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T-260-04

2004 CF 1278

AstraZeneca Canada Inc. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Santé, le procureur général du Canada et Apotex Inc. (défendeurs)

Répertorié: AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen--Vancouver, 17 août; Ottawa, 20 septembre 2004.

Brevets -- Contrôle judiciaire d'un avis de conformité (AC) délivré à un fabricant de médicaments génériques pour de l'oméprazole en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Il s'agit de savoir si le ministre a agi illégalement en n'exigeant pas que le fabricant de médicaments génériques signifie une nouvelle allégation sous le régime de l'art. 5 du Règlement relativement à une nouvelle formulation du médicament -- Examen du litige opposant les parties depuis 11 ans -- Recours qui s'offre au breveté lorsqu'un fabricant de médicaments génériques fait des déclarations inexactes, trompeuses ou fausses au ministre: action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law -- S'il était jugé que le fabricant de médicaments génériques a fait des déclarations trompeuses dans une présentation de drogue nouvelle, la Cour pourrait accorder des dommages-intérêts exemplaires ainsi que les dépens sur une base avocat-client -- Le certiorari est une mesure de redressement exceptionnelle qui n'est pas accordée lorsqu'il existe un autre recours -- Étendue des obligations du ministre lorsqu'il administre le Règlement -- Il ne relève pas du ministre de procéder à l'examen de l'ordonnance rendue sur consentement -- Compte tenu de la jurisprudence de la C.S.C. concernant l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est celle de la décision raisonnable -- La décision rendue par le ministre sous le régime du Règlement était raisonnable compte tenu de la preuve mise à sa disposition.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'un avis de conformité (AC) délivré au fabricant de médicaments génériques Apotex pour des gélules d'oméprazole en doses de 20 mg. La demanderesse soutient que le ministre a délivré l'AC illégalement parce qu'il n'a pas exigé qu'Apotex signifie une nouvelle allégation relativement à une nouvelle formulation du médicament.

AstraZeneca a commencé à commercialiser ce médicament en 1989 sous la marque «Losec». Ce médicament est utilisé pour traiter des maux d'estomac comme les ulcères et le reflux gastro-oesophagien. Apotex tente depuis 1993 de commercialiser sur le marché canadien une version générique de ce médicament. Le litige entre les parties dure depuis environ 11 ans. Apotex a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) qui faisait état d'une étude de biodisponibilité dans laquelle le produit d'Apotex était comparé au «Losec». Dans son avis d'allégation, elle a déclaré qu'il n'y aurait pas contrefaçon des brevets de la demanderesse parce que l'enrobage gastrorésistant de son médicament est appliqué directement sur le noyau d'oméprazole, de sorte qu'il n'y a pas de sous-enrobage. La demanderesse a réagi en présentant une demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction fondée sur l'article 6 du Règlement, mais cette demande a été rejetée par une ordonnance sur consentement. Apotex a plus tard redéposé sa PDN, expliquant comment l'épaisseur de l'enrobage gastrorésistant ainsi que certains ingrédients avaient été modifiés. À la suite d'un litige comportant plusieurs demandes d'interdiction, Apotex a présenté un nouvel avis alléguant la non-contrefaçon et s'appuyant sur une formulation différente, mais cet avis est réputé avoir été retiré dans une demande d'interdiction ultérieure.

Dans un AC en date du 5 octobre 1999, Apotex a présenté un nouvel avis d'allégation reposant sur une formulation qui ne contenait pas de potassium, de sodium ou de sel d'aluminium. Une demande d'interdiction a été rejetée. Le ministre a ensuite délivré un AC à Apotex, concluant que celle-ci n'avait pas à déposer une nouvelle allégation.

La question de savoir si le ministre a commis une erreur en délivrant un AC à Apotex sans exiger qu'elle dépose une nouvelle allégation relativement à sa nouvelle formulation comportait également celle de savoir si une telle décision donnait ouverture à un contrôle judiciaire.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Devant le ministre, Apotex a affirmé que sa nouvelle formulation ne comportait pas des différences marquées avec la formulation faisant l'objet d'une ordonnance rendue par la Cour dans le cadre d'une instance relative à une demande d'interdiction fondée sur le Règlement, instance qui avait opposé les mêmes parties en ce qui concerne les mêmes brevets et le même médicament. Dans Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 312 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que, lorsqu'un fabricant de médicaments génériques fait des déclarations inexactes, trompeuses ou fausses au ministre, le recours qui s'offre au breveté est l'action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law et non une demande de contrôle judiciaire fondée sur la Loi sur la Cour fédérale (maintenant la Loi sur les Cours fédérales). Cette décision a été maintenue en appel, le juge Rothstein, J.C.A., écrivant que le ministre n'a pas l'obligation d'apprécier si un avis d'allégation peut tromper un breveté ou lui être mensonger. En l'espèce, le ministre n'était pas tenu de vérifier si, pour l'application du Règlement, la nouvelle formulation présentait une différence marquée avec la formulation faisant l'objet de l'ordonnance de la Cour fédérale ayant rejeté une demande d'interdiction visant le même brevet et le même médicament. Une décision de la Section de première instance permet d'affirmer qu'étant donné que le Règlement n'exige pas que la seconde personne envoie une copie de l'avis d'allégation et de l'énoncé détaillé au ministre, ce dernier n'est pas légalement tenu de les comparer afin d'en vérifier l'exactitude. Si la contrefaçon des brevets était démontrée, il pourrait en résulter de graves conséquences pour Apotex, la Cour pouvant notamment la condamner à payer des dommages-intérêts exemplaires ainsi que les dépens sur une base avocat-client. La mesure de redressement extraordinaire que constitue le certiorari n'est habituellement pas accordée lorsqu'il existe un autre recours adéquat. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre sera rejetée.

Si la décision avait été assujettie au contrôle judiciaire, pour déterminer la norme de contrôle applicable, il y aurait eu lieu de procéder à l'analyse pragmatique et fonctionnelle prescrite par la Cour suprême du Canada dans des arrêts de principe comme Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Après avoir appliqué cette analyse en l'espèce, il convenait de conclure que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

Examinée au regard de cette norme, la décision du ministre de délivrer un AC à Apotex sans exiger qu'elle dépose une nouvelle allégation était raisonnable. L'article 5 du Règlement n'oblige pas le ministre à exiger le dépôt d'une nouvelle allégation dans les cas où la personne produit une présentation révisée en vue d'obtenir un AC. En l'espèce, le ministre avait considéré la présentation «redéposée» en 1997 comme le prolongement de celle qui avait été déposée en 1993. Le ministre n'avait pas mal interprété l'ordonnance sur consentement rendue par le juge Richard (tel était alors son titre) en 1996 parce qu'il rejetait alors une demande d'interdiction.

L'attendu de l'ordonnance sur consentement de 1996 envisageait l'éventualité que des modifications soient apportées à la formulation des gélules d'oméprazole d'Apotex, cette dernière s'étant engagée à faire en sorte que les gélules d'oméprazole qu'elle produit «ne tombent [. . .] pas dans le champ d'application [de ces brevets]». Il ne relevait pas du ministre, qui administre le Règlement, de procéder à l'examen de l'ordonnance rendue sur consentement en 1996, d'établir en quoi les formulations des gélules d'oméprazole d'Apotex différaient à diverses étapes du processus ou de déterminer s'il s'agissait de différences marquées par rapport aux brevets.

lois et règlements cités

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5 (mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2), 6 (mod. par DORS/98-166, art. 5; 99-379, art. 3).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 312 (C.F. 1re inst.); conf. par (2002), 20 C.P.R. (4th) 29; 292 N.R. 147; 2002 CAF 289; Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1999), 87 C.P.R. (3d) 83; 165 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 9 C.P.R. (4th) 439; 266 N.R. 339 (C.A.F.); Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; 2003 CSC 19.

décisions citées:

Astra Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 69 (C.F. 1re inst.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; (2003), 257 N.B.R. (2d) 207; 223 D.L.R. (4th) 577; 48 Admin. L.R. (3d) 33; 31 C.P.C. (5th) 1; 302 N.R. 1; 2003 CSC 20.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de délivrer un AC en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Demande rejetée.

ont comparu:

Gunars A. Gaikis, J. Sheldon Hamilton et Yoon Kang pour la demanderesse.

F. B. Woyiwada pour les défendeurs le ministre de la Santé et le procureur général du Canada.

H. B. Radomski et Andrew R. Brodkin pour la défenderesse Apotex Inc.

avocats inscrits au dossier:

Smart & Biggar, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs le ministre de la Santé et le procureur général du Canada.

Goodmans LLP, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant un avis de conformité (AC) que le ministre de la Santé a délivré à Apotex le 27 janvier 2004 pour des gélules d'oméprazole en doses de 20 mg. La demanderesse soutient que le ministre a délivré l'AC illégalement parce qu'il n'a pas exigé qu'Apotex signifie une nouvelle allégation sous le régime de l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] (le Règlement), relativement à une nouvelle formulation du médicament.

[2]Une allégation précédente concernant le même médicament et les mêmes brevets a fait l'objet d'une demande d'interdiction fondée sur le Règlement, qui a été rejetée par une ordonnance de la Cour rendue sur consentement en 1996.

LES FAITS

Le contexte

[3]La demanderesse, AstraZeneca Canada Inc., est une société pharmaceutique ayant commencé à commer-cialiser l'oméprazole en 1989 sous la marque nominative «Losec». Le «Losec» est utilisé pour traiter certains maux d'estomac liés à l'hyperacidité comme les ulcères gastrique et duodénal, le reflux gastro-oesophagien, le syndrome Zollinger-Ellison et la dyspepsie.

[4]Apotex, un fabricant de produits pharmaceutiques génériques, tente depuis 1993 de commercialiser sur le marché canadien une version générique du "Losec" en doses de 20 mg. La présente demande de contrôle judiciaire est l'un des nombreux recours ayant opposé les parties au cours des 11 dernières années concernant le droit de fabriquer et de commercialiser les gélules d'oméprazole.

Les brevets pertinents

[5]En l'espèce, AstraZeneca s'appuie sur deux brevets faisant l'objet d'une inscription au registre des brevets pour les gélules d'oméprazole, à savoir le brevet no 1292693 (le brevet 693) et le brevet no 1302891 (le brevet 891). Initialement, AstraZeneca s'appuyait également sur le brevet no 1388377 (le brevet 377), qui a fait l'objet du recours distinct dont il est question plus loin. La demanderesse n'invoque plus ce troisième brevet dans le cadre de la présente instance.

Le brevet 693

[6]Première revendication se rapportant au brevet 693:

[traduction]

1.     Une préparation pharmaceutique pour administration orale, comprenant:

a) un noyau renfermant une quantité efficace d'une substance choisie dans le groupe constitué par l'oméprazole et un réactif alcalin [. . .];

b) un sous-enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l'eau, qui recouvre le noyau et qui renferme une ou plusieurs couches de substances sélectionnées parmi les excipients des comprimés et les polymères feuillogènes;

c) une couche externe recouvrant le sous-enrobage et constituant un enrobage gastrorésistant.

Le brevet 891

[7]Première revendication se rapportant au brevet 891:

[traduction]

1.     Une préparation pharmaceutique comprenant:

a) un noyau réagissant en milieu alcalin constitué d'une substance pharmaceutiquement active, labile en milieu acide, et d'un composé réagissant en milieu alcalin différent de cette substance active [. . .];

b) un sous-enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l'eau, qui recouvre le noyau et qui est constitué d'une ou de plusieurs couches de matières sélectionnées dans le groupe formé des excipients des comprimés, des comprimés feuillogènes et des composés alcalins;

c) un enrobage gastrorésistant recouvrant le sous-enrobage, lequel sous-enrobage sépare le noyau réagissant en milieu alcalin de l'enrobage gastrorésistant de façon à accroître la stabilité de la préparation.

Présentation de drogue nouvelle et allégation

[8]Apotex a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) auprès de Santé Canada concernant des gélules d'Apo-oméprazole en doses de 20 mg. La PDN fait état d'une étude de biodisponibilité dans laquelle est effectuée une comparaison entre les gélules d'Apotex et les gélules "Losec" de 20 mg commercialisées par AstraZeneca. Des détails concernant la formulation du médicament d'Apotex y figurent également.

[9]Dans un avis d'allégation en date du 27 avril 1993, Apotex déclare que ses comprimés ne contreferaient pas les brevets 693 et 891 parce que l'enrobage gastrorésistant est appliqué directement sur le noyau de l'oméprazole, de sorte qu'il n'a pas de sous-enrobage. En réponse, AstraZeneca (alors Astra Pharma Canada Inc.) a présenté une demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction fondée sur l'article 6 [mod. par DORS/98-166, art. 5; 99-379, art. 3] du Règlement (l'instance de 1993). Par une ordonnance sur consentement en date du 3 mai 1996, la Cour a rejeté cette demande (voir les explications données plus loin).

[10]Le 16 décembre 1997, Apotex a redéposé sa PDN auprès de Santé Canada. Elle y explique comment l'épaisseur de l'enrobage gastrorésistant ainsi que les ingrédients de sa formulation ont été modifiés. La formulation faisant l'objet de cette PDN a été acceptée par Santé Canada, qui a conclu qu'elle remplissait les exigences du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Ainsi, n'eût été les procédures pendantes, la PDN d'Apotex aurait été jugée acceptable sous le régime de ce règlement.

Le litige

[11]En 1993 et en 1999, plusieurs demandes d'inter-diction ont été présentées, sur le fondement de l'article 6 du Règlement, concernant les brevets 693, 891 et 377.

[12]Le 3 mai 1996, par ordonnance sur consentement, le juge Richard (tel était alors son titre) a rejeté la demande concernant les brevets 693 et 891 (T-1446-93). Cette ordonnance était en partie libellée comme suit:

[traduction] LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE QUE: [. . .]

2.     La demande de la partie demanderesse concernant les brevets [. . .] 693, 891 [. . .] est rejetée.

[13]À la suite de l'ordonnance sur consentement prononcée dans le dossier T-1446-93, Apotex a fait parvenir un nouvel avis alléguant la non-contrefaçon des brevets 693 et 891. Cet avis, en date du 16 décembre 1997 (date à laquelle Apotex a redéposé sa PDN par suite des modifications apportées à sa formulation), énonçait qu'Apotex s'appuyait sur une formulation différente de celle qui avait été divulguée dans le cadre d'une instance antérieure. En réponse, AstraZeneca a introduit une nouvelle demande d'interdiction (dossier T-178-98). Par une ordonnance sur consentement prononcée le 18 mai 1999 par la juge Tremblay-Lamer, l'avis d'allégation est réputé avoir été retiré et la demande d'interdiction abandonnée.

L'instance de 1999 (le brevet 377)

[14]Dans un avis d'allégation en date du 5 octobre 1999, Apotex soutient que sa formulation ne contreferait pas le brevet 377 étant donné qu'elle ne contient pas de potassium, de sodium ou de sel d'aluminium. Cet avis d'allégation a fait l'objet d'une demande d'interdiction dans le dossier T-2026-99. Le 8 septembre 2000, le juge McKeown a rejeté cette demande, avec dépens en faveur d'Apotex [Astra Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 69) (C.F. 1re inst.)].

LA DÉCISION DU MINISTRE

[15]L'AC en cause dans la présente instance a été délivré à Apotex le 27 janvier 2004. Par lettre en date du 3 février 2004, le représentant du ministre a informé AstraZeneca qu'Apotex n'aurait pas à présenter un nouvel avis d'allégation concernant les brevets 693 et 891 en raison du rejet de la demande d'interdiction d'AstraZeneca par la Cour fédérale. Il a également affirmé ne pas avoir le pouvoir d'exiger qu'Apotex dépose un autre avis d'allégation concernant les brevets 693 et 891, et que pour obtenir réparation sur le fondement des manquements invoqués à l'appui de la demande d'interdiction, un recours devait être exercé sous le régime de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. La première page de la lettre est reproduite ci-dessous:

[traduction] Comme vous le savez, par ordonnance en date du 3 mai 1996, la Cour fédérale a rejeté la demande par laquelle AstraZeneca demandait à la Cour d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité concernant les gélules d'Apo-oméprazole avant l'expiration des brevets 693 et 891. Toutefois, vous avez indiqué, depuis, que la formule qui a été divulguée par Apotex au cours de l'instance dans le cadre du dossier T-1446-93 pouvait différer de celle sur laquelle Apotex s'est appuyée dans le cadre du dossier T-2026-99 et dans des instances en interdiction ultérieures. Vous avez également affirmé que la Direction des produits thérapeutiques (DPT) aurait donc dû exiger qu'Apotex signifie un autre avis d'allégation à AstraZeneca relativement aux brevets 693 et 891 avant qu'elle ne soit admissible à recevoir son AC.

Sauf votre respect, la DPT ne partage pas votre point de vue. Étant donné qu'Apotex a eu gain de cause, dans le dossier T-1446-93, en ce qui concerne les brevets 693 et 891, le ministre n'a pas le pouvoir sous le régime de l'article 7 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) de refuser, sur le fondement de l'un ou l'autre des brevets 693 ou 891, de lui délivrer un avis de conformité. De la même façon, le ministre n'a pas le pouvoir d'exiger qu'Apotex dépose un nouvel avis d'allégation concernant les brevets à l'égard desquels la société a déjà présenté une allégation.

En ce qui concerne vos préoccupations au sujet des formules sur lesquelles Apotex s'est appuyée dans le cadre des différentes instances en interdiction en cause, la Direction des produits thérapeutiques est d'avis que, dans de telles circonstances, si une deuxième personne présente un produit sur le marché qui s'écarte de celui sur lequel elle s'est appuyée pendant les instances en interdiction, la procédure appropriée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) consiste pour la première personne à se prévaloir du recours prévu par la Loi sur les brevets.

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[16]Les articles 5 et 6 du Règlement sont reproduits à l'annexe A des présentes.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]Il s'agit de déterminer si le ministre a commis une erreur en délivrant un AC à Apotex concernant sa nouvelle formulation d'oméprazole en doses de 20 mg sans exiger que la société dépose, sur le fondement de l'article 5 du Règlement, une nouvelle allégation relativement aux brevets de la demanderesse portant les nos 693 et 891.

[18]Pour se prononcer sur la question susmentionnée, il faut statuer sur deux sous-questions:

i) la décision du ministre, prise sous le régime du Règlement (la décision de ne pas exiger qu'Apotex dépose une nouvelle allégation concernant sa nouvelle formulation), donne-t-elle ouverture à une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par 2002, ch. 8, art. 14) et

ii) dans l'affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable?

POSITION DES PARTIES

A) La demanderesse

i) Norme de contrôle

[19]La demanderesse soutient que dans le cadre du contrôle de la décision de délivrer un AC, il faut appliquer la norme de la décision correcte parce que la décision en cause concerne une question de droit ou des questions mixtes de fait et de droit.

ii) Certiorari

[20]La demanderesse fait valoir que lorsqu'une mesure administrative contrevient à une obligation imposée par la loi, le tribunal saisi d'une demande de contrôle doit normalement l'invalider. La demanderesse avance que lorsqu'un fabricant de médicaments génériques fait défaut de respecter le Règlement en omettant de signifier un avis d'allégation, les prescriptions du Règlement ne s'appliquent pas et l'AC peut être annulé.

iii) Manquement au Règlement

[21]La demanderesse avance qu'Apotex a omis de soumettre une allégation concernant sa formulation homologuée. La demanderesse soutient que l'allégation qu'Apotex a soumise en 1993 est nulle parce qu'elle a été faite avant le dépôt de la PDN. La demanderesse soutient également qu'Apotex n'a pas présenté d'allégation relativement à sa nouvelle PDN.

[22]La demanderesse fait valoir que le ministre était tenu de déterminer si Apotex s'était conformée au Règlement et de déterminer si elle avait produit une allégation concernant la PDN redéposée. Elle ajoute que le ministre a conclu à tort que son obligation se limitait à vérifier si les exigences de forme prévues à l'article 5 du Règlement avaient été remplies étant donné que le Règlement exige sans équivoque que le ministre rattache une allégation de non-contrefaçon à une formulation ou à une PDN faisant l'objet d'une demande d'AC.

[23]La demanderesse soutient que le ministre a commis une erreur en concluant qu'aucune autre réparation ne s'offrait à AstraZeneca par suite de la tromperie imputée à Apotex; la demanderesse fait valoir que le Règlement vise essentiellement à accorder aux brevetés une protection plus efficace que celle qu'offrent les recours de droit privé.

B) La défenderesse

[24]Apotex soutient que la contestation de la décision du ministre concernant les brevets 693 et 891 est sans fondement étant donné qu'AstraZeneca a consenti au rejet de la demande d'interdiction se rapportant à ceux-ci.

[25]Apotex fait valoir que les changements mineurs qu'elle a apportés à sa formulation n'ont pu, de toute évidence, avoir une incidence sur l'ordonnance prononcée sur consentement par la Cour fédérale, et ce, pour les motifs suivants:

1) AstraZeneca n'a pas présenté l'ombre d'une preuve pour appuyer sa prétention selon laquelle elle a consenti à l'ordonnance en raison des ingrédients particuliers que contenait la formulation d'Apotex;

2) rien ne permet de conclure qu'AstraZeneca se serait abstenue de consentir à l'ordonnance en cause si elle avait su que les gélules d'Apotex contenaient de l'hydroxyde de magnésium plutôt que du phosphate dibasique de sodium;

3) rien ne permet de conclure que l'épaisseur de l'enrobage gastrorésistant de la formulation d'Apotex a eu une incidence quelconque sur la décision d'AstraZeneca de consentir au prononcé de l'ordonnance;

4) l'allégation de 1993 sous-tend que l'enrobage gastrorésistant de la formulation d'Apotex serait appliqué directement sur le noyau et elle n'a pas été formulée en tenant compte des ingrédients chimiques entrant dans la composition de la formulation.

C) Le ministre de la Santé

[26]Le ministre de la Santé affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et qu'est déraisonnable la décision qui n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. Suivant la jurisprudence, dont la décision Syntex (citée plus loin), le ministre n'a pas à vérifier l'exactitude des renseignements divulgués dans le cadre d'une instance relative à un AC. Le ministre a agi raisonnablement en appliquant l'ordonnance de 1996, qui rejette la demande d'interdiction visant les mêmes brevets, les mêmes parties et le même médicament, sans égard au fait que la formulation ait été révisée.

ANALYSE

Question no 1

La décision du ministre, prise sous le régime du Règlement (la décision de ne pas exiger qu'Apotex dépose une nouvelle allégation concernant sa nouvelle formulation), donne-t-elle ouverture à une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales?

[27]Devant le ministre, Apotex a affirmé que sa nouvelle formulation ne comportait pas des différences marquées avec la formulation faisant l'objet d'une ordonnance rendue par la Cour dans le cadre d'une instance relative à une demande d'interdiction fondée sur le Règlement, instance qui avait opposé les mêmes parties en ce qui concerne les mêmes brevets et le même médicament.

[28]Dans Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 312 (C.F. 1re inst.), j'ai statué que lorsqu'un fabricant de médicaments génériques fait des déclarations inexactes, trompeuses ou fausses au ministre dans le cadre de l'application du Règlement, le recours qui s'offre au breveté est l'action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law et non la demande de contrôle judiciaire fondée sur la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Voici ce que j'énonçais au paragraphe 18 [2001 CFPI 1185]:

Les différentes affaires indiquent l'existence d'une tendance, le breveté alléguant que la présentation de drogue nouvelle du fabricant des médicaments génériques renferme des renseignements inexacts ou trompeurs. La Cour d'appel fédérale a statué à maintes reprises qu'un breveté est en mesure de vérifier l'exactitude des énoncés d'un fabricant de médicaments génériques à l'égard de la drogue une fois que le produit a atteint le marché et que, si ces énoncés s'avèrent inexacts, les conséquences pour le fabricant de produits génériques «pourraient effectivement être très graves». Le breveté peut intenter une action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law, et il peut en pareil cas solliciter une injonction et des dommages intérêts punitifs.

Dans Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 20 C.P.R. (4th) 29, la Cour d'appel fédérale a maintenu ma décision. Le juge Rothstein, J.C.A. s'exprime comme suit au paragraphe 9 [2002 CAF 289]:

Le ministre n'a pas l'obligation d'apprécier si un avis d'allégation peut tromper un breveté ou lui être mensonger.

De la même façon, en l'espèce, le ministre n'était pas tenu de vérifier si, pour l'application du Règlement, la nouvelle formulation des gélules d'oméprazole d'Apotex présentait une différence marquée avec la formulation faisant l'objet de l'ordonnance de la Cour fédérale qui rejetait une demande d'interdiction visant le même brevet et le même médicament.

[29]Dans Syntex, j'énonce ce qui suit au paragraphe 19:

La jurisprudence établit que les demandes fondées sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale visant à l'obtention d'une ordonnance d'interdiction ou d'un jugement déclaratoire ne peuvent pas normalement être présentées à l'égard d'un avis d'allégation signifié en vertu du Règlement.

De façon similaire, dans la présente instance, une décision du ministre de ne pas exiger qu'un fabricant de médicaments génériques dépose une nouvelle allégation ne saurait donner ouverture à une demande fondée sur la Loi sur les Cours fédérales. Si Apotex a donné des renseignements trompeurs en ce qui concerne la formulation modifiée, la question devrait être tranchée sous le régime de la Loi sur les brevets.

[30]Le juge Teitelbaum a conclu de manière similaire dans Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1999), 87 C.P.R. (3rd) 83 (C.F. 1re inst.) (confirmée par la Cour d'appel (2000), 9 C.P.R. (4th), 439). Il s'exprime comme suit au paragraphe 28 [[1999] A.C.F. no 419 (QL)]:

À mon avis, ni le Règlement ni la jurisprudence n'obligent le ministre à s'assurer que les documents déposés à son bureau et les documents signifiés à la première personne ont le même contenu. Le ministre doit vérifier si son bureau a reçu une preuve de la signification de l'avis d'allégation et de l'énoncé détaillé à la première personne. Le Règlement n'exige pas que la seconde personne envoie une copie de l'avis d'allégation et de l'énoncé détaillé au ministre. Par conséquent, le ministre n'est pas légalement tenu de les comparer afin d'en vérifier l'exactitude.

Il ajoute ce qui suit au paragraphe 33:

[. . .] la procédure en certiorari n'est pas l'instance appropriée pour déterminer les différences, les incohérences ou les inexactitudes du procédé [sous le régime de la réglementation concernant les avis de conformité].

Enfin au paragraphe 34, il dit:

[. . .] la question la plus importante dans ce type de procédure est celle de la contrefaçon.

Si la nouvelle formulation des gélules d'oméprazole en doses de 20 mg d'Apotex contrefait les brevets d'AstraZeneca, il pourrait en résulter, dans le cadre d'une action en contrefaçon, de «graves conséquences» pour Apotex, que la Cour pourrait notamment condamner à payer, en sus de dommages-intérêts ordinaires, des dommages-intérêts exemplaires ainsi que les dépens sur une base avocat-client. Dans l'arrêt Eli Lilly, la Cour d'appel a confirmé la décision de la Section de première instance et a ainsi statué aux paragraphes 9 à 11 [[2000] A.C.F. no 1905 (QL)]:

Il suffit de dire que le certiorari est une mesure de redressement extraordinaire qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Même s'il est possible d'établir que l'acte administratif est vicié en raison d'une erreur, cette réparation ne sera habituellement pas accordée lorsque l'appelant dispose d'un autre recours adéquat.

Selon nous, même si le Ministre, comme le prétend Lilly, a délivré un ADC alors qu'Apotex n'avait pas signifié un énoncé détaillé complet et exact conformément au Règlement, le juge des requêtes pouvait conclure que Lilly ne peut exercer que les droits et recours prévus par le droit privé qui lui sont offerts en qualité de titulaire d'un brevet. L'avocat de l'appelante nous a d'ailleurs informés du fait qu'une action en contrefaçon avait déjà été intentée.

Si, à l'issue de l'action en contrefaçon, la Cour conclut qu'Apotex a, à la fois, contrefait le brevet de Lilly et agi de manière fautive avant la délivrance de l'ADC, il sera loisible au juge d'accorder des dommages-intérêts exemplaires ou des dépens sur la base procureur-client, comme le juge des requêtes l'a laissé entendre. Ce genre de réparation constituerait certainement des «conséquences graves» de la sorte envisagée par le juge Stone de la Cour d'appel dans l'arrêt Hoffman-La Roche, précité.

[31]Le ministre ne peut vérifier l'exactitude des observations soumises par les fabricants de médicaments ou déterminer si une formulation modifiée présente des différences marquées par rapport aux brevets.

[32]Le ministre est en droit de s'attendre à ce que les fabricants de médicaments agissent honnêtement et de bonne foi dans l'application du Règlement. Apotex s'est par le passé conformée à cette législation en ce qui concerne les gélules et les comprimés d'oméprazole. À l'audience son avocat a d'ailleurs indiqué que plusieurs allégations avaient été déposées par Apotex, en application du Règlement, relativement aux gélules et aux comprimés d'oméprazole.

[33]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre sera rejetée.

Question no 2

Quelle est la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la décision du ministre de ne pas exiger qu'Apotex dépose, en application du Règlement, une nouvelle allégation relativement à sa formulation modifiée?

[34]Si la décision était assujettie au contrôle judiciaire, il y aurait lieu de procéder à l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision du ministre de délivrer un AC sans exiger qu'Apotex dépose un nouvel avis d'allégation en application du Règlement. Voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. Comme l'énonce la juge en chef McLachlin au paragraphe 25 de Dr Q, «dorénavant, il ne suffit plus de classer une question donnée dans une catégorie précise de contrôle judiciaire et d'exiger sur ce fondement que le décideur ait rendu une décision correcte». Au paragraphe 26, la juge en chef McLachlin décrit l'approche applicable:

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels--la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question--de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité.

[35]Appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle à la présente affaire, je conclus comme suit:

1) Clause privative ou droit d'appel -- La présence d'une clause privative invite à une plus grande retenue, alors qu'un droit d'appel prévu par la loi appelle un degré moindre de retenue. En l'espèce, la loi prévoit une procédure d'appel. Toutefois, comme je l'ai déjà expliqué, il n'existe pas de recours permettant de contester l'exactitude des observations soumises en application du Règlement, mis à part l'action en contrefaçon prévue par la Loi sur les brevets. Par conséquent, compte tenu de ce facteur, la Cour doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision du ministre.

2) L'expertise relative -- Une conclusion selon laquelle un organisme décisionnel possède une plus grande expertise que la Cour en ce qui concerne une question particulière invite à un plus haut degré de retenue à l'égard de la décision en cause. Bien qu'une expertise spécialisée soit requise pour déterminer s'il y a lieu de délivrer un AC en application de la Loi sur les aliments et drogues [L.R.C. (1985), ch. F-27], le ministre ne possède pas pour autant une plus grande expertise que la Cour relativement à la question ici en jeu, à savoir l'interprétation du Règlement. Par conséquent, pour ce qui est de l'interprétation du Règlement, le ministre a droit à un faible degré de retenue.

3) Objet de la loi -- Un degré plus élevé de déférence est requis si la décision du ministre concerne une loi dont l'objet est de résoudre des questions polycentriques. Était sous-jacente à la décision du ministre, la question du chevauchement entre les régimes législatifs prévus par la Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Le ministre doit établir un juste équilibre entre commercialiser rapidement les médicaments génériques et faire véritablement respecter les droits découlant des brevets. Pour ce faire, il doit soupeser les coûts et les avantages pour les parties concernées, d'une part, et la protection du public, d'autre part. Toutefois, aucune question d'orientation polycentrique n'est en cause dans le cadre d'un différend entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments brevetés. Un tel différend est, par sa nature, bipolaire et par conséquent il exige peu de retenue.

4) Nature de la question -- Enfin, les questions de fait, ou les questions mixtes de fait et de droit principalement factuelles, invitent à une plus grande retenue. Par contre, les questions de droit, ou les questions mixtes de fait et de droit, si elles sont principalement de droit, appellent une retenue moins grande. En l'espèce, le ministre devait comprendre la nature des formulations, tenir compte des brevets pertinents, saisir la portée de l'ordonnance de 1996 par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande d'interdiction fondée sur le Règlement et décider s'il y a avait lieu d'exiger le dépôt d'une nouvelle allégation. Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, principalement factuelle, à l'égard de laquelle le ministre a droit à ce que l'on fasse preuve de retenue.

[36]Après avoir soupesé chacun des facteurs susmentionnés, je conclus qu'en ce qui concerne la décision du ministre, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

Question no 3

Le ministre a-t-il commis une erreur en délivrant un AC à Apotex pour sa nouvelle formulation des gélules d'oméprazole en doses de 20 mg sans exiger que la société dépose une nouvelle allégation relativement aux brevets 693 et 891?

[37]Après avoir examiné la décision du ministre au regard de la norme de la décision raisonnable, je conclus que, compte tenu de la preuve mise à sa disposition, cette décision sous le régime du Règlement était raisonnable.

[38]L'article 5 du Règlement n'oblige pas le ministre à exiger le dépôt d'une nouvelle allégation dans les cas où un personne produit une présentation révisée en vue d'obtenir un AC relativement à un médicament. Dans sa présentation, Apotex a déclaré que sa nouvelle formulation des gélules d'oméprazole en doses de 20 mg ne présente pas de différences marquées par rapport aux brevets. À l'audience le ministre a soutenu avoir considéré la présentation redéposée en 1997 comme le prolongement de la présentation qu'Apotex a déposée en 1993 pour ses gélules d'oméprazole en doses de 20 mg. Le ministre énonce ce qui suit au paragraphe 46 de son mémoire:

[traduction] Dans le cadre de ce processus, si des problèmes ou des lacunes ont été portés à l'attention du promoteur d'un médicament, la présentation en cause est réputée avoir été retirée à moins que les problèmes n'aient été résolus dans une présentation redéposée à l'intérieur d'un délai donné. Pour ce qui est du contenu de telles soumissions, Santé Canada n'examine que les nouveaux renseignements se rapportant aux problèmes signalés; les parties qui avaient auparavant été jugées acceptables ne font pas l'objet d'un nouvel examen. Par conséquent, Apotex a, de fait, déposé une seule présentation.

[39]En 1996, le juge Richard (tel était alors son titre) a rendu une ordonnance sur consentement par laquelle la demande d'interdiction fondée sur le Règlement a été rejetée. Cette demande, qui opposait les mêmes parties, visait les gélules d'oméprazole et les mêmes brevets. Le préambule de cette ordonnance est reproduit ci-dessous:

[traduction] ATTENDU QUE les brevets nos 693 et 891 divulguent et revendiquent des compositions pharmaceutiques contenant de l'oméprazole et qu'Apotex s'est engagée à faire en sorte que toute capsule d'oméprazole qu'elle produit ou vend jusqu'à l'expiration de ces brevets ne tombera pas dans le champ d'application de ceux-ci.

[40]La demanderesse soutient que le ministre n'a pas correctement interprété l'ordonnance de 1996 en ce qu'il aurait dû comparer la formulation des gélules d'oméprazole d'Apotex visée par l'ordonnance et la formulation modifiée à l'égard de laquelle l'AC de 2004 a été délivré.

[41]Je conclus que le ministre a agi raisonnablement en s'abstenant d'exiger qu'Apotex dépose une nouvelle allégation concernant les brevets 693 et 891 étant donné qu'ils avaient fait l'objet d'une demande d'interdiction rejetée par la Cour relativement au même médicament. Il n'est pas inhabituel que des modifications soient apportée à une formulation. Cette éventualité était envisagée dans l'attendu de l'ordonnance sur consentement de 1996, Apotex s'étant engagée à faire en sorte que les gélules d'oméprazole qu'elle produit [traduction] «ne tomb[e] pas dans le champ d'application [de ces brevets]». Cet engagement suppose qu'il était possible que la formulation soit modifiée.

[42]Le ministre n'est pas tenu, sous le régime du Règlement, de vérifier l'exactitude des déclarations d'Apotex ou de statuer sur celles-ci. En l'espèce, Apotex s'est, par le passé, conformée au Règlement en déposant, en ce qui concerne les nombreux brevets d'AstraZeneca, plusieurs allégations pour le même médicament.

[43]Je suis d'avis qu'il ne relève pas du ministre, qui administre le Règlement, de procéder à l'examen de l'ordonnance rendue sur consentement en 1996, d'établir en quoi les formulations des gélules d'oméprazole d'Apotex différaient à diverses étapes du processus, de déterminer s'il s'agit de différences marquées par rapport aux brevets, et d'ignorer l'ordonnance de 1996 concer-nant le même médicament et les mêmes brevets.

[44]La décision du ministre de s'appuyer sur l'ordonnance relative aux gélules d'oméprazole rendue sur consentement par la Cour fédérale en 1996, concernant les mêmes parties et les mêmes brevets, était raisonnable. De plus, il était raisonnable que le ministre suppose qu'Apotex avait respecté les obligations que le Règlement lui impose, d'autant plus qu'Apotex avait déjà déposé plusieurs allégations sous le régime du Règlement relativement aux brevets de la demanderesse pour le médicament en question.

DISPOSITIF

[45]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

ANNEXE A

Articles 5 et 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité):

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodis-ponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue:

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas:

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables:

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas:

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(1.2) Si une personne visée au paragraphe (1.1) a signifié, conformément aux alinéas (3)b) ou c), un avis d'allégation à une première personne à l'égard d'un brevet inscrit au registre, elle n'est tenue de signifier un avis d'allégation à l'égard de la même demande, de la même allégation et du même brevet à aucune autre première personne.

(2) Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d'une demande d'avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets ou une modification apportée à une liste de brevets est soumise à l'égard d'un brevet aux termes du paragraphe 4(4), la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l'égard de ce brevet, la déclaration ou l'allégation exigées par les paragraphes (1) ou (1.1), selon le cas.

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit:

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

b) si l'allégation est faite aux termes de l'un des sous-alinéas (1)b)(i) à (iii) ou (1.1)b)(i) à (iii), signifier un avis de l'allégation à la première personne;

c) si l'allégation est faite aux termes des sous-alinéas (1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv):

(i) signifier à la première personne un avis de l'allégation relative à la demande déposée selon les paragraphes (1) ou (1.1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,

(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;

d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c).

Droits d'action

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

(3) La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

(4) Lorsque la première personne n'est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas:

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l'inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d'avis de conformité;

b) il conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

(6) Aux fins de la demande visée au paragraphe (1), lorsque la seconde personne a fait une allégation aux termes des sous-alinéas 5(1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) à l'égard d'un brevet et que ce brevet a été accordé pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, la drogue que la seconde personne projette de produire est, en l'absence d'une preuve contraire, réputée préparée ou produite selon ces modes ou procédés.

(7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l'instance:

a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l'instance;

b) enjoindre au ministre de vérifier que les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la demande d'avis de conformité.

(8) Tout document produit aux termes du paragraphe (7) est considéré comme confidentiel.

(9) Le tribunal peut, au cours de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), rendre toute ordonnance relative aux dépens, notamment sur une base avocat-client, conformément à ses règles.

(10) Lorsque le tribunal rend une ordonnance relative aux dépens, il peut tenir compte notamment des facteurs suivants:

a) la diligence des parties à poursuivre la demande;

b) l'inscription, sur la liste de brevets qui fait l'objet d'une attestation, de tout brevet qui n'aurait pas dû y être inclus aux termes de l'article 4;

c) le fait que la première personne n'a pas tenu à jour la liste de brevets conformément au paragraphe 4(6).

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