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[2013] 3 R.C.F. 463

2011 CAF 339

A-416-10

MD. Ali Khan (appelant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A-419-10

MD. Khairul Kabir (appelant)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A-484-10

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Syed Imam Hasan (intimé)

Répertorié : Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Pelletier et Stratas, J.C.A.—Toronto, 6 septembre; Ottawa, 6 décembre 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Critères de sélection — Diplômes — Appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale, dans lesquelles des demandeurs de visa cherchaient à obtenir le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui avait rejeté leurs demandes de visa de résident permanent — Tous les demandeurs détenaient deux diplômes de maîtrise et avaient étudié plus de 17 années à temps plein — Les demandes ont été rejetées parce que seulement 16 années d’études à temps plein ont été attribuées aux demandeurs pour leur maîtrise, soit une année de moins que les 17 années requises pour une maîtrise, selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs, Bangladais, ont présenté leur demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) — L’agente des visas a conclu qu’aucune des deux maîtrises des demandeurs ne suivait une « ligne de progression » menant à l’obtention de l’autre diplôme — La Cour fédérale a rejeté deux des demandes de contrôle judiciaire présentées par les demandeurs de visa, et en a accueilli une troisième, présentée par le ministre; la Cour fédérale a certifié la question relativement à l’attribution des points pour les études — Il s’agissait de savoir si les agents des visas ne doivent accorder des points que pour les années d’études considérées comme normales par les autorités du pays pour l’obtention du diplôme en cause — Selon les art. 78(3)a) et b) du Règlement, les points sont attribués en fonction d’un seul diplôme, à savoir celui qui procure le plus de points selon la grille — L’agente des visas en l’espèce n’était autorisée à attribuer aux demandeurs de visa que 16 années d’études à temps plein pour une maîtrise — L’exigence que l’évaluation d’un candidat soit en fonction d’un seul diplôme et l’interdiction d’additionner des points permettent de penser que le législateur désirait normaliser l’évaluation des diplômes — L’analyse de la « ligne de progression » faite par l’agente des visas est erronée, car elle pourrait ne pas respecter le régime législatif; elle n’a toutefois pas eu d’incidence sur le résultat en l’espèce, étant donné la conclusion selon laquelle la demande doit être évaluée en tenant compte d’un seul diplôme de maîtrise — L’agente des visas n’a donc pas commis d’erreur dans l’évaluation du niveau d’études des demandeurs de visa aux fins de l’art. 78 du Règlement — Les appels des demandeurs de visas Khan et Kabir sont rejetés, et l’appel du ministre est accueilli.

Il s’agissait de trois appels entendus ensemble interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale selon lesquelles des demandeurs de visa (les appelants dans les dossiers A-416-10 et A-419-10; l’intimé dans le dossier A-484-10) cherchaient à obtenir le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui avait rejeté leurs demandes de visa de résident permanent. Dans les trois cas, les demandeurs de visa avaient obtenu deux diplômes de maîtrise et étudié plus de 17 années à temps plein. Leurs demandes avaient été refusées parce que seulement 16 années d’études à temps plein leur avaient été attribuées pour leur maîtrise, soit une année de moins que les 17 années requises pour une maîtrise selon le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les demandeurs de visa sont tous trois des citoyens du Bangladesh ayant demandé un visa au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Ils sont tous titulaires de diplômes qui leur ont été décernés par des établissements d’enseignement supérieur du Bangladesh. L’intimé Hasan et l’appelant Kabir ont accumulé 18 années d’études à temps plein, alors que l’appelant Khan a étudié 19 années à temps plein. Dans chacune de ces affaires, l’agente des visas a attribué 22 points sur un nombre maximal de 25 points pour les niveaux d’études, en concluant qu’aucun des deux diplômes de maîtrise des demandeurs ne suivait une « ligne de progression » menant à l’obtention de l’autre diplôme; par conséquent, l’agente a attribué le maximum des points pour les années d’études menant à l’obtention du diplôme universitaire le plus élevé de chaque demandeur, soit seize années d’études à temps plein. Plus particulièrement, les seize années d’études sont la durée requise pour obtenir une maîtrise au Bangladesh, selon les autorités scolaires du Bangladesh, et aux termes de la définition de « diplôme » donnée dans le Règlement.

La Cour fédérale a rejeté deux des demandes de contrôle judiciaire des demandeurs de visa et a accueilli la troisième demande de contrôle judiciaire, présentée par le ministre. Dans le cas des deux premiers demandeurs (Kabir, Khan), il a été statué que même si les demandeurs avaient étudié pendant plus que les 17 années prévues à l’alinéa 78(2)f) du Règlement, la décision de l’agente des visas de ne considérer que les 16 années requises pour obtenir un diplôme de maîtrise au Bangladesh était raisonnable. La Cour a conclu que ce résultat découlait de l’alinéa 78(3)a), qui prévoit que le niveau d’études doit être évalué en fonction d’un seul diplôme, de sorte que les demandeurs de visa n’ont droit à aucun point pour une deuxième maîtrise. Dans le cas du demandeur Hasan, la Cour fédérale a suivi un autre raisonnement et a considéré que l’agente des visas avait l’obligation d’évaluer la demande de M. Hasan en tenant compte de sa deuxième maîtrise et de lui accorder des points pour toutes les années d’études à temps plein, y compris pour la deuxième maîtrise. La question de savoir si, lors de son attribution des points pour les études en vertu de l’article 78 du Règlement, l’agent des visas doit attribuer des points pour les années d’études à temps plein complétées, ou l’équivalent à temps plein, qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme faisant l’objet de l’évaluation, a été certifiée.

Il s’agissait de savoir si les agents des visas ne doivent accorder des points que pour les années d’études considérées comme normales par les autorités du pays pour l’obtention du diplôme en cause, ou si les agents peuvent reconnaître d’autres années d’études, eu égard à la « ligne de progression » ou pour une autre raison.

Arrêt : les appels des demandeurs de visa Kabir et Khan doivent être rejetés, alors que l’appel du ministre doit être accueilli.

Selon les alinéas 78(3)a) et b), les points sont attribués en fonction d’un seul diplôme, à savoir celui qui procure le plus de points, selon la grille. L’alinéa 78(3)a) prévoit que les points ne peuvent être additionnés les uns aux autres, du fait qu’il existe plus d’un diplôme. Cela signifie que les points qui seraient attribués pour le niveau d’études préalable à un diplôme ne doivent pas être additionnés aux points attribués pour ce diplôme, que l’obtention répétée du même diplôme n’entraîne pas l’attribution de points, et que le fait que le diplôme en fonction duquel l’évaluation est effectuée est celui qui procure le plus grand nombre de points signifie nécessairement qu’il n’est pas tenu compte des diplômes auxiliaires ou supplémentaires. Le pouvoir de l’agente des visas d’imposer une restriction quant aux points attribués aux demandeurs pour leurs études à temps plein repose sur la définition de « diplôme ». L’agente des visas doit se fier aux autorités du pays non seulement pour savoir quels diplômes sont reconnus dans ce pays, mais aussi pour savoir quel programme d’études conduit à ce diplôme. Par conséquent, l’agente des visas avait le droit, sur le fondement des renseignements fournis par l’UNESCO et confirmés par les autorités du Bangladesh, d’attribuer aux demandeurs de visa seize années d’études à temps plein relativement à leur maîtrise.

L’exigence que l’évaluation d’un candidat soit en fonction d’un seul diplôme et l’interdiction d’additionner des points permettent de penser que le législateur désirait normaliser l’évaluation des diplômes, de sorte que la période pertinente soit le nombre d’années d’études à temps plein (ou l’équivalent) requis normalement pour l’obtention du diplôme le plus élevé en suivant un parcours normal. De cette manière, tous les demandeurs qui sont évalués relativement à un diplôme donné le sont selon les mêmes critères, sans égard à l’endroit où ils ont obtenu leur diplôme.

C’est le point de vue adopté par la Cour fédérale dans la décision Bhuiya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Dans le cas du demandeur Hasan, le juge de la Cour fédérale a rejeté le raisonnement de la décision Bhuiya, et lui a plutôt préféré l’approche adoptée dans la décision McLachlan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Cette décision est erronée et ne devrait pas être suivie.

Si l’approche adoptée dans la décision Bhuiya est correcte, la « ligne de progression » utilisée par les agents des visas pourrait ne pas respecter le régime législatif. Cela permet de penser que s’il avait été conclu que l’une des maîtrises du demandeur de visa avait été dans la « ligne de progression » menant à l’obtention de l’autre diplôme, le demandeur aurait obtenu des points supplémentaires pour ses années d’études. Les années requises pour atteindre les niveaux d’études préalables à un diplôme sont déjà comptées dans les années d’études associées à ce diplôme dans le Règlement. Par conséquent, les 17 années d’études associées à une maîtrise à l’alinéa 78(2)f) comprennent les années d’études à temps plein nécessaires pour atteindre les niveaux qui sont requis préalablement à ce diplôme. Aucun autre point n’est accordé pour les années d’études dans la « ligne de progression » menant à l’obtention de ce diplôme. Dans le cas des demandeurs de visa, l’agente des visas a conclu, dans chaque cas, que leur demande de visa devait être évaluée en fonction d’une seule maîtrise, et a conclu que le temps consacré par les demandeurs de visa à l’obtention d’autres diplômes ne devait pas compter dans le calcul des années d’études à temps plein des demandeurs, parce qu’aucun de ces diplômes ne constituait un préalable à l’obtention de sa maîtrise. La référence faite par l’agente des visas à l’analyse de la « ligne de progression » ne modifiait nullement le résultat. En conséquence, l’agente des visas n’a commis aucune erreur dans l’évaluation du niveau d’études du demandeur de visa aux fins de l’article 78 du Règlement.

Pour ces motifs, la Cour a répondu négativement à la question certifiée. L’agent des visas n’attribue pas des points pour le nombre d’années d’études à temps plein ou pour le nombre d’années d’études équivalentes à temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme qui fait l’objet de l’évaluation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 14.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 73 « diplôme » (mod. par DORS/2010-195. art. 3(F)), 74 (abrogé par DORS/2008-253, art. 6), 75 (mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80), 76 (mod., idem, art. 28(F); 2010-195, art. 4(F)), 78 (mod., idem, art. 5(F)), 79 (mod. par DORS/2004-167, art. 29; 2008-253, art. 7; 2010-195, art. 6(F); 2011-54, art. 1), 80 (mod. par DORS/2010-195, art. 7), 82 (mod. par DORS/2004-167, art. 30; 2010-172, art. 5), 84 (abrogé par DORS/2008-202, art. 1), 85 (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision non suivie :

McLachlan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 975.

décision appliquée :

Bhuiya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 878.

décisions citées :

Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 187; Thomasz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1159.

APPELS de trois décisions de la Cour fédérale (2010 CF 995; 2010 CF 983 et 2010 CF 1206), dans le cadre desquelles des demandeurs de visa cherchaient à obtenir le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui avait rejeté leurs demandes de visa de résident permanent, en raison des points attribués pour les études. Les appels des demandeurs de visa Khan et Kabir ont été rejetés, et l’appel du ministre a été accueilli.

ONT COMPARU

Ian R. J. Wong pour les appelants dans les dossiers A-416-10 et A-419-10 et pour l’intimé dans le dossier A-484-10.

David Cranton, Ada Mok, Melissa Mathieu et Brad Bechard pour l’intimé dans les dossiers A-416-10 et A-419-10 et pour l’appelant dans le dossier A-484-10.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gardner Wong in association, Toronto, pour les appelants dans les dossiers A-416-10 et A-419-10 et pour l’intimé dans le dossier A-484-10.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé dans les dossiers A-416-10 et A-419-10 et pour l’appelant dans le dossier A-484-10.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

            Le juge Pelletier, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        Les demandeurs de visas de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) qui présentent leur demande de l’étranger sont évalués selon une grille qui prévoit l’attribution de points en fonction de divers critères, dont les études. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) prévoit une échelle pour l’évaluation du niveau d’études qui repose sur deux critères : les diplômes et le nombre d’années d’études à temps plein (ou l’équivalent). La question soulevée dans le présent appel concerne l’application du second de ces critères.

[2]        Les présents motifs s’appliquent à trois appels que nous avons entendus ensemble parce qu’ils soulèvent tous cette question relativement à essentiellement les mêmes faits. Dans chacune des trois affaires, le demandeur avait obtenu deux maîtrises et étudié plus de 17 années à temps plein. Et dans ces trois affaires, l’agente des visas a rejeté la demande de visa de résident permanent parce que seulement 16 années d’études à temps plein étaient attribuées au demandeur pour sa maîtrise, soit une année de moins que les 17 années requises pour une maîtrise selon le Règlement. Une juge de la Cour fédérale a rejeté deux des demandes de contrôle judiciaire des demandeurs de visa : Kabir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 995 (Kabir), et Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 983 (Khan). Un autre juge de la Cour fédérale a accueilli la troisième demande de contrôle judiciaire : Hasan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1206 (Hasan).

[3]        Dans les décisions Kabir et Khan, la question suivante a été certifiée :

Lors de son attribution des points pour les études en vertu de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas doit-il attribuer des points pour le nombre d’années d’études à temps plein ou pour le nombre d’années d’études équivalentes à temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme qui fait l’objet de l’évaluation?

[4]        Dans la décision Hasan, la Cour a certifié essentiellement la même question, mais a omis par inadvertance les mots « à temps plein ».

[5]        Pour les motifs exposés ci-dessous, je répondrais négativement à la question, je rejetterais les appels des demandeurs dans la décision Kabir et dans la décision Khan et j’accueillerais l’appel du ministre dans la décision Hasan. Pour éviter de répéter inutilement les mots « les deux appelants et l’intimé », je désignerai ces individus collectivement comme les demandeurs de visa.

[6]        Les présents motifs sont rédigés pour le dossier Hasan (A‑484‑10), mais ils s’appliquent également aux affaires Kabir (A‑416‑10) et Khan (A‑419‑10). Une copie des présents motifs sera versée dans chacun de ces dossiers.

LE RÉGIME LÉGAL

[7]        Pour comprendre les décisions de l’agente des visas et les motifs de la Cour fédérale relativement aux demandes de contrôle judiciaire, il est nécessaire d’interpréter le régime légal.

[8]        Les articles 73 à 85 [art. 73 « diplôme » (mod. par DORS/2010-195, art. 3(F)), 74 (abrogé par DORS/2008-253, art. 6), 75 (mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80), 76 (mod., idem, art. 28(F); 2010-195, art. 4(F)), 78 (mod., idem, art. 5(F)), 79 (mod. par DORS/2004-167, art. 29; 2008-253, art. 7; 2010-195, art. 6(F); 2011-54, art. 1), 80 (mod. par DORS/2010-195, art. 7), 82 (mod. par DORS/2004-167, art. 30; 2010-172, art. 5), 84 (abrogé par DORS/2008-202, art. 1), 85 (mod., idem)] du Règlement établissent une grille pour l’évaluation des personnes qui désirent être admises au Canada à titre de travailleurs qualifiés (fédéral). La grille repose sur les six critères mentionnés ci-dessous; à côté de chaque critère, figure le nombre maximal de points pouvant être attribués à ce titre :

- études — 25 points

- compétence en anglais et en français — 24 points

- expérience — 21 points

- âge — 10 points

- emploi réservé — 10 points

- capacité d’adaptation — 10 points

Le nombre maximal de points est 100.

[9]        Le paragraphe 78(2) du Règlement traite de l’évaluation du niveau d’études du demandeur :

78. […]

(2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

a) 5 points, s’il a obtenu un diplôme d’études secondaires;

b) 12 points, s’il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total d’au moins douze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

c) 15 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total de treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant une année d’études et a accumulé un total d’au moins treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

d) 20 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études et a accumulé un total d’au moins quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

e) 22 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix-sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

Études (25 points)

[10]      Les règles relatives à l’évaluation des niveaux d’études multiples font l’objet des paragraphes 78(3) et (4) du Règlement :

78. […]

(3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante

a) ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme;

b) ils sont attribués :

(i) pour l’application des alinéas (2)a) à d), du sous-alinéa (2)e)(i) et de l’alinéa (2)f), en fonction du diplôme qui procure le plus de points selon la grille,

(ii) pour l’application du sous-alinéa (2)e)(ii), en fonction de l’ensemble des diplômes visés à ce sous-alinéa.

Résultats

(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions.

Circonstances spéciales

[11]      La définition de « diplôme » se trouve à l’article 73 du Règlement :

73. […]

Définitions

« diplôme » Tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.

« diplôme »
educational credential

[12]      Ayant ces dispositions légales à l’esprit, j’examinerai maintenant les faits sous-jacents à ces appels.

LES FAITS

[13]      Les demandeurs de visa sont tous les trois des citoyens du Bangladesh ayant demandé un visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Ils sont tous titulaires de diplômes qui leur ont été décernés par des établissements d’enseignement supérieur du Bangladesh. M. Hasan a obtenu trois diplômes universitaires : un baccalauréat en commerce, une maîtrise en gestion du commerce et une maîtrise en administration des affaires (marketing) à l’intention de cadres. En tout, il a accumulé au moins 18 années d’études à temps plein.

[14]      M. Kabir est titulaire d’un baccalauréat en science politique, d’une maîtrise en science politique, d’une maîtrise en administration des affaires et d’un diplôme en commercialisation de la mode. En tout, M. Kabir a accumulé 18 années d’études à temps plein. Quoique la question de l’évaluation des années d’études se pose également relativement à l’épouse de M. Kabir, les mêmes principes s’appliquent à sa demande. D’un point de vue pratique, leurs deux demandes dépendent de l’évaluation des années d’études de M. Kabir.

[15]      M. Khan détient un baccalauréat en commerce, une maîtrise en comptabilité, une maîtrise en administration des affaires et un diplôme en programmation informatique. En tout, il a accumulé 19 années d’études à temps plein.

[16]      Dans chacune de ces affaires, l’agente des visas a attribué 22 points sur un nombre maximal de 25 points pour les niveaux d’études. L’agente a appliqué les mêmes principes dans les trois affaires. En prenant la demande de M. Hasan comme exemple, la lettre de refus qu’il a reçue de l’agente précisait ce qui suit :

[traduction] ÉTUDES : Vous avez obtenu 22 points selon la preuve que votre plus haut niveau de scolarité est une maîtrise obtenue dans un établissement postsecondaire reconnu qui équivaut à seize années d’études à temps plein et qui mène à l’obtention de votre diplôme le plus élevé (vos deux maîtrises distinctes). Veuillez noter que vous ne pouvez accumuler davantage d’années d’études en détenant deux diplômes du même niveau.

[17]      L’agente a davantage explicité son raisonnement dans l’affidavit qu’elle a soumis dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de M. Hasan :

[traduction] J’ai examiné les antécédents d’études du demandeur et j’ai conclu qu’aucune de ses deux maîtrises (en commerce et en administration des affaires) ne suivait une ligne de progression menant à l’obtention de l’autre diplôme. Par conséquent, j’ai accordé le nombre maximal de points pour les années d’études qui ont mené à l’obtention de son diplôme le plus élevé (l’une ou l’autre des deux maîtrises distinctes), soit seize années d’études à temps plein et j’ai accordé 22 points pour les études.

[18]      La mention par l’agente des visas du fait que l’un des diplômes ne suivait pas une « ligne de progression » menant à l’obtention de l’autre diplôme est une manière abrégée dans l’administration de dire que, puisque les diplômes doivent être évalués en fonction du diplôme le plus élevé (alinéa 78(3)a)), seules les années d’études requises pour obtenir ce diplôme sont considérées par l’agente. Cela signifie que, comme l’un des diplômes de maîtrise ne constituait pas un préalable à l’obtention de l’autre diplôme de maîtrise, seules les années d’études visant à obtenir l’un des diplômes de maîtrise ont été comptées pour M. Hasan. Le même raisonnement a été appliqué au diplôme en commercialisation de la mode de M. Kabir et au diplôme en programmation informatique de M. Khan, ni l’un ni l’autre de ces diplômes ne constituant un préalable à l’obtention de leur diplôme de maîtrise respectif.

[19]      Les 16 années d’études à temps plein mentionnées par l’agente dans sa lettre à M. Hasan sont la durée requise pour obtenir une maîtrise au Bangladesh, selon l’UNESCO et les autorités scolaires du Bangladesh. Ce devoir de se fier aux autorités du pays découle de la définition de « diplôme » donnée dans le Règlement.

[20]      Dans le cas de M. Hasan, il en résulte, comme dans les deux autres affaires, qu’il n’a pas obtenu 67 points, soit le nombre minimal de points requis pour se voir accorder le visa de résident permanent. Dans chacune des affaires, le demandeur aurait atteint le seuil de 67 points si le nombre maximal de 25 points lui avait été attribué au titre du facteur des études. Bref, les points attribués au titre du facteur des études étaient déterminants pour chacune des demandes de résident permanent des demandeurs.

LES DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DE L’APPEL

[21]      Dans les décisions Khan et Kabir, la juge de la Cour fédérale a statué que, même si les demandeurs de visa avaient étudié pendant plus que les 17 années prévues à l’alinéa 78(2)f) du Règlement, la décision de l’agente des visas de ne considérer que les 16 années requises pour obtenir une maîtrise au Bangladesh était raisonnable. La juge de la Cour fédérale a conclu que ce résultat découlait de l’alinéa 78(3)a), lequel prévoit que le niveau d’études doit être évalué en fonction d’un seul diplôme, de sorte que les demandeurs de visa n’ont droit à aucun point pour une deuxième maîtrise.

[22]      La juge de la Cour fédérale a refusé de suivre une autre décision de la Cour fédérale, McLachlan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 975 (McLachlan), dans laquelle il avait été statué qu’aux termes du paragraphe 78(4) du Règlement, l’agent des visas devait examiner la question de savoir si des circonstances spéciales existaient et, le cas échéant, attribuer le nombre de points correspondant au diplôme obtenu, même si l’agent des visas estimait que le demandeur n’avait pas accumulé le nombre requis d’années d’études. Dans les décisions Kabir et Khan, la juge a préféré l’interprétation du paragraphe 78(4) donnée dans la décision Bhuiya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 878 (Bhuiya), dans laquelle la Cour fédérale a estimé que le paragraphe 78(4) permettait à l’agent des visas d’attribuer au demandeur le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein accumulées par le demandeur. Ainsi, le demandeur auquel 16 années d’études à temps plein auraient été reconnues aurait droit à 22 points, soit le nombre de points attribués à une personne ayant 15 années d’études à temps plein, la durée des études qui correspond le plus au nombre d’années à temps plein attribuées au demandeur, sans l’excéder. En fait, cela est le nombre de points attribués à MM. Khan et Kabir par l’agente des visas.

[23]      Dans la décision Hasan, le juge de la Cour fédérale a refusé de suivre le raisonnement énoncé dans les décisions Khan et Kabir. Le juge a reconnu que l’analyse de la « ligne de progression » utilisée par l’agente des visas constituait une tentative de clarifier le règlement mal rédigé. En dépit de son intention louable, le juge a indiqué qu’il s’agissait de déterminer si cette analyse était étayée par le libellé du Règlement. De l’avis du juge, les deux facteurs mentionnés à l’alinéa 78(2)f) doivent être interprétés de façon disjonctive de sorte que les années d’études à temps plein attribuées à un demandeur ne dépendent pas d’un seul diplôme. Le juge a considéré que l’agente des visas avait l’obligation d’évaluer la demande de M. Hasan en tenant compte de sa deuxième maîtrise et de lui accorder des points pour toutes les années d’études à temps plein, y compris pour la deuxième maîtrise. Si cela était fait, M. Hasan, tout en obtenant théoriquement des points pour une seule maîtrise (la dernière), recevrait des points pour le temps requis pour l’obtention des deux maîtrises et aurait par conséquent droit à 25 points au titre du facteur du niveau d’études. En conséquence, le juge de la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Hasan.

LA QUESTION À TRANCHER

[24]      Je reproduis ci-dessous le texte de la question certifiée, par souci de commodité :

Lors de son attribution des points pour les études en vertu de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas doit-il attribuer des points pour le nombre d’années d’études à temps plein ou pour le nombre d’années d’études équivalentes à temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme qui fait l’objet de l’évaluation?

[25]      Il convient de clarifier quelque peu la question. De même que les points ne sont pas attribués seulement pour les diplômes, ils ne sont pas non plus attribués seulement pour les années d’études. Il s’agit de chercher la relation entre les années d’études et le niveau d’études, laquelle constitue le fondement de l’évaluation. En effet, le présent appel vise à savoir si les agents des visas ne doivent accorder des points que pour les années d’études considérées comme normales par les autorités du pays pour l’obtention du diplôme en cause, ou si les agents peuvent reconnaître d’autres années d’études, eu égard à la « ligne de progression » ou pour une autre raison.

ANALYSE

[26]      Notre Cour a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas est celle de la décision correcte : voir Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 187, au paragraphe 27. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux décisions de l’agente des visas dans les présentes affaires est celle de la décision correcte.

[27]      La question en litige en l’espèce concerne l’interprétation des paragraphes 78(2) et (3) du Règlement. Le premier de ces paragraphes consiste en une liste de diplômes et le nombre d’années d’études à temps plein qui y sont associées, alors que le second énonce la façon dont ces diplômes doivent être évalués. Plus précisément, le paragraphe 78(3) traite de deux questions : en fonction de quel diplôme l’évaluation doit‑elle être effectuée et comment les années d’études à temps plein (ou l’équivalent) doivent‑elles être comptées?

[28]      En fonction de quel diplôme l’évaluation doit‑elle être effectuée? Selon les alinéas 78(3)a) et b), les points sont attribués en fonction d’un seul diplôme, à savoir celui qui procure le plus de points selon la grille.

[29]      Je note en passant que les points ne sont pas attribués en fonction des seuls diplômes. Ils sont attribués en fonction des diplômes et des années d’études. Par conséquent, il faut interpréter le sous‑alinéa 78(3)b)(i) comme s’il disait « les points sont attribués en fonction du diplôme qui procure le plus de points selon la grille, pourvu qu’il ait été satisfait à l’exigence relative au nombre d’années d’études pour ce diplôme ».

[30]      L’alinéa 78(3)a) prévoit que les points ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait qu’il existe plus d’un diplôme. J’estime que cela signifie trois choses. Premièrement, les points qui seraient attribués pour le niveau d’études préalable à un diplôme ne doivent pas être additionnés aux points attribués pour ce diplôme. Cela ressort clairement de la version française du texte, selon laquelle les points ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le demandeur possède plus d’un diplôme.

[31]      Par exemple, seuls les titulaires d’un diplôme d’études secondaires peuvent normalement être admis dans un programme d’études de baccalauréat. L’effet de l’alinéa 78(3)a) est que, lorsque des points sont attribués pour un baccalauréat, on n’additionne pas les points associés au diplôme d’études secondaires (5 points) aux points attribués pour le baccalauréat (de 15 à 20 points). S’il en était autrement, des points seraient comptés deux fois puisque les points attribués pour le diplôme le plus élevé comptent déjà pour le fait qu’il faut d’abord obtenir le diplôme moins élevé.

[32]      Le second point qui ressort de l’alinéa 78(3)a) du Règlement est que l’obtention répétée du même diplôme n’entraîne pas l’attribution de points. Ainsi, une personne titulaire de deux baccalauréats n’a pas droit au nombre maximal de 25 points du fait qu’elle a droit à 20 points pour le premier baccalauréat et à 20 autres points pour le second. Le sous‑alinéa 78(2)e)(ii) prévoit une exception de portée limitée à cette règle pour tenir compte de certaines qualifications professionnelles, telles que le droit, qui requièrent deux baccalauréats.

[33]      Enfin, le fait que le diplôme en fonction duquel l’évaluation est effectuée est celui qui procure le plus grand nombre de points signifie nécessairement qu’il n’est pas tenu compte des diplômes auxiliaires ou supplémentaires. Il n’est tenu compte que du diplôme « le plus élevé ».

[34]      Cette partie de l’analyse n’est pas litigieuse. Tous conviennent que le diplôme le plus élevé détenu par chacun des demandeurs est la maîtrise. Aucun des demandeurs de visa ne prétend avoir droit au nombre maximal de points du fait qu’il est titulaire de deux maîtrises et qu’il a ainsi droit au double des points accordés pour un seul diplôme de maîtrise. Les demandeurs de visa soutiennent toutefois avoir droit au nombre maximal de points parce que, dans le cadre de leurs études, ils ont accumulé plus que le nombre d’années d’études à temps plein précisé à l’alinéa 78(2)f) et qu’ils ont donc droit au nombre maximal de 25 points pour leurs niveaux d’études.

[35]      Ceci conduit à la question de savoir comment évaluer le nombre d’années d’études à temps plein. L’agente des visas n’a attribué aux demandeurs de visa que 16 années d’études à temps plein pour une maîtrise parce que l’UNESCO et les autorités scolaires du Bangladesh ont confirmé qu’il faut normalement 16 années pour obtenir une maîtrise au Bangladesh. Le pouvoir de l’agente des visas d’imposer cette restriction repose sur la définition de « diplôme », que j’ai citée précédemment mais que je reproduis à nouveau par souci de commodité :

73. […]

Définitions

« diplôme » Tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.

« diplôme »
educational credential

[36]      Les mots clés dans cette disposition sont « obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation ». L’agente des visas doit se fier aux autorités du pays non seulement pour savoir quels diplômes sont reconnus dans ce pays, mais aussi pour savoir quel programme d’études conduit à ce diplôme. Par conséquent, l’agente des visas avait le droit, sur le fondement des renseignements fournis par l’UNESCO et confirmés par les autorités du Bangladesh, d’attribuer aux demandeurs de visas 16 années d’études à temps plein relativement à leur maîtrise.

[37]      Cela nous conduit à la question cruciale dans les présentes affaires, à savoir si les demandeurs de visa ont droit à des points pour les années d’études à temps plein qui excèdent les 16 années requises pour obtenir la maîtrise dans leur pays d’origine.

[38]      Selon les demandeurs de visa, il convient de leur reconnaître toutes les années d’études à temps plein complètes qu’ils ont consacrées avec succès pour obtenir un diplôme. À l’appui de cette prétention, ils invoquent le libellé du paragraphe 78(2) du Règlement dans lequel aucun lien de causalité n’est fait entre le diplôme et les années d’études à temps plein. Par exemple, l’alinéa 78(2)f), qui porte sur la maîtrise, est rédigé comme suit :

78. […]

Études (25 points)

(2) […]

f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix-sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

[39]      Les demandeurs de visa font remarquer que la thèse défendue par le ministre exige d’interpréter la disposition comme si elle était rédigée comme suit : [traduction] « de deuxième ou de troisième cycle requérant un total d’au moins dix-sept années ». Si le législateur n’a pas choisi d’utiliser ces mots, disent-ils, la Cour ne devrait pas interpréter la disposition comme s’ils y étaient.

[40]      La prétention des demandeurs de visa revient à dire que, bien que les points ne soient accordés qu’en fonction d’un seul diplôme, le temps consacré à l’obtention d’autres diplômes doit être considéré même si les autres diplômes eux-mêmes ne le sont pas.

[41]      La difficulté c’est que ce point de vue requiert lui aussi que l’on interprète le libellé de la disposition législative de façon à prévoir un certain nombre de restrictions. Par exemple, en plaidoirie, les demandeurs de visa ont reconnu qu’une année d’études à temps plein donnant lieu à un échec, c’est‑à‑dire ne faisant pas progresser l’étudiant vers l’obtention d’un diplôme particulier, ne peut être considéré comme une année d’études à temps plein. Et donc, par exemple, un candidat à la maîtrise qui doit recommencer une année ne peut pas compter cette année comme une année d’études à temps plein. Ce point de vue est raisonnable, mais il prévoit une restriction implicite alors que le libellé du paragraphe 78(2) n’en prévoit par ailleurs pas.

[42]      Une autre restriction implicite peut également être invoquée dans le cas d’années accumulées dans un programme d’études qui est par la suite abandonné. Par exemple, si un candidat avait commencé un programme de maîtrise en ingénierie, terminé avec succès une année d’études dans ce programme, puis changé de programme pour se diriger dans un domaine sans aucun lien, l’inclusion de cette année d’études dans l’évaluation de son niveau d’études ferait entrer en ligne de compte une année d’études sans lien avec le diplôme. Telle ne peut avoir été l’intention du législateur.

[43]      En fin de compte, quel que soit le point de vue adopté, le libellé utilisé pour l’exigence relative au nombre d’années d’études est ambigu et requiert de la Cour qu’elle l’interprète de façon à en restreindre la portée. La question est de savoir quelles sont les restrictions les plus compatibles avec les objectifs du législateur.

[44]      À mon avis, l’exigence que l’évaluation d’un candidat soit en fonction d’un seul diplôme et l’interdiction d’additionner des points permettent de penser que le législateur désirait normaliser l’évaluation des diplômes de sorte que la période pertinente soit le nombre d’années d’études à temps plein (ou l’équivalent) requis normalement pour l’obtention du diplôme le plus élevé en suivant un parcours normal. De cette manière, tous les demandeurs qui sont évalués relativement à un diplôme donné le sont selon les mêmes critères, sans égard à l’endroit où ils ont obtenu leur diplôme.

[45]      C’est le point de vue adopté par la Cour fédérale dans la décision Bhuiya, précitée, aux paragraphes 15 à 19 :

Une telle interprétation du Règlement est conforme à la fois au Guide de l’immigration et aux objectifs de politique générale décrits dans Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (le REIR) qui se rapportent au Règlement.

Premièrement, en ce qui concerne le REIR, la Cour a décidé que bien qu’un REIR ne fasse pas partie du Règlement, il s’agit néanmoins d’un outil utile dans l’analyse des intentions du législateur puisqu’il a été préparé dans le cadre du processus réglementaire; voir par exemple la décision Merck & Co. c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.), et l’arrêt Bayer Inc. c. Canada (Procureur général) (1999), 87 C.P.R. (3d) 293 (C.A.F.).

Dans la présente affaire, l’examen du REIR révèle que la raison pour laquelle on exigeait d’un demandeur qu’il ait à la fois un diplôme particulier et un nombre précis d’années d’études était de favoriser l’adoption de normes uniformes dans l’évaluation des études et de la formation du demandeur, étant donné la variété des systèmes d’éducation et de formation dans le monde.

Le REIR utilise la maîtrise comme exemple; il y est mentionné que pour obtenir le nombre maximal de points pour une maîtrise, le demandeur doit aussi avoir 17 années d’études. En d’autres termes, l’exigence du nombre d’années d’études requises a clairement pour but d’établir des normes minimales pour chaque type de diplôme.

Le fait que Mlle Bhuiya ait pu suivre une année supplémentaire d’études après avoir obtenu sa maîtrise ne transforme pas sa maîtrise de 16 années en une maîtrise de 17 années. [Souligné dans l’original.]

[46]      Voir, dans le même sens, la décision Thomasz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1159, aux paragraphes 24 et 25.

[47]      Dans la décision Hasan, le juge de la Cour fédérale a rejeté le raisonnement de la décision Bhuiya et lui a plutôt préféré l’approche adoptée dans la décision McLachlan, précitée. Dans cette affaire, le juge de la Cour fédérale a résolu la question des années d’études en renvoyant au paragraphe 78(4) du Règlement, que je reproduis ci‑dessous par souci de commodité :

78. […]

(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions.

Circonstances spéciales

[48]      Dans la décision McLachlan, il s’agissait d’un demandeur de visa ayant fait ses « études primaires et secondaires en Écosse » et 2 années de formation postsecondaire à titre d’agent de police. En Écosse, il fallait normalement 11 ans pour obtenir un diplôme d’études primaires et secondaires, mais le demandeur avait recommencé la dernière année afin d’obtenir de meilleures notes. En conséquence, il avait en fait étudié pendant 12 ans au niveau des études secondaires. L’agent des visas lui avait attribué 15 points pour ses études aux termes du sous‑alinéa 78(2)c)(i), qui exigeait « un total de treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein ». Le demandeur prétendait avoir droit à 20 points aux termes du sous‑alinéa 78(2)d)(i), qui exigeait « un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein ». Le juge de la Cour fédérale a annulé l’évaluation de l’agente des visas, tenant le raisonnement suivant (aux paragraphes 31 à 33) :

L’agente d’immigration n’est pas allée au-delà des termes des alinéas 78(2)c) et d) et n’a pas pris en considération la totalité de l’article 78 du Règlement, ni l’économie des dispositions applicables aux travailleurs qualifiés. Elle a axé son analyse sur la totalisation des années d’études effectivement accumulées, sans tenir compte du niveau de scolarité atteint. Ce niveau est habituellement — mais pas toujours — atteint à la suite d’une progression méthodique d’années d’études. Le législateur était conscient de la possibilité qu’il puisse manquer des années d’études dans des cas où le diplôme d’études était valide, et il est question de cette circonstance spéciale au paragraphe 78(4) du RIPR.

La disposition pourrait être mieux formulée, mais elle est quand même assez claire. Si l’on supprime les éléments qui ne concernent pas le demandeur, le texte est le suivant :

[…] si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé [au sous-alinéa] d)(i) […] mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein […] exigé par [ce] sous-alinéa, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’études à temps plein — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans [cette disposition]

L’élément déclencheur du paragraphe 78(4) est l’obtention d’un diplôme. La disposition relative aux circonstances spéciales reconnaît le niveau de scolarité des travailleurs qualifiés qui obtiennent un diplôme authentique, mais sans avoir suivi les années d’études indiquées. Les circonstances spéciales pourraient englober les personnes ayant fréquenté des régimes scolaires nationaux dont les programmes d’études primaires et secondaires sont plus courts qu’au Canada. [Souligné dans l’original.]

[49]      Il en est résulté que le demandeur, qui avait un diplôme mais n’avait pas le nombre requis d’années d’études complètes applicable à ce diplôme, a néanmoins reçu le nombre total de points pour ce diplôme comme s’il avait satisfait à l’exigence relative au nombre d’années d’études.

[50]      À mon avis, la décision McLachlan est erronée et ne devrait pas être suivie. L’interprétation du paragraphe 78(4) adopté par la Cour fédérale dans cette affaire ne peut être avalisée si l’on lit la disposition attentivement.

[51]      Il est vrai, comme le juge de la Cour fédérale l’a noté dans la décision McLachlan, que le paragraphe 78(4) constitue une mesure réparatrice et qu’il est mal rédigé. Si le paragraphe 78(4) est appliqué littéralement, son effet est plutôt punitif. Il prévoit qu’une personne qui tombe sous le coup du paragraphe obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ce sous-alinéa. Si l’on prend comme exemple l’alinéa 78(2)f), il serait attribué 17 points au candidat titulaire d’une maîtrise, mais qui n’aurait pas les 17 années requises d’études complètes, puisqu’il s’agit du nombre d’années mentionné à cet alinéa, ce qui correspond à moins de points que ce que la personne obtiendrait si elle faisait une demande fondée sur un diplôme d’études postsecondaires de deux ans (20 points pour 14 années d’études à temps plein) ou un diplôme d’études postsecondaires de trois ans (22 points pour 15 années d’études à temps plein).

[52]      Comme le paragraphe 78(4) est de nature réparatrice, il est invraisemblable que le législateur ait souhaité ce résultat. Cependant, on ne peut éviter ce résultat en faisant abstraction des mots « correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein » [non souligné dans l’original] dans la disposition, comme le juge de la Cour fédérale dans la décision McLachlan semble l’avoir fait, sur le fondement de la note marginale « Circonstances spéciales » figurant dans la version officielle du Règlement. L’article 14 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, indique clairement que les notes marginales ne font pas partie du texte législatif. Par conséquent, l’interprétation du paragraphe 78(4) qui est énoncée dans la décision McLachlan est entachée d’un vice fatal.

[53]      En résumé, aux termes des paragraphes 78(3) et (4) du Règlement, les demandeurs doivent être évalués en fonction de leur diplôme le plus élevé, sans additionner les points pour les diplômes de même niveau ou de niveau inférieur. Lorsqu’un autre diplôme est requis pour l’obtention du diplôme le plus élevé, les années d’études associées à cet autre diplôme sont incluses dans le programme d’études pour le diplôme le plus élevé établi par les autorités du pays. Lorsque l’autre diplôme n’est pas requis pour l’obtention par le candidat du diplôme le plus élevé, les années d’études qui mènent à ce diplôme ne sont pas additionnées aux années complètes d’études attribuables au diplôme le plus élevé, car la demande du candidat doit être évaluée en fonction d’un seul diplôme.

[54]      Si cette interprétation est correcte, la « ligne de progression » utilisée par les agents des visas pourrait ne pas respecter le régime législatif. Par souci de commodité, je reproduis ci‑dessous les commentaires formulés par l’agente des visas dans l’affidavit qu’elle a soumis relativement à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Hasan à l’égard de sa décision :

[traduction] J’ai examiné les antécédents d’études du demandeur et j’ai conclu qu’aucune de ses deux maîtrises (en commerce et en administration des affaires) ne suivait une ligne de progression menant à l’obtention de l’autre diplôme. Par conséquent, j’ai accordé le nombre maximal de points pour les années d’études qui ont mené à l’obtention de son diplôme le plus élevé (l’une ou l’autre des deux maîtrises distinctes), soit seize années d’études à temps plein, et j’ai accordé 22 points pour les études. 

Cet extrait permet de penser que si l’agente des visas avait conclu que l’une des maîtrises de M. Hasan avait été « dans la ligne de progression » menant à l’obtention de l’autre diplôme, M. Hasan aurait obtenu des points supplémentaires pour ses années d’études. Si j’ai bien compris le raisonnement de l’agente des visas, je dois dire qu’il est erroné. De même qu’il n’est pas possible d’obtenir davantage de points pour avoir terminé des études secondaires avant d’obtenir un baccalauréat, les 12 années consacrées à terminer les études secondaires ne peuvent pas être additionnées aux années d’études associées à l’obtention d’un baccalauréat du fait qu’un diplôme d’études secondaires est dans la ligne de progression menant à l’obtention d’un baccalauréat. Les années requises pour atteindre les niveaux d’études préalables à un diplôme sont déjà comptées dans les années d’études associées à ce diplôme dans le Règlement. Par conséquent, les 17 années d’études associées à une maîtrise à l’alinéa 78(2)f) comprennent les années d’études à temps plein nécessaires pour atteindre les niveaux qui sont requis préalablement à ce diplôme. Aucun autre point n’est accordé pour les années d’études dans la « ligne de progression » menant à l’obtention de ce diplôme.

[55]      Dans le cas des demandeurs de visa, l’agente des visas a conclu, dans chaque cas, que leur demande de visa devait être évaluée en fonction d’une seule maîtrise. L’agente des visas a statué, sur le fondement des renseignements fournis par l’UNESCO et les autorités du pays, qu’il faut normalement 16 années d’études pour obtenir une maîtrise au Bangladesh. Dans chaque cas, l’agente des visas a conclu que le temps consacré par les demandeurs de visa à l’obtention d’autres diplômes ne devait pas compter dans le calcul des années d’études à temps plein de l’appelant, parce qu’aucun de ces diplômes ne constituait un préalable à l’obtention de sa maîtrise. La référence faite par l’agente des visas à l’analyse de la « ligne de progression » ne modifie nullement le résultat. En conséquence, je conclus que l’agente des visas n’a commis aucune erreur dans l’évaluation du niveau d’études du demandeur de visa aux fins de l’article 78 du Règlement.

CONCLUSION

[56]      En conclusion, je rejetterais l’appel dans les décisions Khan et Kabir et j’accueillerais l’appel du ministre dans la décision Hasan. Je répondrais à la question certifiée de la manière suivante :

Lors de son attribution des points pour les études en vertu de l’article 78 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent des visas n’attribue pas des points pour le nombre d’années d’études à temps plein ou pour le nombre d’années d’études équivalentes à temps plein qui n’ont pas contribué à l’obtention du diplôme qui fait l’objet de l’évaluation. En d’autres termes, l’agent des visas doit attribuer des points pour les seules années d’études que les autorités du pays considèrent comme normales pour l’obtention du diplôme en question.

Y ont souscrit : Les juges Sharlow et Stratas, J.C.A.

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