si l a redevance peut à juste titre être considérée comme une taxe ou s'il convient mieux de la qualifier de prélèvement de nature réglementaire.
[54]Suivant l'arrêt Westbank , pour répondre à cette question, il faut d'abord déterminer s'il existe un lien entre la redevance et le régime réglementaire. Dans l'affirmative, on doit ensuite s'interroger sur l'importance de ce «rapport» ou de ce lien, puisque seul un rapport étroit et nécessaire peut empêcher ce qui serait une taxe, au sens habituel, d' être considérée comme telle au sens constitutionnel (arrêt Westbank , paragraphe 24):
Il va sans dire que, pour que des redevances soient imposées à des fins de réglementation ou qu'elles soient «indissociable[s] d'une réglementation plus générale», il faut d'abord identifier un «régime de réglementation». Lorsque notre Cour a conclu à l'existence d'un «régime de réglementation», certains indices étaient présents. Les facteurs à examiner pour identifier un régime de réglementation comportent: (1) l'existence d'un code de réglementation complet et détaillé; (2) un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels; (3) des coûts réels ou dûment estimés de la réglementation; (4) un lien entre la réglementation et la pers onne qui fait l'objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin. Il ne s'agit que d'une liste de facteurs à examiner; il n'est pas nécessaire qu'ils soient tous présents pour conclure à l'existence d'u n régime de réglementation. La liste n'est pas exhaustive non plus.
[55]Appliquant ces facteurs, la Commission a estimé que la partie VIII constituait un «régime réglementaire» et que le lien nécessaire entre la redevance et ce régime avait été établi.
[56]Les détaillants soutiennent que la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion étant donné qu'aucun des facteurs énumérés par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank n'est présent. Les détaillants affirment plus p articulièrement que la partie VIII ne constitue pas un code de réglementation complet et détaillé, qu'il n'y a pas de coûts réels ou dûment estimés en ce qui concerne l'application de la partie VIII et qu'il n'existe pas de lien direct entre les personnes qui font l'objet de la réglementation et la partie VIII, étant donné que les personnes chargées de payer les redevances n'ont pas bénéficié de la réglementation et n'ont pas créé le besoin d'édicter la partie VIII.
[57]Les détaillants affirm ent en outre que la partie VIII est trop vague pour fournir quelque balise ou indice que ce soit, comme le démontre amplement le programme d'exonération de la redevance qui, aux yeux des détaillants, témoigne de l'incertitude qui entoure la question fondam entale du montant et du mode de calcul des redevances.
[58]Je signale, à cet égard, que toute incertitude qui a pu être créée dans le passé par le programme d'exonération de la redevance a depuis été éliminée par la conclusion concordante de la Commission, dans Copie privée III, que ce programme n'a aucune légitimité législative (voir les paragraphes 75 à 127 des présents motifs).
[59]À mon avis, les détaillants n'ont pas réussi à démontrer que la redevance n'est pas intimement liée au régime que la partie VIII de la Loi met en oeuvre ou qu'elle n'est pas indissociable de ce régime. Tous les facteurs énumérés par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank vont dans le sens de cette conclusion.
[60]En ce qui concerne le premier facteur (existence d'un code de réglementation complet et détaillé), bien que les dispositions de la partie VIII soient libellées et structurées simplement, le régime qu'elles mettent en oeuvre est à la fois complexe et détaillé.
[61]L'article 79 renferme des définitions qui permettent de déterminer qui profite des redevances. L'article 80 légalise la reproduction pour usage privé d'enregistrements sonores d'oeuvres musicales sur des supports vierges. L'article 81 reconnaît le droit des titulaires de droits d'être rémunérés pour la copie à usage privé. À cette fin, l'article 82 impose une redevance sur la copie privée sur les supports vierges vendus par des fabricants et des importateurs. L'article 83 précise le mod e de détermination des redevances et le paragraphe 83(9) oblige la Commission à établir des redevances justes et équitables.
[62]Conformément à l'objectif d'établir des redevances justes et équitables, la Commission a adopté le modèle d'éval uation mis au point par MM. Stone et Audley (le modèle Stone et Audley) pour établir les taux de redevances. Ce modèle comporte trois éléments essentiels: a) détermination de la valeur de chaque copie privée d'enregistrement sonore; b) évaluation du nombre moyen de copies faites sur chaque support audio vierge; c) calcul de la rémunération des titulaires de droits selon un taux fixe à l'unité.
[63]Suivant cette formule, il faut tout d'abord déterminer la rémunération estimative que tirent les titulaires de droits de la vente de CD préenregistrés. On rajuste ensuite ce montant en fonction du nombre total de CD vierges vendus au Canada diminué du nombre de CD vendus à d'autres personnes que de simples particuliers. On diminue encore ce montant p our tenir compte des particuliers qui ne font pas de copie et pour tenir compte du fait que la seconde copie a une valeur moindre que la première (réduction en fonction de la valeur secondaire), ainsi que des copies abîmées ou gaspillées.
[64]Il n'est pas nécessaire d'expliquer cette formule en détail. La Commission l'expose en long et en large dans ses décisions. Qu'il suffise de dire que la Commission a retenu le modèle de Stone et Audley parce qu'il établit, de façon juste e t équitable, un lien entre les taux de redevances et le manque à gagner que les consommateurs font subir aux titulaires de droits en copiant de la musique sur des supports vierges à l'égard desquels un tarif a été homologué (Copie privée III, aux paragraphes 166 à 170).
[65]Le régime mis en oeuvre par la partie VIII constitue à mon avis un code de réglementation complet et détaillé qui répond à la définition proposée par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank .
[66]Pour établir le troisième facteur (coûts réels ou dûment estimés de la réglementation), la Cour suprême s'est, dans l'arrêt Westbank , tout d'abord concentrée sur la corrélation qui existe habituellement entre un service déterminé et les frais réclamés pour son utilisatio n. La Cour a signalé qu'un des facteurs qui permettait généralement de distinguer des «frais d'utilisation» d'une «taxe» est le fait qu'«il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni». Faisant une analogie, la Cour a expliqué que, tout comme les frais d'utilisation, (paragraphe 29) «[u]ne redevance de nature réglementaire peut servir à couvrir les dépenses du régime de réglementation [. . .] ou les redevances de nature réglementaire elles-mêmes peuvent favoriser l'atteinte de l'objet de la réglementation».
[67]Dans le cas qui nous occupe, la redevance est manifestement calculée de manière à favoriser l'atteinte de l'objectif visé par le régime législatif. Lorsqu'elle fixe des redevances, la Commission doit s'ass urer qu'il existe une corrélation entre, d'une part, l'ampleur de la copie privée qui découle de l'utilisation de supports vierges et, d'autre part, les redevances qui sont homologuées relativement à ces supports.
[68]En ce qui concerne le quatrième facteur (la personne qui fait l'objet de la réglementation a-t-elle bénéficié de la réglementation ou en a-t-elle créé le besoin), il semble évident qu'en mettant des supports vierges à la disposition des consommateurs, les fabricants et les impor tateurs de supports vierges ont favorisé la prolifération de copies par les consommateurs, créant ainsi le besoin qui a incité le législateur fédéral à adopter la partie VIII. Les détaillants font toutefois valoir que les fabricants et les importateurs ne sont pas responsables des actes illégaux commis par les consommateurs.
[69]J'en conviens. Mais pour avoir «créé le besoin» à l'origine d'un règlement, il n'est pas nécessaire que les fabricants et les importateurs soient responsables de la c opie pour usage privé au sens juridique du terme. Il suffit qu'ils aient procuré aux consommateurs le moyen de faire de la copie pour usage privé, créant ainsi une situation nécessitant l'intervention du législateur.
[70]Le dernier facteur (la redevance vise un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels) est également présent. La SCPCP soutient qu'en légalisant la reproduction d'oeuvres musicales enregistrées, la partie VIII permet à de simples particuliers de copier de la musique enregistrée sur des supports vierges et les incite peut-être même à le faire. Cette situation risque à son tour d'encourager une plus grande diffusion d'oeuvres musicales enregistrées et d'inciter les titulaires de droits à faire preuve de plus d'inventivité par suite de l'augmentation des ventes de supports vierges.
[71]Les détaillants affirment que toutes ces considérations relèvent du domaine de la spéculation. Bien que les affirmations de la SCPCP comportent une part d e spéculation, je ne doute pas que la partie VIII encourage la création en faisant en sorte que les titulaires de droits obtiennent une certaine rémunération financière pour leur création dans des circonstances où ils ne recevaient aucune rétribution aupar avant. La redevance influence donc des comportements individuels.
[72]En définitive, il appert donc que la redevance possède toutes les caractéristiques d'un prélèvement de nature réglementaire qui ont été énumérées par la Cour suprême dans l'arrêt Westbank . Elle est indissociable d'un régime réglementaire détaillé qui relève nettement d'un chef de compétence fédérale. Il s'ensuit que c'est à bon droit que la Commission a estimé que la redevance n'était pas une taxe au sens constituti onnel.
[73]Les motifs qui précèdent règlent également le sort du moyen subsidiaire des détaillants suivant lequel la partie VIII est inconstitutionnelle parce qu'elle est trop vague et qu'elle ne se rattache pas suffisamment au droit d'auteu r.
[74]Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire des détaillants avec dépens.
Dossier A-9-04--Légalité du programme d'exonération
[75]Le programme d'exonération de la redevance est un régime volontai re d'exonération mis sur pied par la SCPCP. Il permet à certains utilisateurs qui ne font pas de copie pour usage privé d'acheter en franchise des supports vierges à des fabricants, importateurs et distributeurs autorisés. Au départ, le programme s'appliqu ait à quatre types de supports: les cassettes audio, les MiniDiscs, les CD-R audio et les CD-RW audio. La SCPCP l'a par la suite étendu aux CD-R et aux CD-RW. Cette mesure a été prise en septembre 2003, quelques mois après l'audience de la Commission dans le dossier Copie privée III, mais avant le prononcé de la décision.
[76]Aux termes du programme d'exonération de la SCPCP, les utilisateurs qui désirent acheter des supports vierges en franchise de redevance doivent d'abord s'inscrire auprès de la SCPCP et obtenir un numéro de certificat qui leur permet d'acheter des supports à des fabricants, importateurs et distributeurs autorisés. Aux termes de l'entente qu'ils concluent avec la SCPCP, les utilisateurs s'engagent à ne pas vendre ou aliéne r à qui que ce soit les supports vierges qu'ils acquièrent en franchise et à ne pas utiliser les supports à des fins personnelles ou à copier de la musique sans autorisation.
[77]Les fabricants, importateurs et distributeurs qui désirent ven dre en franchise sont également tenus de s'inscrire auprès de la SCPCP et de signer une entente. Ils ne peuvent vendre des supports sans exiger de redevance qu'aux utilisateurs qui ont obtenu un certificat de la SCPCP. Les fabricants, importateurs et distr ibuteurs autorisés doivent rendre compte de leurs ventes de supports exonérés à la SCPCP et ils peuvent faire l'objet d'une vérification. Les détaillants ne sont pas autorisés à participer au programme.
[78]Il ressort du dossier de la Commission qu'en décembre 2002, une cinquantaine de fabricants, d'importateurs et de distributeurs avaient signé avec la SCPCP des ententes d'exonération qui les autorisaient à vendre sans contrepartie des supports vierges à des acheteurs certifiés par la SCPCP.
[79]Les acheteurs certifiés qui sont autorisés à acheter des supports vierges sans avoir à payer de redevance sont des institutions et des entités qui font de la copie de données ou de sons à des fins commerciales et non à des fins personne lles. Font partie de cette catégorie les établissements d'enseignement, les radiodiffuseurs, les forces policières, les agences de publicité, les industries de la musique, du cinéma et de la vidéo, les tribunaux judiciaires et administratifs, les sténograp hes judiciaires, les organismes religieux, les firmes de télémarketing, les fabricants de logiciels, les services de duplication, les établissements de santé, les sociétés de technologie, les sociétés de conférence et de formation et l'État.
[80]Depuis septembre 2003, la SCPCP oblige les contractants à payer des frais annuels pour compenser ses frais d'administration du programme d'exonération de la redevance.
Décision de la Commission
[81]Ainsi que la SCPCP le souligne dans ses observations, le programme d'exonération de la redevance a donné lieu à des décisions contradictoires de la part de la Commission. La Commission a cependant toujours maintenu que la Loi n'autorisait pas l'exonération que la SCPCP accorde, en vertu du pr ogramme, aux personnes qui ne font pas de copie privée.
[82]Dans Copie privée I, sans s'opposer au programme d'exonération de la redevance, la Commission a expliqué qu'elle ne pouvait tenir compte de ce programme pour établir les redevances prévues par la Loi. Voici ce qu'elle déclare (à la page 57):
La Commission ne peut protéger des conséquences de la redevance ceux qui ne font pas de copie privée. La seule exception est énoncée à l'article 86 de la Loi, lequel prévoit qu'aucune redevance n'est payable dans le cas des ventes aux associations représentant des personnes ayant une déficience perceptuelle. Compte tenu des principes d'interprétation législative, la Commission doit en arriver à la conclusion qu'elle ne peut créer d'autres exceptions.
De plus, on ne saurait sérieusement prétendre que les institutions ou les entreprises sont exonérées de la redevance. La redevance vise les supports et non les personnes. Elle est payée par les fabricants et les importateurs, qui peu vent ensuite l'intégrer dans leurs prix comme bon leur semble.
Afin d'atténuer les effets de la redevance pour certains groupes, la SCPCP a proposé de conclure des accords autorisant la vente en franchise de la redevance à certaines catégories d'utilisate urs. La proposition de la SCPCP a été longuement débattue. Étant donné que la Commission ne peut créer d'exemptions, il ne convient pas d'utiliser le tarif pour instaurer pareil système. Encore une fois, il n'a pas été tenu compte de cette proposition pour l'établissement de la redevance.
[83]Deux ans plus tard, dans Copie privée II, la Commission a signalé que, même si elle ne pouvait créer d'exemptions, il lui était loisible de tenir compte du programme d'exonération de la redevance pour fi xer les redevances applicables aux cassettes audio (à la page 16):
La Commission continue de croire qu'elle ne peut établir d'exemptions, mais conclut, pour des motifs juridiques, pratiques et de politique publique, qu'elle est en mesure de tenir compte d es cassettes audio vendues en franchise en les excluant du calcul de la redevance.
Premièrement, il ne s'agit pas d'établir des exceptions en faveur de quiconque ou d'incorporer la mesure dans le tarif, mais de tenir compte, dans l'établissement du prix, d'un mécanisme qui est désormais une réalité du marché comme une autre.
Deuxièmement, un tarif qui ne tiendrait pas compte du mécanisme serait inéquitable. Sur le plan pratique, le régime de copie privée ne peut survivre sans mécanisme d'exonération. En n'excluant pas du calcul les supports vendus en franchise, on ferait supporter aux auteurs le coût de la renonciation à la rémunération, en plus des frais d'administration d'un accessoire désormais nécessaire au régime.
Troisièmement, en excluant les suppo rts vendus en franchise du calcul de la redevance, on fait porter les coûts du régime à un groupe plus ciblé, davantage susceptible de se livrer à la copie privée. Une telle mesure respecte les objectifs du régime et en fait la promotion. Loin d'affaiblir le lien entre l'activité et le support assujetti à la redevance, elle le renforce.
[84]Dans Copie privée III, la Commission est revenue sur sa position. Elle a déclaré à la fois qu'elle ne pouvait tenir compte du programme pour établir la re devance et que le programme n'avait aucun fondement juridique et qu'il était par conséquent illégal (aux paragraphes 82 et 83):
De l'avis de la Commission, si le législateur avait eu l'intention de soustraire aux effets du régime ceux qui ne copient pas d e musique, il aurait tout simplement prévu dans la Loi les mécanismes qui s'imposent. Or, la partie VIII ne prévoit qu'une seule exception, visant les personnes ayant une déficience perceptuelle. Le gouverneur en conseil a aussi le pouvoir d'exclure du rég ime des supports qui seraient autrement assujettis à une redevance; il ne l'a pas fait. De manière alternative, le législateur aurait pu mettre à la disposition de la Commission des mesures lui permettant de régir les personnes qui n'utilisent pas des supp orts vierges pour copier de la musique, mais la Loi ne lui confère pas un tel pouvoir.
Toutes ces considérations donnent fortement à penser que, dans le cadre législatif actuel, seules les parties expressément désignées bénéficient d'une exemption. Il ne revient pas à la Commission ou à la SCPCP de se substituer au législateur en sous-entendant d'autres exemptions sous prétexte qu'elles sont implicites de par l'économie de la Loi.
[85]La Commission a poursuivi en concluant ce qui suit (aux paragraphes 96, 98, 99 et 101):
Sous sa forme actuelle, le programme d'exonération crée des exemptions. Pour toutes ces raisons, la Commission considère que le programme est sans fondement juridique, et donc illégal.
[. . .]
Hormis le fait que le programme d'exonération est sans fondement sur le plan juridique, la Commission a de sérieuses réserves sur l'équité du projet des mises en oeuvre du programme élargi de la SCPCP. Ce programme a été mis à l'essai sur le marché des cass ettes audio, et les utilisateurs se plaignent beaucoup moins de la redevance sur ce type de supports. Toutefois, ses effets potentiels sur d'autres marchés, notamment celui des CD vierges, suscitent d'importantes préoccupations.
Premièrement, les enjeux s ont beaucoup plus élevés dans le cas des CD vierges en raison du nombre d'unités pouvant être exonérées [. . .] Même si l'on s'en tient aux évaluations les plus conservatrices, il ne serait pas surprenant que des dizaines de millions d'unités soient détour nées des circuits de distribution existants. Deuxièmement, les opposants se sont dits réticents à payer des frais d'inscription, et certains opposants, inquiets des possibilités d'arbitraire dans l'application du programme.
[. . .]
Les effets potentiellement graves de l'exonération sur le marché des CD expliquent à eux seuls le changement d'opinion de la Commission. Mais, pour tout dire, si la Commission a reconsidéré sa position sur l'exonération de la redevance, c'est parce qu'elle ne pouvait prévoir l'impact du programme.[. . .] La présente décision se fonde sur un dossier plus complet. [Non souligné dans l'original.]
[86]S'inscrivant dans le droit fil de ce raisonnement, la Commission n'a pas tenu compte, dans Copie privée III, du programme d'exonération de la redevance pour déterminer le montant de la redevance qu'elle a homologuée, sauf dans le cas des cassettes audio. À cet égard, la Commission a signalé que le taux de la redevance devait logiquement être rajusté, mais elle a refusé de le faire en expliquant que: (Copie privée III, au paragraphe 181):
[. . .] le marché de la cassette audio a atteint sa pleine maturité. Les consommateurs semblent avoir accepté que la redevance sur ce type de support constitue une composante intrinsèque de son prix. Le taux devrait donc rester le même.
[87]Invoquant le manque de clarté de la décision de la Commission, la SCPCP a choisi de maintenir le programme en place pour tous les supports vierges déjà visés.
Objections formulées à l'encontre de la décision de la Commission
[88]La SCPCP affirme que la Commission a outrepassé sa compétence en déclarant illégal le programme d'exonération de la redevance et, par le fait même, les ententes d'exonération conclues entre la SCPCP et les participants au programme.
[89]La SCPCP explique que, bien qu'elle confère à la Commission de vastes pouvoirs en matière d'établissement des redevances et de détermination de leurs modalités, la Loi ne donne pas à la Commission le po uvoir de se prononcer sur la légalité d'ententes de gré à gré conclues entre une société de gestion et des tiers. À cet égard, la SCPCP cite l'arrêt Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 115, dans lequel notre Cour a statué que les pouvoirs accessoires de la Commission se limitent à ce qui se rapporte nécessairement à la fonction d'établissement des taux de la Commission.
[90]La SCPCP soutient que la Commission n'a pas compétence pour statuer su r la légalité du programme d'exonération de la redevance afin de fixer le montant des redevances sur la copie privée ou d'en préciser les modalités. La Commission aurait plutôt dû se contenter selon elle de se demander si elle avait le pouvoir en vertu de la Loi de tenir compte du programme pour établir la redevance. En allant plus loin et en déclarant le programme illégal, la Commission a fait fi du droit de la SCPCP de renoncer à la perception des sommes qui lui sont dues en vertu de la Loi.
[91]La SCPCP soutient que, si la Commission a effectivement compétence pour déclarer illégal le programme d'exonération de la redevance, la décision de la Commission est à la fois mal fondée en droit et déraisonnable, étant don né qu'elle ne peut résister à un «examen assez poussé».
[92]La SCPCP estime qu'on peut douter du caractère raisonnable de la décision de la Commission parce qu'elle contredit ses décisions antérieures sur la même question qui reposaient sur un raisonnement plus convaincant. Suivant la SCPCP, ce sont ces premières décisions qui sont bien fondées.
[93]Les détaillants et la CSMA s'opposent à la thèse préconisée par la SCPCP et ils appuient la décision de la Commission. Ils ajouten t qu'en continuant à appliquer le programme d'exonération de la redevance, la SCPCP a fait fi de la décision de la Commission.
Analyse
[94]La principale question à résoudre est celle de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en décidant que, pour établir une redevance juste et équitable, elle ne devait pas tenir compte du programme d'exonération de la redevance de la SCPCP. Il importe toutefois en premier lieu d'aborder une question sur laquelle les parties s'entendent: l'incapacité de la SCPCP et de la Commission de créer des exemptions de la redevance. L'analyse de cette question permettra de bien situer la question de savoir si la Commission peut ou non tenir compte du programme d'exonération de la redevance pour établir la redevance. Elle est également utile pour résoudre la principale question en litige.
Dispense d'application du régime législatif
[95]On trouve dans le passage suivant l'essentiel du raisonnement qu'a suivi la Commission pour déclarer que le programme d'exonération de la redevance n'est pas autorisé par la Loi (Copie privée III, au paragraphe 82):
De l'avis de la Commission, si le législateur avait eu l'intention de sous traire aux effets du régime ceux qui ne copient pas de musique, il aurait tout simplement prévu dans la Loi les mécanismes qui s'imposent. Or, la partie VIII ne prévoit qu'une seule exception, visant les personnes ayant une déficience perceptuelle. Le gouv erneur en conseil a aussi le pouvoir d'exclure du régime des supports qui seraient autrement assujettis à une redevance; il ne l'a pas fait. De manière alternative, le législateur aurait pu mettre à la disposition de la Commission des mesures lui permettan t de régir les personnes qui n'utilisent pas des supports vierges pour copier de la musique, mais la Loi ne lui confère pas un tel pouvoir.
[96]Ainsi qu'il a déjà été signalé, la conclusion de la Commission suivant laquelle elle n'a pas le p ouvoir de créer des exemptions n'est pas contestée. Cette conclusion s'accorde d'ailleurs avec un principe d'interprétation des lois bien connu. Suivant ce principe, la mention d'une chose dans une loi implique l'exclusion de l'autre (expressio unius est exclusio alterius ). Selon cette maxime, si la loi assortit une règle générale d'une (ou de plusieurs) exceptions, on ne peut inclure dans cette loi des exceptions qui ne s'y trouvent pas. La raison d'être de ce principe est que le législateur a pris la pein e de se pencher sur la question et qu'il a précisé les exceptions qu'il souhaitait apporter au principe général.
[97]La Cour suprême a appliqué ce principe dans l'arrêt Bishop c. Stevens , [1990] 2 R.C.S. 467, aux pages 480 et 481, où le déba t tournait autour de la question de savoir si le droit prévu par la Loi de diffuser l'exécution d'une oeuvre comportait implicitement le droit d'en effectuer des enregistrements éphémères:
De plus, une exception implicite au sens littéral de l'al. 3(1)d ) est, à mon avis, d'autant moins plausible que le par. 17(2) (maintenant par. 27(2)) de la Loi prévoit des exceptions expresses et détaillées dans des cas aussi divers que l'étude privée, la recherche, l'étude critique, l'utilisation à des fins d'éducation, la communication de documents en application de diverses lois fédérales et l'exécution, sans but lucratif, d'une oeuvre musicale à une foire agricole. [Voir aussi Black's Law Dictionary, 7e éd., à la page 192 et R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes , 4e éd. (Toronto, Butterworths, 2002), à la page 241.]
[98]Si l'on applique ce principe à la partie VIII, on constate que la première exemption se trouve au paragraphe 82(2), qui prévoit qu'«[a]ucune rede vance n'est [. . .] payable» par le fabricant ou l'importateur lorsque le support audio vierge est exporté du Canada. Le paragraphe 86(1) renferme l'autre exemption: il prévoit que la vente ou toute autre forme d'aliénation d'un support audio vierge par un fabricant ou un importateur au profit «d'une société, association ou personne morale qui représente les personnes ayant une déficience perceptuelle ne donne pas lieu à redevance». Le législateur fédéral a par ailleurs expressément habilité le Cabinet à ex onérer certains supports en vertu de l'article 79 et de l'alinéa 87b ) de la Loi.
[99]Il vaut également la peine de signaler que l'alinéa 87a ) de la Loi prévoit que c'est le Cabinet, et non la Commission ou les organismes de perception, qui e st habilité à prendre des règlements au sujet du mode de fonctionnement de l'exemption prévue à l'article 86. Compte tenu du fait que le législateur fédéral a confié au Cabinet le soin de définir la procédure à suivre pour appliquer une exemption législati ve, on ne saurait logiquement prétendre que le législateur envisageait que la SCPCP puisse créer et appliquer, par le biais de son programme d'exonération de la redevance, des exemptions qui ne sont pas explicitement prévues par la loi.
[100]Il n'y a aucun doute que la conclusion de la Commission s'appuie sur le principe d'interprétation qu'elle a invoqué. Il faut toutefois pousser l'analyse plus loin. Ainsi que la Cour suprême l'a répété à de nombreuses reprises et dans divers contextes (voi r, par exemple, les arrêts Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103) (E. A. Drieger, Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1982, à la page 87):
[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte glo bal en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
[101]L'argument le plus solide que la Commission a avancé pour justifier l'interpolation dans la Loi d'un pouvoir implicite d'accorder les exemptions qui sont à la base du programme d'exonération de la redevance est sa proposition que ce programme permet dans une certaine mesure d'atteindre les objectifs visés par la Loi. Voici ce que la Commission déclare aux paragraphes 94 et 95 de ses motifs (Copie privée III):
Des arguments valables militent en faveur de l'exonération. Par définition, une entreprise ou autre institution ne peut faire de la copie privée. De point de vue politique, elles ne font pas l'objet du régime, pas plus qu'elles en tirent un bénéfice. Un mécanisme qui les soustrait à l'application de la redevance renforcera peut-être le lien entre le régime et les objectifs s'y rattachant, et dissuadera peut-être aussi les achats de supports vier ges auprès de fournisseurs étrangers.
Les raisons d'accorder une exemption aux consommateurs qui ne font pas de copie privée sont moins convaincantes. Selon la preuve, par exemple, 80 à 90 pour cent des consommateurs se servent de CD vierges pour copier d e la musique, et 40 pour cent n'en utilisent qu'à cette seule fin. Tous les supports achetés par des particuliers ne servent pas à copier de la musique; cela dit, il faut se rappeler que le taux est ajusté pour en tenir compte. Enfin, la Loi légalise la co pie privée au Canada; l'option de faire de la copie privée a une valeur, même pour ceux qui choisissent de ne pas l'exercer.
[102]Il est plus facile d'interpoler dans la loi un pouvoir implicite dont on peut démontrer qu'il favorise l'attein te des objectifs visés par cette même loi. Il faut cependant quand même démontrer que le législateur avait l'intention de conférer ce pouvoir.
[103]La Commission s'est attaquée à cette question (Copie privée III, au paragraphe 96):
[. . .] la question n'est pas de savoir s'il est désirable d'instituer un programme d'exonération, mais plutôt de déterminer si soit la Commission, soit la SCPCP, sont légalement habilitées à mettre en place un tel programme. En raison de l'absence d'indications législatives contraires, la Commission croit que le législateur ne lui a pas attribué la compétence d'exempter ceux qui, aux termes de la Loi, sont tenus de payer une redevance.
[104]Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a signalé l'absence totale de contrôle législatif sur le pouvoir revendiqué par la SCPCP, de même que l'ampleur des conséquences découlant du programme d'exonération de la redevance, surtout dans le cas des CD vierges (la C ommission a fait remarquer que, même en s'en tenant aux évaluations les plus conservatrices, des dizaines de millions de CD vierges risquaient d'être détournés des circuits de distribution existants (Copie privée III, au paragraphe 99)).
[105]La Commission a estimé que la SCPCP pouvait de fait réglementer le marché des CD vierges et elle s'est dite préoccupée par les graves problèmes de distribution que le programme risquait d'occasionner en faisant sortir les ventes de la chaîne d'approvisio nnement habituelle (Copie privée III, ibid). La Commission a aussi exprimé des réserves au sujet de l'équité du programme de la SCPCP et elle a signalé les risques d'arbitraire qu'il comportait (Copie privée III, ibid). Suivant la Commission (Copie privée III, au paragraphe 97):
En vertu de la Loi telle que libellée en ce moment, l'approche la moins défendable consiste à déléguer le pouvoir ultime aux bénéficiaires du régime.
[106]Il semble clair que, vu son expérience passée avec le program me, la Commission a été frappée par l'ampleur du pouvoir discrétionnaire que la SCPCP pourrait exercer sur les forces du marché si le programme était élargi comme il était proposé. Se rendant compte des répercussions du programme, la Commission n'a pas acc epté l'idée que le législateur fédéral ait pu vouloir accorder des pouvoirs aussi vastes sans en encadrer l'exercice.
Le programme d'exonération de la redevance est-il utile pour établir la redevance?
[107]La question à laquelle il faut rép ondre est celle de savoir si le législateur voulait que le coût de la redevance établie par la Commission soit supporté par tous les utilisateurs ou seulement par ceux qui copient effectivement de la musique. Pour reprendre les mots employés par la Commiss ion (Copie privée III, au paragraphe 93):
Si le législateur entendait que le fardeau de la redevance soit réparti entre tous les utilisateurs, sauf ceux expressément exemptés aux termes de la Loi, l'exonération est incompatible avec l'économie du régime. Si le législateur voulait plutôt que ce coût ne soit assumé en bout de piste que par ceux et celles s'adonnant à la copie privée, l'exonération de la redevance devient une mesure utile; [. . .]
[108]Pour résoudre cette question, il faut d'ab ord déterminer la norme de contrôle applicable en fonction de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. La question de savoir si la Commission peut, doit ou ne doit pas tenir compte d'un facteur déterminé pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vue d'éta blir une redevance «juste et équitable» est une question d'interprétation législative. La détermination de la redevance appropriée est une décision discrétionnaire qui se situe au coeur même du mandat et des compétences spécialisées de la Commission.
[109]La détermination des facteurs qui sont utiles pour établir la redevance est à ce point étroitement liée à la caractérisation de ce qui est «juste et équitable» pour relever ainsi de la compétence de la Commission en matière de réglementation. Voici, à ce propos, ce que la Cour dit, sous la plume du juge Pratte, dans l'arrêt Trans Mountain Pipe Line Co. Ltd. c. L'Office national de l'énergie, [1979] 2 C.F. 118 (C.A.), à la page 121:
De toute évidence, c'est à l'Office et non à la Cour de décider, en vertu de la Loi, si ces droits sont justes et raisonnables. La signification des mots «justes et raisonnables» contenus à l'article 52 est évidemment une question de droit, qu'on peut néanmoins très facilement résoudre, étant donné que ces mots ne sont pas utilisés dans un sens technique particulier: on ne peut donc dire qu'ils sont obscurs et qu'ils nécessitent une interprétation. La difficulté vient de la méthode que l'Office doit utiliser et des facteurs dont il doit tenir compte pour évaluer le caractère juste et raisonnable des droits. La loi n'aborde pas ces questions. À mon avis, elles doivent être laissées à la discrétion de l'Office qui possède, dans ce domaine, des compétences que n'ont habituellement pas les juges. Si l'Off ice porte son attention sur la bonne question, comme il l'a manifestement fait dans la présente affaire, c'est-à -dire sur le caractère juste et raisonnable des droits, et s'il ne fonde pas sa décision sur des considérations manifestement non pertinentes, il ne commet pas d'erreur de droit simplement parce qu'il évalue le caractère juste et raisonnable de ces droits selon une méthode différente de celle qu'aurait adoptée la Cour. [Non souligné dans l'original.]
[110]En conséquence, bien que l'utilité du programme d'exonération de la redevance pour la détermination de la redevance soulève une question d'interprétation des lois, ce qui donnerait à penser que la norme de contrôle appropriée est celle du bien-fondé (ou norme de la décision correcte ), la Commission a fait appel à ses connaissances fouillées en matière d'établissement de tarifs pour évaluer les répercussions du programme d'exonération de la redevance et pour en conclure que le législateur fédéral ne pouvait avoir voulu qu'un tel progr amme soit mis en oeuvre. À mon avis, il y a lieu de faire preuve d'une certaine retenue en ce qui concerne cet aspect de la décision de la Commission (voir l'arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2002] 4 C.F. 3 (C.A.), au paragraphe 51).
[111]La Cour ne devrait donc pas intervenir à moins qu'on puisse démontrer que la conclusion tirée par la Commission n'est pas conforme à la raison. À défaut de clause privati ve et comme la question en litige implique l'interprétation de la Loi sur le droit d'auteur, la norme de la décision raisonnable simpliciter semblerait être la norme de contrôle appropriée.
[112]Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu e les motifs de la Commission résistent aisément à l'«examen assez poussé» auquel sont assujetties les décisions susceptibles de faire l'objet d'un contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision raisonnable (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56). D'ailleurs, compte tenu de ma conclusion sur la question de l'exemption, il aurait été déraisonnable de la part de la Commission de conclure qu'elle devait tenir compte du programm e d'exonération de la redevance.
[113]Dans Copie privée III, la Commission a expliqué que la redevance devait s'appliquer à tous les supports vierges indépendamment de leur utilisation et que le programme d'exonération de la redevance créait une exemption, contrairement à cette intention, en exonérant du paiement de la redevance les personnes qui ne s'adonnent pas à la copie privée (aux paragraphes 80, 83 et 96):
[. . .] le régime de copie privée, l'article 82 en particulier, est universel. La Commission entendait par cela qu'une redevance est exigible sur tout support audio vierge fabriqué ou importé au Canada à des fins commerciales. Exception faite d'une exemption limitée, la Loi prévoit que tout fabricant ou importateur agissant à des fin s commerciales est tenu de payer la redevance sur chaque support audio, peu importe l'identité du dernier acheteur ou l'utilisation finale qui en sera faite.
[. . .]
Toutes ces considérations donnent fortement à penser que, dans le cadre législatif actue l, seules les parties expressément désignées bénéficient d'une exemption.
[. . .]
Sous sa forme actuelle, le programme d'exonération crée des exemptions. [Note omise.]
[114]Ces exemptions ont des incidences directes sur les redevances fixées par la Commission. Si les exemptions ne sont pas autorisées, la redevance doit être calculée à partir du principe que tous les acheteurs de supports vierges la paieront. Si les exemptions sont autorisées, la redevance devra être rajustée à la hausse pou r tenir compte des ventes en franchise de supports vierges que le programme autorise.
[115]Le traitement que la Commission a réservé aux cassettes audio dans la décision Copie privée II illustre bien cette façon de voir. Après avoir décidé, à cette seule occasion, que l'on pouvait tenir compte des incidences du programme d'exonération pour établir la redevance, la Commission s'est vue forcer d'augmenter la redevance d'environ 20 pour 100 pour tenir compte des ventes sur lesquel les la redevance n'était plus perçue en raison du programme (Copie privée II, à la page 18). La réponse à cette question dépend donc nécessairement de la façon dont la Commission a exercé sa fonction d'établissement du tarif des redevances.
[116]À mon avis, en déclarant «illégal» le programme d'exonération de la redevance, la Commission signifiait seulement son intention de ne pas en tenir compte pour établir la redevance. La SCPCP soutient néanmoins que la Commission a excédé sa compétence e n se prononçant sur la légalité d'ententes de gré à gré conclues avec les participants du programme. Elle cite à cet égard un passage tiré de l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Posen c. Le ministre de la Consommation et des Corporations du Canada , [1980] 2 C.F. 259 (C.A.), à la page 262:
À mon avis, il est clair que le Parlement n'a jamais voulu, en créant la Commission d'appel du droit d'auteur pour en faire un organisme de réglementation des tarifs, doter cette dernière du pouvoir de trancher les litiges de nature contractuelle qui pourraient survenir relativement à la propriété des droits d'exécution. La Commission fixe les tarifs et c'est aux sociétés qu'il incombe d'établir qu'elles ont le droit de percevoir les som mes y prévues. En cas de contestation de ce droit, les tribunaux et non la Commission sont l'instance indiquée pour la détermination des droits des parties respectives.
En toute déférence, je suis d'avis que la Commission n'avait pas compétence pour exami ner les questions soulevées par les requérants, puisque celles-ci ne portaient pas sur le quantum des tarifs. Cela met donc un terme à la présente affaire puisqu'en vertu de la Loi, la Commission n'a compétence que pour fixer le quantum des tarifs.
[117]La règle posée dans l'arrêt Posen n'est toutefois pas absolue. Ainsi que notre Cour l'a jugé dans l'arrêt FWS Joint Sports Claimants c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1992] 1 C.F. 487 (C.A.), la Commission peut rendre des décisions qu i ont des incidences sur des droits contractuels si sa fonction d'établissement des tarifs l'exige (à la page 494).
Quant à savoir si la Commission peut trancher des questions portant sur des droits contractuels, il est évident que la Commission doit forcément le faire, du moins au préalable, dans l'exercice de sa compétence. On ne peut évaluer un droit à moins qu'il n'existe. Il se peut que la conclusion de la Commission relativement aux garanties juridiques ne lie pas tout le monde pour toujours, mais el le ne peut remplir sa mission sans rendre une décision juridique au sujet de ces droits. Ce peut être différent, toutefois, lorsque tout ce qu'on demande à la Commission est de déterminer les droits des parties (voir Posen [. . .]).
[118]Dans le cas qui nous occupe, la Commission a estimé qu'elle devait lever l'ambiguïté suscitée par ses décisions antérieures en précisant bien que le programme d'exonération de la redevance n'avait aucun fondement juridique et que la dispense de l'obligation d'acquitter la redevance que la SCPCP avait accordée aux participants au programme était par conséquent illégale. À mon avis, la Commission ne dit rien de plus lorsqu'elle déclare (Copie privée III, au paragraphe 96) que le programme est «sans fondement jur idique et donc, illégal».
[119]Suivant la SCPCP, la décision de la Commission a pour effet de retirer aux titulaires de droits la faculté que la common law leur reconnaît de renoncer au paiement des redevances. Selon la SCPCP, la renonciatio n, par les titulaires de droits, à leur droit de percevoir des redevances est le seul et unique fondement juridique du programme. La légalité du programme ne dépend donc pas de la Loi et la Commission a donc outrepassé sa compétence en déclarant illégaux l e programme et les ententes conclues sous son empire avec des tiers.
[120]Je suis d'accord pour dire que la Commission n'avait pas le pouvoir légal de se prononcer sur la légalité du programme. Cependant, selon moi, la Commission n'a pas déc laré, par sa décision, le programme illégal, dans la mesure où celui-ci repose sur la renonciation, par les titulaires de droits, à ce à quoi ils ont légitimement droit.
[121]D'ailleurs, la Commission précise bien dans ses motifs que la SCPC P peut choisir de ne pas percevoir les redevances qui lui sont légalement dues, si tel est son désir (Copie privée III, au paragraphe 100). La Commission ajoute toutefois que la SCPCP ne peut plus s'attendre à ce que Commission l'indemnise des effets négat ifs du programme sur ses revenus (Copie privée III, au paragraphe 180).
[122]La SCPCP soutient que la Commission n'a d'autre choix que de tenir comte des incidences du programme une fois que celui-ci a été mis en oeuvre, au mêm e titre qu'elle doit tenir compte de toute autre réalité du marché. Voici comment la Commission a résumé cet argument (Copie privée III, au paragraphe 91):
En l'espèce, les titulaires de droits [par l'entremise de la SCPCP] soutiennent que la Commission n'a aucun emprise sur le programme et qu'elle ne peut les empêcher d'accorder des exonérations. Dès l'entrée en vigueur du programme, ajoutent-ils, il n'est que juste qu'ils ne soient pas lésés par sa mise en oeuvre. Bref, ils estiment que l'exonération n'es t significative pour la Commission qu'en tant que réalité propre au marché devant être prise en considération après sa mise en place.
[123]La Commission a rejeté d'emblée cette proposition. Elle s'est rendu compte que la SCPCP cherchait à in troduire de façon détournée l'exemption même qu'elle avait refusé à deux reprises de reconnaître. La SCPCP excluait de l'assiette de la redevance les supports vierges achetés par des personnes ne faisant pas de copie privée et elle disait à la Commission q u'elle n'avait d'autre choix que de tenir compte du nombre réduit d'unités sur lesquelles la redevance était perçue.
[124]C'est ce qui a amené la Commission à déclarer, dans Copie privée III, conformément à ses décisions précédentes suivant lesquelles les exemptions à la base du programme allaient à l'encontre de la partie VIII, qu'elle n'indemniserait plus les titulaires de droits pour remédier aux conséquences du programme sur les revenus de la SCPCP.
[125]À mon avis, la Comm ission n'a commis aucune erreur justifiant notre intervention en jugeant que le programme d'exonération de la redevance n'est pas autorisé par la Loi et en le déclarant «illégal» dans ce sens limité, et en déclarant qu'elle n'indemniserait plus la SCPCP po ur pallier les conséquences du programme sur ses revenus parce qu'autrement, la SCPCP serait soustraite à ce régime, ce qui serait contraire à la volonté du législateur. La décision de la Commission est donc intimement liée à sa fonction d'établissement du tarif, et l'impact que cette décision est susceptible d'avoir sur des droits contractuels constitue un aspect indissociable de l'exercice de sa compétence (voir l'arrêt FWS Joint Sports Claimants , à la page 494).
[126]Je conclus donc que c'est à bon droit que la Commission a jugé que le programme d'exonération de la redevance n'avait aucun fondement légal et qu'il n'y avait donc pas lieu de tenir compte de ses incidences pour établir la redevance.
[127]La demande de contrôle judiciaire introduite par la SCPCP devrait par conséquent être rejetée avec dépens.
Mesure provisoire
[128]À la clôture de l'audience, la SCPCP a demandé qu'advenant le cas où la décision de la Commission sur l'exonération de la redevanc e serait confirmée, l'exécution de la décision de la Cour soit suspendue en attendant la présentation d'une éventuelle demande d'autorisation à la Cour suprême.
[129]La SCPCP signale que des participants se sont désistés du programme par sui te de la décision de la Commission et elle affirme que, si la Cour ne sursoit pas à l'exécution du jugement, elle subira un préjudice irréparable. Suivant la SCPCP, la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi d'un sursis car personne ne perdra rie n si le sursis est accordé.
[130]Je ne crois pas que l'existence d'un préjudice irréparable ait été démontrée ou que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi d'un sursis. J'admets qu'il est possible que des signataires du program me aient cessé d'y participer par suite de la décision de la Commission, comme notre Cour l'a d'ailleurs confirmé. Mais cet état de fait n'empêchera pas la SCPCP de récupérer tous les participants si la légalité du programme est rétablie en appel. Qui plus est, il est dans l'intérêt du public de s'assurer que, dans l'intervalle, l'objet du programme soit bien compris, c'est-à -dire qu'il soit perçu comme une renonciation volontaire à des redevances et rien d'autre.
[131]Les détaillants réclame nt eux aussi une mesure provisoire pour le cas où la décision de la Commission serait confirmée. Ils sollicitent une ordonnance forçant la SCPCP à se conformer à la décision de la Commission.
[132]Il n'est pas nécessaire de pro noncer une telle ordonnance. La décision de la Cour lie la SCPCP indépendamment de tout appel. Il s'ensuit que la SCPCP ne peut plus faire la promotion du programme en faisant valoir sa légitimité ou en justifier l'existence auprès des titulaires de droits en leur laissant croire qu'ils seront indemnisés des incidences négatives du programme sur les revenus de la SCPCP. Je ne crois pas qu'une mesure provisoire soit nécessaire pour obtenir ce résultat.
Dossier A-10-04--Détermination de la redevance et du tarif sur les enregistreurs audionumériques (lecteurs MP3)
[133]La troisième demande de contrôle judiciaire soulève deux questions. La première question est celle de savoir si une mémoire intégrée en permanence ou une mémoire inamovible, incorp orée dans un enregistreur audionumérique (lecteur MP3), conserve son identité de «support audio» et est assujettie à la redevance prévue à la partie VIII.
[134]La seconde question est celle de savoir si la Commission pouvait fixer une redevance sur les mémoires intégrées qui était supérieure à celle réclamée par la SCPCP et, dans l'affirmative, si la redevance en question était équitable.
Première question
[135]L'article 79 définit comme suit l'expression «support audio» (supp ort):
79. [. . .]
«support audio» Tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l'exception toutefois de ceux exclus par règlement.
[136]La redevance est imposée sur tout «support audio vierge» (auparavant désigné sous le nom de «support vierge») que la Loi définit comme suit (article 79):
79. [. . .]
[. . .] Tout support audio sur lequel aucun son n'a encore été fixé et tout autre support audio précisé par règlement.
La décision de la Commission
[137]La Commission a rejeté la demande de la SCPCP visant à assujettir à une redevance les DVD enregistrables ou réinscriptibles, les cartes mémoire et les microdisques durs amovibles. Elle a conclu que ces dispo sitifs n'étaient pas habituellement utilisés par les consommateurs pour copier de la musique (Copie privée III, aux paragraphes 146 à 151).
[138]Elle a toutefois estimé que les enregistreurs audionumériques (lecteur MP3) étaient utilisés à c ette fin et que la mémoire intégrée à ces enregistreurs audionumériques répondait à la définition de support audio. Le fait que cette mémoire soit intégrée à un appareil ne lui fait pas perdre son identité, de sorte qu'elle répond toujours à la définition prévue par la Loi.
[139]Le raisonnement exact qu'a suivi la Commission pour juger qu'une mémoire intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique est passible de la redevance repose sur la définition précitée de l'expression «support audio». Voici ce que dit la Commission (Copie privée III, au paragraphe 117):
En l'espèce, deux éléments de [la définition] intéressent la Commission. Le premier se rapporte à l'interprétation de l'expression «habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores». Le deuxième concerne la pertinence des attributs physiques du support («Tout support audio»), en particulier l'effet éventuel de son intégration à un appareil. Enfin, un aspect connexe concerne la notion de sup port «vierge».
[140]Sur le premier aspect, la Commission a estimé que les propriétés physiques intrinsèques de l'enregistreur audionumérique, notamment sa taille, son côté pratique et sa compatibilité, permettaient de conclure qu'il était «habituellement utilisé par les consommateurs» pour copier de la musique (Copie privée III, au paragraphe 155). Il s'ensuit que la mémoire intégrée à cet appareil était également utilisée à cette fin. Cette conclusion n'est pas contestée en soi .
[141]Le raisonnement que la Commission a suivi en ce qui concerne le second aspect de la définition écarte la forme au profit du fond (Copie privée III, aux paragraphes 126, 130 et 131):
Un deuxième élément de la définition de «support au dio» se rapporte à la forme du support. Cette question est importante parce que la Commission a été invitée à établir une redevance sur la mémoire intégrée à certains appareils mais non sur les appareils eux-mêmes. À ce stade, il convient donc de se demand er si l'intégration d'un produit à un appareil peut avoir une incidence sur son statut de support audio.
[. . .]
En ce qui a trait aux caractéristiques physiques du produit lui-même, la définition de «support audio» aurait difficilement pu être formulée de façon plus large. Plus spécifiquement, la version anglaise fait référence à tout support audio «regardless of its material form». Pour la Commission, le sens ordinaire de ces mots exclut la possibilité que la redevance ne devrait s'appliquer qu'aux supp orts «amovibles», et encore moins qu'aux seules cassettes audio.
Cette formulation démontre également qu'il n'importe pas que le support soit fixé ou autrement intégré à un appareil. L'étendue de la définition appuie la conclusion voulant que l'obligation de payer une redevance n'est pas tributaire des seules caractéristiques physiques du support. Un support intégré à un appareil demeure un support.
Erreurs dont serait entachée la décision à l'examen
[142]Les quatre membres de la CSMA qui agissent à titre de demanderesses dans la présente instance en contrôle judiciaire soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en assimilant à un support la mémoire intégrée en permanence à un enregistreur a udionumérique (lecteur MP3) et la considérant par conséquent assujettie à la redevance prévue à la partie VIII.
[143]Les demanderesses expliquent que la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique en fait partie intégrante, ne peut plu s en être dissociée et perd donc son identité distincte. On ne saurait donc prétendre que le fabricant ou l'importateur qui vend un enregistreur audionumérique vend aussi la mémoire intégrée qu'il contient.
[144]À titre subsidiaire, les dema nderesses soutiennent que la Commission a créé une exception à l'application de la partie VIII de la Loi, en frappant d'une redevance uniquement la mémoire qui est intégrée à un enregistreur audionumérique, et en exemptant la même mémoire lorsqu'elle est i ntégrée à d'autres appareils électroniques (tel que les moniteurs de fréquence cardiaque, les appareils photos numériques, les assistants numériques personnels et les téléphones).
Analyse
[145]Il n'est pas nécessaire de se lancer dans une l ongue analyse pour déterminer la norme de contrôle applicable, puisqu'elle dépend des définitions énoncées à l'article 79 et que la Cour a déjà déclaré que l'interprétation que la Commission a donnée de ces définitions doit être appréciée en fonction de la norme du bien-fondé de la décision (ou norme de la décision correcte).
[146]Dans l'arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, notre Cour a déclaré ce qui suit [ aux paragraphes 98, 104 et 105]:
L'essence de la compétence spécialisée de la Commission se situe dans l'application des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui ont trait à l'établissement et au calcul des redevances. Bien qu'elles soient nécessaires pour lui permettre de remplir cette fonction, les décisions par lesquelles la Commission définit les activités qui constituent une violation du droit d'auteur ont des répercussions qui «s'écartent du domaine d'expertise fondamental du tribunal» (Pushpanathan , précité, au paragraphe 38).
[. . .]
À mon avis, le fait que l'interprétation que la Commission du droit d'auteur a donnée des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur en litige ne relève pas de son domaine de compétence e xclusif mais qu'elle puisse se faire dans une instance judiciaire autre qu'une instance en contrôle judiciaire fait décidément pencher la balance en faveur de la norme de contrôle judiciaire axée sur le bien-fondé de la décision (ou norme de la décision co rrecte) et ce, parce qu'on ne saurait prétendre que la compétence spécialisée de la Commission sur ces questions est plus grande que celle de la Cour et parce que, dans le contexte de l'application de la présente loi, il est peu probable que la réserve jud iciaire favorise l'uniformité de même que l'efficacité et l'économie des ressources judiciaires.
En conséquence, à mon humble avis, la Cour a eu tort, dans l'arrêt AVS , précité, de prescrire la norme de la décision manifestement déraisonnable comme norme de contrôle à appliquer dans le cas de l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui ne relèvent pas du domaine de compétence exclusif de la Commission. Dans l'ensemble, il ressort de l'économie de la Loi sur le droit d'auteur que, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte à l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui pourraient également donner ouverture à une action en violation du droit d'auteur devant les tribunaux judiciaires. [Non souligné dans l'original.]
[147]Même si la SCPCP maintient que le sens de l'expression «support audio» telle qu'elle est définie à l'article 79 n'a pas d'incidence sur la violation du droit d'auteur, il n'en est pas ainsi en réalité. Si les enregistreurs audionumériques (ou les mémoires qui y sont intégrées) ne répondent pas à la définition, l'utilisation de ces appareils pour faire de la copie privée risque de viole r le droit d'auteur. Conformément à la proposition énoncée dans le passage précité, la décision de la Commission doit être examinée en fonction de la norme du bien-fondé (ou norme de la décision correcte).
[148]Appliquant cette norme, je ne crois pas qu'il était loisible à la Commission de fixer une redevance sur les mémoires intégrées à des enregistreurs audionumériques. À mon humble avis, la partie VIII de la Loi et la définition de l'expression «support audio» ne donnaient pas ce pouvoir à la Commission.
[149]La Commission a établi la redevance en partant du principe qu'elle pouvait effectivement regarder l'intérieur de l'appareil et aller jusqu'à la mémoire intégrée en permanence qui s'y trouve. La Commission a signalé à deux reprises que la redevance réclamée par la SCPCP et approuvée par elle visait «la mémoire intégrée à certains appareils» et non «des appareils» (Copie privée III, aux paragraphes 126 et 194).
[150]Le tarif que la Commission a homologué illustre bien la difficulté conceptuelle inhérente que comporte l'exercice auquel la Commission s'est livrée en homologuant une redevance portant sur la mémoire intégrée à un appareil mais non une redevance sur l'appareil lui-même (Copie privée III, au paragraphe 225):
En ce qui a trait à la mémoire non amovible intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique, la Commission adopte des taux de 2 $ par enregistreur pouvant enregistrer au plus 1 Go de données, 15 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus d'un Go et au plus 10 Go de données, et 25 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus de 10 Go de données. [Non souligné dans l'original.]
[151]Bien qu'elle ait prétendu établir une redevance sur la mémoire i ntégrée, la Commission a reconnu que, prise isolément, cette mémoire ne pouvait donner lieu à une redevance. Il lui fallait donc examiner l'appareil auquel la mémoire était intégrée (Copie privée III, au paragraphe 153):
Du point de vue technique, les disques durs d'ordinateurs personnels ressemblent en tous points à ceux dont sont munis certains enregistreurs audionumériques. On pourrait juger inapproprié de faire des généralisations au sujet des fins auxquelles sert la mémoire intégrée. To utefois, selon la Commission, le trait distinctif des supports intégrés en permanence à un appareil est qu'il devient possible de les catégoriser et d'établir l'utilisation que l'on en fait en tant que «types» particuliers de «support audio», en fonction de caractères intrinsèques des appareils dans lesquels le support a été incorporé. [Non souligné dans l'original.]
Ainsi, selon la Commission, la mémoire intégrée en permanence à un lecteur MP3 répond à la définition de «support audio» alors que la même mémoire intégrée à d'autres appareils n'y répond pas (Copie privée III, au paragraphe 155).
[152]Il ressort du raisonnement de la Commission et du tarif qu'elle a homologué que c'est l'appareil et non la mémoire qui y est intégrée qui est l'élément qui doit servir à définir la redevance. La Commission ne peut établir une redevance et déterminer les taux applicables en fonction de l'appareil tout en affirmant que la redevance s'applique à autre chose.
[153]On peut facilement comprendre pourquoi la Commission souhaitait aller aussi loin qu'il lui était possible de le faire pour faire tomber les lecteurs MP3 sous le coup de la partie VIII. Il ressort en effet de la preuve que ces enregistreurs permettent de fa ire de la copie privée à grande échelle. Leur utilisation risque de faire subir aux titulaires de droits un tort beaucoup plus grave que celui de n'importe quel «support audio vierge» au sens où cette expression était jusqu'ici entendue. Toutefois, aussi s ouhaitable qu'il puisse être de faire relever ces appareils de la partie VIII, la Loi ne confère pas ce pouvoir.
[154]La Commission a estimé que la définition de l'expression «support audio» lui conférait ce pouvoir. Elle s'est attardée à l'expression anglaise «regardless of its material form» pour déclarer que le législateur voulait que la redevance soit imposée sur le support et ce, peu importe que celui-ci soit intégré ou non à un appareil. Pour reprendre les mots de la Commission: «Un sup port intégré à un appareil demeure un support» (Copie privée III, au paragraphe 131).
[155]L'analyse de la Commission comporte plusieurs failles. En premier lieu, pour reprendre le raisonnement même de la Commission, une mémoire n'est pas un «support audio» tant et aussi longtemps qu'elle n'est pas intégrée à l'appareil approprié (Copie privée III, aux paragraphes 152 et 161). Il est donc difficile de comprendre comment on peut prétendre qu'une telle mémoire demeure un support une fois qu'ell e est intégrée à un appareil.
[156]En second lieu, l'intégration de la mémoire à un appareil, n'affecte en rien la forme de la mémoire. Il est par conséquent difficile de comprendre comment la Commission peut se fonder sur l'expression angla ise «regardless of its material form» pour justifier sa conclusion. Qui plus est, pour se fonder sur cette expression, la Commission devait d'abord identifier un «support» Or, suivant ses propres motifs, une mémoire n'est pas un «support audio» tant qu'ell e n'est pas intégrée à un enregistreur audionumérique.
[157]Force m'est de constater que l'expression sur laquelle la Commission s'est fondée pour «examiner l'intérieur» d'un enregistreur audionumérique pour atteindre la mémoire qui y était intégrée en permanence ne justifie pas sa conclusion eu égard à ses propres conclusions.
[158]La Commission reconnaît que, lorsqu'il a édicté la partie VIII, le législateur fédéral ne pouvait prévoir les progrès technologiques récents (Copie privée III, au paragraphe 133). L'historique législatif du projet de loi C-32, qui modifiait la Loi en y insérant la partie VIII, montre que le législateur était d'avis que les bandes sonores vierges étaient la cause du préj udice que subissaient les titulaires de droits et qu'il avait été mis au courant des propositions faites dans d'autres pays (dont les États-Unis) pour étendre la redevance au matériel utilisé pour impressionner et faire jouer les bandes audio vierges en qu estion. Le législateur fédéral a toutefois choisi de limiter la redevance aux supports vierges (Chambre des communes, Comité permanent du patrimoine canadien, Procès-verbaux, Rencontre no 24, 9 octobre 1996, à 2150; dossier de la demande, vol. III, onglet 5-B-13, aux pages 651 à 662; Chambre des communes, Comité permanent du patrimoine canadien, Procès-verbaux, Rencontre no 36, 6 novembre 1996, à 2035, où la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec a relevé la lacune suivante en fa isant remarquer que «le projet de loi C-32 ne prévoit pas le versement de redevances par les fabricants d'enregistreurs», dossier de la demande, vol. III, onglet 5-B-15, à la page 682; Chambre des Communes, Comité permanent du patrimoine canadien, Procès-verbaux, Rencontre no 27, 22 octobre 1996, à 1925 (B. Andriessen); dossier de la demande, vol. III, onglet 5-B-14, aux pages 663 à 674; Chambre de communes, Deuxième rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, décembre 1996; dossier de la demande, v ol. III, onglet 5-B-16, aux pages 698 à 717).
[159]Il en ressort que la définition que le législateur donne du «support audio» a comme effet d'établir une distinction d'avec l'enregistreur et les autres appareils semblables qui existaient à l'époque et dont la fonction est d'enregistrer et de faire jouer des bandes audio vierges. Personne n'a jamais prétendu que les enregistreurs à bande magnétique répondent à cette définition.
[160]Un enregistreur audionumérique n'est pas un s upport. La SCPCP l'a bien reconnu lorsqu'elle a demandé que la redevance s'applique à la mémoire qu'on y trouve mais non à l'enregistreur lui-même. La Commission a commis une erreur lorsqu'elle a déclaré qu'il lui était loisible d'homologuer une redevance sur la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique.
[161]Le paragraphe 82(1) de la Loi impose une redevance aux fabricants et aux importateurs de supports vierges. Aux termes de l'alinéa a ) de ce paragraphe, l'obligation de payer la re devance naît uniquement en cas de «vente ou [de] toute autre forme d'aliénation [de supports audio vierge]».
[162]La Commission devait donc examiner ce que les importateurs vendaient ou aliénaient (il est acquis aux débats qu'il n'y a pas de fabricants d'enregistreurs audionumériques au Canada) et décider si l'objet de la vente ou de l'aliénation en question répondait à la définition.
[163]La Commission ne s'est pas posé cette question. On peut cependant affirmer sans craindre de se tromper que, si elle s'était posé cette question, elle aurait conclu que l'objet de la vente ou de l'aliénation était un enregistreur audionumérique ou un appareil, pour reprendre le terme employé par la Commission, mais pas un support au sens de la loi. À défaut de vente d'un support, il ne peut y avoir d'obligation de payer la redevance.
[164]À mon humble avis, c'est au législateur fédéral qu'il appartient de décider si les enregistreurs audionumériques comme les lecteurs MP3 doivent faire partie de la catégorie d'articles assujettis à une redevance en vertu de la partie VIII. Dans sa rédaction actuelle, la partie VIII n'accorde pas le pouvoir d'homologuer des redevances sur ce type d'appareil ou s ur la mémoire qui y est intégrée.
[165]Je suis par conséquent d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne la première question litigieuse soulevée par les demanderesses.
Seconde question
[166]Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la seconde question. Toutefois, pour le cas où j'aurais tort sur la première question, j'estime qu'il est utile de traiter de la seconde. La question à résoudre à cet égard est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en fixant comme taux applicable aux mémoires intégrées en permanence dans des enregistreurs audionumériques un montant supérieur à celui qui a été proposé par la SCPCP et qui avait été publié avant l'ouverture de l'audien ce.
La décision de la Commission
[167]La Commission a expliqué qu'elle ne pouvait fixer le taux en s'appuyant sur le modèle proposé par la SCPCP en raison de sa complexité. Elle a donc établi la redevance à 2 $ par enregistreur ayant une ca pacité de mémoire maximale d'un gigaoctet. La SCPCP avait demandé une redevance de 2,1 ¢ par mégaoctet pour les mémoires non amovibles ayant une capacité de stockage inférieure à 1 gigaoctet, ce qui aurait donné lieu à une redevance de 67 ¢ et de 1,34 $ re spectivement.
[168]La Commission a expliqué pourquoi elle avait décidé d'autoriser une redevance plus élevée que celle qui était demandée (Copie privée III, aux paragraphes 201, 202 et 226):
[. . .] la Commission n'est pas en mesure d'établir le taux en s'appuyant sur le modèle mis de l'avant par la SCPCP. Elle le fera plutôt en tenant compte à la fois de certains principes sous-jacents à ce modèle et d'autres observations tirées du dossier relatives à ce type de sup ports Le taux de la redevance applicable à la mémoire non amovible intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique est établi à 2 $ par enregis-treur pouvant enregistrer au plus 1 Go de données, 15 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus d'un G o et au plus 10 Go de données, et 25 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus de 10 Go de données.
[. . .]
La Commission sait fort bien que le taux homologué pour les enregistreurs de faible capacité dépasse celui que la SCPCP avait proposé. La décisi on de la Commission est inévitable étant donné sa volonté de simplifier autant que possible la structure tarifaire visant ces supports. Enfin, compte tenu du petit écart entre les taux proposé et homologué (tout au plus quelques sous ou un dollar par enreg istreur), la Commission croit que les injustices entraînées par une structure tarifaire exagérément compliquée seraient bien plus grandes que l'accroissement des bénéfices pouvant découler de l'imposition d'un plafond correspondant aux redevances que la SC PCP avait demandées.
Erreurs dont serait entachée la décision à l'examen
[169]Les membres de la CSMA affirment que, rien dans la Loi n'habilite la Commission à faire fi du principe interdisant de statuer ultra petita . Aux termes du paragraphe 83(6) de la Loi, la Commission fait publier le projet de tarif dans la Gazette du Canada et donne un avis indiquant que quiconque peut y faire opposition en déposant auprès d'elle une déclaration en ce sens dans les 60 jours suivant la publication. Suiv ant les demanderesses, s'il était loisible à la Commission d'homologuer unilatéralement un tarif plus élevé que celui qui est proposé, l'objet visé par le délai de préavis prescrit par la loi serait en grande partie contrecarré.
[170]À titre subsidiaire, les demanderesses font valoir que le fait de fixer une redevance plus élevée que celle qui est prévue au tarif qui a été publié est fondamentalement injuste pour ceux qui auraient pu intervenir si le tarif approuvé avait été publié.
Analyse
[171]La norme de contrôle doit être déterminée en fonction de la question à trancher. Il y a deux questions à résoudre en l'espèce: la première est celle de savoir si le principe interdisant de statuer ultra petita s'applique aux décisions par lesquelles la Commission établit des tarifs en vertu de la partie VIII. Ce problème soulève une question de droit général qui aura valeur de précédent en ce qui concerne les décisions en matière d'établissement du tarif (comparer avec l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79 , [2003] 3 R.C.S. 77, sur l'application du principe de l'abus de procédure aux affaires d'arbitrage). Il semble donc que la norme du bien-fondé (ou norme de la décision correcte) soit la norme appropriée.
[172]La seconde question est celle de savoir si, en supposant que le principe interdisant de statuer ultra petita ne s'applique pas, la redevance établie par la Commission était injuste. La réponse à cette question oblige à évaluer l'objet de l'avis publi c que la Loi requiert la Commission de publier au sujet du projet de tarif et à nous demander si les intéressés ont été traités injustement du fait que le tarif était supérieur à celui qui avait été annoncé. Ce dernier aspect soulève une question d'équité procédurale qui, selon ce qui est généralement admis, ne commande aucune retenue judiciaire.
[173]Pour ce qui est de la première question, le principe interdisant de statuer ultra petita signifie en règle générale que le tribunal ne doit pas accorder plus qu'il n'a été demandé par les parties. Par exemple, un jugement qui accorde une somme d'argent supérieure à celle que réclame le demandeur peut être qualifié de jugement ultra petita ou extra petita.
[174]En droit civil, ce principe est codifié à l'article 468 du Code de procédure civile. [L.R.Q., ch. C-25] En common law, il est reconnu par la jurisprudence (voir, par exemple, les arrêts Johnston v. Buckland , [1937] R.C.S. 86; Corporation Agencies Ltd. v. Home Bank of Canada, [1925] R.C.S. 706; et Thibodeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, la juge McLachlin (tel était alors son titre), dissidente).
[175]Le législateur est libre de soustraire les tribunaux administr atifs aux contraintes du principe interdisant de statuer ultra petita. C'est souvent le cas, étant donné que les tribunaux administratifs sont le plus souvent créés pour promouvoir des intérêts qui peuvent aller au-delà des intérêts immédiats des parties q ui comparaissent devant eux (voir, par exemple, l'article 61 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20, art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301) dans sa rédaction en vigueur avan t son abrogation en 1993, qui conférait au CRTC le droit d'accorder toute autre réparation «en sus [. . .] de cell[e] qui a été demandé[e]»).
[176]Dans le cas qui nous occupe, les paragraphes 83(8) et (9) de la Loi sont particulièrement pert inents:
83. [. . .]
(8) Au terme de son examen, la Commission:
a) établit conformément au paragraphe (9):
(i) la formule tarifaire qui permet de déterminer les redevances,
(ii) à son appréciation, les modalités afférentes à celles-ci, notamment en ce qui concerne leurs dates de versement, la forme, la teneur et la fréquence des états de compte visés au paragraphe 82(1) et les mesures de protection des renseignements confidentiels qui y figurent;
b) modifie le projet de tarif en conséquence;
c) le certifie, celui-ci devenant dès lors le tarif homologué pour la société de gestion en cause;
d) désigne, à titre d'organisme de perception, la société de gestion ou autre société, association ou personne morale la mieux en mesure, à son avis, de s'acquitter des responsabilités ou fonctions découlant des articles 82, 84 et 86.
La Commission n'est pas tenue de faire une désignation en vertu de l'alinéa d) si une telle désignation a déjà été faite. Celle-ci demeure en vigueur jusqu'à ce que la Commission procède à une nouvelle désignation, ce qu'elle peut faire sur demande en tout temps.
(9) Pour l'exercice de l'attribution prévue à l'alinéa (8)a ), la Commission doit s'assurer que les redevances sont justes et équitables compte tenu, le cas échéant, des critères réglementaires.
[177]Bien que ce passage ne soit pas aussi clair que celui que je viens de citer, on peut constater qu'une fois saisie du projet de tarif, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire de fixer un t arif «juste et équitable» (paragraphe 83(9)) et d'établir «à son appréciation, les modalités afférentes [aux redevances]» (sous-alinéa 83(8)a (ii)) (non souligné dans l'original).
[178]Dans le cas qui nous occupe, la Commission a expliqué qu'elle n'était pas en mesure d'établir le taux en s'appuyant sur le modèle mis de l'avant par la SCPCP, parce qu'il était trop complexe (Copie privée III, au paragraphe 201). La Commission a plutôt choisi d'établir le taux en se fondant sur son propre modèle , qui s'est traduit par une augmentation négligeable (Copie privée III, au paragraphe 224).
[179]Pour fixer des redevances, la Commission doit tenir compte de nombreux facteurs, notamment des intérêts opposés des parties et de l'obligation d'établir des redevances qui soient justes et équitables. Compte tenu du rôle de la Commission, de la grande marge d'appréciation qui lui est laissée et du libellé des paragraphes 83(8) et (9), je suis d'avis que le principe interdisant de st atuer ultra petita n'empêchait pas la Commission de s'écarter comme elle l'a fait du projet de tarif.
[180]Sur la question de l'équité, les demanderesses allèguent que certains importateurs qui auraient pu participer aux audiences de la Commission ne l'ont pas fait parce qu'ils croyaient que le tarif ne serait pas plus élevé que celui qui avait été publié.
[181]Pour examiner cet argument, il est important de se rappeler que la redevance de 2 $ n'est supérieure au montant réclamé par la SCPCP que pour deux des quatre formats typiques de mémoires non amovibles à semiconducteurs ou mémoires «flash» intégrées à des enregistreurs audionumériques (32, 6 4, 128 et 256 mégaoctets). En revanche, la redevance est inférieure aux tarifs de 2,68 $ et de 5,37 $ qui auraient été appliqués aux enregistreurs renfermant des mémoires «flash» non amovibles de 128 ou de 256 mégaoctets si le tarif de 2,1 ¢ le mégaoctet p roposé par la SCPCP avait été accepté par la Commission. De plus, la redevance de 2 $ homologuée par la Commission est de beaucoup inférieure à la redevance de 21 $ par gigaoctet réclamée par la SCPCP pour les disques durs non amovibles dotés d'une capacité d'un gigaoctet.
[182]Il est révélateur que les demanderesses n'aient pas présenté le moindre élément de preuve pouvant laisser entendre que les intéressés qui n'avaient pas pris part aux audiences de la Commission l'auraient fait s'ils ava ient su que le tarif finalement homologué serait à peine plus élevé que celui qui avait été demandé. Cet état de fait démontre à mon avis que la Commission a bien évalué la situation et qu'elle est arrivée à la bonne conclusion lorsqu'elle a déclaré (voir le paragraphe 168 qui précède), que l'augmentation qu'elle accordait ne causerait aucune injustice.
[183]Pour ces motifs, je conclus que la Commission n'a commis aucune erreur en fixant une redevance plus élevée que celle qui était demandée.
[184]Je ferais néanmoins droit à la demande de contrôle judiciaire sur la première question et adjugerais aux demanderesses leurs dépens.
Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
ANNEXE I
PARTIE VIII
COPIE POUR USAGE PRIVÉ
Définitions
79. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
«artiste-interprète admissible» Artiste-interprète dont la prestation d'une oeuvre musicale, qu'elle ait eu lieu avant ou après l'entrée en vigueur de la présente partie:
a) soit est protégée par le droit d'auteur au Canada et a été fixée pour la première fois au moyen d'un enregistrement sonore alors que l'artiste-interprète était un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés;
b) soit a été fixée pour la première fois au moyen d'un enregistrement sonore alors que l'artiste-interprète était sujet, citoyen ou résident permanent d'un pays visé par la déclaration publiée en vertu de l'article 85.
«auteur admissible» Auteur d'une oeuvre musicale fixée au moyen d'un enregistrement sonore et protégée par le droit d'auteur au Canada, que l'oeuvre ou l'enregistrement sonore ait été resp ectivement créée ou confectionné avant ou après l'entrée en vigueur de la présente partie.
«organisme de perception» Société de gestion ou autre société, association ou personne morale désignée aux termes du paragraphe 83(8).
«producteur admissible» Le p roducteur de l'enregistrement sonore d'une oeuvre musicale, que la première fixation ait eu lieu avant ou après l'entrée en vigueur de la présente partie:
a) soit si l'enregistrement sonore est protégé par le droit d'auteur au Canada et qu'à la date de la première fixation, le producteur était un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou, s'il s'agit d'une personne morale, avait son siège social au Canada;
b) soit si le producteur était, à la date de la première fixation, sujet, citoyen ou résident permanent d'un pays visé dans la déclaration publiée en vertu de l'article 85 ou, s'il s'agit d'une personne morale, avait son siège social dans un tel pays.
«support audio» Tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l'exception toutefois de ceux exclus par règlement.
«support audio vierge» Tout support audio sur lequel aucun son n'a encore été fixé et tout autre support audio précisé par règlement.
Copie pour usage privé
80. (1) Sous réserve du paragraphe (2), ne constitue pas une violation du droit d'auteur protégeant tant l'enregistrement sonore que l'oeuvre musicale ou la prestation d'une oeuvre musical e qui le constituent, le fait de reproduire pour usage privé l'intégralité ou toute partie importante de cet enregistrement sonore, de cette oeuvre ou de cette prestation sur un support audio.
(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la reproduction de l'intégralité ou de toute partie importante d'un enregistrement sonore, ou de l'oeuvre musicale ou de la prestation d'une oeuvre musicale qui le constituent, sur un support audio pour les usages suivants:
a) vente ou location, ou exposition commerciale;
b) distribution dans un but commercial ou non;
c) communication au public par télécommunication;
d) exécution ou représentation en public.
Droit à rémunération
81. (1) Conformément à la présente partie et sous réserve de ses autres dispositions, les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles ont droit, pour la copie à usage privé d'enregistrements sonores ou d'oeuvres musicales ou de prestations d'oeuvres musicales qui les constituent, à une rémunérati on versée par le fabricant ou l'importateur de supports audio vierges.
(2) Les paragraphes 13(4) à (7) s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au droit conféré par le paragraphe (1) à l'auteur, à l'artiste-interprète et au producteur admissibles.
Redevances
82. (1) Quiconque fabrique au Canada ou y importe des supports audio vierges à des fins commerciales est tenu:
a) sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 86, de payer à l'organisme de perception une redevance sur la vente ou toute autre forme d'aliénation de ces supports au Canada;
b) d'établir, conformément au paragraphe 83(8), des états de compte relatifs aux activités visées à l'alinéa a) et aux activités d'exportation de ces supports, et de les communiquer à l'organisme de perception.
(2) Aucune redevance n'est toutefois payable sur les supports audio vierges lorsque leur exportation est une condition de vente ou autre forme d'aliénation et qu'ils sont effectivement exportés.
83. (1) Sous réserve du paragraphe (14), seules les sociétés de gestion agissant au nom des auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles qui les ont habilitées à cette fin par voie de cession, licence, mandat ou autrement peuvent déposer auprès de la Commission un projet de tarif des redevances à percevoir.
(2) Le projet de tarif peut notamment proposer un organisme de perception en vue de la désignation prévue à l'alinéa (8)d ).
(3) Il est à déposer, dans les deux langues officielles, au plus tard le 31 mars précédant la cessation d'effet du tarif homologué.
(4) Lorsqu'elle n'est pas régie par un tarif homologué au titre de l'alinéa (8)c ), la société de gestion doit déposer son projet de tarif auprès de la Commission au plus tard le 31 mars précédant la date prévue pour sa prise d'ef fet.
(5) Le projet de tarif prévoit des périodes d'effet d'une ou de plusieurs années civiles.
(6) Dès que possible, la Commission le fait publier dans la Gazette du Canada et donne un avis indiquant que quiconque peut y faire opposition en déposant auprès d'elle une déclaration en ce sens dans les soixante jours suivant la publication.
(7) Elle procède dans les meilleurs délais à l'examen du projet de tarif et, le cas échéant, des oppositions; elle peut également faire opposition au projet. Elle communi que à la société de gestion en cause copie des oppositions et aux opposants les réponses éventuelles de celle-ci.
(8) Au terme de son examen, la Commission:
a) établit conformément au paragraphe (9):
(i) la formule tarifaire qui permet de déterminer les redevances,
(ii) à son appréciation, les modalités afférentes à celles-ci, notamment en ce qui concerne leurs dates de versement, la forme, la teneur et la fréquence des états de compte visés au paragraphe 82(1) et les mesures de protection des renseignements confidentiels qui y figurent;
b) modifie le projet de tarif en conséquence;
c) le certifie, celui-ci devenant dès lors le tarif homologué pour la société de gestion en cause;
d) désigne, à titre d'organisme de perception, la société de gestion ou autre société, association ou personne morale la mieux en mesure, à son avis, de s'acquitter des responsabilités ou fonctions découlant des articles 82, 84 et 86.
La Commission n'est pas tenue de faire une désignation en vertu de l'alinéa d ) si une telle désignation a déjà été faite. Celle-ci demeure en vigueur jusqu'à ce que la Commission procède à une nouvelle désignation, ce qu'elle peut faire sur demande en tout temps.
(9) Pour l'exercice de l'attribution prévue à l'alinéa (8)a ), la Commission doit s'assurer que les redevances sont justes et équitables compte tenu, le cas échéant, des critères réglementaires.
(10) Elle publie dès que possible dans la Gazette du Canada les tarifs homologués; elle en envoie copie, accompagnée des motifs d e sa décision, à l'organisme de perception, à chaque société de gestion ayant déposé un projet de tarif et à toutes les personnes ayant déposé une opposition.
(11) Les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles qui ne sont pas représentés par une société de gestion peuvent, aux mêmes conditions que ceux qui le sont, réclamer la rémunération visée à l'article 81 auprès de la société de gestion désignée par la Commission, d'office ou sur demande, si pendant la période où une telle rémunérat ion est payable, un tarif homologué s'applique à leur type d'oeuvre musicale, de prestation d'une oeuvre musicale ou d'enregistrement sonore constitué d'une oeuvre musicale ou d'une prestation d'une oeuvre musicale, selon le cas.
(12) Le recours visé au paragraphe (11) est le seul dont disposent les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles en question en ce qui concerne la reproduction d'enregistrements sonores pour usage privé.
(13) Pour l'application des paragraphes (11) et (12), la Commission peut:
a) exiger des sociétés de gestion le dépôt de tout renseignement relatif au versement des redevances qu'elles reçoivent en vertu de l'article 84 aux personnes visées au paragraphe (1);
b) fixer par règlement des périodes d'au moins douze mois, commençant à la date de cessation d'effet du tarif homologué, pendant lesquelles la rémunération visée au paragraphe (11) peut être réclamée.
(14) Une personne ou un organisme peut, lorsque toutes les sociétés de gestion voulant déposer un projet de tari f l'y autorisent, déposer le projet pour le compte de celles-ci; les dispositions du présent article s'appliquent alors, avec les adaptations nécessaires, à ce projet de tarif.
Répartition des redevances
84. Le plus tôt possible après avoir reçu les redevances, l'organisme de perception les répartit entre les sociétés de gestion représentant les auteurs admissibles, les artistes-interprètes admissibles et les producteurs admissibles selon la proportion fixée par la Commission.
85. (1) Lorsqu'il est d'avis qu'un autre pays accorde ou s'est engagé à accorder, par traité, convention, contrat ou loi, aux artistes-interprètes et aux producteurs d'enregistrements sonores qui sont des citoyens canadiens ou des résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou, s'il s'agit de personnes morales, ayant leur siège social au Canada, essentiellement les mêmes avantages que ceux conférés par la présente partie, le ministre peut, en publiant une déclara tion dans la Gazette du Canada, à la fois:
a) accorder les avantages conférés par la présente partie aux artistes-interprètes et producteurs d'enregistrements sonores sujets, citoyens ou résidents permanents de ce pays ou, s'il s'agit de personnes morales, ayant leur siège social dans ce pays;
b) énoncer que ce pays est traité, à l'égard de ces avantages, comme s'il était un pays visé par l'application de la présente partie.
(2) Lorsqu'il est d'avis qu'un autre pays n'accorde pas ni ne s'e st engagé à accorder, par traité, convention, contrat ou loi, aux artistes-interprètes ou aux producteurs d'enregistre-ments sonores qui sont des citoyens canadiens ou des résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou, s'il s'agit de personnes morales, ayant leur siège social au Canada, essentiellement les mêmes avantages que ceux conférés par la présente partie, le ministre peut, en publiant une déclaration dans la Gazette du Canada , à la fois:
a) accorder les avantages conférés par la présente partie aux artistes-interprètes ou aux producteurs d'enregistrements sonores sujets, citoyens ou résidents permanents de ce pays ou, s'il s'agit de personnes morales, ayant leur siège social dans ce pays, dans la mesure où ces avantages y sont accordés aux artistes-interprètes ou aux producteurs d'enregistrements sonores qui sont des citoyens canadiens ou de tels résidents permanents ou, s'il s'agit de personnes morales, ayant leur siège social au Canada;
b) énoncer que ce pays est traité, à l'égard de ces avantages, comme s'il était un pays visé par l'application de la présente partie.
(3) Les dispositions de la présente loi que le ministre précise dans la déclaration s'appliquent:
a) aux artistes-interprètes ou producteurs d'enregistrements sonores visés par cette déclaration comme s'ils étaient citoyens du Canada ou, s'il s'agit de personnes morales, avaient leur siège social au Canada;
b) au pays visé par la déclaration, comme s'il s'agissait du Canada.
(4) Les autres dispositions de la présente loi s'appliquent de la manière prévue au paragraphe (3), sous réserve des exceptions que le ministre peut prévoir dans la déclaration.
Exemption
86. (1) La vente ou toute autre forme d'aliénation d'un support audio vierge au profit d'une société, association ou personne morale qui représente les personnes ayant une déficience perceptuelle ne donne pas lieu à redevance.
(2) Toute société, association ou personne morale visée au para graphe (1) qui achète au Canada un support audio vierge à une personne autre que le fabricant ou l'importateur a droit, sur preuve d'achat produite au plus tard le 30 juin de l'année civile qui suit celle de l'achat, au remboursement sans délai par l'organ isme de perception d'une somme égale au montant de la redevance payée.
(3) Si les règlements pris en vertu de l'alinéa 87a ) prévoient l'inscription des sociétés, associations ou personnes morales qui représentent des personnes ayant une déficience percept uelle, les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent qu'aux sociétés, associations ou personnes morales inscrites conformément à ces règlements.
Règlements
87. Le gouverneur en conseil peut, par règlement:
a) régir les exemptions et les remboursements prévus à l'article 86, notamment en ce qui concerne:
(i) la procédure relative à ces exemptions ou remboursements,
(ii) les demandes d'exemption ou de remboursement,
(iii) l'inscription des sociétés, associations ou personnes morales qui représentent les personnes ayant une déficience perceptuelle;
b) prendre toute mesure d'ordre réglementaire prévue par la présente partie;
c) prendre toute autre mesure d'application de la présente partie.
Recours civils
88. (1) L'organisme de perception peut, pour la période mentionnée au tarif homologué, percevoir les redevances qui y figurent et, indépendamment de tout autre recours, le cas échéant, en poursuivre le recouvrement en justice.
(2) En cas de non-paiement des redevances prévues par la prése nte partie, le tribunal compétent peut condamner le défaillant à payer à l'organisme de perception jusqu'au quintuple du montant de ces redevances et ce dernier les répartit conformément à l'article 84.
(3) L'organisme de perception peut, en sus de tout autre recours possible, demander à un tribunal compétent de rendre une ordonnance obligeant une personne à se conformer aux exigences de la présente partie.
(4) Lorsqu'il rend une décision relativement au paragraphe (2), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants:
a) la bonne ou mauvaise foi du défaillant;
b) le comportement des parties avant l'instance et au cours de celle-ci;
c) la nécessité de créer un effet dissuasif en ce qui touche le non-paiement des redevances.