A-223-04
2005 CAF 199
Le procureur général du Canada et Mel Cappe (appelants)
c.
Le commissaire à l'information du Canada (intimé)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juges Desjardins, Noël et Malone, J.C.A.--Ottawa, 4 et 27 mai 2005.
Accès à l'information -- Appel d'une décision de la Cour fédérale statuant que le commissaire à l'information a compétence pour contraindre à la production d'une note de service contenant un avis juridique lorsqu'il mène une enquête, conformément à l'art. 36(2) de la Loi sur l'accès à l'information -- Plainte relative au défaut par le Bureau du Conseil privé (BCP) de fournir les copies demandées des agendas quotidiens du premier ministre -- Le BCP a demandé un avis juridique au sujet des demandes, et cet avis lui a été fourni sous la forme d'une note de service contenant un avis juridique -- Sur réception d'un subpoena ordonnant au greffier du BCP de comparaître pour subir un interrogatoire, le BCP a transmis certains documents demandés, mais a refusé de produire la note de service contenant l'avis juridique, invoquant le privilège du secret professionnel de l'avocat -- La juge des demandes a adopté une interprétation libérale et fondée sur l'objet de la disposition -- Elle s'est fondée sur l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (Ethyl) -- L'art. 36(2) fait échec à toute revendication du privilège du secret professionnel liant un avocat à son client, en ce qu'il habilite le commissaire à l'information à examiner le document et à vérifier si l'exception est revendiquée à juste titre -- Le présent litige porte sur des documents autres que ceux qui sont demandés, mais qui sont considérés comme pertinents pour l'enquête de l'intimé -- Dans Ethyl, les documents étaient secondaires et dataient d'avant la demande d'accès à l'information; ils n'avaient pas été créés dans le but de permettre à l'institution fédérale de répondre adéquatement à la demande d'information, comme en l'espèce -- Le fait que le commissaire à l'information se serve de ses pouvoirs pour obtenir la note de service confidentielle contenant l'avis juridique porte atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat d'une manière qui n'est pas nécessaire à la réalisation des fins de la loi habilitante -- L'art. 36(2) doit être interprété d'une manière restrictive afin de ne donner accès à des renseignements confidentiels que lorsque cela s'avère absolument nécessaire à l'exercice du pouvoir législatif -- La note de service contenant l'avis juridique a été expressément établie en vue de fournir un avis juridique sur les demandes d'accès à l'information -- La juge des demandes a commis une erreur en adoptant une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, qui fait abstraction du principe selon lequel le secret professionnel de l'avocat est un droit substantiel qui est distinct de n'importe quelle règle de preuve.
Pratique -- Communications privilégiées -- Le BCP a refusé de communiquer une note de service contenant un avis juridique établie après la réception des demandes d'accès à l'information -- Le privilège du secret professionnel de l'avocat est un principe de base du système juridique canadien -- Ce principe s'est mué en une règle de droit fondamentale et substantielle qui commande une place exceptionnelle dans le système juridique -- Il ne convient d'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la Loi sur l'accès à l'information -- Le législateur peut l'écarter expressément en l'absence d'attentes en matière de confidentialité -- La nature des renseignements contenus dans la note de service, de même que les attentes du BCP en matière de confidentialité des renseignements en question amènent à la conclusion que la note de service n'est pas absolument nécessaire pour que l'intimé complète son enquête sur la plainte -- Permettre à l'intimé d'avoir libre accès à la note de service contenant l'avis juridique inciterait les décideurs de l'administration fédérale à ne pas demander de conseils juridiques dans des circonstances similaires.
Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire concernant la compétence et les pouvoirs du commissaire à l'information pendant l'enquête sur une plainte formulée sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Au cours de l'enquête menée à la suite d'une plainte officielle, l'intimé a ordonné la communication d'une note de service contenant un avis juridique rédigée par un avocat du Bureau du Conseil privé (BCP). Au sujet de cinq des six demandes concernant les agendas quotidiens du premier ministre, le BCP a répondu qu'aucun document relevant du BCP n'y répondait et, quant à la sixième demande, il a répondu que les documents n'avaient pas à être communiqués parce qu'ils contenaient des renseignements personnels. Le demandeur d'accès s'est plaint au commissaire à l'information, qui a fait une enquête et délivré un subpoena ordonnant au greffier du BCP de comparaître pour être interrogé. Plusieurs documents ont par la suite été communiqués mais, invoquant le privilège du secret professionnel de l'avocat prévu à l'article 23 de la Loi, le BCP a refusé de produire la note de service contenant l'avis juridique que le commissaire avait demandée pour mener son enquête. La Cour fédérale a statué que le délégué du commissaire avait compétence pour contraindre à la production de la note de service, aux termes du paragraphe 36(2) de la Loi. La juge des demandes a adopté une interprétation libérale et fondée sur l'objet du paragraphe 36(2) de la Loi, et a décidé que les mots employés par le législateur dénotaient clairement l'intention de ce dernier que l'intimé doit avoir accès à n'importe quel document requis au cours de son enquête. Elle s'est fondée sur l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (Ethyl), dans lequel la Cour a conclu que l'article 46 de la Loi (analogue au paragraphe 36(2)) éliminait clairement l'obstacle du secret professionnel et que les documents qui s'avéraient pertinents quant à l'existence des documents demandés pouvaient être produits auprès du juge siégeant en révision. Ces documents étaient admissibles si le juge était convaincu qu'ils seraient utiles pour déterminer le bien-fondé et la légalité du refus de l'administration fédérale de les communiquer. Il s'agissait de savoir si la juge des demandes avait commis une erreur en n'interprétant pas de manière restrictive le paragraphe 36(2) de la Loi.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Le paragraphe 36(2) fait échec à toute revendication du privilège du secret professionnel liant un avocat à son client en ce qu'il habilite le commissaire à l'information à examiner le document et à vérifier si l'exception est revendiquée à juste titre. Cependant, le présent litige porte sur des documents autres que ceux qui sont demandés en vertu de la Loi, mais que le commissaire à l'information considère comme pertinents pour son enquête. Dans l'arrêt Ethyl, les documents en cause étaient des documents secondaires qui dataient d'avant la demande d'accès à l'information. Ils n'avaient pas été créés dans le but de permettre à l'institution fédérale de répondre adéquatement à la demande d'information. En outre, dans l'arrêt Ethyl, la Cour n'exprimait pas une opinion sur la question de savoir si l'article 46 de la Loi (et, implicitement, le paragraphe 36(2)) habilitait la Cour à contraindre à la communication des documents créés dans le but de fournir un avis juridique sur la bonne façon de répondre à une demande d'accès à l'information. Ainsi, la question de savoir si le paragraphe 36(2) habilite le commissaire à l'information à obliger la communication de la note de service est demeurée en suspens.
Le privilège du secret professionnel de l'avocat est un principe de base du système juridique canadien qui va au-delà d'une simple règle de preuve. Ce principe s'est mué en une règle de droit fondamentale et substantielle qui commande une place exceptionnelle dans le système juridique. On ne peut porter atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi. En l'espèce, les appelants n'ont pas mis en doute la capacité du commissaire d'obliger la communication des documents demandés en vertu de la Loi, et ce, en dépit de toute revendication de privilège selon le paragraphe 36(2). Le commissaire est tenu de formuler une recommandation sur la communication du document demandé, et dans la mesure où il penche en faveur de la communication, il a qualité pour contester le refus de produire le document en cour à titre de partie. Le fait que le commissaire se serve des pouvoirs que lui accordent l'alinéa 36(1)a) et le paragraphe 36(2) pour obtenir la note de service confidentielle contenant l'avis juridique porte atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat d'une manière qui n'est pas nécessaire à la réalisation des fins de la loi habilitante. Le paragraphe 36(2) doit être interprété de manière restrictive afin de ne donner accès à des renseignements confidentiels que lorsque cela s'avère absolument nécessaire à l'exercice du pouvoir législatif en question. En l'absence d'attentes en matière de confidentialité, le législateur peut écarter expressément le privilège du secret professionnel de l'avocat. La note de service contenant l'avis juridique a été expressément établie en vue de fournir un avis juridique sur les demandes d'accès à l'information et n'était pas analogue aux documents dont il était question dans l'arrêt Ethyl. La nature des renseignements contenus dans la note de service et les attentes du BCP en matière de confidentialité des renseignements en question amènent à la conclusion inévitable que la note de service n'était pas absolument nécessaire pour que la Commission complète son enquête sur la plainte. Il s'ensuit que la juge des demandes a commis une erreur en donnant au paragraphe 36(2) une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, qui fait abstraction du principe selon lequel le secret professionnel de l'avocat est un droit substantiel qui est distinct de n'importe quelle règle de preuve. Permettre au commissaire à l'information d'avoir libre accès à la note de service contenant l'avis juridique inciterait les décideurs de l'administration fédérale à s'abstenir de demander des conseils juridiques dans des circonstances similaires.
lois et règlements cités
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1 (F); 2001, ch. 27, art. 202), 19(1), 23, 36 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1), 42(1), 46.
jurispridence citée
décision appliquée:
R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; (2001), 195 D.L.R. (4th) 513; 151 C.C.C. (3d) 321; 40 C.R. (5th) 1; 80 C.R.R. (2d) 217; 266 N.R. 275; 142 O.A.C. 201; 2001 CSC 14.
décision distincte:
Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127; 21 Admin. L.R. (3d) 1; 256 N.R. 162 (C.A.F.).
décisions examinées:
Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809; (2004), 238 D.L.R. (4th) 1; 12 Admin. L.R. (4th) 171; 33 C.C.E.L. (3d) 1; 19 C.R. (6th) 203; 47 C.P.C. (5th) 203; 319 N.R. 322; 187 O.A.C. 1; 2004 CSC 31; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; (1999), 171 D.L.R. (4th) 193; 133 C.C.C. (3d) 257; 24 C.R. (5th) 365; 237 N.R. 86; 119 O.A.C. 201.
décisions citées:
Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209; (2002), 312 A.R. 201; 217 Nfld. & P.E.I.R. 183; 216 D.L.R. (4th) 257; [2002] 11 W.W.R. 191; 4 Alta. L.R. (4th) 1; 167 C.C.C. (3d) 1; 3 C.R. (6th) 209; 96 C.R.R. (2d) 189; [2002] 4 C.T.C. 143; 2002 DTC 7267; 292 N.R. 296; 164 O.A.C. 280; 2002 CSC 61; Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193; (2003), 232 D.L.R. (4th) 14; 178 C.C.C. (3d) 321; 15 C.R. (6th) 1; 113 C.R.R. (2d) 76; 311 N.R. 357; 2003 CSC 67.
APPEL d'une décision de la Cour fédérale ([2004] 4 R.C.F. 181 (abrégé); (2004), 15 Admin. L.R. (4th) 58; 32 C.P.R. (4th) 464; 117 C.R.R. (2d) 85; 255 F.T.R. 56; 2004 CF 431) rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants concernant la compétence et les pouvoirs de l'intimé pendant l'enquête sur une plainte formulée sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Appel accueilli.
ont comparu:
Christopher M. Rupar pour les appelants.
Daniel Brunet et Patricia Boyd pour l'intimé.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada, pour les appelants.
Bureau du Commissaire à l'information du Canada Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Malone, J.C.A.:
I. INTRODUCTION
[1]Le présent appel concerne l'étendue du privilège du secret professionnel de l'avocat que revendique une institution fédérale dans le contexte du paragraphe 36(2) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), de même que la demande de subpoena de l'intimé en vue d'obtenir la production d'une note de service contenant un avis juridique, datée du 30 juillet 1999 (la note de service contenant un avis juridique). Cette note de service a été rédigée par un avocat au Bureau du Conseil privé (le BCP) en réponse à diverses demandes d'accès à l'information concernant les agendas quotidiens du premier ministre.
II. CONTEXTE
[2]Le 28 juin 1999, six demandes ont été soumises au BCP, en vertu de la Loi, en vue d'obtenir une copie des agendas quotidiens du premier ministre pour les années financières ou civiles 1994 à juin 1999. Le demandeur d'accès a été informé qu'au sujet de cinq des demandes, aucun document relevant du BCP n'y répondait. Quant à la sixième demande, le BCP n'a ni confirmé ni nié qu'il existait de tels documents, déclarant toutefois que si de tels documents existaient, ils n'avaient pas à être communiqués en raison des dispositions du paragraphe 19(1) de la Loi (il y est question de renseignements personnels).
[3]Le BCP a demandé un avis juridique au sujet de ces demandes, et cet avis lui a été fourni sous la forme d'une note de service contenant un avis juridique.
[4]Après avoir reçu la réponse du BCP, le demandeur d'accès s'est plaint au commissaire à l'information du Canada (le commissaire) que les documents demandés n'avaient pas tous été fournis. C'est à la suite de cela que le commissaire a fait son enquête, qui a mené à la délivrance d'un subpoena. À cette époque, Mel Cappe était le greffier du BCP et le secrétaire du Cabinet fédéral. Sur réception du subpoena, M. Cappe a transmis certains documents demandés, mais a refusé de produire la note de service contenant l'avis juridique.
[5]Comme l'exigeait le subpoena, M. Cappe a comparu au bureau du commissaire et a été interrogé sous serment par le délégué de ce dernier. À ce moment, le privilège du secret professionnel de l'avocat a été invoqué. Pendant toute la période visée par l'appel, M. Cappe s'est opposé à ce que l'on communique la note de service contenant l'avis juridique, revendiquant le privilège du secret professionnel de l'avocat pour le compte du gouvernement du Canada. En bout de ligne, les appelants ont cherché à obtenir un redressement devant la Cour fédérale [[2004] 4 R.C.F. 181 (version abrégée)] par voie de contrôle judiciaire en constituant le commissaire intimé dans l'instance.
III. ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE LA LOI
[6]L'objet de la Loi, qui est énoncé à l'article 2, est d'assurer un droit d'accès aux renseignements que contiennent des documents relevant de l'administration fédérale. Cette disposition consacre expressément le principe du droit du public à leur communication, que les exceptions à ce principe doivent être précises et limitées et que les décisions concernant la communication de tels renseignements sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. L'article 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 44, ann. VII, no 1(F); 2001, ch. 27, art. 202] de la Loi confère un droit d'accès à n'importe quel document relevant d'une institution fédérale à tout citoyen canadien ou résident permanent.
[7]Le privilège du secret professionnel de l'avocat est expressément reconnu dans la Loi, à l'article 23:
23. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.
[8]Lorsqu'il mène une enquête en vertu de la Loi à la suite d'une plainte officielle d'un demandeur d'accès, le commissaire dispose de vastes pouvoirs, décrits à l'article 36 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1]. Pour ce qui est du présent appel, le paragraphe 36(2) accorde un large accès aux documents qui relèvent d'une institution fédérale:
36. [. . .]
(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l'information a, pour les enquêtes qu'il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
IV. DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[9]Une juge de la Cour fédérale (la juge des demandes) a rendu, en date du 25 mars 2004, une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants (Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), [2004] 4 R.C.F. 181). La juge des demandes a statué que le délégué du commissaire avait compétence pour contraindre à la production de la note de service contenant l'avis juridique, aux termes du paragraphe 36(2) de la Loi. Pour arriver à cette conclusion, la juge a adopté une interprétation libérale et fondée sur l'objet de la disposition, dans le cadre de laquelle elle a décidé que les mots employés par le législateur dénotent clairement l'intention de ce dernier que le commissaire doit avoir accès à n'importe quel document requis au cours de son enquête.
[10]La juge des demandes a rejeté l'interprétation restrictive qu'ont donnée les appelants à la disposition, à savoir qu'il ne pouvait être porté atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat qu'en cas de nécessité absolue. Elle a décidé qu'une telle interprétation restreindrait nettement la capacité du commissaire de mener son enquête et un examen indépendant. À son avis, l'interprétation des appelants équivaudrait à inclure des mots restrictifs ne figurant pas dans le libellé de la disposition et irait à l'encontre de l'intention du législateur.
[11]Pour étayer son interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, la juge des demandes s'est fondée sur la décision rendue par la Cour dans Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127 (C.A.F.) (l'arrêt Ethyl). Dans Ethyl, la Cour a conclu que le libellé clair de l'article 46 de la Loi éliminait l'obstacle du secret professionnel, et que les documents qui s'avéraient pertinents quant à l'existence des documents demandés pouvaient être produits auprès du juge siégeant en révision. Ces documents étaient admissibles si le juge était convaincu qu'ils seraient utiles pour déterminer le bien-fondé et la légalité du refus de l'administration fédérale de les communiquer. Le libellé de l'article 46 de la Loi, qui confère à la Cour le pouvoir d'examiner n'importe quel document auquel la Loi s'applique, est analogue à celui du paragraphe 36(2). Le voici:
46. Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour les recours prévus aux articles 41, 42 et 44, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
V. QUESTIONS EN LITIGE
[12]Seule une question a été portée en appel: la juge des demandes a-t-elle commis une erreur en n'interprétant pas de manière restrictive le paragraphe 36(2) de la Loi, permettant ainsi au commissaire d'avoir accès à la note de service contenant l'avis juridique pour lequel le BCP revendique le privilège du secret professionnel de l'avocat?
VI. NORME DE CONTRÔLE
[13]La juge des demandes a décidé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Cette conclusion n'a été contestée par ni l'une ni l'autre des parties, et je suis entièrement d'accord.
VII. ANALYSE
[14]Il importe d'abord de signaler que les appelants ne contestent pas que le paragraphe 36(2) ferait échec à toute revendication du privilège du secret professionnel liant un avocat à son client dont il est question à l'article 23 de la Loi à l'égard des documents demandés en vertu de la Loi. Les appelants conviennent d'une part que, s'il se heurte à un refus de communiquer un document demandé en vertu de la Loi à cause d'une exception fondée sur l'article 23, le commissaire doit pouvoir examiner le document en question et vérifier si l'exception est revendiquée à juste titre et, d'autre part, que le paragraphe 36(2) habilite le commissaire à le faire. Le présent litige porte plutôt sur des documents autres que ceux qui sont demandés en vertu de la Loi, mais que le commissaire considère comme pertinents pour son enquête (les documents secondaires).
[15]Se fondant sur la décision rendue par la Cour dans l'arrêt Ethyl, le commissaire estime que le paragraphe 36(2) a également pour effet de faire échec au privilège du secret professionnel liant un avocat à son client pour ce qui est de la totalité des documents secondaires, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été créés. À mon avis, l'arrêt Ethyl n'étaye pas une thèse d'une telle portée.
[16]Dans l'arrêt Ethyl, la Cour était saisie d'une affaire dans laquelle le ministre avait refusé de communiquer certains documents de travail du Cabinet au motif qu'ils n'existaient pas. Durant son enquête, le commissaire a obtenu d'autres documents qui n'étaient pas visés par la demande, mais qui concernaient bel et bien l'utilisation de documents de travail dans le système de dossiers du Cabinet. Certains de ces documents étaient censément protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat. Le commissaire a considéré que les documents en question étaient pertinents quant à la question de savoir si les documents demandés existaient bel et bien. C'est dans ce contexte que la Cour a statué qu'il était approprié pour le commissaire de produire ces autres documents auprès de la Cour fédérale pour qu'elle les examine, qu'ils soient assujettis ou non au privilège du secret professionnel de l'avocat. Je souligne que les documents secondaires visés dans l'arrêt Ethyl datent d'avant la demande d'accès à l'information et n'ont pas été créés dans le but de permettre à l'institution fédérale de répondre adéquatement à la demande d'information.
[17]Il est clair à mon avis que, dans l'arrêt Ethyl, la Cour n'exprimait pas une opinion sur la question de savoir si l'article 46 (et, implicitement, le paragraphe 36(2)) habilitait la Cour (ou le commissaire) à contraindre à la communication des documents créés dans le but de fournir un avis juridique sur la bonne façon de répondre à une demande d'accès à l'information. La Cour a plutôt décidé qu'aux termes de l'article 46 de la Loi, il était obligatoire de lui communiquer des documents qui s'avéraient pertinents à l'enquête et dont disposait le commissaire. C'est donc dire que la question de savoir si le paragraphe 36(2) habilite le commissaire à obliger la communication de la note de service contenant l'avis juridique, qui a été établie en réponse à une demande d'accès à l'information, demeure en suspens.
[18]Conformément aux enseignements de la Cour suprême du Canada, le privilège du secret professionnel de l'avocat est un principe de base du système juridique canadien qui va au-delà d'une simple règle de preuve. Ce principe s'est mué en une règle de droit fondamentale et substantielle qui commande une place exceptionnelle dans le système juridique et qui fait partie intégrante des rouages du système juridique lui-même (voir R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 24, 31 et 32). Dans ce contexte, ce privilège «doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent» (voir McClure, au paragraphe 35) et doit être «jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles» (voir Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, au paragraphe 17).
[19]La règle de fond régissant le privilège du secret professionnel de l'avocat, qui a été formulée dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, et à laquelle la juge des demandes a fait référence, a été systématiquement appliquée par la Cour suprême du Canada (voir Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209, au paragraphe 18). Cette règle de fond a été énoncée comme suit par le juge Lamer (tel était alors son titre) dans l'arrêt Descôteaux, à la page 875:
1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client; |
2. À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité; |
3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante; |
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement. [Non souligné dans l'original.] |
[20]Dans le présent appel, le paragraphe 36(2) est une disposition législative habilitante qui confère au commissaire le pouvoir de «faire quelque chose» qui pourrait porter atteinte à la confidentialité avocat-client d'une institution fédérale. Ce fait est admis par les appelants, qui ne mettent pas en doute la capacité du commissaire d'obliger la communication des documents demandés en vertu de la Loi, et ce, en dépit de toute revendication de privilège. Les appelants soutiennent toutefois qu'au-delà de cela, il faut interpréter le paragraphe 36(2) de manière restrictive et qu'il ne convient de porter atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la Loi (voir Descôteaux, à la page 875).
[21]À l'époque de la demande d'information, le commissaire n'avait pas un droit opposé à celui de l'institution fédérale dans le sens classique du terme, mais il était possible que ce soit le cas. Le commissaire est tenu de formuler une recommandation sur la communication du document demandé, et dans la mesure où il penche en faveur de la communication, il a qualité pour contester le refus de produire le document en cour à titre de partie (voir le paragraphe 42(1) de la Loi).
[22]Selon mon analyse, le fait que le commissaire se serve des pouvoirs que lui accordent l'alinéa 36(1)a) et le paragraphe 36(2) de la Loi pour obtenir la note de service confidentielle contenant l'avis juridique porte atteinte au privilège du secret professionnel de l'avocat d'une manière qui n'est pas nécessaire à la réalisation des fins de la loi habilitante. D'après la jurisprudence susmentionnée de la Cour suprême du Canada, il convient d'interpréter de manière restrictive le paragraphe 36(2) afin de ne donner accès à des renseignements confidentiels que lorsque cela s'avère absolument nécessaire à l'exercice du pouvoir législatif en question. (Voir Lavallee, au paragraphe 18; Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193, au paragraphe 16; Pritchard, au paragraphe 33.)
[23]Dans l'arrêt Pritchard, la Cour suprême du Canada a indiqué que le législateur peut abroger l'existence du privilège en éliminant les attentes en matière de confidentialité, mais que la question de savoir si l'intention expresse du législateur peut écarter ce privilège est controversée. Le juge Major a abordé la question dans l'arrêt Pritchard, au paragraphe 34:
Lorsque le législateur exige d'un organisme administratif qu'il communique aux parties à une procédure relevant de sa compétence l'ensemble du dossier, et qu'il est précisé que «l'ensemble du dossier» comprend les avis obtenus par l'organisme administratif, le privilège ne pourra être invoqué vu l'absence d'attentes en matière de confidentialité. La question de savoir si, par ailleurs, le législateur peut écarter expressément le privilège avocat-client est matière à controverse et ne fait pas l'objet du présent pourvoi.
[24]Dans le présent appel, la note de service contenant l'avis juridique a été expressément établie en vue de fournir un avis juridique sur les demandes d'accès à l'information. Cela étant, cette note de service n'est pas analogue aux documents dont il était question dans l'arrêt Ethyl, lesquels avaient trait à la question de savoir si les documents demandés existaient bel et bien; il s'agissait là d'une question à laquelle le commissaire devait répondre au cours de son enquête. Dans le présent contexte, il subsiste de fortes attentes en matière de confidentialité au sujet de la note de service contenant l'avis juridique, malgré le paragraphe 36(2). À mon sens, le législateur n'a pas voulu qu'une institution fédérale soit privée du bénéfice de conseils juridiques, fournis confidentiellement, au moment de décider comment répondre adéquatement à une demande d'information. La nature des renseignements contenus dans la note de service, de même que les attentes du BCP en matière de confidentialité des renseignements en question, m'amènent à la conclusion inévitable que la note de service n'est pas absolument nécessaire pour que le commissaire complète son enquête sur la plainte.
[25]Il s'ensuit que dans un tel contexte, la juge des demandes a commis une erreur en donnant au paragraphe 36(2) une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé. Cette interprétation fait abstraction du principe selon lequel le secret professionnel de l'avocat est bien plus qu'un privilège ou une règle du droit de la preuve; il s'agit plutôt d'un droit de fond qui est distinct de n'importe quelle règle de preuve (voir l'arrêt McClure, au paragraphe 24). Permettre au commissaire d'avoir libre accès à un document tel que la note de service contenant l'avis juridique aurait l'«effet paralysant» contre lequel le juge Binnie met en garde dans l'arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, au paragraphe 49, et ferait obstacle à l'accès des décideurs de l'administration fédérale à des conseils juridiques dans des circonstances similaires. Comme l'a fait remarquer le juge Major dans l'arrêt McClure, au paragraphe 2:
Le secret professionnel de l'avocat s'entend du privilège qui existe entre un client et son avocat et qui est fondamental pour le système de justice canadien. Le droit est un écheveau complexe d'intérêts, de rapports et de règles. L'intégrité de l'administration de la justice repose sur le rôle unique de l'avocat qui donne des conseils juridiques à des clients au sein de ce système complexe. La notion selon laquelle une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat pour qu'il soit en mesure de la représenter pleinement est au coeur de ce privilège.
VIII. CONCLUSION
[26]La juge des demandes a commis une erreur en statuant que le commissaire avait la compétence et le pouvoir requis pour obliger à communiquer la note de service contenant l'avis juridique. Bien qu'il soit habilité à obliger la communication des documents demandés en vertu de la Loi, ainsi que d'autres documents pertinents (comme c'était le cas dans Ethyl), le commissaire n'a pas droit à la production de la note de service créée en vue de fournir un conseil juridique au BCP en réponse à la demande d'accès à l'information en vertu de la Loi. Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel, avec dépens en appel et devant la Cour fédérale.
La juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.