IMM-3219-01
2002 CFPI 1240
Roberto Jose Morales Murillo (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)
Répertorié: Murillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux--Montréal, 19 mars; Ottawa, 29 novembre 2002.
Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre selon laquelle le demandeur ne peut être admis au Canada -- Le demandeur a servi dans l'Escadron exécutif des forces aériennes sandinistes -- Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada, mais il a retiré sa revendication lorsqu'il a épousé une Canadienne -- Il a présenté une demande de résidence permanente parrainée -- Il a été allégué dans un rapport de non-admissibilité qu'il a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité -- Une enquête a été ordonnée -- L'arbitre de la CISR a pris une mesure d'expulsion -- La Loi sur l'immigration a été modifiée, après que l'enquête eut été ordonnée, lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre -- Selon cette dernière loi, un crime contre l'humanité inclut la déportation d'une population civile ou d'un groupe identifiable de personnes -- Les forces armées sandinistes ont déplacé les Miskitos (Indiens) qui résidaient sur les terres de la côte Atlantique du Nicaragua -- Aucune preuve de la participation directe du demandeur au déplacement des Miskitos -- Celui-ci était étudiant en U.R.S.S. à l'époque -- Il suffit d'une association, selon la C.A.F. dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) -- La norme de la décision correcte s'applique à la question de droit qui consiste à savoir si le déplacement des Miskitos est visé par la définition de crime contre l'humanité prévue par la loi -- Les conclusions de fait du tribunal ne sont annulées que si elles sont manifestement déraisonnables -- Norme de preuve applicable à la croyance qu'un crime contre l'humanité a été commis -- Une participation personnelle et consciente est requise selon l'arrêt Ramirez -- La mens rea est nécessaire -- Toutes les guerres comportent des actes répréhensibles et les combattants ne sont pas tous condamnés automatiquement -- Un simple doute ou conjecture ne suffit pas -- L'armée sandiniste ne vise pas des fins limitées ou brutales et elle n'est pas non plus reconnue pour violer les droits de la personne -- La mesure d'expulsion a été annulée -- L'arbitre a mal appliqué la jurisprudence -- La conclusion que le demandeur était au courant des événements était manifestement déraisonnable -- L'arbitre n'a pas expliqué en termes clairs pourquoi il avait des doutes au sujet de la crédibilité -- Pourquoi le demandeur croyait-il que le déplacement des Miskitos était justifié? -- L'arrêt Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc. a été examiné; il a fait l'objet d'une distinction d'avec la présente affaire et il n'a pas été utile au ministre -- L'arbitre n'a pas analysé la preuve documentaire et la Cour ne fera pas, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, le travail du tribunal.
En 1979, le gouvernement sandiniste a pris le pouvoir au Nicaragua, ayant renversé celui du dictateur Samoza. Il s'en est suivi une guerre civile entre le gouvernement sandiniste et les contras. Un activiste sandiniste, le demandeur Murillo, s'est joint aux forces aériennes en 1980 à titre d'étudiant en mécanique aérienne, et, en 1982, il est entré dans l'Escadron exécutif (qui transportait des ministres et des chefs militaires). En 1987, il a été promu au grade de sous-lieutenant, mais il a quitté l'armée en 1989, l'année précédant la défaite du gouvernement sandiniste aux élections générales. Murillo est entré au Canada en 1996 et il a revendiqué le statut de réfugié. Il a toutefois retiré sa revendication après avoir épousé une Canadienne et avoir présenté une demande de résidence permanente parrainée. Un rapport fondé sur l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur l'immigration a toutefois été établi, dans lequel on allèguait que Murillo était une personne non admissible parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel. Le sous-ministre a ordonné une enquête et, ultérieurement, un arbitre de la CISR a pris une mesure d'expulsion contre le demandeur. On a allégué que Murillo avait pu se rendre compte de graves violations des droits de la personne et qu'il avait été un témoin du transport clandestin d'armes dans des vols nocturnes.
La Loi sur l'immigration a été modifiée, après que l'enquête eut été ordonnée, lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. L'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration, qui renvoyait à un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel, renvoie maintenant «[aux personnes] dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre». Selon cette loi, un crime contre l'humanité vise notamment la déportation «[d']une population civile ou [d']un groupe identifiable de personnes». L'arbitre a fondé sa décision sur le déplacement forcé par les forces armées du gouvernement sandiniste de la population des Miskitos (Indiens) qui résidaient sur la côte Atlantique. L'arbitre a conclu que le témoignage de Murillo était très crédible, sauf pour ce qui est de sa connaissance des événements, et que, sur ce point, il avait produit un faux témoignage, ou il avait fait preuve d'aveuglement volontaire. Rien ne prouvait que Murillo avait participé directement à la déportation, mais, suivant l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) de la Cour d'appel fédérale, il suffisait d'une association. L'arbitre a mentionné aussi l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité «où il est prévu que la complicité est aussi un acte criminel». Bien qu'il n'ait été qu'un ingénieur de vol, Murillo avait été choisi pour recevoir une formation en U.R.S.S. et il avait été affecté à un poste «très politiquement sensible» dans l'Escadron exécutif. Il n'occupait pas un simple poste de fantassin. Malgré les craintes qu'il entretenait quant aux répercussions possibles de sa démission sur sa famille et ses enfants, à partir du moment où il a été au courant des événements, Murillo aurait dû prendre les moyens voulus pour démissionner.
Jugement: la demande est accueillie.
La question de savoir si le déplacement forcé des Miskitos est visé par la définition de crime contre l'humanité est une question de droit et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Pour ce qui est des conclusions de fait, la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision du tribunal n'ait été rendue de façon abusive ou arbitraire, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable. Quant à la conclusion suivant laquelle Murillo était coupable d'un crime contre l'humanité, la question de savoir si la croyance de l'agent était fondée sur des «motifs raisonnables» exigeait une norme de preuve qui, sans être la probabilité la plus forte, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.
Selon le juge d'appel MacGuigan dans l'arrêt Ramirez, l'élément nécessaire de la complicité dans un crime international est la «participation personnelle et consciente», critère qui comporte un élément moral ou une connaissance, indication de la mens rea. Le juge a lancé un avertissement selon lequel il ne faut pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à une guerre. Dans les nombreuses guerres de l'histoire, la plupart des combattants ont vu leur propre armée se livrer à des actes qu'ils ont pu trouver répréhensibles, mais qu'ils se sont sentis absolument incapables d'arrêter sans courir de risques graves. Il existe, toutefois, une jurisprudence selon laquelle le fait qu'un individu est membre actif d'un groupe qui a commis des atrocités et qu'il a bien tardivement des remords sont des éléments qui jouent contre lui lorsqu'il s'agit de décider s'il a eu une participation personnelle et consciente. Malgré cela, un simple doute ou une simple conjecture ne permet pas de satisfaire à la norme de preuve applicable.
L'argument du demandeur fondé sur la justice naturelle -- selon lequel le rapport de l'agent d'immigration ne lui permettait pas de connaître les faits qui lui étaient reprochés -- ne pouvait être retenu. Le ministre s'est acquitté de son obligation de donner un avis de la preuve réunie contre le demandeur.
Pour ce qui est du fond, l'arbitre n'a pas conclu que l'armée sandiniste était une organisation qui vise des fins limitées et brutales, ni que cette armée était reconnue pour violer les droits de la personne. En 1982, lorsque le gros des déplacements des Miskitos a eu lieu, Murillo venait tout juste de se joindre à l'Escadron exécutif comme mécanicien. De 1983 à 1986, il a poursuivi ses études en U.R.S.S. et c'est au cours de cette dernière année qu'on a permis aux Miskitos de réintégrer leurs terres ancestrales sur la côte Atlantique.
La décision de l'arbitre devrait être annulée pour deux motifs. Premièrement, l'arbitre a mal appliqué la jurisprudence. L'arrêt Ramirez appuie la proposition selon laquelle «la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié». Il y a une exception à cette règle, lorsque l'organisation -- ce qui n'a pas été le cas en l'espèce -- vise principalement des fins limitées et brutales comme celles d'une police secrète. En outre, le demandeur n'a pas participé directement à la déportation des Miskitos par l'armée.
Deuxièmement, la conclusion de l'arbitre selon laquelle Murillo était au courant des événements de cette période était manifestement déraisonnable. Les «peut-être» et les possibilités de l'arbitre ne satisfont pas à l'exigence établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), selon laquelle la Cour est tenue d'expliquer en termes clairs et explicites pourquoi elle doute de la crédibilité du demandeur. La preuve indiquait que Murillo avait considéré le déplacement des Miskitos justifié étant donné que les contras, à la fin de 1981, avaient lancé une offensive où les villages Miskitos étaient visés.
L'argument du ministre portant que la Cour devait appliquer la règle énoncée dans Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc. -- selon laquelle même si le tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l'égard de certaines conclusions de fait, la décision qu'il a rendue serait confirmée s'il y avait d'autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale -- ne pouvait être retenu dans les circonstances. L'arbitre n'a pas analysé la preuve documentaire citée par le ministre et ce n'était pas à la Cour de faire le travail du tribunal. Il s'agissait en l'espèce d'un contrôle judiciaire et non d'un appel de novo.
lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 7(3.76) (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1; L.C. 2000, ch. 24, art. 42).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). |
Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 6(1),(1.1),(3), 55. |
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)j) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl., ch. 30, art. 3; L.C. 2000, ch. 24, art. 55), 27(2)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), 32(6) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11). |
jurisprudence
décisions suivies:
Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297; (2000), 195 D.L.R. (4th) 422; 265 N.R. 121 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.); Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66; (2000), 183 D.L.R. (4th) 713; 3 Imm. L.R. (3d) 169; 252 N.R 380 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589; (1993), 109 D.L.R. (4th) 682; 22 Imm. L.R. (2d) 241; 163 N.R. 232 (C.A.); Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199; 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aquebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).
décisions appliquées:
Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 115 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181 (1re inst.).
distinction faite d'avec:
Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282; (2000), 20 Admin. L.R. (3d) 159; 252 N.R. 364 (C.A.).
décision examinée:
Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101.
décisions citées:
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646; (1994), 115 D.L.R. (4th) 403; 24 Imm. L.R. (2d) 229; 170 N.R. 302 (C.A.); Mendez-Leyva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 205 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de prendre une mesure d'expulsion parce qu'il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité et qu'il ne pouvait donc pas prétendre au statut de résident permanent. Demande accueillie.
ont comparu:
William Sloan pour le demandeur.
Normand Lemyre et Mario Blanchard pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier:
William Sloan, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
Le juge Lemieux:
A. INTRODUCTION
[1]Le demandeur, Roberto Jose Morales Murillo, est un citoyen du Nicaragua âgé de 46 ans. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada en mars 1996 ayant quitté son pays natal en décembre 1995. Une année plus tard, soit le 8 mars 1997, il a ép ousé une Canadienne, Marina Lucie Loye. Le 4 mars 1998 il dépose une demande de résidence permanente parrainée et, par la suite, retire sa demande d'être reconnu comme réfugié.
[2]Le 5 octobre 2000, un agent d'immigration sign a un rapport en vertu de l'alinéa 27(2)a ) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (ci-après la Loi) alléguant que le demandeur est une personne non admissible puisqu'il existe des motifs raisonnables de cro ire qu'il a commis à l'étranger un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] et qui constitue au Canada une infraction au droit canadien à l'époque de la perpétration. Le même jour le sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration émet une directive pour enquête. Le 20 juin 2001, l'arbitre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), Michel Beau champ, prend une mesure d'expulsion contre le demandeur en vertu du paragraphe 32(6) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11] de la Loi pour motifs raisonnables de croire que M. Murillo aurait commis des crimes contre l'humanité visés par les alinéas 19(1)j ) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 2000, ch. 24, art. 55] et 27(2)a) de la Loi le rendant donc inadmissible à la résidence permanente.
[3]Entre 1980 et 1989, le demandeur a occupé différents postes au sein de l'armée du Nicaragua. Durant cette période, le gouvernement sandiniste est au pouvoir ayant renversé celui du dictateur Samoza en 1979. Peu après, une guerre civile entre le gouvernement sandiniste et les contras inflige ses malheur s sur le Nicaragua.
[4]Après avoir milité pour le Front sandiniste en 1979, M. Murillo, en 1980, se joint aux forces aériennes de l'armée du Nicaragua à titre d'étudiant en mécanique aérienne; il reçoit son diplôme à l'automne 1981.
[5]En 1982, le demandeur entre dans l'Escadron exécutif de la direction des forces aériennes sandinistes (ci-après Escadron exécutif) comme mécanicien et semble-t-il, ingénieur de vol.
[6]Après avoir complété des études avancées de mo teurs et de turbines en U.R.S.S. de 1983 à 1986, il rejoint l'Escadron exécutif comme responsable de l'entretien des avions de cette unité et, par la suite, est ingénieur de vol (mécanicien de bord). L'Escadron exécutif était responsable du transport des m inistres du gouvernement du Nicaragua ainsi que les chefs militaires.
[7]En 1987, il fut promu au grade de sous-lieutenant. Il témoigne avoir quitté l'armée en juin 1989. L'année suivante, le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega est défa it aux élections générales par Violetta Chamorro.
[8]Le rapport de l'agent de l'immigration se lit:
Que: Morales Murillo, Roberto Jose en octobre 1979, s'est joint volontairement et consciemment au mouvement de lutte armée contre le gouvern ement en place (Front Sandiniste). Par la suite le gouvernement en place a été renversé par les forces sandinistes et le sujet a intégré l'escadron exécutif des forces aériennes. En septembre 1986 le sujet est devenu ingénieur de vol et en 1987 a reçu le g rade de sous-lieutenant de l'armée. Le sujet déclare avoir pu se rendre compte des grandes violations des droits humains. Il a été aussi témoin du transport clandestin d'armes dans des vols nocturnes. Pas seulement pour les paysans mais aussi pour les narc otrafiquants. Il est demeuré dans l'armée jusqu'en 1995, date à laquelle il a décidé de déserter.
Il aurait eu une entière connaissance des exactions commises par les militaires, constituant un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du code criminel.
B. CADRE LÉGISLATIF
[9]Tel que mentionné, le demandeur fait l'objet d'un rapport en vertu des alinéas 19(1)j) et 27(2)a) de la Loi. L'alinéa 27(2)a) stipule:
27. [. . .]
(2) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit, sauf si la personne en cause a été arrêtée en vertu du paragraphe 103(2), faire un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre de renseignements concernant une personne se trouvant au Canada autrement qu'à titre de citoyen canadien ou de résident permanent et indiquant que celle-ci, selon le cas:
a) appartient à une catégorie non admissible, autre que celles visées aux alinéas 19(1)h) ou 19(2)c);
[10]Le 23 octobre 2000, (donc suite au rapport de l'agent de l'immigration et la directive d'enquête), une modification de l'alinéa 19(1)j) de la Loi se produit avec l'entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre [L.C. 2000, ch. 24] (ci-après la Loi sur les crimes contre l'humanité).
[11]La rédaction de l'ancienne disposition était:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
[. . .]
j) celle dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.
[12]Après le 23 octobre 2000 [L.C. 2000, ch. 24, art. 55], la nouvelle disposition de l'alinéa 19(1)j) de la Loi se lit:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
[. . .]
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. [Je souligne.]
[13]Les paragraphes 6(1) et 6(1.1) de la Loi sur les crimes contre l'humanité s'appliquent en l'espèce et se lisent:
6. (1) Quiconque commet à l'étranger une des infractions ci-après, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, est coupable d'un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l'article 8:
a) génocide;
b) crime contre l'humanité;
c) crime de guerre.
(1.1) Est coupable d'un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre. [Je souligne.]
[14]Les crimes contre l'humanité sont définis au paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité:
6. [. . .]
(3) [. . .]
«Crime contre l'humanité» Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait--acte ou omission-- inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. [Je souligne.]
C. DÉCISION DE L'ARBITRE
[15]L'arbitre devait déterminer si le demandeur était une personne visée ou non par l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur la base du rapport en date du 5 octobre 2000. Pour ceci, l'arbitre applique les nouvelles dispositions de l'alinéa 19(1)j) modifié.
[16]Il reconnaît qu'il y a eu une guerre sale entre le gouvernement sandiniste et ses opposants et que «de l'un ou de l'autre côté de la clôture, il y a eu des gestes regrettables de posés de part et d'autres». Il fonde sa décision sur le déplacement forcé de la population des Miskitos et détermine que ce déplacement constitue un crime contre l'humanité selon l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité.
[17]Il précise sa pensée dans l'extrait suivant de sa décision du 20 juin 2001, à la page 3:
Pour les fins de la cause qui m'occupe aujourd'hui, je dois regarder les gestes posés par les forces armées du gouvernement sandiniste et il est clair, selon cette preuve documentaire et la preuve documentaire versée par l'une et l'autre des deux parties, y compris celle que j'ai reçue de votre part, il est clair qu'il y a eu effectivement déplacement forcé d'une partie identifiable de la population, à savoir une partie de celle qui résidait sur la côte Atlantique. En règle générale, les Indiens et de façon plus particulière quant au nombre, ceux qu'on appelle les Mosquitos [sic].
[. . .]
Et je reviens sur ce que je disais, ces différences qui sont expliquées par le contexte ont été utilisées par des groupes d'opposants pour tenter d'aider leur cause dans ce conflit-là qui les opposait au gouvernement et c'est à cause de cela que le gouvernement a procédé à ces déplacements de populations. Ces justifications toutefois, à mon avis et c'est ma conclusion, ne suffisent pas à effacer les gestes commis ou à les justifier et ces déplacements forcés constituent, à mon avis, un crime contre l'humanité, tel qu'on le définit à l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et crimes de guerres [sic]. [Je souligne.]
[18]Devant l'arbitre, le représentant du ministre et le demandeur ont déposé une preuve documentaire. L'arbitre rejette les documents remis par le représentant du ministre sous la cote C-5 reflétant «un parti pris tellement évident là que [. . .] le poids qu'on peut lui accorder est très faible sinon inexistant». Il ajoute «par contre, d'autres ont un poids considérable, entre autre, la pièce identifiée sous la cote C-2 qui m'est apparue très factuelle et très objective». C-2 est un document préparé par le Centre de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Centre).
[19]L'arbitre juge le témoignage de M. Murillo de façon générale «très crédible, très spontané» sauf sur un point--sa connaissance des événements--concluant «c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non crédible». L'arbitre termine en écrivant:
Votre témoignage en cours d'enquête m'est apparu, de façon générale, très crédible, très spontané. Sur ce point toutefois, il y a deux possibilités, soit que votre témoignage est faux, que c'est un témoignage non crédible, ou pour reprendre une expression utilisée par monsieur Dubé à partir du jugement Ramirez je crois, il y avait un aveuglement volontaire. [Je souligne.]
[20]L'arbitre constate qu'il n'y a aucun élément de preuve qui implique le demandeur directement dans la déportation des Miskitos mais ajoute que l'association pouvait faire d'une personne une visée par l'alinéa 19(1)j) invoquant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de la Citoyenneté), [1992] 2 C.F. 306. Il mentionne aussi l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité «où il est prévu que la complicité est aussi un acte criminel».
[21]Il conclut:
Et malheureusement pour vous, je dois partager l'opinion de monsieur Dubé quant à l'effet du jugement Ramirez en ce qui vous concerne. Vous faisiez partie des forces armées du Nicaragua, et ce, à un niveau relativement important, relativement étant utilisé à bon escient ici. Il est évident que de par vos fonctions, vous n'aviez aucun impact, aucune influence sur les décisions prises par le gouvernement.
Je rappelle ici que vous étiez ingénieur de vol, ingénieur mécanicien à bord d'avions. Ce qui est plus important, c'est que vous aviez été choisi pour recevoir une formation spécifique en ce sens en URSS, tel qu'elle était connue alors. De plus, votre affectation était dans un poste très politiquement sensible, j'utiliserais l'expression, à savoir que vous étiez affecté à ce que vous avez appelé et ce qui a été traduit à quelques reprises comme l'escadron exécutif, donc entre autres chargé d'assurer le déplacement de membres du gouvernement ou de membres de l'État-major.
Donc, on ne parle pas ici d'une participation forcée en tant que personne qui a été enrôlée de force et qui occupe un simple poste de messager ou même de fantassin au sein de l'armée. Vous avez même été promu, deux années je pense avant votre démission, au grade de sous-lieutenant, donc un grade relativement élevé dans la hiérarchie militaire et de plus, comme je l'ai dit, de par la nature de vos fonctions, vous deviez sûrement être quelqu'un de confiance.
On ne nomme pas ingénieur de vol ou mécanicien d'un avion qui transporte des membres du gouvernement d'État-major une personne en laquelle on n'a pas confiance. Votre connaissance des événements de cette période, votre témoignage a tenté de démontrer que vous n'aviez pas de connaissance de ces événements qui s'étaient passés et c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non crédible.
[. . .]
Les motifs que vous avez invoqués pour ne pas avoir démissionné plus rapidement des forces armées ne justifient pas le fait que vous ne l'avez pas fait. Il est évident qu'ils sont très compréhensibles, je ne dis pas qu'ils ne sont pas compréhensibles. Les craintes que vous entreteniez quant aux répercussions que pourrait avoir une démission sur votre famille et vos enfants, mais à partir du moment où je conclus que vous étiez au courant des événements, je dois conclure que vous auriez dû prendre les moyens voulus pour démissionner en évitant ces problèmes possibles pour votre famille. [Je souligne.]
D. ANALYSE
1) Les normes de révision |
[22]La norme de contrôle d'une décision d'un tribunal varie prenant en considération certains facteurs: 1) la nature de la question soulevée (points en litige) et déterminante du litige devant la Cour; 2) l'existence d'une clause privative; 3) l'expertise du tribunal; et 4) le but de la Loi ou de la disposition législative (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).
[23]La question à savoir si un acte comme celui des déplacements forcés des Miskitos est visé par la définition de crime contre l'humanité dans la Loi sur les crimes contre l'humanité est une question de droit et donc la norme de contrôle est celle de la décision correcte. (Mendez-Leyva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 205 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.); Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.).)
[24]D'autre part, lorsqu'une décision est fondée sur des conclusions de fait (par exemple, l'existence des déplacements forcés) et le moyen avancé pour casser la décision se fonde sur des erreurs de faits, l'alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], prévoit que cette Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision basée sur cette conclusion de fait est erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont le tribunal dispose, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, le juge L'Heureux-Dubé écrit au paragraphe 85:
Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue [. . ] Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve [. . .]
[25]Aussi, généralement, une décision d'un tribunal fondée sur une question mixte de droit et de faits est révisable sur la base de raisonnabilité simpliciter.
2) Norme de la preuve |
[26]M. Murillo est inadmissible si l'arbitre avait «des motifs raisonnables» de croire qu'il avait commis au Nicaragua un fait constituant un crime contre l'humanité.
[27]La Cour d'appel fédérale dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, conclut que cette disposition législative établit la norme de preuve suivante [au paragraphe 60]:
Quant à savoir s'il existait des «motifs raisonnables» étayant la croyance de l'agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l'expression «motifs raisonnables» (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s'agit d'une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins «la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi». Voir Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.). [Je souligne.]
3) Les principes |
[28]La notion de complicité par association est très bien reconnue dans la jurisprudence de cette Cour et ceci depuis les arrêts clés de la Cour fédérale d'appel dans Ramirez, précité; Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.F.), auquel il faut ajouter celle de Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.) et Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.) et plusieurs décisions des juges de la Division de première instance.
[29]Le juge Nadon, alors juge de la Division de première instance, dans l'affaire Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 115 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), dégage de la jurisprudence précitée les circonstances où une personne peut être tenue responsable des crimes contre l'humanité, de les commettre à titre de complice sans avoir personnellement commis l'acte constituant le crime. Le juge Nadon énumère les principes suivants à la page 178 de son jugement:
1. La personne qui commet le crime doit être tenue responsable de ce crime. |
2. Une personne peut-être tenue responsable d'un crime sans l'avoir commis personnellement, à savoir à titre de complice. |
3. L'élément requis pour qu'il y ait complicité est la «participation personnelle et consciente» de la personne en question. |
4. Le seul fait d'être présent sur les lieux d'un crime n'équivaut pas à complicité. |
5. Celui qui aide ou encourage la perpétration d'un crime pourra être tenu responsable de ce crime. |
6. Un supérieur pourra être tenu responsable de crimes commis par ses subordonnés dans la mesure où le supérieur en avait connaissance. |
7. Une personne pourra être tenue responsable de crime commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs de ce crime. |
8. Plus la personne occupe une fonction importante au sein d'une organisation qui a commis un ou des crimes, plus sa complicité sera probable. |
9. Pourra être tenue complice une personne qui continue à occuper un poste de direction dans une telle organisation alors qu'elle a pleine connaissance que l'organisation est responsable de crimes. |
10. Pour déterminer la responsabilité d'une personne, doit être pris en considération le fait que la personne s'est opposée au crime ou a tenté d'empêcher la perpétration du ou des crimes ou de se retirer de l'organisation. |
[30]Selon le juge d'appel MacGuigan dans l'arrêt Ramirez, précité, l'élément nécessaire de la complicité dans un crime international est la «participation personnelle et consciente», un critère qui comporte un élément moral ou une connaissance, une indication de la mens rea nécessaire dans ce contexte.
[31]Par la suite, le juge MacGuigan discute du degré de complicité requis et conclut [aux pages 317 et 318]:
1) la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié;
2) toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, «il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution»;
3) «la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir sa participation personnelle et consciente [. . .] bien que, encore une fois, la présence jointe à d'autres faits puisse faire conclure à une telle participation»;
4) «le simple fait de regarder, comme c'est le cas, par exemple, lors d'exécutions publiques, sans entretenir de rapports intrinsèques avec le groupe se livrant aux actes de persécution, ne peut jamais, quelque humainement répugnant qu'il nous paraisse, constituer une forme de participation personnelle»;
5) cependant, un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à l'avis du juge MacGuigan, être qualifié de simple spectateur. «Les membres d'un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits» [souligné dans l'original]. Dans de tels cas, selon le juge MacGuigan, «la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont» [soulignement ajouté].
[32]Le juge MacGuigan lance un avertissement en ces termes à la page 319:
Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à un conflit en situation de guerre. Dans la plupart des guerres de l'histoire de l'humanité, la plupart des combattants ont probablement vu leur propre armée se livrer à des actes qu'ils auraient normalement trouvés répréhensibles mais qu'ils se sont sentis absolument incapables d'arrêter, du moins sans courir de risques graves.
[33]Le juge MacGuigan conclut à la page 320:
À mon avis, il n'est pas souhaitable, dans l'établissement d'un principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire.
[34]Le juge d'appel Décary dans Bazargan, précité, approfondit le critère de «participation personnelle et consciente». Il écrit au paragraphe 11 ceci:
Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une «participation personnelle et consciente», puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. [. . .] Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération. [Je souligne.]
[35]Pour le juge Décary, comme ce l'était pour le juge MacGuigan dans Ramirez, précité, la question à savoir si une personne est complice d'un crime international, c'est-à-dire rencontre le critère de participation personnelle et consciente, est une question de fait rappelant que le ministre n'a pas approuvé la culpabilité de l'intimé mais n'a qu'à démontrer sur une norme de preuve qui est moindre que la prépondérance des probabilités, qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable.
[36]Le juge Décary précise que le fait d'être effectivement un membre actif du groupe qui commettait les atrocités et le fait qu'un individu fait preuve bien tardivement de remords sont des [au paragraphe 10] «faits qui aident à décider si la condition de participation personnelle et consciente est remplie, et non pas des conditions qui s'ajoutent à celles-ci. L'appartenance au groupe allégera, bien sûr, le fardeau de preuve incombant au Ministre en ce qu'elle permettra plus facilement de conclure à une "participation personnelle et consciente". Mais il s'impose de ne pas transformer en condition de droit ce qui n'est en réalité qu'une présomption de fait».
[37]Le juge Décary analyse la décision de la Commission et note que celle-ci a pris en considération les fonctions de responsabilité que M. Bazargan avait occupées et de par ses fonctions [au paragraphe 12], «ne pouvait pas ne pas être très bien informé de la nature des mesures de répression utilisées par la SAVAK afin de réprimer toute dissidence sociale et politique dans le pays». Il a collaboré durant plusieurs années avec cet organisme à titre d'officier de police supérieur des forces de la sécurité iranienne. La Commission avait décelé le caractère notoire des violations des droits humains commis par la SAVAK.
[38]Le tribunal, dans Bazargan, précité, a conclu ceci [au paragraphe 12]:
[. . .] compte tenu du caractère notoire des violations des droits humains commis par la SAVAK, des postes d'autorité que le demandeur détenait jusqu'en 1980 et de la connaissance qu'il avait nécessairement de la situation, nous devons conclure qu'il existe en l'occurrence des motifs sérieux de penser que le demandeur ayant toléré, encouragé, voire faciliter les actes de la SAVAK, il s'est par conséquent rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. [Je souligne.]
[39]Le juge Décary estime la décision du tribunal bien fondée. Il écrit au paragraphe 13 de son jugement:
Ces inférences et cette conclusion s'appuient sur la preuve et elles sont raisonnables. Cette cour, à maintes reprises, a rappelé que le tribunal spécialisé qu'est la Commission a pleine compétence pour tirer les inférences qui peuvent raisonnablement l'être. [. . .] En l'espèce, le juge des requêtes a eu d'autant plus tort d'intervenir que les inférences tirées par la Commission étaient accompagnées d'observations dévastatrices sur la crédibilité de cette partie du témoignage de l'intimé dans laquelle il plaidait son ignorance des activités de la SAVAK.
[40]Dans l'arrêt récent de Sumaida, précité, le juge d'appel Létourneau abonde dans le même sens concernant la notion de complicité. Il écrit ceci aux paragraphes 31 et 32:
Notre Cour n'a jamais exigé dans cette affaire [Sivakumar] qu'un demandeur soit lié à des crimes précis en temps que leur auteur réel ou que les crimes contre l'humanité commis par une organisation soit nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du demandeur.
En fait, en l'absence de cette participation directe et d'une preuve pour l'appuyer, notre Cour a accepté la notion de complicité définie comme une participation personnelle et consciente dans l'affaire Ramirez [. . .], de même qu'une complicité par association qui s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.
[41]Dans Sumaida, précité, le juge Létourneau rappelle que la norme de preuve exige plus qu'un doute ou une conjecture.
[42]En dernier lieu, une remarque du juge d'appel Robertson dans Moreno, précité, m'apparaît apte en l'espèce. À la page 321 de son jugement, le juge Robertson rappelle qu'il est bien établi qu'une simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet d'invoquer la disposition d'exclusion mais que cette règle générale connaît une exception lorsque l'existence même de l'organisation repose sur l'atteinte d'objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. Il ajoute au sujet d'une organisation militaire combattant contre la guérilla:
L'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par l'exception.
4) Application |
a) Point préliminaire--justice naturelle |
[43]Le demandeur soutient qu'il ignorait à la lecture du rapport de l'agent d'immigration, les faits allégués contre lui puisque, selon lui, il n'y avait aucun indice dans ce rapport qu'il serait tenu responsable des crimes contre l'humanité suite aux déplacements des Miskitos en 1982. Il affirme avoir appris la nature des accusations contre lui seulement au moment où le représentant du ministre a présenté ses arguments. Pourtant, le demandeur a reçu avant le début de l'enquête tous les documents que la ministre a produit lors de l'enquête. Cette documentation mentionne le déplacement forcé des Miskitos par l'armée sandiniste.
[44]À mon avis, la ministre s'est acquittée de son obligation de donner un avis de la preuve réunie contre le demandeur. Dans l'affaire Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, à la page 596 le juge Linden pour la Cour d'appel fédérale écrit:
L'un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d'une partie d'être entendue est l'obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d'un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d'un demandeur du statut de réfugié d'être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l'allégation du ministre en prouvant qu'il n'existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Par conséquent, il n'est pas permis au ministre ou à la Commission d'alléguer à l'improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l'audience.
[45]Ayant reçu la preuve documentaire de la ministre avant le début de l'enquête, le demandeur pouvait donc s'y préparer. En aucun temps, le demandeur a demandé un ajournement. De plus, lors de l'enquête, le demandeur a déposé certains documents qui allaient à l'encontre de ceux de la ministre. Qui plus est, après la dernière audience de l'enquête et avant celle où la décision a été rendue oralement, l'épouse du demandeur a fait parvenir à l'arbitre certains documents sur le déplacement des Miskitos. L'arbitre affirme dans ses motifs, avoir examiné ces documents mais que ceux-ci ne changeaient rien à sa décision.
[46]Le demandeur n'avait pas de conseiller légal lors de l'enquête. À de nombreuses reprises, l'arbitre demanda à M. Murillo si cela était bien son choix et qu'il avait droit à un conseiller à ses côtés. Le demandeur a toujours décliné d'être représenté.
[47]Je conclus, dans ces circonstances, qu'aucun bris de justice naturelle ou d'équité procédurale a été établi par le demandeur et je rejette donc ce moyen avancé par lui pour casser la décision.
b) Sur le fond |
[48]L'arbitre a spécifié lors de l'audience du 20 juin 2001, à la page 3 que:
La preuve documentaire crédible et digne de foi révèle hors de tout doute qu'il y a eu une guerre qu'on pourrait qualifier de sale entre le gouvernement sandiniste et des opposants à ce gouvernement. De l'un et de l'autre côté de la clôture, il y a eu des gestes regrettables de posés de part et d'autre.
[49]L'arbitre s'est fondé sur le déplacement forcé des Miskitos pour déterminer qu'il y a eu commission par l'armée sandiniste de crimes contre l'humanité. Dans sa décision, il ne fait aucunement référence à d'autres actes commis par l'armée sandiniste qui pourraient être considérés comme étant des crimes contre l'humanité. Non plus a-t-il trouvé que l'armée sandiniste était une organisation qui vise des fins limitées et brutales ni a-t-il déterminé que les violations des droits humains par l'armée sandiniste étaient de caractère notoire.
[50]En examinant la preuve documentaire, je constate que les déplacements forcés des Miskitos ont débuté à la fin de 1981 mais que le gros de ces déplacements ont eu lieu en 1982. Les Miskitos sont relogés à l'intérieur du territoire. Dès 1986, le gouvernement sandiniste a permis aux Miskitos de réintégrer leurs terres ancestrales sur la côte Atlantique.
[51]Lorsque nous regardons ce que faisait le demandeur à cette époque, nous remarquons qu'en 1982, il venait de terminer ses études et s'était joint à l'Escadron exécutif comme simple mécanicien. De plus, de 1983 à 1986, le demandeur n'était pas au Nicaragua étant retourné aux études en U.R.S.S.
[52]Dans sa décision l'arbitre accentue le fait que le demandeur n'était pas qu'un simple messager ou fantassin mais occupait un poste politiquement sensible avec un grade relativement élevé dans la hiérarchie militaire, et de par sa fonction d'ingénieur de vol, il devait être une personne de confiance.
[53]À mon avis, la décision de l'arbitre doit être cassée essentiellement pour deux motifs: 1) l'arbitre a mal interprété la jurisprudence et notamment l'arrêt Ramirez, précité, qui, quoi que cette question n'ait pas été débattue devant moi, je pense est valable aussi pour l'application de l'article 6 de la Loi sur les crimes contre l'humanité; 2) la conclusion de «votre connaissance des événements de cette période» ne repose sur aucune preuve et est donc manifestement déraisonnable.
1) Premier motif--jurisprudence mal appliquée |
[54]Le principe général veut qu'une personne ne puisse avoir «commis» un crime contre l'humanité sans qu'il y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente. Je répète les mots du juge MacGuigan dans Ramirez, précité, à la page 317:
Quel est, alors, le degré de complicité requis? La première conclusion à laquelle je parviens est que la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié. De fait, cette conclusion concorde avec l'intention des États signataires, ainsi qu'il appert du Tribunal militaire international de l'après-guerre, mentionné plus haut. [Je souligne.]
[55]Une exception à cette règle générale est reconnue --celle de l'appartenance à une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales comme celles d'une police secrète puisqu'il «parait évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution» (voir Ramirez, précité, à la page 317).
[56]Le juge d'appel Robertson dans Moreno, précité, est d'avis que l'appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla (les contras) est visée par la règle générale et non par l'exception.
[57]En l'espèce, le tribunal n'a pas conclu que l'armée sandiniste était une telle organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales. D'autre part, le tribunal a conclu qu'il n'y avait aucune preuve impliquant le demandeur directement dans les seuls gestes reprochés à l'armée sandiniste, c'est-à-dire la déportation forcée des Miskitos.
2) Deuxième motif--conclusion manifestement déraisonnable |
[58]Je trouve que la conclusion de l'arbitre sur la «connaissance des événements de cette période» est une conclusion manifestement déraisonnable. Il est vrai que l'arbitre a remarqué «votre témoignage a tenté de démontrer que vous n'aviez pas de connaissance de ces événements qui s'étaient passés et c'est peut-être là, à mon avis, la seule partie de votre témoignage qui peut être qualifiée de non-crédible». L'arbitre continue indiquant que sur ce point il y avait deux possibilités: un témoignage non-crédible ou un aveuglement volontaire.
[59]Selon moi, l'arbitre n'a pas conclu à la non-crédibilité de M. Murillo sur ce point. Dans Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) le juge Heald écrit à la page 201:
Selon moi, le Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant.
[60]Les «peut-être» et les possibilités de l'arbitre ne recontrent pas cette exigence.
[61]M. Murillo a nié dans son témoignage une connaissance d'attaques contre les populations civiles; il avait la connaissance de la lutte contre les contras et le déplacements des civils des zones de combat (notes sténographiques, pages 340, 341 et 351).
[62]La jurisprudence reconnaît que la connaissance de crimes contre l'humanité peut s'inférer dépendant des circonstances et d'après Aguebor c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Cour ne doit pas intervenir si une inférence est basée sur la preuve et est tirée raisonnablement. Je ne vois aucune preuve sur laquelle l'arbitre pouvait inférer une connaissance de la part de M. Murillo de crimes contre l'humanité puisque l'arbitre n'en a retenu qu'un--celui du déplacement des Miskitos que M. Murillo croyait justifié dans les circonstances, une justification qui selon la Loi sur les crimes contre l'humanité est reconnue mais que l'arbitre n'a pas commenté. (La preuve documentaire fait état d'une offensive lancée par les contras à la fin de 1981--où les villages Miskitos étaient visés.)
[63]En 1982, M. Murillo était simple soldat et ce n'est qu'en 1987 qu'il est devenu sous-lieutenant de l'armée lors de sa réintégration dans l'Escadron exécutif comme ingénieur de vol. Cependant, l'arbitre n'a aucunement précisé l'étendue de la connaissance de M. Murillo vis-à-vis ce que l'arbitre constate comme simplement «des événements» et non des crimes contre l'humanité.
[64]À mon avis, et pour les raisons énoncées ci-haut, l'arbitre a erré en concluant à la complicité par association. Certainement, M. Murillo avait une association avec l'armée sandiniste mais ce qui n'a pas été déterminé par l'arbitre était l'implication de l'armée sandiniste dans des crimes contre l'humanité, sauf une dont je rejette l'analyse, et donc la responsabilité de M. Murillo comme membre de cette organisation.
[65]La preuve documentaire retenue par l'arbitre (la pièce C-2) est très mitigée sur le point. À la page 150 du dossier certifié, le document du Centre note:
Dans tous les cas, le tableau est le même: le gouvernement nicaraguayen commet sporadiquement des abus violents, nie systématiquement le droit aux procédures en bonne et due forme lors de procès impliquant des personnes accusées d'avoir aidé la contra et procède à des déplacements forcés. Ces déplacements peuvent se justifier du point de vue militaire mais ont été effectués en violation des droits de ceux à qui on demande de quitter leur foyer. Par ailleurs, la contra procède systématiquement à des abus violents. En fait, les violations empreintes de violence des lois de la guerre par la contra--comme dans le case de ses attaques contre les coopératives paysannes--sont si nombreuses qu'on pourrait dire qu'il s'agit pour la contra du principal moyen de faire la guerre. [Je souligne.]
[66]À la page 154 du dossier certifié le rapport du Centre constate «certains cas d'abus des droits de la personne commis par les forces du gouvernement, y compris le meurtre et la torture, bien qu'ils soient mois fréquents parce que les principaux instigateurs ont été poursuivis avec succès».
[67]Le défendeur s'inquiétait que cette Cour en arrive à la conclusion que le tribunal avait commis une erreur sur ce point. C'est pour cette raison que le défendeur cite que selon la preuve documentaire soumise du temps où le demandeur faisait partie de l'armée sandiniste il aurait commis les crimes contre l'humanité suivants: 1) déplacements forcés et cruels de paysans et d'Indiens (1981 à 1987); 2) torture de prisonniers civils et militaires pour obtenir des informations (1979 à 1990); 3) attaques militaires contre des civils provoquant leur fuite vers la Costa Rica (1987 et durant les années précédentes); 4) détentions sans accusations pendant des périodes allant jusqu'à plus d'un an (1987 et années antérieures); 5) meurtres, exécutions sommaires et bombardements de certaines tribus indiennes et de présumés sympathisants des contras (1979 à 1990); 6) disparitions forcées (1979 à 1990); et 7) persécutions pour motifs politiques (1988 et années antérieures).
[68]Le défendeur invoque l'arrêt Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.), pour le principe que la Cour peut légitimement, pour démontrer le bien-fondé des motifs d'un décideur, invoquer des éléments de preuve dont il disposait et auxquels il n'a pas fait référence.
[69]Au paragraphe 22 de sa décision, le juge d'appel Evans écrit:
Par conséquent, afin d'établir que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision, la demanderesse et les intervenantes doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la conclusion du Tribunal selon laquelle le dumping allait probablement reprendre si la conclusion initiale était annulée n'était pas rationnellement étayée par les éléments dont le Tribunal disposait. Par conséquent, même si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l'égard de certaines conclusions de fait, la décision qu'il a rendue au sujet de l'annulation serait néanmoins confirmée s'il y avait d'autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale. [C'est moi qui souligne.]
[70]La partie défenderesse veut que j'applique ce principe. Par contre, en l'espèce, l'arbitre n'a pas analysé la preuve documentaire citée par le ministre et ne l'a pas soupesée avec la totalité de la preuve documentaire et testimoniale et il m'est donc impossible de conclure certains faits et de faire une analyse de droit que l'arbitre n'a pas fait afin de déterminer si l'armée sandiniste a commis certains actes et si ces actes constituent des crimes contre l'humanité. Il n'est pas du rôle de cette Cour de faire le travail du tribunal. Il s'agit en l'espèce d'un contrôle judiciaire et non d'un appel de novo. Mme le juge Reed dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1999] 1 C.F. 181 (1re inst.), au paragraphe 45 mentionne:
La Cour s'est demandée si, à la lumière des considérations exposées ci-dessus, elle devait conclure en l'espèce que la décision en cause était fondée, même si les motifs exposés à son appui ne reflètent pas l'analyse à laquelle il convenait de procéder. Après longue réflexion, j'ai décidé cependant qu'il y a lieu en l'espèce d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire pour nouvelle audition devant une autre formation de la Commission. Il n'appartient pas à la Cour de substituer sa décision à celle qu'aurait dû rendre la Commission. Le témoignage du demandeur de statut soulève des questions de crédibilité. Il y a également des questions concernant certains éléments de preuve documentaire qui n'ont pas été déposés devant la Cour, et auxquels celle-ci ne pouvait pas facilement avoir accès. Il y a des questions à la fois de fait et de droit qui doivent être tranchées. L'analyse juridique qui s'impose profiterait d'un examen plus approfondi de la question de savoir dans quelles circonstances, en droit international, on a considéré qu'un crime relevait de la définition de crimes contre l'humanité, notamment à la lumière de l'arrêt Pushpanathan et des instruments internationaux applicables, ainsi que de décisions rendues dans d'autres juridictions. L'avocate du demandeur aura, dans le cadre d'une nouvelle audition, l'occasion de faire valoir ce type d'analyse devant la Commission.
[71]Je dois dire aussi que la nature de la décision prise par le Tribunal canadien du commerce extérieur dans British Steel, précité, qui repose sur des éléments de discrétion, des questions spéciales ou des prédictions dans l'avenir, diffère largement de celle à être prise par l'arbitre dans l'encadrement juridique de la Loi.
[72]Pour les motifs énoncés, j'accueille la demande de contrôle judiciaire. J'accorde à chacune des parties une semaine pour proposer à la Cour une ou des questions certifiées et la fin de la semaine suivante pour une réplique.