T-930-03
2004 CF 920
Mertie Anne Beatty (demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada, le statisticien en chef et l'archiviste national (défendeurs)
Répertorié: Beatty c. Canada (Procureur général) (C.F.)
Cour fédérale, juge Gibson--Calgary, 8 juin; Ottawa, 25 juin 2004.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Mandamus -- La demanderesse, qui s'intéressait à l'histoire familiale, sollicitait une ordonnance enjoignant au statisticien en chef de transférer à l'archiviste national la garde et le contrôle des résultats nominatifs et tableaux relatifs au Recensement du Canada de 1911 -- Elle sollicitait également une ordonnance permettant à l'archiviste national de mettre ces renseignements à la disposition du public pour les travaux de recherche ou enjoignant à l'archiviste national de le faire -- L'archiviste national avait demandé à Statistique Canada de transférer les documents relatifs aux recensements de 1906 et de 1911 aux Archives nationales du Canada, mais le statisticien en chef avait refusé cette demande -- Un fonctionnaire tel que le statisticien en chef n'est pas tenu d'arriver à une entente (à savoir une entente concernant le transfert de documents) lorsqu'une telle entente ne respecte pas le mandat qui lui est conféré par la loi -- Il existait une préoccupation légitime que le transfert puisse compromettre l'efficacité des recensements futurs -- Demande rejetée.
Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Jugements déclaratoires -- La demanderesse, qui s'intéressait à l'histoire familiale, sollicitait des jugements déclaratoires portant 1) que l'archiviste national a la garde et le contrôle des documents relatifs au Recensement du Canada de 1911; 2) que le statisticien en chef est légalement tenu de transférer la garde et le contrôle de ces documents à l'archiviste national; 3) que l'archiviste national est autorisé à communiquer ces documents aux membres du public pour les travaux de recherche -- L'art. 6 de la Loi sur les Archives nationales du Canada prévoit le transfert à l'archiviste de la garde et du contrôle des documents des institutions fédérales qui ont une importance historique ou archivistique -- La Loi prévoit également que les documents publics d'importance nationale, comme les documents relatifs aux recensements, ne sont pas sous la garde et le contrôle des Archives nationales du Canada -- Étant donné que le conflit qui existe entre la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information relevant de l'administration fédérale est une question de politique et, puisque la résolution des points litigieux découlant de ce conflit est réservée au gouverneur en conseil et, en fin de compte, au législateur, la Cour a refusé d'intervenir -- La garde et le contrôle des documents relève du statisticien en chef -- L'archiviste national avait demandé à Statistique Canada de transférer les documents relatifs aux recensements de 1906 et de 1911 aux Archives nationales du Canada, mais le statisticien en chef avait refusé cette demande -- Un fonctionnaire tel que le statisticien en chef n'est pas tenu d'arriver à une entente (à savoir une entente concernant le transfert de documents) lorsqu'une telle entente ne respecte pas le mandat qui lui est conféré par la loi -- Demande rejetée.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire dans laquelle la demanderesse, qui s'intéressait à l'histoire familiale, sollicitait une ordonnance 1) enjoignant le statisticien en chef de transférer à l'archiviste national la garde et le contrôle des résultats nominatifs et tableaux relatifs au Recensement du Canada de 1911 et 2) permettant à l'archiviste national de mettre ces renseignements à la disposition du public pour les travaux de recherche ou enjoignant l'archiviste national de le faire. Subsidiairement, la demanderesse sollicitait des ordonnances déclaratoires portant 1) que l'archiviste national a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911; ou 2) que le statisticien en chef est légalement tenu de transférer la garde et le contrôle de ces documents à l'archiviste national; et 3) que l'archiviste national est autorisé à communiquer ces documents aux membres du public pour les travaux de recherche. Il n'était pas contesté que le statisticien en chef n'est pas autorisé à communiquer au public les documents relatifs au recensement. L'archiviste national, s'il avait la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement, aurait le pouvoir discrétionnaire voulu pour communiquer ces documents au public pour les travaux de recherche et de statistique.
Le 16 novembre 1999, l'archiviste national a formellement demandé que les documents relatifs aux recensements individuels de 1906 et de 1911 soient transférés, de façon que les Archives nationales du Canada plutôt que Statistique Canada en aient la garde et le contrôle. Le statisticien en chef a refusé cette demande. Au mois de mai 2002, le statisticien en chef et l'archiviste national du Canada en sont arrivés à une entente au sujet d'une solution législative proposée à l'égard du transfert des documents relatifs au recensement et un projet de loi a été adopté par le Sénat en 2003. Le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes, mais il a expiré au Feuilleton plus tard cette année-là. En 2003 également Statistique Canada et les Archives nationales du Canada ont signé un protocole d'entente afin de permettre aux Archives nationales de restaurer physiquement les documents microfilmés relatifs aux recensements pour la période allant de 1911 à 1941 et de faire des doubles ainsi que de transférer les renseignements contenus dans ces microfilms sous une forme numérisée. Ce projet était financé par Statistique Canada. Le 2 juin 2003, la demanderesse a présenté une demande d'accès à l'information à Statistique Canada en vue d'avoir accès aux documents relatifs au recensement de 1911. Cette demande a été refusée, après le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.
Jugement: la demande doit être rejetée.
L'un des principaux rôles des Archives nationales du Canada est de conserver les documents privés et publics d'importance nationale et d'en faciliter l'accès; l'article 6 de la Loi sur les Archives nationales du Canada prévoit «[l]e transfert, sous la garde et le contrôle de l'archiviste, des documents des institutions fédérales [. . .] [qui ont] une importance historique ou archivistique». Toutefois, il ressort de la lecture de l'article 6 que la Loi prévoit clairement que certains «documents [. . .] publics d'importance nationale», et les documents relatifs aux recensements sont visés par cette description, ne seront pas sous la garde et le contrôle des Archives nationales du Canada. Étant donné que le conflit qui existe entre la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information relevant de l'administration fédérale pour les travaux de recherche est une question de politique et que le législateur a clairement indiqué son intention de réserver au gouverneur en conseil et, en fin de compte à lui-même, la résolution des points litigieux découlant de ce conflit, la Cour a conclu qu'elle devait être fort prudente et a refusé d'intervenir eu égard aux faits de l'affaire; elle a ainsi confirmé que la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911 relèvent du statisticien en chef.
Un fonctionnaire tel que le statisticien en chef n'est pas légalement tenu d'arriver à une entente de la nature de celle qui est envisagée au paragraphe 6(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada (à savoir une entente concernant le transfert de la garde et du contrôle des documents), lorsque, de l'avis de ce fonctionnaire, une telle entente ne peut pas être conclue à des conditions qui respectent le mandat qui lui est conféré par la loi. En l'espèce, le statisticien en chef craignait que le transfert des documents relatifs au recensement entraîne la divulgation de renseignements d'une façon qui pourrait bien compromettre l'efficacité des recensements futurs. Cette préoccupation semblait légitime. Le statisticien en chef n'était pas légalement tenu de transférer aux Archives nationales du Canada la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911.
Étant donné ces conclusions, aucune des réparations sollicitées par voie d'ordonnance de mandamus et d'ordonnance déclaratoire n'était appropriée.
lois et règlements
Acte du Recensement et des Statistiques, S.C. 1905, ch. 5.
Loi du recensement et des statistiques, S.R.C. 1906, ch. 68, art. 2, 3, 4, 6, 10, 11, 16, 34. |
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 7, 8(1), (2)a), b), i) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 12). |
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1. |
Loi sur la statistique, L.R.C. (1985), ch. S-19, art. 5(2). |
Loi sur les Archives nationales du Canada, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 4(1), (2), (3) (mod. par L.C. 1995, ch. 29, art. 48), (4), 6. |
Projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi sur la statistique, 2e sess., 37e Parl., 2003. |
Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508, art. 6. |
jurisprudence
décisions examinées:
Beatty c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1029; [2003] A.C.F. no 1303 (C.F.) (QL); President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528; (2000), 189 D.L.R. (4th) 385; 7 C.P.R. (4th) 1; 290 N.R. 320 (C.A.); inf. par [2002] 4 R.C.S. 45; (2002), 219 D.L.R. (4th) 577; 21 C.P.R. (4th) 417; 296 N.R. 1.
doctrine
Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1983.
DEMANDE de contrôle judiciaire en vue de l'obtention d'une ordonnance 1) enjoignant le statisticien en chef de transférer à l'archiviste national la garde et le contrôle des résultats nominatifs et tableaux relatifs au Recensement du Canada de 1911; et 2) permettant à l'archiviste national de mettre ces renseignements à la disposition du public pour les travaux de recherche ou enjoignant l'archiviste national de le faire ou encore, subsidiairement, des ordonnances portant 1) que l'archiviste national a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911; 2) que le statisticien en chef est légalement tenu de transférer la garde et le contrôle de ces documents à l'archiviste national et 3) que l'archiviste national est autorisé à communiquer ces documents aux membres du public pour les travaux de recherche. Demande rejetée.
ont comparu:
Lois M. Sparling pour la demanderesse.
Patrick Bendin pour les défendeurs.
avocats inscrits au dossier:
Lois Sparling, Calgary, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Gibson:
INTRODUCTION
[1]Cette demande de contrôle judiciaire a fait l'objet d'une requête, présentée pour le compte des défendeurs, par laquelle ces derniers cherchaient à faire radier l'avis de demande et à faire rejeter la demande pour le motif qu'elle est dépourvue de toute chance de succès et qu'elle est donc clairement irrégulière. Ma collègue la juge Layden-Stevenson a accueilli la requête uniquement dans la mesure où elle a radié la demande de réparation de la nature d'une ordonnance enjoignant le statisticien en chef et l'archiviste national de mettre à la disposition du public pour les travaux de recherche les résultats nominatifs et tableaux du Recensement du Canada de 1911. À tous les autres égards, la requête dont la juge Layden-Stevenson avait été saisie a été rejetée. J'ai eu l'avantage de consulter les motifs de l'ordonnance de la juge Layden-Stevenson [2003 CF 1029; [2003] A.C.F. no 1303 (QL)]. Lorsque je le juge bon, je reprends ces motifs en les paraphrasant dans les paragraphes qui suivent.
[2]La demanderesse s'intéresse à la généalogie. Autrement dit, la demanderesse aime l'histoire familiale. Elle veut consulter les résultats nominatifs du Recensement du Canada de 1911, et plus précisément ceux de l'Alberta, afin d'en apprendre davantage au sujet de son grand-père et de ses conditions de vie. Aux mois de novembre 1999 et de septembre 2000, l'archiviste national a demandé au statisticien en chef de transférer aux Archives nationales du Canada la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911. Les documents relatifs au recensement en question n'ont pas été mis à la disposition du public. Il n'était pas contesté devant moi que le statisticien en chef, qui affirme avoir la garde et le contrôle de ces documents, n'est pas autorisé à les communiquer au public. Par contre, l'archiviste national, s'il avait la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement, aurait le pouvoir discrétionnaire voulu pour communiquer ces documents au public pour les travaux de recherche et de statistique1.
RÉPARATIONS DEMANDÉES
[3]Dans la demande de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie, la demanderesse sollicite une ordonnance enjoignant le statisticien en chef de transférer à l'archiviste national immédiatement et sans aucune condition, la garde et le contrôle des résultats nominatifs et tableaux relatifs au Recensement du Canada de 1911, ou le microfilm y afférent, ainsi qu'une ordonnance permettant à l'archiviste national de mettre ces renseignements à la disposition du public pour les travaux de recherche ou, subsidiairement, enjoignant l'archiviste national de le faire. Enfin, et subsidiairement, la demanderesse sollicite des ordonnances déclaratoires portant:
- premièrement, que c'est l'archiviste national et non le statisticien en chef qui a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911;
- deuxièmement et subsidiairement que, s'il est jugé que le statisticien en chef a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911, le statisticien en chef est légalement tenu de transférer la garde et le contrôle de ces documents à l'archiviste national; et
- troisièmement, s'il est déclaré que l'archiviste national a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911 ou lorsque l'archiviste national aura la garde et le contrôle des documents transférés, que l'archiviste national est autorisé à communiquer sur demande ces documents aux membres du public pour les travaux de recherche.
HISTORIQUE
[4]Les paragraphes suivants, résumant l'historique de l'affaire, sont en bonne partie tirés de l'exposé des faits et du droit des défendeurs, lequel à cet égard est de son côté largement tiré de l'affidavit de Pamela White, déposé dans la présente demande de contrôle judiciaire2, pour le compte des défendeurs. Pendant la période pertinente, Mme White était employée à Statistique Canada.
[5]Le rôle principal de Statistique Canada et de fait de ses prédécesseurs par le passé est et a été d'établir et de maintenir un système statistique national pour le Canada. Cet objectif est atteint au moyen de la collecte, de l'analyse et de la fourniture de renseignements statistiques sur les caractéristiques et le comportement des ménages, entreprises, institutions et gouvernements du Canada pour la recherche, l'élaboration de politiques, l'administration de programmes, la prise de décisions et d'une façon générale à titre d'information. À l'heure actuelle, le rôle ou le mandat de Statistique Canada est régi par la Loi sur la statistique3. Sous l'autorité du ministre, le statisticien en chef est responsable de l'administration de Statistique Canada.
[6]Le rôle principal des Archives nationales du Canada est de conserver les documents privés et publics d'importance nationale et d'en faciliter l'accès, d'être le dépositaire permanent des documents des institutions fédérales et des documents ministériels, de faciliter la gestion des documents des institutions fédérales et des documents ministériels et d'appuyer les milieux des archives. Ce mandat est régi par la Loi sur les Archives nationales du Canada4. Sous l'autorité du ministre, l'archiviste national du Canada est responsable de l'administration des Archives nationales du Canada.
[7]Il existe un certain conflit entre le rôle de Statistique Canada et celui des Archives nationales du Canada; en effet, afin de faciliter la collecte de renseignements, Statistique Canada cherche à assurer à ceux qui fournissent des renseignements personnels que ces renseignements seront protégés. Par contre, les Archives nationales du Canada, conformément à leur mandat, cherchent à mettre à la disposition du public pour des travaux de recherche les renseignements qui sont entre les mains du gouvernement du Canada.
[8]Le premier recensement du Canada a été effectué par l'intendant Jean Talon en 1666. Dans le cadre du recensement, on a dénombré les 3 215 habitants de la colonie et on a enregistré leur âge, leur sexe, leur état civil et leur profession.
[9]Le premier recensement national du Canada, après la Confédération, a été effectué en 1871. On a alors dénombré les habitants des quatre provinces initiales, à savoir la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l'Ontario. Le recensement visait principalement à permettre de déterminer quelle était la représentation appropriée selon la population au sein du nouveau Parlement. Le questionnaire relatif au recensement portait sur divers sujets et 211 questions étaient posées, au sujet de la région, des biens-fonds possédés, de l'état civil, de la religion, de l'instruction ainsi que dans le domaine de l'administration, du militaire, de la justice, de l'agriculture, du commerce, de l'industrie et des finances.
[10]Depuis 1871, des recensements à l'échelle nationale ont eu lieu tous les dix ans au Canada. De plus, à partir de l'année 1906, des recensements quinquennaux ont été effectués. Ces recensements portaient habituellement sur l'agriculture et le domaine visé par le recensement était précisé par le statisticien du Dominion.
[11]Depuis l'année 1871, on s'est servi des recensements pour rassembler divers types de renseignements personnels au sujet des résidents du Canada, ce qui comprend des renseignements tels que l'état civil, la religion, le revenu gagné, le taux de natalité, les biens-fonds possédés et l'instruction. À l'heure actuelle, bon nombre de ces renseignements sont considérés comme des renseignements personnels qui, entre les mains du gouvernement, sont protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels5 et son règlement d'application. Par conséquent, dès 1881, tous les recenseurs étaient tenus de prêter un serment de discrétion à l'égard des renseignements recueillis.
[12]Le Recensement du Canada de 1911 à l'égard duquel des renseignements sont ici demandés était un recensement décennal mené le 1er juin 1911 dans les neuf provinces et dans les deux territoires dont était alors composé le Canada. L'Acte du Recensement et des Statistiques6 qui s'appliquait alors exigeait que le Bureau du recensement et des statistiques, sous l'autorité du ministre de l'Agriculture, effectue un recensement décennal de la population et en matière agricole, à une date, au mois de juin 1911, qui devait être fixée par le gouverneur en conseil et un recensement devait par la suite avoir lieu tous les dix ans.
[13]Le recensement de 1911 a été effectué au moyen d'entrevues personnelles. Les recenseurs se rendaient dans chaque foyer au Canada et obtenaient les renseignements nécessaires du «chef du ménage». La collecte des données s'est échelonnée sur plusieurs mois. Les recenseurs s'acquittaient de leur mandat conformément aux instructions relatives au recensement, telles qu'elles étaient énoncées dans un décret publié dans la Gazette du Canada, lequel avait force de loi conformément à la Loi du recensement et des statistiques7.
[14]Le recensement de 1911 contenait 39 questions personnelles au sujet de chaque personne de la famille, du ménage ou de l'institution, notamment son nom, son lieu de résidence, son sexe, son état civil, sa date de naissance, sa citoyenneté, sa nationalité, sa religion, sa profession, son métier, ses moyens de subsistance, la question de savoir si elle gagnait un salaire, les assurances qu'elle avait à ce moment-là, ses études, sa langue et ses invalidités. Selon les observations qui ont été présentées pour le compte des défendeurs, les documents relatifs au recensement de 1911 sont sous la garde et le contrôle de Statistique Canada et de ses prédécesseurs depuis 1911. La chose est vivement contestée par la demanderesse. En 1955, un prédécesseur de Statistique Canada a obtenu la permission de détruire les tableaux sur support papier étant donné qu'ils avaient été microfilmés. En 1964, une copie d'archives microfilmée des documents relatifs au recensement de 1911 a été déposée au Centre fédéral de documents, qui relève des Archives nationales du Canada. Les documents relatifs au recensement de 1911, une fois encore selon les observations présentées pour le compte des défendeurs, ont néanmoins continué à être sous la garde et le contrôle de Statistique Canada ou d'un prédécesseur.
[15]Le 16 novembre 1999, l'archiviste national a formellement demandé que les documents relatifs aux recensements individuels de 1906 et de 1911 soient transférés, de façon que les Archives nationales du Canada plutôt que Statistique Canada en aient la garde et le contrôle. Le 22 décembre 1999, le statisticien en chef a répondu à la demande, en refusant de transférer la garde et le contrôle des documents compte tenu des conseils juridiques qui avaient alors été donnés au sujet de l'interprétation du contexte juridique applicable.
[16]Au mois de mai 2002, le statisticien en chef et l'archiviste national du Canada en sont arrivés à une entente au sujet d'une solution législative proposée à l'égard du transfert des documents relatifs au recensement aux Archives nationales du Canada. La législation mettant l'entente en oeuvre a fait l'objet d'une première lecture devant le Sénat du Canada le 5 février 2003 (le projet de loi S-13) [Loi modifiant la Loi sur la statistique]8. Le «Sommaire» qui faisait partie du projet de loi S-13 est ainsi libellé:
Le texte dissipe une ambiguïté juridique relative à l'examen des relevés des recensements faits au cours des années 1910 à 2003. Il permet aux généalogistes et aux spécialistes de la recherche historique de consulter les relevés des recensements, sous certaines conditions, pour une période de vingt ans débutant quatre-vingt-douze ans après le recensement. Toutes les restrictions concernant l'examen des relevés sont levées cent douze ans après le recensement.
[17]Le projet de loi S-13 a été adopté par le Sénat et a été présenté à la Chambre des communes. Apparemment, il a fait l'objet d'une première et d'une deuxième lecture devant la Chambre des communes et il a été renvoyé au comité. Lors de la prorogation du Parlement le 17 novembre 2003, le projet de loi S-13 «a expiré au Feuilleton». Il n'a pas été réintroduit lors de la session suivante du Parlement, qui a pris fin lorsque les élections qui devaient avoir lieu le 28 juin 2004 ont été annoncées.
[18]Statistique Canada et les Archives nationales du Canada ont signé un protocole d'entente les 21 et 24 mars 2003 respectivement afin de permettre aux Archives nationales de restaurer physiquement les documents microfilmés relatifs aux recensements pour la période allant de 1911 à 1941 et de faire deux doubles ainsi que de transférer les renseignements contenus dans ces microfilms sous une forme numérisée. Les travaux de restauration et de reproduction ont été financés par Statistique Canada; ils ont été effectués par un certain nombre de membres du personnel désigné des Archives nationales du Canada; ces membres du personnel étaient «réputés être des personnes employées» par Statistique Canada conformément au paragraphe 5(2) de la Loi sur la statistique.
[19]Le 2 juin 2003, la demanderesse a présenté une demande à Statistique Canada conformément à la Loi sur l'accès à l'information9 en vue d'avoir accès aux documents relatifs au recensement de 1911. Cette demande a été refusée le 27 juin 2003, après le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET DISPOSITIONS CONNEXES PERTINENTES
[20]Les dispositions législatives et les dispositions connexes pertinentes sont reproduites et jointes à l'annexe A de ces motifs. L'article 6 de la Loi sur les Archives nationales du Canada est crucial dans les présents motifs et dans l'ordonnance connexe. Pour plus de commodité, cette disposition est ici reproduite:
6. (1) Le transfert, sous la garde et le contrôle de l'archiviste, des documents des institutions fédérales et des documents ministériels qu'il estime avoir une importance historique ou archivistique s'effectue selon les calendriers ou accords convenus à cet effet entre l'archiviste et le responsable des documents.
(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer les modalités du transfert des documents.
(3) Sauf instruction contraire du gouverneur en conseil, l'archiviste est préposé à la garde et au contrôle des documents des institutions fédérales qui ont cessé leurs activités. [Je souligne.]
Il semblerait y avoir une incohérence dans l'interprétation des versions française et anglaise du paragraphe 6(3), la version anglaise faisant mention de la cessation des fonctions alors que la version française fait uniquement mention de la cessation des activités des institutions fédérales, mais seule l'interprétation de la version anglaise a été débattue devant moi et je me fonderai sur cette version.
POINTS LITIGIEUX SOULEVÉS DANS LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE
[21]Les points litigieux ont été libellés différemment par les parties, mais je suis convaincu qu'ils peuvent sommairement être décrits comme suit:
1) À l'heure actuelle, est-ce le statisticien en chef ou l'archiviste national qui a la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911?
2) Si les documents relatifs au recensement de 1911 sont sous la garde et le contrôle du statisticien en chef, ce dernier est-il légalement tenu d'en transférer la garde et le contrôle à l'archiviste national?
3) Quelle est la réparation que la demanderesse peut obtenir, le cas échéant, compte tenu des conclusions tirées par la Cour au sujet de la première et de la deuxième question?
Il n'a pas été contesté devant moi que l'omission de permettre à la demanderesse l'accès sollicité est une question qui peut être examinée par la présente Cour.
POSITIONS DES PARTIES ET ANALYSE
1) Garde et contrôle |
[22]Ma collègue la juge Layden-Stevenson a résumé les prétentions de la demanderesse sur ce point, aux paragraphes 12 à 14, d'une façon tout à fait exacte selon moi, compte tenu de l'audition de la demande de contrôle judiciaire dont je suis ici saisi:
La demanderesse soutient que le statisticien en chef ne possède aucun pouvoir légal et qu'il contrevient à la législation fédérale en tentant de conserver la garde et le contrôle des déclarations nominatives et des tableaux relatifs au recensement de 1911 et en refusant de les placer sous le contrôle de l'archiviste national à la demande de ce dernier. À l'appui de cette position, on cite notamment le paragraphe 6(1) de la LANC [Loi sur les archives nationales du Canada]. Toutefois, la demanderesse soutient également que l'article 3 de la Loi de 1906 (en vertu duquel le recensement de 1911 a eu lieu) prévoyait la création d'un bureau permanent relevant du ministre de l'Agriculture et que l'article 3 de la Loi de 1918 créait un nouveau service gouvernemental relevant du ministre du Commerce, le «Bureau fédéral de la statistique». Ce n'est pas «Statistique Canada» qui était l'institution fédérale qui a rassemblé les renseignements relatifs au recensement de 1911. C'était plutôt un bureau, maintenant aboli, qui relevait du ministre de l'Agriculture, lequel était connu sous le nom de «Bureau du recensement et des statistiques». La demanderesse soutient qu'étant donné que ce bureau a cessé ses activités, les documents sont maintenant sous la garde et sous le contrôle de l'archiviste national conformément au paragraphe 6(3) de la LANC.
La demanderesse cite également la recommandation figurant dans le décret du Conseil privé du 30 novembre 1903, sur laquelle elle se fonde; le poste d'«Archiviste fédéral» est créé, et il est expressément déclaré que [traduction] «[. . .] tous les documents qui se trouvent au service des archives du ministère de l'Agriculture» doivent être [traduction] «placés sous la garde» de l'Archiviste fédéral. Or, la demanderesse affirme que, pendant la période pertinente, le «Bureau du recensement et des statistiques» faisait partie du ministère de l'Agriculture et qu'à sa connaissance, «Statistique Canada» n'est pas légalement autorisée à avoir la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911.
La demanderesse soutient en outre que le législateur doit avoir voulu, lors du recensement de 1911, que les archives fédérales soient le dépositaire permanent des déclarations relatives au recensement s'il est tenu compte des Instructions à l'usage des commissaires et recenseurs de 1911 prescrites à l'article 6 de la Loi de 1906, dans lesquelles il est expressé-ment mentionné que le recensement a une valeur à des fins historiques (article 16) et en tant que document permanent dont les tableaux sont déposés aux archives fédérales (article 36). Il n'est pas fait mention de «Statistique Canada», du statisticien en chef, ou de leurs prédécesseurs, en tant que dépositaires des documents relatifs au recensement de 1911. C'est la LANC qui définit les objectifs et fonctions des Archives nationales et qui prévoit la conservation des documents aux Archives nationales en sa qualité de dépositaire. La demanderesse réitère que les dispositions actuelles relatives au secret ne s'appliquent pas à la loi de 1906. La seule mention de la confidentialité relative au recensement de 1911 figure à l'article 23 des Instructions de 1911 qui, est-il soutenu, se rapporte à des questions telles que l'imposition, le statut d'immigrant ou les données commerciales. La confidentialité perpétuelle n'était pas présumée ou envisagée10.
[23]La juge Layden-Stevenson a conclu [au paragraphe 17] que, compte tenu des prétentions de la demanderesse, telles qu'elles sont ci-dessus résumées, il ne lui était pas possible de conclure qu'«à ce stade, la demanderesse a[vait] épuisé tous les procédés» sur ce point.
[24]Par contre, l'avocat des défendeurs a soutenu que, malgré les réorganisations gouvernementales, la nouvelle définition des mandats législatifs et les changements de ministre responsable, les fonctions relatives aux recensements, l'analyse des données recueillies, la publication de rapports statistiques fondés sur les données recueillies et la conservation des données recueillies existaient bien avant 1911 et ont continué à exister sans interruption depuis lors. Selon l'avocat, le paragraphe 6(3) de la Loi sur les Archives nationales du Canada ne s'applique donc tout simplement pas; en effet, bien que les «institutions fédérales» successives aient peut-être cessé d'exister, les fonctions des institutions qui sont à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire n'ont jamais cessé.
[25]Selon l'avocat des défendeurs, il vaut la peine de noter que le statisticien en chef et l'archiviste national ne sont pas en désaccord au sujet de la question de la garde et du contrôle des documents relatifs au recensement de 1911. Ils conviennent que le statisticien en chef a toujours eu depuis la création de ce bureau, et qu'il a encore, la garde et le contrôle de ces documents, ce que confirme la demande formelle que l'archiviste national du Canada a faite au statisticien en chef le 16 novembre 1999 conformément au paragraphe 6(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada en vue de faire transférer la garde et le contrôle des documents relatifs aux recensements de 1906 et de 1911 de Statistique Canada aux Archives nationales du Canada. Comme il en a déjà été fait mention, cette demande a en fin de compte été refusée, le statisticien en chef et l'archiviste national du Canada ne pouvant pas arriver à s'entendre sur les modalités du transfert. Comme il en a déjà été fait mention, on a cherché à sortir de l'impasse à laquelle faisaient face le statisticien en chef et l'archiviste national du Canada en adoptant une solution législative, mais la chose n'a jamais porté fruit. Il est soutenu que le fait que l'on a cherché à remédier à la situation par voie législative étayerait l'avis selon lequel, à tous les paliers du gouvernement, il existait un consensus voulant que la garde et le contrôle des documents relatifs aux recensements de 1906 et de 1911 relèvent et continuent à relever du statisticien en chef.
[26]Cependant, il est étrange, du moins aux yeux du présent juge, que même si l'on a cherché en vain à sortir de l'impasse en adoptant une solution de nature législative, on n'ait jamais eu recours, semble-t-il, à un règlement du gouverneur en conseil, comme le prévoit le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Archives nationales du Canada, et ce, malgré l'inférence qui peut être tirée de la solution législative proposée, à savoir qu'il était généralement convenu au sein du gouvernement que la garde et le contrôle des renseignements pertinents relatifs aux recensements devraient maintenant être confiés aux Archives nationales du Canada ou à l'archiviste national.
[27]Je conclus que la position préconisée pour le compte des défendeurs doit l'emporter. Même si la mission des Archives nationales du Canada est énoncée en termes généraux au paragraphe 4(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada, il ressort de la lecture de l'article 6 que la Loi prévoit clairement que certains «documents [. . .] publics d'importance nationale», et je suis convaincu que les documents relatifs aux recensements sont visés par cette description, ne seront pas sous la garde et le contrôle des Archives nationales du Canada. Un mécanisme de transfert de ces documents au moyen d'un accord entre ceux qui en ont la garde et le contrôle et l'archiviste national est prévu. Un mécanisme permettant de résoudre les différends opposant ceux qui ont la garde et le contrôle de ces documents et l'archiviste national est prévu s'il est impossible d'arriver à une entente. En dernier ressort, lorsqu'aucun accord ne peut être conclu et que l'on ne peut pas ou que l'on ne devrait pas sortir de l'impasse au moyen d'un règlement prescrivant les modalités du transfert, comme le démontrent clairement les efforts infructueux qui ont été faits lorsqu'il s'est agi de sortir de l'impasse découlant des faits sous-tendant la présente affaire en adoptant une solution de nature législative, il est possible de sortir d'une impasse telle que celle qui existe ici.
[28]Dans l'arrêt President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets)11, le juge Rothstein, au nom de la majorité, a dit ce qui suit au paragraphe 110 de ses motifs:
On a fortement insisté dans le présent appel sur le fait que d'importantes questions de principe sont en jeu. Suivant la preuve, l'oncosouris a été brevetée aux États-Unis et en Europe. On peut soutenir, pour des raisons de principe, que l'uniformité est souhaitable et que le Canada devrait lui aussi breveter l'oncosouris. En revanche, des arguments reposant notamment sur la santé humaine et des préoccupations d'ordre écologique ont été avancés contre la délivrance d'un brevet pour l'oncosouris. Pourtant, dans le présent appel, le débat tourne uniquement autour de l'interprétation de la Loi sur les brevets et de la question de savoir si, vu l'ensemble de la preuve, le produit de l'appelant est brevetable selon cette interprétation. La Cour est tenue d'interpréter la loi telle qu'elle est, sans en élargir la portée au-delà de ce que le législateur fédéral souhaitait exprimer par le libellé de la loi et sans non plus en restreindre la portée en intercalant dans la loi des mots limitatifs que le législateur n'y a pas insérés. S'il est vrai que le présent appel soulève des questions de principe, c'est au législateur fédéral, et non aux tribunaux, qu'il appartient de les examiner.
[29]La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Harvard College a été annulée en appel devant la Cour suprême du Canada12. Le paragraphe suivant tiré des motifs du juge Rothstein n'a pas été expressément cité dans les motifs des juges majoritaires ou des juges minoritaires de la Cour suprême, mais il est possible de dire que des réserves y ont été apportées dans l'extrait suivant du paragraphe 11 des motifs prononcés en dissidence par le juge Binnie, auxquels le juge en chef et deux autres juges souscrivaient:
À l'instar de mon collègue [qui a rédigé les motifs au nom de la majorité], je reconnais que l'interprétation juste de cette loi [la Loi sur les brevets] consiste à lire les termes [traduction] «dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur».
Les remarques citées par le juge Binnie sont tirées de l'ouvrage Construction of Statutes13.
[30]Je suis convaincu que l'essence de la question dont la Cour est ici saisie, à savoir le conflit qui existe entre la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information relevant de l'administration fédérale pour les travaux de recherche, est une question de politique et que le législateur a clairement indiqué son intention de réserver au gouverneur en conseil et, en fin de compte à lui-même, la résolution des points litigieux découlant de ce conflit. Je suis convaincu que cette intention ressort clairement de la lecture de l'article 6 de la Loi sur les Archives nationales du Canada et est en outre étayée par la mesure législative qui a été prise sous la forme du projet de loi S-13 susmentionné. Étant donné cette preuve d'intention, par analogie avec les remarques précitées du juge Rothstein, auxquelles, j'en suis convaincu, aucune réserve n'a été apportée sur ce point, je conclus que le point litigieux dont la Cour est ici saisie est de nature telle que la Cour doit se montrer fort prudente avant d'intervenir.
[31]Je ferai preuve d'une telle prudence et je refuserai d'intervenir eu égard aux faits de l'affaire. La garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911 relèvent du statisticien en chef et continueront à relever de celui-ci à la fin de la présente instance.
2) Le statisticien en chef est-il légalement tenu de transférer la garde et le contrôle aux Archives nationales du Canada? |
[32]Comme je viens d'en faire mention, je suis convaincu qu'il faut répondre à cette question par la négative. Encore une fois, l'article 6 de la Loi sur les Archives nationales du Canada prévoit clairement le transfert de la garde et du contrôle à la suite d'un accord et, en outre, prévoit qu'il peut être impossible d'arriver à une entente, comme c'est ici le cas. La chose permet de sortir de l'impasse et la législation est clairement une solution de rechange permettant de sortir d'une impasse telle que celle qui existe ici. Je ne puis tout simplement pas conclure qu'un fonctionnaire tel que le statisticien en chef fait face à l'obligation d'arriver à une entente de la nature de celle qui est envisagée au paragraphe 6(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada, lorsque, à son avis, une telle entente ne peut pas être conclue à des conditions qui respectent le mandat qui lui est conféré par la loi. En égard aux faits de l'affaire, il peut être présumé que le statisticien en chef craint que le transfert de la garde et du contrôle des renseignements relatifs au recensement aux Archives nationales du Canada entraîne la divulgation de ces renseignements d'une façon qui pourrait bien compromettre l'efficacité des recensements futurs et peut-être d'autres activités de collecte de données de Statistique Canada. Cette préoccupation semble légitime compte tenu des termes stricts de l'article 6 du règlement pris en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels14, reproduit à l'annexe A des présents motifs.
[33]En résumé, je conclus que le statisticien en chef n'est pas légalement tenu de transférer aux Archives nationales du Canada la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911.
3) Quelle réparation, le cas échéant, la demanderesse peut-elle solliciter dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire? |
[34]Étant donné les conclusions qui ont jusqu'ici été tirées dans ces motifs, à savoir que la garde et le contrôle des documents relatifs au recensement de 1911 relèvent du statisticien en chef et que ce dernier n'est pas légalement tenu de conclure une entente en vue du transfert de la garde et de contrôle aux Archives nationales du Canada, aucune des réparations sollicitées par la demanderesse par voie d'ordonnance de mandamus et d'ordonnance déclaratoire n'est appropriée. Ceci dit, s'il est conclu que les conclusions tirées sont erronées, je suis convaincu que la demanderesse, en sa qualité de généalogiste s'intéressant à l'histoire familiale, a qualité pour présenter la demande ici en cause et qu'elle aurait droit à une réparation, du moins de la nature d'une ordonnance déclaratoire, et plus particulièrement qu'elle aurait droit au troisième type d'ordonnance déclaratoire énoncé au paragraphe 3 de ces motifs, compte tenu des termes de l'alinéa 6d) du Règlement sur la protection des renseignements personnels reproduit à l'annexe A des présents motifs.
CONCLUSION ET DÉPENS
[35]Compte tenu de la brève analyse qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[36]La demanderesse et les défendeurs, que ce soit dans la demande de contrôle judiciaire dans le cas de la demanderesse ou dans l'exposé des faits et du droit dans le cas des défendeurs, sollicitent l'adjudication des dépens en leur faveur. Or, les dépens sont habituellement accordés à la partie qui a gain de cause, c'est-à-dire eu égard aux faits de la présente affaire, aux défendeurs. Ceci dit, je ne suis pas convaincu, compte tenu des faits portés à la connaissance de la Cour dans leur ensemble, que les défendeurs doivent obtenir les dépens. Il est clair qu'au moins un gouvernement appuyait en principe un résultat favorable à la demanderesse. Après mûre réflexion, le Sénat du Canada a également favorisé un résultat tel que celui qui est préconisé par la demanderesse. Malheureusement, le processus législatif que le gouvernement de l'époque avait décidé de suivre pour accorder une réparation à la demanderesse est maintenant prescrit. Dans ces conditions, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire et je refuserai d'accorder les dépens aux défendeurs. Aucuns dépens ne seront adjugés.
ANNEXE «A»
des motifs d'ordonnance rendus le
25 juin 2004
dans l'affaire
MERTIE ANNE BEATTY
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LE STATISTICIEN EN CHEF et
L'ARCHIVISTE NATIONAL
T-930-03
Loi du recensement et des statistiques, S.R.C. 1906, ch. 68
2. En la présente loi, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente,--
(a) "Ministre" signifie le ministre de l'Agriculture;
(b) "bureau" signifie le bureau du recensement et des statistiques.
3. Est établi, sous l'autorité du ministre de l'Agriculture, un bureau permanent appelé le bureau de recensement et des statistiques, et le gouverneur en conseil peut y nommer, pour le bon fonctionnement du service, un chef, un secrétaire et les autres fonctionnaires, commis et employés nécessaires, lesquels, sous la direction du Ministre, sont chargés de mettre à exécution les dispositions de la présente loi et les autres fonctions à eux assignés par le gouverneur en conseil.
4. Le gouverneur en conseil peut aussi nommer les officiers de recensement, commissaires de recensement et autres employés nécessaires pour chaque recensement, et leur sont respectivement attribués les pouvoirs, fonctions et émoluments déterminés à eux assignés par le gouverneur en conseil.
[. . .]
6. Le Ministre peut aussi employer à toute époque les agents ou personnes nécessaires pour recueillir pour le bureau, des statistiques et renseignements au sujet d'industries et d'affaires du pays qu'il juge être utiles et dans l'intérêt du public, et les attributions de ces agents sont à la détermination du Ministre.
[. . .]
10. Les détails des renseignements, les moyens à mettre en oeuvre pour les obtenir, les formules à employer à l'époque à laquelle s'effectue le recensement, ainsi que les dates relativement auxquelles il se fait ou sont recueillis les statistiques et les renseignements, soit pour le pays en général soit pour quelques localités particulières, qui demandent à être traitées d'une manière spéciale sous l'un de ces rapports, sont, en conformité des dispositions de la présente loi, selon que déterminés par proclamation du gouverneur en conseil.
11. Le bureau doit faire un recensement du Canada, sous la direction du Ministre, à une date du mois de juin mil neuf cent onze, à être déterminée par le gouverneur en conseil, et tous les dix ans ensuite.
[. . .]
16. Le recenseur, par voie de visite à chaque maison et d'enquête personnelle conduite avec soin, doit se procurer en détail et avec la plus grande exactitude possible tous les renseignements statistiques dont il a à s'occuper, mais nul autre, et il doit en prendre note d'une manière fidèle et attester ses écritures sous serment, et avoir soin que ses écritures ainsi attestés soient remises au commissaire de recensement dont il relève.
2. L'énumérateur doit exécuter les prescriptions du présent article, sous tous les rapports, en conformité des formules à lui fournies et des instructions à lui données.
[. . .]
34. Tout fonctionnaire, commissaire de recensement, recenseur, agent ou autre personne employée à la mise à exécution de la présente loi, doit, avant d'entrer dans ses fonctions, prêter et souscrire un serment qui le lie à la bonne et fidèle exécution de ces fonctions et au secret des statistiques et renseignements recueillis par le bureau.
2. Ce serment est dressé selon la formule, prête devant la personne et enregistré de la manière que prescrit le gouverneur en conseil.
Cinquième Recensement du Canada, 1911
Instructions à l'usage des fonctionnaires,
commissaires et recenseurs
16. Si un village qui n'est pas constitué en municipalité est compris dans le district du recenseur, ce dernier doit en faire le recensement séparément, en dehors de la partie rurale proprement dite, mais sur le même tableau. Une ligne courte tracée en travers de la marge de gauche au-dessus du numéro de la première famille et une autre au-dessous du numéro de la dernière famille du village inscrit sur le tableau suffira pour indiquer la séparation. Mais si le village a un nom distinct ce nom doit être inscrit le long de la marge de gauche du tableau, entre la première et la dernière ligne de chaque feuille, jusqu'à ce que le recensement du village ait été complété [. . .] Cette séparation facilitera la compilation des statistiques agricoles et sera utile au point de vue historique pour retracer l'origine et le développement des villes de l'avenir. Toutefois, le recensement des villages qui ne sont pas constitués en municipalités sera inclus, comme il l'a été jusqu'ici, dans la statistique des districts ruraux.
[. . .]
23. Toute fonctionnaire ou toute personne employée au recensement est tenu au secret absolu sur les renseignements recueillis par les recenseurs et inscrits sur les tableaux ou feuilles. Il est défendu au recenseur de montrer ses tableaux à qui que ce soit, ou d'en faire ou d'en garder une copie, ou de répondre à des questions sur leur contenu, soit directement soit indirectement; la même obligation du secret est imposée aux commissaires et autres fonctionnaires ou employés du service extérieur, de même qu'a tout fonctionnaire, commis ou autre employé du bureau du recensement à Ottawa. Les faits et statistiques du recensement ne doivent servir qu'aux compilations statistiques, et on devra donner l'assurance positive de ce fait à toute personne qui craint que ces renseignements ne puissent servir de guide pour l'imposition de taxes ou pour toute autre fin.
[. . .]
36. Le recenseur est tenu de faire toutes les entrées dans les tableaux avec une encre de bonne qualité, et chaque nom, mot, chiffre ou marque devra être clair et lisible. Si le tableau n'est pas lisible, ou si les entrées sont faites avec de la mauvaise encre, ou au crayon de plomb, ou si elles sont brouillées ou effacées, le travail du recenseur peut avoir été fait en pure perte. Le but du recensement est d'obtenir des statistiques permanentes, et les tableaux seront conservés aux Archives du Canada.
Loi sur les Archives nationales du Canada, L.R.C. (1985) (3e suppl.), c. 1 [art. 4(3) (mod. par L.C. 1995, ch. 29, art. 48)]
4. (1) Les Archives nationales du Canada conservent les documents privés et publics d'importance nationale et en favorisent l'accès. Elles sont le dépositaire permanent des documents des institutions fédérales et des documents ministériels. Elles facilitent la gestion des documents des institutions fédérales et des documents ministériels et appuient les milieux des archives.
(2) L'archiviste peut prendre toute mesure qui concourt à la réalisation de la mission des Archives nationales du Canada et, notamment:
a) acquérir des documents ou en obtenir la possession, la garde ou le contrôle;
b) prendre toute mesure utile au classement, à la description, à la protection et à la restauration des documents;
c) permettre l'accès aux documents, sous réserve des restrictions juridiques applicables;
d) fournir des services d'information, de consultation et de recherche, ainsi que des services connexes, concernant les archives;
e) faire connaître les archives, notamment par des publications, des expositions et des prêts;
f) conseiller les institutions fédérales quant aux normes et méthodes de gestion de documents;
g) fournir aux institutions fédérales des services de reproduction et autres services liés à la gestion de documents;
h) fournir un service central de garde et de contrôle des documents des anciens membres du personnel des institutions fédérales;
i) fournir aux institutions fédérales des installations d'entreposage de documents;
j) fournir des services de formation aux techniques de l'archivage et à la gestion des documents;
k) collaborer avec les organismes concernés par les archives et la gestion des documents, notamment par des échanges et des activités communes;
l) apporter son appui professionnel, technique et financier aux milieux des archives;
m) s'acquitter de toute autre fonction que lui confie le gouverneur en conseil.
(3) L'archiviste peut, sous réserve des modalités afférentes à leur acquisition ou à leur obtention, aliéner ou éliminer des documents dont il a le contrôle s'il estime que leur conservation n'est plus nécessaire.
(4) L'archiviste ne peut donner accès aux documents auxquels le paragraphe 69(1) de la Loi sur l'accès à l'information s'applique qu'avec l'autorisation du greffier du Conseil privé.
[. . .]
6. (1) Le transfert, sous la garde et le contrôle de l'archi-viste, des documents des institutions fédérales et des documents ministériels qu'il estime avoir une importance historique ou archivistique s'effectue selon les calendriers ou accords convenus à cet effet entre l'archiviste et le responsable des documents.
(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer les modalités du transfert des documents.
(3) Sauf instruction contraire du gouverneur en conseil, l'archiviste est préposé à la garde et au contrôle des documents des institutions fédérales qui ont cessé leurs activités.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), c. P-21 [art. 8(2)i) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 12)]
7. À défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci:
a) qu'aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;
b) qu'aux fins auxquelles ils peuvent lui être communiqués en vertu du paragraphe 8(2).
8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.
(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:
a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;
b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;
[. . .]
i) communication aux Archives nationales du Canada pour dépôt;
Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508
6. Les renseignements personnels qui ont été placés sous le contrôle des Archives nationales du Canada par une institution fédérale, pour dépôt ou à des fins historiques, peuvent être communiqués à toute personne ou à tout organisme pour des travaux de recherche ou de statistique, si
a) ces renseignements sont d'une nature telle que leur communication ne constituerait pas une intrusion injustifiée dans la vie privée de l'individu qu'ils concernent;
b) leur communication est conforme aux alinéas 8(2)j) ou k) de la Loi;
c) il s'est écoulé 110 ans depuis la naissance de l'individu qu'ils concernent; ou
d) il s'agit de renseignements qui ont été obtenus au moyen d'une enquête ou d'un recensement tenu il y a au moins 92 ans.
1 Voir l'art. 6 du Règlement sur la protection des renseigne-ments personnels, DORS/83-508, reproduit à l'annexe A des présents motifs.
2 Dossier de demande des défendeurs, onglet 2.
3 L.R.C. (1985), ch. S-19.
4 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1.
5 L.R.C. (1985), ch. P-21.
6 S.C. 1905, ch. 5 [S.R.C. 1906, ch. 68].
7 Décret du gouverneur en conseil en date du 31 mars 1911, publié le 22 avril de la même année dans un supplément de la Gazette du Canada, pièce «D» jointe à l'affidavit de Pamela White, aux p. 0033 et 0036 à 0053 du dossier de demande des défendeurs.
8 Dossier de demande des défendeurs, onglet 2, pièce «P» jointe à l'affidavit de Pamela White, p. 0107 à 0111.
9 L.R.C. (1985), ch. A-1.
10 Beatty c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1029; [2003] A.C.F. no 1303 (C.F.) (QL), 5 septembre 2003.
11 [2000] 4 C.F. 528 (C.A.) (non cité devant moi).
12 Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45 (non cité devant moi).
13 Driedger, Elmer A., 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1983).
14 L.R.C. (1985), ch. P-21.