A-39-04
2004 CAF 339
Symbol Technologies Canada ULC (appelante) (défenderesse)
c.
Barcode Systems Inc. (intimée) (demanderesse)
Répertorié: Symbol Technologies Canada ULC c. Barcode Systems Inc. (C.A.F.)
Cour d'appel fédérale, juge en chef Richard, juges Létourneau et Rothstein, J.C.A.--Winnipeg, 28 septembre; Ottawa, 7 octobre 2004.
Concurrence -- Appel d'une décision du Tribunal de la concurrence accordant à l'intimée la permission de présenter contre l'appelante une demande fondée sur l'art. 75 de la Loi sur la concurrence en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à celle-ci de l'accepter comme cliente -- L'appelante, filiale canadienne d'un fabricant de lecteurs de codes à barres, vend et distribue des produits au Canada -- Vers 1994, l'intimée a pris en charge la distribution dans l'Ouest canadien -- Depuis 2003, l'appelante refuse de traiter avec l'intimée -- L'intimée a présenté une demande de permission en vertu de l'art. 103.1(1) de la Loi, alléguant que l'appelante se livrait à une pratique restrictive du commerce, à savoir le refus de vendre au sens de l'art. 75 de la Loi -- Le Tribunal a accordé la permission en vertu de l'art. 103.1(7) de la Loi -- L'appelante soutient que le Tribunal a commis une erreur en accordant la permission parce qu'il n'a pas pris en considération tous les éléments du refus de vendre énoncés à l'art. 75(1) de la Loi -- Comme les questions de droit ne font appel à aucune expertise particulière du Tribunal, la norme applicable est celle de la décision correcte -- Le critère applicable pour faire droit à la demande de permission en vertu de l'art. 103.1(7), énoncé dans la décision National Capital News Canada c. Canada (Président de la Chambre des communes), s'appliquait: il faut se demander s'il existe suffisamment d'éléments de preuve crédibles établissant le bien-fondé des allégations pour que le Tribunal puisse croire de bonne foi que le demandeur a été directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d'une pratique restrictive susceptible d'examen et que cette pratique pourrait faire l'objet d'une ordonnance du Tribunal en vertu des art. 75 ou 77 -- Cette charge qui incombe à l'auteur de la demande de permission est moins lourde que celle imposée par la norme de la prépondérance de la preuve -- Tous les éléments de la pratique susceptible d'examen que constitue le refus de vendre, énoncés à l'art. 75(1), doivent être considérés par le Tribunal qui se penche sur une demande de permission pour que celui-ci puisse se prononcer sur la question de savoir si la pratique alléguée pourrait faire l'objet d'une ordonnance -- La Cour a tranché l'affaire sans la renvoyer au Tribunal -- Preuve a été faite que l'intimée est sensiblement gênée dans son entreprise -- Le point véritablement controversé est de savoir s'il y a preuve que le refus de vendre aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché (art. 75(1)e) de la Loi) -- La demande de permission n'est pas l'occasion appropriée pour interpréter l'art. 75(1)e) de la Loi pour la première fois -- Le bénéfice du doute devrait jouer en faveur de l'octroi de la permission -- La preuve est suffisante pour fonder des motifs raisonnables de croire que le refus de vendre pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu de la Loi -- Appel rejeté.
Il s'agissait de l'appel d'une décision du Tribunal de la concurrence accordant à l'intimée la permission de présenter une demande à l'encontre de l'appelante. L'appelante est la filiale canadienne de Symbol Technologies Inc. (Symbol US), le principal fabricant de lecteurs de codes à barres au monde. L'appelante vend et distribue les produits Symbol US au Canada. Vers 1994, l'intimée a pris en charge le service de distribution de l'appelante dans l'Ouest canadien. Depuis le 1er mai 2003, l'appelante a refusé de traiter avec l'intimée. Dans sa demande présentée au Tribunal (en vertu du paragraphe 103.1(1) de la Loi sur la concurrence) en vue d'obtenir la permission de demander que soit prononcée, en vertu du paragraphe 75(1) de la Loi, une ordonnance enjoignant à Symbol de l'accepter comme cliente, l'intimée a allégué que Symbol se livrait à une pratique restrictive du commerce susceptible d'examen, à savoir le refus de vendre au sens de l'article 75 de la Loi. La permission a été accordée et le présent appel a été interjeté. L'appelante a soutenu que le membre du Tribunal qui a fait droit à la demande de permission a commis une erreur de droit en refusant de tenir compte de tous les éléments de la pratique susceptible d'examen que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1) de la Loi, et que la décision d'accorder l'autorisation devrait être annulée.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
Le paragraphe 103.1(7) de la Loi prévoit que pour faire droit à la demande, le Tribunal doit avoir des raisons de croire que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise par une pratique restrictive du commerce susceptible d'examen et pouvant faire l'objet d'une ordonnance en vertu des articles 75 ou 77 de la Loi. La décision de faire droit ou non à la demande de permission est discrétionnaire. Toutefois, la question en litige en l'espèce, qui consistait à savoir si, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal devait considérer tous les éléments de la pratique commerciale restrictive que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1), en était une de droit. Cette question d'interprétation législative ne fait appel à aucune expertise particulière du Tribunal. La norme applicable était donc celle de la décision correcte.
Le critère applicable pour faire droit à la demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7), énoncé dans la décision National Capital News Canada c. Canada (Président de la Chambre des communes), a été adopté. La demande doit être appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour que le Tribunal puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d'une pratique susceptible d'examen et que cette pratique pourrait faire l'objet d'une ordonnance. Cette norme de preuve est moins élevée que la norme de la prépondérance de la preuve. Cela dit, les éléments de la pratique commerciale susceptible d'examen que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1), doivent tous être prouvés et considérés par le Tribunal pour que celui-ci puisse rendre une ordonnance et ce, non seulement lorsqu'il examine l'affaire au fond, mais aussi lorsqu'il se penche sur une demande de permission selon le paragraphe 103.1(7). Pourvu que chaque élément soit pris en considération, même brièvement, la décision du Tribunal de faire droit ou non à la demande de permission sera traitée avec déférence.
Le fait que les termes employés au paragraphe 103.1(7), à savoir «que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise», soient essentiellement les mêmes que ceux utilisés à l'alinéa 75(1)a), alors que ce paragraphe ne comporte pas de termes similaires à ceux employés aux alinéas 75(1)b) à e), ne signifie pas que les éléments énoncés aux alinéas 75(1)b) à e) n'ont pas à être considérés au stade de la demande de permission. Pour se prononcer sur la demande de permission, le Tribunal doit se demander si la pratique alléguée pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1); et il ne peut tirer pareille conclusion sans considérer tous les éléments du refus de vendre, énoncés à ce même paragraphe. De plus, comme l'objet fondamental de la Loi est de préserver et de favoriser la concurrence au Canada, l'auteur de la demande doit, au stade de la demande de permission, fournir certains éléments de preuve concernant l'effet du refus de vendre sur la concurrence dans un marché (alinéa 75(1)e) de la Loi), et le Tribunal doit prendre ces éléments en considération.
On a jugé qu'il était approprié pour la Cour de trancher l'affaire plutôt que de la renvoyer au Tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision puisque les demandes de permission sont censées revêtir un caractère sommaire. Preuve a été faite que l'intimée a été sensiblement gênée dans son entreprise en raison de son incapacité à obtenir les produits de l'appelante. Le seul point véritablement controversé était de savoir s'il y avait preuve que le refus de vendre de l'appelante aurait vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché. La disposition pertinente, l'alinéa 75(1)e), n'a jamais été interprétée par le Tribunal ou par la Cour, et une demande de permission n'était pas l'occasion appropriée pour le faire. Conséquemment, s'il y avait des faits énoncés dans la déclaration sous serment de l'intimée qui pouvaient satisfaire aux exigences de l'alinéa 75(1)e), le bénéfice du doute devait jouer en sa faveur. En l'espèce, la preuve était suffisante pour fonder des motifs raisonnables de croire que le refus de vendre allégué de l'appelante pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1): l'intimée avait une certaine présence dans le marché de l'Ouest canadien, et sa situation financière difficile pouvait vraisemblablement gêner sa capacité à se positionner comme un concurrent dynamique dans ce marché.
lois et règlements cités
Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), 1.1 (édicté, idem), 75 (mod., idem, art. 45; 2002, ch. 16, art. 11.1), 77 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 45; L.C. 1999, ch. 2, art. 23; ch. 31, art. 52; 2002, ch. 16, art. 11.2, 11.3), 103.1 (édicté, idem, art. 12).
Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 13(1) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 130), (2). |
jurisprudence citée
décision appliquée:
National Capital News Canada c. Canada (Président de la Chambre des communes) (2002), 23 C.P.R. (4th) 77 (Trib. conc.).
décision examinée:
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.
APPEL d'une décision du Tribunal de la concurrence ([2004] D.T.C.C. no 1 (Trib. conc.) (QL)) accordant à l'intimée la permission de présenter une demande à l'encontre de l'appelante. Appel rejeté.
ont comparu:
Steven E. Field et David G. Hill pour l'appelante (défenderesse).
Lindy J. R. Choy pour l'intimée (demanderesse).
avocats inscrits au dossier:
Hill Abra Dewar, Winnipeg, pour l'appelante (défenderesse).
Thompson Dorfman Sweatman LLP, Winnipeg, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A.:
INTRODUCTION
[1]Symbol Technologies Canada ULC (Symbol) interjette appel d'une décision du Tribunal de la concurrence [Barcode Systems Inc. c. Symbol Technologies Canada ULC, [2004] D.T.C.C. no 1 (QL)] accordant à l'intimée Barcode Systems Inc. (Barcode), suivant le paragraphe 103.1(7) [édicté par L.C. 2002, ch. 16, art. 12] de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 [art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)], la permission de présenter une demande au Tribunal à l'encontre de Symbol. Dans sa demande de permission, Barcode a allégué que Symbol se livrait à une pratique restrictive du commerce susceptible d'examen, à savoir le refus de vendre au sens de l'article 75 [mod. idem, ch. 19, art. 45; L.C. 2002, ch. 16, art. 11.1] de la Loi.
[2]Dans sa demande présentée au Tribunal, Barcode demandait que soit prononcée, en vertu du paragraphe 75(1) de la Loi sur la concurrence, une ordonnance enjoignant à Symbol de l'accepter comme cliente.
[3]Dans le présent appel, Symbol déclare que le membre du Tribunal qui a fait droit à la demande de permission a commis une erreur de droit en refusant de tenir compte des exigences de la loi, et que la décision d'accorder l'autorisation devrait être annulée par la Cour.
FAITS
[4]Les faits sont tirés de l'affidavit de David Sokolow, président de Barcode. Il n'y a pas eu de contre- interrogatoire relativement à cet affidavit. Symbol est la filiale canadienne de Symbol Technologies Inc. (Symbol US). Symbol US est le principal fabricant de lecteurs de codes à barres au monde. Symbol vend et distribue les produits Symbol US au Canada. Vers 1994, Barcode a pris en charge le service de distribution de Symbol dans l'Ouest canadien.
[5]Vers janvier 2003, Symbol a informé Barcode qu'elle ne pourrait plus acheter les pièces destinées aux produits Symbol. En avril 2003, Symbol a informé Barcode qu'elle n'accepterait pas ses bons de commande. Barcode affirme que depuis le 1er mai 2003, Symbol a refusé de traiter avec elle.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[6]Jusqu'en 2002, seul le Commissaire de la concurrence pouvait présenter une demande au Tribunal en ce qui concerne les pratiques restrictives du commerce susceptibles d'examen, définies à la Partie VIII de la Loi sur la concurrence, tels le refus de vendre (article 75) et les ventes liées (article 77 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 45; L.C. 1999, ch. 2, art. 23; ch. 31, art. 52; 2002 , ch. 16, art. 11.2, 11.3]). À la suite de modifications à la Loi sur la concurrence, L.C. 2002, ch. 16, art. 11.1 à 11.3, les particuliers se sont vus accorder la possibilité de présenter des demandes au Tribunal à condition d'en obtenir la permission. Le paragraphe 103.1(1) [édicté, idem, art. 12] de la Loi sur la concurrence dispose:
103.1 (1) Toute personne peut demander au Tribunal la permission de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77. La demande doit être accompagnée d'une déclaration sous serment faisant état des faits sur lesquels elle se fonde.
[7]Le paragraphe 103.1(7) énonce les éléments que le Tribunal doit prendre en considération pour se prononcer sur une demande de permission. Pour faire droit à la demande, le Tribunal doit avoir des raisons de croire que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise par une pratique restrictive du commerce susceptible d'examen et pouvant faire l'objet d'une ordonnance en vertu des articles 75 ou 77 de la Loi sur la concurrence. Le paragraphe 103.1(7) prévoit:
103.1 [. . .]
(7) Le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu des articles 75 ou 77 s'il a des raisons de croire que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison de l'existence de l'une ou l'autre des pratiques qui pourraient faire l'objet d'une ordonnance en vertu de ces articles.
[8]La pratique commerciale restrictive d'examen sur laquelle se fonde Barcode est le refus de vendre. Le paragraphe 75(1) est ainsi rédigé:
75. (1) Lorsque, à la demande du commissaire ou d'une personne autorisée en vertu de l'article 103.1, le Tribunal conclut:
a) qu'une personne est sensiblement gênée dans son entreprise ou ne peut exploiter une entreprise du fait qu'elle est incapable de se procurer un produit de façon suffisante, où que ce soit sur un marché, aux conditions de commerce normales;
b) que la personne mentionnée à l'alinéa a) est incapable de se procurer le produit de façon suffisante en raison de l'insuffisance de la concurrence entre les fournisseurs de ce produit sur ce marché;
c) que la personne mentionnée à l'alinéa a) accepte et est en mesure de respecter les conditions de commerce normales imposées par le ou les fournisseurs de ce produit;
d) que le produit est disponible en quantité amplement suffisante;
e) que le refus de vendre a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché,
le Tribunal peut ordonner qu'un ou plusieurs fournisseurs de ce produit sur le marché en question acceptent cette personne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales à moins que, au cours de ce délai, dans le cas d'un article, les droits de douane qui lui sont applicables ne soient supprimés, réduits ou remis de façon à mettre cette personne sur un pied d'égalité avec d'autres personnes qui sont capables de se procurer l'article en quantité suffisante au Canada.
L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE
[9]Symbol soutient que le membre du Tribunal qui a fait droit à la demande a refusé de prendre en considération tous les éléments du refus de vendre susceptible d'examen, énoncés au paragraphe 75(1), et qu'il a donc commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des exigences de la loi. Symbol soutient essentiellement que le membre a refusé de considérer la question de savoir si le refus de vendre reproché à Symbol aurait vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché, comme l'exige l'alinéa 75(1)e).
[10]De fait, dans ses motifs, le membre conclut précisément que, saisi d'une demande de permission, le Tribunal n'a pas à considérer la question de savoir si le refus de vendre aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché. Aux paragraphes 8 et 10, le membre affirme:
Le Tribunal doit avoir des raisons de croire que Barcode est directement et sensiblement gênée dans son entreprise par le refus de vendre de Symbol. À ce stade, il n'est pas nécessaire que le Tribunal ait des raisons de croire que ce refus a ou aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché.
[ . . . ]
Selon mon interprétation de la Loi, il doit y avoir atteinte à la concurrence dans un marché pour que le Tribunal conclue à l'existence d'une contravention à l'article 75 et prononce l'ordonnance corrective prévue par cette disposition. Cette atteinte, toutefois n'est pas une exigence du critère appliqué par le Tribunal pour déterminer s'il accordera ou non une permission.
NORME DE CONTRÔLE
[11]Le paragraphe 13(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 130] de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, prévoit que les décisions ou ordonnances du Tribunal, que celles-ci soient définitives, interlocutoires ou provisoires, sont susceptibles d'appel devant la Cour d'appel fédérale tout comme s'il s'agissait de jugements de la Cour fédérale. Le droit d'appel absolu (sauf en cas d'appels sur des questions de fait suivant le paragraphe 13(2)) est une indication que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.
[12]La décision de faire droit ou non à la demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7) relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal. Toutefois, la question en litige en l'espèce est de savoir si, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal doit considérer tous les éléments de la pratique commerciale restrictive que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1). Il s'agit là d'une question de droit, d'une question classique d'interprétation législative. Il appartient à la Cour de décider si le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire à l'intérieur des limites imposées par le législateur. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 38.
[13]Cette question d'interprétation législative ne fait appel à aucune expertise particulière du Tribunal. Les considérations économiques et commerciales ne font pas partie de l'analyse quant à savoir si, s'agissant d'une demande de permission, tous les éléments énumérés au paragraphe 75(1) doivent être examinés. Qu'il ne soit pas nécessaire de faire appel à une expertise pour résoudre la question d'interprétation législative en litige en l'espèce indique que la norme applicable est celle de la décision correcte.
[14]L'objet fondamental de la Loi sur la concurrence, tel qu'il est défini à l'article 1.1 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19], est «de préserver et de favoriser la concurrence au Canada», et l'objet de l'article 75 confirme cette intention. Lorsque des considérations économiques et commerciales entrent en jeu, la déférence peut être de mise. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce.
[15]Après avoir soupesé ces considérations pragmatiques et fonctionnelles, je conclus que la norme de contrôle applicable au présent appel est celle de la décision correcte.
ANALYSE
Le critère juridique applicable à une demande suivant le paragraphe 103.1(7) |
[16]Dans la décision National Capital News Canada c. Canada (Président de la Chambre des communes) (2002), 23 C.P.R. (4th) 77 (Trib. conc.), la juge Dawson, à titre de membre du Tribunal de la concurrence, a examiné le critère applicable à l'octroi d'une demande de permission en application du paragraphe 103.1(7). Après avoir cité des précédents portant sur l'interprétation de l'expression «motifs raisonnables de croire», elle a déclaré au paragraphe 14 de ses motifs:
Par conséquent, me fondant sur le sens ordinaire des termes utilisés au paragraphe 103.1(7) de la Loi et sur la jurisprudence à laquelle je me suis reportée, je conclus que la norme appropriée en vertu du paragraphe 103.1(7) consiste à se demander si la demande de permission est appuyée par des éléments de preuve crédibles suffisants pour qu'on puisse croire de bonne foi que le demandeur a pu être directement et sensiblement gêné dans son entreprise à cause d'une pratique susceptible d'examen et que cette pratique pourrait faire l'objet d'une ordonnance.
Je suis du même avis que la juge Dawson, et j'endosse son analyse et sa conclusion quant au critère applicable pour faire droit à la demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7).
[17]La charge qui incombe à l'auteur de la demande de permission n'est pas très lourde. Il n'a qu'à fournir une preuve crédible suffisante de ce qui est allégué pour faire naître une croyance légitime dans l'esprit du Tribunal. Il s'agit là d'une norme de preuve moins élevée que la norme de la prépondérance de la preuve, laquelle s'appliquera à la décision sur le fond.
[18]Toutefois, il est important de ne pas confondre la norme de preuve peu élevée applicable à la demande de permission avec le type de preuve devant être présenté au Tribunal et considéré par lui pour trancher cette demande. Pour obtenir une ordonnance suivant le paragraphe 75(1), le refus de vendre n'est pas simplement le refus d'un fournisseur de vendre un produit à un client intéressé. Les éléments de la pratique commerciale susceptible d'examen que constitue le refus de vendre, éléments devant être prouvés pour que le Tribunal puisse rendre une ordonnance, sont ceux qui sont énoncés au paragraphe 75(1). Ces éléments se combinent et doivent tous être considérés par le Tribunal et ce, non seulement lorsqu'il examine l'affaire au fond, mais aussi lorsqu'il se penche sur une demande de permission selon le paragraphe 103.1(7). Cela s'explique du fait que, s'il ne considérait pas tous les éléments de la pratique énoncés au paragraphe 75(1) pour trancher la demande de permission, le Tribunal ne pourrait conclure, comme le prescrit le paragraphe 103.1(7), qu'il existait des motifs de croire qu'une pratique alléguée pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1).
[19]Le Tribunal peut examiner chaque élément brièvement pour respecter la nature expéditive de la procédure de permission prévue à l'article 103.1. Pourvu que chaque élément paraisse être pris en considération, la décision discrétionnaire du Tribunal de faire droit ou non à la demande de permission sera traitée avec déférence par la Cour. Mais le pouvoir discrétionnaire du Tribunal n'est pas absolu. Il doit prendre en considération tous les éléments énoncés au paragraphe 75(1).
[20]Les termes utilisés au paragraphe 103.1(1) confortent cette interprétation des conditions prescrites au paragraphe 103.1(7). Le paragraphe 103.1(1) exige que la demande de permission soit accompagnée d'une déclaration sous serment faisant état des faits. Cette déclaration sous serment doit donc contenir les faits pertinents par rapport aux éléments de la pratique commerciale susceptible d'examen que constitue le refus de vendre, énoncés au paragraphe 75(1). C'est cette déclaration qu'examinera le Tribunal pour trancher une demande de permission en vertu du paragraphe 103.1(7). Bien que la norme de preuve soit moins élevée au stade de la demande de permission qu'à celui de l'examen au fond, il demeure que les mêmes considérations sont pertinentes et doivent être examinées aux deux stades.
[21]L'intimée affirme que les termes employés au paragraphe 103.1(7), à savoir «que l'auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise», sont essentiellement les mêmes que ceux utilisés à l'alinéa 75(1)a), alors que ce paragraphe ne comporte pas de termes similaires à ceux employés aux alinéas 75(1)b) à e). Il s'ensuit, dit-il, que le législateur n'entendait pas obliger le Tribunal à prendre en considération chaque élément des alinéas 75(1)b) à e) au stade de la demande de permission.
[22]Je ne crois pas que cette affirmation soit juste. Étant donné que le paragraphe 103.1(1) dit que «[t]oute personne peut demander», il est théoriquement possible pour quelqu'un d'autre qu'une personne directement et sensiblement gêné de présenter une demande au Tribunal. Cependant, le législateur voulait clairement limiter les demandes des particuliers aux personnes qui sont elles-mêmes directement et sensiblement gênées dans leur entreprise par la pratique alléguée. Je crois que cela explique pourquoi les mots employés au paragraphe 103.1(7) sont substantiellement les mêmes que ceux choisis par le législateur à l'alinéa 75(1)a). Toutefois, l'emploi de ces termes ne signifie pas que les éléments énoncés aux alinéas 75(1)b) à e) n'ont pas à être considérés au stade de la demande de permission, parce qu'à ce stade, le Tribunal doit se demander si la pratique alléguée pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1); et il ne peut tirer pareille conclusion sans considérer tous les éléments du refus de vendre, énoncés à ce même paragraphe.
[23]L'avocat de Symbol a fait valoir que, selon une interprétation téléologique, il devrait être clair que pour trancher une demande de permission, le Tribunal doit considérer tous les éléments prévus au paragraphe 75(1). J'endosse ce point de vue. L'objet de la Loi sur la concurrence est de préserver et de favoriser la concurrence au Canada, et non d'offrir un recours pour régler un différend entre un fournisseur et un client qui n'a aucune incidence sur la préservation ou l'encouragement de la concurrence. C'est là l'objet manifeste de l'alinéa 75(1)e). La charge à ce stade est légère, mais l'auteur de la demande doit fournir certains éléments de preuve concernant l'effet du refus de vendre sur la concurrence dans un marché, et le Tribunal doit prendre ces éléments en considération.
Application du critère aux faits de l'espèce |
[24]Ayant établi le critère juridique approprié à une demande de permission de présenter une demande d'ordonnance en vertu du paragraphe 75(1), il reste à se demander si cette affaire devrait être renvoyée au Tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision, ou si la Cour devrait trancher elle-même le litige. Barcode fait valoir que la demande de permission se veut un processus sommaire d'examen préalable. Il n'y a pas de droit au contre-interrogatoire sur la déclaration déposée au soutien de la demande, aucune disposition ne permet à l'intimée de produire une preuve par affidavit et les délais prévus à l'article 103.1 sont courts, toutes choses qui tendent à confirmer le caractère sommaire de cette procédure. Pour ces motifs, j'estime qu'il conviendrait en l'espèce que la Cour tranche l'affaire sans délai.
[25]Y a-t-il une preuve crédible pour étayer la conclusion voulant qu'il y ait des motifs raisonnables de croire que le refus de Symbol d'approvisionner Barcode pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1)? Preuve a été faite que Barcode est sensiblement gênée dans son entreprise en raison de son incapacité à obtenir les produits de Symbol. La preuve de Barcode veut qu'elle ne puisse obtenir ces produits directement de Symbol ou par l'intermédiaire d'un de ses distributeurs. Barcode affirme vouloir se conformer aux conditions commerciales habituelles de Symbol et être en mesure de le faire, et dit que les produits de Symbol sont en quantité amplement suffisante.
[26]Le seul point véritablement controversé est de savoir s'il y a preuve que le refus de vendre de Symbol aura vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence dans un marché.
[27]L'alinéa 75(1)e) n'a jamais été interprété sur ce point par le Tribunal ou par la Cour, et une demande de permission n'est pas l'occasion appropriée pour le faire. Conséquemment, s'il y a des faits énoncés dans la déclaration sous serment de Barcode qui pourraient satisfaire aux exigences de l'alinéa 75(1)e), le bénéfice du doute devrait jouer en sa faveur afin de ne pas lui interdire définitivement l'accès au Tribunal.
[28]La preuve de Barcode veut que, vers 1994, elle se soit chargée de la distribution de Symbol dans l'Ouest canadien, et qu'en 2002 ses profits dépassaient 20 millions de dollars. Symbol US est le plus grand fabricant au monde de lecteurs de codes à barres. Si Symbol continue à refuser de l'approvisionner, Barcode se verra acculée à la faillite, et, de fait, le membre du Tribunal a constaté que, le 19 décembre 2003, Barcode a été mise sous séquestre.
[29]En me fondant sur la preuve soumise par Barcode, je crois que l'on peut inférer, aux fins de la permission de présenter une demande, qu'il existe des motifs raisonnables de croire que Barcode avait une certaine présence dans le marché de l'Ouest canadien pour fournir et réparer les produits Symbol. Sa situation financière difficile, dont témoigne sa mise sous séquestre, pourrait vraisemblablement gêner sa capacité à se positionner comme un concurrent dynamique dans ce marché, ayant ainsi pour effet de nuire à la concurrence dans ce marché. La preuve n'est peut-être pas très forte, mais j'estime qu'elle est suffisante pour fonder des motifs raisonnables de croire que le refus de vendre allégué de Symbol pourrait faire l'objet d'une ordonnance en vertu du paragraphe 75(1).
CONCLUSION
[30]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
Le juge en chef Richard: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.