T-482-03
2005 CF 340
Aventis Pharma Inc. et Aventis Pharma Deutschland GmbH (demanderesses)
c.
Pharmascience Inc. et Le ministre de la Santé (défendeurs)
et
Schering Corporation (défenderesse/brevetée)
Répertorié: Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc. (C.F.)
Cour fédérale, juge Snider--Vancouver, 7, 8 et 9 décembre 2004; Ottawa, 11 mars 2005.
Brevets -- Contrefaçon -- Pharmascience sollicite un avis de conformité pour le ramipril, un inhibiteur de l'enzime de conversion de l'angiotensine (ECA) -- Aventis sollicite une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité -- Question fondamentale en litige: l'allégation de non-contrefaçon dans l'avis d'allégation est-elle fondée? -- Questions à trancher: 1) la suffisance de l'avis d'allégation; 2) certaines revendications entraînent-elles un double brevet; 3) l'allégation selon laquelle Pharmascience ne contrefera pas les revendications concernant l'utilisation du médicament pour le traitement de l'insuffisance cardiaque est-elle fondée? -- Examen des brevets pertinents et de la législation sur les brevets -- Rôle de l'avis d'allégation -- L'avis d'allégation est insuffisant parce qu'il n'expose pas des faits permettant de justifier l'allégation de non-contrefaçon -- Longue analyse formulée en remarque incidente, examen du principe du double brevet -- Y a-t-il double brevet lorsque les brevetés sont différents? -- Analyse du concept du «renouvellement à perpétuité» -- Détermination des dates de priorité -- Effet du contrat de licence -- Examen des témoignages des experts quant à la date à laquelle il convient d'apprécier l'argument fondé sur le double brevet relatif à une évidence -- Date de l'invention par rapport à date du brevet -- En l'absence d'une jurisprudence canadienne sur ce point, la Cour a appliqué la décision américaine In re Braat, 937 F.2d 589 -- Ordonnance d'interdiction accordée.
Il s'agissait d'une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience en vue de la commercialisation d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA), le ramipril, utilisé pour le traitement de l'hypertension. La demanderesse, Aventis Pharma Inc., était titulaire d'un brevet qui visait l'utilisation du ramipril dans le traitement de l'hypertension, mais ce brevet est expiré. Elle détient toujours un brevet concernant l'emploi de ce médicament pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Schering Corporation, qui est titulaire d'un brevet de genre qui vise le ramipril et d'autres inhibiteurs de l'ECA, a été constituée partie défenderesse. Dans son avis d'allégation, Pharmascience a indiqué que son produit ne serait pas utilisé ou vendu pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Elle a en outre allégué que certaines revendications du brevet 206 de Schering étaient invalides pour cause de double brevet.
Le brevet 206 porte sur des composés utiles comme inhibiteurs de l'ECA utilisés dans le traitement de l'hypertension. Ses revendications étaient larges et visaient le ramipril; cependant, le brevet ne renfermait aucun exposé décrivant spécifiquement le composé ramipril. Plusieurs obstacles majeurs ont dû être franchis avant l'obtention du brevet visant cette invention. Le brevet 087 a été délivré à Hoechst AG, prédécesseur d'Aventis; il contenait une revendication visant un procédé permettant uniquement de préparer le composé ramipril. Le brevet 087 est un brevet de sélection concernant un composé également visé par le brevet 206 qui est un brevet de genre. En 1986, Hoechst et Schering ont conclu un contrat de licence en vertu duquel Aventis, successeur de Hoechst, détient les droits exclusifs à l'échelle mondiale en matière de fabrication et de vente du ramipril. Même s'il était expiré, le brevet 087 était pertinent en l'espèce en raison de l'allégation de double brevet. Pharmascience a fait valoir qu'Aventis cherche à prolonger son monopole sur le ramipril au-delà de la date d'expiration du brevet 087 en soutenant qu'il y a contrefaçon de son brevet 457. Ce brevet, qui a été délivré à Aventis en 1988, revendique des compositions qui sont destinées à être utilisées dans le traitement de l'insuffisance cardiaque et qui contiennent un composé appartenant à la famille des composés inhibiteurs de l'ECA, y compris le ramipril; sa revendication 8 vise spécifiquement une composition contenant du ramipril ou des sels de ramipril acceptables du point de vue pharmaceutique destinés à être utilisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque (défaillance cardiaque). Il s'agit d'une indication thérapeutique distincte de l'hypertension et, selon le témoignage d'un expert, on ne s'attendrait pas à ce qu'un médicament qui est utile dans le traitement de l'hypertension le soit également dans le traitement d'une défaillance cardiaque. On a dit qu'une personne versée dans le domaine qui a lu le brevet 206 ou le brevet 087 n'aurait pas été amenée à conclure que les composés du brevet 457 pourraient être utilisés dans le traitement d'une défaillance cardiaque.
Le brevet 206 a été délivré relativement à une demande déposée avant le 1er octobre 1989. Il était donc régi par les dispositions applicables avant 1989. Le brevet 206 a été déposé le 20 octobre 1981 mais n'a pas été délivré avant mars 2001, lorsque l'instance en conflit de priorité a pris fin. Il n'existait aucune disposition prévoyant l'enregistrement rétroactif du brevet ou l'abrégement de sa durée. Si la demande concernant le brevet de Schering avait été présentée après les modifications du 1er octobre 1989, la situation aurait été différente parce que, en vertu de l'actuel régime législatif, les conflits de priorité sont réglés en fonction de la date du dépôt.
Jugement: la demande doit être accueillie.
La première question à examiner était celle de la suffisance de l'avis d'allégation. La jurisprudence a décrit le rôle de l'avis d'allégation ainsi que les éléments qu'il faut examiner pour évaluer sa suffisance. Aventis a soutenu que Pharmascience aurait dû indiquer comment elle limiterait sa commercialisation du ramipril au traitement de l'hypertension. Le médicament que Pharmascience a l'intention de produire sera bioéquivalent à l'«Altace», visé par le brevet 087 qui est expiré et par le brevet 457 qui est toujours en vigueur, et il se présentera sous la même apparence. De plus, il aura un effet thérapeutique équivalent à celui de l'«Altace». L'avis d'allégation n'indiquait pas que l'inscription au Formulaire comparatif des médicaments du Programme de médicaments de l'Ontario prévoyait une interchangeabilité limitée. Il semble donc que Pharmascience ne pouvait éviter la contrefaçon du brevet 457 qu'en prenant des mesures concrètes pour limiter la commercialisation. Ces mesures auraient dû être divulguées dans l'avis d'allégation. L'allégation de Pharmascience à cet égard était assimilable à une simple affirmation de non-contrefaçon.
L'avis d'allégation n'était pas insuffisant en ce qui a trait à la question du double brevet. Pharmascience avait décrit assez longuement les raisons pour lesquelles elle alléguait l'invalidité et c'est ce qui avait permis à Aventis de rassembler une preuve par affidavits et d'opposer des arguments à cette question éminemment juridique.
Aventis a soutenu que Pharmascience aurait dû tenir compte de la revendication 13 du brevet 206. Cet argument aurait été correct uniquement si Pharmascience était tenue d'examiner non seulement le composé de ramipril mais aussi tout métabolite du ramipril. Toutefois, suivant le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la seconde personne n'a qu'à examiner les questions de contrefaçon des revendications pour le médicament. En l'espèce, le médicament en cause était le ramipril et non le ramiprilate. Ce qui arrive au ramipril après ingestion n'était pas pertinent pour déterminer la suffisance de l'avis d'allégation. Cependant, comme l'avis d'allégation n'exposait pas des faits permettant de justifier l'allégation selon laquelle la commercialisation par Pharmascience de son produit ne contreferait pas le brevet 457, l'avis d'allégation ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement et la demande d'Aventis devait donc être accueillie.
Dans l'hypothèse où cette conclusion pourrait être erronée, l'allégation concernant le double brevet a été analysée. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que les inventions antérieures ne doivent pas être «renouvelées à perpétuité» grâce à des ajouts évidents ou non inventifs. Pharmascience a soutenu qu'Aventis tentait, par un moyen détourné, de prolonger son brevet expiré en ce qui concerne le ramipril. En déposant tout simplement la présente demande, Aventis a automatiquement obtenu une prolongation de deux ans de son brevet 087. Si, par suite d'une décision de notre Cour, un brevet expiré semble entraîner le maintien d'un monopole, on ne devrait pas considérer qu'il s'agit d'un renouvellement à perpétuité. On reconnaît simplement que des brevets, autres que le brevet expiré, sont encore en vigueur et que les droits des titulaires de ces brevets doivent être reconnus. Il n'y a pas «identité» entre les revendications du brevet 206 et celles des brevets 087 ou 457: le brevet 206 est un brevet de genre qui vise un très grand nombre de composés, le brevet 087 est un brevet de sélection qui ne vise qu'une partie des produits chimiques revendiqués dans le brevet de genre et le brevet 457 est un brevet d'utilisation, revendiquant le ramipril dans le traitement de l'insuffisance cardiaque. Il ne s'agissait pas d'un double brevet relatif à la «même invention». La deuxième catégorie de double brevet est appelée double brevet relatif à une «évidence». On parle ici d'un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un «élément brevetable distinct» de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Un second brevet n'est justifié que si les revendications font preuve de nouveauté ou d'ingéniosité par rapport au brevet antérieur. C'est de ce type de double brevet dont il est question en l'espèce. Aventis et Schering ont prétendu qu'il ne peut pas y avoir double brevet relatif à une évidence lorsque les inventeurs ou les brevetés sont différents. Il n'y avait aucune jurisprudence traitant directement de cette question. L'accent ne devrait pas être mis dans l'analyse sur les inventeurs ou les brevetés, mais plutôt sur les principes de base et les revendications. Un brevet est un marché conclu entre le breveté et le public et si un brevet est délivré pour une invention qui n'est pas nouvelle, le breveté jouira d'un avantage sans avoir à fournir de «divulgations ingénieuses». En d'autres mots, il obtiendra quelque chose sans rien fournir en retour. Le public n'aura reçu aucune contrepartie dans le marché conclu, que les inventeurs ou les brevetés soient les mêmes ou non. L'application du concept du double brevet relatif à une évidence ne devrait pas se limiter aux mêmes brevetés ou inventeurs. L'accent doit toujours être mis sur les revendications qui constituent l'invention et non sur les personnes ou parties qui les font valoir. Bien que la jurisprudence canadienne traitant du concept du «renouvellement à perpétuité» n'ait pas encore examiné un cas où les brevetés sont différents, il n'y a aucune raison de rejeter une allégation d'invalidité pour le simple motif que la jurisprudence n'a pas tranché cette question.
Il fallait donc déterminer si les revendications de l'un des brevets en cause étaient distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications de l'autre brevet. Compte tenu des liens qui existent entre le brevet 206 et le brevet 087, le brevet 087 visant le ramipril concernait une invention qui ajoute quelque chose de substantiel à des connaissances existantes.
Toutefois, Schering a «joui» des avantages résultant de son brevet grâce aux redevances qu'elle a touchées depuis 1986 en vertu du contrat de licence conclu avec Hoescht. Le problème que pose l'argument selon lequel Schering ayant tiré avantage du fait qu'elle prétendait avoir un brevet ne devrait pas pouvoir en profiter plus longtemps était que les droits conférés par un contrat de licence sont limités et ne peuvent être comparés à la protection offerte par un brevet délivré en vertu du cadre législatif. Schering ne pouvait faire valoir les droits acquis en vertu du contrat de licence conclu avec Hoescht qu'à l'égard de l'autre partie à l'accord, en l'occurrence Hoechst ou son ayant droit, Aventis. À l'époque où le contrat de licence a été conclu, il existait un risque important pour Schering que le brevet 206 ne soit jamais délivré. Peu de poids a été accordé au contrat de licence en tant que preuve que Schering avait tiré profit du brevet depuis 1986. Et même si on considérait que Schering et Aventis sont les mêmes brevetées, aucune disposition de la Loi n'empêchait les mêmes brevetés de mettre au point de nouvelles inventions qui pourraient ensuite être brevetées.
Pour déterminer la date à laquelle il convient d'apprécier l'argument fondé sur le double brevet relatif à une incidence, la Cour a examiné les témoignages d'experts. Pharmascience a allégué que les revendications du brevet 206 étaient invalides pour cause de double brevet en s'appuyant sur une appréciation de l'évidence faite à partir de la date de délivrance du brevet, soit mars 2001. Cependant, si la date de référence correcte était 1981, l'argument fondé sur le double brevet s'écroulerait. En l'espèce, c'est la date de l'invention et non celle du brevet qui devrait servir à déterminer l'évidence parce que le brevet 206 a été délivré sous le régime applicable au brevet avant 1982. Les revendications découlent d'une invention et non de la délivrance du brevet. Le problème dont il est question en l'espèce ne pourrait pas se poser dans le cadre de la Loi qui s'applique à l'heure actuelle. Utiliser la date de l'invention pour apprécier la question du double brevet relatif à une évidence entraîne une injustice, mais on devait également examiner quelle serait la situation de Schering si la date de référence utilisée était 2001. Dans un tel cas, Schering n'aurait pas eu l'avantage d'un brevet de 1981 à 2001 et elle serait également privée de sa contrepartie du «marché» en 2001. Il en résulterait que la brevetée n'a rien reçu pour son invention en ce qui concerne les revendications qui visent le ramipril.
Les tribunaux canadiens ne s'étaient pas prononcés sur le cas en litige, mais la Cour a été invitée à se reporter à une décision américaine, In re Braat, 937 F.2d 589. L'application du raisonnement suivi dans l'arrêt Braat exigeait l'examen de la question de savoir si les revendications du brevet 087 étaient évidentes par rapport aux revendications concernant le ramipril dans le brevet 206. D'après le seul témoignage d'expert portant sur cette question, il n'aurait pas été évident que le ramipril aurait présenté une activité relative considérablement accrue à son stéréoisomère. Compte tenu de ce témoignage non contesté, les revendications du brevet 087 n'étaient pas évidentes par rapport aux revendications du brevet 206 et, selon la logique de l'arrêt Braat, l'argument fondé sur le double brevet relatif à une évidence ne pouvait pas être retenu.
Il ne s'agissait pas en l'espèce d'un renouvellement à perpétuité du brevet 087, mais plutôt d'une reconnaissance des droits du titulaire du brevet 206. L'allégation de Pharmascience selon laquelle son ramipril ne contrefera pas le brevet 206 n'était pas fondée et c'était un motif suffisant pour accueillir la demande de Schering.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1), 43.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5(1) (mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2). |
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 400(3), tarif B, colonne III. |
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 31 C.P.R. (4th) 214; 245 F.T.R. 243; 2003 CF 1428; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; (2002), 219 D.L.R. (4th) 660; 21 C.P.R. (4th) 499; 296 N.R. 130; 2002 CSC 77; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.); In re Braat, 937 F.2d 589 (Fed. Cir. 1991).
décisions examinées:
AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272; 256 N.R. 172 (C.A.F.); Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.R. (4th) 129; 263 N.R. 88; 2000 CSC 67; Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1963), 41 C.P.R. 9; 25 Fox Pat C. 99.
décisions citées:
AB Hassle c. Genpharm Inc. (2003), 243 F.T.R. 6; 2003 CF 1443; Beecham Canada Ltd. et al. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1; 40 N.R. 313 (C.A.F.); Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 168; 263 N.R. 150; 2000 CSC 66; In re I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.).
DEMANDE visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), en vue de la commercialisation du médicament ramipril utilisé dans le traitement de l'hypertension. Demande accueillie.
ont comparu:
Gunars A. Gaikis, A. David Morrow et J. Sheldon Hamilton pour les demanderesses.
Donald H. MacOdrum et Mark S. Mitchell pour la défenderesse Pharmascience Inc.
Anthony George Creber pour la défenderesse Schering Corporation.
Eric Petersen pour le défendeur le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier:
Smart & Biggar, Toronto, pour les demanderesses.
Lang Michener LLP, Toronto, pour la défenderesse Pharmascience Inc.
Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour la défenderesse Schering Corporation.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
La juge Snider:
INTRODUCTION
[1]Le 31 août 2001, Pharmascience Inc. (Pharma-science) a présenté une demande au ministre de la Santé (le ministre), conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133] (le Règlement), afin d'obtenir la délivrance d'un avis de conformité en vue de la commercialisation de gélules de ramipril utilisées dans le traitement de l'hypertension. Dans la présente demande, introduite par un avis de demande déposé le 28 mars 2003, Aventis Pharma Inc. et Aventis Pharma Deutschland GmbH (Aventis) sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité à Pharmascience. Schering Corporation (Schering), qui est propriétaire de l'un des brevets pertinents, a été constituée partie défenderesse à l'instance et donne son appui à Aventis.
[2]Le médicament ramipril, un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA), est utilisé pour le traitement de l'insuffisance cardiaque (aussi appelée défaillance cardiaque) et de l'hypertension (ou hypertension artérielle). En l'espèce, trois brevets se rapportent à ce médicament:
· Aventis était titulaire du brevet canadien no 1187087 (le brevet 087) qui visait l'emploi du ramipril dans le traitement de l'hypertension et qui expirait le 4 novembre 2002.
· Le brevet canadien no 1246457 (le brevet 457) est détenu par Aventis et concerne l'emploi du ramipril pour le traitement de l'insuffisance cardiaque; le brevet 457 a été délivré le 13 décembre 1988 et expire en décembre 2005.
· Le brevet canadien no 1341206 (le brevet 206), détenu par Schering, est un brevet de genre qui revendique le ramipril et d'autres inhibiteurs de l'ECA. Bien que la demande de brevet ait été déposée en octobre 1981, le brevet n'a été délivré que le 20 mars 2001.
[3]Aventis commercialise le ramipril sous l'appellation commerciale «Altace».
[4]En liaison avec sa demande d'avis de conformité et comme l'exige le paragraphe 5(1) [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-372, art. 2] du Règlement, Pharmascience a signifié à Aventis, le 7 février 2003, un avis d'allégation accompagné d'un «énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde». En gros, l'avis d'allégation contenait les allégations suivantes:
· le ramipril de Pharmascience [traduction] «ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement de l'insuffisance cardiaque tel qu'il est allégué dans les revendications du brevet 457».
· Les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206, qui visent le ramipril, [traduction] «sont invalides parce qu'elles ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications du [. . .] brevet 087 et du [. . .] brevet 457».
· Aucune des autres revendications du brevet 206 (revendications 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 13), qui ne visent pas le ramipril, ne sera contrefaite.
QUESTIONS EN LITIGE
[5]La question fondamentale en l'espèce est celle de savoir si l'allégation de non-contrefaçon dans l'avis d'allégation présenté au ministre par Pharmascience est fondée. Pour statuer sur ce point, il faut répondre aux questions suivantes:
1) L'avis d'allégation est-il suffisant?
2) Compte tenu des brevets 087 et 457 qui ont été délivrés antérieurement, Pharmascience a-t-elle raison d'alléguer que les revendications du brevet 206 qui visent le ramipril sont invalides pour cause de double brevet?
3) L'allégation selon laquelle Pharmascience ne contrefera pas les revendications du brevet 457 concernant l'utilisation du ramipril pour le traitement de l'insuffisance cardiaque est-elle fondée?
[6]Si la réponse à l'une quelconque de ces questions est négative, la demande d'Aventis sera accueillie.
LES BREVETS PERTINENTS
[7]Certaines des revendications des brevets 206, 087 et 457 sont pertinentes pour la présente demande. Il m'apparaît utile de commencer par une description des revendications pertinentes et du contexte dans lequel les trois brevets ont été délivrés.
Brevet canadien no 1341206 (brevet 206)
[8]Le brevet 206, intitulé «Dipeptides de carboxydkyle, méthodes pour leur production et compositions pharmaceutiques les renfermant», porte sur des composés (des dipeptides de carboxyalkyle) utiles comme inhibiteurs de l'ECA utilisés dans le traitement de l'hypertension. Les revendications du brevet 206 sont larges et couvrent une famille de composés qui comprend le ramipril; cependant, le brevet ne renferme aucun exposé décrivant spécifiquement le composé ramipril. Les revendications pertinentes pour la présente demande sont les suivantes:
· La revendication 1 du brevet 206 vise une famille de dipeptides de carboxyalkyle dont la formule générale comporte trois unités principales, soit a) des noyaux bicycliques; b) une unité alanyle centrale et c) une unité terminale. Elle ne vise pas des composés présentant une stéréochimie spécifique. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur la formule générale, la formule obtenue correspond à celle du ramipril et à ses stéréoisomères (c.-à-d. aux différentes configurations tridimensionnelles que peuvent présenter les molécules organiques).
· La revendication 2 vise également des composés présentant une formule générale précise, mais n'est pas limitée à des stéréoisomères spécifiques. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur cette formule, cette revendication vise le ramipril.
· La revendication 3, pour des raisons semblables, vise le ramipril.
· La revendication 6 vise des composés décrits par une formule générale. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur cette formule, la revendication 6 décrit alors 32 stéréoisomères, dont l'un est le ramipril.
· La formule de la revendication 12 décrit huit stéréoisomères différents, dont l'un est le ramipril.
· La revendication 13 vise le composé ramiprilate, c'est-à-dire le métabolite formé dans l'organisme des personnes qui prennent du ramipril.
[9]Mme Elizabeth Smith, travaillant depuis 30 ans pour le Schering-Plough Research Institute et ses prédécesseurs, est l'un des co-inventeurs de l'invention décrite dans le brevet 206. Comme elle l'a déclaré dans son affidavit, [traduction] «Le brevet découle de travaux [. . .] au cours desquels il a été reconnu qu'un certain nombre de composés différents possédant une structure apparentée étaient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs». Comme elle le mentionne, la revendication 1 du brevet 206 vise, outre le ramipril, un certain nombre de composés qui ont été commercialisés, dont le spirapril et le trandolapril. Un rapport en date du 20 juin 1980 ainsi que des notes de laboratoire en date du 1er août 1980, indiquant que des travaux portant sur cette invention étaient effectués à cette époque, ont été joints à son affidavit. Certains composés ont fait l'objet d'essais en février 1981. Tout cela a mené au dépôt au Canada d'une demande de brevet le 20 octobre 1981.
[10]À partir du dépôt de la demande jusqu'à la délivrance du brevet 206 le 20 mars 2001, des obstacles majeurs se sont dressés dans le processus menant à l'obtention du brevet visant cette invention. M. Edward H. Mazer, un avocat spécialiste des brevets qui travaillait depuis 17 ans pour Schering-Plough Corporation avant le dépôt de la présente demande, a inclus, dans son affidavit, une chronologie des événements qui ont abouti, après environ 20 ans, à la délivrance du brevet 206. Les principales étapes dans cette série d'événements sont les suivantes:
[traduction] DATE 20 octobre 1981 1er mars 1984 16 mai 1984 Entre 1985 et 1990 2 mai 1990 2 et 3 août 1990 27 décembre 1990 24 avril 1991 21 janvier 1992 22 janvier 1993 5 mai 1993 8 août 1996 10 janvier 1997 Décembre 2000 20 mars 2001 |
ÉVÉNEMENT Dépôt de la demande Première mesure prise Réponse à la première mesure prise Schering a déposé cinq demandes concernant l'état de l'affaire Deuxième mesure prise Schering a déposé sa réponse (2 août) et une réponse additionnelle (3 août) Troisième mesure prise Réponse à la troisième mesure prise Schering a présenté une sixième demande concernant l'état de l'affaire Le commissaire a indiqué qu'il y avait quatre autres demandes concurrentes (dont une présentée par Hoechst, le propriétaire du brevet 087 maintenant expiré) Le commissaire a redonné un avis de demandes concurrentes Le commissaire a déclaré que Schering a été la première à inventer les revendications concurrentes auxquelles elle était partie Les parties ayant présenté des revendications concurrentes avec Schering ont déposé un appel Un règlement est intervenu peu de temps avant l'audience devant la Cour fédérale Délivrance du brevet 206 |
|
[11]Alors que dans le cadre de l'instance en conflit de priorité 13 revendications distinctes entraient en conflit avec la demande de brevet de Schering, ni le brevet 087 ni le brevet 457 ne faisaient partie de ces revendications concurrentes.
[12]Comme nous le verrons plus loin, Pharmascience affirme que ce brevet est invalide pour cause de double brevet.
Brevet canadien no 1187087 (brevet 087)
[13]Le brevet 087 a été délivré le 14 mai 1985 à Hoechst AG, prédécesseur d'Aventis, à la suite d'une demande déposée le 4 novembre 1982. Ce brevet est intitulé «Dérivés d'acide cis, endo-2-azabicyclo-{3.3.0}- octane-3-carboxylique, préparation, agents renfermant ces composés, et leur utilisation». Le brevet 087 a expiré le 4 novembre 2002.
· La revendication 1 du brevet 087 vise un procédé permettant de préparer un composé correspondant à la formule I et les sels de ce composé acceptables du point de vue physiologique.
· La revendication 2 vise un composé correspondant à la formule I et les sels de ce composé acceptables du point de vue physiologique, lorsque ce composé et ces sels sont préparés conformément au procédé décrit dans la revendication 1 ou à un équivalent chimique évident.
· Les revendications 3 et 4 imposent des restrictions au procédé et aux composés revendiqués, y compris le ramipril.
· La revendication 5 vise un procédé permettant uniquement de préparer le composé ramipril.
· La revendication 6 vise le ramipril préparé par un procédé visé par la revendication 5 ou par un procédé équivalent évident.
[14]Les revendications 1 et 2 précisent que les atomes d'hydrogène liés aux deux atomes de carbone au centre du noyau bicyclique sont, l'un par rapport à l'autre, en position «cis», c'est-à-dire du même côté du noyau. Par contre, les revendications du brevet 206 n'imposent aucune restriction sur la stéréospécificité des atomes d'hydrogène; la stéréochimie constituant le moyen par lequel l'orientation spatiale d'atomes ou de groupes d'atome est décrite.
[15]M. Richard Becker, pharmacologiste clinicien depuis 1998 pour Aventis ou pour ses prédécesseurs, est nommé comme inventeur dans le brevet 087 et est l'auteur d'un affidavit dans la présente affaire. Il a confirmé que les travaux de développement réalisés par Hoechst (prédécesseur d'Aventis) sur le ramipril et sur des composés semblables ont été menés indépendamment des travaux effectués par Schering. Lors des essais in vivo, il a constaté que le ramipril était au moins 18 fois plus efficace que le plus efficace des composés de structure analogue ayant été soumis à des essais comparatifs. Comme il l'a lui-même indiqué, le ramipril [traduction] «possédait une activité inhibitrice de l'ECA nettement plus marquée que celle de tous les autres stéréoisomères du ramipril qui avaient été soumis aux essais»; le ramipril était [traduction] «notablement plus efficace». Il a également confirmé que Hoechst n'a pas fabriqué de ramipril avant le 28 avril 1981, soit la date de priorité la plus récente pour le brevet 206.
[16]En résumé, le brevet 087 est un brevet de sélection visant un composé également visé par le brevet 206 qui est un brevet de genre. Ce brevet, qui est expiré, visait un médicament destiné à être utilisé dans le traitement de l'hypertension.
[17]Hoechst et Schering ont conclu un contrat de licence qui est entré en vigueur le 15 décembre 1986 et en vertu duquel Aventis, successeur de Hoechst, détient [traduction] «les droits exclusifs à l'échelle mondiale en matière de fabrication, d'utilisation et/ou de vente» du ramipril. Dans son affidavit, M. Edward Mazer a déclaré que Hoechst a obtenu une licence de Schering à la suite d'un différend entre les deux parties.
[18]Comme ce brevet est expiré, il n'est nullement question en l'espèce de contrefaçon du brevet 087. Toutefois, le brevet 087 est en cause en raison de l'allégation de double brevet. Pharmascience fait valoir qu'en s'opposant à la délivrance d'un avis de conformité à Pharmascience, Aventis cherche à prolonger son monopole sur le ramipril au-delà de la date d'expiration du brevet 087, en soutenant qu'il y a contrefaçon du brevet 457.
Brevet canadien no 1246457 (brevet 457)
[19]Le dernier brevet dont il est question dans la présente demande est le brevet 457, qui est intitulé «Méthode de traitement de l'insuffisance cardiaque». La demande de brevet a été déposée le 10 avril 1985 et le brevet a été délivré à Aventis le 13 décembre 1988. Ce brevet porte sur l'utilisation d'inhibiteurs de l'ECA, y compris le ramipril, dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.
· La revendication 1 vise des compositions pharmaceutiques destinées à être utilisées dans le traitement de l'insuffisance cardiaque, qui contiennent un composé appartenant à la famille des composés inhibiteurs de l'ECA décrits dans la revendication 1, y compris le ramipril.
· La revendication 8 vise spécifiquement une composi-tion contenant du ramipril ou des sels de ramipril acceptables du point de vue pharmaceutique destinés à être utilisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.
[20]L'expression «insuffisance» cardiaque désigne une défaillance cardiaque. L'insuffisance cardiaque est une indication thérapeutique distincte de l'hypertension. Comme l'a souligné M. Becker, [traduction] «On ne s'attendrait pas à ce que le ramipril, qui est utile dans le traitement de l'hypertension, le soit également dans le traitement d'une défaillance cardiaque». Il a de plus ajouté qu'[traduction] «[u]ne personne versée dans le domaine qui a lu les brevets 206 ou 087 n'aurait pas été amenée à conclure que les composés du brevet 457 seraient utiles dans le traitement d'une défaillance cardiaque».
[21]Comme nous le verrons plus loin, Pharmascience prétend que la vente de son ramipril générique ne contrefera pas le brevet parce que ce produit ne sera commercialisé que pour le traitement de l'hypertension et non pour celui de l'insuffisance cardiaque.
LES LOIS SUR LES BREVETS PERTINENTES
[22]Comme la question cruciale en l'espèce concerne la priorité des brevets, il est important de bien comprendre le cadre législatif qui était applicable aux dates auxquelles les brevets pertinents ont été délivrés.
[23]La demande pour le brevet 206 a été déposée avant le 1er octobre 1989. C'est pourquoi le brevet est de façon générale régi par la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] (la Loi) dans sa version antérieure aux modifications apportées le 1er octobre 1989. L'alinéa 27(1)a) de la Loi prévoyait:
27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le «dépôt de la demande», et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas:
a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;
[24]Lorsque des demandes pendantes contiennent une ou plusieurs revendications définissant essentiellement la même invention ou lorsque l'une ou plusieurs des revendications d'une demande décrivent une invention dévoilée dans une autre demande, l'article 43 de la Loi prévoyait la procédure applicable en cas de conflit pour déterminer lequel des demandeurs était l'inventeur préalable aux revendications duquel le commissaire ferait droit. En vertu du régime établi par la Loi, aucun brevet ne pouvait être délivré tant que le conflit n'était pas réglé. Le brevet 206, auquel s'applique ce régime, a été déposé le 20 octobre 1981 mais n'a pas été délivré avant le 20 mars 2001, soit environ 20 ans plus tard lorsque l'instance en conflit de priorité a pris fin. Dans des circonstances comme celles dont il est question en l'espèce, il n'existe aucune disposition prévoyant l'enregistrement rétroactif du brevet ou l'abrégement de sa durée. Par conséquent, le brevet a été délivré et est devenu en vigueur le 20 mars 2001 pour une période de 17 ans à compter de cette date.
[25]Il est intéressant de souligner que si la demande concernant le brevet de Schering avait été présentée après les modifications apportées à la Loi le 1er octobre 1989, la situation aurait été très différente. En vertu de l'actuel régime législatif, les conflits de priorité sont réglés en fonction de la date du dépôt. Ainsi, si le régime actuel s'était appliqué lorsque Schering a déposé sa demande, le brevet 206 aurait été délivré le 21 octobre 1981 et la protection conférée par ce brevet serait maintenant échue.
[26]C'est dans ce contexte que je vais maintenant analyser les questions en litige dans la présente affaire.
QUESTION no 1: SUFFISANCE DE L'AVIS D'ALLÉGATION
[27]Aventis prétend que l'avis d'allégation de Pharmascience est insuffisant et qu'il ne constitue pas un avis d'allégation et un énoncé détaillé au sens du Règlement. Elle appuie sa prétention sur trois arguments:
· Pharmascience s'est contentée d'affirmer qu'elle ne demande pas l'approbation en vue du traitement de l'insuffisance cardiaque (ce qui constituerait une contrefaçon du brevet 457) et a omis d'indiquer dans son avis d'allégation comment elle donnerait suite à cette affirmation.
· Pharmascience n'a pas fourni un énoncé détaillé du droit et des faits qui démontre que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet.
· Le ramiprilate, qui est visé par la revendication 13 du brevet 206, est un métabolite actif qui est obtenu lorsque le ramipril est administré à des patients. Pharmascience n'a pas énoncé dans son avis d'allégation des faits qui justifieraient son allégation que la revendication 13 n'est pas contrefaite.
[28]Je vais examiner ces arguments l'un après l'autre.
Remarques générales
[29]Le paragraphe 5(1) du Règlement établit le fondement juridique de l'avis d'allégation:
5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue:
a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;
b) soit une allégation portant que, selon le cas:
(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,
(ii) le brevet est expiré,
(iii) le brevet n'est pas valide,
(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.
[30]Quel est le rôle de l'avis d'allégation? Selon le juge Stone, J.C.A., dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), aux paragraphes 16 et 17, l'avis d'allégation est produit afin de permettre au breveté de décider s'il y a lieu de présenter une demande en vertu du Règlement pour empêcher la délivrance d'un avis de conformité. Par conséquent, l'avis d'allégation doit être suffisamment détaillé pour que le breveté soit pleinement informé des motifs pour lesquels la seconde personne (en l'espèce, Pharmascience) prétend qu'il n'y aura pas lieu à contrefaçon.
[31]La seconde personne, par exemple, ne peut pas passer sous silence les revendications qui décrivent l'invention fondamentale; chacune des revendications pertinentes doit être mentionnée soit dans l'avis d'allégation lui-même soit dans l'énoncé détaillé qui l'accompagne (AB Hassle c. Genpharm Inc. (2003), 243 F.T.R. 6 (C.F.), au paragraphe 189).
[32]Comme je l'ai dit dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 31 C.P.R. (4th) 214 (C.F.), au paragraphe 32 [2003 CF 1428]:
Pour évaluer le caractère suffisant de l'avis d'allégation, on peut se servir des indications suivantes tirées de nombreux arrêts de la Cour d'appel fédérale, dont Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R (4th) 73, p. 81 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001) 11 C.P.R. (4th) 417 (C.A.F.):
Une simple affirmation de non-contrefaçon ne suffit pas.
Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu'une ordonnance de confidentialité n'est pas prononcée.
L'avis d'allégation sera suffisant si d'autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l'allégation de non-contrefaçon constituait une preuve suffisante pour permettre à la Cour d'évaluer l'allégation.
Omission d'indiquer en quoi la commercialisation ne viserait pas le traitement de l'insuffisance cardiaque
[33]Comme nous l'avons indiqué précédemment, Pharmascience a dit dans son avis d'allégation que le ramipril «ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu par Pharmascience pour le traitement de l'insuffisance cardiaque et ne constituera pas une composition servant au traitement de l'insuffisance cardiaque, tel qu'il est allégué dans les revendications du brevet 457». Ni l'avis d'allégation ni l'énoncé détaillé joint à l'avis ne comporte d'autres mentions se rapportant à cette allégation. Aventis soutient que Pharmascience était tenue d'indiquer comment elle limiterait sa commercialisation du ramipril au traitement de l'hypertension.
[34]Le médicament que Pharmascience a l'intention de produire se présentera sous la même apparence que l'«Altace» visé par le brevet 087 qui est expiré et par le brevet 457 qui est toujours en vigueur, et il sera bioéquivalent à ce produit. On ne saurait nier que le produit de Pharmascience aura un effet thérapeutique équivalent à celui de l'«Altace», qu'il soit utilisé pour le traitement de l'insuffisance cardiaque (le brevet 457) ou de l'hypertension (le brevet 087).
[35]Ce n'est que lorsqu'on lui a soumis les affidavits de Mme Jeannette Echenberg, directrice des affaires réglementaires pour Pharmascience, et de M. Ronald Nefsky, pharmacien détenteur d'un permis de l'Ontario, qu'Aventis a pu déterminer quelles mesures Pharmascience avait l'intention de prendre pour limiter sa commercialisation du ramipril. Pharmascience a demandé à M. Nefsky:
[traduction] [. . .] d'expliquer ce que je ferais et, d'un point de vue professionnel, ce qui devrait se produire si un pharmacien de l'Ontario se voyait remettre une ordonnance pour du ramipril ne précisant pas la maladie traitée dans un cas où Pharmascience a obtenu un avis de conformité visant l'utilisation du ramipril pour le traitement de l'hypertension seulement et, par conséquent, a demandé et obtenu une inscription au Formulaire/Index comparatif des médicaments du Programme de médicaments de l'Ontario (le formulaire ou l'index) qui prévoit que l'interchangeabilité se limite à l'hypertension.
[36]En somme, on a demandé à M. Nefsky de donner son avis en prenant pour hypothèse que l'inscription au formulaire de l'Ontario prévoyait une interchangeabilité limitée, un fait qui n'a pas été divulgué dans l'avis d'allégation. Mme Echenberg a indiqué comment Pharmascience présenterait une demande d'inscription limitée. Il semble donc que Pharmascience ne peut éviter la contrefaçon du brevet 457 qu'en prenant des mesures concrètes pour limiter la commercialisation. Ces mesures auraient dû être divulguées dans l'avis d'allégation.
[37]J'estime que l'allégation de Pharmascience à cet égard est assimilable à une «simple affirmation de non- contrefaçon». La preuve ultérieure concernant l'inscription limitée allait beaucoup plus loin qu'une preuve fournie pour «expliquer les raisons pour lesquelles l'allégation de non-contrefaçon constituait une preuve suffisante». Il en est ainsi parce que, sans les affidavits et les renseignements fournis postérieurement, rien dans l'avis d'allégation ne permettait à Aventis de comprendre pourquoi une pilule qui ressemble à son médicament breveté servant au traitement de l'insuffisance cardiaque et qui a les mêmes effets ne serait pas utilisée à cette fin.
Omission de fournir un énoncé du droit et des faits qui démontre que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet
[38]En ce qui concerne le brevet 206 et la question du double brevet, Pharmascience affirme, dans son avis d'allégation, que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12, qui visent le ramipril sont invalides [traduction] «parce qu'elles ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications [des brevets 087 et 457]». Aventis prétend que l'avis d'allégation est insuffisant à cet égard, même lorsque l'on tient compte de l'énoncé détaillé. Je ne suis pas d'accord avec cette prétention.
[39]Dans l'énoncé détaillé qui est joint à l'avis d'allégation, Pharmascience décrit assez longuement les raisons pour lesquelles elle allègue l'invalidité. Elle expose son interprétation des faits liés à la délivrance des brevets pertinents ainsi que son appréciation des règles de droit applicables en cas de double brevet. À partir de ces informations, Aventis a été en mesure de rassembler une preuve par affidavits ainsi que des arguments juridiques lui permettant de répondre à cette question éminemment juridique. Je ne peux pas conclure qu'Aventis ne connaissait pas à fond les motifs invoqués par Pharmascience pour étayer son allégation d'invalidité.
Omission d'examiner la revendication 13
[40]L'avis d'allégation doit viser toutes les revendications du brevet dans lesquelles est décrit l'essentiel de l'invention. En l'espèce, il est évident que Pharmascience devait viser chacune des revendications des trois brevets qui concernent le ramipril. Elle l'a fait. Aventis soutient que Pharmascience aurait dû également tenir compte de la revendication 13 du brevet 206.
[41]Nul ne conteste le fait que le ramipril, après administration à des malades, est métabolisé en ramiprilate. Comme l'indique la monographie de produit de Pharmascience, le ramipril est rapidement hydrolysé en ramiprilate après absorption par voie buccale. Le ramiprilate est visé par la revendication 13 du brevet 206. Dans son avis d'allégation, Pharmascience déclare qu'il n'y aura pas contrefaçon de la revendication 13. Aventis soutient, qu'étant donné la transformation que subit le ramipril après avoir été administré, l'absence de contrefaçon de la revendication 13, alléguée par Pharmascience, n'est pas fondée.
[42]Pour statuer que l'allégation n'est pas fondée en ce qui concerne la revendication 13, j'aurais dû conclure que Pharmascience était tenue non seulement de viser le composé de ramipril mais aussi tout métabolite du ramipril. La simple lecture du Règlement ne permet pas de tirer une telle conclusion. Suivant le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, la seconde personne n'a qu'à examiner les questions de contrefaçon des revendications pour le médicament. En l'espèce, le médicament en cause est le ramipril et non le ramiprilate. C'est pourquoi j'estime que ce qui arrive au ramipril après ingestion n'est pas pertinent pour déterminer la suffisance de l'avis d'allégation.
Conclusion
[43]Comme l'avis d'allégation de Pharmascience n'expose pas des faits permettant de justifier l'allégation selon laquelle la commercialisation de son produit ne contrefera pas le brevet 457, je conclus que ledit avis n'est pas un avis d'allégation et un énoncé détaillé au sens du Règlement. À cet égard, la demande d'Aventis devrait être accueillie. Toutefois, dans l'hypothèse où j'aurais tort de tirer une telle conclusion, je vais maintenant analyser l'allégation concernant le double brevet.
QUESTION no 2: DOUBLE BREVET
[44]Comme l'a dit le juge Binnie au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 37, «[l]e monopole conféré par un brevet ne devrait s'acquérir qu'au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes». Ainsi, un monopole ne devrait pas être conféré ni des inventions antérieures être «renouvelées à perpétuité» grâce à des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37 (ci-après Camco)).
[45]Pharmascience soutient qu'il s'agit en l'espèce d'une simple question de renouvellement à perpétuité, qu'Aventis tente, par un moyen détourné, de prolonger son brevet expiré en ce qui concerne le ramipril. La règle interdisant le double brevet empêche de le faire. En effet, en déposant tout simplement la présente demande, Aventis a automatiquement obtenu une prolongation de deux ans de son brevet 087 qui a expiré le 4 novembre 2002. Maintenant que le brevet 087 est expiré, la brevetée ne devrait pas avoir le droit, grâce à un brevet connexe, de prolonger son monopole.
[46]Il s'agit certes là de l'un des aspects de la question. Cependant, une fois examinés tous les brevets pertinents possibles, il se peut que, par suite d'une décision de notre Cour, un brevet expiré semble entraîner le maintien d'un monopole. On ne devrait pas considérer qu'il s'agit d'un renouvellement à perpétuité; on reconnaît simplement que des brevets, autres que le brevet expiré, sont encore en vigueur et que les droits des titulaires de ces brevets doivent être reconnus. Le monopole s'applique, comme il le devrait, au brevet en vigueur jusqu'à son expiration. Telle est la situation pour les brevets de genre et les brevets de sélection qui seront examinés plus loin.
Que nous enseigne l'arrêt Camco au sujet du double brevet?
[47]Les deux parties ont longuement fait état des commentaires du juge Binnie dans l'arrêt Camco. Dans cet arrêt, le juge Binnie a analysé les règles de droit applicables au double brevet. À partir du paragraphe 63, il a dit que l'interdiction du double brevet est rattachée au problème du «renouvellement à perpétuité»; il a ajouté:
L'inventeur n'a droit qu'à «un» brevet pour chaque invention: Loi sur les brevets, par. 36(1). Si un brevet comportant des revendications identiques est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole. Il est clair que l'interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations, car ce sont les revendications qui définissent le monopole. La question est de savoir à quel point les revendications du brevet ultérieur doivent être «identiques» pour justifier l'invalidation.
[48]Le juge Binnie a expliqué les deux catégories de double brevet. La première catégorie, où il y a «identité» des revendications, a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beecham Canada Ltd. et al. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, à la page 22. Le juge a dit qu'il s'agissait du double brevet relatif à la «même invention».
[49]Comme dans l'arrêt Camco, on ne peut pas dire qu'il y a «identité» entre les revendications du brevet 206 et celles des brevets 087 ou 457. Le brevet 206 est un brevet de genre qui vise un très grand nombre de composés tandis que le brevet 087 visant le ramipril était un brevet de sélection ne visant qu'une partie ou une sélection des produits chimiques revendiqués dans le brevet de genre. Le brevet 457 est un brevet d'utilisation, revendiquant expressément le ramipril dans le traitement de l'insuffisance cardiaque. La question dont j'ai été saisie ne concerne pas un double brevet relatif à la «même invention».
[50]La deuxième catégorie de double brevet examinée par le juge Binnie est celle du double brevet relatif à une «évidence». Au sujet de cette catégorie de double brevet, le juge Binnie a dit ce qui suit aux paragraphes 66 et 67:
L'interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une «évidence». Il s'agit d'un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d'un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un «élément brevetable distinct» de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d'un autre médicament qu'elle avait déjà fait breveter. Il n'y avait pas d'identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l'invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53:
[traduction] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l'espèce, l'addition d'un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d'augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l'administration, n'est rien d'autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.] |
Dans l'arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l'arrêt Farbwerke Hoechst d'«arrêt qui fait autorité en matière de double brevet» (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve «de nouveauté ou d'ingéniosité» par rapport au premier brevet:
Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d'ingéniosité et qu'en conséquence le second brevet n'était pas justifié. |
[51]C'est de cette deuxième catégorie de double brevet dont il est question en l'espèce.
Le concept du double brevet relatif à une évidence peut-il s'appliquer lorsque les inventeurs ou les brevetés sont différents?
[52]Aventis et Schering prétendent qu'il ne peut y avoir double brevet relatif à une évidence lorsque les inventeurs sont différents. Aventis soutient que les mots du juge Binnie au paragraphe 63 de l'arrêt Camco, où il dit que «[l]'inventeur n'a droit qu'à "un" brevet pour chaque invention», indiquent clairement que le concept du double brevet ne peut s'appliquer que lorsque l'on est en présence du même inventeur. En l'espèce, Mme Smith et son équipe sont les inventeurs désignés du brevet 206 et M. Becker et son groupe sont les inventeurs du brevet 087. Aventis souligne en outre que les brevetés sont différents.
[53]Il n'y a aucune décision dans la jurisprudence canadienne qui traite directement de cette question et qui pourrait m'aider à déterminer si le concept du double brevet peut s'appliquer lorsque les inventeurs ou les brevetés sont différents. Le juge Binnie parle de souplesse dans le cas du double brevet relatif à une évidence, mais dans l'affaire dont il avait été saisi, la défenderesse, Whirlpool, était titulaire des deux brevets en cause. C'est-à-dire que Camco alléguait que les revendications de l'un des brevets de Whirlpool (le brevet 734) n'étaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications d'un autre brevet de Whirlpool (le brevet 803). Même si les inventeurs étaient différents, ils étaient tous des chercheurs de Whirlpool. Par contre, dans l'affaire dont j'ai été saisie, les parties qui ont demandé les premiers brevets n'étaient manifestement pas les mêmes et les inventeurs ont travaillé séparément pour mettre au point leurs inventions.
[54]Enfin, en ce qui concerne l'arrêt Camco, je signale que l'argument du double brevet invoqué par Camco a été rejeté parce que celle-ci n'avait pas fourni un fondement factuel suffisant pour invalider les revendications du brevet 734. En d'autres mots, Camco n'avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités et comme il le lui incombait, que le brevet était invalide.
[55]En conclusion, je ne pense pas que l'arrêt Camco devrait être considéré comme déterminant pour les positions qu'ont fait valoir les parties devant moi. Eu égard aux faits de cette affaire, la question ne s'est pas posée de façon suffisamment claire pour constituer un précédent faisant autorité.
[56]Qu'en est-il donc en l'espèce?
[57]À mon avis, il est inutile de mettre l'accent sur les inventeurs ou les brevetés. Selon la jurisprudence, ce sont les principes de base et les revendications qui importent. Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, un brevet est un «marché». Dans l'arrêt Camco, le juge Binnie a dit au paragraphe 37:
[. . .] le marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet).
[58]Si on reprend le terme «marché», chaque partie, le breveté et le public, doit recevoir quelque chose. Si l'invention n'est pas nouvelle, le breveté jouira d'une période de protection pour laquelle il n'a pas à fournir «de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes» (Wellcome Foundation, au paragraphe 37); il aura obtenu «quelque chose sans rien fournir en retour» (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 13). Dans un tel cas, le public ne reçoit aucune contrepartie dans le marché conclu. Cela serait vrai, que les inventeurs ou les brevetés soient les mêmes ou non. Si les revendications des deux brevets ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, cela aurait pour effet de prolonger le brevet original comme l'a indiqué la Cour suprême dans Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49. Dans cet arrêt, la Cour suprême a refusé de reconnaître un nouveau brevet concernant une substance qui était en réalité la simple dilution d'un médicament visé par un brevet déjà en vigueur.
[59]Je ne limiterais donc pas l'application du concept du double brevet relatif à une évidence aux mêmes brevetés ou inventeurs. Dans l'examen de chaque cas, l'accent doit être mis sur les revendications qui constituent l'invention et non sur les personnes ou parties qui les font valoir. Une allégation d'invalidité pourrait avoir un certain fondement si les revendications d'un brevet ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles d'un autre brevet.
[60]Il est vrai que, dans la jurisprudence canadienne traitant du concept du «renouvellement à perpétuité», les tribunaux ont employé le terme «monopole» pour décrire la situation que ce principe cherche à éviter. Il est également vrai que les tribunaux canadiens n'ont jamais considéré ou conclu que ce concept s'applique aux cas où les brevetés sont différents. Je ne crois toutefois pas devoir inévitablement considérer, comme l'ont soutenu Aventis et Schering, qu'une telle conclusion n'est possible que dans un cas où les brevetés ou les inventeurs sont les mêmes. Grâce à la diligence du commissaire aux brevets et à cause des dispositions de la Loi sur les brevets qui interdisent la délivrance de brevets lorsque des revendications ne sont pas distinctes sur le plan de la brevetabilité, il y a rarement double brevet. Dans les cas où cela se produit--comme en l'espèce--je ne vois aucune raison de rejeter l'allégation d'invalidité pour le simple motif que la jurisprudence n'a pas tranché cette question.
[61]Il faut donc déterminer si les revendications de l'un des brevets en cause sont distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications de l'autre brevet. Pour répondre à cette question, il faut examiner les liens qui existent entre les revendications concernant le ramipril dans les deux brevets.
Quels sont les liens entre le brevet 206 et le brevet 087?
[62]À mon avis, les liens qui existent entre le brevet 206 et le brevet 087 ressemblent beaucoup à ceux qui ont été décrits dans l'affaire Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.). Apotex alléguait dans cette affaire que le brevet de Pfizer concernant le fluconazole, un antifongique servant au traitement des infections graves systémiques et superficielles, était évident compte tenu du brevet d'ICI. Les revendications du brevet d'ICI visaient généralement une large catégorie de composés décrits comme étant des triazoles et des imidazoles fongicides. Le brevet 263 d'ICI a été délivré le 3 juillet 1984, longtemps après que Pfizer eut déposé son brevet le 4 juin 1982. Il n'était pas contesté que la portée générique large des revendications du brevet d'ICI englobait le fluconazole. Le juge Richard (tel était alors son titre) a examiné les liens existant entre les deux brevets [aux paragraphes 34 et 53]:
Le brevet d'ICI est un brevet d'origine tandis que celui de Pfizer est un brevet de sélection. Le premier revendique le genre; le deuxième l'espèce. Le brevet nº 263 d'ICI vise généralement les triazoles et les imidazoles fongicides. Le fluconazole n'y est pas expressément décrit, non plus que son efficacité supérieure et antérieurement inconnue n'est décrite ou connue. Le brevet d'ICI n'incluait pas le composé appelé fluconazole. ICI n'était pas le premier inventeur de ce composé et elle ne l'a jamais fabriqué.
[. . .]
Je conclus que le fluconazole, objet du brevet de Pfizer, possède des propriétés inattendues et valables que ne possèdent pas les composés les plus proches par leurs structures divulgués dans le brevet d'ICI [. . .]
[63]En conséquence, le juge Richard a conclu que l'allégation d'invalidité pour cause d'évidence devait être rejetée.
[64]Comme je l'ai dit, l'affaire dont j'ai été saisie est semblable pour les motifs suivants:
· le brevet 206 comporte des revendications visant une large catégorie de composés dont certains comprennent du ramipril (élément semblable au brevet d'origine d'ICI);
· le brevet 087 comprend des revendications ne visant que le ramipril (élément semblable au brevet de sélection Pfizer);
· les inventeurs des brevets 087 et 206 sont différents;
· le ramipril est considérablement plus efficace pour inhiber l'ECA que les autres stéréoisomères du brevet 206.
Chacune des revendications du brevet 087 visant le ramipril et du brevet de Pfizer examinées par le juge Richard vise une invention qui ajoute [traduction] «quelque chose de substantiel à des connaissances existantes» (In re I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.), à la page 322). Ainsi, comme c'était le cas devant le juge Richard, j'ai été saisie d'un brevet de genre (le brevet 206) et d'un brevet de sélection (le brevet 087).
[65]M'appuyant sur le dossier dont j'ai été saisie, je suis convaincue que la date de l'invention du brevet 206 était antérieure à la date de l'invention visée par les brevets 457 ou 087. Les dates de priorité sont les suivantes:
· brevet 206--23 octobre 1980
· brevet 087--5 novembre 1981
· brevet 457--12 avril 1984
[66]Les faits dont il est question en l'espèce ne sont pas sensiblement différents de ceux qu'a examinés le juge Richard. Par conséquent, à première vue, l'allégation relative à l'évidence est rejetée.
[67]En l'espèce, il y a deux différences que je dois examiner avant de tirer une conclusion définitive. La première est l'existence d'un contrat de licence intervenu entre les brevetés; la deuxième concerne les dates relatives des inventions par rapport aux dates de délivrance des brevets.
Quel est l'effet du contrat de licence?
[68]Pharmascience affirme que Schering a «joui» des avantages résultant de son brevet grâce aux redevances qu'elle a touchées depuis 1986, la date de prise d'effet du contrat de licence conclu avec Hoescht. Elle soutient essentiellement que Schering, ayant tiré avantage du fait qu'elle prétendait avoir un brevet, ne devrait pas pouvoir en profiter plus longtemps.
[69]Le problème que pose cet argument est que les droits conférés par un contrat de licence sont limités et qu'on ne peut nullement les comparer à l'étendue de la protection offerte par un brevet et par les dispositions législatives applicables aux brevets. Les droits acquis par Schering en vertu de ce contrat n'étaient opposables qu'à l'autre partie à l'accord--en l'occurrence Hoechst ou son ayant droit, Aventis.
[70]Je souligne en outre que rien ne garantissait, en 1986, que le brevet serait jamais accordé. Les procédures en cas de conflit n'étaient encore qu'une éventualité et auraient pu entraîner un résultat différent. Le risque que le brevet 206 ne soit jamais délivré était encore important pour Schering à l'époque.
[71]Bien que l'on m'ait soumis des éléments de preuve indiquant que le contrat de licence est daté de 1986, je ne sais pas grand chose d'autre à ce sujet. J'ignore quand il a été conclu et quelle en était la contrepartie. J'ignore également s'il existe d'autres ententes accessoires concernant la possibilité que le brevet ne soit jamais délivré.
[72]En résumé, j'accorde peu de poids au contrat de licence en tant que preuve que Schering avait tiré profit du brevet depuis 1986. Les avantages qu'elle a pu en tirer se limitaient à une seule partie et n'ont pas éliminé la possibilité que le brevet pourrait ne jamais être accordé.
[73]Toutefois, même si à cause du contrat de licence on devait considérer que Schering et Aventis sont les mêmes brevetées, j'accorderais peu de poids à cette conclusion. Comme je l'ai déjà souligné, l'accent doit être mis sur les inventions à l'origine des revendications. Aucune disposition de la Loi n'empêche les mêmes brevetés de mettre au point de nouvelles inventions qui peuvent ensuite être brevetées.
Quelle est la date à laquelle il convient d'apprécier l'argument fondé sur le double brevet relatif à une évidence?
[74]L'analyse de l'argument avancé par Pharma-science commence avec les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206. Nul ne conteste que ces revendica-tions visent le ramipril. Tant le professeur Ronald H. Kluger, qui a souscrit un affidavit pour Pharmascience, que M. David J. Triggle, qui a souscrit un affidavit pour Aventis, en sont arrivés à cette conclusion.
Témoignages de MM. Kluger et Triggle
[75]M. Kluger est titulaire d'un doctorat en chimie organique et d'une bourse de recherche postdoctorale en biochimie. Il occupe à l'heure actuelle le poste de directeur adjoint des études supérieures en chimie à l'Université de Toronto. Pharmascience lui a demandé de déterminer si le composé chimique appelé ramipril était inclus dans les brevets 206, 087 et 457, et de préciser quelles revendications visaient le ramipril. On peut résumer ses conclusions de la manière suivante:
· Les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visent le ramipril et, comme elles ne se limitent pas aux produits obtenus par un procédé particulier, elles visent le ramipril obtenu par n'importe quel procédé.
· En ce qui concerne le brevet 087, le ramipril est visé par les revendications 1, 2, 3, 4, 5 et 6.
· Pour ce qui est du brevet 457, les revendications 1 (sous réserve de la correction d'une erreur manifeste), 2, 3 et 8 visent le ramipril.
· Dès mars 2001, date de la délivrance du brevet 206, il aurait été évident pour tout chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visaient manifestement les composés revendiqués dans les revendications 2, 4 et 6 du brevet 087.
· Dès mars 2001, il aurait été évident pour un chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visaient manifestement la composition contenant du ramipril revendiquée dans les revendications 1 (si elle était corrigée comme il l'avait proposé), 2, 3 et 8 du brevet 457.
[76]M. Kluger n'a pas été contre-interrogé sur son affidavit.
[77]M. Triggle est titulaire d'un doctorat en chimie et est professeur à la School of Pharmacy and Pharmaceutical Sciences de la State University of New York à Buffalo. Aventis lui a demandé d'examiner l'avis d'allégation de Pharmascience ainsi que les brevets 206 et 087. Les points saillants de son affidavit sont les suivants:
· Alors que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 revendi-quent une formule générale qui, après certaines substitutions, comprendraient du ramipril, il n'est nulle part question du composé ramipril dans la divulgation ou les revendications du brevet 206.
· Le brevet 206 n'indique pas à une personne versée dans le domaine que les composés revendiqués seraient utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.
· Le brevet 087 n'indique pas à une personne versée dans le domaine que les composés revendiqués sont utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.
· Dans le cas du ramipril, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir, au début des années 1980, que les stéréoisomères du ramipril présenteraient une activité biologique accrue, y compris ceux décrits dans le brevet 206; de plus, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir l'importance de cette activité accrue. En conséquence, même si le stéréoisomère du ramipril est visé par les revendications du brevet 206, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir que ce stéréoisomère aurait présenté une activité considérablement accrue, et cette activité accrue n'aurait pas été évidente.
[78]M. Triggle n'a pas été contre-interrogé sur son affidavit.
[79]Il semble à première vue y avoir une contradiction entre les conclusions de M. Triggle et celles de M. Kluger. Ce dernier affirme qu'il aurait été évident pour un chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visent manifestement les composés revendiqués dans les revendications 2, 4 et 6 du brevet 087. Pour sa part, M. Triggle affirme que, bien que le stéréo-isomère de ramipril soit visé par les revendications du brevet 206, une personne versée dans le domaine n'aurait pas pu prévoir, et il n'aurait pas été évident pour elle, que le ramipril aurait présenté une activité considérablement accrue concernant ses stéréo-isomères (le brevet 087) ou que les composés revendiqués seraient utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque (le brevet 457).
[80]Il est facile d'expliquer cette contradiction apparente. M. Kluger a évalué l'évidence en mars 2001, date de la délivrance du brevet 206. En 2001, les revendications contenues dans les brevets 457 et 087 étaient connues et reconnues depuis plus de 15 ans. M. Kluger a dit qu'un chimiste ayant à sa disposition du ramipril et les renseignements contenus dans les deux brevets particuliers visant le ramipril pourrait facilement en arriver aux revendications du brevet 206 qui visent le ramipril. Sa conclusion n'est pas illogique puisque la preuve démontre que les revendications du brevet 087 et du brevet 457 coïncident avec celles du brevet 206. On n'a pas demandé à M. Kluger si, à son avis, les revendications du brevet 206 auraient été évidentes pour un chimiste en 1981 lorsque la demande de brevet 206 a été présentée et lorsque, comme l'indique la preuve, l'invention indiquée dans les revendications de genre a été faite. Nous ignorons quel aurait été son avis quant à l'évidence s'il était parti de cette hypothèse. Il aurait très bien pu être d'accord avec M. Triggle.
[81]On a demandé à M. Triggle d'utiliser 1981 comme date de référence. Nous ignorons quel aurait été son avis quant à l'évidence s'il avait présumé que la date pertinente était 2001. Il aurait très bien pu être d'accord avec M. Kluger.
[82]Quelle date doit-on utiliser? Pharmascience allègue que les revendications du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet en s'appuyant sur une appréciation de l'évidence faite à partir de la date de délivrance du brevet, soit mars 2001. Au cours des plaidoiries, Pharmascience a reconnu l'importance pour sa thèse d'utiliser l'année 2001. Si je conclus que la date de référence correcte est 1981 et non 2001, son argument fondé sur le double brevet s'écroule.
[83]Permettez-moi d'exposer le point de vue de Pharmascience quant à la chronologie des événements et quant à l'applicabilité de l'argument fondé sur le double brevet.
· Premièrement, nous avons le brevet 087 qui a été délivré le 15 mai 1985.
· Deuxièmement, nous avons le brevet 457 qui a été délivré le 15 août 1985.
· Enfin, nous avons le brevet 206 qui a été délivré en mars 2001 et dont les revendications visant les composés qui comprenaient le ramipril étaient, en 2001 (selon M. Kluger), évidentes.
[84]Ainsi, de l'avis de Pharmascience, nous nous trouvons dans une situation où Schering fait face à un dilemme en ce qui a trait au double brevet relatif à une évidence. Selon Pharmascience, il en résulte que Schering, grâce à ce renouvellement à perpétuité, empêche des compagnies génériques de profiter du brevet 087 qui est expiré afin de commercialiser le ramipril pour le traitement de l'hypertension. Cette situation, selon Pharmascience, est exactement ce que le juge Binnie avait en tête lorsqu'il a fait ses commentaires dans l'arrêt Camco.
Date de l'invention par opposition à date du brevet
[85]À mon avis, c'est la date de l'invention et non celle du brevet qui devrait servir en l'espèce à déterminer l'évidence. Ce choix s'explique par le fait que le brevet 206 a été délivré sous l'ancien régime applicable aux brevets avant 1982. Lorsque la question de l'évidence est soulevée, la Cour doit examiner les revendications. Les revendications découlent d'une invention et non de la délivrance du brevet. Le brevet confirme les revendications et confère certains droits au breveté, mais il s'agit d'un mécanisme prévu par la loi et non d'un mécanisme qui crée l'invention. Il semble donc logique d'analyser la situation en se servant des dates relatives de l'invention.
[86]De la manière dont la Loi sur les brevets s'applique à l'heure actuelle, le problème dont j'ai été saisie ne se poserait pas. Toutefois, ce n'est pas ce régime qui s'applique aux brevets en cause et je dois examiner s'il existe des arguments qui justifieraient la modification du déroulement logique des événements.
[87]Le plus important de ces arguments est que la protection conférée à Schering par le brevet 206 s'étend bien au-delà des 17 ans suivant la date de l'invention. Il semble qu'utiliser la date de l'invention pour apprécier la question du double brevet relatif à une évidence entraîne une injustice. Comme je l'ai souligné précédemment, s'il avait été délivré à la date de l'invention ou vers cette date, le brevet 206 serait depuis longtemps expiré et Pharmascience n'aurait pas à alléguer la non-contrefaçon du brevet 206.
[88]Bien que je reconnaisse cette injustice apparente, je dois également examiner quelle serait la situation de Schering si je décidais que la date de référence à utiliser est 2001. Dans un tel cas, Schering n'aurait pas eu l'avantage d'un brevet au cours de la période de 1981 à 2001 et elle serait également privée de sa contrepartie du «marché» en 2001. Il en résulterait que la brevetée ne recevrait rien pour son invention en ce qui concerne les revendications qui visent le ramipril. Cela serait injuste, notamment parce que le délai dans la délivrance du brevet ne peut pas être attribué à Schering. Malheureusement pour elle, Schering était soumise à l'application des anciennes règles régissant la procédure en cas de conflit.
In re Braat
[89]Les tribunaux canadiens n'ont pas examiné la situation qui m'a été soumise, savoir un cas où les parties ne s'entendent pas sur les dates devant servir à déterminer s'il y a évidence. Aventis m'a toutefois invitée à me reporter à une décision rendue aux États-Unis, In re Braat, 937 F.2d 589 (Fed. Cir. 1991). Contrairement à ce qu'affirme Pharmascience, il peut être utile de consulter la jurisprudence d'un autre pays de common law, même si je ne suis pas liée par celle-ci.
[90]Dans l'arrêt Braat, la Cour d'appel a entendu l'appel interjeté d'une décision du Patent and Trademark Office des États-Unis (le PTO). Le conseil du PTO avait rejeté les revendications du brevet de Braat pour cause de double brevet relatif à une évidence. Les deux revendications de brevet en cause étaient le brevet Dil qui avait été délivré le 24 juin 1980 après le dépôt d'une demande le 31 janvier 1979, et la demande de Braat, déposée le 17 juillet 1978, qui prétendait avoir priorité sur une demande de brevet déposée aux Pays-Bas le 3 avril 1978.
[91]L'examinateur du PTO et, par la suite, le conseil ont rejeté certaines des revendications de la demande de Braat pour le motif qu'elles n'étaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, d'autres revendications pertinentes du brevet Dil.
[92]Dans l'arrêt Braat, la Cour a annulé la décision du conseil. Elle a statué que le rejet pour cause de double brevet ne pouvait être justifié que si les revendications du brevet Dil n'étaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles de la demande de Braat. La Cour a statué qu'elle devait procéder à une détermination «réciproque». Le conseil devait non seulement examiner si les revendications de Braat étaient évidentes par rapport à celles contenues dans le brevet Dil, mais il devait également déterminer si les revendications contenues dans le brevet Dil étaient évidentes par rapport aux revendications de Braat. Après avoir examiné la preuve dont elle avait été saisie, la Cour a statué que les revendications du brevet Dil étaient distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications de la demande de Braat et elle a rejeté l'allégation de double brevet. En tirant cette conclusion, la Cour a également pris note du fait que ce n'était pas la faute de la partie qui revendiquait les droits de Braat si les revendications du brevet Dil avaient été rendues publiques en premier.
[93]La Cour a également reconnu dans l'arrêt Braat que si elle faisait droit à la demande de Braat, cela entraînerait une prolongation temporelle de la protection par brevet des revendications de Dil. Elle a estimé qu'il s'agissait d'un cas où la prolongation était justifiée.
[94]Le raisonnement suivi par la Cour pour exiger l'analyse de la question de savoir si les revendications du brevet Dil étaient évidentes par rapport aux revendications de Braat est, à mon avis, logique. Dans la demande dont j'ai été saisie, les brevets 087 et 206 sont dans une situation similaire pour les motifs suivants:
a) le brevet 087 a été délivré avant le brevet 206 même si la demande concernant le brevet 206 a été déposée en premier;
b) le délai dans la délivrance du brevet 206 n'était pas attribuable à Schering.
L'application à la présente espèce du raisonnement suivi dans l'arrêt Braat m'oblige à examiner si les revendications du brevet 087 sont évidentes par rapport aux revendications concernant le ramipril dans le brevet 206. M. Kluger n'a pas fait cette analyse. Seul M. Triggle s'est penché sur cette question et il a conclu [traduction] «qu'il n'aurait pas été évident que le ramipril aurait présenté une activité relative considéra-blement accrue à son stéréoisomère». Ni ses compétences ni ses conclusions n'ont été contestées. M'appuyant sur son témoignage, je conclus que les revendications du brevet 087 ne sont pas évidentes par rapport aux revendications du brevet 206. Selon la logique de l'arrêt Braat, l'argument fondé sur le double brevet relatif à une évidence ne peut pas être retenu.
RÉSUMÉ SUR LA QUESTION no 2
[95]En ce qui concerne cette question, je conclus que les revendications du brevet 206 ne sont pas invalides pour cause de double brevet. Il ne s'agit pas en l'espèce d'un renouvellement à perpétuité du brevet 087. Il s'agit plutôt d'une reconnaissance des droits du titulaire du brevet 206. Bref, bien que le concept du double brevet ne se limite pas nécessairement aux mêmes brevetés ou aux mêmes inventeurs, compte tenu des faits de l'espèce:
· à la date de l'invention visée par les revendications du brevet 206 qui concernent le ramipril, les revendications du brevet 087 n'étaient pas évidentes;
· le brevet 087 est un brevet de sélection tiré du brevet 206 et est donc distinct, au plan de la brevetabilité, du brevet 206;
· le délai dans la délivrance du brevet 206 n'était pas attribuable à Schering, la brevetée, dont les droits sur le brevet n'ont pas été pleinement protégés jusqu'à la délivrance du brevet en 2001;
· la prolongation des droits conférés par le brevet à Schering pendant toute la durée de son brevet, soit 17 ans, est justifiée;
· le contrat de licence intervenu entre Schering et Aventis importe peu puisque les droits que ce contrat a conférés à Schering ne sont pas équivalents aux droits conférés par le brevet.
[96]Par conséquent, l'allégation de Pharmascience selon laquelle son ramipril ne contrefera pas les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 n'est pas fondée. Il s'agit d'un motif suffisant pour accueillir la demande de Schering.
QUESTION no 3: CONTREFAÇON RÉSULTANT DE L'UTILISATION DU RAMIPRIL DE PHARMA-SCIENCE POUR LE TRAITEMENT DE L'INSUFFI-SANCE CARDIAQUE
[97]Comme il a été mentionné précédemment, Pharmascience allègue la non-contrefaçon du brevet 457 pour le motif qu'elle ne demande pas son approbation pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Aventis soutient que le médicament générique sera utilisé par des patients pour le traitement de l'insuffisance cardiaque, ce qui contrefait le brevet 457.
[98]Étant donné que j'ai conclu que l'avis d'allégation est insuffisant et que l'allégation de non- contrefaçon du brevet 206 n'est pas fondée, l'interdiction demandée par Aventis sera accordée peu importe la décision rendue relativement au brevet 457. Bien que cette question ne revête pas simplement un intérêt théorique, elle n'est certainement pas déterminante pour la demande dont j'ai été saisie. L'interdiction qui sera accordée s'appliquera, peu importe la décision qui pourrait être rendue sur le fond quant aux observations faites par Aventis sur cette question particulière.
[99]Je signale que le brevet 457 expire en décembre 2005--soit longtemps avant le brevet 206. C'est pourquoi toute décision rendue sur cette question accessoire ne s'appliquerait que pendant une très courte période. Par conséquent, il est inutile que j'examine cette question.
CONCLUSION
[100]Pour les motifs qui précèdent, la demande d'interdiction sera accueillie. Il sera interdit au ministre de délivrer l'avis de conformité.
[101]La question des dépens a été abordée par les parties au début de l'audience. Après avoir examiné les observations des parties, compte tenu du fait que des dépens devraient être accordés aux parties qui ont eu gain de cause (Aventis et Schering) et compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] en ce qui concerne l'adjudication des dépens, j'exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire pour ordonner que des dépens soient attribués à Aventis et Schering et taxés conformément aux directives suivantes:
1) les dépens doivent être taxés selon le montant moyen de la colonne III du tarif B;
2) Aventis a droit aux dépens pour le second avocat;
3) Schering n'a pas droit aux dépens pour le second avocat;
4) Aventis et Schering ont droit à des débours raisonnables.
[102]En donnant ces directives quant aux dépens, je reconnais la valeur de l'argument de Pharmascience selon lequel Aventis et Schering ne devraient pas avoir droit toutes les deux aux dépens. Toutefois, j'ai rejeté cet argument pour le motif que les deux parties ont contribué de façon importante à la demande. Aventis et Schering m'ont beaucoup aidée.