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[2013] 1 R.C.F. 261

IMM-6000-09

2011 CF 519

Henok Aynalem Ghirmatsion (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Snider—Toronto, 6 avril; Ottawa, 5 mai 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui a refusé une demande, présentée depuis l’étranger, de résidence permanente à titre de réfugié — Le demandeur, citoyen de l’Érythrée, a été emprisonné pour avoir refusé de renier ses croyances religieuses — Le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) — Il s’agissait de savoir si l’agente a fait abstraction du statut de réfugié que le HCNUR avait reconnu au demandeur, ainsi que des lignes directrices de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), et si l’agente a tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité — L’agente a commis une erreur en ne tenant aucun compte du statut de réfugié du demandeur, accordé par le HCNUR — Le Guide de traitement des demandes à l’étranger de CIC prévoit que le statut de réfugié reconnu par le HCNUR est un facteur que les agents doivent prendre en considération — Le statut de réfugié accordé au demandeur par le HCNUR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent en l’espèce — L’agente aurait dû expliquer son désaccord avec la décision du HCNUR — L’agente avait l’obligation de tenir compte de la désignation octroyée par le HCNUR — Les conclusions quant à la crédibilité n’étaient pas raisonnables — L’agente avait l’obligation de consulter la preuve documentaire afin d’évaluer la plausibilité et la crédibilité de l’évasion de prison par le demandeur — Il manque aux conclusions relatives à la foi du demandeur les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité — L’agente a commis une erreur en n’examinant pas l’autre motif de persécution en cause —Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui a refusé une demande, présentée depuis l’étranger, de résidence permanente au Canada à titre de réfugié.

Le demandeur, un citoyen de l’Érythrée, est membre de l’Église pentecôtiste. Il a été détenu pendant plus de deux ans, pour avoir refusé de signer une déclaration par laquelle il aurait renié sa religion, lorsque le gouvernement de l’Érythrée a commencé à déployer des efforts dans le but de cibler et de fermer les églises des groupes minoritaires. Le demandeur s’est évadé de prison pendant une tempête de sable et a réussi à obtenir un passeport érythréen qui lui a permis de se rendre en Égypte. Par la suite, le demandeur s’est vu accorder le statut de réfugié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR).

L’agente des visas a conclu que le demandeur n’était pas sincère, qu’il n’a pas fait montre d’une connaissance adéquate de la religion pentecôtiste, qu’il n’a pas fourni de détails satisfaisants sur son emprisonnement, et qu’il était « déraisonnable » qu’une tempête de sable ait pu permettre sa fuite de prison.

Les principales questions à trancher étaient de savoir si l’agente a fait abstraction du statut de réfugié que le HCNUR avait reconnu au demandeur, ainsi que des lignes directrices de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), et si elle a tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité.

  Jugement : la demande doit être accueillie.

L’agente a commis une erreur en ne considérant aucunement le statut du demandeur reconnu par le HCNUR comme étant un facteur pertinent pour sa décision. Les lignes directrices OP 5 du Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP) de CIC renvoient plusieurs fois au HCNUR et aux liens qui existent entre cet organisme et les fonctions d’un agent des visas. Ce guide demande aux agents des visas de tenir compte d’une décision du HCNUR relativement au statut de réfugié d’un demandeur lorsqu’ils statuent sur la recevabilité d’une demande de statut de réfugié au Canada. Même si la reconnaissance du statut de réfugié par le HCNUR n’a pas un caractère déterminant, le Guide OP 5 reconnaît que le HCNUR joue un rôle important et pertinent dans le traitement des demandes selon la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Le statut de réfugié accordé au demandeur par le HCNUR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent. La désignation comme réfugié par le HCNUR était un élément si important de la preuve du demandeur qu’il est possible de déduire du défaut de l’agente de l’avoir mentionnée dans ses motifs qu’elle a rendu sa décision sans en tenir compte. C’était pourtant une question centrale aux fins de la décision. L’agente aurait dû expliquer pourquoi elle ne souscrivait pas à la désignation du HCNUR. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCNUR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte. L’erreur ainsi commise par l’agente constituait un motif suffisant d’infirmation de la décision.

Les conclusions de l’agente, quant à la crédibilité, n’étaient pas raisonnables. Rien ne vient expliquer ce que l’agente a jugé manquer dans la description par le demandeur de sa détention ou dans les réponses qu’il a données sur le sujet. L’agente a également omis d’examiner la preuve documentaire disponible sur les tempêtes de sable en Érythrée afin d’évaluer la plausibilité de l’évasion du demandeur en fonction de ce qui était connu des conditions dans son pays d’origine. Dans une situation comme celle en l’espèce, l’agente avait l’obligation de consulter la preuve documentaire. Les conclusions relatives à la foi du demandeur ne peuvent résister à un examen assez poussé. Il manquait, à cette partie de la décision, les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Enfin, l’agente a commis une erreur en n’examinant pas les motifs additionnels de persécution présentés par le demandeur, c.-à-d. que les autorités érythréennes brutalisent les personnes qui se sont évadées de prison ou qui ont quitté l’Érythrée illégalement. Si le demandeur a mentionné des faits mettant en cause un autre motif de persécution, cet élément de la demande doit toujours être examiné, à moins que l’agent des visas n’ait aussi clairement conclu à son manque de crédibilité.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11(1) (mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 139(1) (mod. par DORS/2004-167, art. 80(F)), 144, 145, 147.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369.

décisions examinées :

Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, [2008] 3 R.C.F. 571; First Green Park Pty. Ltd. c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no 1525 (C.F. 1re inst.) (QL); Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5381 (C.F. 1re inst.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Clifford v. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670 (sub nom. Clifford v. Ontario (Attorney General)), 98 O.R. (3d) 210, 312 D.L.R. (4th) 70, 93 Admin. L.R. (4th) 131; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8137 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL); Ye c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

décisions citées :

Kidane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 520; Weldesilassie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 521; Woldesellasie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 522; Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331; Cekim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 177; Solodovnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1225; Singh c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 931 (C.F. 1re inst.) (QL); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Kamara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 785; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.); Ayyalasomayajula c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 248.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, 13 août 2009, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/op/op05-fra.pdf>.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992, en ligne : <http://www.unhcr.fr/4ad2f7fa383.pdf>.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Manuel de réinstallation. Genève, édition révisée novembre 2004, en ligne : <http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/3f40cd142.pdf>.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Eritrea, avril 2009, en ligne : <http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/49de06122.pdf>

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas qui a refusé une demande, présentée depuis l’étranger, de résidence permanente au Canada à titre de réfugié. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Andrew Brouwer et Timothy Wichert pour le demandeur.

Stephen H. Gold et Alex Kam pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Snider :

I.          Introduction

[1]        Le demandeur, M. Henok Aynalem Ghirmatsion, est un citoyen de l’Érythrée. Il a quitté ce pays en 2006, pour d’abord se rendre au Soudan puis, en 2007, en Égypte. En 2008, le demandeur a présenté depuis l’étranger une demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugié. Dans une lettre datée du 13 septembre 2009 (parfois appelée lettre de refus), une agente des visas (l’agente) de l’ambassade du Canada au Caire, en Égypte, a rejeté cette demande. Le demandeur sollicite l’annulation par la Cour de cette décision. Pour les motifs que je vais maintenant exposer, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

II.         Les dossiers connexes

[2]        Le présent dossier constitue l’une des quatre demandes de contrôle judiciaire instruites ensemble par la Cour. Les trois autres dossiers sont les dossiers de la Cour IMM-6005-09 (Tsegeroman Zenawi Kidane) [Kidane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 520], IMM-6009-09 (Tsegay Kiflay Weldesilassie) [Weldesilassie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 521] et IMM‑6010‑09 (Selam Petros Woldesellasie) [Woldesellasie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 522]. Les quatre dossiers sont représentatifs d’un ensemble de près de 40 dossiers, où ont été introduites des demandes de contrôle judiciaire. Les autres dossiers ont été laissés en suspens en attendant l’issue des quatre dossiers représentatifs. Les éléments communs des quatre dossiers et, si je comprends bien, de l’ensemble des dossiers sont les suivants :

• chaque demandeur d’asile est un citoyen de l’Érythrée;

• chaque demandeur dans le cadre des demandes de contrôle prétend être membre de l’Église pentecôtiste;

• chaque demande de résidence permanente a été rejetée;

• c’est la même agente qui a fait passer des entrevues à tous les demandeurs d’asile et qui a rejeté toutes les demandes de résidence permanente.

[3]        Bien que dans chaque dossier particulier de demande de contrôle judiciaire le demandeur fasse valoir de manière distincte le bien-fondé de la demande en cause, les quatre dossiers retenus ont été jugés représentatifs parce qu’aux termes du demandeur, on y trouvait [au paragraphe 5 de 2011 CF 522] [traduction] « plusieurs tendances dans le processus décisionnel et erreurs nettes qui [étaient] communes à un grand nombre voire à l’ensemble des autres cas ».

[4]        J’insiste toutefois pour dire que la portée de la présente décision s’étend à la seule demande de M. Henok Aynalem Ghirmatsion. Je ne tire aucune conclusion ni ne rends aucune ordonnance qui ait force obligatoire à l’égard de l’un quelconque des autres dossiers. Chaque dossier concerne un ensemble particulier de faits et doit faire l’objet d’un examen et d’une décision distincts. J’entrevois et j’espère toutefois que les décisions dans la présente affaire et les trois autres fourniront des indices aux parties quant à l’issue pouvant être apportée aux autres affaires, laissées en suspens.

III.        Les questions en litige

[5]        Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

1. L’agente a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction du statut de réfugié que le HCR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés] avait reconnu au demandeur, ainsi que des lignes directrices OP 5 [Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, le 13 août 2009] de CIC [Citoyenneté et Immigration Canada] (dont il est traité plus loin)?

2. L’agente a-t-elle tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité en ne tenant pas compte d’éléments de preuve dont elle était saisie, ou en comprenant ou en interprétant mal la preuve?

3. L’agente a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas tous les motifs possibles de persécution?

4. L’agente a-t-elle dérogé à un principe d’équité procédurale en n’admettant pas certains documents présentés par le demandeur?

5. L’agente a-t-elle commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa décision?

6. La décision de l’agente donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité?

IV.       Les affidavits

[6]        Il y a bon nombre d’affidavits dans le dossier dont je suis saisie. J’aimerais d’abord examiner, à titre de question préalable, les questions que soulèvent certains de ces affidavits.

[7]        Le dossier du défendeur renferme un affidavit de l’agente. Cet affidavit est utile pour l’essentiel, l’agente y expliquant le processus ayant conduit à la prise de sa décision. L’agente semble toutefois aussi y expliquer ou compléter les motifs de sa décision, ce qui, à mon avis, n’est pas indiqué. La Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires suivants lorsqu’elle a rejeté une preuve par affidavit semblable dans l’arrêt Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576, paragraphes 46 et 47 :

Des juges de la Cour fédérale ont déjà dit qu’un tribunal ou un décideur ne peut améliorer les motifs donnés au demandeur par le biais d’un affidavit déposé dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire. Dans Simmonds c. M.R.N., 2006 CF 130, la juge Dawson a écrit, au paragraphe 22 :

Je ferais remarquer que le fait d’autoriser les décideurs à compléter leurs motifs après le fait dans des affidavits ne favorise aucunement la transparence du processus décisionnel.

Voir, dans le même sens, Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941, au paragraphe 15; Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, au paragraphe 3; Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185, au paragraphe 13. Toute autre conception de la question aurait pour effet de permettre aux tribunaux de corriger un vice entachant leur décision en déposant des motifs complémentaires sous forme d’affidavit. Agir ainsi revient à demander à l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire de chercher à atteindre une cible mouvante.

[8]        Les motifs de l’agente sont ceux énoncés dans la lettre de décision. On peut également considérer que constituent des motifs les notes consignées par l’agente dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) (se reporter à Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 44). Je ne reconnaîtrai aucune valeur probante à ce qui, dans l’affidavit de l’agente, vise à expliquer ou à compléter les motifs exposés dans la lettre ou dans les notes du STIDI.

[9]        Certains affidavits additionnels, ceux des personnes suivantes, ont été versés par le demandeur au dossier de la demande, déposé auprès de la Cour le 5 février 2010, et au dossier de demande supplémentaire, déposé le 31 août 2010. Les affidavits additionnels déposés par le demandeur sont les suivants :

• Janet Dench (deux affidavits);

• William Griffin;

• Natalia Shchepetova (deux affidavits);

• Tewolde Yohanes.

[10]      Ces affidavits additionnels ont été déposés dans chacun des quatre dossiers actuellement devant la Cour. Le défendeur s’oppose à l’admission de la plupart des affidavits additionnels.

[11]      Il est bien établi en droit qu’on doit se fonder dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sur le dossier dont le décideur était saisi lors de la prise de décision. Il n’est généralement pas permis de présenter des éléments additionnels de preuve documentaire. Le juge de Montigny a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, [2008] 3 R.C.F. 571, aux paragraphes 9 et 10 :

Il est bien établi en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seules pièces qui doivent être considérées sont celles que le décideur avait devant lui […]

La raison d’être de cette règle est bien connue. Autoriser, dans une procédure de contrôle judiciaire, le dépôt de pièces additionnelles dont le décideur n’a pas été saisi aurait pour effet de transformer cette procédure et d’en faire une instance totalement nouvelle. L’objet d’une procédure de contrôle judiciaire n’est pas de dire si la décision d’un tribunal administratif est conforme au droit en termes absolus, mais plutôt de dire si elle est conforme d’après le dossier dont il a été saisi : Chopra, au paragraphe 5; Société Canadian Tire Ltée c. Canadian Bicycle Manufacturers Assn., 2006 CAF 56, au paragraphe 13.

[12]      Il n’est de la sorte généralement pas permis d’introduire une preuve additionnelle sous forme d’affidavits à moins que, parmi les questions à examiner, il n’y ait des allégations de manquement à l’équité procédurale ou de crainte raisonnable de partialité (se reporter, par exemple, à l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331). Dans pareils cas, les affidavits produits doivent porter sur ces seules questions. Une partie ne peut, par exemple, sous prétexte de traiter d’une question d’équité, présenter des opinions et des arguments quant au caractère raisonnable de la décision.

[13]      Je me pencherai d’abord sur les deux affidavits de Mme Dench. Mme Dench occupe le poste de directrice du Conseil canadien pour les réfugiés (le CCR). Elle ne prétend pas être une experte. Dans son premier affidavit, elle décrit le mandat et le rôle du CCR et elle explique en détail comment le CCR en est venu à s’intéresser aux demandes rejetées par l’agente. Cet élément descriptif de l’affidavit n’est pas contre-indiqué. L’affidavit consiste toutefois pour l’essentiel en une critique détaillée des décisions de l’agente dans la présente affaire et dans d’autres. Cet élément du premier affidavit de Mme Dench n’est selon moi d’aucune utilité pour la Cour. Il est constitué presque exclusivement d’opinions ainsi que d’arguments juridiques, ce qui n’a pas à se trouver dans un affidavit. Pour reprendre les termes du juge Richard (plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale) dans la décision First Green Park Pty. Ltd. c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no 1525 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 7 :

[…] un témoin comme [Mme Dench], aussi chevronné soit-il, ne peut pas dans ce contexte fournir des renseignements fondés sur des suppositions, invoquer des arguments juridiques ou tirer des conclusions sur des questions de droit. C’est aux avocats qu’il appartient de débattre du droit et c’est la Cour qui est investie du pouvoir décisionnel.

[14]      Une bonne part de l’affidavit de Mme Dench, en outre, est fondé sur du ouï-dire. Celle-ci n’était présente lors de l’entrevue d’aucun des demandeurs concernés, ni lors de l’entrevue qu’un représentant de l’AMERA [Africa and Middle East Refugee Assistance] a fait passer au demandeur. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pourra juger utiles l’analyse et les opinions de Mme Dench pour améliorer la formation dispensée aux agents des visas et le processus d’évaluation depuis l’étranger des demandeurs d’asile. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, toutefois, cette analyse et ces opinions ne sont ni utiles ni admissibles. Je n’en tiendrai donc pas compte.

[15]      Le deuxième affidavit de Mme Dench fait partie du dossier de demande supplémentaire déposé devant la Cour le 31 août 2010. Cet affidavit renferme aussi pour l’essentiel des opinions, des conclusions juridiques et des arguments additionnels. On semble avoir produit ce nouvel affidavit pour démontrer par des « faits » additionnels le caractère arbitraire du processus décisionnel suivi par l’agente et, peut-être, pour étayer l’allégation de crainte raisonnable de partialité. Mme Dench donne des renseignements sur d’autres décisions défavorables rendues par l’agente, et critique ces décisions de façon détaillée. Il n’est pas indiqué de produire pareilles opinions, qui ne sont d’aucune utilité pour la Cour lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision particulière.

[16]      Mme Dench mentionne en outre deux affaires où l’agente est revenue sur son rejet initial de demandes d’asile. Or, je ne suis saisie ni de l’un ni de l’autre dossiers. Dans la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5381 (C.F. 1re inst.), on avait soumis au juge Joyal un argument semblable d’arbitraire, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant rendu des décisions apparemment contradictoires. Le juge Joyal avait rejeté cet argument et formulé les commentaires suivants (aux paragraphes 24 et 26) :

Malheureusement, je ne suis pas saisi de cette autre affaire et je ne suis pas non plus en position de décider si la décision est correcte ou erronée. Il se pourrait très bien que sur la base du critère approprié, la décision attaquée soit correcte et que l’autre soit erronée. D’ailleurs, les deux décisions pourraient, cela se conçoit, être erronées.

[…]

La Cour doit éviter toute tentative d’être amenée à évaluer les deux décisions. La décision en l’espèce est la seule dont je suis saisi et, à cet égard, je dois exercer mon contrôle à son sujet conformément aux critères habituels.

[17]      Je fais miens les commentaires du juge Joyal et refuse de tirer une déduction ou une conclusion quelconque des faits qu’on m’a présentés. Le deuxième affidavit de Mme Dench ne sera pas pris en compte.

[18]      Le deuxième affidavit versé au dossier supplémentaire est celui de M. Yohanes. Celui-ci y répond censément à certaines parties de l’affidavit de l’agente. M. Yohanes n’est pas un expert, mais bien plutôt un citoyen canadien qui est arrivé au Canada en provenance de l’Érythrée en 2003. Se fondant sur ce qu’il a lui-même vécu ou ce qu’il a ouï dire, il émet des opinions qui contredisent les conclusions de l’agente relativement : a) aux tempêtes de sable en Érythrée, b) au rapport garde-prisonniers, et c) à la possibilité d’obtenir un passeport d’une ambassade de l’Érythrée à Khartoum. J’ai reconnu une faible valeur probante à cet affidavit.

[19]      M. William Griffin est le conseiller des Assemblées de la Pentecôte du Canada (les ADPC); il travaille pour les ADPC depuis 30 ans. Comme titres universitaires, il a notamment obtenu un diplôme de pastorale sacerdotale de l’Eastern Pentecostal Bible College, un baccalauréat ès arts de la University of Toronto, une maîtrise ès arts de la University of Saskatchewan, une maîtrise en théologie du Lutheran Theological Seminary et un doctorat en pastorale sacerdotale de la Trinity Evangelical Divinity School. Les ADPC sont un organisme cadre qui compte plus de 1 000 églises pentecôtistes au Canada et 350 missionnaires œuvrant dans 50 pays. À l’échelle mondiale, les ADPC sont membres de la Pentecostal World fellowship.

[20]      Étant donné sa longue expérience au sein des ADPC et sa formation universitaire, M. Griffin, à n’en pas douter, a les qualités requises pour faire part à la Cour de son opinion d’expert sur la foi pentecôtiste et la pratique du pentecôtisme dans le monde.

[21]      M. Griffin n’a pas été contre-interrogé à l’égard de son affidavit.

[22]      J’estime que l’affidavit de M. Griffin est d’utilité pour la Cour et doit être admis dans la présente instance. La foi pentecôtiste est un élément central de la présente demande de contrôle judiciaire et des trois autres. Ce qu’allègue le demandeur, c’est que les conclusions tirées quant à cette foi par l’agente étaient déraisonnables et découlaient d’une mauvaise compréhension, ou connaissance, de la pratique du pentecôtisme en Érythrée. Je ne suis par une spécialiste de la religion pentecôtiste (ou de toute autre), et M. Griffin fournit l’information dont la Cour a besoin pour évaluer si l’appréciation par l’agente de la foi du demandeur était raisonnable. Je suis également convaincue que l’admission de l’affidavit n’a pas causé préjudice au défendeur, étant donné que celui-ci a eu l’occasion de contre-interroger M. Griffin à son égard et qu’il aurait pu demander l’autorisation à la Cour, s’il l’avait jugé nécessaire, de présenter un affidavit en réponse.

[23]      Mme Natalia Shchepetova est assistante juridique au cabinet des avocats du demandeur. Son deuxième affidavit figure dans le volume 2 du dossier du demandeur, volume qui renferme des documents utilisés en commun pour les quatre demandes de contrôle. Ce deuxième affidavit a pour seul objet de présenter à la Cour une preuve documentaire additionnelle. L’agente n’était pas saisie de cette preuve, qui n’est pas pertinente aux fins du présent contrôle judiciaire et qui ne sera pas prise en compte par la Cour.

V.        La situation du demandeur

[24]      Dans la présente partie des motifs, je vais brièvement exposer la situation du demandeur telle qu’il l’a lui-même décrite. Il s’agit de la version des faits du demandeur, principalement énoncée dans le récit joint à sa demande; je ne tire aucune conclusion quant à la véracité du récit ou quant au bien-fondé de sa revendication.

[25]      Le demandeur est né le 11 novembre 1979 à Asmara, en Érythrée. Il a été élevé dans la foi chrétienne orthodoxe, mais il s’est converti au pentecôtisme en 1997.

[26]      Le 20 octobre 1997, le demandeur a commencé à faire son service militaire obligatoire à Sawa; on l’a assigné à une unité de construction. Pendant son service, le demandeur a étudié la Bible avec d’autres chrétiens pentecôtistes qui recevaient leur formation militaire. Un supérieur a surpris une fois le groupe. Les membres du groupe se sont fait confisquer leurs Bibles et ils ont reçu un avertissement. Ils n’ont pas cessé dès lors et de plus en plus de faire l’objet de harcèlement et de sanctions de la part de leurs supérieurs; ils ont notamment été mis en détention.

[27]      En mai 2002, le gouvernement de l’Érythrée a commencé à déployer des efforts concertés pour cibler et fermer les églises des groupes minoritaires, y compris celles des pentecôtistes et des chrétiens « regénérés ». On a enjoint au demandeur de signer une déclaration, par laquelle il aurait renié sa religion, et de promettre de ne plus la pratiquer. Le demandeur a refusé. Il a été arrêté et détenu pendant plus de deux ans, soit d’octobre 2003 à juillet 2006.

[28]      Le 7 juillet 2006, le demandeur avait été envoyé effectuer des travaux de ferme lorsqu’a soudainement débuté une forte kasmin, ou violente tempête de sable. Le demandeur et un ami ont saisi l’occasion pour s’enfuir. Ils ont marché pendant huit jours, jusqu’à ce qu’ils aient atteint la ville de Kessala, au Soudan. Ils ont alors pris un autobus à destination de Khartoum, où le demandeur a pu obtenir un passeport érythréen avec l’aide d’un oncle qui savait qui il fallait soudoyer.

[29]      Le demandeur s’est rendu au Caire, en Égypte, une année et demie plus tard. Il a continué à y pratiquer sa religion au sein de la communauté pentecôtiste.

[30]      En 2009, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) a reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

VI.       L’entrevue du demandeur

[31]      Le 13 septembre 2009, l’agente a fait passer une entrevue au demandeur en anglais et en tigrina, avec l’aide d’un interprète. Il n’existe aucune transcription de l’entrevue. L’agente a pris des notes à l’ordinateur pendant l’entrevue, puis elle les a versées dans le STIDI le jour même.

[32]      Les affidavits de l’agente (signé le 5 septembre 2010) et du demandeur (signé le 11 février 2011) donnent des précisions sur la teneur de l’entrevue. J’hésite cependant à prêter foi à la description faite dans ces affidavits de l’entrevue tenue en 2009, étant donné le temps écoulé entre celle-ci et la signature des affidavits.

[33]      En l’espèce (comme dans les autres affaires instruites en même temps), une source additionnelle d’information est cependant disponible. Après que sa demande eut été rejetée, le demandeur a retenu l’attention d’une organisation connue sous le nom d’Africa and Middle East Refugee Assistance (l’AMERA). Cette organisation se décrit elle-même comme étant une organisation de défense des droits des réfugiés, qui est reconnue au Royaume-Uni et qui aide les réfugiés demandant l’asile en Égypte. À ce titre,

[traduction] L’AMERA fait passer des entrevues aux personnes dont les demandes ont été rejetées par des ambassades, pour établir si elle peut ou non les aider à obtenir la révision des décisions défavorables.

[34]      Le 13 octobre 2009, un représentant de l’AMERA a fait passer au demandeur une entrevue, au cours de laquelle celui-ci a donné des précisions sur l’entrevue passée le mois précédent avec l’agente. Les notes de l’entrevue de l’AMERA sont jointes à l’affidavit du demandeur. Ces notes, rédigées peu de temps après l’entrevue du demandeur avec l’agente, l’ont été à une date s’en rapprochant davantage que les commentaires formulés dans les affidavits tant de l’agente que du demandeur. J’admets qu’il m’est difficile d’évaluer la fiabilité des notes de l’entrevue de l’AMERA. Ces notes constituent vraisemblablement le reflet fidèle, selon moi, des questions posées et des réponses données lors de cette entrevue. Je ne puis toutefois en arriver à une même conclusion quant au récit alors fait par le demandeur de son entrevue avec l’agente. C’est après le rejet de sa demande que le demandeur a passé son entrevue avec l’AMERA, et ce rejet a pu influer sur ses souvenirs. Je ne sais pas si on avait muni le demandeur d’instructions avant qu’il passe son entrevue avec l’AMERA, ni s’il avait rencontré d’autres demandeurs qui avaient subi un rejet. Mais, malgré mes réserves, je ne puis faire abstraction de la situation du demandeur : celui-ci est un demandeur d’asile qui, à l’étranger, ne dispose pas d’un avocat non plus que des divers systèmes de protection de ses droits dont il bénéficierait au Canada. Comment le demandeur pourrait-il faire état de sa situation, si ce n’est par l’entremise de l’AMERA? J’admettrai les notes de l’AMERA en de telles circonstances, d’importantes réserves pouvant toutefois influer sur la valeur probante à leur reconnaître.

VII.      La décision à l’examen

[35]      Dans sa lettre de refus datée du 13 septembre 2009, l’agente a énoncé comme suit ses motifs de rejet de la demande :

[traduction] J’ai examiné votre demande et soupesé avec soin tous les facteurs pertinents, et je ne suis pas convaincue, n’étant pas certaine de votre sincérité à l’entrevue, que vous soyez membre d’une des catégories réglementaires. Je ne suis pas convaincue que vous vous soyez véritablement converti au pentecôtisme. Votre connaissance de cette religion n’[était] pas celle à laquelle on s’attendrait d’une personne qui la pratique et qui lit la Bible depuis 12 ans. Vous n’avez pu fournir assez d’information sur le pentecôtisme pour me convaincre de votre adhésion à cette religion. Vous n’avez pu non plus me donner des précisions suffisantes sur votre emprisonnement. En outre, le récit de votre évasion n’est pas vraisemblable; il serait déraisonnable de croire qu’une tempête de sable vous ait permis de vous enfuir de prison. Comme je ne vous estime pas crédible, je ne puis conclure que vous correspondez à la définition d’une personne de pays d’accueil ou d’un réfugié au sens de la Convention, ni que vous n’êtes pas interdit de territoire. Vous ne répondez donc pas aux exigences de [l’alinéa 139(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés].

[36]      Si je comprends bien le paragraphe précédent, l’agente a fait les observations ou tiré les conclusions suivantes au sujet du demandeur :

1. le demandeur n’était pas sincère;

2. il n’a pas fait montre d’une connaissance adéquate de la religion pentecôtiste;

3. les détails fournis par lui sur son emprisonnement n’étaient pas satisfaisants;

4. le récit de la fuite de prison du demandeur n’a pas été cru par l’agente, qui a jugé « déraisonnable » qu’une tempête de sable ait pu permettre cette fuite.

[37]      Bien qu’elle ne l’ait pas exprimé clairement, l’agente n’a manifestement pas cru que le demandeur ait été détenu ou ait été de religion pentecôtiste. C’est le caractère raisonnable ou non de l’analyse sous-jacente qui permettra de décider si ces deux conclusions clés doivent être maintenues.

[38]      Je l’ai dit lorsque j’ai abordé la question des affidavits : j’examine les motifs constitués par la lettre de refus et par notes du STIDI. Les parties des notes du STIDI figurant dans les présents motifs ont été transcrites de la manière la plus fidèle possible à l’original.

[39]      Quels motifs additionnels tirés des notes du STIDI pourraient étayer les conclusions clés de l’agente?

1. L’absence de sincérité — Absolument rien dans les notes du STIDI ne permet d’expliquer pourquoi l’agente a estimé que le demandeur n’était « pas sincère ».

2. Les précisions sur la détention — Dans son récit (joint à sa demande), le demandeur a longuement décrit sa détention. Les notes du STIDI font voir que l’agente a posé quelques questions générales sur la détention du demandeur. Le seul sujet d’intérêt exprimé par l’agente avait trait au mode d’évasion du demandeur.

3. La tempête de sable — Selon les notes du STIDI, le demandeur a fourni les détails suivants sur son évasion :

[traduction]

EN MAI, JUIN ET JUILLET, C’EST UNE PÉRIODE DE GROSSES TEMPÊTES. IL FAIT TRÈS SOMBRE, VOUS NE POUVEZ PAS VOIR LA PERSONNE QUI SE TIENT À CÔTÉ DE VOUS. MON AMI ET MOI AVONS PENSÉ À NOUS ENFUIR; NOUS TRAVAILLIONS À LA FERME CE JOUR-LÀ ET, LORSQUE LA TEMPÊTE S’EST LEVÉE, NOUS NOUS SOMMES ENFUIS DANS SA DIRECTION […]

D’après les notes du STIDI, l’agente n’a posé aucune question complémentaire au sujet de la tempête de sable.

4. La religion pentecôtiste — Le demandeur a mentionné sa religion lors de son entrevue. L’agente a décrit comme suit dans les notes du STIDI l’échange entre elle-même et le demandeur sur la religion de ce dernier :

[traduction]

POURQUOI AVEZ-VOUS QUITTÉ L’ÉRYTHRÉE? PARCE QUE JE SUIS DE FOI PENTECÔTISTE, J’AI ÉTÉ DÉTENU DE 2003 JUSQU’EN JUILLET 2006.

[…] QUAND ÊTES-VOUS DEVENU PENTECÔTISTE? J’ÉTAIS ORTHODOXE EN 1994. JE SUIS DEVENU PENTECÔTISTE EN 1997 LORSQUE J’AI FAIT MON SERVICE MILITAIRE. EN 1994, C’ÉTAIT LA PREMIÈRE FOIS QU’ON ME PARLAIT DE LA BIBLE.

COMMENT VOUS ÊTES-VOUS CONVERTI? CERTAINS DE MES AMIS ÉTAIENT PENTECÔTISTES EN 1997, ET CE QU’ILS M’ONT DIT M’A CONVAINCU.

QUE VOUS ONT DIT VOS AMIS? ILS M’ONT PARLÉ DE JÉSUS-CHRIST.

J’AI POSÉ PLUSIEURS QUESTIONS SUR LA RELIGION PENTECÔTISTE.

Décrivez-moi votre façon de prier? LE CHEF NOUS DIT QUOI FAIRE, PUIS NOUS LE FAISONS.

Quelles fêtes les pentecôtistes célèbrent-ils? PÂQUES, NOËL ET LA PENTECÔTE.

Pourquoi vous êtes-vous converti? IL N’Y A PAS DE MENTORS, ET JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST.

[40]      Bref, on ne peut tirer grand-chose des notes du STIDI à titre de motifs additionnels du refus.

VIII.     Le cadre légal

[41]      Il peut être utile de donner au lecteur un bref aperçu des dispositions légales et réglementaires applicables à la présente demande.

[42]      En vertu du paragraphe 11(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), tout étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander la délivrance d’un visa. Un agent d’immigration peut délivrer le visa sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme à la LIPR.

[43]      Le demandeur a présenté sa demande de visa à titre de membre d’une catégorie de personnes désignée — dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement IPR) — soit la « catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ». La demande de visa a été présentée et traitée en application du paragraphe 139(1) [mod. par DORS/2004-167, art. 80(F)] et des articles 144 et 145 du Règlement IPR. Le texte intégral du paragraphe 11(1) de la LIPR et des dispositions pertinentes du Règlement IPR est reproduit à l’annexe A des présents motifs.

[44]      Les personnes dans la même situation que le demandeur peuvent également obtenir le statut de résidents permanents si elles sont considérées être membres de la « catégorie de personnes de pays d’accueil », définie à l’article 147 du Règlement IPR.

[45]      En résumé, pour être admissible à la réinstallation au Canada en application du paragraphe 139(1) et des articles 144 et 145 du Règlement IPR, une personne :

• doit répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention;

• doit se trouver hors du Canada; et

• à son égard, ne doit être réalisable dans un délai prévisible aucune autre possibilité raisonnable de solution durable, comme

○ le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle avait sa résidence habituelle;

○ la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays.

IX.       La norme de contrôle judiciaire

[46]      Les six questions soulevées dans la présente affaire ont trait 1) à une allégation d’avoir fait défaut de prendre en compte la preuve, 2) à la crédibilité, 3) à une allégation d’avoir fait défaut d’examiner tous les motifs possibles de persécution, 4) à la question de savoir si la décision était suffisamment motivée, 5) à une allégation de crainte raisonnable de partialité, et 6) à une allégation de manquement à l’équité procédurale.

[47]      Premièrement, l’appréciation de la preuve et la valeur probante à reconnaître à chacun de ses éléments sont des questions de fait qui relèvent du domaine d’expertise du décideur, et qui appellent la raisonnabilité comme norme de contrôle (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)). La Cour, lorsqu’elle contrôle une décision en fonction de la norme de raisonnabilité, doit s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La décision devra ainsi être maintenue, à moins qu’elle n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[48]      Deuxièmement, les questions de crédibilité nécessitent habituellement de trancher des questions de fait ou mixtes de fait et de droit. Les conclusions quant à la crédibilité commandent de la sorte la norme de raisonnabilité (Cekim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 177, au paragraphe 10).

[49]      Troisièmement, le défaut d’un agent d’examiner tous les motifs de persécution constitue une question de droit, et c’est par conséquent la décision correcte qui lui est applicable comme norme de contrôle (Solodovnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1225, au paragraphe 10; Singh c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. n° 931 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 14; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 90).

[50]      Quatrièmement, en ce qui concerne les motifs de l’agente, dans le récent arrêt Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670 [sub nom. Clifford v. Ontario (Attorney General), 98 O.R. (3d) 210] (Clifford), le juge Goudge, de la Cour d’appel de l’Ontario, a clairement affirmé (au paragraphe 22) que la décision correcte s’appliquait comme norme de contrôle à la question de savoir si une décision était suffisamment motivée :

[traduction] Lorsqu’en raison du devoir d’équité procédurale un tribunal administratif a l’obligation juridique d’énoncer les motifs de sa décision, la question dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si cette obligation a été respectée. La cour de révision ne peut faire preuve de retenue face au choix du tribunal de motiver ou non sa décision. Elle doit s’assurer que le tribunal s’est bien conformé à son obligation juridique. La cour doit examiner ce qu’a fait le tribunal et décider s’il y a ou non conformité. Dans la langue du contrôle judiciaire, la norme utilisée par la cour est la décision correcte.

[51]      Cinquièmement, la question soulevée par le demandeur quant à savoir si la décision de l’agente donne lieu à une crainte raisonnable de partialité appelle la décision correcte comme norme de contrôle (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 90; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 42).

[52]      Enfin, la question de savoir si l’agente a manqué au devoir d’équité procédurale en n’admettant pas et en n’examinant pas les documents soumis par le demandeur commande la décision correcte comme norme de contrôle (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 90).

[53]      Le survol ayant été fait de la question de la norme de contrôle applicable, je procéderai maintenant à l’analyse des questions en litige.

X.        Le défaut de prise en compte de certains facteurs ou éléments de preuve

A.        Le statut reconnu par le HCR

[54]      Le HCR a reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention, comme en fait foi la « carte bleue » délivrée le 31 août 2009. Si je comprends bien, la carte d’identité bleue atteste que son porteur a fait l’objet d’une évaluation individuelle et est officiellement reconnu en tant que réfugié par cet organisme de l’ONU. Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne considérant aucunement le statut reconnu par le HCR comme étant un facteur pertinent pour sa décision.

[55]      Pour bien s’acquitter de ses responsabilités, l’agente peut recourir comme guide aux lignes directrices OP 5, Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, de Citoyenneté et Immigration Canada, datées du 13 août 2009 (le Guide OP 5 ou les lignes directrices). Le Guide OP 5 renvoie plusieurs fois au HCR et aux liens qui existent entre cet organisme et les fonctions d’un agent des visas. Y est exposé comme suit, à la section 6.53, le contexte général dans lequel s’inscrit la relation entre CIC et le HCR :

Le HCR est un organisme humanitaire et non politique dont le mandat est de protéger les réfugiés et de promouvoir des solutions à leurs problèmes. Ces solutions peuvent comprendre le rapatriement volontaire, l’intégration locale et, dans des cas exceptionnels, le réétablissement dans un tiers pays.

Les bureaux locaux du HCR repèrent des personnes qui ont besoin d’un réétablissement et les recommandent aux bureaux des visas. Le Manuel de réinstallation du HCR dont tous les bureaux des visas ont un exemplaire présente, en détail, les facteurs dont le HCR tient compte lorsqu’il recommande le réétablissement de réfugiés. L’agent devrait connaître ces facteurs. On peut consulter le Manuel sur le site Web du HCR : http://www.unhcr.org.

Le HCR est un partenaire très important dans l’exécution du programme de réadaptation du Canada. Des relations de travail solides entre les bureaux des visas du Canada et les bureaux locaux du HCR sont essentielles à la réussite du programme. Les agents doivent veiller à ce que leur bureau local du HCR comprenne le programme de réadaptation du Canada et ne pas hésiter à demander qu’on leur recommande des cas pertinents.

[56]      Dans sa version actuelle publiée le 13 août 2009, le Guide OP 5 renvoie en outre les agents des visas au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Genève, réédition janvier 1992] et au Manuel de réinstallation [Genève, édition révisée novembre 2004], deux documents du HCR qui fournissent une interprétation détaillée de la définition d’un réfugié au sens de la Convention (se reporter à la note figurant à la section 6.6 du Guide OP 5). Par ailleurs, la section 13.3 du Guide OP 5 prévoit qu’une décision du HCR relativement au statut de réfugié d’un demandeur d’asile est un facteur à prendre en considération par l’agent des visas du Canada lorsqu’il statue sur la recevabilité de la demande.

[57]      Il n’est fait aucune mention dans les notes du STIDI non plus que dans la décision du statut reconnu au demandeur par le HCR. Je conviens que la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR n’a pas un caractère déterminant; l’agente avait pour mandat d’évaluer la crédibilité du demandeur et d’établir le bien-fondé de sa demande au regard des lois canadiennes applicables. Selon le Guide OP 5, néanmoins, le HCR joue un rôle important et pertinent lorsqu’il s’agit de traiter les demandes selon la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. À mon avis, le statut de réfugié accordé au demandeur par le HCR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent. Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.), le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) avait affaire au défaut d’un décideur d’examiner un document pertinent qui concernait le demandeur de manière fort personnelle. Le juge Evans a alors énoncé le principe suivant fréquemment cité (au paragraphe 17) :

[…] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[58]      La désignation comme réfugié par le HCR était un élément si important de la preuve du demandeur qu’il est possible de déduire du défaut de l’agente de l’avoir mentionnée dans ses motifs qu’elle a rendu sa décision sans en tenir compte. C’était pourtant une question centrale aux fins de la décision. Face à un demandeur reconnu comme réfugié par le HCR, l’agente aurait dû expliquer dans son évaluation de la demande pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte. Or, faute pour un agent des visas d’avoir expliqué pourquoi il n’a pas souscrit à une désignation du HCR, la Cour n’a aucun moyen de savoir si cet élément de preuve d’une grande pertinence a été pris en compte.

[59]      L’erreur ainsi commise par l’agente constitue un motif suffisant d’infirmation de la décision. Je le répète, toutefois, la reconnaissance par le HCR du statut de réfugié n’a pas un caractère déterminant; il incombait toujours à l’agente d’évaluer par elle-même la preuve dont elle était saisie, y compris la preuve concernant le statut de réfugié du HCR.

B.        Le défaut d’évaluer la recevabilité en conformité avec le Guide OP 5

[60]      Comme je l’ai dit, l’agente a rejeté la demande du demandeur parce qu’elle n’a pas jugé le demandeur crédible. Plus précisément, elle n’a pas cru a) qu’il était pentecôtiste, ni b) qu’il avait été détenu. Le demandeur soutient que l’agente n’a pas évalué s’il répondait à la définition d’un réfugié au sens de la Convention, et lui reproche plus particulièrement de ne pas avoir suivi expressément les étapes prévues à la section 13.3 du Guide OP 5.

[61]      Selon la section 13.3 du Guide OP 5, les agents des visas devraient suivre les cinq étapes qui y sont présentées sous forme de tableau, des étapes qui peuvent être résumées comme suit :

1. se reporter à la définition de réfugié au sens de la Convention outre-frontières à la section 6.6;

2. se reporter à la définition de persécution à la section 6.37;

3. déterminer si un demandeur pourrait avoir été persécuté et s’il a une « crainte fondée »;

4. examiner les autres sources;

5. consulter les sections 13.9 à 13.14 pour évaluer la capacité à s’établir de l’intéressé.

[62]      Si je comprends bien son argument, ce dont le demandeur se plaint principalement, c’est que l’agente n’a pas pris en compte et évalué les « ressources documentaires disponibles » (se reporter à la section 13.3 du Guide OP 5, étape 3) lors de l’examen de sa demande d’asile.

[63]      Le Guide OP 5 établit des lignes directrices; on ne doit pas considérer qu’il a « force de loi ». L’agente n’avait pas à traiter expressément de chacune des étapes qui y sont décrites (se reporter à la décision Kamara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 785, au paragraphe 31). Elle disposait à la section 13.3 du Guide OP 5 d’un schéma destiné à l’aider dans sa prise de décision. Il est normal toutefois de s’attendre à pouvoir constater sur le fond, dans la décision d’un agent des visas, que celui-ci a suivi de manière générale les étapes mentionnées à la section 13.3 pour tirer ses conclusions tant en ce qui concerne la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières que celle des personnes de pays d’accueil.

[64]      Le problème soulevé par l’argument du demandeur sur ce point, c’est qu’il fait abstraction du fait que la décision de l’agente reposait sur une conclusion de manque de crédibilité. Autrement dit, l’agente ne croyait pas que le demandeur était pentecôtiste ni qu’il avait été détenu. En outre, selon la preuve présentée à l’agente, le demandeur avait quitté l’Érythrée muni d’un visa de sortie valide. De la sorte, une preuve documentaire relative à la persécution des pentecôtistes en Érythrée ainsi qu’au traitement des détenus et des personnes ayant quitté illégalement l’Érythrée était sans pertinence. Par conséquent, si les conclusions quant à la crédibilité sont défendables, je conclurai que l’agente n’a pas commis d’erreur en ne mentionnant pas chacune des étapes décrites à la section 13.3.

XI.       Le caractère raisonnable des conclusions quant à la crédibilité

A.        La détention du demandeur

[65]      Je l’ai dit, la conclusion déterminante de l’agente en l’espèce avait trait à la crédibilité. L’une des deux conclusions tirées à ce sujet par l’agente était qu’elle ne croyait pas en la détention du demandeur, principalement suivant sa constatation générale que le demandeur n’avait pu donner sur cette détention des détails qu’elle aurait jugés satisfaisants. Or, absolument rien ne vient expliquer ce que l’agente a jugé manquer dans la description par le demandeur de sa détention ou dans les réponses qu’il a données sur le sujet. Il n’est pas fait état dans les notes du STIDI de questions sur la détention auxquelles le demandeur aurait été incapable de répondre. Rien ne justifie la constatation générale de l’agente.

[66]      La question de la détention du demandeur comporte comme second volet la déduction de l’agente voulant que le demandeur n’ait pas pu s’enfuir pendant une tempête de sable.

[67]      Cette conclusion avait un caractère raisonnable et logique, selon le défendeur, et il n’était pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, de tirer du témoignage du demandeur une déduction ou une conclusion défavorable. En outre, soutient le défendeur, l’agente n’était pas tenue de fonder ses conclusions sur une preuve « objective » (Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8137 (C.F. 1re inst.) (Gonzalez)). La juge Sharlow (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Gonzalez, précitée, au paragraphe 26 :

L’avocat de la demanderesse plaide que la SSR n’a pas correctement évalué la conduite de la demanderesse en fonction des circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée, mais a plutôt émis une hypothèse quant à savoir ce qu’une autre personne aurait fait à sa place, pour ensuite présumer que l’hypothèse en question constituait la seule façon d’agir possible. Il affirme que la SSR a de ce fait appliqué une norme entièrement déraisonnable à la conduite de la demanderesse, ce qui a donné lieu à la même erreur que celle relevée dans l’affaire Giron c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.) et dans l’affaire Cardenas c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (20 février 1998), IMM-1960-67, (C.F. 1re inst.). Il fait observer à juste titre qu’il n’existe aucune preuve objective au dossier relative à l’« idéal » mis de l’avant par la SSR. Cela peut être comparé par opposition aux cas dans lesquels, par exemple, la plausibilité du récit du demandeur du statut de réfugié est évalué en fonction de ce qui est connu des conditions dans le pays d’où provient le demandeur. [Non souligné dans l’original.]

[68]      En l’espèce toutefois, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire soumise à la juge Sharlow, le récit du demandeur aurait pu être évalué en fonction de ce qui était connu des conditions dans son pays d’origine. La preuve documentaire renfermait des renseignements sur la fréquence et les caractéristiques des tempêtes de sable en Érythrée. L’agente aurait aussi pu demander au demandeur de donner davantage d’explications et de renseignements sur ce point.

[69]      Quand on lui a demandé en contre-interrogatoire comment elle en était venue à sa conclusion sur la tempête de sable survenue le 7 juillet 2006 à Sawa, en Érythrée, l’agente a déclaré qu’elle n’avait disposé d’aucun élément de preuve permettant d’établir le fait allégué (contre-interrogatoire d’AnnMarie McNeil, les 22 et 23 mars 2011, Q587). L’erreur commise par l’agente, selon moi, a consisté à ne pas examiner la preuve documentaire disponible afin d’évaluer la plausibilité du récit du demandeur en fonction de ce qui était connu des conditions dans son pays d’origine. Dans une situation comme celle en l’espèce, l’agente avait l’obligation de consulter la preuve documentaire pour apprécier la crédibilité du récit du demandeur.

[70]      Il est de droit constant que les agents des visas peuvent tirer des conclusions en se fondant sur des déductions et sur ce qui est plausible. La Cour d’appel fédérale a toutefois déclaré ce qui suit dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (QL), au paragraphe 33 :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.):

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

[71]      Les agents des visas doivent veiller à ne pas juger des actions non vraisemblables en fonction des normes canadiennes; ces actions pourraient en effet devenir plausibles lorsqu’envisagées compte tenu du [traduction] « milieu du demandeur d’asile » (Ye c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 584 (C.A.) (QL)). Il semble qu’en l’espèce l’agente ait évalué la question des tempêtes de sable en fonction de ce qui serait plausible au Canada, en faisant abstraction de la preuve concernant le milieu du demandeur.

[72]      Bien que la ligne de démarcation entre la déduction et l’hypothèse soit difficile à tracer, je conclus que c’est du côté de l’hypothèse que penche en l’espèce la conclusion de l’agente quant à la plausibilité.

B.        La religion pentecôtiste

[73]      Comme je l’ai déjà mentionné, l’agente n’a pas cru que le demandeur était de foi pentecôtiste. Cette conclusion de l’agente semble avoir eu pour fondement les quelques questions dont font état les notes du STIDI. Il n’y est mentionné dans ces notes que trois questions bien simples auxquelles le demandeur a répondu de manière tout aussi simple. Il n’y a pas eu de questions complémentaires, non plus que de questions sur la connaissance par le demandeur de la Bible ou de la doctrine pentecôtiste ainsi que de la pratique du pentecôtisme en Érythrée.

[74]      En raison des réponses du demandeur aux questions posées, l’agente a conclu que sa connaissance de la religion pentecôtiste n’était pas [traduction] « celle à laquelle on s’attendrait d’une personne qui la pratique et qui lit la Bible depuis 12 ans ».

[75]      En général, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile qui s’est converti à une autre religion d’une manière qui a transformé sa vie ait une connaissance étendue de sa foi nouvelle. Et il ne serait pas déraisonnable de mettre en doute la sincérité de la foi d’un tel demandeur si, à un ensemble assez exhaustif de questions et de questions complémentaires, il n’apportait que des réponses fort élémentaires. Le problème que me pose la décision à l’examen, toutefois, c’est que je ne suis pas en mesure de savoir quelles questions l’agente a posées. L’agente a inscrit dans les notes du STIDI la remarque générale suivante : [traduction] « J’AI POSÉ PLUSIEURS QUESTIONS SUR LA RELIGION PENTECÔTISTE ». Seulement deux questions sont toutefois mentionnées, et aucune question complémentaire ne semble avoir été posée. Sur le fondement des questions et des réponses en cause, je ne puis comprendre ce qui, dans les connaissances du demandeur, pouvait bien être déficient.

[76]      Les conclusions relatives à la foi du demandeur, tout simplement, ne peuvent résister à un examen assez poussé (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748). Pour employer une terminologie concordant avec celle de l’arrêt Dunsmuir, précité, il manque à cette partie de la décision les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité.

C.        La conclusion quant à la crédibilité

[77]      Bien que les questions de crédibilité appellent la raisonnabilité comme norme de contrôle, la Cour n’a pas à « respecter aveuglément » en l’espèce les conclusions de l’agente en la matière. La Cour suprême a en effet déclaré ceci dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 48 :

C’est [la déférence] à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations […] La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente. Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » […] [Non souligné dans l’original.]

[78]      La Cour ne peut conclure, après avoir porté une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui auraient pu être donnés par l’agente en l’espèce, que ces motifs étaient raisonnables.

XII.      La décision était-elle suffisamment motivée

[79]      Le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas motivé suffisamment sa décision. Comme la présente demande sera accueillie, la décision étant jugée être déraisonnable, je n’énoncerai que de brefs commentaires sur cette partie des allégations du demandeur.

[80]      En vue d’établir si une décision a été suffisamment motivée, il faut d’abord se demander s’il existait une obligation juridique de donner des motifs. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker) [précité], la Cour suprême du Canada a établi que, en certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale imposait à un tribunal administratif de motiver sa décision. Les deux parties semblent reconnaître qu’en l’espèce, l’agente avait l’obligation de motiver sa décision de rejeter les demandes d’asile. Je conviens également qu’il y a lieu de conclure, en appliquant les critères énoncés dans l’arrêt Baker, précité, que la formulation de motifs était ici nécessaire.

[81]      Il faut ensuite se demander en quoi consistaient les motifs de l’agente.

[82]      L’agente a envoyé une lettre de refus de deux pages où certains motifs étaient énoncés quant au rejet de la demande du demandeur. Les motifs ne se limitaient pas, en l’espèce, toutefois, à ceux formulés dans la lettre. Le défendeur insiste sur le fait que le dossier d’une affaire ainsi que le contexte fournissent parfois de l’information sur ce qui a motivé la décision d’un décideur. Je suis du même avis. Les motifs s’inscrivent dans un contexte plus général. L’information satisfaisant aux objectifs plus haut mentionnés peut provenir de diverses sources. Des éléments extrinsèques, comme des notes au dossier du décideur ou d’autres documents versés au dossier, peuvent ainsi étoffer ou préciser les motifs oraux ou écrits du décideur. Même lorsque aucun motif n’a été donné, les éléments extrinsèques peuvent suffire lorsqu’on peut les considérer exprimer le fondement de la décision. L’arrêt Baker, précité, fournit un bon exemple, où la Cour suprême a conclu que le fondement de la décision se trouvait exprimé adéquatement dans des notes figurant dans le dossier administratif. Dans l’arrêt Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129 (Hill), également, il était question (au paragraphe 101) du rôle des éléments extrinsèques lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision est suffisamment motivée.

[83]      Dans les affaires comme celles qui nous occupent, un agent des visas consigne ses notes dans le STIDI. En l’espèce, l’agente a consigné les notes tirées de l’entrevue avec le demandeur presque immédiatement après la tenue de cette entrevue. Les notes du STIDI ont été versées au dossier certifié du tribunal (le DCT). Je conclus qu’ensemble, la lettre de refus et les notes consignées au STIDI par l’agente satisfont à l’obligation de donner des motifs qui découle du devoir d’équité procédurale. La lettre et les notes seront considérées être les motifs de la décision. D’autres éléments versés au DCT pourront aussi éclairer le contexte dans lequel la décision a été rendue.

[84]      Le défendeur a produit un affidavit de l’agente dont certaines déclarations pourraient paraître ajouter aux motifs de la décision ou les expliquer. Pour les raisons que j’ai déjà exposées lorsque j’ai traité de l’affidavit de l’agente, ces motifs additionnels ou explicatifs, formulés quelque 12 mois après la décision, ne font pas partie des motifs visés par le présent contrôle.

[85]      Il reste enfin à trancher la question de savoir si les motifs que renferment les notes du STIDI et la lettre de refus suffisent et si, par conséquent, l’obligation d’équité procédurale est ainsi respectée. C’est le cas, selon moi.

[86]      La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Hill (précité, au paragraphe 100) :

La question est de savoir si les motifs permettent une véritable révision en appel et si le « besoin fonctionnel [des parties] d’être informé[es] » des motifs de la décision du juge de première instance a été comblé. Le critère applicable est fonctionnel : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, par. 55.

[87]      Bien qu’il se soit agi dans l’arrêt Hill, précité, d’une affaire pénale, le principe général énoncé est également applicable à la décision dont je suis saisie. Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (VIA Rail), la Cour d’appel fédérale a apporté les précisions qui suivent (au paragraphe 19), dans le contexte d’un décideur administratif :

[…] les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d’appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l’organisme d’appel ou de révision d’établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d’examen fondée sur la retenue.

[88]      Il importe de se rappeler que ce qui constitue une décision suffisamment motivée est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque affaire (VIA Rail, précité, au paragraphe 21). Il ne conviendrait pas dans le cas d’un agent des visas, selon moi, de soumettre ses motifs à la même norme que celle exigée dans une affaire pénale ou dans une affaire portée devant un décideur quasi judiciaire (comme l’Office national des transports). Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême a conclu (au paragraphe 44) que les notes manuscrites d’un agent d’immigration suffisaient pour que soit remplie l’obligation de donner des motifs. La juge L’Heureux-Dubé a conclu de la sorte tout en faisant observer que les cours de révision devaient évaluer l’obligation d’équité « tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale » (Baker, précité, au paragraphe 44). Comme l’a déclaré le juge Goudge dans l’arrêt Clifford, précité, au paragraphe 30 : [traduction] « la question essentielle est de savoir s’il ressort des motifs que le tribunal s’est attaqué au fond de la question ».

[89]      Au regard de cette norme, l’agente a motivé suffisamment sa décision. L’agente a expliqué quelles parties du témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles. Les motifs permettent à tout le moins au demandeur de savoir sur quelles conclusions s’est fondé le rejet de sa demande. L’agente n’a pas cru tout particulièrement que le demandeur avait été détenu ou qu’il était pentecôtiste. Les motifs derrière ces deux conclusions étaient que l’agente n’avait pas cru en la fuite du demandeur lors d’une tempête de sable, et qu’elle n’avait pas cru le demandeur capable de répondre à des questions élémentaires sur sa religion. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, j’estime que la décision était suffisamment motivée.

[90]      Le problème, bien sûr, c’est que la décision est déraisonnable. En d’autres termes, ce qui est en cause ici, ce n’est pas de savoir si la décision est suffisamment motivée ou non, ce qui obligerait la Cour à évaluer les motifs sur le plan fonctionnel pour établir si le fondement de la décision est intelligible. Selon moi, la question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est plutôt de savoir si, sur le fond, la décision et les motifs peuvent être maintenus. Comme l’a fait remarquer le juge Goudge dans l’arrêt Clifford, (précité, au paragraphe 32), [traduction] « [c]ette tâche diffère fortement de l’évaluation, sur le plan fonctionnel, de la question de savoir si la décision est suffisamment motivée ». Pour les motifs exposés dans d’autres sections de la présente décision, je conclus que la décision à l’examen ne peut être maintenue compte tenu des normes de contrôle applicables. Pour ce qui est toutefois de la question, de portée plus restreinte, de savoir si les motifs exposés suffisent pour que soit respectée l’obligation de l’agente de motiver sa décision, je conclus que c’est le cas.

XIII.     Documents du demandeur

[91]      Dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente demande, le demandeur a mentionné qu’il avait tenté de présenter d’autres documents à l’agente lors de son entrevue :

[traduction] À mon entrevue, j’ai demandé [à l’agente] d’admettre et d’examiner nombre de documents que j’avais apportés au soutien de ma cause, y compris des lettres de recommandation provenant des églises pentecôtistes fréquentées par moi dans le passé […] ainsi que de mon église actuelle au Caire […] J’ai aussi tenté de lui remettre un périodique de mon église au Caire où était publié l’un de mes poèmes, ma carte bleue du HCR, ma pièce d’identité et mon certificat pour le service militaire national en Érythrée et bon nombre de photos. L’agente a refusé d’admettre mes documents et même de les regarder.

[92]      Le demandeur soutient que l’agente a enfreint les règles d’équité procédurale en refusant d’admettre et d’examiner ces documents. Les documents décrits semblent avoir trait à des éléments centraux de la demande d’asile, soit que le demandeur était un chrétien pentecôtiste et un réfugié du HCR et qu’il avait accompli son service militaire.

[93]      Si cela s’est réellement produit, j’estime tout comme le demandeur qu’il y a eu manquement aux règles d’équité procédurale — une erreur susceptible de contrôle.

[94]      Dans son affidavit signé le 5 septembre 2010, soit près d’un an après la tenue de l’entrevue, l’agente n’a fait aucune mention de documents additionnels. Elle ne fait aucune allusion non plus à de tels documents dans les notes du STIDI.

[95]      Il n’est toutefois pas facile de discerner exactement quels documents ont été présentés à l’agente lors de l’entrevue. Dans son dossier de demande, le demandeur a inclus une lettre datée du 28 septembre 2009 (environ deux semaines après le refus) où il a déclaré qu’au cours de son entrevue, il avait [traduction] « apporté les documents suivants pour prouver que je suis véritablement converti à la foi pentecôtiste ». Le demandeur a ensuite énuméré les documents en cause. Il ne ressort toutefois pas clairement de la lettre si ces documents ont bien été présentés à l’agente lors de l’entrevue, ou si le demandeur les avait tout simplement avec lui.

[96]      Le 13 octobre 2009, un représentant de l’AMERA a fait passer une entrevue au demandeur. Selon les notes prises à cette entrevue, le demandeur avait [traduction] « apporté beaucoup de documents », qu’il avait tenté de remettre à l’agente, qui avait toutefois [traduction] « refusé de les prendre ». Il n’est aucunement précisé dans les notes de quels documents exactement il était alors question.

[97]      Le défendeur n’a pas contre-interrogé le demandeur à l’égard de son affidavit. L’ensemble du dossier fait toutefois voir que sur ce point certains éléments du témoignage sous serment du demandeur sont sujets à caution.

[98]      Je conclus selon la prépondérance de la preuve, bien que certains doutes subsistent en la matière, que le demandeur a tenté de présenter des documents additionnels à l’agente, qui les a refusés. Il est toutefois plus difficile de discerner de quels documents il s’agissait exactement. Bref, si l’agente a pu commettre une erreur en refusant d’admettre certains documents, le demandeur ne m’a pas convaincue que les documents en cause étaient bien ceux mentionnés dans sa lettre du 28 septembre 2009. Je conclurais donc que toute erreur ayant pu être commise n’a pas eu une grande incidence sur la décision finale rendue sur la demande d’asile.

XIV.     Les autres motifs de persécution

[99]      L’agente s’est penchée sur un seul motif de persécution en l’espèce, soit la persécution fondée sur les croyances religieuses.

[100]   Or, le demandeur soutient également craindre d’être persécuté, comme il l’a déclaré dans son récit, en raison de sa fuite de prison et de sa sortie illégale de l’Érythrée. L’agente aurait commis une erreur, selon lui, en n’examinant pas ces motifs additionnels de persécution. Le demandeur estime qu’il y a tout lieu de croire, d’après la preuve documentaire, que les autorités érythréennes brutalisent les personnes qui se sont enfuies de prison ou qui retournent en Érythrée après avoir quitté ce pays illégalement.

[101]   Comme le font voir les notes du STIDI, l’agente a interrogé le demandeur au sujet de sa fuite de prison. Il semble toutefois qu’aucune question n’ait été posée au demandeur quant à son départ de l’Érythrée, qu’il a prétendu être illégal. L’agente a confirmé ce fait lors du contre-interrogatoire à l’égard de son affidavit.

[102]   Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit aux pages 745 et 746 :

Le motif additionnel a finalement été accepté par l’appelant pendant les plaidoiries. Je remarque que le Guide du HCNUR, à la p. 17, paragraphe 66, précise qu’il n’incombe pas au demandeur d’identifier les motifs de persécution. Il incombe à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies; habituellement, il y a plus d’un motif (idem, paragraphe 67). [Non souligné dans l’original.]

[103]   Le défendeur soutient que, d’après son témoignage, l’agente n’a pas jugé le demandeur crédible et que, de la sorte, elle n’avait pas à examiner tous les motifs de persécution pertinents. Cela serait juste si a) les conclusions quant à la crédibilité étaient raisonnables, et b) si ces conclusions faisaient clairement obstacle à tous les autres motifs de persécution.

[104]   Je reconnais que, en général, lorsque est tirée une conclusion défavorable quant à la crédibilité (si elle est raisonnable et prend en compte la preuve), le décideur n’a pas à examiner la demande d’asile plus avant. Si, par exemple, l’agent des visas conclut qu’un demandeur d’asile n’a jamais été emprisonné, il s’ensuit que ne pourra être accueillie la demande de ce dernier fondée sur la crainte d’un retour en prison. Si toutefois le demandeur a mentionné des faits mettant en cause un autre motif de persécution, cet élément de la demande doit toujours être examiné, à moins que l’agent des visas n’ait aussi clairement conclu à son manque de crédibilité.

[105]   Abstraction faite de ma conclusion antérieure selon laquelle les conclusions quant à la crédibilité n’étaient pas raisonnables, je vais maintenant me pencher sur les motifs énoncés et les conclusions tirées par l’agente. En l’espèce, l’agente n’a pas cru que le demandeur ait jamais été détenu. L’agente, toutefois, ne semble avoir aucunement examiné si le demandeur avait quitté l’Érythrée illégalement, et ce, malgré la description par ce dernier de son départ et malgré la preuve documentaire relative au risque couru par ceux qui avaient quitté l’Érythrée illégalement. Cela est confirmé par l’extrait suivant du contre-interrogatoire de l’agente (contre-interrogatoire d’AnnMarie McNeil, les 22 et 23 mars 2011, Q603-609) :

[traduction]

Q. Lorsque vous avez évalué le cas d’Henok, de M. Ghirmatsion, […] disposiez-vous d’éléments de preuve plus récents ou plus crédibles contredisant la preuve ou les lignes directrices du HCR, ou laissant croire que cet organisme s’était trompé sur le risque couru par les demandeurs d’asile de retour au pays après l’avoir quitté illégalement?

[…]

R. Non, je n’en avais pas.

Q. Et vous avez convenu que rien dans les notes du STIDI ou la lettre de refus ne laissait croire que vous ayez examiné la crainte de persécution du demandeur fondée sur le départ illégal de son pays; est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous n’avez pas évalué ce risque?

R. Non.

[106]   Il était loisible à l’agente d’examiner cet autre motif de persécution et de le rejeter; ce n’est toutefois pas ce qu’elle a fait. Elle n’a aucunement expliqué pourquoi elle n’avait pas évalué le risque en cause. Le défendeur demande à la Cour de reconnaître que l’agente n’avait pas à se pencher sur ces autres risques puisqu’elle n’avait pas jugé crédible le récit du demandeur. Ce n’est toutefois pas pour cette raison que l’agente n’a pas examiné ces autres motifs de persécution. Elle n’a pu fournir aucune explication. C’était là une erreur susceptible de contrôle qui justifierait, en soi, l’annulation de la décision de l’agente.

[107]   Le défendeur a en outre fait valoir que le demandeur ne pouvait se fabriquer lui-même une cause de crainte de persécution donnant ouverture au droit d’asile (Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.)). Je n’estime toutefois pas que se trouvent dans la même situation, d’un côté, le demandeur d’asile qui a fui son pays pour un motif particulier de persécution et, par suite, est désormais la cible d’un autre motif de persécution et, d’un autre côté, le demandeur d’asile qui a quitté son pays alors qu’il n’y courait aucun risque, uniquement pour se fabriquer lui-même une situation donnant ouverture au droit d’asile. Quitter l’Érythrée illégalement constitue un risque attesté (les UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Eritrea [lignes directrices du HCR pour la protection internationale des demandeurs d’asile de l’Érythrée] (avril 2009)). La Cour suprême a déclaré que plus d’un motif de persécution pouvait être applicable à un même réfugié, et qu’il n’incombait pas au demandeur, mais bien à l’agent, de déterminer quels sont les motifs de persécution (Ward, précité, aux pages 751 et 752).

[108]   L’agente a commis une erreur en n’examinant pas l’autre motif de persécution en cause, et cette seule erreur justifie d’annuler sa décision.

XV.      La crainte raisonnable de partialité

[109]   Le demandeur fait valoir que la décision de l’agente donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Cette allégation se fonde, si je comprends bien l’argumentation du demandeur, sur l’ensemble de dossiers constitué par sa revendication et par les autres revendications en instance de contrôle judiciaire. Il se dégage des entrevues menées par l’AMERA un certain nombre de souvenirs et de sujets personnels d’inquiétude communs à tous les demandeurs d’asile, y compris le demandeur.

[110]   Lors des entrevues menées par l’agente, certains demandeurs d’asile ont ressenti chez elle, de par son discours et son comportement, de l’hostilité envers les pentecôtistes. Fait particulièrement pertinent, certains demandeurs d’asile ont mentionné que l’agente s’était déclarée être catholique, ce qui soulevait des doutes sur son impartialité.

[111]   Le demandeur attire également l’attention sur le grand nombre de demandes que l’agente a rejetées.

[112]   Le juge de Grandpré a énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 (Committee for Justice), à la page 394, le critère de la crainte de partialité constamment appliqué depuis lors. M’inspirant des mots employés par le juge de Grandpré (et de ceux des nombreux autres qui l’ont suivi), j’exposerai comme suit les éléments servant à évaluer si pèse une crainte raisonnable quant à la partialité d’un décideur :

• La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.

• Le critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

• La personne qui se penche sur la prétention de partialité doit être raisonnable et la crainte de partialité même doit être raisonnable compte tenu des circonstances de l’affaire.

• La personne raisonnable doit être bien informée et au fait de tous les facteurs pertinents.

• Il faut démontrer l’existence d’une réelle probabilité de partialité; un simple soupçon ne suffit pas.

• La conclusion de crainte raisonnable de partialité est entièrement tributaire des faits.

• Le seuil quant à la possibilité de tirer une pareille conclusion est très élevé.

• C’est à la personne qui allègue la partialité qu’incombe le fardeau de démontrer son existence.

• En l’absence de preuve contraire, il y a lieu de présumer l’impartialité du décideur (Ayyalasomayajula c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 248, au paragraphe 15).

[113]   Une preuve montrant le rejet par l’agente de toutes ou presque toutes les demandes d’asile d’Érythréens aurait contribué à étayer l’argument du demandeur. La preuve dont je suis saisie ne va toutefois pas dans ce sens. Lorsqu’on l’a interrogée relativement à son affidavit, l’agente a déclaré qu’elle traitait environ 600 demandes d’asile d’Érythréens chaque année. De ce nombre, selon son [traduction] « estimation approximative », elle avait accepté quelque 400 demandes chaque année, dont de 150 à 200 environ avaient été présentées par des pentecôtistes. Le demandeur peut toujours ergoter sur les nombres, mais il n’en demeure pas moins que l’agente a admis un nombre important de demandeurs pentecôtistes de l’Érythrée appartenant à la catégorie des réfugiés outre-frontières. Cela seul me suffit pour rejeter l’argument de crainte raisonnable de partialité avancé par le demandeur.

[114]   Il semble que le demandeur (et d’autres membres du groupe de demandeurs) aient trouvé que le comportement de l’agente était hostile et que celle-ci les avait interrogés de manière assez agressive. J’admets — sur la foi de l’affidavit du demandeur et des notes prises lors de l’entrevue de l’AMERA — que les techniques d’entrevue de l’agente laissaient peut-être à désirer. Cela ne peut cependant pas en soi donner lieu à une crainte raisonnable de partialité.

XVI.     Conclusion

A.        Résumé de la décision

[115]   Pour en revenir aux questions soulevées au début des présents motifs, je conclus que l’agente a commis les erreurs susceptibles de contrôle suivantes :

1. l’agente a commis une erreur en faisant abstraction du statut de réfugié octroyé au demandeur par le HCR;

2. il manquait à la conclusion de l’agente quant à la crédibilité les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et cette conclusion était donc déraisonnable;

3. l’agente a commis une erreur en n’évaluant pas le risque de persécution que courrait le demandeur s’il retournait en Érythrée après avoir quitté ce pays illégalement.

[116]   Je terminerai le présent résumé en exposant comme suit mes autres conclusions :

1. l’agente n’a pas commis d’erreur en ne suivant pas et en ne mentionnant pas explicitement les étapes mentionnées à la section 13.3 du Guide OP 5;

2. bien que l’agente ait commis une erreur en refusant d’admettre certains documents présentés à l’entrevue, je ne suis pas convaincue que, dans les circonstances, ce défaut ait constitué une erreur susceptible de contrôle;

3. les motifs de l’agente (les notes du STIDI et la lettre de refus) satisfaisaient à l’obligation de l’agente de motiver sa décision;

4. le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision de l’agente donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[117]   La décision sera annulée.

B.        Les mesures de réparation

[118]   Le demandeur sollicite diverses mesures de réparation allant au-delà du renvoi à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Comme il est déclaré dans le [traduction] « Nouveau mémoire des arguments des demandeurs » (des observations communes aux quatre demandes de contrôle judiciaire), le demandeur sollicite les mesures suivantes :

[traduction] Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler les décisions de l’agente des visas dans les quatre « causes types », en renvoyant dans chaque cas l’affaire à un décideur chevronné, ailleurs qu’au bureau des visas du Caire, pour qu’il rende une nouvelle décision dans les 60 jours sur la recevabilité de la demande. Si la décision sur la recevabilité devait être favorable, les demandeurs demandent en outre que la vérification des antécédents soit effectuée dans les 30 jours qui suivent, puis qu’un visa soit délivré dans un autre délai de sept jours.

[119]   Je suis disposée à annuler les décisions et, dans chaque cas, à renvoyer l’affaire à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision. Je suis également disposée à ordonner que le demandeur puisse présenter les autres documents qu’il estime nécessaires au soutien de sa demande. Je ne suis toutefois pas disposée à décerner l’ordonnance précisément sollicitée par le demandeur en l’espèce.

[120]   C’est au défendeur ou à son représentant qu’il revient d’établir qui est le mieux placé pour rendre la nouvelle décision. Je crois que les présents motifs pourront être utiles à quiconque aura pour tâche d’examiner à nouveau l’affaire, mais il n’y a pas lieu de préciser que l’agent des visas concerné devra être un [traduction] « décideur chevronné », tout particulièrement parce que je n’ai aucune idée de ce que cela voudrait dire.

[121]   Je comprends bien que, si le demandeur demande que le nouvel agent des visas se trouve ailleurs qu’au Caire, c’est par crainte que l’agente en l’espèce puisse influer indûment sur le processus décisionnel. Mais le nouvel agent sera tenu de par la loi de procéder à une analyse nouvelle et indépendante; il (ou elle) ne pourra se fonder sur la décision ou les conseils de l’agente. Je m’attends à ce qu’au bureau du Caire on veillera à mettre en place une procédure, ou j’imagine qu’une procédure y existe déjà, qui garantira l’indépendance du processus décisionnel. Je ne vois pas la nécessité d’en faire explicitement une obligation dans tout jugement ou toute ordonnance.

[122]   Les autres réparations sollicitées ont trait à la fixation de délais. Je ne suis pas disposée à fixer des délais pour l’une quelconque des étapes ultérieures. Comme toutefois il est incertain si le demandeur pourra demeurer longtemps en Égypte, et vu la gravité des risques qu’il pourrait courir advenant son retour en Érythrée, je m’attends à ce que la nouvelle décision soit rendue rapidement et à ce que les mesures de suivi, s’il en est, soient prises sans retard. S’il devait y avoir manque de diligence, un de mes collègues accepterait sans doute, dans les circonstances appropriées, de décerner une ordonnance de mandamus.

C.        Les dépens

[123]   Le demandeur sollicite l’octroi des dépens dans le présent dossier et les trois autres dossiers connexes. Le demandeur pourra présenter de nouvelles observations relatives aux dépens d’ici le 27 mai 2011. Il devra s’agir d’observations conjointes pour les quatre dossiers connexes, d’une longueur maximale de dix pages. Les observations devront aussi préciser le montant total des dépens demandés, dans chacun des dossiers ou pour les quatre dossiers réunis. Le défendeur pourra répondre au plus tard le 9 juin 2011 aux observations du demandeur sur les dépens.

D.        Les prochaines étapes

[124]   Je l’a dit au début des présents motifs, le demandeur est l’un parmi une quarantaine de demandeurs se trouvant dans des situations semblables. Dans des motifs de jugement et jugements rendus en même temps que les présents motifs et jugement, j’ai conclu qu’il fallait aussi accueillir les demandes de contrôle judiciaire pour les trois affaires instruites en même temps que la présente. Comme je l’ai fait d’entrée de jeu dans les présents motifs, j’insiste pour dire que la présente décision ne concerne que la demande particulière présentée par M. Henok Aynalem Ghirmatsion. Je ne tire aucune conclusion ni ne rends aucune ordonnance qui ait force obligatoire à l’égard de l’un quelconque des dossiers restants. Chaque dossier concerne un ensemble particulier de faits et doit faire l’objet d’un examen et d’une décision distincts. J’espère toutefois que les présents motifs permettront aux avocats des divers demandeurs et du défendeur d’en arriver à une entente sur l’issue à apporter à toutes les demandes restantes du groupe ou à certaines d’entre elles.

[125]   À la fin de l’audience, les parties se sont dites intéressées à participer avec moi à une conférence et de discuter des prochaines étapes. Si les parties continuent de juger utile la tenue d’une telle conférence, je les convie à en faire la demande par l’entremise du greffe de la Cour.

E.        La certification d’une question

[126]   Ni l’une ni l’autre partie ne propose de question de portée générale en vue de sa certification. J’estime également qu’aucune question n’a à être certifiée.

F.         Observations finales

[127]   Pour conclure, j’aimerais remercier les avocats pour le professionnalisme dont ils ont fait preuve tout au long de l’étape préalable à l’audience et lors de l’audience. Les parties ont vu leurs intérêts défendus de la meilleure manière possible. En outre, le respect témoigné par les avocats pour leur rôle d’officiers de la justice a aidé à assurer le bon déroulement de l’instance.

JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2. Le demandeur pourra présenter à l’agent des visas nouvellement désigné tout document additionnel qu’il estime être pertinent quant à sa demande.

3. Le demandeur pourra présenter de nouvelles observations relatives aux dépens d’ici le 27 mai 2011. Il devra s’agir d’observations conjointes pour les quatre dossiers connexes, d’une longueur maximale de dix pages. Les observations devront en outre préciser le montant total des dépens demandés. Le défendeur devra répondre au plus tard le 9 juin 2011 aux observations du demandeur sur les dépens; la réponse sera d’un maximum de dix pages.

4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

ANNEXE A

Dispositions légales pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Visa et documents

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger se trouve hors du Canada;

b) il a présenté une demande conformément à l’article 150;

c) il cherche à entrer au Canada pour s’y établir en permanence;

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

f) selon le cas :

(i) la demande de parrainage du répondant à l’égard de l’étranger et des membres de sa famille visés par la demande de protection a été accueillie au titre du présent règlement,

(ii) s’agissant de l’étranger qui appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays source, une aide financière publique est disponible au Canada, au titre d’un programme d’aide, pour la réinstallation de l’étranger et des membres de sa famille visés par la demande de protection,

(iii) il possède les ressources financières nécessaires pour subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille visés par la demande de protection, y compris leur logement et leur réinstallation au Canada;

g) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans une province autre que la province de Québec, lui et les membres de sa famille visés par la demande de protection pourront réussir leur établissement au Canada, compte tenu des facteurs suivants :

(i) leur ingéniosité et autres qualités semblables pouvant les aider à s’intégrer à une nouvelle société,

(ii) la présence, dans la collectivité de réinstallation prévue, de membres de leur parenté, y compris celle de l’époux ou du conjoint de fait de l’étranger, ou de leur répondant,

(iii) leurs perspectives d’emploi au Canada vu leur niveau de scolarité, leurs antécédents professionnels et leurs compétences,

(iv) leur aptitude à apprendre à communiquer dans l’une des deux langues officielles du Canada;

h) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans la province de Québec, les autorités compétentes de cette province sont d’avis que celui-ci et les membres de sa famille visés par la demande de protection satisfont aux critères de sélection de cette province;

i) sous réserve du paragraphe (3), ni lui ni les membres de sa famille visés par la demande de protection ne sont interdits de territoire.

[…]

Exigences générales

144. La catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

Catégorie

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

[…]

Qualité

147. Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

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