A-135-04
2004 CAF 393
Genpharm Inc. (appelante)
c.
La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc.; The Procter & Gamble Company et le ministre de la Santé (intimés)
Répertorié: Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Noël et Sharlow, J.C.A.--Ottawa, 26 octobre et 22 novembre 2004.
Brevets -- Contrefaçon -- Appel d'une décision de la C.F. interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité -- Le brevet porte sur une utilisation nouvelle d'un médicament existant, pour le traitement de l'ostéoporose -- Des antériorités rendent-elles les revendications évidentes? -- Le fabricant de produits génériques en cause soutient que la norme de preuve qui lui est applicable est analogue à celle d'une requête en jugement sommaire: soulever une véritable question litigieuse -- Appel rejeté -- L'argument que la norme de preuve est moindre que celle de la prépondérance des probabilités n'est pas fondé -- L'art. 43 de la Loi sur les brevets énonce une présomption de validité -- Il incombe au fabricant de produits génériques de repousser cette présomption lors d'une demande d'ordonnance d'interdiction -- La possibilité pour le breveté d'intenter un recours en contrefaçon n'allège pas ce fardeau -- Le recours prévu par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) repose sur des considérations de politique, il n'appartient pas à la Cour de modifier l'équilibre ainsi établi -- Le Règlement a pour objet de protéger les droits en matière de brevets -- Étendue de la protection contre la contrefaçon en vertu du Règlement -- Le critère ne consiste pas à se demander ce que le fabricant de produits génériques peut raisonnablement croire -- Pour résoudre les questions relatives à l'évidence, il faut faire intervenir une interprétation téléologique -- Il faut considérer l'ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) pour déterminer la nature de l'invention -- Le critère applicable en matière d'évidence, auquel il est difficile de satisfaire, n'a pas été modifié par les arrêts récents de la Cour suprême du Canada -- Les notions de prédiction valable et d'évidence sont des concepts différents qui ne doivent pas être confondus.
Il s'agissait de l'appel de la décision de la juge Snider interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (ADC) à Genpharm avant l'expiration du brevet des intimés (le brevet 376).
Genpharm a contesté l'ordonnance affirmant que la juge avait commis des erreurs de droit: 1) en appliquant à l'allégation de non-contrefaçon la norme de la prépondérance des probabilités, plutôt que celle, moins exigeante, qui découlait de l'emploi du mot «fondée» au paragraphe 6(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), 2) en interprétant les revendications comme excluant un activateur de cellules osseuses et 3) en se fondant sur une jurisprudence désuète en matière de critère applicable au caractère évident.
Le brevet 376 de Procter & Gamble avait pour objet une nouvelle utilisation d'un médicament existant, les polyphos-phonates, pour le traitement de l'ostéoporose. L'utilisation du médicament pour inhiber la résorption osseuse était bien connue, mais on a découvert que son utilisation continue dans le traitement d'une maladie chronique comme l'ostéoporose n'était pas particulièrement utile car, même si elle entravait la résorption osseuse, elle empêchait aussi la formation osseuse, entraînant peut-être des fractures spontanées. L'invention du brevet 376 consistait en une utilisation des polyphosphonates suivant des cycles intermittents, ce qui était censé inhiber la résorption et accroître la masse osseuse en inhibant sélective-ment la phase de perte sans gêner la phase de formation. Les revendications en cause étaient celles qui modifiaient les dosages ou les cycles de traitement et les périodes de repos. Genpharm a affirmé que deux antériorités rendaient ces revendications évidentes, soit des publications de Chestnut et d'Anderson antérieures à la date d'antériorité du brevet 376. Selon Genpharm, Anderson n'affirme pas qu'un agent activateur de cellules osseuses est essentiel et les revendica-tions en cause doivent être interprétées comme si elles envisageaient la possibilité d'utiliser un activateur de cellules osseuses. Son argument est que puisque les revendications n'excluent pas expressément l'utilisation d'un activateur de cellules osseuses, elles sont comprises dans l'antériorité d'Anderson, donc évidentes.
Genpharm prétend que la norme de preuve à laquelle doit satisfaire le fabricant de produits génériques est analogue à celle applicable dans le cadre d'une requête en jugement sommaire: soulever «une véritable question litigieuse». Si le fabricant s'est acquitté de son fardeau, l'ordonnance de prohibition ne peut être prononcée.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
1) Genpharm a cité la décision GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) à l'appui de son argument concernant la norme de preuve réduite, mais cette décision ne favorise aucune autre norme de preuve que celle de la prépondérance des probabilités. Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit qu'une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté. La juge Sharlow, J.C.A. a signalé dans Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), qu'à cause de cette présomption de validité, c'est au fabricant de produits génériques intimé dans la requête pour ordonnance d'interdiction qu'il incombe de repousser la présomption. Elle a écrit que si la preuve «démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée».
Le terme «fondée» du paragraphe 6(2) du Règlement ne connote pas non plus une norme de preuve moins exigeante. Rien dans le Règlement n'indique que la norme applicable diffère de celle ordinairement applicable en droit civil. Bien que le recours prévu au Règlement repose sur une preuve écrite et non orale et que le Règlement ne prévoie pas d'interrogatoire préalable, ce ne sont pas là des motifs pour lesquels le terme «fondée» doit être interprété comme si les fabricants de médicaments génériques n'étaient tenus que de satisfaire à la norme de la «véritable question litigieuse». La charge qui incombe au fabricant de médicaments génériques dans une demande d'ordonnance d'interdiction n'est pas non plus réduite par le recours en contrefaçon ouvert au breveté. Le recours prévu au Règlement découle de considérations de politique et vise à concilier les droits des brevetés et ceux des fabricants de médicaments génériques. Il n'appartient donc pas à la Cour de modifier cet équilibre en adoptant la norme de preuve de la «véritable question litigieuse». La Cour a aussi rejeté l'argument de Genpharm selon lequel l'objet du Règlement n'est pas d'empêcher la contrefaçon, qui est une autre version de son argument favorable à une norme de preuve moins exigeante. Déjà en 1994, la Cour a indiqué que le Règlement avait visiblement pour objet de faciliter la protection des droits en matière de brevets et, en 1998, la Cour suprême du Canada a statué que «[l]e Règlement vise simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l'ADC jusqu'à ce qu'aucune contrefaçon ne puisse en résulter».
La Cour devait également examiner l'étendue de la protection en matière de contrefaçon offerte par le Règlement. Suivant le paragraphe 55.2(1), il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsqu'une personne prend des mesures nécessaires à la préparation et à la production du dossier d'information pour obtenir un ADC, mais l'alinéa 55.2(4)e) autorise la prise de règlements empêchant la contrefaçon lorsque le fabricant de produits génériques dépasse les limites permises par la loi. Pendant la durée de vie d'un brevet, le fabricant de produits génériques ne peut obtenir d'ADC l'autorisant à fabriquer ou vendre une invention brevetée en concurrence avec le titulaire de brevet.
Dans son mémoire, Genpharm soutient que le critère applicable consiste à se demander si le fabricant de produits génériques [traduction] «n'a aucun motif raisonnable de croire que les brevets sont invalides». Il s'agit, là encore, d'une autre version de son argument en faveur d'une norme de preuve moins exigeante. Le paragraphe 6(2) du Règlement oblige la Cour à examiner les allégations telles quelles, et non pas à se demander ce que le fabricant de produits génériques pourrait raisonnablement croire.
2) La Cour doit donner aux revendications du brevet une interprétation téléologique. Les revendications ne faisaient pas mention d'un activateur de cellules osseuses, elles ne faisaient état que de deux phases, une de traitement et une de repos. Le mot «including» de la revendication 17 se rapportait à la modification des périodes de traitement et de repos et non à la possibilité d'utiliser un composé d'activation de cellules osseuses. L'interprétation que la juge Snider a donnée aux revendications est compatible avec la divulgation figurant dans la demande de brevet, et la jurisprudence a formulé le principe voulant qu'il faille considérer l'ensemble du mémoire descriptif, y compris la divulgation et les revendications, pour déterminer la nature de l'invention. La divulgation établit une distinction entre l'invention revendiquée et les schémas posologiques qui requéraient l'administration d'un activateur de cellules osseuses comme celui divulgué dans Anderson. Contrairement à l'affirmation de Genpharm, le protocole d'Anderson comportait l'administration de multiples substances, en particulier de phosphate-sandoz, un composé d'activation osseuse. La Cour n'a pas accepté l'argument selon lequel le composé d'activation osseuse n'était pas un élément essentiel du protocole d'Anderson. Ce protocole ne rend pas évident le brevet 376. L'antériorité de Chesnut n'a pas non plus rendu l'invention évidente, car ce régime n'utilisait pas l'étidronate, mais plutôt le clodronate. La juge Snider n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il n'était pas possible d'extrapoler les doses d'étidronate à partir des doses de clodronate.
3) L'argument de Genpharm selon lequel la Cour suprême, dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., et Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., a modifié le critère traditionnel applicable au caractère évident et que le caractère évident et la prédiction valable ne font qu'un n'est pas étayé par la doctrine ou la jurisprudence. Le «critère» traditionnel, «auquel il est difficile de satisfaire» pour établir le caractère évident, est celui qu'a formulé le juge Hugessen, J.C.A.dans Beloit Can. Ltée c. Valmet Oy: si le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination serait directement et facilement arrivé à la solution que préconise le brevet. Whirlpool a réitéré ce qui avait déjà été énoncé dans Beloit, il n'a pas modifié le critère. La définition de l'évidence, dans Beloit, repose sur la même présomption que dans l'arrêt Whirlpool, à savoir que le travailleur moyen tiendra à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine.
La prédiction valable est invoquée par l'inventeur pour justifier les revendications d'un brevet dont l'utilité n'a pas été démontrée mais peut être valablement prédite à partir de l'information et l'expertise alors disponibles. Le caractère évident est invoqué par un éventuel concurrent du breveté qui allègue qu'un technicien versé dans l'art, se tenant à jour sur l'état de la technique et les connaissances générales courantes, serait capable d'arriver directement et facilement à l'objet du brevet, sans la solution préconisée par le breveté. Ce sont des concepts différents qui ne doivent pas être confondus.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 43(2) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 55.2(1) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4), (4) (édicté, idem; 2001, ch. 10, art. 2).
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(2).
Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), règles 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219.
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302; 169 N.R. 342 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193; (1998), 161 D.L.R. (4th) 47; 80 C.P.R. (3d) 368; 227 N.R. 229; Parke-Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 2 C.F. 514; (2002), 22 C.P.R. (4th) 417; 296 N.R. 279; 2002 CAF 454; Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285; 258 N.R. 238 (C.A.F.); Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.R. (4th) 129; 263 N.R. 88; 2000 CSC 67; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; (2002), 219 D.L.R. (4th) 660; 21 C.P.R. (4th) 499; 296 N.R. 130; 2002 CSC 77; Beloit Can. Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108; (1979), 100 D.L.R. (3d) 385; 42 C.P.R. (2d) 161; 28 N.R. 181.
décision examinée:
GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 28 C.P.R. (4th) 307; 237 F.T.R. 218; 203 CF 899.
décision citée:
Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 51 C.P.R. (3d) 329; 163 N.R. 183 (C.A.F.).
APPEL d'une ordonnance de la Cour fédérale interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité ((2004), 32 C.P.R. (4th) 224; 247 F.T.R. 21; 2004 CF 204). Appel rejeté.
ont comparu:
Roger T. Hughes, c.r. et Barbara J. Murchi pour l'appelante.
Sheila R. Block et Ronald E. Dimock pour les intimés la compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et The Procter & Gamble Company.
Personne n'a comparu pour l'intimé le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier:
Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour l'appelante.
Torys LLP, Toronto, et Dimock Stratton LLP, Toronto, pour les intimés la compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et The Procter & Gamble Company.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A.:
QUESTIONS EN LITIGE
[1]Le présent appel porte sur une décision rendue le 12 février 2004 [(2004), 32 C.P.R. (4th) 224] par la juge Snider de la Cour fédérale en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93- 133. Aux termes de sa décision, la juge Snider a interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l'appelante Genpharm Inc. (Genpharm) pour son produit Gen-eti-cal carepac jusqu'à l'expiration du brevet no 1338376 (le brevet 376) des intimés (P&G).
[2]Genpharm prétend que l'ordonnance de prohibition n'aurait pas d'être prononcée en raison de l'invalidité du brevet 376. Elle soutient que la juge Snider a commis trois erreurs de droit en concluant que l'allégation de non-contrefaçon pour cause d'invalidité du brevet 376 formulée par Genpharm n'était pas fondée.
1. Elle a à tort apprécié l'allégation de Genpharm en fonction de la norme de la prépondérance des probabilités plutôt qu'en fonction d'une norme moins exigeante, reflétée par le mot «fondée» figurant au paragraphe 6(2) du Règlement.
2. Elle a à tort interprété les revendications en cause comme excluant, et non comme pouvant inclure, un activateur de cellules osseuses. Si les revendications avaient été correctement interprétées comme pouvant inclure un activateur de cellules osseuses, affirme-t-on, elles auraient été comprises dans le dossier d'antériorités et, de ce fait, rendu le brevet 376 invalide pour cause d'évidence.
3. Elle s'est fondée sur une jurisprudence désuète pour décider du critère applicable au caractère évident, plutôt que sur le «nouveau» critère qui assimile le caractère évident à la prédiction valable.
LES FAITS
[3]L'avis d'allégation de Genpharm ayant précédé le litige à l'origine du présent appel a été signifié le 19 décembre 2001. Ce litige découle de la demande de prohibition formulée par P&G le 1er février 2002.
[4]Le brevet 376 de P&G a pour objet une nouvelle utilisation d'un médicament existant, les polyphosphonates et, plus précisément, l'étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose.
[5]Selon les données de base de l'invention dans le brevet, chez un adulte en santé, il y a perte et remplacement de la masse osseuse de telle façon que la résorption osseuse et la formation osseuse soient en équilibre. Chez les personnes ostéoporotiques, la masse osseuse est perdue plus rapidement qu'elle n'est remplacée.
[6]L'utilisation de polyphosphonates pour inhiber la résorption osseuse est bien connue. Toutefois, on a découvert que son utilisation continue dans le traitement d'une maladie chronique comme l'ostéoporose n'était pas particulièrement utile puisque, si elle entravait la résorption osseuse, elle empêchait également la formation osseuse. De plus, l'inhibition chronique à long terme de la résorption osseuse et de la formation osseuse semblait entrainer des fractures spontanées.
[7]Comme je l'ai mentionné précédemment, l'invention visée par le brevet 376 est censée constituer une nouvelle façon d'utiliser des polyphosphonates pour le traitement de l'ostéoporose. La nouveauté serait son utilisation dans une thérapie à cycles intermittents. Si l'on administre certains polyphosphonates, en quantité limitée, selon un schéma posologique spécifique et intermittent plutôt que chronique, il est possible d'inhiber la résorption osseuse et d'augmenter la masse osseuse. L'utilisation intermittente du polyphosphonate semble découpler la résorption osseuse et la formation osseuse en inhibant sélectivement la phase de perte ou de résorption sans gêner la phase de formation, produisant ainsi une augmentation nette de la masse osseuse.
[8]Ce traitement de l'ostéoporose est décrit dans les revendications 17 à 37 du brevet. La revendication 17, qui est la revendication pour l'utilisation la plus générale, prévoit:
[traduction] 17. Utilisation d'un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse dans le traitement ou la prévention de l'ostéoporose chez les humains ou les animaux inférieurs qui sont atteints d'ostéoporose ou qui risquent de l'être, dans laquelle le polyphosphonate est utilisé en deux cycles ou plus incluant une période allant de 1 à 90 jours environ, suivie d'une période de repos allant de 50 à 120 jours environ.
Seules les revendications 25 à 30 sont visées par le présent appel. Chacune de ces revendications modifie les dosages et/ou les cycles de traitement et les périodes de repos. La revendication 25 désigne l'étidronate comme étant le polyphosphonate utilisé et couvre une variété de dosages:
[traduction] 25. L'utilisation prévue à la revendication 17 dans laquelle le polyphosphonate inhibant la résorption osseuse est semblable au EHDP [étidronate] et sa prise quotidienne varie de 0.25 x DEL [dose efficace limitée] à environ 4 x DEL.
[9]La revendication 26 limite le dosage à une prise allant d'environ 0.25 x DEL à environ 2.5 x DEL. La revendication 27 réduit la période de traitement à environ 30 jours. La revendication 28 est identique à la revendication 27. La revendication 29 définit la période de repos comme variant d'environ 70 jours à 100 jours. La revendication 30 réduit la période de traitement à environ 14 jours assortie à une période de repos d'environ 70 à 100 jours.
[10] Genpharm affirme que deux antériorités rendent évidentes les revendications 25 à 30. La première est désignée sous le nom de Chesnut. Genpharm prétend que l'ouvrage de Chesnut, dont la date de publication précède la date d'antériorité revendiquée dans le brevet 376, a révélé l'utilisation d'un polyphosphonate, le clodronate, dans le cadre des régimes posologiques visés par le brevet 376. Genpharm soutient que les doses d'étidronate appropriées pourraient facilement être établies en procédant à des examens de routine qui ne sont pas expérimentaux.
[11]La deuxième antériorité est désignée sous le nom d'Anderson. Cette étude aurait également été publiée avant la date d'antériorité revendiquée dans le brevet 376. Selon Genpharm, les cycles et le polyphosphonate (l'étidronate) dont il est question dans les revendications 25 à 30 sont compris dans Anderson. Genpharm reconnait qu'Anderson prévoit l'administration d'un composé d'activation de cellules osseuses que les revendications 25 à 30 ne mentionnent pas expressément. Cependant, Genpharm prétend qu'Anderson n'affirme pas qu'un agent activateur de cellules osseuses est essentiel. Elle soutient en outre que les revendications 25 à 30 doivent être interprétées comme si elles envisageaient la possibilité d'utiliser un activateur de cellules osseuses. Selon elle, comme les revendications 25 à 30 n'excluent pas expressément l'utilisation d'un activateur de cellules osseuses, elles sont comprises dans l'antériorité d'Anderson, donc elles sont évidentes.
NORME DE PREUVE
Argument de Genpharm
[12]Genpharm s'appuie sur le mot «fondée» utilisé au paragraphe 6(2) du Règlement. Le paragraphe 6(2) prévoit:
6. [. . .]
(2) Le tribunal rend une ordonnance [de prohibition] en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.
[13]Dans sa plaidoirie, Genpharm a soutenu que parce que l'action en contrefaçon reste ouverte au titulaire de brevet qui se voit refuser l'ordonnance de prohibition prévue au Règlement, la norme de preuve à laquelle doit satisfaire le fabricant de produits génériques concurrent est analogue à celle applicable dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Dès lors que le fabricant de produits génériques soulève «une véritable question litigieuse» au sens des dispositions applicables en matière de jugement sommaire [Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (règles 213 à 219), il s'est acquitté de son fardeau et l'ordonnance de prohibition ne peut être prononcée. Dans son mémoire, Genpharm qualifie la norme en des termes différents. Elle affirme que la norme de preuve relativement peu exigeante dont elle doit s'acquitter est celle voulant qu'elle [traduction] «n'ait aucun motif raisonnable de croire que les brevets sont invalides ou non contrefaits, selon le cas». Genpharm prétend que c'est ainsi qu'il faut interpréter le terme «fondée».
La jurisprudence et la doctrine
[14]Genpharm cite la décision GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 28 C.P.R. (4th) 307 (C.F.) à l'appui de sa proposition fondée sur la norme de preuve moins exigeante. À mon avis, Glaxo ne favorise aucune autre norme de preuve que celle reposant sur la prépondérance des probabilités.
[15]Dans Glaxo, le juge Noël s'est appuyé sur la décision que notre Cour a rendue dans Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.), laquelle fait autorité sur cette question. Dans l'arrêt Bayer, la juge Sharlow, J.C.A. a analysé le fardeau de preuve dont le breveté et le fabricant de produits génériques doivent s'acquitter dans le cadre d'une instance engagée en vertu du Règlement. Elle a expliqué qu'il appartient au breveté, à titre de requérant, d'établir son droit à l'ordonnance demandée. Le paragraphe 43(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée, prévoit que «[u]ne fois délivré le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté». La juge Sharlow, J.C.A. a signalé qu'à cause de cette présomption de validité, c'est au fabricant de produits génériques, en sa qualité de partie intimée à la requête pour ordonnance de prohibition, qu'il incombe de renverser la présomption.
[16]À propos de la norme de preuve, elle a écrit ceci au paragraphe 9:
L'application de la présomption légale en présence d'une preuve de l'invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n'est plus pertinente [. . .]. [Non souligné dans l'original.]
Partant, il a été jugé que la norme de preuve applicable pour établir l'invalidité est celle de la prépondérance des probabilités. L'analyse et la conclusion de la Cour dans l'arrêt Bayer réfutent l'argument relatif à la norme de preuve. Par ailleurs, comme la question de la norme de preuve n'a pas été approfondie dans cet arrêt, j'examinerai, par souci d'exhaustivité, les autres arguments avancés par Genpharm.
Fondée
[17]Contrairement à la prétention de Genpharm, le terme «fondée» ne connote pas une norme de preuve moins exigeante que la preuve établie selon la prépondérance des probabilités. Dans une affaire civile, la présomption veut que, en l'absence de toute indication contraire, le terme «fondée» connote la norme de preuve ordinairement applicable en droit civil. Une telle présomption peut être renversée si le contexte dans lequel le terme est employé l'indique. Cependant, rien dans le Règlement que Genpharm a invoqué n'indique que la norme applicable diffère de celle ordinairement applicable en droit civil.
[18]Genpharm affirme néanmoins que le breveté peut toujours se prévaloir de l'action en contrefaçon qui est le recours ordinaire de droit civil; que le recours prévu au Règlement repose sur une preuve écrite et non orale; que l'interrogatoire préalable et la modification des actes de procédure ou des témoignages en cours d'instance ne sont pas possibles. Partant, une norme de preuve moins exigeante est implicite.
[19]Je suis d'accord avec Genpharm quant à sa façon de qualifier la nature de l'instance prévue au Règlement et au fait que le breveté peut toujours intenter une action en contrefaçon. Mais ce ne sont pas là les motifs pour lesquels le terme «fondée» doit être interprété comme si les fabricants de médicaments génériques n'étaient tenus que de satisfaire à la norme de la «véritable question litigieuse» applicable en matière de jugement sommaire.
[20]Le jugement sommaire est une étape potentielle de l'action. Si, à l'issue d'une requête en jugement sommaire, la cour conclut à l'existence d'une véritable question litigieuse, elle refusera de prononcer le jugement sommaire et instruira l'affaire. Cependant, le régime établi par le Règlement ne fait aucun lien entre la demande de prohibition et l'action en contrefaçon, pas plus qu'il ne prévoit l'introduction d'une instance par voie d'action. Voir Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.), à la page 337. Le Règlement crée une procédure indépendante. Il ne comporte aucune indication selon laquelle la charge qui incombe au fabricant de médicaments génériques alléguant l'invalidité d'un brevet dans le cadre d'une demande de prohibition est réduite ou autrement modifiée par le recours en contrefaçon ouvert au breveté.
[21]Le gouverneur en conseil a établi que la décision prise en application du Règlement devait être fondée sur une preuve écrite, et non orale, et libérée de toutes les formalités applicables aux mesures préparatoires à l'instruction. Je conviens avec P&G que le Règlement tire son origine des considérations de politique du gouverneur en conseil, lesquelles supposent une pondération des droits des brevetés et des fabricants de médicaments génériques. Le Règlement confère des avantages et impose des obligations autant aux brevetés qu'aux fabricants de médicaments génériques. Il n'appartient donc pas à la Cour de modifier cet équilibre en adoptant la norme de preuve de la «véritable question litigieuse» que ni le libellé ni le contexte du Règlement ne justifient.
Objet du Règlement
[22]Genpharm soutient que l'objet du Règlement n'est pas d'empêcher la contrefaçon. Ce serait plutôt le rôle de l'action en contrefaçon. Voilà une autre version de son argument favorable à une norme de preuve moins exigeante. De nouveau, la jurisprudence prépondérante contredit Genpharm.
[23]Déjà en 1994, notre Cour a fait remarquer que le Règlement «a visiblement pour objet de faciliter la protection des droits commerciaux privés en matière de brevets». Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 304. Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, le juge Iacobucci a dit ceci, au paragraphe 30:
Le Règlement vise simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l'ADC jusqu'à ce qu'aucune contrefaçon ne puisse en résulter.
Dans Parke-Davis Division c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 2 C.F. 514, notre Cour a, au paragraphe 33, expressément adopté la décision du juge Iacobucci dans Merck Frosst.
[24]Il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse. Sur cette question, la prétention de Genpharm est simplement en contradiction avec la jurisprudence prépondérante de la Cour suprême du Canada et de notre Cour.
L'étendue de la protection en matière de contrefaçon en vertu du Règlement
[25]Genpharm reconnaît que le paragraphe 55.2(4) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2] de la Loi sur les brevets autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements «afin d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention». Or, on prétend que cette disposition n'est pas d'application générale, mais qu'elle est d'application limitée en raison du rapport qui existe entre les paragraphes 55.2(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4] et 55.2(4).
[26]Le paragraphe 55.2(1) et les alinéas 55.2(4)a) et e) prévoient:
55.2 (1) Il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsque l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d'une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d'information qu'oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente d'un produit.
(4) Afin d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment:
a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l'exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d'avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n'est pas le breveté;
[. . .]
e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.
[27]L'alinéa 55.2(4)a) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements relatifs à délivrance d'un avis (c.-à-d. de l'avis de conformité prévu par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870) à un fabricant de médicaments génériques à l'égard d'un produit sur lequel porte un brevet. L'alinéa e) autorise la prise de règlements sur toute mesure concernant la délivrance d'un tel avis, lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon du brevet.
[28]Selon le paragraphe 55.2(1), il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsqu'une personne prend des mesures nécessaires à la préparation et à la production du dossier d'information qu'oblige à fournir le ministre de la Santé pour délivrer un avis de conformité. Si le fabricant de produits génériques limite ses activités à la préparation et à la production d'un tel dossier, il n'y aura pas contrefaçon de brevet. Cependant, l'alinéa 55.2(4)e) autorise la prise de règlements pour empêcher la contrefaçon si le fabricant de produits génériques dépasse les limites permises par le paragraphe 55.2(1). La délivrance d'un avis de conformité qui permettrait à un fabricant de produits génériques de fabriquer, de construire, d'utiliser ou de vendre une invention brevetée en concurrence avec un breveté pendant la durée de vie d'un brevet valide est précisément ce que le Règlement est censé empêcher.
Motif raisonnable
[29]Dans son mémoire, Genpharm soutient que le critère applicable est celui qui consiste à se demander si le fabricant de produits génériques [traduction] «n'a aucun motif raisonnable de croire que les brevets sont invalides». Il s'agit, là encore, d'une autre version de son argument en faveur d'une norme de preuve moins exigeante. Le paragraphe 6(2) du Règlement oblige la Cour à décider si l'une ou plusieurs des allégations de contrefaçon du fabricant de produits génériques sont fondées. La Cour doit examiner les allégations telles quelles, et non pas se demander ce que le fabricant de produits génériques pourrait raisonnablement croire. L'argument de Genpharm n'est pas étayé par le libellé du Règlement.
Conclusion sur la norme de preuve
[30]Je conclus que la norme de preuve requise par le paragraphe 6(2) du Règlement est celle de la prépondérance des probabilités et que la juge Snider n'a pas commis d'erreur en appréciant la preuve dont elle était saisie en fonction de cette norme.
CARACTÈRE ÉVIDENT
Argument de Genpharm
[31]Genpharm affirme que les revendications 25 à 30 du brevet 376 sont évidentes. À l'audition, Genpharm a invoqué l'emploi du mot «including» dans la revendication 17 du brevet 376. Selon elle, l'emploi de ce mot signifie que l'invention visée par le brevet 376 est couverte par l'antériorité d'Anderson et qu'elle est, de ce fait, évidente. Elle prétend qu'il s'agit d'une question d'interprétation de la revendication et donc, d'une question de droit.
[32]Au paragraphe 22 de ses motifs, la juge Snider a interprété et ramené à ce qui suit les revendications pertinentes:
1. Relativement aux revendications concernant l'«usage»:
a. L'usage de l'étidronate à la plus faible dose efficace (DEL) pour le traitement de l'ostéoporose;
b. Dans le cadre d'un régime thérapeutique, l'administration intermittente en deux phases:
i) l'usage de l'étidronate;
ii) une période de repos au cours de laquelle le patient prend un placebo ou un supplément tel que du calcium.
c. L'usage sur une base cyclique. [Non souligné dans l'original.]
Genpharm affirme que la juge Snider a eu tort d'employer le terme «consists of» en interprétant les revendications et qu'elle aurait dû recourir au mot «includes». Si elle l'avait fait, elle aurait conclu que les revendications 25 à 30 étaient assez larges pour couvrir un activateur de cellules osseuses comme le prévoit l'antériorité d'Anderson.
Analyse
[33]La Cour doit donner aux revendications du brevet une interprétation téléologique. Dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, le juge Binnie a dit ceci, au paragraphe 49:
Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l'art. 12 de la Loi d'interprétation «soit compatible avec la réalisation de son objet». L'intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux-mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu'une protection contre leur mauvaise interprétation.
[. . .]
Non seulement l'«interprétation téléologique» est-elle compatible avec ces principes bien établis, mais elle favorise l'atteinte de l'objectif visé par le juge Dickson, à savoir une interprétation des revendications de brevet qui «soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public».
[34]Les revendications ne font aucunement allusion à l'emploi d'un activateur de cellules osseuses. Elles ne font état que de deux phases, une de traitement et une de repos. La phase de traitement ne concerne que l'administration de l'étidronate.
[35]En interprétant le mot «including» de la revendication 17 dans son contexte, la seule conclusion possible est que ce mot s'entend de la modification des périodes de traitement et de repos respectivement plutôt que de la possibilité d'utiliser un composé d'activation de cellules osseuses comme le soutient Genpharm.
[36]L'interprétation que la juge Snider a donnée aux revendications est compatible avec la divulgation figurant dans la demande de brevet. Il convient d'examiner cette divulgation pour déterminer la nature de l'invention et pour faciliter la compréhension et l'interprétation de la revendication. Dans l'arrêt Whirlpool, au paragraphe 52, le juge Binnie a dit ceci:
Comme nous l'avons vu, le juge Dickson a estimé, dans l'arrêt Consolboard, précité, qu'il fallait considérer l'ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) «pour déterminer la nature de l'invention» (p. 520). L'énoncé du juge Taschereau, dans l'arrêt Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft, [1961] R.C.S. 117, à la p. 122, va dans le même sens:
[traduction] On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l'ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l'interprétation d'une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications «en empruntant tel ou tel élément à d'autres parties du mémoire descriptif».
Plus récemment, Hayhurst [. . .] a prévenu que [traduction] «[l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu'il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d'un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif». J'estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot «ailette» utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle était écrite et, ainsi, interprétée.
[37]La divulgation établit expressément une distinction entre l'invention revendiquée et les schémas posologiques qui requéraient l'administration d'un activateur de cellules osseuses comme celui divulgué dans Anderson. Voici ce qui est énoncé à la page 13 du brevet 376:
[traduction] La «période de repos», telle que l'expression est utilisée aux présentes, s'entend d'une période de temps durant laquelle le patient ne reçoit aucun polyphosphonate inhibant la résorption osseuse ni aucune dose d'un composé d'activation de cellules osseuses et n'est soumis à aucun autre traitement qui entrainerait une activation ou une inhibition importante de nouvelles unités de remodelage osseux. C'est ce fait qui distingue davantage la présente invention des autres régimes thérapeutiques prévus dans l'antériorité (voir p. ex. [. . .] et Anderson et al., Calcified Tissue International, 36, 341-343 (1983) [. . .] [Non souligné dans l'original.]
[38]Genpharm fait valoir que le protocole d'Anderson, à l'instar du brevet 376, ne fait pas appel à un composé d'activation osseuse. Une lecture attentive d'Anderson révèle que ce n'est pas le cas. Le protocole d'Anderson, connu sous le nom de «théorie de la cohérence», requérait l'administration de multiples substances, en particulier de phosphate-sandoz (un composé d'activation osseuse), de didronal (étidronate) et de calcium alimentaire.
[39]Selon la juge Snider, lorsque Anderson a publié son étude au milieu des années 80, on estimait, conformément à la théorie de la cohérence, que les substances susmentionnées n'étaient efficaces qu'ensemble. Elle a en outre conclu que jamais les substances n'avaient été testées séparément en vue d'évaluer leur efficacité individuelle dans le traitement de l'ostéoporose.
[40]Comme la théorie de la cohérence est fondée sur une étude portant sur l'ensemble des trois éléments, il est évident que le composé d'activation osseuse en fait partie intégrante. Sans lui, le protocole d'Anderson n'existe tout simplement pas tel qu'il a été publié. Je ne peux donc admettre qu'un activateur de cellules osseuses ne soit pas un élément essentiel de Anderson.
[41]La juge Snider n'a pas commis d'erreur en interprétant les revendications en cause comme ne comportant que deux phases et comme excluant le recours à un activateur de cellules osseuses, ainsi que le prévoit l'étude d'Anderson. Anderson ne rend pas évident le brevet 376.
Chesnut
[42]Genpharm soutient que l'antériorité de Chesnut aurait rendu évidente l'invention visée par la demande. La juge Snider a étudié en détail la preuve se rapportant à Chesnut. Selon elle, le régime préconisé par Chesnut n'utilisait pas l'étidronate, mais plutôt le clodronate. Elle a conclu qu'il n'était pas possible d'extrapoler les doses d'étidronate à partir des doses de clodronate et que l'antériorité de Chesnut n'aurait donc pas rendu évidente l'invention visée par la demande. En l'espèce, rien ne permet de croire que la juge Snider a commis une erreur manifeste ou évidente dans son appréciation de la preuve et dans sa conclusion.
LE CARACTÈRE ÉVIDENT ET LA PRÉDICTION VALABLE NE FONT-ILS QU'UN?
[43]Genpharm prétend que, par suite des décisions qu'elles a rendues dans Whirlpool et Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, la Cour suprême a modifié le critère traditionnel applicable au caractère évident de façon telle qu'il est devenu plus facile à satisfaire que ce qui avait traditionnellement été envisagé. À l'audience, on a soutenu que le caractère évident et la prédiction valable ne font qu'un.
[44]Là encore, les observations de Genpharm ne sont pas étayées par la doctrine ou la jurisprudence. Le «critère» traditionnel «auquel il est difficile de satisfaire» pour établir le caractère évident est celui formulé par le juge Hugessen, J.C.A. (tel était alors son titre) dans Beloit Can. Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la page 294:
Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
[45]Genpharm affirme que l'arrêt Whirlpool a modifié le critère établi dans Beloit. Je ne suis pas d'accord. L'arrêt Whirlpool n'a fait que réitérer ce qui avait déjà été énoncé dans Beloit. Dans l'arrêt Whirlpool, le juge Binnie a dit ceci au paragraphe 74:
Même s'il n'est pas considéré comme une personne à l'esprit inventif, le «travailleur moyen» hypothétique est tenu pour raisonnablement diligent lorsqu'il s'agit de tenir à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet. Les «connaissances usuelles» des travailleurs versés dans un art évoluent et augmentent constamment.
Dans Beloit, la définition de l'évidence repose sur la même présomption que dans l'arrêt Whirlpool, à savoir que le travailleur moyen tiendra à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine: «la personne versée dans l'art [. . .] serait, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment de l'invention». Je ne vois rien dans l'arrêt Whirlpool qui rendrait le critère de l'évidence moins difficile à satisfaire que celui formulé dans Beloit.
[46]Dans l'arrêt Apotex c. Wellcome, la doctrine de la prédiction valable a été analysée en profondeur par le juge Binnie. Au paragraphe 56, ce dernier explique que lorsque l'invention consiste en une nouvelle utilisation d'un produit déjà connu, l'utilité requise pour qu'il y ait brevetabilité doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l'information et l'expertise alors disponibles. Au paragraphe 61, le juge Binnie renvoie à l'arrêt Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, dans lequel la Cour suprême était saisie d'un brevet comportant des revendications relatives à de nombreux composés chimiques censés inhiber la vulcanisation prématurée du caoutchouc, mais où seulement trois des composés revendiqués avaient réellement été préparés et testés avant la date du dépôt de la demande. La Cour suprême a appliqué la doctrine de la prédiction valable parce que «l'architecture des composés chimiques» n'était plus un mystère, mais qu'elle pouvait, jusqu'à un certain point, faire l'objet d'une prédiction valable.
[47]Comme l'a souligné l'avocat de P&G, la prédiction valable et le caractère évident sont des facteurs fondés sur des perspectives différentes. La prédiction valable est invoquée par l'inventeur qui cherche à justifier les revendications d'un brevet dont l'utilité n'a pas réellement été démontrée mais peut constituer une prédiction valable fondée sur l'information et l'expertise alors disponibles. Le caractère évident est invoqué par un éventuel concurrent du breveté qui allègue que l'objet du brevet est une chose à laquelle un technicien versé dans l'art, se tenant à jour avec l'état de la technique et les connaissances générales courantes, serait capable d'arriver directement et facilement, sans la solution préconisée par le breveté. Ce sont des concepts différents qui ne doivent pas être confondus. La doctrine de la prédiction valable n'est pas applicable à la doctrine de l'évidence.
CONCLUSION
[48]L'interprétation que la juge Snider a donnée aux revendications de brevet en cause et son analyse du critère de l'évidence étaient bien-fondées. Elle n'a commis aucune erreur évidente et manifeste en concluant que les revendications en cause n'étaient pas évidentes.
[49]Il y aurait lieu de rejeter l'appel avec dépens.
Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
La juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.