2005 CAF 59
A-493-03
Procureur général du Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments) (demandeur)
c.
Porcherie des Cèdres Inc. (défenderesse)
A-494-03
Procureur général du Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments) (demandeur)
c.
Serbo Transports Inc. (défenderesse)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres Inc. (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Desjardins, Nadon et Pelletier, J.C.A.--Montréal, 8 décembre 2004; Ottawa, 11 février 2005.
Agriculture -- Contrôle judiciaire de décisions de la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire) selon lesquelles les défenderesses n'ont pas contrevenu à l'art. 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux, lorsqu'elles ont chargé et transporté dans un véhicule à moteur un porc gravement blessé -- L'art. 138(2)a) interdit le transport d'un animal qui, en raison d'une maladie ou d'une blessure, ne peut pas être transporté sans souffrances indues -- La Commission a commis une erreur en disant que le mot «indues» signifiait «excessives» et en obligeant l'Agence canadienne d'inspection des aliments à prouver que le chargement ou le transport avait causé à l'animal des souffrances qu'il n'aurait pas eu à supporter autrement -- Un animal blessé ou souffrant ne peut être chargé ou transporté parce que cela aurait pour effet de lui causer des souffrances injustifiées ou déraisonnables -- En l'espèce, l'animal ne pouvait pas être transporté sans souffrances indues -- Demandes accueillies.
Interprétation des lois -- Selon une interprétation raisonnable dans le contexte de la législation pertinente, le mot «indues» dans l'expression «sans souffrances indues», à l'art. 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux, signifie: «inapproprié», «inopportun», «injustifié», «déraisonnable» -- Le chargement ou le transport d'un animal blessé ou souffrant est donc interdit car ce chargement ou ce transport sera susceptible de lui causer des souffrances «injustifiées» ou «déraisonnables».
Il s'agissait de demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de deux décisions de la Commission de révision constituée en vertu de la Loi sur les produits agricoles au Canada. Selon la Commission, les défenderesses n'avaient pas contrevenu à l'alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux lorsqu'elles avaient chargé et transporté dans un véhicule à moteur un porc gravement blessé. Il s'agissait dans cette affaire d'interpréter l'expression «sans souffrances indues», que l'on trouve à l'alinéa 138(2)a) du Règlement. La Commission a jugé que le mot «indu» avait le même sens que le mot «excessif» et que le chargement et le transport de l'animal n'avaient pu aggraver ses blessures et donc lui causer des souffrances excessives. La Commission est arrivée à cette conclusion alors même qu'elle avait estimé que l'animal souffrait avant son chargement et son transport. Essentiellement, la Commission était d'avis que l'Agence devait démontrer que le chargement et/ou le transport de l'animal lui avait causé des souffrances que l'animal n'aurait pas endurées s'il n'avait pas été ainsi chargé et transporté.
Arrêt: les demandes doivent être accueillies.
La Commission a mal interprété l'expression «sans souffrances indues», que l'on trouve à l'alinéa 138(2)a). L'interprétation adoptée par la Commission a conduit au résultat absurde qui voudrait que soient autorisés le chargement et le transport d'animaux souffrants. L'objet manifeste du Règlement est de protéger la santé des animaux. L'examen de quelques définitions tirées de dictionnaires anglais et français pour le mot «indu» («undue» en anglais) a conduit à la conclusion que, dans le contexte de la législation et du Règlement pertinents, ce mot ne pouvait avoir que les sens suivants: «inapproprié», «inopportun», «injustifié», «déraisonnable». Eu égard à cette interprétation, un animal blessé et souffrant ne peut pas être chargé et transporté, puisque ce chargement ou ce transport lui causera des souffrances «injustifiées» et «déraisonnables». Cette interprétation semble avoir été adoptée par la Commission dans un bon nombre de ses décisions concernant l'alinéa 138(2)a). En l'espèce, n'eût été son erreur d'interprétation, la Commission aurait sûrement conclu que l'Agence avait démontré que l'animal ne pouvait pas être transporté sans souffrances indues.
lois et règlements cités
Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21, art. 64(1)i).
Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 20. |
Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40, art. 4(1)a), 7(1). |
Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296, art. 1 (mod. par DORS/91-525, art. 2), 138(2)a) (mod. par DORS/97-85, art. 76). |
jurisprudence citée
décision appliquée:
Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments) c. Westphal-Larsen (2003), 232 D.L.R. (4th) 486; 312 N.R. 378; 2003 CAF 383.
décisions examinées:
Ferme A. Riopel et Fils Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 17 (QL); Longhorn Farms Ltd. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2001] C.A.R.T.D. no 4 (QL); Grenier c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 29 (QL); Transport Gaétan Pellerin Inc. c. Canada (Commission de révision en agriculture), [2004] D.C.R.A.C. no 9 (QL); Transport Guérard et Fils Inc. c. Canada (Commission de révision en agriculture), [2003] D.C.R.A.C. no 51 (QL).
doctrine citée
Dictionary of Synonyms and Antonyms. New York: Oxford University Press, 1999, «undue».
Dictionnaire des synonymes et des antonymes. Québec: Éditions Fides, 2003, «indu».
Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris: Dictionnaires Le Robert, 1993 «indu».
Oxford Compact Thesaurus, 2nd ed. New York: Oxford University Press, 2001, «undue».
Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1989, «undue».
Roget's International Thesaurus, 5th ed. New York: HarperCollins, 1992, «undue».
Thésaurus Larousse. Paris: Larousse, 1999, «indu».
DEMANDES de contrôle judiciaire à l'encontre de deux décisions ([2003] D.C.R.A.C. no 30 (QL); [2003] D.C.R.A.C. no 31 (QL)) par lesquelles la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire) a jugé que les défenderesses n'avaient pas contrevenu à l'alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux lorsqu'elles avaient chargé et transporté dans un véhicule à moteur un animal de ferme qui était gravement blessé. Demandes accueillies.
ont comparu:
Sébastien Gagné pour le demandeur.
Claude Lapierre pour la défenderesse.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Tremblay, Brosseau, Fleury, Savoie, s.e.n.c., Montréal, pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Il s'agit de demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de deux décisions rendues le 22 septembre 2003 par la Commission de révision (la Commission) constituée aux termes de la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 20.
[2]Ces demandes soulèvent une question d'interprétation de l'alinéa 138(2)a) [mod. par DORS/97-85, art. 76] du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296, art. 1 (mod. par DORS/91-525, art. 2) (le Règlement). Il s'agit de déterminer le sens des mots «sans souffrances indues» (dans la version anglaise du texte, le sens des mots «without undue suffering»). Le Règlement a été adopté en vertu de l'alinéa 64(1)i) de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21.
[3]L'alinéa 138(2)a) du Règlement, qui est au coeur du débat entre les parties, se lit comme suit:
138. (1) [. . .]
(2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d'un wagon de chemin de fer, d'un véhicule à moteur, d'un aéronef ou d'un navire un animal:
a) qui, pour des raisons d'infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu; [Le souligné est le mien.]
[4]Un bref résumé des faits sera utile pour bien comprendre la question en litige.
[5]Le 10 mars 2003, un porc était livré à la compagnie Viandes Ultra Meats Inc. (Viandes Ultra). Le Dr Simon Villeneuve, vétérinaire à l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence), recevait dès lors un appel téléphonique de Marc Trudel, un employé des Viandes Ultra, lui signalant l'arrivée d'un porc en mauvais état au débarcadère et lui demandant de venir l'examiner.
[6]Le Dr Villeneuve s'est présenté chez Viandes Ultra et ses observations, telles qu'elles ont été consignées dans un document écrit à la main, sont les suivantes:
Le 10 mars 2003 vers 11:30, Marc Trudel, à la réception des porcs, m'a téléphoné à mon Bureau pour aller voir un porc malade. À mon arrivée, j'ai constaté que le porc #17 avec le tatou R51 était en décubitus, latéral droit, qu'il haletait qu'il grelottait beaucoup. Le porc était incapable de se lever et de fuir malgré le fait qu'il avait peur de moi. N.B. tatou producteur 25154.
Le porc avait au niveau latéral du tarse/jarret du membre postérieur gauche une fracture ouverte avec beaucoup de nécrose du tissu cutané, musculaire et osseuse.
Toutes ces indications suggèrent fortement que cette condition est chronique, que ça doit bien durer depuis au moins 10 jours. On peut se demander comment cet animal a été chargé dans le camion. Selon le transporteur, il marchait sur 3 pattes. Ici, à la réception des porcs, il était non-ambulatoire en décubitus latéral. On a du [sic] utiliser le traîneau pour le sortir du camion.
Le propriétaire a fait preuve de négligence et de cruauté envers cet animal. Je recommande que des accusations soient portées contre lui.
N.B. Suite à ma constatation des faits, le camionneur m'a dit qu'il ne voulait pas de problème avec cette histoire, il a téléphoné le propriétaire pour que je lui explique la situation. J'ai eu une conversation téléphonique avec M. Poudrier. Pour lui, son cochon n'a qu'un petit BOBO, qu'on a juste à couper la patte malade!! Selon lui, c'est en chargeant des porcs qu'il a remarqué ce porc malade «qu'il ne boîte [sic] presque pas». Pourtant ici il est très faible et non ambulatoire. Le propriétaire remet mon diagnostic en cause, il est même un peu arrogant envers moi, et fini [sic] la discussion en me disant qu'on se reverra en cours [sic]! [Le souligné est le mien.]
[7]Suite aux constatations du Dr Villeneuve, le directeur régional de l'Agence concluait que les défenderesses, soit Porcherie des Cèdres Inc., l'expéditeur et le propriétaire de l'animal, et Serbo Transports Inc., le transporteur de l'animal, avaient chargé et transporté un animal de ferme qui ne pouvait être transporté «sans souffrances indues» dans un véhicule à moteur, contrairement à l'alinéa 138(2)a) du Règlement et, par conséquent, que les défenderesses avaient commis une violation prévue au paragraphe 7(1) de Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40 (la Loi), qui se lit comme suit:
7. (1) Toute contravention désignée au titre de l'alinéa 4(1)a) constitue une violation pour laquelle le contrevenant s'expose à l'avertissement ou à la sanction prévus par la présente loi.
[8]L'alinéa 4(1)a) de la Loi, auquel le paragraphe 7(1) réfère, se lit comme suit:
4. (1) Le ministre peut, par règlement:
a) désigner comme violation punissable au titre de la présente loi la contravention--si elle constitue une infraction à une loi agroalimentaire:
(i) aux dispositions spécifiées d'une loi agroalimentaire ou de ses règlements,
(ii) à tout arrêté spécifié pris par le ministre au titre de la Loi sur la protection des végétaux, ou à toute catégorie de ces arrêtés,
(iii) à toute obligation ou catégorie d'obligations spécifiée--par refus ou omission de l'accomplir-- découlant de la Loi sur la santé des animaux ou de la Loi sur la protection des végétaux;
[9]Le 23 juin 2003, le directeur régional de l'Agence faisait signifier aux défenderesses les avis de violation suivants:
Avoir chargé et transporté un animal de ferme (porc) dans un véhicule moteur (Serbo Transports Inc.) alors qu'il ne pouvait être transporté sans souffrances. [En opposition avec l'article 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux.]
[10]Le 22 juillet 2003, les défenderesses demandaient à la Commission de réviser les décisions rendues par le directeur régional de l'Agence.
[11]Le 22 septembre 2003 [Porcherie des Cèdres Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 30 (QL); Serbo Transport Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 31 (QL)], la Commission accueillait les demandes des défenderesses et concluait comme suit [au paragraphe 1]:
Après avoir examiné les observations des parties, y compris le rapport de l'intimé, la Commission statue, par ordonnance, que le requérant n'a pas commis la violation et n'est pas tenu de payer la sanction pécuniaire infligée.
[12]Le demandeur, par ses demandes de contrôle judiciaire, nous demande d'annuler les décisions de la Commission et de lui retourner les dossiers avec instructions. À mon avis, il y a matière à intervention en l'instance. Je suis satisfait que les décisions rendues par la Commission résultent d'une erreur de droit, à savoir une interprétation erronée des mots «sans souffrances indues» que l'on retrouve à l'alinéa 138(2)a) du Règlement.
[13]Avant d'exposer les motifs pour lesquels j'en viens à cette conclusion, quelques mots concernant la norme de contrôle s'imposent. À mon avis, la norme applicable est celle de la décision correcte et je fais miens les propos que tenait mon collègue le juge Pelletier dans Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments) c. Westphal-Larsen (2003), 232 D.L.R. (4th) 486; 2003 CAF 383 (au paragraphe 7):
La première question en litige est de savoir quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision rendue par la Commission de révision. En appliquant le cadre analytique énoncé dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, je remarque que la Commission de révision n'est pas protégée par une clause privative. L'article 12 de la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 20, la loi en vertu de laquelle la Commission de révision a été instituée, prévoit que les décisions de la Commission ne sont susceptibles de révision qu'au titre de la Loi sur la Cour fédérale, ce qui veut dire, selon moi, que ses décisions ne sont susceptibles de révision que pour les motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de cette loi, notamment l'erreur de droit. La question dont la Commission est saisie est une pure question d'interprétation de la loi qui ne fait pas appel à ses connaissances spécialisées dans le domaine de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire. Par conséquent, on ne saurait prétendre que la Commission possède à l'égard de la question en cause une expertise comparable à celle de la Cour. L'instance particulière qui a donné lieu à la présente demande comporte une pénalité administrative pour inobservation de certaines dispositions réglementaires. La Commission n'était donc pas obligée de se livrer à ce genre d'analyse polycentrique à l'égard de laquelle une cour siégeant en contrôle judiciaire doit faire preuve d'une certaine retenue. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle de la Commission de révision quant à la question soulevée par la présente demande est celle de la décision correcte.
[14]Comme le juge Pelletier dans Westphal-Larsen, je suis aussi d'avis qu'il n'y a pas lieu, en l'instance, d'accorder de déférence à la Commission, vu que la question devant elle en était une d'interprétation statutaire.
[15]Le président Barton, qui a rendu les deux décision de la Commission, a conclu que le mot «indu[e]», que l'on retrouve à l'alinéa 138(2)a) du Règlement avait le même sens que le mot «excessif». Au soutien de cette interprétation, le président Barton s'en remettait à une définition de dictionnaire, sans donner de référence précise au lecteur. Le passage pertinent des décisions est le suivant [au paragraphe 8]:
Selon la définition du dictionnaire, le mot «indu» signifie «excessif».
[16]Nonobstant le fait qu'il était d'avis que la condition du porc, telle que constatée par le Dr Villeneuve, existait avant même son chargement dans le camion de la défenderesse Serbo Transports Inc. et que, par conséquent, ses blessures étaient sérieuses, le président Barton concluait que le chargement et le transport de l'animal n'avaient pu aggraver ses blessures et ainsi lui causer des souffrances excessives. Cette conclusion amenait le président Barton à conclure que les défenderesses n'avaient pas commis la violation qui leur était reprochée par l'Agence, puisque cette dernière n'avait pas réussi à démontrer que le porc ne pouvait être chargé et transporté sans souffrances indues. Les motifs du président Barton sont courts et j'en reproduis les passages pertinents [aux paragraphes 8 à 11]:
La Commission conclut que le porc en question était blessé avant son chargement et que l'étendue de ses blessures était plus grave que selon les dires du requérant. Cependant, on ne cherche pas à déterminer si un animal inapte a été chargé ou transporté ou non, mais si le porc blessé pouvait être transporté sans souffrance indue au cours du voyage prévu. Selon la définition du dictionnaire, le mot «indu» signifie «excessif».
La Commission conclut que même si le porc était blessé avant et après le chargement, le chargement tel quel et le transport du porc n'aurait pas pu aggraver la blessure de façon à lui causer des souffrances excessives au cours du voyage prévu.
La Commission fait remarquer que le Code de pratique recommandé pour les soins et la manipulation des animaux de ferme, mentionné à la partie IV de l'onglet 8 du rapport de l'intimé, indique que les porcs sont transportés couchés et recommande que des enclos individuels soient utilisés pour les animaux blessés. Bien que le porc en question n'ait pas été placé dans un enclos individuel, il a été placé suffisamment à l'écart pour lui éviter des souffrances indues lors du voyage.
L'intimé n'a donc pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le porc ne pouvait pas être transporté sans souffrances indues.
[17]À mon avis, l'interprétation du mot «indu[e]» et, par conséquent, des mots «souffrances indues», adoptée par la Commission est erronée. Même s'il appert d'après les définitions de dictionnaires (auxquelles je vais référer plus loin) que les mots «indu[e]» et «undue» peuvent, en certaines circonstances, avoir le même sens que le mot «excessif», je suis d'avis que tel n'est pas le cas en l'instance. Il ne m'apparaît pas raisonnable d'adopter l'interprétation de la Commission puisque cette interprétation mène à un résultat que je qualifierais d'absurde. Je m'explique.
[18]Il appert clairement des motifs du président Barton qu'il a accepté, sans réserve, les observations du Dr Villeneuve quant à la condition de l'animal. Cela explique pourquoi il a conclu que l'animal était blessé avant même d'être chargé à bord du camion de la défenderesse Serbo Transports Inc. et que, de plus, les blessures de l'animal étaient «plus graves que selon les dires du requérant». Il découle de ces conclusions, à mon avis, que le président Barton accepte que le porc était souffrant avant qu'il ne soit chargé et transporté.
[19]Nonobstant cette conclusion, le président Barton concluait que la preuve offerte par l'Agence était insuffisante pour démontrer que l'animal avait souffert de façon indue durant le voyage. Cette conclusion résulte, sans aucun doute, de son interprétation du mot «indu[e]» à l'effet que ce mot est équivalent au mot «excessif».
[20]Tel que je comprends les propos du président Barton, l'Agence devait démontrer soit que l'animal avait souffert de façon excessive en cours de transport en raison de la manière ou de la façon dont il avait été chargé ou transporté, ou que ses souffrances en cours de transport excédaient les souffrances qu'il aurait endurées s'il n'avait pas été chargé et/ou transporté. En d'autres mots, l'Agence devait démontrer que le chargement et/ou le transport avaient causé des souffrances que l'animal n'aurait pas endurées n'eut été de ce chargement ou de ce transport.
[21]Donc, selon le président Barton, le fait de démontrer que l'animal était souffrant avant son chargement et qu'il continuerait de souffrir durant son transport ne constitue pas une preuve suffisante pour mener à la conclusion que la conduite des défenderesses violait l'alinéa 138(2)a). L'interprétation que propose le président Barton a pour effet, à mon avis, de permettre le chargement et le transport d'animaux souffrants.
[22]Voici quelques définitions de dictionnaires, anglais et français, concernant les mots «indu[e]» et «undue» utilisés dans les versions française et anglaise de l'alinéa 138(2)a) du Règlement. Le Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris: Dictionnaires Le Robert, 1993, définit «indu[e]» en ces termes:
Qui va à l'encontre des exigences de la raison, de la règle, de l'usage [. . .] où il ne convient pas de faire telle ou telle chose [. . .] Qui n'est pas fondé [. . .] Ce qui n'est pas dû [. . .] CONTR. Convenable, normal, régulier. Dû.
Selon le Dictionnaire des synonymes et antonymes, Hector Dupuis et Romain Légaré, Québec: Éditions Fides, 2003, le mot «indu» signifie:
INDU: Syn. 1. Inapproprié, inconvénient, inopportun. 2. Infondé, injustifié. Ant. 1. Approprié, convenable, opportun, fondé, justifié.
Quant au Thésaurus Larousse, Paris: Larousse, 1999, il définit «indu» comme suit:
Inopportun; déplacé, déraisonnable, fâcheux, importun, incongru, indu, intempestif, maladroit, malencontreux; malvenu, prématuré, saugrenu: --Hors de saison; hors de propos; mal choisi; à côté de la plaque.
Selon le Roget's International Thesaurus, 5e éd. HarperCollins Publishers, 1992, le mot «undue» signifie:
UNDUE: overpriced, wrong, unowed, unjust, excessive.
Undue, unowed, unowing, not coming, not outstanding; undeserved, unmerited, unearned; unwarranted, unjustified, unprovoked; unentitled, undeserving, unmeriting, nonmeritorious, unworthy; preposterous, outrageous.
Le Oxford English Dictionary, 2e éd., 1989, définit le mot «undue» comme suit:
Undue: 1. Not properly owing or payable 2. Not appropriate or suitable, improper. Also of times, etc.: Unseasonable 3. Not in accordance with what is just and right; unjustifiable; illegal.
Le Oxford Compact Thesaurus, 2e éd., Oxford University Press, 2001, page 913, définit le mot «undue» comme suit:
UNDUE adj. = excessive, immoderate, intemperate, inordinate, disproportionate, uncalled for, unneeded, unnecessary, non-essential, needless, unwarranted, unjustified, unreasonable, inappropriate, unmerited, unsuitable, improper.
Selon le Dictionary of Synonyms and Antonyms, Oxford University Press, 1999, le mot «undue» se définit comme suit:
UNDUE adj. = excessive.
[23]Tel qu'il apparaît de ces définitions, seul le Dictionary of Synonyms and Antonyms se limite à définir le mot «undue» comme signifiant «excessive».
[24]Le demandeur nous demande de rejeter l'interprétation de la Commission et d'adopter le sens du mot «indu[e]» qui, à son avis, est le plus raisonnable, à savoir «qui va à l'encontre de la raison, de la règle, de l'usage». Le demandeur caractérise les mots «souffrances indues» comme signifiant «souffrances inutiles». Selon le demandeur, une telle interprétation est en accord avec les objectifs et l'économie de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21. Le demandeur note que le Règlement, et plus particulièrement l'alinéa 138(2)a), ont été adoptés par le gouverneur en conseil aux termes de l'alinéa 64(1)i) de la Loi sur la santé des animaux, qui prévoit ce qui suit:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre des mesures visant à protéger la santé des personnes et des animaux par la lutte contre les maladies et les substances toxiques ou leur élimination, ainsi que toute autre mesure d'application de la présente loi et, notamment:
[. . .]
i) empêcher que les animaux soient maltraités, notamment en:
(i) régissant leur garde, y compris les soins à leur donner er les mesures concernant leur disposition,
(ii) régissant leur transport tant à l'intérieur qu'à destination ou en provenance du Canada,
(iii) prévoyant le traitement, la destruction ou toute autre forme de disposition des animaux gardés ou transportés dans des conditions inacceptables; [Le souligné est le mien.]
[25]Ces dispositions amènent le demandeur à soumettre qu'il ne peut faire de doute que le Règlement a pour but, inter alia, de protéger la santé des animaux. Par conséquent, il en découle, selon le demandeur, que l'alinéa 138(2)a) ne peut être interprété de façon à permettre que des animaux souffrants soient transportés.
[26]À mon avis, les prétentions du demandeur sont bien fondées. Il ne m'apparaît nullement raisonnable d'interpréter les mots «indu[e]» et «undue» comme signifiant «excessif» et «excessive». À mon avis, une interprétation raisonnable de «indu[e]» et «undue», dans le contexte de la législation pertinente, ne peut que mener à la conclusion que ces mots signifient plutôt «inapproprié», «inopportun», «injustifié», «déraison-nable», «undeserved», «unwarranted», «unjustified», «unmerited». Cette interprétation fait en sorte qu'un animal souffrant ne pourra être chargé et transporté, puisqu'un tel chargement ou transport aura pour effet de causer à l'animal des souffrances «injustifiées» et «déraisonnables». Il est bon de se rappeler que le Dr Villeneuve, dans ses observations écrites, indiquait que le porc avait «une fracture ouverte avec beaucoup de nécrose du tissu cutané, musculaire et osseuse». Selon le Dr Villeneuve, le propriétaire de l'animal «a fait preuve de négligence et de cruauté envers cet animal».
[27]J'en viens donc à la conclusion que le transport d'un animal blessé (et donc souffrant) ne pourra que causer à cet animal des souffrances qui ne peuvent être justifiées ou des souffrances inappropriées. En utilisant le texte anglais de l'alinéa 138(2)a) du Règlement, les souffrances qui seront causées à l'animal en cours de transport seront «unjustified» ou «unwarranted».
[28]Il est pertinent de noter que la Commission semble avoir adopté l'interprétation que je propose dans un bon nombre de ses décisions concernant l'alinéa 138(2)a). À cet égard, le demandeur nous a référé aux décisions de la Commission dans les affaires: Ferme A. Riopel et Fils Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 17 (QL); Longhorn Farms Ltd. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2001] C.A.R.T.D. no 4 (QL); Grenier c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] D.C.R.A.C. no 29 (QL); Transport Gaétan Pellerin Inc. c. Canada (Commission de révision en agriculture), [2004] D.C.R.A.C. no 9 (QL); et Transport Guérard et Fils Inc. c. Canada (Commission de révision en agriculture), [2003] D.C.R.A.C. no 51 (QL).
[29]Toutes ces décisions, à l'exception de l'affaire Transport Gaétan Pellerin Inc., ont été rendues par le président Barton. Dans toutes ces affaires, la Commission, sur la seule preuve de la condition de l'animal avant chargement, a conclu que l'animal ne pouvait être chargé et transporté sans souffrances indues. La Commission, dans aucune de ces affaires, n'a exigé une preuve relative au chargement et/ou au transport de l'animal afin de déterminer si les souffrances de l'animal, en cours de transport, étaient «excessives».
[30]Dans l'affaire Longhorn, le président Barton, au paragraphe 13 de ses motifs, s'exprimait comme suit relativement à la condition d'un taureau chargé et transporté par remorque:
[traduction] Eu égard à l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que le taureau était malade et qu'il était blessé de façon importante au moment du chargement et qu'il ne pouvait pas être chargé et transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu.
[31]Dans l'affaire Transport Gaétan Pellerin Inc., il s'agissait du transport d'un porc. L'extrait suivant des paragraphes 9 à 11 de la décision rendue par le membre Peter Annis, appuie entièrement l'interprétation que je propose:
Le requérant a reconnu que, vers le 10 avril 2003, il avait fait le chargement d'un voyage de porcs pour l'abattoir A. Trahan Transformation Inc. [. . .] Le requérant a indiqué que l'animal en question (ne se référant qu'à un porc) marchait normalement et n'a eu aucun inconvénient, ni difficulté à entrer dans la boîte de chargement. Le requérant a ajouté que, lors du déchargement, le porc ne marchait plus, probablement dû au fait que, lors du voyage il a dû se faire piétiner par les autres porcs vu qu'il y en avait quelques uns plus petits que les autres, dont celui-ci qui est resté sur place.
Cependant, selon le diagnostic de Dr. Yvonne Dolbec, vétérinaire à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, une telle condition prend plusieurs semaines à se développer. Ainsi, le porc était dans cet état à sa ferme d'origine.
Compte tenu de l'état de ces animaux, il est difficile de voir comment ils auraient pu être chargés et transportés sans souffrances indues.
[32]Dans l'affaire Transport Guérard et Fils Inc., voici ce que disait le président Barton concernant le chargement et le transport de porcs [aux paragraphes 10 et 11]:
Le requérant a aussi mentionné d'autres raisons pouvant expliquer les écarts de poids des porcs; il a aussi allégué que les blessures avaient peut-être été subies lors du transport. Malgré ces possibilités, le requérant a admis, à la lumière des photographies figurant dans le rapport de l'intimé, que les porcs étaient déjà dans un état déplorable lorsqu'ils ont été chargés.
Compte tenu de leur état, il est difficile de voir comment qu'ils [sic] auraient pu être chargés et transportés sans souffrances indues.
[33]Dans l'affaire Ferme A. Riopel et Fils Inc., le propriétaire d'une truie malade avait reconnu l'avoir expédiée dans cet état vers l'abattoir. Le président Barton disposait de l'affaire dans les termes suivants [au paragraphe 7]:
La Commission est convaincue selon la prépondérance des probabilités que la truie malade n'aurait pu être chargée et transportée sans souffrir indûment au cours du voyage prévu.
[34]Finalement, dans l'affaire Grenier, il s'agissait du transport de deux porcs vers l'abattoir. Lors de l'arrivée des animaux à l'abattoir, un inspecteur a constaté que les animaux étaient en mauvais état et qu'ils souffraient «énormément». Encore une fois, le président Barton n'a eu aucune difficulté à conclure que l'Agence avait démontré que le propriétaire de l'animal avait chargé et fait transporté un animal qui ne pouvait être transporté [au paragraphe 3] «sans souffrances indues au cours du voyage prévu».
[35]Tel que je l'ai déjà indiqué, il ne peut faire de doute que la législation pertinente a pour but d'empêcher que des animaux souffrent de façon injustifiée ou déraisonnable. Plus particulièrement, le Règlement a pour but d'empêcher le transport d'animaux souffrants. À mon avis, n'eut été de son erreur d'interprétation, la Commission aurait sûrement conclu que l'Agence avait démontré que le porc ne pouvait être transporté sans souffrances indues.
[36]Par conséquent, je suis d'opinion que la Commission a erré en concluant que l'Agence n'avait pas réussi à démontrer que le porc ne pouvait être transporté sans souffrances indues. Cette conclusion de la Commission, compte tenu de la preuve que l'animal avait des blessures sérieuses avant même son chargement, ne saurait être maintenue. Vu la conclusion à laquelle j'en arrive concernant l'interprétation du mot «indu[e]», il ne me sera pas nécessaire de discuter des autres points soulevés par le demandeur.
[37]J'accueillerais donc les demandes de contrôle judiciaire avec frais, j'annulerais les décisions de la Commission rendues le 22 septembre 2003 et je retournerais les dossiers à la Commission avec directives à l'effet que les demandes de révision des défenderesses doivent être rejetées.
La juge Desjardins, J.C.A.: J'y souscris.
Le juge Pelletier, J.C.A.: Je suis d'accord.