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IMM-9571-03

2005 CF 262

Bachan Singh Sogi (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Simpson--Toronto, 25 janvier; Ottawa, 18 février 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes interdites de territoire -- Contrôle judiciaire de la décision d'un représentant du ministre, y compris un addenda, rejetant la demande de protection présentée conformément à l'art. 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) du demandeur, un membre d'une organisation terroriste, interdit de territoire pour raison de sécurité -- La décision du représentant du ministre n'était pas manifestement déraisonnable -- La question de savoir s'il existe en l'espèce des circonstances exceptionnelles où la mise en balance exigée par l'art. 113 de la LIPR pourrait aboutir à l'expulsion vers un pays où l'intéressé risque d'être torturé est certifiée -- Demande rejetée.

Il s'agissait des motifs de décision définitifs relatifs à une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un représentant du ministre de rejeter la demande de protection présentée par le demandeur conformément à l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et d'ordonner son expulsion. À la suite des motifs de décision provisoires prononcés par la Cour le 11 juin 2004, le représentant du ministre a préparé un addenda à ses motifs. Les présents motifs définitifs avaient trait à la fois à la décision originale et à l'addenda.

Jugement: la demande doit être rejetée.

1) La preuve montrait que le représentant du ministre avait tenu compte de la nature de la menace représentée actuellement par le Babbar Khalsa International (BKI), l'organisation terroriste sikh à laquelle le demandeur appartient. 2) La conclusion du représentant du ministre selon laquelle le demandeur n'est pas digne de foi vu qu'il a utilisé des pseudonymes et de faux titres de voyage n'était pas manifestement déraisonnable. 3) Le fait qu'il était inutile que le représentant du ministre parle aussi longuement de la réponse apportée par le Canada au terrorisme ne constituait pas une erreur et ne discréditait en rien l'évaluation individualisée qu'il a faite du demandeur. 4) Étant donné qu'il a conclu que, même si elles étaient toutes appliquées, les mesures de rechange à l'expulsion proposées par le demandeur ne seraient pas suffisantes pour réduire la menace pour le Canada, le représentant du ministre n'était pas tenu de traiter séparément de chacune de ces mesures de rechange. 5) Si les mesures de rechange avaient été acceptables, la Cour aurait refusé de considérer que la LIPR renfermait implicitement un grand nombre de dispositions. Bien qu'il soit grandement souhaitable que le Canada se dote d'un programme offrant des mesures de rechange à l'expulsion dans un pays où l'intéressé risque la torture, c'est au Parlement qu'il appartient de créer ce programme. 6) La conclusion du représentant du ministre selon laquelle le demandeur avait tenté de tromper les autorités de l'immigration en n'inscrivant pas, dans son formulaire d'examen des risques avant renvoi, qu'il avait demandé l'asile au Royaume-Uni n'était pas manifestement déraisonnable.

Étant donné que le demandeur est un expert hautement qualifié en explosifs et un assassin agissant pour le compte du BKI, une organisation dont les buts et la violence pourraient menacer la stabilité du Pendjab, qu'il sait comment dissimuler son identité et ses déplacements et qu'il constituera un danger pendant une période indéterminée, la Cour a accepté de certifier la question de savoir s'il existe en l'espèce des circonstances exceptionnelles où la mise en balance exigée par l'article 113 de la LIPR pourrait aboutir à l'expulsion vers un pays où l'intéressé risque d'être torturé.

lois et règlements cités

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

jurisprudence citée

décision examinée:

Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 3 R.C.F. 517; 2004 CF 853.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un représentant du ministre de rejeter une demande de protection présentée conformément à l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ont comparu:

Lorne Waldman et Brena Parnes pour le demandeur.

Ian Hicks pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs définitifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Simpson: À la suite de mes motifs de décision provisoires du 11 juin 2004 [[2005] 3 R.C.F. 517 (C.F.)] (les motifs provisoires), le représentant du ministre a préparé un addenda à ses motifs (l'addenda). Cet addenda est daté du 30 septembre 2004. Les présents motifs définitifs ont trait à la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur relativement à la fois à la décision de l'expulser rendue par le représentant du ministre le 3 décembre 2003 et à l'addenda.

[2]Les motifs de décision provisoires constituent la première partie des présents motifs. Je dois également mentionner que, bien qu'il ait droit à ce que les motifs de sa détention soient contrôlés tous les 30 jours, le demandeur a renoncé à ce droit pendant un certain nombre de mois en attendant que la présente décision soit rendue.

[3]Les avocats ont soulevé les deux questions préliminaires suivantes lors de la dernière audience, le 25 janvier 2005:

i) l'avocat du défendeur a indiqué, à des fins d'information seulement, qu'on lui avait dit que dans la présente affaire le représentant du ministre, bien qu'on lui en ait offert la possibilité, ne pensait pas qu'il était nécessaire de consulter les documents de base mentionnés dans l'affidavit secret. Selon l'avocat, ce fait devrait être consigné au dossier parce qu'il est pris en compte dans d'autres affaires;

ii) l'avocat du demandeur a demandé l'autorisation de présenter des observations supplémentaires sur la question de savoir si le Canada peut, dans des cas exceptionnels, expulser une personne vers un pays où elle risque la torture. Or, comme cette question a été tranchée dans les motifs provisoires après que les parties eurent fait valoir leur point de vue, j'ai refusé d'examiner d'autres observations.

[4]Les questions en litige à l'audience du 25 janvier étaient les suivantes:

i) Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la menace représentée actuellement par le Babbar Khalsa ou le Babbar Khalsa International (BKI)?

ii) La conclusion du représentant du ministre concernant l'utilisation de pseudonymes par le demandeur était-elle manifestement déraisonnable?

iii) Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit en se fondant sur des facteurs qui n'étaient soi-disant pas pertinents, comme la réponse du Canada au terrorisme, pour évaluer la menace que le demandeur constitue pour le Canada?

iv) Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération les mesures de rechange à l'expulsion qui ont été proposées par le demandeur et en n'examinant pas la question de savoir si ces mesures étaient adéquates, compte tenu de la prétendue absence de preuve à l'égard de la menace représentée actuellement par le BKI?

v) Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit dans son évaluation des mesures de rechange à l'expulsion en concluant qu'il n'était pas habilité par la loi à ordonner ou à imposer ces mesures?

vi) Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que le demandeur avait trompé les autorités de l'immigration en ne mentionnant pas dans sa demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) le fait qu'il avait demandé l'asile au Royaume-Uni?

QUESTION NO I

[5]Le demandeur allègue que la preuve n'indique pas que le BKI constitue actuellement une menace et que la conclusion tirée par le représentant du ministre à cet égard est dénuée de fondement et n'est pas étayée par la preuve.

[6]Le représentant du ministre écrit, aux paragraphes 6, 7 et 8 de l'addenda, que le BKI figure actuellement sur la liste des organisations terroristes au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le département d'État américain a récemment ajouté cette organisation à sa liste des organisations terroristes exclues, le 29 avril 2004.

[7]À mon avis, cette preuve montre que le représentant du ministre a tenu compte de la nature de la menace représentée actuellement par le BKI.

QUESTION NO II

[8]Le demandeur dit que la conclusion du représentant du ministre selon laquelle il n'est pas digne de foi étant donné qu'il a admis avoir utilisé des pseudonymes dans le passé et qu'il s'est servi de faux titres de voyage est manifestement déraisonnable. Or, cette prétention n'est pas convaincante car elle s'appuie sur une description incomplète des faits.

[9]Le représentant du ministre a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi notamment parce qu'il a admis par bribes qu'il avait utilisé certains pseudonymes et qu'il a attendu que le processus d'immigration soit bien avancé avant de révéler qu'il avait demandé l'asile au Royaume-Uni sous le nom de Gurbachan Singh. Le représentant du ministre a conclu également que le fait que le demandeur a nié avoir utilisé les pseudonymes de Gurnam Singh et de Piare Singh était contraire à la preuve documentaire secrète et non secrète.

QUESTION NO III

[10]Le demandeur dit que les mesures prises par le Canada en réponse au terrorisme ne sont pas pertinentes et que le représentant du ministre a commis une erreur en tenant compte de ces mesures dans son évaluation de la menace qu'il constitue. Selon le demandeur, le représentant du ministre aurait dû effectuer une évaluation individualisée de cette menace.

[11]À mon avis, il était inutile que le représentant du ministre parle aussi longuement de la réponse apportée par le Canada au terrorisme, mais cela ne constitue pas une erreur et ne discrédite en rien l'évaluation individualisée qu'il a faite du demandeur, dans laquelle il a écrit [aux paragraphes 13, 15, 19, 26 et 32]:

[traduction] [. . .] à mon avis, le demandeur voulait clairement tromper les autorités canadiennes de l'immigration en admettant par bribes qu'il avait utilisé des pseudonymes. [. . .] Le fait qu'il a attendu que le processus d'immigration soit bien avancé avant de révéler qu'il avait demandé l'asile au Royaume-Uni sous le nom de Gurbachan Singh est particulièrement grave selon moi. [. . .] De plus, il ressort clairement de ses propres aveux que le demandeur a accès à de faux documents lui permettant de se rendre de l'Inde au Royaume-Uni, et ensuite au Canada, et qu'il est en mesure d'obtenir de tels documents. Cela me préoccupe grandement parce que le demandeur pourrait ainsi se fondre dans la communauté sikhe extrémiste dans le but de se livrer à des activités illégales qui pourraient constituer un danger pour le public au Canada ou une menace à la sécurité du Canada.

    [. . .]

Étant donné que le demandeur a utilisé de nombreux pseudonymes et a tenté à plus d'une reprise de tromper les autorités canadiennes de l'immigration, j'estime qu'il n'est pas digne de foi et qu'on ne pourrait pas s'attendre à ce qu'il se conforme aux conditions imposées à sa libération. [. . .] Je constate que le document du SCRS indique que le demandeur possède des compétences en matière d'armes et d'explosifs sophistiqués. Il a tenté d'utiliser ces compétences pour assassiner plusieurs politiciens en vue. [. . .] Le BKI, dont il fait partie, a été soupçonné d'utiliser des armes et des explosifs dans différentes activités terroristes et a reconnu qu'il était responsable de ces activités. [. . .] Je ne peux exclure la possibilité que le demandeur se serve de ses connaissances et de son expertise pour aider le BKI à mener d'autres activités terroristes au Canada ou à partir du Canada.

    [. . .]

À cause de la menace que constitue le demandeur, en particulier de la possibilité réelle et sérieuse qu'il aide le BKI à mener d'autres activités terroristes au Canada.

    [. . ]

J'estime que la détention est la seule solution qui permettrait de tenir compte de la menace que constitue le demandeur et peut-être de la réduire.

    [. . .]

Je suis d'avis qu'il existe une possibilité réelle, raisonnable et sérieuse qu'il établisse de nouveau des contacts avec le BKI ou d'autres groupes terroristes au Canada dans le but de commettre des actes terroristes au Canada.

QUESTION NO IV

[12]Dans les motifs provisoires, j'ai conclu que le représentant du ministre avait commis une erreur en n'examinant pas d'autres mesures que l'expulsion vers un pays où le demandeur risquait d'être torturé. À mon avis, si un demandeur propose des mesures pouvant réduire le danger qu'il constitue, ces mesures doivent être prises en considération. J'ai toutefois de plus conclu que les propositions du demandeur en l'espèce n'étaient pas très précises. J'ai donc ordonné à son avocat de transmettre au représentant du ministre une liste de mesures de rechange à l'expulsion auxquelles le demandeur consentirait (les mesures de rechange).

[13]Les mesures de rechange sont décrites dans une lettre adressée par M. Waldman à M. Hicks, du ministère de la Justice (la lettre). Elles sont énumérées au paragraphe 2 de l'addenda. Comme le représentant du ministre le mentionne au paragraphe 3 de l'addenda, la liste indique qu'elle n'est pas exhaustive. J'estime toutefois qu'elle l'est aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire. J'ai ordonné la rédaction de la lettre afin d'avoir une idée précise des mesures de rechange proposées par le demandeur, de façon à ce que le représentant du ministre puisse les prendre en considération dans le cadre de son examen des risques.

[14]Il importe de mentionner que la lettre n'indique pas que l'une des mesures de rechange que le demandeur est disposé à accepter est son maintien en détention. La possibilité qu'il préfère la détention à l'expulsion en Inde avait été soulignée dans les plaidoiries, mais l'avocat n'en a pas parlé dans sa lettre. Par conséquent, il n'en sera pas question ici.

[15]Aux paragraphes 24 et 25 de l'addenda, le représentant du ministre conclut que, même si elles étaient toutes appliquées, les mesures de rechange ne seraient pas suffisantes pour réduire la menace que le demandeur constitue pour le Canada parce qu'il n'est pas digne de foi. En d'autres termes, le demandeur est susceptible de ne pas se conformer aux conditions rattachées à sa libération. J'estime en conséquence que le représentant du ministre n'était pas tenu de traiter séparément de chaque mesure de rechange proposée.

QUESTION NO V

[16]Une fois que le représentant du ministre a conclu que les mesures de rechange n'étaient pas viables, la question de savoir s'il avait la compétence voulue pour les appliquer devient hypothétique et il n'est pas nécessaire d'y répondre en l'espèce. Je dois cependant ajouter que si les mesures de rechange avaient été jugées acceptables par le représentant du ministre, j'aurais refusé d'interpréter la LIPR [Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, S.C. 2001, ch. 27] comme si elle renfermait implicitement un grand nombre de dispositions, comme on me le demandait, parce qu'un régime particulier étrange aurait alors régi la détention à domicile, assortie de contrôles mensuels des motifs de détention, pendant une durée indéterminée. À mon avis, bien qu'il soit grandement souhaitable que le Canada se dote d'un programme offrant des mesures de rechange à l'expulsion vers un pays où l'intéressé risque la torture, c'est au Parlement qu'il appartient de créer ce programme.

QUESTION NO VI

[17]Le demandeur dit que la conclusion du représentant du ministre selon laquelle il a tenté de tromper les autorités de l'immigration en n'inscrivant pas, dans son formulaire d'ERAR, qu'il avait demandé l'asile au Royaume-Uni est manifestement déraisonnable puisqu'il a fait état de cette demande dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

[18]Je ne peux relever aucune erreur à cet égard. Le demandeur a clairement répondu à la question relative aux demandes d'asile antérieures dans le formulaire d'ERAR en écrivant [traduction] «s.o.». À mon avis, il est tout à fait raisonnable que le représentant du ministre ait conclu que le demandeur avait donné une réponse incorrecte en espérant que l'agent d'ERAR ne lirait pas son FRP.

CERTIFICATION

[19]Les parties ont convenu qu'une question relative aux circonstances exceptionnelles devait être certifiée à l'intention de la Cour d'appel fédérale. Je suis arrivée à la même conclusion parce que le demandeur est un expert hautement qualifié en explosifs et un assassin agissant pour le compte du BKI, une organisation dont les buts et la violence pourraient menacer la stabilité du Pendjab et des régions avoisinantes. En outre, il sait comment dissimuler son identité et ses déplacements et constituera un danger pendant une période indéterminée.

[20]La question suivante sera certifiée avec le consentement des parties:

Existe-t-il en l'espèce des circonstances exceptionnelles où la mise en balance exigée par l'article 113 de la LIPR pourrait justifier l'expulsion vers un pays où l'intéressé risque d'être torturé?

CONCLUSION

[21]Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision d'expulser le demandeur et à l'égard de l'addenda sera rejetée.

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