A-169-04
2005 CAF 54
Hassan Almrei (appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et Le Solliciteur général du Canada (intimés)
Répertorié: Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Létourneau, Sexton et Sharlow, J.C.A.--Toronto, 16 décembre 2004; Ottawa, 8 février 2005.
Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Appel de la décision du juge désigné rejetant la demande de mise en liberté en application de l'art. 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) -- Le réfugié a été détenu trois ans en vertu d'un certificat de sécurité -- Il aurait fait partie d'un réseau de groupes extrémistes soutenant Oussama ben Laden -- Le certificat a été jugé raisonnable -- Une mesure d'expulsion a été prononcée contre M. Almrei au motif qu'il appartenait à une catégorie non admissible -- Le ministre a reconnu que le premier avis de danger était entaché d'erreurs -- Un nouvel avis a été demandé -- L'art. 78 de la LIPR sur l'examen à huis clos et ex parte s'applique-t-il à une demande de mise en liberté? -- La décision concernant le contrôle judiciaire de la nouvelle opinion n'avait pas encore été rendue -- La décision d'un juge désigné en application de l'art. 84(2) est-elle susceptible d'appel? -- La LIPR n'exclut pas l'appel de telles décisions -- La C.A.F. doit se prononcer sur l'art. 84(2) à des fins d'uniformité puisque le juge désigné n'est pas lié par la décision d'un autre juge désigné -- Également en jeu: l'obligation du gouvernement de ne pas porter atteinte à un droit constitutionnel -- Il n'est pas nécessaire que le juge désigné soit saisi d'une preuve secrète pour décider si le renvoi du ressortissant étranger aura lieu dans un délai raisonnable -- La charge de la preuve en vertu de l'art. 84(2) est expliquée -- La période de temps qui s'est écoulée pendant que le détenu demandait réparation au tribunal doit-elle être calculée pour décider si le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable? -- Quant à la question de savoir s'il faut préserver le secret lors d'une demande de mise en liberté, la nécessité de protéger la sécurité nationale ne cesse pas lorsqu'on conclut qu'un certificat est raisonnable -- Le législateur a omis de dire expressément que les mesures décrites à l'art. 78 s'appliquent à l'art. 84(2) -- Il est important de s'assurer que les sources étrangères de renseignements confidentiels relatifs à la sécurité ne sont pas «taries» du fait que des renseignements sont divulgués lors d'une audience sur la détention -- Si les conditions de détention sont difficiles, la durée de la détention est-elle présumée plus longue? -- Mais le critère applicable dans une demande en vertu de l'art. 84(2) est un critère qui vise l'avenir: les délais antérieurs, les abus ne sont pas pertinents si le renvoi est imminent, sous réserve de la mise en garde selon laquelle la durée et les conditions de la détention peuvent s'avérer pertinentes dans l'évaluation de la crédibilité de la preuve selon laquelle le renvoi est imminent -- Cause principale du délai: le détenu a modifié son discours lorsqu'il a été avisé qu'un avis de danger serait demandé, il faut analyser soigneusement ces aveux -- Des délais institutionnels ont été occasionnés par l'entrée en vigueur de la LIPR -- La lenteur du gouvernement à nommer les nouveaux juges pour pourvoir les postes vacants a également occasionné un délai -- Le détenu aurait pu déposer une demande en vertu de l'art. 84(1) pour être renvoyé dans un pays autre que la Syrie -- Une demande en vertu de l'art. 84(2) n'est pas le recours approprié pour se plaindre des conditions de détention sévères -- La Cour aurait fait face à un dilemme si la question de la sécurité s'était posée en l'instance parce que la Couronne n'avait pas déposé de preuve secrète -- La Cour aurait demandé à la Couronne de produire la preuve ou d'y renoncer -- Le refoulement dans un pays qui pratique la torture dans le contexte des obligations canadiennes en vertu du droit international -- Le législateur doit réévaluer la politique se rapportant à ces questions.
Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Recours -- La remise en liberté judiciaire lorsqu'il s'agit d'une détention obligatoire dans l'intérêt de la sécurité nationale n'est pas la réparation juste et convenable prévue par l'art. 24.
Droit international -- Même si l'art. 115(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) autorise le refoulement vers un pays qui pratique la torture dans certaines circonstances, le législateur a assujetti la LIPR aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne dont le Canada est signataire -- L'expulsion dans un pays pratiquant la torture pourrait être possible en vertu de l'article premier et de l'art. 7 de la Charte.
Juges et tribunaux -- La Cour trouve inquiétante la période de neuf mois qui s'est écoulée avant qu'une décision ne soit prise sur la demande d'autorisation de contrôle judiciaire -- Le délai institutionnel causé par les ressources limitées de la Cour fédérale s'ajoute à la lenteur du gouvernement à pourvoir les postes de juge vacants.
Il s'agissait d'un appel de la décision rendue par un juge désigné rejetant une demande de mise en liberté, en application du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
Il fallait tenir particulièrement compte des faits puisque les délais et les agissements des parties sont une question essentielle lors d'une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2). M. Almrei, un étranger, a obtenu le statut de réfugié en juin 2000. Selon les rapports secrets en matière de sécurité, M. Almrei faisait partie d'un réseau de groupes extrémistes qui soutenait Oussama ben Laden et d'un réseau de faussaires qui produisait de faux documents pour faciliter les déplacements à l'étranger. M. Almrei est détenu depuis le 19 octobre 2001 en vertu d'un certificat de sécurité indiquant qu'on pouvait penser qu'il commettrait des actes de terrorisme et qu'il était membre d'une organisation qui s'est livrée à des actes de terrorisme. Un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé que le certificat était raisonnable. En décembre 2001, M. Almrei a été informé que le ministre avait l'intention de solliciter un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour la sécurité au Canada, préparant ainsi son renvoi en Syrie. Ensuite, le 11 février 2002, une mesure d'expulsion a été prononcée contre M. Almrei au motif qu'il appartenait à une catégorie non admissible. Un avis selon lequel M. Almrei constituait un danger a été préparé en janvier 2003. M. Almrei a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du ministre de le renvoyer. Ensuite, le ministre a pris des dispositions pour surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi et il a reconnu que l'avis de danger était entaché d'erreurs graves. Mais le juge n'avait pas encore entendu la demande de mise en liberté quand un avis a été signifié à M. Almrei selon lequel le ministre allait demander un nouvel avis de danger. Ensuite, le 23 octobre 2003, le représentant du ministre a décidé, en application de l'alinéa 115(2)b) de la Loi, que l'appelant serait renvoyé en Syrie. M. Almrei a sollicité un sursis d'exécution de la mesure de renvoi et, le 27 novembre 2003, la mesure d'expulsion a été suspendue. À la reprise de l'audience relative à l'examen de la demande de mise en liberté, l'article 78 de la LIPR concernant l'applicabilité de l'examen à huis clos et ex parte a été débattu et après la déposition des observations écrites, le juge a décidé que l'article 78 s'appliquait bien à une demande de mise en liberté. La décision concernant la demande de contrôle judiciaire du nouvel avis de danger n'a pas encore été rendue.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
La question préliminaire était de savoir si la décision rendue par un juge désigné, en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, est susceptible d'appel. Puisqu'il s'agit d'une décision de la Cour fédérale, cette décision est susceptible d'appel, à moins d'une disposition expresse ou implicite à l'effet contraire. Contrairement à l'examen des motifs de la détention d'un résident permanent en vertu de l'article 83, l'examen des motifs de la détention d'un ressortissant étranger en application du paragraphe 84(2) a lieu après la décision sur le caractère raisonnable du certificat et n'a aucun impact sur cette décision. Le droit d'appel d'une décision n'est pas non plus incompatible avec le paragraphe 84(2) qui a pour objet d'assurer que les autorités feront preuve de diligence dans le renvoi d'un ressortissant étranger qui a été détenu pour des motifs de sécurité. En outre, le maintien de la détention ou la mise en liberté d'une personne est une question importante, dans le contexte d'un délai déraisonnable, lorsque la détention est prolongée d'une manière indue et injustifiable, en violation du droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité de la personne. Si le législateur avait eu l'intention de ne pas modifier les décisions qui entraînent une détention ou une mise en liberté illégale, il aurait dit expressément que les décisions en vertu du paragraphe 84(2) étaient définitives et non susceptibles d'appel (comme il l'a fait concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité) ou il aurait en quelque sorte implicitement indiqué (comme il l'a fait à l'article 83) que telle était son intention. Le paragraphe 84(2) est une disposition qui, dans l'intérêt public, exige d'une juridiction d'appel une interprétation et des directives obligatoires relativement à sa portée, à son sens et aux facteurs dont il faut tenir compte dans son application et à la charge de la preuve. Il en était ainsi parce qu'un juge désigné n'est pas lié par les décisions des autres juges désignés. L'uniformité et la cohérence sont souhaitables puisque l'obligation du gouvernement d'empêcher toute atteinte à un droit constitutionnel est en jeu.
La reconnaissance d'un droit d'appel soulève une préoccupation concernant la preuve secrète dont était saisi le juge désigné, mais ce problème n'était pas trop grave en l'espèce pour plusieurs raisons, notamment qu'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) vise essentiellement la question de savoir si l'étranger sera renvoyé dans un délai raisonnable; la preuve secrète n'est pas nécessaire pour prendre cette décision. La situation est différente lorsqu'il s'agit d'un contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83, parce que tel contrôle est fait presque exclusivement pour des motifs de sécurité nationale. Une demande en vertu du paragraphe 84(2) se produit à la fin du processus-- à l'étape de l'exécution-- alors que le contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83 a lieu tôt dans le processus pendant que la divulgation de la preuve se poursuit. La Couronne a reconnu que le renouvellement d'une demande en vertu du paragraphe 84(2) est possible s'il existe de nouveaux faits ou s'il y a un changement important des circonstances. Le cas échéant, il ne faut pas interjeter appel de la décision antérieure, mais plutôt déposer une nouvelle demande.
Pour ces motifs, le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales s'applique toujours et confère à l'appelant un droit d'appel contre la décision du juge concernant une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2).
Lors d'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), la charge de la preuve incombe à la partie qui demande sa mise en liberté et la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. La Cour a rejeté l'observation de l'appelant selon laquelle il s'agissait d'une charge impossible. En fait, l'appelant devait simplement établir: 1) qu'il n'avait pas été renvoyé du Canada; 2) qu'au moins 120 jours s'étaient écoulés depuis que le certificat de sécurité avait été jugé raisonnable; 3) qu'il ne serait pas renvoyé dans un délai raisonnable; 4) que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Afin de satisfaire aux troisième et quatrième conditions, la personne qui demande sa mise en liberté a la charge de présenter une preuve et la partie qui conteste la mise en liberté a, à son tour, la charge de présenter une preuve. La Couronne a le fardeau de présenter une preuve que le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable et que l'individu constitue toujours un danger. Dans le contexte d'une première audience, il n'est pas nécessaire que la personne qui sollicite sa mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) fasse la preuve d'un changement de circonstances ou soumette une preuve non disponible jusqu'alors.
La question suivante était de savoir si le juge avait commis une erreur en décidant que la période de temps qui s'est écoulée pendant qu'un demandeur sollicite réparation ne devait pas être calculée lorsqu'il s'agissait de décider si le renvoi aurait lieu dans un délai raisonnable. L'appelant a contesté la compétence du juge de ne pas tenir compte d'un tel délai. De plus, M. Almrei a allégué que même si le juge possédait cette compétence, il l'avait irrégulièrement exercée en l'espèce. Les demandes de réparations judiciaires doivent être présentées avec diligence et en temps utile et il en va de même pour les réponses gouvernementales et l'audition des demandes. Ainsi, le juge doit tenir compte du délai occasionné par les parties, ainsi que du délai institutionnel. Selon le paragraphe 84(2), un juge peut ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du délai résultant d'une procédure amorcée par un demandeur qui a empêché la Couronne d'appliquer la loi dans un délai raisonnable. Le juge n'a pas commis une erreur en ne tenant pas compte du délai occasionné par la contestation de M. Almrei de sa mesure de renvoi.
L'appelant a prétendu que le juge avait commis une erreur de droit en concluant que la procédure autorisée par l'article 78 de la LIPR s'appliquait à une demande en vertu du paragraphe 84(2) parce que le paragraphe 84(2) n'incorpore pas l'article 78, contrairement à d'autres dispositions. Ainsi, selon l'argument proposé, le législateur voulait que ce processus secret et injuste ne s'applique pas à une demande de mise en liberté parce que la Couronne avait déjà eu l'occasion de présenter une preuve secrète sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité à l'audience. La Cour ne pouvait accepter cet argument. On ne pouvait prendre pour acquis que la nécessité de protéger la sécurité nationale cessait d'exister lorsqu'on concluait qu'un certificat de sécurité était raisonnable. De plus, la Cour suprême ayant dit dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) que ce n'est pas parce que le certificat de sécurité a été jugé raisonnable qu'il faut conclure que l'individu visé constitue un danger pour la sécurité nationale, on ne pouvait donc affirmer que les ministres avaient satisfait à leur besoin de présenter une preuve sur la question de la détention du fait qu'ils avaient eu l'occasion de le faire lors de l'étude du caractère raisonnable du certificat. Une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) soulève, pour la première fois, la nécessité de maintenir la détention afin de protéger la sécurité nationale. La position de l'appelant mènerait à des incongruités, voire des absurdités: l'appelant pourrait avoir accès à des renseignements qu'un citoyen canadien, accusé d'avoir perpétré une infraction criminelle, ne pourrait pas obtenir.
Il est vrai que la rédaction législative a quelquefois des ratés et le législateur semble avoir oublié de dire expressément que le régime décrit à l'article 78 qui a pour objet d'assurer la protection de la sécurité nationale s'applique au paragraphe 84(2). Néanmoins, la Cour pouvait examiner la disposition en cause, son objet, la section de la Loi dans laquelle elle se trouve, l'objet de cette section, ainsi que l'objectif global de la Loi afin de décider si l'intention du législateur pouvait être présumée ou était nécessairement implicite. L'examen a amené le juge a conclure que le législateur voulait que les mesures de protection prévues par l'article 78 s'appliquent à une demande en vertu du paragraphe 84(2). On atteindrait le même résultat en appliquant l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada qui a mis en place un processus détaillé pour empêcher la divulgation de renseignements potentiellement préjudiciables ou sensibles dans le cours d'une instance. De plus, les renseignements relatifs à la sécurité sont souvent reçus à titre confidentiel de sources étrangères; ces sources seraient bien vite «taries» si les renseignements étaient divulgués à une audience sur les motifs de la détention concernant un étranger. Cela ne pouvait pas être l'intention du législateur.
L'appelant a également prétendu que le juge avait commis une erreur concernant le sens et l'application des termes «dans un délai raisonnable». Même si le temps de détention et les conditions de cette détention sont des facteurs dont il faut tenir compte, ils sont loin d'être déterminants pour ce qui concerne la demande. De fait, le critère applicable pour une demande en vertu du paragraphe 84(2) est un critère qui vise l'avenir et la mise en liberté n'est plus possible si le gouvernement produit une preuve crédible d'un renvoi imminent. Le cas échéant, les délais antérieurs, voire les abus, ne seraient pas pertinents, mais la durée et les conditions de la détention antérieure pourraient l'être lors de l'appréciation de la crédibilité de la preuve selon laquelle le renvoi est imminent. L'appelant est détenu depuis plus de trois ans et l'historique des instances a été présenté dans un calendrier. L'avis de danger a été préparé 13 mois après la mesure d'expulsion. L'appelant a prétendu que ce délai était déraisonnable et qu'il était dû au manque de personnel au ministère. Mais même si cela est vrai jusqu'à un certain point, M. Almrei est la cause principale des délais à cette étape. Lorsque M. Almrei a été avisé qu'un avis de danger serait demandé, il a totalement modifié son discours, reconnaissant maintenant qu'il était allé en Afghanistan, qu'il avait menti aux agents du SCRS et, comme bien d'autres jeunes, qu'il avait été encouragé par le gouvernement saoudien à se battre contre les infidèles dans ce pays. Il avait reçu une formation militaire de base et avait enseigné le Coran. Il était également allé dans un camp militaire parce qu'un nouveau djihad était en train de se préparer contre les Russes au Tadjikistan. Tous ces renseignements nouvellement révélés par M. Almrei devaient être soigneusement analysés, non seulement pour ce qu'ils contenaient, mais pour ce qu'ils pouvaient cacher. Cela expliquait le délai dans la préparation du premier avis de danger. En outre, certains délais institutionnels avait été occasionnés par l'entrée en vigueur de la LIPR le 28 juin 2002. De plus, le délai postérieur au 17 janvier 2003 était dû aux demandes de contrôle judiciaire de l'appelant. Même si M. Almrei s'est plaint de délais institutionnels excessifs dans le traitement de ses demandes de contrôle judiciaire, le délai n'était pas inhabituel ou déraisonnable, sauf la période de neuf mois qui s'était écoulée avant la décision relative à la demande d'autorisation de contrôle judiciaire. Cela était inquiétant puisque M. Almrei était détenu. Néanmoins, la Cour fédérale a des ressources limitées, un problème qui s'est aggravé à cause de la lenteur du gouvernement à pourvoir les postes de juge vacants. Par contre, il n'y avait rien au dossier qui indiquait que M. Almrei avait demandé une audience accélérée sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, lorsque l'autorisation avait été accordée. M. Almrei aurait pu mettre fin à sa détention s'il s'était montré disposé à quitter le Canada. Selon le paragraphe 84(1), il aurait pu présenter une demande au ministre en indiquant dans quels pays, autres que la Syrie, il était disposé à se rendre. M. Almrei ne s'est jamais renseigné au sujet d'autres pays que la Syrie qui seraient disposés à l'accepter. La preuve démontrait sans équivoque que M. Almrei était sur le point d'être renvoyé lorsqu'il a déposé la présente demande. Il était détenu en isolement cellulaire dans des conditions très sévères, puis il a été transféré à la population carcérale générale où il a été agressé et il a fallu le renvoyer en isolement cellulaire. Il ne demande pas une amélioration des conditions de sa détention mais sa mise en liberté. Une demande en vertu du paragraphe 84(2) n'est pas le redressement approprié lorsqu'une personne veut se plaindre des conditions de détention sévères.
Puisque l'appelant n'avait pas convaincu la Cour qu'il ne serait pas renvoyé dans un délai raisonnable, il n'était donc pas nécessaire de se demander si sa remise en liberté constituerait un danger pour la sécurité nationale. Pour la même raison, il n'était pas nécessaire de savoir si la preuve secrète concernant la sécurité nationale était fiable et crédible. Si la question de la sécurité s'était réellement posée, la décision de la Couronne de ne pas déposer la preuve secrète dans le présent appel aurait pu amener la Cour à faire face à un dilemme. Dans un tel cas, la Cour aurait ordonné à la Couronne de choisir entre produire la preuve ou renoncer à se fonder sur celle-ci.
Même si trois années passées en isolement cellulaire constituaient un traitement ou peine cruel et inusité, contrairement à l'article 12 de la Charte, la remise en liberté judiciaire lorsqu'il s'agit d'une détention obligatoire dans l'intérêt de la sécurité nationale n'est pas la réparation convenable et juste que l'article 24 de la Charte autorise. Une réparation juste et convenable serait de modifier ou de supprimer ces conditions de détention.
La décision de la Chambre des lords dans A(FC) and others (FC) v. Secretary of State for the Home Department, a été citée, mais cette décision concerne la légalité de la détention indéfinie de présumés terroristes en vertu de la Anti-Terrorism, Crime and Security Act 2001 (R.-U.), sans qu'aucune accusation ne soit portée; la LIPR n'autorise pas la détention administrative indéfinie. Même si l'alinéa 115(2)b) de la LIPR établit le principe du non-refoulement d'une personne dans un pays où elle risque la torture, la disposition autorise le refoulement d'une personne interdite de territoire pour des raisons de sécurité si le ministre est d'avis que cette personne constitue un danger pour la sécurité nationale au Canada. Cela étant dit, le législateur a assujetti la mise en oeuvre de la Loi aux instruments internationaux dont le Canada est signataire. La Convention contre la torture que le Canada a ratifiée interdit absolument de renvoyer une personne qui risque d'être soumise à la torture alors que le paragraphe 33(2) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés autorise le refoulement d'un réfugié réputé représenter un danger pour la sécurité du pays où il se trouve. Dans Suresh, la Cour suprême, même si elle a reconnu que la prohibition de la torture avait atteint en droit international le statut de norme impérative, n'a pas exclu l'expulsion vers un pays qui pratique la torture. L'expulsion vers un pays qui pratique la torture pourrait être légitimée par le processus de pondération de l'article 7 de la Charte ou en vertu de l'article premier. Cette question ne faisait toutefois pas l'objet de la présente instance. Contrairement à l'arrêt A(FC) de la Chambre des lords, les dispositions en matière d'immigration ont été régulièrement appliquées pour combattre le terrorisme: M. Almrei était entré au Canada par des moyens frauduleux, un comportement qui justifiait l'application des lois sur l'immigration. La situation n'était pas la même dans la nouvelle décision de la Cour suprême des États-Unis dans Clark v. Martinez, qui vise les limites de la détention d'un ressortissant étranger.
Le présent appel, ainsi que les deux décisions Charkaoui, révèlent qu'il faut réévaluer la politique sur le droit d'appel dans des cas de détention, afin de clarifier l'intention du législateur et d'assurer une plus grande cohérence. Il y a également lieu de se pencher sur la question de l'utilisation et de l'accès à la preuve secrète par les juges siégeant en appel. Enfin, le législateur devrait indiquer les réparations que peut obtenir un résident permanent qui est détenu et qui ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable.
lois et règlements cités
Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001 (R.-U.), 2001, ch. 24.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 12, 24.
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1, 2, 3, 16.
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 33(2).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(4)).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 27(1) (mod., idem, art. 34).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e)(iii) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (iv)(C) (mod., idem), f)(ii) (mod., idem), (iii)(B) (mod., idem), 32(6) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11), 40.1(8) (édicté, idem, ch. 29, art. 4), (9) (édicté, idem).
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 34(1), 76 «renseignements», 77(1) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 78, 79 (mod., idem), 80, 81, 82, 83, 84, 86, 87, 115(1),(2)b).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 4(2), 7.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2).
Terrorism Act 2000 (R.-U.), 2000, ch. 11.
jurisprudence citée
décisions appliquées:
Charkaoui (Re) (2004), 328 N.R. 201; 2004 CAF 421; Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171; 77 C.R.R. (2d) 144; 7 Imm. L.R. (3d) 1; 261 N.R. 40 (C.A.F.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; 2002 CSC 1; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1; 2000 CSC 44.
décisions distinctes:
A(FC) and others (FC) v. Secretary of State for the Home Department, [2004] UKHL 56; Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451; (2003), 236 D.L.R. (4th) 91; 315 N.R. 1; 2003 CAF 407; Abbott c. Canada (1993), 64 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.); Clark v. Martinez, 125 S. Ct. 716; 160 L. Ed. 2d 734 (2005).
décision examinée:
R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3; (1990), 65 D.L.R. (4th) 193; 42 Admin. L.R. 118; 52 C.C.C. (3d) 481; 74 C.R. (3d) 1; 46 C.R.R. 104; 104 N.R. 81; 37 O.A.C. 63.
décisions citées:
A v. Secretary of State for the Home Department, [2002] EWCA Civ 1502; [2002] E.W.J. no 4678 (QL); Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297; 2001 CFPI 1288; Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 245 F.T.R. 27; 2003 CF 1523; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2004] 1 R.C.F. 493; (2003), 238 F.T.R. 12; 2003 CF 928; Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 247 F.T.R. 68; 38 Imm. L.R. (3d) 179; 2004 CF 299; Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33; (2003), 185 C.C.C. (3d) 129; 320 N.R. 275; 2003 CAF 246; autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée le 22 octobre 2003; R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455; (2000), 184 D.L.R. (4th) 385; 134 B.C.A.C. 236; 143 C.C.C. (3d) 129; 32 C.R. (5th) 58; 252 N.R. 332; 2000 CSC 18; Almrei v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 5198 (QL); [2003] O.T.C. 1104 (C.S.J.).
APPEL d'une décision de la Cour fédérale ([2004] 4 R.C.F. 327; (2004), 249 F.T.R. 53; 38 Imm. L.R. (3d) 117; 2004 CF 420) rejetant la demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Appel rejeté.
ont comparu:
John R. Norris, Barbara L. Jackman et Hadayt Nazami pour l'appelant.
Donald A. MacIntosh, Alexis Singer et Toby J. Hoffmann pour les intimés.
avocats inscrits au dossier:
Jackman and Associates, Toronto et Ruby & Edwardh, Toronto pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision du juge désigné Blanchard de la Cour fédérale du Canada [[2004] 4 R.C.F. 327] en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[2]Le juge Blanchard a rejeté la demande de mise en liberté présentée par l'appelant, M. Hassan Almrei, en application du paragraphe 84(2) de la LIPR. Par souci de commodité, voici la table des matières des présents motifs:
Table des matières
paragraphe
Énoncé des questions en litige 3
Faits et procédure 5
Dispositions législatives 24
Question préliminaire: La décision rendue par un juge désigné, en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, est-elle susceptible d'appel? 25
Analyse des questions en litige 39
1. Le juge a-t-il commis une erreur en décidant que, dans une demande de mise en liberté présentée en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, il incombe à l'étranger d'établir que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui? 39 |
2. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la période de temps qui s'est écoulée pendant que le demandeur deman-dait réparation au tribunal ne doit pas être calculée lorsqu'il s'agit de décider si le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable? 53 |
3. Le juge a-t-il commis une erreur quand il a décidé que l'article 78 de la LIPR, qui garantit la confidentialité des renseigne-ments dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), permettant ainsi à un juge désigné d'entendre à huis clos et ex parte la preuve de la Couronne? 59 |
4. Le processus ex parte et à huis clos a-t-il entraîné une violation des principes d'équité? 77 |
5. M. Almrei avait-il établi que son renvoi n'aurait pas lieu dans un délai raisonnable et le juge a-t-il commis une erreur en ne reconnaissant pas le bien-fondé de cette preuve? 78 |
a) la durée de la détention 84 |
b) les conditions de détention 103 |
6. Le juge a-t-il omis de présenter les motifs qui lui ont permis de conclure que la preuve secrète qu'il avait reçue était fiable, crédible et digne de foi, ou a-t-il omis de vérifier si la preuve était fiable, crédible et digne de foi? 107 |
7. M. Almrei a-t-il réussi à établir que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale? 107 |
8. Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le maintien de la détention de M. Almrei ne violait pas les droits de M. Almrei en vertu des articles 7 et 12 de la Charte? 111 |
Décision de la Chambre des lords dans A(FC) and others (FC) v. Secretary of State for the Home Department 115
Décision de la Cour suprême des États-Unis dans Clark v. Martinez 131
Conclusion 134
Énoncé des questions en litige
[3]M. Almrei soulève plusieurs questions. En voici un résumé:
1 - Le juge a-t-il commis une erreur en décidant que, dans une demande de mise en liberté présentée en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, il incombe à l'étranger d'établir que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui?
2 - Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la période de temps qui s'est écoulée pendant que le demandeur demandait réparation au tribunal ne doit pas être calculée lorsqu'il s'agit de décider si le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable?
3 - Le juge a-t-il commis une erreur quand il a décidé que l'article 78 de la LIPR, qui garantit la confidentialité des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), permettant ainsi à un juge désigné d'entendre à huis clos et ex parte la preuve de la Couronne?
4 - Le processus ex parte et à huis clos a-t-il entraîné une violation des principes d'équité?
5 - M. Almrei avait-il établi que son renvoi n'aurait pas lieu dans un délai raisonnable et le juge a-t-il commis une erreur en ne reconnaissant pas le bien-fondé de cette preuve?
6 - Le juge a-t-il omis de présenter les motifs qui lui ont permis de conclure que la preuve secrète qu'il avait reçue était fiable, crédible et digne de foi, ou a-t-il omis de vérifier si la preuve était fiable, crédible et digne de foi?
7 - M. Almrei a-t-il réussi à établir que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale?
8 - Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le maintien de la détention de M. Almrei ne violait pas les droits de M. Almrei en vertu de l'article 7 (liberté et sécurité de sa personne) et de l'article 12 (protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte)?
[4]Conformément à l'instruction de la Cour donnée le 13 décembre 2004, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la question de savoir si la décision rendue par le juge désigné rejetant une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2) était susceptible d'appel. À leur demande, les parties ont obtenu la permission de déposer des observations écrites à cet égard. M. Almrei avait jusqu'au 28 janvier 2005 pour déposer ses observations en réponse. Les parties souhaitaient également traiter d'une décision rendue par la Chambre des lords, le 16 décembre 2004, concernant la légalité de la détention de ressortissants étrangers en vertu de la loi britannique, la Terrorism Act 2000 (R.-U.), 2000, ch. 11: voir A(FC) and others (FC) v. Secretary of State for the Home Department, [2004] UKHL 56, affaire entendue en appel de [2002] EWCA Civ 1502 [sub. nom. A. v. Secretary of State for the Home Department]. Après avoir brièvement résumé les faits et la procédure en cause, je commencerai par examiner la question de l'existence d'un droit d'appel.
Faits et procédure
[5]En l'espèce, il faut tenir particulièrement compte des faits puisque les délais et les agissements des parties sont une question essentielle lors d'une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2).
[6]M. Almrei est un étranger. Il a obtenu le statut de réfugié en juin 2000.
[7]Selon des rapports secrets en matière de sécurité, M. Almrei faisait partie d'un réseau international de groupes extrémistes qui observent et soutiennent les idéaux islamiques et les opinions embrassés par Oussama ben Laden; il faisait également partie d'un réseau de faussaires aux ramifications internationales qui produit des faux documents pour faciliter les déplacements à l'étranger. Il avait obtenu et utilisé de faux passeports pour entrer et sortir de divers pays. Les rapports mentionnaient également qu'il avait participé au djihad. On trouvera un compte rendu plus détaillé de la participation alléguée de M. Almrei aux groupes extrémistes et au réseau ben Laden aux paragraphes 37 à 43 de la décision du juge. J'y reviendrai, ainsi qu'à d'autres faits pertinents, dans l'examen de quelques-uns des motifs d'appel.
[8]M. Almrei est détenu depuis le 19 octobre 2001 en vertu d'un certificat de sécurité. Le certificat affirmait que M. Almrei était une personne interdite de territoire pour les motifs énoncés au sous-alinéa 19(1)e)(iii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], division 19(1)e)(iv)(C) [mod. idem], sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem] et division 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. En résumé, il était allégué qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Almrei était une personne dont on pouvait penser qu'elle se livrait ou s'était livrée à des actes de terrorisme et qu'elle était membre d'une organisation dont il y avait des motifs de croire qu'elle avait commis ou commettrait des actes de terrorisme. La juge Tremblay-Lamer a conclu, le 23 novembre 2001, que le certificat était raisonnable [Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.)].
[9]Le 5 décembre 2001, M. Almrei a été informé que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) solliciterait un avis selon lequel il constituait un danger pour la sécurité du Canada. S'il était rendu, l'avis autoriserait le renvoi du demandeur en Syrie, pays dont il est citoyen.
[10]Une mesure d'expulsion a été prononcée contre M. Almrei le 11 février 2002, conformément au paragraphe 32(6) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11] de l'ancienne Loi sur l'immigration, au motif qu'il appartenait à une catégorie non admissible au Canada. Le 28 juin 2002, la LIPR est entrée en vigueur. M. Almrei a présenté une demande de mise en liberté en vertu de la LIPR, le 23 septembre 2002. Il aurait pu demander sa mise en liberté dès juin 2002.
[11]Un premier avis selon lequel M. Almrei constituait un danger a été exprimé en janvier 2003, suivant lequel le ministre a décidé, le 13 janvier 2003, de renvoyer M. Almrei en Syrie. Le 16 janvier 2003, M. Almrei a été informé de la décision, ainsi que des dispositions prises à cet égard.
[12]Le lendemain, M. Almrei a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du ministre, ainsi qu'une requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Le ministre a consenti à ce que soit autorisé le dépôt de la demande de contrôle judiciaire et a pris des dispositions pour surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi. En retour, M. Almrei a accepté que soit suspendu l'examen de sa demande de mise en liberté.
[13]Le ministre a reconnu que de graves erreurs avaient été commises dans le premier avis de danger et il a consenti à la demande de contrôle judiciaire de l'avis présentée par M. Almrei. Il a donné son consentement le 23 avril 2003. M. Almrei a alors demandé la reprise de l'examen de sa demande de mise en liberté et la date de l'audience a été fixée au 24 juin 2003. L'audience a duré deux jours. Les parties devaient déposer leurs observations écrites avant la fin du mois d'août 2003.
[14]Le juge n'avait pas encore entendu la demande de mise en liberté quand un avis a été signifié à M. Almrei, le 28 juillet 2003, selon lequel le ministre allait demander un deuxième avis de danger, conformément à l'alinéa 115(2)b) de la LIPR. M. Almrei a sollicité et obtenu une prorogation du délai, jusqu'au 2 septembre 2003, afin de présenter ses observations sur les risques auxquels il serait exposé si un avis de danger était émis et qu'il devait retourner en Syrie.
[15]Le 16 septembre 2003, les parties ont discuté, par conférence téléphonique, de la reprise de l'examen de la demande de mise en liberté du demandeur. Le 24 novembre 2003 était la date la plus rapprochée disponible pour la reprise de l'examen.
[16]S'en est suivie, le 17 octobre 2003, une ordonnance qui exigeait que certains documents demeurent confidentiels et qu'un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) soit disponible pour être interrogé par M. Almrei. Les 21 et 24 novembre 2003, après réception des observations des parties, des ordonnances ont été rendues concernant la non-divulgation de certains éléments de preuve.
[17]Toutefois, le 23 octobre 2003, le représentant du ministre a décidé, en application de l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, que l'appelant devait être renvoyé en Syrie. Une semaine plus tard, M. Almrei a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre.
[18]Le 21 novembre 2003, une preuve par affidavit produite au nom de la Couronne indiquait que la date de renvoi de M. Almrei avait été choisie et que le renvoi aurait lieu, au plus tard, dans deux semaines et demie.
[19]Comme son renvoi était imminent, M. Almrei a sollicité un sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit disposé de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre. Entre-temps, l'audition de la demande de mise en liberté a été ajournée. Le 27 novembre 2003, la mesure d'expulsion du 11 février 2003 a été suspendue et l'examen de la demande de mise en liberté a repris. L'examen s'est poursuivi le lendemain.
[20]Au cours de l'audience de deux jours, des arguments ont été présentés concernant l'applicabilité de l'examen à huis clos et ex parte prévu par l'article 78 de la LIPR. La discussion a amené les parties à déposer des observations écrites et le juge a décidé, le 29 décembre 2003, que l'article 78 de la LIPR s'appliquait à une demande de mise en liberté faite en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR [Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 245 F.T.R. 27 (C.F.)].
[21]L'examen de la demande de mise en liberté a repris le 5 janvier 2004 et s'est terminé le 7 janvier 2004. Les parties ont présenté leurs observations et M. Almrei a demandé et obtenu une prorogation du délai pour déposer ses observations en réponse, soit jusqu'au 18 février 2004. La décision concernant la demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) a été rendue le 19 mars 2004. Il s'agit de la décision visée par l'appel.
[22]Je devrais ajouter, pour tout dire, que l'autorisation relative au contrôle judiciaire du deuxième avis de danger a été accordée le 3 août 2004 et que l'audition de la demande de contrôle judiciaire a eu lieu les 16 et 17 novembre 2004. La question a été mise en délibéré. Au moment de la rédaction des présents motifs, la décision n'avait pas encore été rendue.
[23]Comme le souligne ce bref résumé des faits et de la procédure, le dossier de M. Almrei a rendu nécessaires plusieurs audiences et instances qui, d'ailleurs, ont pris beaucoup de temps et ont retardé le processus. Je vais maintenant examiner le cadre législatif.
Dispositions législatives
[24]Voici toutes les dispositions pertinentes [de la LIPR]. Leur lecture permettra de mieux comprendre l'analyse qui suit [art. 77(1) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 79 (mod., idem)]:
Section 4
Interdictions de territoire
34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants:
a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;
b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;
c) se livrer au terrorisme;
d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;
e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;
f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).
[. . .]
Section 9
Examen de renseignements à protéger
[. . .]
76. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section.
[. . .]
«renseignements» Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.
77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.
[. . .]
78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:
a) le juge entend l'affaire;
b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;
c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;
d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;
e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;
f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;
g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;
h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;
i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;
j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.
79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).
(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.
80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.
(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.
(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.
81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).
[. . .]
82. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent lancer un mandat pour l'arrestation et la mise en détention du résident permanent visé au certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.
(2) L'étranger nommé au certificat est mis en détention sans nécessité de mandat.
83. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l'article 78 s'appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.
(2) Tant qu'il n'est pas statué sur le certificat, l'intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.
(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.
84. (1) Le ministre peut, sur demande, mettre le résident permanent ou l'étranger en liberté s'il veut quitter le Canada.
(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.
[. . .]
86. (1) Le ministre peut, dans le cadre de l'appel devant la Section d'appel de l'immigration, du contrôle de la détention ou de l'enquête demander l'interdiction de la divulgation des renseignements.
(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, la mention de juge valant mention de la section compétente de la Commission.
[. . .]
87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au juge d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.
(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé et au délai.
Question préliminaire: La décision rendue par un juge désigné, en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, est-elle susceptible d'appel?
[25]Un droit d'appel est un droit prévu par la loi. En règle générale, il n'y a pas de droit d'appel sauf si ce droit est prévu par une disposition législative. Le paragraphe 27(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], reconnaît le droit d'interjeter appel d'un jugement définitif ou interlocutoire de la Cour fédérale. La Cour a décidé, dans Charkaoui (Re) (2004), 328 N.R. 201 (C.A.F.) (Charkaoui (2004)), aux paragraphes 40 à 42, que la décision d'un jugé désigné, en vertu de la LIPR, est une décision de la Cour. Par conséquent, la décision rendue par un juge désigné en application du paragraphe 84(2) est susceptible d'appel, à moins d'une disposition expresse ou implicite à l'effet contraire.
[26]L'avocat des intimés (la Couronne) prétend que le régime mis en place par la LIPR empêche implicitement l'exercice du droit d'appel conféré par la Loi sur les Cours fédérales. Il se fonde sur une autre décision de la Cour concernant M. Charkaoui, Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 1 R.C.F. 451 (C.A.F.) (Charkaoui (2003)), dans laquelle la Cour a conclu que la décision d'un juge désigné concernant le maintien en détention d'un résident permanent n'est pas susceptible d'appel, au motif principalement qu'il existe en vertu de l'article 83 de la LIPR un processus d'examen continu des motifs de la détention d'un résident permanent. J'estime respectueusement que, dans la présente affaire, les faits et les dispositions législatives applicables ne sont pas les mêmes lorsque la détention d'un étranger s'opère en vertu des articles 82 et 84.
[27]L'examen des motifs de la détention d'un résident permanent, en vertu de l'article 83, a lieu avant que le juge ne prenne une décision sur le caractère raisonnable du certificat, et donc avant que le tribunal ne décide, d'une manière définitive, que le résident permanent est interdit de territoire au Canada. Si la Cour d'appel fédérale, saisie en appel de la question des motifs de la détention, devait conclure que le détenu ne constitue pas un danger pour la sécurité nationale, la décision évincerait, à toutes fins pratiques, la décision du juge concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité, alors que cette décision est réservée au juge désigné et qu'elle est définitive et non susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire: voir le paragraphe 80(3) de la LIPR. Par contre, l'examen des motifs de la détention d'un ressortissant étranger, en application du paragraphe 84(2), a lieu après la décision sur le caractère raisonnable du certificat et dans le contexte différent d'un renvoi différé du Canada. À cette étape, un appel concernant la détention n'a aucun impact sur la décision relative au caractère raisonnable du certificat, ni sur la compétence exclusive du juge désigné pour prendre une telle décision.
[28]Deuxièmement, rien n'indique, au paragraphe 84(2) de la LIPR, que l'appel autorisé en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales soit interdit. Le droit d'appel d'une décision rendue conformément au paragraphe 84(2) n'est pas incompatible avec la disposition qui, en termes généraux, a pour objet d'assurer que les autorités feront preuve de diligence dans le renvoi d'un ressortissant étranger qui a été détenu pour des motifs de sécurité. L'article 83 s'applique aux résidents permanents et prévoit le contrôle continu et périodique obligatoire des motifs de la détention par un juge désigné. Contrairement à cet article qui, de ce fait, rend l'exercice du droit d'appel peu pratique et virtuellement impossible, le paragraphe 84(2) ne prévoit pas ce type de protection. Dans ces circonstances, un examen par voie d'appel est susceptible de mieux assurer le respect de la disposition et de l'obligation de procéder au renvoi dans le délai raisonnable qu'elle prévoit.
[29]Troisièmement, le maintien de la détention ou la mise en liberté d'une personne est une question importante, dans le contexte d'un délai déraisonnable, lorsque les autorités prolongent d'une manière indue et injustifiable la détention d'une personne, en violation de son droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité de la personne. Je ne vois aucun avantage, pour la société, qu'un ressortissant étranger soit détenu d'une manière injustifiée, inconstitutionnelle et illégale, ni qu'il soit mis en liberté d'une manière injustifiée ou illégale à cause d'erreurs juridiques ou de conclusions arbitraires, tirées par un juge désigné, qui ne peuvent être corrigées. Si le législateur avait l'intention ne pas modifier des décisions erronées ou arbitraires qui entraînent une détention ou une mise en liberté illégale, il aurait dit expressément que les décisions en vertu du paragraphe 84(2) étaient définitives et non susceptibles d'appel, comme il l'a fait concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité, ou il aurait en quelque sorte indiqué, du moins implicitement comme il l'a fait à l'article 83, que tel était son désir.
[30]Quatrièmement, comme il apparaîtra dans l'examen des motifs d'appel de M. Almrei, le paragraphe 84(2) est une disposition qui, dans l'intérêt public, exige des interprétations et directives obligatoires relativement à sa portée, à son sens, aux facteurs dont il faut tenir compte dans son application et à la charge de la preuve, résultat qui ne peut être obtenu que d'une juridiction d'appel puisqu'un juge désigné n'est pas lié par les décisions des autres juges désignés. Il est beaucoup plus souhaitable d'assurer la cohérence et l'uniformité de l'interprétation et de l'application de cette disposition lorsque le droit constitutionnel à la liberté de la personne et l'obligation du gouvernement d'empêcher toute atteinte à ce droit constitutionnel sont en jeu.
[31]Cinquièmement, pour des raisons tout à fait pratiques qu'il faut reconnaître, comme l'a fait la Cour au paragraphe 60 de l'arrêt Charkaoui (2004), les parties auraient pu suivre une procédure parallèle devant la Cour fédérale et peut-être devant le même juge désigné au sujet de la violation des articles 7 et 12 de la Charte et de la compétence du juge qui entend une demande en vertu du paragraphe 84(2), qu'il s'agisse d'une question d'absence, d'abus ou d'excès de compétence ou du refus d'exercer ladite compétence. Les décisions prises par la suite, par la Cour fédérale, concernant ces questions constitutionnelles, violations de la Charte ou questions de compétence, seraient susceptibles d'appel. Deux des motifs d'appel de M. Almrei soulèvent ces questions et ce serait une perte de temps et de ressources judiciaires de lui demander d'instituer une nouvelle procédure devant la Cour fédérale.
[32]La reconnaissance d'un droit d'appel soulève néanmoins une préoccupation pratique concernant le traitement et l'examen de la preuve secrète dont est saisi le juge désigné. Cette préoccupation a été abordée dans Charkaoui (2003), particulièrement au regard d'une nouvelle preuve concernant la sécurité nationale qui peut être obtenue après qu'une décision sur la question de la détention a été rendue. J'estime qu'une telle préoccupation, quoique régulière, n'est pas aussi grave en l'espèce pour les motifs suivants.
[33]Comme le révèle la présente procédure et comme il apparaîtra quand j'aborderai les motifs d'appel nos 6 et 7, une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) vise essentiellement la question de savoir si l'étranger sera renvoyé dans un délai raisonnable. Il n'est point nécessaire d'avoir une preuve secrète à cette fin. Ce n'est que s'il existe une preuve que le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable qu'il faut examiner la question de savoir si la mise en liberté du ressortissant étranger constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. À ce moment-là, un examen de l'ordonnance en vue du maintien de la détention pourrait exiger un examen de la preuve secrète, mais, encore une fois, cela n'est nécessaire que si la preuve au dossier public ne justifie pas l'ordonnance. Ainsi, la production d'une preuve secrète n'est pas toujours nécessaire à chaque fois qu'il y a une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2).
[34]Bien entendu, la situation est différente lorsqu'il s'agit d'un contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83, parce que tel contrôle est fait d'abord, et d'ailleurs presque exclusivement, pour des motifs de sécurité nationale dans une instance qui a pour objet de décider du caractère raisonnable du certificat de sécurité (l'autre motif étant que la personne se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi). Ainsi, lors d'un contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83, la question de la sécurité nationale est au coeur de l'examen alors que, dans une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), le renvoi dans un délai raisonnable, lorsque la procédure relative au certificat de sécurité est terminée, est la question principale qui se pose.
[35]En outre, pour les motifs que j'ai déjà énoncés, la question d'admissibilité et d'appréciation d'une nouvelle preuve concernant la sécurité nationale est moins susceptible de se poser lors d'une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2), qu'au cours d'un contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83. Une demande en vertu du paragraphe 84(2) se produit à la fin du processus et d'ailleurs, à l'étape de l'exécution d'une décision confirmant le caractère raisonnable du certificat de sécurité, c'est-à-dire au moins quatre mois après cette décision. Le contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83 a lieu tôt dans le processus et pendant l'ensemble de celui-ci, jusqu'à la décision sur le certificat de sécurité. Pendant ces diverses instances, la divulgation de la preuve se poursuit: voir Charkaoui (2003), au paragraphe 79. Il y a presque toujours une nouvelle preuve concernant la sécurité nationale qui s'ajoute, à diverses étapes du processus. Cela est moins susceptible de se produire lors d'une demande en vertu du paragraphe 84(2), alors que l'élément clé est une preuve de renvoi dans un délai raisonnable.
[36]La Couronne a reconnu, à l'audience, que le renouvellement d'une demande en vertu du paragraphe 84(2) est possible s'il existe de nouveaux faits ou s'il y a un changement important des circonstances depuis la demande antérieure. La Couronne prétend, dans son mémoire supplémentaire des faits et du droit, que cette interprétation élargie du paragraphe 84(2) est justifiée et appuyée par une interprétation de la disposition législative en vertu de son objet, celui-ci étant d'assurer le contrôle judiciaire des motifs de la détention et la protection judiciaire contre toute détention de durée indéterminée ou indéfinie. Le cas échéant, avec respect, il ne faut pas interjeter appel de la décision antérieure, mais déposer une nouvelle demande au motif qu'il existe une nouvelle preuve ou un changement de circonstances. Si une nouvelle preuve devient disponible pendant qu'un appel en rapport avec une demande en vertu du paragraphe 84(2) est en cours et si cette nouvelle preuve pose des difficultés d'ordre pratique, la Cour peut renvoyer l'affaire devant un juge désigné, pour nouvelle décision, compte tenu de la nouvelle preuve.
[37]Somme toute, je ne m'attends pas aux mêmes difficultés pratiques lors d'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) que celles que nous rencontrons dans un contrôle des motifs de la détention en vertu de l'article 83.
[38]Pour ces motifs, je suis d'avis que le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales s'applique toujours et confère à M. Almrei un droit d'appel contre la décision du juge concernant la demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2). Si ma conclusion est erronée, j'estime néanmoins que, compte tenu du temps, de l'argent et de l'énergie dépensés, je devrais répondre aux motifs d'appel de M. Almrei.
Analyse des questions en litige
Motif no 1: Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que, dans une demande de mise en liberté présentée en application du paragraphe 84(2) de la LIPR, il incombe à l'étranger d'établir que la mesure de renvoi ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui?
[39]La question de la charge de la preuve lors d'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) a été tranchée par la Cour, d'une manière irréfutable, dans Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171 (C.A.F.). Le juge Linden, J.C.A. a décidé, dans un jugement unanime, que la charge de la preuve incombe à la partie qui demande sa mise en liberté et que la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. Il s'agissait, dans cette affaire, d'une demande de mise en liberté en vertu des paragraphes 40.1(8) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] et (9) [édicté, idem] de l'ancienne Loi sur l'immigration. Ces dispositions ont aujourd'hui été remplacées par le paragraphe 84(2) de la LIPR. M. Almrei nous demande d'examiner de nouveau cette décision. Il prétend qu'il s'agit d'un fardeau excessif, particulièrement du fait que la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités.
[40]Mis à part le fait que je conviens, avec mon collègue le juge Linden, que la conclusion concernant la charge de la preuve est justifiée par le contenu du paragraphe 84(2), je ne partage pas la préoccupation de M. Almrei selon laquelle il s'agit d'une charge impossible, pour les motifs suivants.
[41]La question de la charge de la preuve a donné lieu à un débat théorique intéressant et abstrait. Toutefois, en pratique, la réalité est beaucoup plus simple et il est très rare qu'un problème théorique se pose. Toute personne qui demande sa mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) doit établir quatre éléments:
a) qu'elle n'a pas été renvoyée du Canada;
b) qu'au moins 120 jours se sont écoulés depuis que la Cour fédérale s'est prononcée sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité;
c) qu'elle ne sera pas renvoyée du Canada dans un délai raisonnable;
d) que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.
[42]Les deux premières conditions d'une demande en vertu du paragraphe 84(2) sont simples et certainement peu difficiles à établir. Quant aux deux dernières, la personne qui demande sa mise en liberté a la charge d'introduire de la preuve. C'est-à-dire qu'elle doit déposer des éléments de preuve établissant qu'elle a des motifs raisonnables de croire que le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Il faut réfuter cette preuve. Sinon, le demandeur obtiendra sa mise en liberté. Cela veut dire que la partie qui conteste la mise en liberté a, à son tour, la charge d'introduire de la preuve. En pratique, la Couronne doit réagir. Elle a également un fardeau d'introduire de la preuve, c'est-à-dire celui de présenter une preuve que le renvoi aura lieu dans un délai raisonnable et, si nécessaire, que la mise en liberté du demandeur constituera un danger pour la sécurité, aux termes du paragraphe 84(2) de la LIPR. Le juge évaluera ensuite les éléments de preuve présentés par les deux parties et il décidera si les conditions du paragraphe 84(2) sont respectées.
[43]L'avocat de M. Almrei a reconnu que si c'est le sens qu'il faut donner à la décision Ahani, comme je le pense, la charge, ainsi définie, qui incombe au demandeur d'une mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), ainsi que la norme de preuve qui est celle de la prépondérance des probabilités, ne soulèvent aucune difficulté.
[44]M. Almrei s'objecte également à la déclaration suivante, aux paragraphes 14 et 15 de la décision Ahani [[2000] A.C.F. no 114 (QL)], au motif qu'elle lui impose un fardeau injuste et excessif:
Normalement, on pourrait s'attendre à ce qu'une personne doive démontrer un changement important dans les circonstances ou présenter une nouvelle preuve qui n'était pas disponible auparavant afin d'être mise en liberté.
Arriver à une autre conclusion équivaudrait à accorder à l'appelant une audience de novo, chose que la loi ne prévoit pas.
[45]Il faut maintenant lire cette déclaration de la Cour dans le contexte des articles 82 et 84, et plus particulièrement dans le contexte des paragraphes 82(2) et 84(2).
[46]Il ne faut pas oublier qu'en conformité avec le paragraphe 82(2) de la LIPR, la mise en détention d'un étranger est obligatoire sans nécessité de mandat. Il faut comparer cette situation avec celle qui prévaut lorsque la personne qui est détenue est un résident permanent visé par un certificat de sécurité.
[47]La légalité de la mise en détention d'un résident permanent est régie par l'article 83. En vertu du paragraphe 83(3), sa détention fait l'objet d'un contrôle et de la protection du juge tant qu'il n'est pas statué sur le caractère raisonnable du certificat: voir Charkaoui (2003) et Charkaoui (2004), au paragraphe 131. Soit dit en passant, la LIPR semble silencieuse sur le contrôle judiciaire des motifs de la détention d'un résident permanent lorsque le certificat a été jugé raisonnable. Ce résident ne saurait présenter une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) qui, de par ses termes, ne s'applique qu'aux étrangers alors que le paragraphe 84(1), qui régit une mise en liberté ordonnée par le ministre, s'applique à un résident permanent ou à un étranger.
[48]En revanche, la détention d'un ressortissant étranger, rendue obligatoire en vertu de la loi, n'aura pas fait l'objet d'un contrôle judiciaire avant que 120 jours ne se soient écoulés depuis la décision sur le certificat et jusqu'à ce qu'une demande en conformité avec le paragraphe 84(2) ait été déposée. Ainsi, ladite demande est la première occasion qu'a le ressortissant étranger d'obtenir le contrôle judiciaire de la légalité de sa mise en détention. Il n'est donc plus possible qu'une demande en vertu du paragraphe 84(2) devienne une audience de novo puisque, aussi curieux que cela puisse paraître, on sait maintenant qu'une décision sur le certificat de sécurité n'est pas une preuve concluante que la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada: voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 83. Autrement dit, la décision sur le certificat de sécurité n'est pas déterminante du bien-fondé, de l'opportunité et de la légalité de la détention de la personne, même si elle peut être fondée sur la conclusion selon laquelle la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada, en conformité avec l'alinéa 34(1)d) de la LIPR.
[49]Dans le contexte d'une première audience, comme en l'espèce, il n'est pas nécessaire que la personne qui sollicite sa mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR fasse la preuve d'un changement de circonstances ou de l'existence d'une nouvelle preuve non disponible jusqu'alors. Il se peut que le juge qui entend la demande soit convaincu, en se fondant sur la preuve existante, que la détention qui a eu cours par l'effet de la loi et qui n'a jamais fait l'objet d'un contrôle n'est justifiée par aucune préoccupation concernant la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.
[50]Bien entendu, il a pu y avoir un changement de circonstances qui a pu soit aider, soit nuire à un demandeur. De nouveaux faits sont peut-être apparus qui constituent une nouvelle preuve de la nécessité de détenir ou de mettre en liberté le demandeur. Le délai a pu permettre de voir différemment et d'une manière défavorable les motifs invoqués pour la détention. Voilà des éléments, s'ils sont présentés en preuve, qui seront examinés par le juge lorsqu'il prendra une décision sur la question de savoir si la prépondérance des probabilités favorise une partie ou une autre.
[51]M. Almrei nous a demandé d'examiner de nouveau une déclaration qui se trouve au paragraphe 13 de la décision Ahani dans laquelle mon collègue, le juge Linden, a écrit que «la mise en liberté prévue au paragraphe 40.1(9) ne peut être automatique ou facile à obtenir. Cette mise en liberté est censée n'être permise "que dans les circonstances très restreintes" énumérées dans la loi». L'avocat de M. Almrei prétend que cette affirmation atténue et limite indûment la portée d'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2).
[52]Avec respect, je pense que l'affirmation est tout à fait légitime. Les conditions mentionnées au paragraphe 84(2) doivent être respectées avant que la mise en liberté d'un détenu ne soit possible et, par conséquent, cette mise en liberté n'est pas automatique. La question de savoir si cela est difficile dépend de la preuve produite à l'audition de la demande. Quant aux circonstances dans lesquelles la mise en liberté peut être obtenue, elles sont déterminées par les quatre conditions énumérées au paragraphe 84(2) de la LIPR qui, en fait, limitent la portée du contrôle, même si j'estime qu'une demande en vertu du paragraphe 84(2), à l'instar de toute autre demande, peut être renouvelée si de nouveaux faits apparaissent ou si la situation a évolué au point où la détention n'est plus nécessaire ni justifiée.
Motif no 2: Le juge a-t-il commis une erreur quand il a décidé que la période de temps qui s'est écoulée pendant que le demandeur demandait réparation au tribunal ne doit pas être calculée lorsqu'il s'agit de décider si son renvoi aura lieu dans un délai raisonnable?
[53]Au soutien de ce motif d'appel, M. Almrei se fonde sur des extraits de la décision Ahani que j'ai analysés plus haut. Il ajoute les propos suivants du juge qui cite Ahani, au paragraphe 93 de sa décision:
Les moyens pris par le demandeur pour empêcher son renvoi, par l'introduction de nombreuses procédures judiciaires, ont incontestablement allongé la durée de sa détention. Il a le droit d'introduire des procédures légitimes, mais il ne peut alors soutenir: «que le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable, alors que le temps nécessaire pour entendre toutes les demandes et les appels s'étire sur des mois et des années» (arrêt Ahani (2000) [. . .]).
[54]L'essentiel de l'argument présenté par M. Almrei apparaît au paragraphe 33 de son mémoire des faits et du droit lorsqu'il affirme qu'[traduction] «en l'absence de toute indication dans la loi permettant à un juge de ne pas tenir compte du délai de renvoi causé par les mesures prises par la personne qui demande une réparation efficace, le tribunal n'est pas autorisé à interpréter la disposition de manière à en limiter la portée». Ce que M. Almrei conteste, c'est la compétence du juge de ne pas tenir compte du délai, comme il l'a fait en l'espèce. Comme nous le verrons plus tard, M. Almrei prétend, comme motif subsidiaire d'appel, que le juge, s'il possède cette compétence, l'a irrégulièrement exercée: voir le motif no 5.
[55]Lors d'une demande en vertu du paragraphe 84(2), le juge doit décider si l'étranger sera ou non renvoyé du Canada dans un «délai raisonnable». La notion de renvoi dans un «délai raisonnable» exige qu'un certain temps se soit écoulé depuis le moment où le certificat a été déclaré raisonnable et l'appréciation de la question de savoir si le délai est tel qu'il faut conclure que le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable. Les préoccupations concernant une violation possible de l'exigence relative au «délai raisonnable» surviennent après les 120 jours mentionnés au paragraphe 84(2), lorsque le renvoi n'a pas encore eu lieu.
[56]À cette étape de l'analyse, je dois souligner qu'il ne faut pas confondre la notion de «délai raisonnable» et le critère qui s'applique en matière de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR même si, bien entendu, ils sont étroitement liés. J'aborderai cette question lorsque j'analyserai le cinquième motif d'appel de M. Almrei. Pour l'heure, nous nous en tenons tout simplement à la notion de délai, ainsi qu'au rôle et au pouvoir du juge qui en fait le calcul.
[57]Lorsque le renvoi d'un étranger est reporté de manière à ce qu'entre en jeu l'exigence du «délai raisonnable», le juge qui entend la demande de mise en liberté doit tenir compte du délai et en examiner les causes. Les demandes de réparations judiciaires doivent être présentées avec diligence et en temps utile. Il en va de même pour les réponses gouvernementales et l'audition de ces demandes par la cour. Les cours ont, comme elles se doivent de le faire, entendu prioritairement les contestations de la légalité d'une détention. La Cour suprême du Canada a dit, dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 115, 121 et 122, que pour qu'un délai soit abusif ou inéquitable, il doit être déraisonnable ou excessif. La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de «la nature de l'affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l'objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d'autres circonstances de l'affaire» (non souligné dans l'original): voir le paragraphe 122 de l'arrêt Blencoe.
[58]Ainsi, en décidant s'il y aura exécution ou application de la mesure de renvoi dans un délai raisonnable, le juge doit tenir compte du délai occasionné par les parties, ainsi que du délai institutionnel qui fait partie intégrante de l'obtention d'une réparation. Je suis convaincu que la compétence conférée par le paragraphe 84(2) de la LIPR autorise un juge à ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du délai résultant d'une procédure amorcée par le demandeur qui a pour effet précis d'empêcher la Couronne d'appliquer la loi dans un délai raisonnable, comme l'exige la disposition. En d'autres termes, lorsqu'un demandeur, à tort ou à raison, tente d'empêcher son renvoi du Canada et qu'un délai s'en suit, il ne peut se plaindre que ce renvoi n'a pas eu lieu dans un délai raisonnable, sauf si le délai est déraisonnable ou excessif pour des raisons qui ne relèvent pas de lui. Le juge n'a pas commis une erreur lorsqu'en se fondant sur la décision Ahani, il n'a pas tenu compte du délai occasionné par la contestation de M. Almrei de sa mesure de renvoi.
Motif no 3: Le juge a-t-il commis une erreur quand il a décidé que l'article 78 de la LIPR, qui garantit la confidentialité des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), permettant ainsi à un juge désigné d'entendre à huis clos et ex parte une preuve de la Couronne?
[59]Le juge a conclu, comme l'ont fait deux autres juges désignés avant lui (la juge Dawson dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2004] 1 R.C.F. 493; le juge MacKay dans Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 247 F.T.R. 68 (C.F.), que la procédure autorisée par l'article 78 de la LIPR s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2). M. Almrei prétend qu'il s'agit d'une erreur de droit puisque le paragraphe 84(2) n'incorpore pas l'article 78, contrairement à d'autres dispositions qui mentionnent précisément que l'article 78 s'applique: voir les paragraphes 83(1), 86(2) et 87(2).
[60]Par conséquent, selon l'argument proposé, le législateur ne voulait pas que ce processus secret et injuste, qui n'avantage que la Couronne, s'applique à une demande de mise en liberté parce que la Couronne a déjà eu l'occasion de présenter une preuve secrète à l'audience sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ainsi, la Couronne ne saurait prétendre que la sécurité nationale n'est pas protégée parce que le certificat de sécurité a déjà été déclaré raisonnable et qu'il constitue une preuve probante qu'une personne est interdite de territoire: voir le mémoire des faits et du droit de l'appelant, aux paragraphes 38 à 40. Je ne peux accepter cet argument de M. Almrei.
[61]Premièrement, cet argument prend pour acquis que la nécessité de protéger la sécurité nationale cesse d'exister lorsqu'on conclut qu'un certificat de sécurité est raisonnable et que, par la suite, la question de la protection de la sécurité nationale n'est pas pertinente pour ce qui concerne la mise en liberté ou, si elle est pertinente, qu'elle doit être tranchée, comme dit la Couronne, sur un dossier incomplet, sans égard aux motifs qui, au départ, ont entraîné la détention du demandeur.
[62]Deuxièmement, tel que susmentionné, ce n'est pas parce que le certificat de sécurité a été jugé raisonnable qu'il faut conclure que la personne visée par le certificat constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui: voir Suresh, au paragraphe 83. Cette question doit donc être tranchée, de même que celle du maintien de la détention qui en résulte. On ne saurait donc affirmer que les ministres ont satisfait à leur besoin de présenter une preuve, qu'elle soit confidentielle ou non, sur la question de la détention, du fait qu'ils ont eu l'occasion de le faire lors de l'étude de la question du caractère raisonnable du certificat.
[63]Troisièmement, la demande de mise en liberté présentée par un étranger en vertu du paragraphe 84(2) soulève la question même de la nécessité de maintenir la détention afin de protéger la sécurité nationale. Nous l'avons dit, la question est soulevée pour la première fois. La question du danger pour la sécurité nationale se pose afin de décider si un étranger, qui a été déclaré interdit de territoire, comme M. Almrei, doit être détenu pendant que les mesures de renvoi sont mises en place. Le juge qui entend la demande de mise en liberté, comme l'illustre la présente instance, n'est pas nécessairement le juge qui a décidé du caractère raisonnable du certificat de sécurité. Ainsi, ce juge peut examiner pour la première fois une preuve qui, si elle était rendue publique comme l'exige M. Almrei, pourrait mettre en péril la sécurité nationale.
[64]À cet égard, M. Almrei est d'avis qu'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), tel qu'il est rédigé, offre à la Couronne deux possibilités. L'une consiste à divulguer à M. Almrei et au public en général, tous les renseignements, y compris les renseignements pouvant mettre en péril la sécurité nationale, si la Couronne veut utiliser ces renseignements. L'autre consiste à ne pas avoir recours à ces renseignements si la Couronne souhaite en préserver le caractère secret ou confidentiel.
[65]La solution proposée par M. Almrei ne permet tout simplement pas de protéger la sécurité nationale dans le cadre d'une enquête susceptible d'entraîner l'appréciation du danger pour la sécurité nationale que pose une personne qui demande sa mise en liberté. Je suis convaincu que telle n'était pas l'intention du législateur.
[66]En outre, la position de M. Almrei mène à plusieurs incongruités et incohérences, pour ne pas dire absurdités, que le législateur n'a pas pu vouloir. Les ministres devraient maintenant révéler, à l'étape de l'évaluation du danger pour les fins de la détention ou de la mise en liberté, des renseignements susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale qui sont demeurés confidentiels tout au long du processus. Autrement dit, alors que ces renseignements sont, à bon escient, demeurés confidentiels concernant la question principale qui est celle du caractère raisonnable du certificat de sécurité et la nécessité de renvoyer M. Almrei du Canada, question dont les répercussions seront profondes, lesdits renseignements devraient maintenant être divulgués publiquement concernant la question secondaire qui est celle de la détention dans l'attente du renvoi.
[67]En outre, un étranger aurait accès à des renseignements susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale dans le contexte de sa demande de mise en liberté alors qu'un résident permanent se verrait refuser tel accès lors du contrôle des motifs de sa détention, en conformité avec le paragraphe 83(3) de la même Loi. Cet étranger aurait accès à des renseignements qu'un citoyen canadien, accusé d'avoir perpétré une infraction criminelle, ne pourrait même pas obtenir: voir Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33 (C.A.F.), autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, le 22 octobre 2003.
[68]La Cour a dit, dans la décision Charkaoui (2004), au paragraphe 98, que le droit d'accès aux renseignements pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ne dépend aucunement du statut juridique de la personne puisque l'atteinte à la sécurité nationale n'est pas, pour autant, inexistante, moins réelle et moins sérieuse, parce que la personne est un résident permanent par opposition à un citoyen canadien ou à un ressortissant étranger. La Cour a dit [2004 CAF 42]:
En d'autres termes, que le chapeau qu'une personne porte en soit un de citoyen canadien, de résident permanent, de résident temporaire ou de simple visiteur, son interdiction d'accès à de l'information pouvant mettre ou mettant en péril la sécurité nationale de ses faits et gestes ainsi que de la nécessité pour l'État de se prémunir et de se protéger contre des attaques ou des atteintes à sa sécurité ou à celle des individus qui la composent, quel que soit leur statut juridique ou social.
[69]Je ne vois pas comment le législateur aurait pu avoir l'intention de donner à un étranger accès à des renseignements susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale, et encore moins à une personne dont il a été allégué, par la Couronne, dans un certificat de sécurité, qu'elle est interdite de territoire au Canada pour des raisons de sécurité nationale et dont le certificat a été jugé raisonnable par le tribunal.
[70]Enfin, comme le révèle l'expérience actuelle et passée, lorsqu'il s'agit de la sécurité nationale, la situation peut évoluer, même si, comme nous l'avons dit en rapport avec le droit d'appel, cela est moins probable dans le contexte d'un renvoi. Une nouvelle preuve de la portée, de la gravité et de l'imminence de la menace et d'une atteinte à la sécurité nationale peut être recueillie ou obtenue. Selon la position prise par M. Almrei, si la Couronne voulait présenter cette preuve, elle devrait en révéler publiquement le contenu. Il en serait ainsi que la Couronne soit forcée de l'utiliser en réponse à la preuve produite par M. Almrei dans sa demande de mise en liberté ou qu'elle ait eu l'intention d'utiliser cette preuve pour renforcer la preuve déposée lors de l'audience sur le certificat. Et néanmoins, cette preuve déjà produite en rapport avec le certificat devrait demeurer confidentielle comme l'exige l'article 78 de la LIPR alors que la nouvelle preuve supplémentaire serait, elle, divulguée publiquement. Il serait quasi impossible de protéger le caractère confidentiel des renseignements antérieurs tout en divulguant une nouvelle preuve complémentaire et reliée à celle confidentielle. Il est clair que telle n'était pas l'intention du législateur.
[71]Malheureusement, et il faut le regretter, la rédaction législative a quelquefois des ratés. J'estime que le législateur a oublié de dire expressément que le régime décrit à l'article 78 de la LIPR et qui a pour objet d'assurer la protection de la sécurité nationale s'applique au paragraphe 84(2). Cela dit, la recherche de l'intention du législateur en adoptant le paragraphe 84(2) n'est pas terminée. La Cour doit également examiner la disposition en cause, son objet, la section de la Loi dans laquelle elle se trouve, l'objet de cette section, ainsi que l'objectif global de la Loi afin de décider si l'intention du législateur peut être présumée ou si elle est nécessairement implicite.
[72]En l'espèce, l'objet même d'une demande en vertu du paragraphe 84(2), le fait que l'absence de danger pour la sécurité nationale soit une condition essentielle de la mise en liberté, le contexte de la mise en détention initiale, la nature du certificat de sécurité et la procédure permettant de décider de son caractère raisonnable, l'objet de la section 9 dans laquelle se trouve le paragraphe 84(2), qui est d'assurer la protection des renseignements confidentiels ou des renseignements susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale, la définition du terme «renseignements» à l'article 76, la ressemblance entre le contrôle des motifs de la détention d'un résident permanent en conformité avec le paragraphe 83(3) et celui de la demande de mise en liberté d'un étranger en vertu du paragraphe 84(2), sont autant de facteurs qui m'amènent respectueusement à conclure que le législateur a tenu pour avéré ou a implicitement voulu que les mesures de protection de la sécurité nationale prévues par l'article 78 s'appliquent à une demande de mise en liberté, en vertu du paragraphe 84(2), présentée par un étranger dont le renvoi du Canada a été ordonné dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de la sécurité d'autrui.
[73]Je devrais ajouter, avant de conclure, qu'on pourrait atteindre et d'ailleurs qu'on atteindrait le même résultat que celui visé par l'article 78 de la LIPR en appliquant l'article 38 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(4)] de Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 qui, à titre de disposition d'application générale, fait en sorte que, dans le cours d'une instance, les renseignements potentiellement préjudiciables ou sensibles ne sont pas divulgués. Le processus détaillé mis en place par l'article 38 pour empêcher la divulgation de ces renseignements est obligatoire. Les renseignements potentiellement préjudiciables ou sensibles sont définis comme étant des renseignements qui concernent la sécurité nationale ou dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale. Le recours à l'article 38 aurait tout simplement pour effet d'ajouter une autre procédure devant le même tribunal et fort probablement devant le même juge. En fin de compte, le résultat serait le même: une audition ex parte et à huis clos pour assurer que les renseignements pouvant mettre en péril la sécurité nationale ne sont pas divulgués. Ce processus ne ferait qu'entraîner des délais supplémentaires.
[74]L'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada a pour objet d'empêcher, dans le cadre d'une instance, la divulgation de renseignements qui, s'ils étaient divulgués, seraient susceptibles de porter préjudice à la sécurité nationale (voir la définition à l'article 38). Cela me confirme que l'omission, par le législateur, de mentionner que l'article 78 de la LIPR s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) est un oubli, puisqu'une demande en vertu du paragraphe 84(2), à l'instar d'une demande de contrôle des motifs de la détention en vertu du paragraphe 83(3) auquel l'article 78 s'applique, est une instance au cours de laquelle des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables pourraient être divulgués.
[75]Très souvent, les renseignements relatifs à la sécurité nationale en la possession du Canada sont reçus à titre confidentiel d'États ou de services de renseignements étrangers. Ces sources importantes seraient bien vite «taries» si les renseignements reçus à titre confidentiel devaient être divulgués à chaque audience sur les motifs de la détention concernant un étranger qui a été déclaré interdit de territoire et dont le renvoi a été ordonné pour des raisons de sécurité nationale. Serait-ce l'intention du législateur? Poser la question, c'est y répondre.
[76]Somme toute, le juge n'a commis aucune erreur quand il a décidé que l'article 78 s'appliquait à une demande de mise en liberté en application du paragraphe 84(2).
Motifs no 4: Le processus ex parte et à huis clos a-t-il entraîné une violation des principes d'équité?
[77]Ce motif d'appel n'a pas été invoqué plus longuement par M. Almrei compte tenu de la récente décision de la Cour selon laquelle le processus de l'article 78 respecte les principes de justice fondamentale: voir Charkaoui (2004).
Motif no 5: M. Almrei avait-il établi que son renvoi n'aurait pas lieu dans un délai raisonnable et le juge a-t-il commis une erreur en ne reconnaissant pas le bien-fondé de cette preuve?
[78]M. Almrei prétend que le juge a commis une erreur quand il a rejeté son argument selon lequel il ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. À son avis, le juge a mal compris et, par conséquent, mal appliqué la notion de «délai raisonnable».
[79]Plus précisément, M. Almrei prétend qu'une décision concernant le sens des termes «dans un délai raisonnable», au paragraphe 84(2), exige un examen tant du temps de détention à compter de l'arrestation que des conditions de cette détention. Plus les conditions sont «difficiles», prétend-il, plus «ardu» et plus «long» est le temps de détention. Il invoque plusieurs arrêts dans lesquels il a été décidé que la détention présentencielle dans un centre de détention provisoire, qu'on appelle souvent le «temps mort», alors qu'aucun programme de formation, de perfectionnement ou d'éducation n'est disponible, compte pour le double du temps passé dans un établissement carcéral ordinaire: voir par exemple R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, aux paragraphes 28 à 30, 41 et 45. Bien entendu, l'isolement cellulaire aggrave la situation puisque le détenu passe la plupart de son temps dans une cellule, dans des conditions restrictives sévères, avec un contact limité avec les personnes tant de l'intérieur que de l'extérieur et quasiment sans possibilité de faire de l'exercice physique: voir les propos du juge Cory, dissident, dans l'arrêt R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 8, lorsqu'il a dit que l'isolement cellulaire doit être considéré comme une forme distincte de punition et que son imposition à l'intérieur d'une prison comporte une véritable conséquence pénale. J'y reviendrai, ainsi qu'à la situation réelle dans laquelle M. Almrei se trouve, lorsque j'aborderai son argument selon lequel sa détention constitue une peine ou un traitement cruel et inusité.
[80]Je conviens avec M. Almrei que, dans une mesure limitée, que j'expliquerai plus longuement, la durée de la détention passée, ainsi que les conditions de celle-ci, sont des facteurs pertinents dont il faut tenir compte dans l'examen d'une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR. Toutefois, ces deux facteurs sont loin d'être déterminants pour ce qui concerne la demande.
[81]De fait, le critère applicable pour accorder ou refuser une demande en vertu du paragraphe 84(2) est un critère qui vise l'avenir. Il faut une preuve que le demandeur ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Si le gouvernement produit, à l'audience, une preuve crédible et concluante d'un renvoi imminent du Canada, la durée de la détention, ainsi que les conditions de celle-ci perdent beaucoup de leur importance parce que la demande doit aboutir à une prolongation de la détention, à une mise en liberté ou à un renvoi. Puisque le renvoi dans un délai raisonnable respecte les dispositions de la loi, la mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) n'est plus possible. Les délais antérieurs, les conditions de détention, voire les abus, s'ils pouvaient entraîner d'autres réparations, ne sont plus des facteurs opérants selon les termes du paragraphe 84(2), puisqu'il n'existe alors aucune preuve que le demandeur ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Il existe, au contraire, une preuve que le demandeur sera renvoyé rapidement. J'estime que c'est ce que le juge MacKay avait en tête dans Jaballah lorsqu'il a écrit, au paragraphe 35 [2004 CF 299]:
Je devrais mentionner deux considérations pertinentes lors de l'examen de la question de savoir si le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable. La première considération est que la période de 120 jours de détention avant que M. Jaballah ait pu présenter la présente demande de mise en liberté est calculée à partir de la date à laquelle l'attestation des ministres a été jugée raisonnable de sorte que le temps passé en détention avant cette date n'est généralement pas un facteur, pas plus que ne l'est la période de 120 jours, après que le certificat est maintenu, un facteur pris en compte lors de l'évaluation de la question de savoir si une mise en liberté à l'avenir n'aura pas lieu dans un délai raisonnable. La période de 120 jours n'est pas une période de temps raisonnable en soi, sauf comme condition nécessaire de l'application du par. 84(2).
Je suis d'accord avec ces deux considérations, sous réserve de la mise en garde qui suit.
[82]La durée et les conditions de la détention antérieure peuvent s'avérer pertinentes dans l'évaluation de la crédibilité de la preuve selon laquelle le renvoi est imminent. L'historique des événements peut soulever un doute sur la fiabilité de l'affirmation et la preuve soumise selon laquelle le renvoi est imminent ou qu'il est «certain». Quant aux conditions de détention, elles peuvent être de nature telle, particulièrement lorsqu'il s'agit également d'une longue détention, que l'expression «dans un délai raisonnable» prend un autre sens, celui de l'urgence. Le renvoi doit donc être effectué encore plus rapidement afin de respecter les exigences du paragraphe 84(2).
[83]C'est dans cette optique que, lorsque nécessaire, le juge doit examiner la durée et les conditions de la détention, ainsi que les causes déterminantes du délai. Compte tenu de ces facteurs, j'examinerai maintenant le fond des motifs d'appel de M. Almrei.
a) durée de la détention
[84]M. Almrei est détenu depuis plus de trois ans. J'ai préparé un calendrier qui présente l'historique des instances et qui indique les dates des diverses étapes de celles-ci. La colonne de droite décrit, lorsqu'il est opportun de le faire, le temps écoulé entre les diverses étapes:
Calendrier
2001 |
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19 octobre |
M. Almrei est mis en détention. |
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23 novembre |
La juge Tremblay-Lamer rend une décision reconnaissant le caractère raisonnable du certificat de sécurité. |
M. Almrei est détenu depuis 35 jours. |
5 décembre |
Un avis selon lequel le ministre a l'intention de demander un avis de danger pour la sécurité du Canada qui permettrait le renvoi de M. Almrei en Syrie est signifié à ce dernier. |
13 jours se sont écoulés depuis que le certificat a été déclaré raisonnable. |
2002 |
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28 janvier |
M. Almrei répond à l'avis du 5 décembre. |
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11 février |
Une mesure d'expulsion est prise contre M. Almrei en vertu du paragraphe 32(6) de l'ancienne Loi, suivant une décision selon laquelle il est une personne décrite à l'alinéa 27(2)a). En vertu de l'ancienne Loi, un certificat de sécurité n'est pas automatiquement réputé une mesure de renvoi comme il l'est en vertu de la LIPR (voir l'alinéa 40.1(3)b) de l'ancienne Loi). |
82 jours se sont écoulés depuis que le certificat a été jugé raisonnable. |
21 mars |
Même si 120 jours se sont écoulés depuis la décision de la juge Tremblay-Lamer reconnaissant le caractère raisonnable du certificat, en vertu de l'ancienne Loi, un étranger doit attendre 120 jours depuis la date de la mesure d'expulsion ou de renvoi (à compter du 11 février) avant de déposer une demande de mise en liberté. |
120 jours se sont écoulés depuis que le certificat a été reconnu raisonnable. |
10 juin |
M. Almrei peut déposer une demande de mise en liberté en vertu de l'ancienne Loi. |
120 jours se sont écoulés depuis que la mesure de renvoi a été prise. |
28 juin |
La LIPR entre en vigueur. |
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23 septembre |
M. Almrei dépose une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR. À cette étape, il n'y a toujours aucun avis de danger permettant au ministre de renvoyer M. Almrei en Syrie. |
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15 octobre |
Une divulgation supplémentaire est effectuée concernant l'avis du 5 décembre 2001. |
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12 novembre |
M. Almrei répond à la divulgation du 15 octobre. |
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18 novembre |
Le juge Blanchard tient une audience ex parte et à huis clos afin d'examiner les observations de la Cour en réponse à la demande présentée le 23 septembre par M. Almrei en application du paragraphe 84(2) de la LIPR. |
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19 novembre |
Un résumé des renseignements confidentiels est remis à M. Almrei. |
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25 novembre |
L'audience publique sur la demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) commence. |
M. Almrei est détenu depuis 13 mois. |
2003 |
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13 janvier |
Le représentant du ministre forme un avis en vertu de l'alinéa 115(2)b) de la LIPR selon lequel M. Almrei constitue un danger pour la sécurité du Canada. Cet avis permet au ministre d'ordonner le renvoi de M. Almrei en Syrie. |
Plus de 13 mois se sont écoulés depuis l'avis d'intention de demander un avis de danger. |
16 janvier |
M. Almrei est avisé de la décision du ministre. |
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17 janvier |
M. Almrei dépose une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, ainsi qu'une requête en sursis de son renvoi jusqu'à ce que les demandes soient entendues. |
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21 janvier |
Le ministre consent à autoriser la demande de contrôle judiciaire. M. Almrei consent à suspendre la demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR à condition que l'audience puisse reprendre dans les 7 jours, à sa demande. |
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23 avril |
Le ministre consent à la demande de contrôle judiciaire dans une lettre, reconnaissant que des « erreurs graves » avaient été commises lors du premier avis de danger. |
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16 mai |
Le juge Blanchard ordonne que le contrôle judiciaire soit accordé et la reprise du contrôle de la détention de M. Almrei le 24 juin 2003. |
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24 juin |
L'examen de la demande en vertu du paragraphe 84(2) doit reprendre. À ce moment-là, il n'y a aucun avis de danger permettant de penser que le renvoi de M. Almrei est imminent. |
M. Almrei est détenu depuis plus de 20 mois. |
28 juillet |
M. Almrei reçoit un avis selon lequel le ministre demandera un deuxième avis de danger en vertu de l'alinéa 115(2)b) de la LIPR. |
2,5 mois se sont écoulés depuis que le contrôle judiciaire du premier avis de danger a été accordé. |
5 août |
M. Almrei dépose des observations sur une requête exigeant la confidentialité d'une preuve pour lui permettre de témoigner à huis clos et d'obliger un représentant du CSIS ou de la GRC à témoigner. |
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18 août |
M. Almrei demande par lettre une prorogation (ce qui lui est accordé) jusqu'au 2 septembre 2003 pour présenter les observations sur le risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé en Syrie. |
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27 août |
La Couronne dépose les réponses à la requête du 5 août visant à conserver la preuve sous pli scellé. |
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2 septembre |
Fin du délai de présentation des observations de M. Almrei sur le risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé en Syrie. |
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17 octobre |
Le juge Blanchard ordonne que certains renseignements soient scellés et qu'un agent du SCRS soit interrogé par M. Almrei. M. Almrei a 20 jours pour déposer ses observations sur les parties de l'ordonnance qui devraient être protégées et sur les parties des déclarations qu'il a faites et qu'a faites un autre individu qui devraient être radiées. La Couronne a 5 jours pour répondre. |
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23 octobre |
Le représentant du ministre prépare un deuxième avis en vertu de l'alinéa 115(2)b) selon lequel M. Almrei ne serait pas exposé à un risque de torture s'il était renvoyé en Syrie et que, subsidiairement, s'il était exposé à un tel risque, ce risque serait justifié à cause du danger que constitue M. Almrei pour la sécurité du Canada. |
Moins de 3 mois se sont écoulés depuis l'avis de l'intention de demander un deuxième avis de danger. |
30 octobre |
M. Almrei dépose une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du deuxième avis de danger. |
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21 novembre |
Le ministre dépose une preuve indiquant que le renvoi doit avoir lieu dans les deux semaines et demie. M. Almrei demande un sursis du renvoi en attendant la décision sur les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire de l'avis de danger. Une ordonnance est également émise concernant la non-divulgation. |
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24 novembre |
Une ordonnance supplémentaire est émise concernant la non-divulgation. |
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27 novembre |
Le juge Blanchard suspend la mesure d'expulsion du 11 février 2003, en attendant les résultats des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire. Reprise de l'examen de la demande en vertu du paragraphe 84(2). |
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19 décembre |
Le juge Gans, de la Cour supérieure de l'Ontario rend une ordonnance concernant les conditions de détention de M. Almrei. Le personnel du Centre de détention de l'Ouest de Toronto accepte de régler certaines questions. Le juge Gans ordonne qu'on remette des chaussures à M. Almrei et il déclare qu'il demeure saisi de l'affaire au cas où les conditions de détention se détérioreraient de nouveau. |
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29 décembre |
Le juge Blanchard ordonne que l'article 78 de la LIPR s'applique à une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2). |
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2004 |
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19 mars |
Le juge Blanchard publie sa décision rejetant la demande de M. Almrei en vertu du paragraphe 84(2). |
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16 décembre |
La Cour d'appel fédérale entend l'appel interjeté contre le rejet de la demande en vertu du paragraphe 84(2) par le juge Blanchard. |
M. Almrei est détenu depuis plus de 3 ans. |
[85]This timeline shows that the initial proceedings were conducted rapidly. A deportation order was issued less than three months after the decision was rendered on the reasonableness of the certificate. However, 13 months elapsed before the danger opinion was issued by the Minister. Why did it take so much time? Was the delay reasonable and who is accountable for it?
[85]Le calendrier révèle que les premières instances se sont déroulées rapidement. Une mesure d'expulsion a été prise moins de trois mois après la décision sur le caractère raisonnable du certificat. Toutefois, 13 mois se sont écoulés avant l'avis sur le danger du ministre. Quelles sont les raisons de ce délai? Le délai était-il raisonnable? Qui en est responsable?
[86]En évaluant les risques futurs et les questions de sécurité, le ministre doit également tenir compte du fait que le détenu peut être renvoyé dans un pays où il pourrait faire face à la torture et à des violations graves des droits de la personne: voir Suresh, aux paragraphes 117 à 122. Cette possibilité exige l'application de mesures de protection d'ordre procédural plus importantes dans la préparation de l'avis de danger. La personne qui est exposée au risque d'être torturée si elle est renvoyée doit être informée de la preuve contre elle et avoir l'occasion de répondre aux arguments présentés par le ministre. Cette personne a droit à la divulgation des renseignements, sous réserve des communications privilégiées et des autres exceptions prévues par la loi. Elle a également le droit de présenter une preuve tant sur la question de l'absence de danger pour la sécurité du Canada que sur les risques de torture. Les consultations avec d'autres ministères, ainsi qu'avec les pays vers lesquels la personne serait renvoyée, peuvent être nécessaires pour obtenir et mettre en place des mesures de sécurité afin de protéger la vie et l'intégrité de l'individu dont le renvoi est ordonné. Il faudra peut-être négocier et obtenir un droit d'établissement. Bref, comme tant le juge en l'espèce que la juge Dawson dans l'affaire Mahjoub, au paragraphe 55, ont mentionné: «le délai raisonnable exigé pour s'assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long».
[87]M. Almrei prétend que le délai dans la préparation du premier avis de danger est déraisonnable et dû au manque de personnel au ministère. Il a renvoyé la Cour au témoignage de M. Foley qui a dit que le 24 juin 2003, il y avait six employés à qui avaient été confiés les dossiers de sécurité nationale pour [traduction] «l'ensemble du pays et du monde»: voir le dossier d'appel, vol. 5, pages 1338 et 1339. Le témoin a reconnu qu'il y avait eu des délais dans certains dossiers, mais que celui de M. Almrei avait été traité en priorité et qu'un échéancier strict avait été respecté concernant le deuxième avis de danger: pages 1336, 1339 et 1940. Je suis disposé à reconnaître qu'une partie du délai dans la préparation du premier avis de danger ait pu être attribuable à une pénurie de ressources institutionnelles. Toutefois, M. Almrei lui-même est la cause des principaux délais durant cette période.
[88]D'ailleurs, lorsque M. Almrei a été avisé qu'un avis de danger serait demandé au ministre, dans le but de le renvoyer en Syrie, il a modifié son discours en prétendant qu'il n'avait pas eu l'occasion de le faire lors de l'audience devant la Cour fédérale concernant le caractère raisonnable du certificat: voir son affidavit, dossier d'appel, vol. 8, page 2849, au paragraphe 4.
[89]Dans un affidavit signé le 8 novembre 2002, M. Almrei a divulgué des renseignements qu'il avait cachés à son avocat et aux autorités canadiennes depuis son arrivée au Canada, en janvier 1999. M. Almrei a dit qu'il était allé en Afghanistan et qu'il avait aidé un autre musulman à obtenir un faux passeport canadien pour qu'il puisse entrer plus facilement au Canada. M. Almrei avait auparavant menti aux agents du SCRS et il les avait induits en erreur en niant s'être rendu en Afghanistan. Il a mentionné que son père était membre de la Confrérie musulmane et que, par conséquent, il avait dû quitter la Syrie vers 1980 par crainte d'être détenu et torturé.
[90]M. Almrei déclare également, dans son affidavit, qu'il s'est rendu en Thaïlande, en Turquie, au Bahreïn, aux Émirats arabes unis, au Yémen, au Pakistan et en Jordanie. Il s'est rendu au Pakistan en 1990 dans l'intention d'aller en Afghanistan, encouragé par le gouvernement saoudien, comme bien d'autres jeunes, à se battre contre les infidèles dans ce pays: voir son affidavit, aux pages 2851 et 2852, paragraphes 10 et 11. En fin de compte, il s'est retrouvé dans un camp en Afghanistan qui, selon lui, n'était pas un camp d'entraînement; cependant, on lui avait remis un AK-47 et donné une formation de base sur la manière de s'en servir: paragraphe 14. Selon ses déclarations, il a passé quelque temps dans ce pays comme imam. Il dirigeait les prières et enseignait le Coran.
[91]En 1994, M. Almrei a quitté l'Arabie saoudite où il avait complété son école secondaire et où il travaillait pour un organisme de charité appelé association musulmane africaine pour revenir au Pakistan. Il avait entendu dire qu'un nouveau djihad était en train de se préparer contre les Russes, au Tadjikistan. Le nouveau groupe, formé d'Arabes, était sous le commandement d'un certain M. Khatab, plus tard commandant en Tchéchénie. M. Almrei a traversé l'Afghanistan pour se rendre au camp de M. Khatab. Puis il s'est rendu à Khunduz où il est demeuré pendant environ un mois avant de retourner en Arabie saoudite.
[92]Pendant qu'il était en Arabie saoudite, M. Almrei a fait partie d'un organisme de charité. Il dit qu'il ne savait pas que cet organisme avait des liens avec Oussama ben Laden. L'organisme devait établir une école de filles à Khunduz où il est retourné de nouveau pour cinq mois en 1995. Une fois, il a traversé la frontière du Tadjikistan avec un groupe qui se renseignait sur les positions russes. Une autre fois, il est allé au Tadjikistan pour deux semaines afin de participer à l'installation d'un camp. On lui a, encore une fois, remis un AK-47 pour se protéger. Il explique ensuite avec certains détails, dans son affidavit, ses nombreux voyages notamment au Pakistan, aux Émirats arabes unis, au Yémen, en Jordanie, en Thaïlande et en Arabie saoudite.
[93]M. Almrei est entré au Canada muni d'un faux passeport des Émirats arabes unis qu'il a d'abord prétendu avoir détruit. Plus tard, le passeport a été saisi à son domicile. Il possédait un permis de conduire du Kuwait et une carte bancaire du Bahreïn établis au même nom que son passeport afin de rendre sa fausse identité plus authentique: page 2860, paragraphe 35. M. Almrei n'a pas divulgué, lors de son arrivée, les détails de ses voyages en Afghanistan. Il a dit qu'il se rendait au Pakistan pour acheter du miel. Non seulement il a caché au SCRS le fait qu'il avait un autre nom (qu'il qualifie de nom respectueux -Abu Al Hareth), mais, selon le rapport du SCRS, il aurait dit aux agents du SCRS qu'il n'avait pas d'autre nom. M. Ahmed Ressam, qui a témoigné aux États-Unis dans le procès de Mokhtar Haouari, a affirmé que toutes les personnes qui se rendent dans les camps en Afghanistan utilisent des noms d'emprunt et qu'ils n'utilisent jamais leur nom véritable: voir dossier d'appel, vol. 3, page 506. Ainsi, par exemple, M. Ressam, dont le nom d'emprunt était Nabil, n'a jamais connu le véritable nom d'Abu Zubeida qu'il a contacté en Afghanistan et qui était responsable des camps. Rappelons que M. Ressam avait été formé dans un camp en Afghanistan et qu'il a été déclaré coupable en 2001, à Los Angeles, de neuf chefs d'accusation de terrorisme et de transport d'explosifs: pages 492 et 507. Enfin, M. Almrei a menti au sujet de son revenu au Canada.
[94]Bien entendu, tous ces renseignements nouvellement révélés pour contester l'avis de danger et son renvoi possible en Syrie ont dû être soigneusement analysés et vérifiés, non seulement pour ce qu'ils révélaient réellement, mais également pour ce qu'ils pourraient continuer de cacher. M. Almrei ne devrait pas s'étonner qu'après tous ces mensonges et omissions de sa part, les autorités canadiennes aient senti le besoin d'examiner soigneusement les nouveaux faits et les justifications qu'il avait donnés concernant ses voyages et agissements: voir le témoignage de M. Foley, dossier d'appel, vol. 5, pages 1332 et 1333. Cela explique presque tout le temps qui a été consacré à la préparation du premier avis de danger.
[95]En outre, la LIPR, la nouvelle Loi, est entrée en vigueur le 28 juin 2002 et, du même coup, elle a suscité une certaine dynamique qui a occasionné des délais institutionnels qui ne sont que normaux compte tenu des circonstances.
[96]En conclusion, je ne saurais dire que le délai à préparer le premier avis est tel qu'il faudrait conclure que le délai était déraisonnable et non attribuable, en tout ou en grande partie, à M. Almrei.
[97]Le délai qui est postérieur au 17 janvier 2003 est dû aux demandes de contrôle judiciaire de M. Almrei et à la requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'au jugement relatif à ces demandes. Comme le révèle le calendrier, la première demande de contrôle judiciaire et la requête en sursis d'exécution du renvoi ont été déposées le 17 janvier 2003 et jugement a été rendu le 16 mai 2003. M. Almrei a été avisé par le ministre, le 28 juillet 2003, qu'une deuxième décision concernant le danger qu'il constituerait pour la sécurité du Canada et la possibilité de son renvoi serait prise en vertu de l'alinéa 115(2)b) de la LIPR. Cette deuxième opinion, émise le 23 octobre 2003, a été donnée moins de trois mois après l'avis donné à M. Almrei. Le 30 octobre 2003, M. Almrei a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre. Trois semaines plus tard, le ministre a déposé une preuve indiquant que le renvoi aurait lieu dans deux semaines et demie. M. Almrei a alors demandé un sursis du renvoi en attendant la décision sur les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire. L'autorisation a été accordée le 3 juillet 2004 et la demande de contrôle judiciaire a été entendue les 16 et 17 novembre 2004. Tel que susmentionné, la décision a été mise en délibéré.
[98]Pour ce qui concerne la période qui a commencé le 17 janvier 2003, M. Almrei se plaint de délais institutionnels excessifs dans le traitement de ses demandes de contrôle judiciaire. J'ai préparé un calendrier des instances relatives à la deuxième demande de contrôle judiciaire concernant la période entre le 30 octobre 2003 et le 23 novembre 2004:
Calendrier des instances relatives au
contrôle judiciaire (IMM-8537-03)
30 octobre
M. Almrei dépose une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.
26 novembre
Le dossier de demande de M. Almrei est déposé à l'audience.
27 novembre
Reprise de l'audience sur la requête en sursis de l'exécution du renvoi.
28 novembre
Le juge Blanchard rend les motifs de l'ordonnance et l'ordonnance accordant un sursis du renvoi en attendant le résultat de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Entre-temps, l'audience sur la requête concernant les affidavits et les renseignements confidentiels se poursuit.
2 décembre
Publication de l'ordonnance et des motifs de l'ordonnance du juge Blanchard.
13 janvier
Dépôt des observations de la Couronne en rapport avec la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.
27 janvier
M. Almrei dépose ses observations en réponse.
3 février
La Couronne rédige une lettre de non-opposition concernant les observations en réponse de M. Almrei, le 27 janvier.
10 février
M. Almrei dépose une requête en prorogation rétroactive du délai afin de déposer ses observations en réponse. Il s'agit des observations déposées le 27 janvier.
2 mars
Le protonotaire Milczynski accorde la requête du 10 février et ordonne la prorogation rétroactive jusqu'au 27 janvier. Le protonotaire Milczynski a conclu que le délai était entièrement attribuable à l'erreur commise par inadvertance par l'avocat et il a dit que ce dernier avait présenté une explication raisonnable de l'erreur et du délai.
13 juillet
L'avocat de M. Almrei écrit à la Cour fédérale pour demander pourquoi, malgré le délai de 8 mois, il n'y a pas eu de décision sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.
3 août
L'autorisation est accordée relativement au contrôle judiciaire. Un échéancier est établi relativement au contrôle judiciaire selon lequel tous les documents devront être déposés auprès de la Cour avant le 18 octobre. L'audience doit avoir lieu le 1er novembre.
26 août
La Couronne demande que la date de l'audience soit changée à cause d'un conflit avec une autre audience déjà prévue concernant un certificat de sécurité et la Couronne propose d'autres dates, toutes avant le 1er novembre. L'avocat de M. Almrei ne s'objecte pas à la demande.
1 novembre
La Couronne dépose une preuve et ses observations écrites concernant une demande de non-divulgation en vertu de l'article 87.
9 novembre
La Couronne présente les observations ex parte et à huis clos devant le juge Blanchard.
16 novembre
L'audience publique sur la demande de contrôle judiciaire commence.
19 novembre
Les observations de M. Almrei concernant une demande en vertu de l'article 87 par la Couronne sont dues mais n'ont pas encore été reçues.
23 novembre
Suivant un appel du greffier, l'avocat de M. Almrei télécopie les observations en réponse à la demande de la Couronne en vertu de l'article 87.
[99]Je ne saurais qualifier le délai d'inhabituel ou de déraisonnable, sauf pour ce qui concerne la période de neuf mois (du 30 octobre 2003 au 3 août 2004) qui s'est écoulée avant qu'une décision ne soit prise sur la demande d'autorisation de contrôle judiciaire. Je trouve inquiétant qu'une demande d'autorisation qui, à toutes fins pratiques, fut complétée avant le 2 mars 2004, ait pu demeurer sans réponse pendant cinq mois alors que le demandeur était détenu. Certes, je comprends que les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire ne sont pas des demandes en habeas corpus et que ces demandes sont assujetties à une procédure différente, mais il faut exercer une très grande vigilance et priorité doit être accordée aux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire présentées par des détenus. Sous la surveillance de la Cour, les parties en cause devraient respecter scrupuleusement les délais prévus par les Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] pour la production de documents. Cela dit, je reconnais que la Cour fédérale, à l'instar de notre Cour et de la plupart des tribunaux, a des ressources limitées et qu'il s'agit d'un problème qui, nous le savons, s'est aggravé en Cour fédérale et dans notre Cour à cause de la lenteur du gouvernement à nommer les nouveaux juges autorisés par le Parlement ou à pourvoir les postes vacants. Cette situation est tout à fait regrettable et M. Almrei a, en partie, raison de se plaindre. Cependant, il aurait dû et aurait pu être plus insistant afin de faire progresser son dossier.
[100]Sauf la demande du 13 juillet 2004 de l'avocat de M. Almrei concernant le délai relatif à la décision sur la demande d'autorisation, il n'y a rien au dossier qui indique que M. Almrei ait demandé une audience accélérée sur l'autorisation et, par conséquent, sur la demande de contrôle judiciaire lorsque l'autorisation a été accordée. C'est le demandeur qui est responsable de faire progresser sa cause alors que le tribunal est tenu d'assurer que, d'une part, dans les limites des ressources qui lui sont allouées, les affaires sont entendues rapidement lorsqu'on le demande, et, d'autre part, que son processus ne fait pas l'objet d'abus par des parties qui cherchent tout simplement à le retarder.
[101]En outre, M. Almrei aurait pu mettre fin à sa détention s'il s'était montré disposé à quitter le pays. Presque toute sa famille, y compris ses parents, vit en Arabie saoudite. Il a une soeur au Liban. Il a voyagé librement au Pakistan, en Afghanistan, en Jordanie et dans d'autres pays: voir son affidavit, dossier d'appel, vol. 8, paragraphes 6 à 10. Il pourrait, à tout instant, déposer une demande de mise en liberté au ministre, en conformité avec le paragraphe 84(1), en indiquant dans quels pays, autres que la Syrie, il serait disposé à se rendre. Le ministre aurait été tenu de faire enquête sur la possibilité d'un renvoi sécuritaire vers ces pays. M. Almrei reconnaît lui-même qu'il n'a fait aucun effort ni présenté de demande au sujet d'autres pays que la Syrie qui seraient disposés à l'accepter: voir son témoignage, dossier d'appel, vol. 4, pages 1128 et 1129.
[102]J'ai replacé les allégations de M. Almrei dans le contexte qu'il leur est propre et je les ai examinées en détail, même si elles ne sont pas pertinentes pour ce qui concerne la présente demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2). Elles ne sont pas pertinentes parce que la preuve démontre clairement et sans équivoque que M. Almrei était sur le point d'être renvoyé, et qu'il serait encore renvoyé dans quelques semaines, si ce n'était sa requête en sursis du renvoi et sa contestation de la deuxième opinion quant au danger. Autrement dit, n'eût été ces demandes, la Couronne aurait agi en conformité avec la Loi. Le juge ne pouvait donc ordonner la mise en liberté de M. Almrei, parce qu'une des conditions du paragraphe 84(2) n'avait pas été respectée, savoir que le renvoi n'aurait pas lieu dans un délai raisonnable.
b) les conditions de détention
[103]Les conditions de détention de M. Almrei ont été, dans un premier temps, très sévères. Il a été détenu en isolement cellulaire jusqu'à son transfèrement à la population carcérale générale où il a été agressé. Pour sa propre protection et à sa demande, il a été renvoyé en isolement cellulaire. Il est détenu dans un centre de détention provisoire, le Centre de détention de l'Ouest de Toronto, qui offre très peu de programmes et d'activités, sinon aucun. En outre, les règlements applicables à l'isolement cellulaire sont très sévères.
[104]Le détenu qui souhaite contester les conditions de sa détention et les améliorer peut obtenir certaines réparations. M. Almrei en a obtenues par voie d' habeas corpus devant la Cour supérieure de l'Ontario: voir Almrei v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 5198 (QL). Toutefois, ce que M. Almrei demande maintenant à la Cour et à la Cour fédérale n'est pas un examen de ses conditions de détention dans le but de les améliorer. Il demande plutôt sa mise en liberté en conformité avec le paragraphe 84(2) de la LIPR qui, comme je l'ai déjà dit, contient un critère de mise en liberté qui est axé vers le futur.
[105]À l'instar de la durée de la détention, les conditions de celle-ci ne sont pas des facteurs opérants lorsqu'il s'agit de savoir si les critères qui s'appliquent à une demande en vertu du paragraphe 84(2) ont été respectés lorsque, comme en l'espèce, les procédures prises par M. Almrei ont empêché la Couronne de respecter la loi et d'exécuter le renvoi dans un délai raisonnable. Une demande en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR n'est pas le redressement approprié lorsqu'une personne veut se plaindre de ses conditions de détention et les faire modifier. Le paragraphe 84(2) a pour objet, comme je l'ai déjà dit, d'assurer que les autorités font preuve de diligence lors du renvoi d'une personne qui est détenue. La disposition permet aux détenus de disposer d'un mécanisme de contrôle judiciaire du caractère légitime et opportun de leur détention lorsque le renvoi est retardé, d'une manière indue et inexcusable, par les autorités.
[106]En conclusion, je conviens, avec le juge qui a entendu la demande en vertu du paragraphe 84(2), que les motifs justifiant la mise en liberté de M. Almrei n'ont pas été établis puisqu'il n'a pas été satisfait au critère selon lequel le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable.
Motif no 6: Le juge a-t-il omis de présenter les motifs qui lui ont permis de conclure que la preuve secrète qu'il avait reçue était fiable, crédible et digne de foi, ou a-t-il omis de vérifier si la preuve était fiable, crédible et digne de foi?
Motif no 7: M. Almrei a-t-il réussi à établir que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale?
[107]Les deux motifs se prêtent à un examen conjoint.
[108]Dans une demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2), le demandeur doit convaincre le juge qu'il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale. Puisque M. Almrei n'a pas satisfait au premier critère, il ne saurait obtenir sa mise en liberté. Il n'est donc pas nécessaire de se demander si sa remise en liberté constituera un danger pour la sécurité nationale. Cela dispose du septième motif d'appel.
[109]Cela dispose également du sixième motif d'appel puisque la question de savoir si une preuve secrète est fiable, crédible et digne de foi est également liée essentiellement à la question du danger pour la sécurité nationale qui est le deuxième critère à respecter en vertu du paragraphe 84(2).
[110]Je ne saurais conclure, relativement à ces deux motifs d'appel, sans mentionner que la Couronne a décidé de ne pas déposer la preuve secrète devant la Cour et que cette décision aurait pu être source de grandes difficultés. Si la question de la sécurité nationale s'était réellement posée dans le présent appel, la décision de la Couronne de ne pas déposer la preuve secrète aurait privé M. Almrei de deux motifs d'appel significatifs. La Cour aurait fait face à un dilemme que la LIPR ne résout pas. Pour protéger le droit d'appel de M. Almrei, je n'aurais pas du tout hésité à ordonner à la Couronne de choisir entre produire la preuve ou renoncer à se fonder sur celle-ci, et je l'aurais informée des conséquences d'un refus des deux options.
Motif no 8: Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le maintien de la détention de M. Almrei ne violait pas les droits de M. Almrei en vertu de l'article 7 (liberté et sécurité de sa personne) et l'article 12 (protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités) de la Charte?
[111]M. Almrei conteste la conclusion du juge selon laquelle ses droits en vertu des articles 7 et 12 de la Charte ne sont pas violés par sa détention:
7. [Vie, liberté et sécurité.] Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[. . .]
12. [Cruauté.] Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
M. Almrei prétend que les trois années passées en isolement cellulaire sont excessives et qu'elles constituent un traitement ou peine cruel et inusité. Il mentionne quelques décisions ou quelques motifs dissidents qui peuvent se distinguer compte tenu des faits en l'espèce.
[112]Par exemple, M. Almrei cite les motifs dissidents du juge Cory dans l'arrêt R. c. Shubley, [1990] 1 R.C.S. 3. À la page 10, le juge Cory dit, à titre d'exemple, que «l'imposition d'un an ou plus d'isolement cellulaire ne pourrait probablement pas résister à une contestation fondée sur la Charte qui porterait qu'il s'agit là d'une peine cruelle et inusitée». Dans Abbott c. Canada (1993), 64 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 159, un détenu d'un pénitencier a été mis en isolement contre son gré alors que cet isolement n'était justifié ni par les faits, ni par la loi. En l'espèce, l'isolement cellulaire n'est plus imposé à M. Almrei. C'est à sa demande et pour sa propre protection qu'il est détenu en isolement. Cela amène très certainement à tirer des conclusions différentes au sujet de l'allégation de M. Almrei selon laquelle, pour utiliser les termes de l'article 12 de la Charte, il est assujetti à des «traitements ou peines cruels et inusités», particulièrement puisque les autorités de la prison ont l'obligation, en vertu de la loi, de prendre des mesures raisonnables afin d'assurer la protection des personnes qu'elles détiennent.
[113]Quoi qu'il en soit, même si je considère, sans pour autant décider, que la détention de M. Almrei constitue une peine cruelle et inusitée, j'estime que la réparation qu'il demande n'est pas la réparation convenable et juste que l'article 24 de la Charte autorise eu égard aux circonstances.
[114]D'ailleurs, ce que M. Almrei demande, c'est sa mise en liberté alors que sa détention est légitime et prévue par la loi: voir le paragraphe 82(2). Il se sert de ses conditions de détention pour soulever un doute sur la légalité d'une détention qui l'est, par ailleurs. La réparation juste et convenable, eu égard aux circonstances, serait de modifier ou de supprimer les conditions de détention qui, on peut dire, rendent sa détention plus difficile ou constituent une peine ou un traitement supplémentaire, illégal ou injustifié. Mais ce n'est pas ce que M. Almrei demande à la Cour. Il n'a pas demandé que ses conditions de détention soient revues. Il n'a requis ni son transfèrement à un autre établissement, ni son renvoi au sein de la population carcérale générale en attendant son renvoi. Lorsque l'isolement d'un détenu a lieu à sa propre demande et lorsqu'il se plaint des conditions difficiles de l'isolement, une remise en liberté judiciaire, assortie ou non de conditions, lorsqu'il s'agit d'une détention obligatoire dans l'intérêt de la sécurité nationale, n'est pas la réparation juste et convenable prévue par la Charte.
Décision de la Chambre des lords dans A(FC) and others (FC) v. Secretary of State for the Home Department
[115]M. Almrei reconnaît que cette décision de la Chambre des lords soulève des questions qui ne sont pas soulevées en l'espèce.
[116]En fait, la décision britannique ne soulève pas la légalité d'une détention individuelle comme en l'espèce. Lord Scott of Foscote écrit à cet égard, au paragraphe 141 de la décision:
[traduction]
La question qui se pose dans ces appels n'est pas de savoir si la détention indéfinie, exigée par le ministre, de ces appelants en vertu de l'article 23 de la Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001 («la Loi de 2001») est légale. Le bien-fondé de la cause contre chacun des appelants et qui pourrait justifier sa détention n'a pas été soulevé en l'espèce. Cette question sera examinée à un autre moment, dans une autre procédure [. . .] il est possible que dans telle procédure, le tribunal décide que la détention d'un, de plusieurs ou de tous les appelants n'était pas justifiée et qu'elle était donc illégale.
[117]Toute cette affaire concerne la légalité d'une détention indéfinie, sans qu'une accusation soit portée, de présumés terroristes internationaux, détention qu'autorise le paragraphe 23(1) de la loi britannique Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001 (R.-U.), 2001, ch. 24, ainsi que l'application discriminatoire de cette disposition aux ressortissants d'autres pays que le Royaume-Uni. Le paragraphe 23(1) dit:
[traduction]
23. Détention
(1) La personne dont il est soupçonné qu'elle est un terroriste international peut être détenue en vertu d'une disposition précisée au paragraphe (2) même si son renvoi ou départ du Royaume-Uni est empêché (temporairement ou indéfiniment) par
a) soit un point de droit qui, en tout ou en partie, vise un accord international,
b) soit une question d'ordre pratique.
[118]On ne trouve aucune disposition dans la LIPR qui autorise la détention administrative indéfinie d'une personne. Quant à la question de discrimination, le Home Office possédait une preuve selon laquelle la menace terroriste au Royaume-Uni ne provenait pas que de ressortissants étrangers. Près de 30 p. 100 des suspects, en vertu de l'ancienne Terrorism Act 2000, étaient des citoyens britanniques et près de la moitié des personnes soupçonnées, par les autorités, de participer au terrorisme international, étaient des citoyens britanniques: voir le paragraphe 32 de la décision. Toutefois, seuls des ressortissants étrangers ont été arrêtés et détenus indéfiniment. Par conséquent, la cour a conclu qu'il y avait discrimination fondée sur la nationalité. Comme l'a dit lord Bingham of Cornhill, au paragraphe 54:
[traduction]
L'objet de la mesure visée à l'article 23 de la Loi de 2001, qui n'a pas été mis en doute, était de protéger le RU contre le terrorisme d'Al-Qaida [. . .] On pensait que ce risque provenait principalement de ressortissants de pays étrangers, mais aussi, dans plusieurs cas, de ressortissants du RU. La mesure a eu pour effet de priver les étrangers de leur liberté alors que les Britanniques en n'ont pas été privés. Les appelants ont été traités d'une manière différente à cause de leur nationalité ou de leur statut d'immigrants.
[119]D'autres dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221 (Convention européenne des droits de l'homme), telle qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme, qui réglementent la détention dans le but d'un renvoi et qui excluent le renvoi dans un pays où le détenu pourrait être exposé à la torture et à un traitement inhumain, étaient en cause. Lord Hope of Craighead a dit qu'il fallait éviter d'avoir recours à une jurisprudence étrangère lorsque les termes qu'il faut interpréter sont très différents: voir le paragraphe 131 où il dit que, pour ce motif, il était plus prudent de se fonder sur la jurisprudence concernant la Convention européenne que sur la jurisprudence de notre Cour suprême concernant l'interprétation de la Charte.
[120]Sur la question de l'expulsion, il faut souligner que, dans notre pays, le paragraphe 115(1) de la LIPR établit le principe du non-refoulement qui interdit le renvoi d'une personne dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, ou la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités.
[121]Exceptionnellement, l'alinéa 115(2)b) autorise le refoulement de personnes interdites de territoire pour des raisons de sécurité, si le ministre est d'avis que ces personnes constitueraient un danger pour la sécurité nationale si elles demeuraient au Canada. On serait porté à penser que l'intention du législateur dans ce paragraphe est tout à fait claire.
[122]Toutefois, le législateur a assujetti l'interprétation et la mise en oeuvre de la LIPR aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne dont le Canada est signataire. L'alinéa 3(3)f) de la LIPR prévoit:
3. [. . .]
(3) L'interprétation et la mise en oeuvre de la présente loi doivent avoir pour effet:
[. . .]
f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.
[123]Cela crée une contradiction au sein de la LIPR parce que le Canada est signataire à la fois du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (entrée en vigueur le 23 mars 1976; adhésion par le Canada, le 19 mai 1976) (Pacte), ainsi que de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36 (Convention contre la torture).
[124]Le Canada a ratifié la Convention contre la torture en 1987. Les articles 1, 2, 3 et 16 de la Convention interdisent de renvoyer une personne qui risque d'être soumise à la torture. Il s'agit d'une interdiction absolue. Le Canada a ratifié le Pacte en 1976. Le Pacte interdit également la torture et, par voie de conséquence, le renvoi vers un pays qui pratique la torture. Ce résultat est atteint par application du paragraphe 4(2) et de l'article 7 qui indiquent qu'aucune dérogation à l'article 7 n'est autorisée. L'observation générale no 20 du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui surveille l'application du Pacte, incorpore à l'article 7 l'interdiction faite contre le refoulement vers un pays qui pratique la torture.
[125]La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention sur les réfugiés) semble contredire le Pacte, ainsi que la Convention contre la torture. Aux termes du paragraphe 33(2) de la Convention sur les réfugiés, le bénéfice de la disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.
[126]Sur la question du refoulement vers un pays où la personne renvoyée pourrait être exposée à la torture, la position du Canada n'est pas aussi définitive que celle adoptée par les tribunaux anglais en conformité avec la Convention européenne sur les droits de la personne. Dans Suresh, la Cour Suprême a reconnu qu'il y avait des indices du fait que la prohibition de la torture avait atteint, en droit international, le statut de norme impérative qui n'admettait aucune dérogation. Aux paragraphes 62 à 65, la Cour a dit qu'à tout le moins, il s'agissait d'une norme à laquelle on ne pouvait pas déroger inconsidérément. Néanmoins, la Cour suprême n'a pas exclu l'expulsion vers un pays qui pratique la torture. Au paragraphe 76, la Cour a dit que: «sauf circonstances extraordinaires, une expulsion impliquant un risque de torture violera généralement les principes de justice fondamentale protégés par l'art. 7 de la Charte». Le renvoi vers un pays qui pratique la torture pourrait être légitimé par le processus de pondération qu'exige l'article 7 ou pourrait être possible en vertu de l'article premier. Cette question fait l'objet d'autres instances. La Cour n'est pas saisie de cette question dans cette demande de mise en liberté en vertu du paragraphe 84(2).
[127]Dans la décision de la Chambre des lords, l'impossibilité, en vertu de la loi, de renvoyer vers la torture des personnes arrêtées faisait en sorte que la détention était pour une période indéfinie. Dans notre pays, à l'heure actuelle, le renvoi vers un pays qui pratique la torture demeure possible et, par conséquent, chaque dossier devra être évalué sur le fond. En d'autres termes, il n'y a, dans tous les cas, aucune détention automatique de durée indéfinie résultant d'une dérogation impossible à une interdiction contre le renvoi vers un pays qui pratique la torture. Si cela se produit un jour, le paragraphe 84(2) prévoit une réparation judiciaire: voir Ahani, au paragraphe 14.
[128]En examinant les faits en l'espèce, ainsi que le droit qui s'applique, il devient évident que les faits et la situation juridique dans la décision de la Chambre des lords étaient tout à fait différents. En l'espèce, la Cour n'est pas confrontée, sur le plan des faits et de la loi, à une situation de détention indéfinie résultant d'un renvoi impossible ou du manque de diligence dans l'exécution de la mesure de renvoi. M. Almrei devait être renvoyé et il aurait été renvoyé n'eût été le sursis qu'il a demandé et obtenu. Il est trop tôt pour conclure que la détention de M. Almrei est pour une durée indéfinie.
[129]En outre, la présente affaire ne soulève aucune question de discrimination. Il n'y a aucune preuve, contrairement à l'affaire britannique, qu'un grand nombre de ressortissants canadiens soupçonnés de terrorisme international auraient dû être détenus alors qu'ils ne l'ont pas été.
[130]Enfin, il n'y a aucune preuve que les disposi-tions en matière d'immigration ont été irrégulièrement appliquées, comme elles l'auraient été dans l'affaire britannique, pour combattre le terrorisme international: voir les paragraphes 44, 53 et particulièrement le paragraphe 134 où lord Hope of Craighead a écrit que la question que l'ordonnance de dérogation devait viser n'était pas, essentiellement, une question d'immigration. Dans le cas qui nous occupe, M. Almrei est entré au Canada par des moyens frauduleux et de faux prétextes, un comportement qui justifie l'application des lois sur l'immigration afin d'exercer un contrôle sur l'accès au territoire canadien.
Décision de la Cour suprême des États-Unis dans Clark v. Martinez
[131]Dans son mémoire supplémentaire des faits et du droit, M. Almrei a mentionné la nouvelle décision (publiée le 12 janvier 2005) de la Cour suprême des États-Unis dans Clark v. Martinez, 125 S. Ct. 716 (2005). La décision vise la détention et le renvoi d'un ressortissant étranger, ainsi que les limites de cette détention. Cette affaire est intéressante, mais il s'agit toutefois d'une situation différente.
[132]À l'instar d'un étranger au Canada, un étranger détenu aux États-Unis peut obtenir sa libération conditionnelle s'il peut démontrer qu'il n'existe aucune réelle probabilité de renvoi dans un avenir raisonnablement prévisible: voir la page 722 de l'opinion du juge Scalia. Les autorités disposent de six mois pour renvoyer la personne, mais cette période peut être renouvelée indéfiniment: voir la page 727 de la décision, note 8, ainsi que la page 728 de l'opinion de la juge O'Connor. Les détentions successives peuvent avoir lieu si la mise en liberté d'un ressortissant étranger menacera la sécurité des États-Unis, de la collectivité ou d'autrui.
[133]Dans l'affaire Martinez, la preuve a révélé que le gouvernement américain avait reconnu qu'il ne participait plus à des négociations de rapatriement avec Cuba et, par conséquent, que rien n'indiquait qu'il existait une forte possibilité de renvoyer Martinez dans ce pays. La situation n'est pas la même pour ce qui nous concerne.
Conclusion
[134]Dans le présent appel, M. Almrei a soulevé plusieurs questions qui sont prématurées en ce sens qu'elle ne sont pas étayées par les faits ou qu'elles ne sont pas pertinentes dans une demande en vertu du paragraphe 84(2). Il serait peu sage de les examiner, surtout dans l'abstrait. Toutefois, compte tenu des faits dont était saisi le juge désigné, je ne saurais conclure qu'il a commis une erreur en rejetant la demande de mise en liberté de M. Almrei. Je rejetterais, par conséquent, le présent appel.
[135]J'estime qu'il est opportun de souligner quelques-unes des difficultés d'application que soulève la Loi. La LIPR fait l'objet de nombreux examens législatifs. Le présent appel, ainsi que les deux décisions Charkaoui, révèlent qu'il faut réévaluer la politique sur le droit d'appel dans les cas de détention, afin de clarifier l'intention du législateur et assurer une plus grande cohérence. Ils démontrent également qu'il y a lieu d'examiner les circonstances dans lesquelles le juge désigné peut tenir une audience à huis clos et entendre une preuve hors la présence d'un résident permanent ou d'un étranger. Le processus de révision pourrait également et avec avantage se pencher sur la question de l'utilisation et de l'accès à la preuve secrète par les juges siégeant en appel contre la décision d'un juge désigné. Enfin, le législateur devrait indiquer les réparations que peut obtenir un résident permanent qui est détenu et qui ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable.
Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.