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T-2682-87

2004 CF 1746

Sinclair M. Stevens (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié: Stevens c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge O'Keefe--Toronto, 20 au 24 janvier, 28 avril au 1er mai 2003, 19 et 22 janvier et 14 au 16 juin 2004; Ottawa, 15 décembre 2004.

Enquêtes -- Enquête de la commission Parker sur les allégations de conflit d'intérêts concernant un ministre du Cabinet fédéral -- Action visant à obtenir un jugement déclaratoire portant annulation du Rapport -- Le demandeur est réputé avoir violé les lignes directrices concernant les conflits d'intérêts -- Selon le Rapport, il n'y avait aucune preuve d'écart de conduite de la part du demandeur, mais il s'était trouvé en situation réelle de conflit d'intérêts à six reprises -- Puisque les lignes directrices en vigueur pendant la période pertinente ne définissaient pas le «conflit d'intérêts», le commissaire Parker a rédigé sa propre définition qui n'a été communiquée au demandeur que lorsque le Rapport a été publié -- Même si le mandat du commissaire a été interprété d'une façon générale, le décret ne l'autorisait pas à rédiger ses propres définitions -- La compétence ne peut être conférée par consentement -- L'enquête était de la nature d'une poursuite -- Il est injuste d'élaborer une norme après la conduite reprochée -- Le demandeur n'a pas eu toute la possibilité de se faire entendre -- Le Rapport a été annulé pour excès de compétence et violation des principes d'équité procédurale.

L'action du demandeur visait à obtenir un jugement déclaratoire pour faire annuler le Rapport de la commission d'enquête Parker, une ordonnance en vue de la déposition dudit Rapport devant la Cour fédérale et les dépens. Le demandeur a été député fédéral, ministre et président du Conseil du Trésor, mais il a démissionné de ses fonctions de ministre à la suite de rumeurs médiatiques selon lesquelles il aurait été en situation de conflit d'intérêts. Le Conseil privé a confié au juge Parker, juge en chef de l'Ontario, le mandat de former une commission d'enquête sur les allégations de conflit d'intérêts. La commission d'enquête Parker, constituée conformément à la partie I de la Loi sur les enquêtes, a reçu le mandat de faire enquête et de présenter un rapport sur les faits entourant la conduite du demandeur et sur la question de savoir s'il était trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts. La commission a été autorisée à prendre toutes les mesures qui lui semblaient susceptibles de faciliter le déroulement de l'enquête, à embaucher du personnel, à retenir les services d'avocats et d'experts et à louer des locaux, conformément à la politique du Conseil du Trésor. Le Rapport devait être soumis dès que possible au gouverneur en conseil et les dossiers transmis au greffier du Conseil privé. Même si le commissaire Parker n'a trouvé aucune preuve d'écart de conduite, il a néanmoins conclu que le demandeur s'était trouvé en situation réelle de conflit d'intérêts à six reprises pendant qu'il était ministre. Ces conclusions ont été tirées de la définition de conflit d'intérêts rédigée par le commissaire Parker lui-même et qui a été rendue publique pour la première fois dans le Rapport. Pendant son mandat, le demandeur a été assujetti à trois lignes directrices distinctes concernant les conflits d'intérêts qui ont été mises en oeuvre par les Premiers ministres Clark, Trudeau et Mulroney, cependant aucune d'elles ne contenait une définition de la notion de «conflit d'intérêts».

Les questions en litige étaient les suivantes: 1) en menant une enquête sur le sens que devait avoir la notion de «conflit d'intérêts» et en comparant la conduite du demandeur avec cette définition, le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence? 2) Y-a-t-il eu deni de justice naturelle et d'équité procédurale dans la mesure où la notion de «conflit d'intérêts» n'a été définie que lorsque le Rapport a été publié? 3) l'omission de préciser la norme applicable et de donner un préavis suffisant concernant les allégations constituait-elle une violation des principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte?

Jugement: l'action est accueillie.

1) Il n'est pas important de savoir si le commissaire a appliqué les Directives Trudeau ou le Code Mulroney, puisque aucun de ces documents ne définissait la notion de «conflit d'intérêts». De plus, le mandat du commissaire Parker a été défini par le décret qui ne l'a autorisé qu'à décider si le demandeur s'était trouvé en situation de conflit d'intérêts en vertu du Code Mulroney et non en vertu des Directives Trudeau. Même si le commissaire pouvait tenir compte des lignes directrices, cela n'était d'aucune utilité au défendeur puisqu'elles ne contenaient aucune définition du «conflit d'intérêts». Le procureur général a dit que la Cour ne devait pas adopter une approche trop rigoriste, restrictive et étroite en interprétant le mandat du commissaire. Quelle que soit l'interprétation libérale donnée à la disposition pertinente du décret, cela n'autorisait pas le commissaire à rédiger et à appliquer ses propres définitions de «conflit d'intérêts réel» ou de «conflit d'intérêts apparent». Le commissaire n'était autorisé qu'à décider si le demandeur s'était trouvé en situation de conflit d'intérêts au sens du Code Mulroney et de la lettre du Premier ministre en date du 9 septembre 1985. Puisque aucun de ces documents ne définissait la notion de conflit d'intérêts, le commissaire a été obligé de rédiger sa propre définition du conflit d'intérêts, mais il n'avait pas compétence pour le faire. Le défendeur a prétendu que l'avocat du demandeur avait consenti à ce que le commissaire utilise sa propre définition de conflit d'intérêts dans son Rapport mais une partie ne peut donner son consentement dans le but de conférer une compétence qui n'existe pas.

2) Il n'a pas été contesté qu'une commission d'enquête est tenue de respecter les règles d'équité procédurale. Le demandeur ignorait la norme qui s'appliquerait à sa situation puisque la définition du conflit d'intérêts ne lui a été communiquée que lorsqu'on lui a remis le Rapport. Il est injuste d'élaborer une norme après la conduite reprochée. Il y a eu violation du droit à l'équité procédurale. La définition aurait dû être mentionnée dans les divers codes ou lignes directrices.

3) De plus, le demandeur a soutenu qu'il n'avait pas eu la possibilité de se faire entendre car il ignorait la norme de conduite qui s'appliquerait à sa situation. À ce sujet, le juge Cory a écrit dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), que toute «commission est tenue de donner aux parties un préavis les informant des conclusions faisant état d'une faute susceptibles d'être tirées à leur égard dans le rapport final [. . .] les préavis devraient être le plus détaillés possible». Dans ce contexte, on ne peut prétendre que le demandeur a eu la possibilité de se faire entendre.

Le Rapport Parker doit être annulé et déclaré nul et non avenu au motif que le commissaire avait outrepassé sa compétence et qu'il n'avait pas respecté les principes d'équité procédurale.

lois et règlements cités

Décret C.P. 1986-1139.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 2, 3, 4, 5, 11, 12, 13.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726; (1977), 75 D.L.R. (3d) 380 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvision-nement en sang), [1997] 2 C.F. 36; (1997), 142 D.L.R. (4th) 237 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur l'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440; (1997), 151 D.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (2d) 1; 216 N.R. 321.

décision examinée:

Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; (1995), 124 D.L.R. (4th) 129; 31 Admin. L.R. (2d) 261; 39 C.R. (4th) 141; 180 N.R. 1.

doctrine citée

Canada. Parlement. Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes relatif aux Conflits d'Intérêts. Procès-verbaux et témoignages, 3e sess., 34e Légis., le 18 février 1992.

Canada. Rapport de la Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens. Ottawa: Approvisionnements et Services Canada, 1987 (Commissaire: William D. Parker).

Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat. Ottawa: Cabinet du Premier ministre, 1985.

Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts à l'intention des ministres de la Couronne. Ottawa: Cabinet du Premier ministre, 1979.

Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts à l'intention des ministres de la Couronne. Ottawa: Cabinet du Premier ministre, 1980.

ACTION visant à obtenir un jugement déclaratoire portant annulation du rapport de la commission d'enquête Parker sur les faits entourant les allégations de conflit d'intérêts d'un ministre de la Couronne. Action accueillie.

ont comparu:

Peter R. Jervis et Gillian T. Hnatiw pour le demandeur.

M. Sean Gaudet et Kathryn A. Hucal pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Lerners LLP, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge O'Keefe: Le demandeur, Sinclair M. Stevens, a introduit la présente action en déposant une déclaration datée du 18 décembre 1987. L'action a été introduite en conformité avec les anciennes Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663].

[2]Le demandeur a été député fédéral de la circonscription de York Simcoe et de York Peel de 1972 à 1988. Il a été ministre de l'Expansion industrielle régionale du 17 septembre 1984 jusqu'à sa démission, le 12 mai 1986. M. Stevens a également été président du Conseil du Trésor de 1979 à 1980 et porte-parole de l'opposition en matière de finances de 1974 à 1979 et, ensuite, de 1980 à 1984.

[3]Le demandeur a démissionné de ses fonctions de ministre de la Couronne à la suite de rumeurs médiatiques selon lesquelles il aurait été en situation de conflit d'intérêts comme ministre de la Couronne.

[4]Dans sa lettre de démission et dans son discours du 12 mai 1986 devant la Chambre des communes, le demandeur a exigé qu'une personne impartiale soit nommée et chargée de faire enquête sur les faits entourant les allégations de conflit d'intérêts.

[5]Le demandeur a nié les allégations.

[6]Le 15 mai 1986, le Conseil privé a confié à William Dickens Parker, alors juge en chef de la Cour suprême de l'Ontario, Haute Cour de justice (le commissaire Parker), le mandat de former une commission d'enquête sur les faits concernant les allégations de conflit d'intérêts contre le demandeur. La commission d'enquête (la Commission Parker) devait être constituée conformément à la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, modifiée, et le commissaire devait faire enquête et présenter un rapport sur:

a)     les faits suivant les allégations de conflit d'intérêts qui ont été faites par différents journaux et médias électroniques, ainsi qu'à la Chambre des communes, relativement à la conduite, aux transactions et aux agissements de l'honorable Sinclair Stevens; et

b)     la possibilité que l'honorable Sinclair Stevens se soit trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat et comme l'indique la lettre qu'adressait le Premier ministre à l'intéressé en date du 9 septembre 1985.

Le Comité recommande en outre que le commissaire soit autorisé

a)     à prendre toutes les mesures qui lui sembleront susceptibles de faciliter le déroulement de l'enquête, ainsi qu'à tenir audience aux lieux et aux heures qu'il jugera opportuns;

b)     à recourir à des avocats ou à toute autre personne dont la contribution lui paraîtra essentielle ou souhaitable, le traitement et les indemnités à verser auxdites personnes devant d'abord être approuvés par le Conseil du Trésor;

c)     à retenir les services de spécialistes mentionnés à l'article 11 de la Loi sur les enquêtes, le traitement et les indemnités à verser auxdites personnes devant d'abord être approuvés par le Conseil du Trésor;

d)     à louer, conformément à la politique du Conseil du Trésor, les locaux et les installations que nécessitera la bonne marche des travaux de la commission.

Le comité recommande enfin qu'il soit enjoint au commissaire de soumettre dès que possible au gouverneur en conseil un rapport dans les deux langues officielles, et de transmettre ses dossiers au greffier du Conseil privé, dans un délai raisonnable, une fois que l'enquête sera terminée.

[7]Le commissaire Parker a retenu les services d'avocats et il a embauché le personnel dont il avait besoin pour l'aider. Il a nommé David Scott, c.r., avocat principal et Marlys Edwardh et Edward Belobaba, avocats associés de la Commission.

[8]Le demandeur a retenu les services de feu John Sopinka (nommé à la Cour suprême du Canada en 1988) comme avocat. M. Sopinka était aidé de son associée, Kathryn Chalmers.

[9]Noreen Stevens était représentée par Tom Lockwood et le gouvernement du Canada était représenté par Ian Binnie, aujourd'hui juge de la Cour suprême du Canada.

[10]Les audiences publiques de la Commission Parker se sont déroulées de juillet 1986 à février 1987; la Commission a siégé pendant 93 jours et elle a entendu plus de 90 témoins.

[11]Rogers Cable transmettait quotidiennement des émissions en direct sur la Commission Parker et la procédure était décrite dans les médias d'information et dans la presse.

[12]La Commission Parker a délibéré du 20 février 1987 jusqu'à la publication du Rapport Parker (le Rapport), le 3 décembre 1987 [Rapport de la Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens].

[13]Pendant les délibérations de la Commission d'enquête, les avocats de la Commission ont accumulé quelque 1 700 heures de travail.

[14]Le commissaire Parker n'a trouvé aucune preuve d'écart de conduite de la part du demandeur, mais il a également conclu que le demandeur s'était trouvé en situation réelle de conflit d'intérêts à six reprises pendant qu'il était ministre de la Couronne. Ces conclusions ont été tirées à l'aide de la définition du conflit d'intérêts rédigée par le commissaire Parker et qui a été rendu publique pour la première fois dans le Rapport.

[15]Pendant son mandat, le demandeur était assujetti à trois régimes distincts concernant les conflits d'intérêts, savoir:

(i) les Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts à l'intention des ministres de la Couronne (1979) mises en oeuvre par le premier ministre Joe Clark (les Directives Clark);

(ii) les Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts à l'intention des ministres de la Couronne (1980) mises en oeuvre par le premier ministre Pierre E. Trudeau (les Directives Trudeau) [voir annexe E du Rapport];

(iii) le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat (1985) mis en oeuvre par le premier ministre Brian Mulroney (le Code Mulroney) [voir annexe F du Rapport].

Aucun de ces régimes relatifs aux conflits d'intérêts ne contenait une définition du conflit d'intérêts.

[16]Dans sa déclaration déposée le 18 décembre 1987, le demandeur a demandé les mesures de redressement suivantes:

[traduction]

A)     une déclaration selon laquelle le rapport doit être annulé et déclaré nul et non avenu pour les motifs énoncés au paragraphe 5 de la déclaration [sic];

B)     une ordonnance en vertu de laquelle la Cour est saisie dudit rapport et de tous les dossiers, actes, documents et transcriptions de témoignages en rapport avec la commission d'enquête;

C)     les dépens relativement aux présentes;

D)     toute autre réparation à laquelle le demandeur aurait droit et que la Cour estime équitable.

Dispositions législatives applicables

[17]Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur les enquêtes:

2. Le gouverneur en conseil peut, s'il l'estime utile, faire procéder à une enquête sur toute question touchant le bon gouvernement du Canada ou la gestion des affaires publiques.

3. Dans le cas d'une enquête qui n'est pas régie par des dispositions législatives particulières, le gouverneur en conseil peut, par commission, nommer les commissaires qui en sont chargés.

4. Les commissaires ont le pouvoir d'assigner devant eux des témoins et de leur enjoindre de:

a) déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment, ou d'une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile;

b) produire les documents et autres pièces qu'ils jugent nécessaires en vue de procéder d'une manière approfondie à l'enquête dont ils sont chargés.

5. Les commissaires ont, pour contraindre les témoins à comparaître et à déposer, les pouvoirs d'une cour d'archives en matière civile.

[. . .]

11. (1) Les commissaires, qu'ils soient nommés sous le régime de la partie I ou de la partie II, peuvent, s'ils y sont autorisés par leur commission, retenir les services:

a) des experts--comptables, ingénieurs, conseillers techniques ou autres--, greffiers, rapporteurs et collaborateurs dont ils jugent le concours utile;

b) d'avocats pour les assister dans leur enquête.

(2) Les commissaires peuvent--selon les modalités qu'ils fixent--déléguer aux experts qu'ils engagent ou à d'autres personnes qualifiées toute partie d'une enquête relevant de leur commission.

(3) La délégation confère, lorsqu'elle est autorisée par décret, les pouvoirs des commissaires en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l'enquête.

(4) Les délégués font rapport aux commissaires des témoignages recueillis ainsi que de leurs éventuelles conclusions sur la question étudiée.

12. Les commissaires peuvent autoriser la personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête dans le cadre de la présente loi à se faire représenter par un avocat. Si, au cours de l'enquête, une accusation est portée contre cette personne, le recours à un avocat devient un droit pour celle-ci.

13. La rédaction d'un rapport défavorable ne saurait intervenir sans qu'auparavant la personne incriminée ait été informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu'elle ait eu la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d'un avocat.

Questions en litige

[18]Le demandeur soutient que les questions en litige sont les suivantes:

[traduction]

(i)     Préavis insuffisant--Ni les Directives Trudeau, ni le Code, ni le décret ne définissait le «conflit d'intérêts» qui n'a pas non plus été défini à quelque moment que ce soit pendant les audiences publiques ou avant le 3 décembre 1987, lorsque le rapport Parker a été publié; il s'agit d'une violation du droit de M. Stevens au respect des principes d'équité procédurale et de justice naturelle;

(ii)     Crainte raisonnable de partialité--À cause de leur très importante participation tant sur le plan juridictionnel que sur le plan de la poursuite à la commission Parker, la conduite des avocats de la commission soulève une crainte raisonnable de partialité;

(iii)     Excès de compétence--En menant une enquête sur le sens que devait avoir la notion de conflit d'intérêts et en comparant la conduite de M. Stevens avec cette définition, le commissaire Parker a outrepassé la compétence que lui avait conférée le décret;

(iv)     Violations des principes de justice fondamentale--Les erreurs commises par la commission, tant sur la forme que sur le fond, puisqu'elle n'a pas précisé la norme applicable et qu'elle n'a pas donné un préavis suffisant concernant les allégations, constituent une violation des principes de justice fondamentale, sous le régime de l'article 7 de la Charte.

Observations générales concernant les commissions d'enquête

[19]Il existe deux types non officiels d'enquêtes publiques au Canada. Cette question a été examinée par le juge Collier dans la décision Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726 (1re inst.), à la page 757:

Il s'agit là d'une commission royale quelque peu inhabituelle. La majorité des commissions royales sont instituées pour enquêter sur un sujet, une chose ou un état de choses. Elles se rapportent rarement à une personne. Toutefois, celle-ci a été constituée à la seule fin d'enquêter sur une personne en particulier et ses rapports avec une certaine compagnie, ses dirigeants et ses actions. Le commissaire a été chargé d'enquêter sur lesdits rapports et d'apprécier s'ils ont donné lieu à une mauvaise conduite de la part du demandeur dans l'exercice de ses fonctions de juge ou si celui-ci s'est révélé inapte à les remplir utilement. Je ne vois vraiment pas comment des termes aussi généraux pouvaient indiquer au demandeur qu'on alléguerait ou pourrait alléguer un outrage flagrant devant certains tribunaux, qui équivaut à une mauvaise conduite.

[20]Dans Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; il est dit, aux paragraphes 60 à 65:

Les commissions d'enquête existent depuis longtemps au Canada. Notre Cour a déjà souligné (Starr c. Houlden, précité, aux pages 1410 et 1411), le rôle important qu'elles ont joué dans notre pays et les nombreuses fonctions qu'elles remplissent. En tant qu'organismes ad hoc, les commissions d'enquête sont libres d'un bon nombre des entraves institutionnelles qui limitent parfois l'action des diverses branches de gouvernement. Elles sont constituées pour répondre à un besoin, bien qu'il faille malheureusement admettre qu'elles doivent souvent leur existence à des tragédies comme un désastre industriel, des écrasements d'avions, des décès inexpliqués de jeunes enfants, des allégations d'exploitation sexuelle d'enfants largement répandue ou des erreurs judiciaires graves.

Au moins trois études d'importance sur le sujet ont mis en évidence l'utilité des enquêtes publiques et ont recommandé qu'elles soient maintenues: Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 17, Droit administratif: les commissions d'enquête (1977); Commission de réforme du droit de l'Ontario, Report on Public Inquiries (1992); Alberta Law Reform Institute, Report No. 62, Proposals for the Reform of the Public Inquiries Act (1992). D'après ces études, les commissions d'enquête présentent de nombreux avantages. Bien que ces avantages dépendent du contexte de la création de chaque commission et des pouvoirs qui lui sont conférés, il peut être utile de passer en revue certaines des fonctions les plus courantes de ces commissions.

L'une des principales fonctions des commissions d'enquête est d'établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la «vérité», en réaction au choc, au sentiment d'horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles-ci, elles sont souvent dotées de vastes pouvoirs d'enquête. Dans l'accomplissement de leur mandat, les commissions d'enquête sont, idéalement, dépourvues d'esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d'étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d'enquête, parce qu'elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. Dans les périodes d'interrogation, de grande tension et d'inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution. Le statut et le grand respect dont jouit le commissaire, ainsi que la transparence et la publicité des audiences, contribuent à rétablir la confiance du public non seulement dans l'institution ou la situation visées par l'enquête, mais aussi dans l'ensemble de l'appareil de l'État. Elles constituent un excellent moyen d'informer et d'éduquer les citoyens inquiets.

Le juge S. Grange de la Cour suprême de l'Ontario a souligné cette importante caractéristique à la suite de son enquête sur le décès de jeunes enfants à l'hôpital pour enfants de Toronto:

[traduction] Je me souviens m'être un jour pris à penser égoïstement que toute la preuve présentée, tout ce cirque, ne visait qu'un but: convaincre le commissaire qui, après tout, rédigerait le rapport. Mais je me suis vite aperçu de mon erreur. Ce n'est pas seulement une enquête; c'est une enquête publique. [. . .] [J]e me suis rendu compte que l'enquête avait un autre but, tout aussi important que la solution qu'une seule personne allait proposer au mystère, celui d'informer la population. Simplement présenter en public la preuve qui avait jusqu'ici été produite à huis clos permettait d'atteindre ce but. La population a un intérêt particulier, le droit de savoir et le droit de se former une opinion au fur et à mesure. [En italique dans l'original.]

(S. G. M. Grange, «How Should Lawyers and the Legal Profession Adapt?», dans A. Paul Pross, Innis Christie et John A. Yogis, dir., Commissions of Inquiry (1990), 12 Dalhousie L.J. 151, aux pages 154 et 155.)

Un auteur a poussé plus loin cette caractérisation et affirmé que l'enquête publique remplissait une «fonction sociale» particulière dans notre culture démocratique:

[traduction] [. . .] une commission [. . .] a des choses à dire au gouvernement, mais elle a aussi un effet sur les perceptions, les attitudes et les comportements. Sa manière générale de voir les choses sera probablement plus importante avec le temps que ses recommandations précises. C'est le point de vue général sur un problème social qui détermine la réaction de la société. La réponse de la société à un problème met en cause bien plus que le droit et l'action gouvernementale. Les attitudes et les réactions des particuliers aux différents endroits où ils peuvent intervenir revêtent une profonde importance.

Ce qui donne à une enquête de ce genre sa fonction sociale c'est qu'elle devient, bon gré mal gré, une partie de ce processus social en cours. Il y a une action et une interaction. [. . .] Par conséquent, cet instrument, qui est censé n'être qu'un prolongement du Parlement, peut avoir une dimension qui dépasse le processus politique pour entrer dans le domaine social. Le phénomène évolue pendant que se déroule l'enquête. La décision d'instituer une enquête de ce genre est une décision non seulement de recourir à une technique d'enquête, mais encore d'exercer une influence sociale.

(Gérald E. Le Dain, «The Role of the Public Inquiry in our Constitutional System», dans Jacob S. Ziegel, dir., Law and Social Change (1973), 79, à la page 85.)

De toute évidence, les enquêtes profitent à toute la société sur ces trois plans: établissement des faits, éducation et information. Par surcroît, beaucoup de commissions d'enquête ont, par leurs recommandations, permis d'améliorer la situation en cause. Néanmoins, on ne peut pas oublier qu'elles ont été l'objet de critiques dures et convaincantes. Chaque enquête doit être entourée de précautions visant à éviter les plaintes contre les coûts excessifs, les longs délais, la trop grande rigidité du fonctionnement ou l'éparpillement des efforts. Plus important, en ce qui a trait au présent pourvoi, il y a le risque que les commissions d'enquête, libérées d'un bon nombre des contraintes institutionnelles auxquelles sont assujetties les diverses branches de gouvernement, soient aussi en mesure d'agir sans les garanties qui protègent d'ordinaire les droits individuels contre l'action gouvernementale. Ce sont des dangers très réels qu'il faut peser avec soin. Mais il est utile de nous arrêter d'abord à la nécessité et aux avantages de la présente enquête.

Il me faut donc maintenant analyser la commission d'enquête en cause.

Analyse et décision

[21]Je commencerai par la question 3.

[22]Question 3

Excès de compétence - En menant une enquête sur le sens que devait avoir la notion de conflit d'intérêts et en comparant la conduite de M. Stevens avec cette définition, le commissaire Parker a-t-il outrepassé la compétence que lui avait conférée le décret?

Le commissaire Parker a reçu le pouvoir ou la compétence nécessaires pour présider la commission d'enquête du décret, C.P. 1986-1139, daté du 15 mai 1986 et qui dit, en partie:

Sur avis conforme du Premier ministre, le Comité du Conseil privé recommande que l'honorable William Dickens Parker soit autorisé à agir comme commissaire conformément à l'article 37 de la Loi sur les juges, et que soit émise, conformément à la partie I de la Loi sur les enquêtes, une commission revêtue du grand sceau du Canada portant que l'honorable William Dickens Parker est nommé commissaire et chargé de faire enquête et de présenter un rapport sur

a)     les faits suivant les allégations de conflit d'intérêts qui ont été faites par différents journaux et médias électroniques, ainsi qu'à la Chambre des communes, relativement à la conduite, aux transactions et aux agissements de l'honorable Sinclair Stevens; et

b)     la possibilité que l'honorable Sinclair Stevens se soit trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat et comme l'indique la lettre qu'adressait le Premier ministre à l'intéressé en date du 9 septembre 1985.

Le Comité recommande en outre que le commissaire soit autorisé

a)     à prendre toutes les mesures qui lui sembleront susceptibles de faciliter le déroulement de l'enquête, ainsi qu'à tenir audience aux lieux et aux heures qu'il jugera opportuns;

[23]En vertu de l'alinéa a), le commissaire Parker avait compétence pour faire enquête et présenter un rapport sur les faits suivant les allégations de conflit d'intérêts présentées contre M. Stevens.

[24]En vertu de l'alinéa b), le commissaire Parker avait compétence pour faire enquête et rédiger un rapport sur la question de savoir si le demandeur s'était trouvé «effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat et comme l'indique la lettre qu'adressait le Premier ministre à l'intéressé en date du 9 septembre 1985».

[25]Tel que mentionné plus haut dans les présents motifs, le demandeur était assujetti à trois régimes différents concernant les conflits d'intérêts pendant qu'il était député ou ministre du Cabinet: les Directives Clark, les Directives Trudeau et le Code Mulroney. À cause de l'échéancier relatif à la mise en oeuvre du Code Mulroney, le demandeur n'a été assujetti au Code Mulroney que du 11 avril 1986 au 12 mai 1986, date de sa retraite. Le commissaire Parker a mentionné que, selon lui, tant les Directives Trudeau que le Code Mulroney s'appliquaient (page 14 du Rapport).

[26]L'avocat du demandeur a dit qu'il importait peu que le commissaire Parker ait appliqué les Directives Trudeau ou le Code Mulroney parce qu'aucun d'eux ne définissait la notion de conflit d'intérêts, mais l'avocat était néanmoins d'avis que le commissaire Parker n'avait compétence que pour décider des faits en vertu de l'alinéa a) du décret.

[27]Le commissaire Parker a reconnu l'existence du problème et, dans son Rapport, il a dit aux pages 13 et 14:

Dans la présente partie, nous décrirons les règles qui étaient en vigueur durant la période de septembre 1984 à mai 1986. Il importe de bien comprendre la nature et la portée de ces règles afin de déterminer, comme l'exige le mandat qui m'a été confié, si M. Stevens s'y est conformé.

J'examinerai dans un premier temps, quelles règles étaient en vigueur durant la période pendant laquelle se sont déroulés la plupart des événements visés par les allégations.

Les règles pertinentes sur les conflits d'intérêts

Durant la période qui nous intéresse, le gouvernement du Canada a assujetti les ministres à deux séries distinctes de règles sur les conflits d'intérêts. Il y eut d'abord les Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts (annexe E), publiées le 28 avril 1980 avec une lettre du Premier ministre Trudeau les commentant (annexe G). Ces Lignes directrices continuèrent d'être appliquées après l'arrivée au pouvoir de l'administration actuelle, en septembre 1984, en attendant que soit terminé l'examen exhaustif des questions de conflit d'intérêts à l'intérieur de la Fonction publique. Une fois l'examen terminé, le Premier ministre Mulroney annonça en Chambre, le 9 septembre 1985, une nouvelle série de directives portant le nom de Code (annexe F) lequel fut publié le même jour accompagné d'un commentaire sous forme de lettre (la Lettre) du Premier ministre (annexe H).

Le Code est entré en vigueur le 1er janvier 1986. Toutefois, l'article 74 prévoit que les ministres continueront à être régis par les Lignes directrices jusqu'à ce qu'on ait terminé l'examen des mesures prises par eux en vertu du nouveau Code pour prévenir les conflits d'intérêts. L'examen du dossier de M. Stevens fut terminé le 11 avril 1986; jusqu'à cette date celui-ci a donc été régi par les Lignes directrices.

Ces faits et ces dates ont une certaine importance étant donné que mon mandat me charge, entre autres choses, de faire enquête et de présenter un rapport sur la possibilité que l'honorable Sinclair Stevens se soit trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat et comme l'indique la lettre qu'adressait le Premier ministre à l'intéressé en date du 9 septembre 1985.

Je dois déterminer l'interprétation qu'il convient de donner à cette instruction compte tenu du fait que j'ai établi que, durant la période durant laquelle presque toutes les activités donnant matière aux allégations ont eu lieu, M. Stevens était régi par des lignes directrices autres que celles qui sont précisées dans mon mandat.

On ne saurait contester sérieusement qu'il m'incombe d'évaluer les allégations à la lumière des directives pertinentes. Ces directives émanaient surtout des Lignes directrices et non du Code. Cette constatation, toutefois n'affecte par sensiblement ma tâche car il n'y a pas de distinction substantielle, que ce soit au niveau des concepts, de la politique ou du langage employé, entre les Lignes directrices d'une part et du Code et la Lettre d'autre part. De plus, ni les Lignes directrices ni le Code ne définissent explicitement ce qu'est un conflit d'intérêts et cette définition provenant de source extérieure ne varie pas. Aussi tous les avocats dans leurs plaidoiries ont traité des deux sources de directives. Enfin, interpréter cette partie de mon mandat littéralement, c'est-à-dire en excluant toute analyse, tout examen des Lignes directrices, signifierait qu'il me faut déterminer si M. Stevens s'est trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts aux termes de directives qui ne s'appliquaient pas à lui, et serait donc injuste à son égard.

Pour répondre à l'esprit de mon mandat en ce qui concerne les allégations portées, j'en suis par conséquent venu à la conclusion que je devais examiner les deux régimes. Je suis convaincu que, ce faisant, je ne modifie pas de facon significative la portée de mon mandat et que je ne cause pas de préjudice à M. Stevens. J'examinerai maintenant les dispositions pertinentes des Lignes directrices et du Code.

[28]La question est donc maintenant de savoir si le commissaire Parker a outrepassé sa compétence en adoptant la définition du conflit d'intérêts qu'il a présentée dans son Rapport. Pour trancher la question, j'estime qu'il n'est pas important de savoir si le commissaire Parker s'est fondé tant sur les Directives Trudeau que sur le Code Mulroney puisqu'aucun de ces documents ne définit la notion de conflit d'intérêts. J'ajouterais, toutefois, que le mandat du commissaire Parker était défini par le décret qui ne l'autorisait qu'à décider si le demandeur s'était trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts «tel que l'entend le Code pour les titulaires de charges publiques sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat et comme l'indique la lettre qu'adressait le Premier ministre à l'intéressé en date du 9 septembre 1985». Cela voudrait dire, selon moi, que lorsqu'il étudiait la possibilité d'un conflit d'intérêts (potentiel), il avait uniquement le pouvoir de tenir compte du Code Mulroney et de la lettre du 9 septembre 1985 et non des Directives Trudeau.

[29]À titre subsidiaire, même si je devais en arriver à la conclusion que le commissaire Parker pouvait décider si le demandeur s'était trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts en appliquant les Directives Trudeau, cela n'est d'aucune utilité pour le défendeur puisque ni le Code Mulroney ni les Directives Trudeau ne contenait une définition du conflit d'intérêts.

[30]Après avoir entendu la preuve et les observations des parties, le commissaire Parker a conclu, à la page 38 du chapitre 3 du Rapport, que les définitions d'un conflit d'intérêts réel ou apparent devaient être:

Définitions

·    Est qualifiée de conflit d'intérêts réel une situation dans laquelle un ministre de la Couronne a connaissance d'un intérêt pécuniaire privé suffisant pour influer sur l'exercice de ses fonctions et responsabilités officielles.

·    Il y a conflit d'intérêts apparent lorsqu'il y a crainte raisonnable de conflit d'intérêts, crainte qu'une personne raisonnablement bien informée pourrait à bon droit avoir.

Ce sont là les définitions du conflit réel et du conflit apparent d'intérêts qui, selon moi, concordent avec la Common law et avec les dispositions des Directives et du Code même. Je m'y tiendrai donc jusqu'à la fin du présent rapport.

[31]L'avocat du défendeur a dit que la Cour ne devrait pas adopter une [traduction] «approche trop rigoriste, restrictive et étroite en interprétant le mandat» du commissaire Parker, puisque le mandat établit l'étendue de la compétence du commissaire Parker pour ce qui touche sa décision concernant la définition du conflit d'intérêts qu'il appliquerait dans son Rapport.

[32]Dans Landreville c. La Reine, le juge Collier a dit [à la page 757], au sujet du mandat d'un commissaire:

À mon avis, on ne peut pas dire que la question de l'outrage flagrant devant les autres tribunaux soit, implicitement ou par présomption, incluse dans le mandat.

Il s'agit là d'une commission royale quelque peu inhabituelle. La majorité des commissions royales sont instituées pour enquêter sur un sujet, une chose ou un état de choses. Elles se rapportent rarement à une personne. Toutefois, celle-ci a été constituée à la seule fin d'enquêter sur une personne en particulier et ses rapports avec une certaine compagnie, ses dirigeants et ses actions. Le commissaire a été chargé d'enquêter sur lesdits rapports et d'apprécier s'ils ont donné lieu à une mauvaise conduite de la part du demandeur dans l'exercice de ses fonctions de juge ou si celui-ci s'est révélé inapte à les remplir utilement. Je ne vois vraiment pas comment des termes aussi généraux pouvaient indiquer au demandeur qu'on alléguerait ou pourrait alléguer un outrage flagrant devant certains tribunaux, qui équivaut à une mauvaise conduite.

[33]Selon moi, quelle que soit l'interprétation libérale donnée à l'alinéa b), le mandat du commissaire Parker ne l'autoriserait pas à rédiger et à appliquer ses propres définitions du conflit d'intérêts, réel ou apparent, dans le Rapport. Je suis de cet avis puisque le décret ne l'autorise, à l'alinéa b), qu'à faire enquête et à préparer un rapport sur la question de savoir si le demandeur s'était trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts au sens du Code Mulroney et de la lettre du Premier ministre datée du 9 septembre 1985. Même si les Directives Trudeau s'appliquaient, le résultat serait le même. Les Directives Trudeau ne contiennent aucune définition de la notion de conflit d'intérêts et le commissaire Parker aurait été de nouveau obligé de rédiger et d'appliquer sa propre définition du conflit d'intérêts comme il l'a fait et j'ai conclu qu'il n'avait pas compétence pour le faire.

[34]Le défendeur a également dit que l'avocat du demandeur avait consenti à ce que le commissaire Parker définisse lui-même le conflit d'intérêts dans son Rapport. Même si cela s'était produit, une partie ne peut donner son consentement dans le but de conférer la compétence. Une personne a compétence ou ne l'a pas.

[35]Mon avis sur cette question est confirmée par les observations du juge Collier dans Landreville c. La Reine, aux pages 747 et 748, lorsqu'il parle du consentement à la compétence:

Avant son télégramme du 17 janvier 1966 (pièce 23), Me Robinette a exprimé son opinion sur la question constitutionnelle, et déclaré qu'un consentement du demandeur ne pourrait pas valider quelque chose de nul sur le plan constitutionnel. Dans sa lettre du 24 janvier 1966 à M. Cardin (pièce 25), le demandeur a souligné que la procédure était sous «toute réserve».

Ni à l'ouverture ni à aucun autre stade de l'enquête, il n'y a eu d'opposition d'ordre constitutionnel. L'avocat de la défenderesse a invoqué ce fait. Je pense que l'explication se trouve aux pages 1254 et 1255 de la transcription des procédures. Le témoignage du demandeur avait alors été complété. Me Robinette a voulu présenter ses preuves indiquant que longtemps avant, le demandeur s'était efforcé d'obtenir une enquête publique où sa position serait étalée au grand jour. Il a demandé une ordonnance. Le commissaire a fait remarquer qu'elle serait de peu d'importance (page 1233), mais il les a néanmoins entendues. À la page 1254, le commissaire a demandé fortuitement: [traduction] «A-t-on déjà formulé des oppositions à la nomination d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes?» [sic]. Me Robinette a expliqué la position juridique qu'il a prise avec M. Favreau. Aux pages 1254 et 1255, il continue ainsi:

[traduction] J'ai toujours de sérieux doutes sur le pouvoir imparti au Dominion d'habiliter un commissaire à enquêter, mais il s'agit là réellement d'une question de constitution, d'organisation et de maintien des tribunaux d'un point de vue provincial et donc, dans les limites de la juridiction de cette province, mais je dois ajouter, Monsieur, que lorsque cette commission a été créée, à la demande de M. Landreville, j'ai convenu avec l'actuel ministre de la Justice de ne soulever devant vous aucun argument d'ordre constitutionnel, et je n'en soulèverai donc pas.

À mon sens, si le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir constitutionnel d'instituer cette enquête, ni le consentement ni la requête ni l'accord du demandeur de ne pas faire opposition ne peuvent remédier à ce défaut.

[36]Somme toute, sur ce point, je crois que le commissaire Parker a outrepassé la compétence que lui avait conférée le décret quand il a décidé ce que devrait être la définition du conflit d'intérêts pour ensuite comparer la conduite de M. Stevens avec celle-ci.

[37]Question 1

Préavis insuffisant - Ni les Directives Trudeau, ni le Code, ni le décret ne définissait le «conflit d'intérêts» qui n'a pas non plus été défini à quelque moment que ce soit pendant les audiences publiques ou avant le 3 décembre 1987, lorsque le rapport Parker a été publié; il s'agit d'une violation du droit de M. Stevens au respect des principes d'équité procédurale et de justice naturelle.

[38]Les parties conviennent qu'une commission d'enquête comme la commission Parker est tenue de respecter les règles d'équité procédurale. Au paragraphe 73 de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.), le juge Décary, J.C.A. a dit, au nom de la Cour:

La Loi sur les enquêtes n'impose aucun code de procédure. L'article 2 du mandat autorise d'ailleurs le Commissaire «à adopter les méthodes et procédures qui lui apparaîtront les plus indiquées pour la conduite de l'enquête». Il est acquis que si un commissaire dispose de toute la latitude voulue, la procédure qu'il établit doit néanmoins respecter les règles d'équité procédurale, dont celles prévues aux articles 12 et 13 de la Loi. Le concept d'équité procédurale est un concept fuyant, qui évolue au gré des types d'enquête et varie selon le mandat du commissaire et la nature des droits que l'enquête est susceptible d'affecter. Une enquête publique en vertu de la Loi sur les enquêtes n'est pas, je le rappelle, un procès, le rapport d'un commissaire n'est pas un jugement et ses recommandations ne sont pas exécutoires. Aussi la marge de manoeuvre et de discrétion d'un commissaire est-elle grande et les tribunaux ne remettront en question ses choix procéduraux que dans des circonstances exceptionnelles

Et, au paragraphe 32:

Ce respect de l'institution qu'est devenue au Canada l'établissement d'une commission d'enquête, ne doit cependant pas être aveugle. La fin recherchée, si légitime et si importante soit-elle, ne justifie pas tous les moyens qu'on puisse utiliser pour y arriver. La recherche de la vérité n'excuse pas la violation des droits des personnes sous enquête. La vulnérabilité et l'impuissance des personnes dont la conduite est examinée dans le cadre d'une enquête publique menée en vertu de la partie I de la Loi sont telles que les tribunaux ne doivent pas permettre que se continue une enquête au cours de laquelle un commissaire abuse ostensiblement de ses pouvoirs et transforme son rôle d'enquêteur en celui d'inquisiteur. La vigilance des tribunaux est d'autant plus nécessaire que les pouvoirs des commissaires sont considérables et les occasions d'abus, faciles, nombreuses et souvent tentantes. Ainsi que l'observait le juge Cory:

[. . .] il y a le risque que les commissions d'enquête, libérées d'un bon nombre des contraintes institutionnelles auxquelles sont assujetties les diverses branches de gouvernement, soient aussi en mesure d'agir sans les garanties qui protègent d'ordinaire les droits individuels contre l'action gouvernementale.

[39]Au paragraphe 31 de la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, le juge Cory a dit, au nom de la Cour:

Les rôles d'enquête et d'éducation du public qui sont conférés à une commission d'enquête ont une très grande importance. Ces rôles ne devraient cependant pas être remplis aux dépens du respect des droits des personnes faisant l'objet de l'enquête. La nécessité de parvenir à un juste équilibre a été reconnue par le juge Décary lorsqu'il a dit, au par. 32, que «[l]a recherche de la vérité n'excuse pas la violation des droits des personnes sous enquête». Cela signifie que si important que soit le travail d'une commission, il ne peut se faire aux dépens du droit fondamental de tout citoyen d'être traité équitablement.

Et, au paragraphe 55:

Il se peut fort bien que la constatation des faits et les conclusions du commissaire portent préjudice à un témoin ou à une partie à l'enquête. Il faut néanmoins les tirer pour que lumière soit faite sur la nature de la tragédie visée par l'enquête et les responsabilités engagées afin que puissent être formulées des suggestions utiles susceptibles de corriger le problème. Il est vrai que les conclusions d'un commissaire ne peuvent donner lieu à des conséquences pénales ou civiles pour un témoin. De plus, chaque témoin jouit de la protection que lui garantissent la Loi sur la preuve au Canada et la Charte, qui prévoient que son témoignage ne peut être utilisé dans d'autres procédures contre lui. Il n'en demeure pas moins que le respect de l'équité procédurale est un élément essentiel, puisque les conclusions d'une commission peuvent ternir la réputation d'un témoin. Une bonne réputation représentant la valeur la plus prisée par la plupart des gens, il est essentiel de démontrer le respect des principes de l'équité procédurale dans les audiences de la commission.

[40]Le demandeur prétend que la commission Parker a été établie pour faire enquête sur des allégations qui ne visaient que lui et qu'elle était de la nature d'une poursuite; il avait donc droit à un degré plus élevé d'équité procédurale. Dans son témoignage concernant l'enquête devant le Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes relatif aux conflits d'intérêts, Procès-verbaux et témoignages, 3e sess., 34e Légis., fascicule no 3, le commissaire Parker a eu la discussion suivante, reprise à la page 31:

M. Layton:     Je me souviens, il y a quatre ans, de la situation, de l'ambiance qu'on pouvait constater à la télévision. Cela me paraissait très conflictuel.

M. Parker:     Ce l'était.

M. Layton:     L'avocat-conseil auquel vous auriez fait appel, faisait presque figure de procureur.

M. Parker:     Oui et, par ailleurs, il était presque défendeur. J'ai essayé de parvenir à un équilibre. J'étais conseillé par beaucoup d'excellents avocats. C'est simplement mon avis. Ma décision était équitable et raisonnable. Je respecte l'avis des autres.

Je conviens, avec le demandeur, qu'il s'agissait d'une enquête publique concernant la conduite d'une seule personne.

[41]Le demandeur a fait valoir qu'il y a eu violation des règles d'équité procédurale à son égard parce qu'il ignorait la norme applicable et que ni les Directives Trudeau, ni le Code Mulroney, ni la lettre du 9 septembre 1985 du Premier ministre ne définissait le conflit d'intérêts. En outre, il a soutenu qu'il a ignoré la définition du conflit d'intérêts qu'avait appliquée le commissaire Parker pour décider qu'il était en situation de conflit d'intérêts jusqu'à la publication du Rapport. Le défendeur a prétendu que puisque les normes d'examen ont été soulevées tant à l'enquête que dans les observations des parties au commissaire Parker, le demandeur avait été suffisamment avisé de la définition de la notion de conflit d'intérêts.

[42]Je suis d'avis que le demandeur ignorait la norme qui s'appliquerait à sa situation puisque la définition du conflit d'intérêts ne lui a été communiquée que lorsqu'on lui a remis le Rapport. Il est en particulièrement ainsi puisque le commissaire Parker devait décider si le demandeur s'était trouvé effectivement, ou selon toute apparence, en situation de conflit d'intérêts au sens du Code Mulroney et de la lettre du 9 septembre 1985 du Premier ministre. En outre, il me semble qu'il est injuste d'élaborer une norme après la conduite reprochée. Je pense qu'il s'agit d'une violation du droit à l'équité procédurale du demandeur, d'établir une norme ou d'appliquer une définition du conflit d'intérêts et d'énoncer cette définition pour la première fois dans le Rapport. Selon moi, la définition aurait dû être mentionnée dans les divers codes ou directives sur les conflits d'intérêts.

[43]M. Stevens prétend également que l'article 13 de la Loi sur les enquêtes, n'a pas été respectée. Voici, par souci de commodité, l'article 13:

13. La rédaction d'un rapport défavorable ne saurait intervenir sans qu'auparavant la personne incriminée ait été informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu'elle ait eu la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d'un avocat.

[44]Le demandeur ne prétend pas qu'il n'a pas eu le droit de se faire entendre en personne ou par le ministère d'un avocat. Il soutient qu'il s'agit de savoir si on lui a accordé «la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d'un avocat» alors qu'il ignorait la norme de conduite qui s'appliquerait à sa situation puisque la norme ou définition de la notion de conflit d'intérêts est demeurée inconnue jusqu'à ce qu'il en prenne connaissance dans le Rapport.

[45]Dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvision-nement en sang au Canada), le juge Cory a dit, au paragraphe 56:

Le même principe d'équité doit s'étendre aux préavis concernant la faute exigés par l'art. 13 de la Loi sur les enquêtes. Toute commission est tenue de donner aux parties un préavis les informant des conclusions faisant état d'une faute susceptibles d'être tirées à leur égard dans le rapport final. Tant qu'ils sont remis à la partie visée sous le sceau de la confidentialité, les préavis ne devraient pas être assujettis à un degré d'examen aussi strict que les conclusions finales. C'est que les préavis ont pour objet de permettre aux parties de se préparer ou de répondre aux conclusions faisant état d'une faute que la commission pourrait tirer à leur égard. Plus le préavis est détaillé, plus il peut être utile à la partie. En outre, le seul tort qui pourrait être causé par la délivrance de préavis détaillés se limite à la réputation d'une partie. Mais tant que les préavis ne sont délivrés qu'à la partie susceptible d'être visée par une conclusion, il n'y a rien à redire. Le public ne peut prendre connaissance de la faute reprochée que si la partie ayant reçu le préavis choisit de le rendre public, auquel cas elle est elle-même responsable du tort ainsi causé à sa réputation. Par conséquent, en toute justice pour les témoins ou les parties qui peuvent faire l'objet de conclusions faisant état d'une faute, les préavis devraient être le plus détaillés possible. Même si les allégations exposées dans les préavis semblent équivaloir à une conclusion qui risque d'outrepasser la compétence du commissaire, cela ne signifie pas qu'il en serait ainsi des conclusions finales destinées à être divulguées. Il faut supposer, jusqu'à preuve du contraire à la communication du rapport final, que les commissaires n'outrepasseront pas leurs pouvoirs.

[46]En l'espèce, le problème est dû au fait que ni les Directives Trudeau, ni le Code Mulroney, ni la lettre du 9 septembre 1985 du Premier ministre ne précisait la norme applicable, ni ne définissait le conflit d'intérêts. En outre, le mandat du commissaire Parker ne lui conférait pas compétence pour établir une norme ou pour définir la notion de conflit d'intérêts.

[47]Compte tenu qu'un des buts visés par l'exigence relative au préavis en vertu de l'article 13 est de permettre à une partie de répondre aux conclusions faisant état d'une faute susceptibles d'être tirées à son égard, j'estime qu'à tout le moins, la partie doit connaître la norme qui est appliquée à sa conduite pour savoir si elle n'a pas respecté la norme. En l'espèce, on ne saurait dire que le demandeur avait eu «la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère de son avocat» alors qu'il ignorait la norme ou la définition du conflit d'intérêts avant de l'apprendre en lisant le rapport.

[48]Pour ces motifs, je suis d'avis que la demande doit être accueillie.

[49]La demande est accueillie et la Cour déclare que le Rapport Parker est annulé et qu'il est nul et non avenu au motif que le commissaire Parker a outrepassé sa compétence et qu'il n'a pas respecté les principes d'équité procédurale.

[50]Compte tenu de ma décision à l'égard de ces questions, je ne traiterai pas des autres questions soulevées par le demandeur.

[51]Les parties ont le droit de s'exprimer sur les dépens.

ORDONNANCE

[52]LA COUR ORDONNE:

1. La demande du demandeur est accueillie et la Cour déclare que le Rapport Parker est annulé et qu'il est nul et non avenu au motif que le commissaire a outrepassé sa compétence et qu'il n'a pas respecté les principes d'équité procédurale.

2. Les parties ont le droit de s'exprimer sur les dépens et une autre ordonnance sera rendue à cet égard.

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