Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-55-01

2002 CAF 291

Water's Edge Village Estates (Phase II) Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Water's Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Desjardins, Linden et Noël, J.C.A. --Vancouver, 27 mai; Ottawa, 9 juillet 2002.

Impôt sur le revenu -- Calcul du revenu -- Déductions -- Des contribuables ont acheté une participation de 93,5 % dans une société de personnes américaine (Klink Development Company) en décembre 1991 pour 320 000 $ -- Klink a cédé pour 3,7 millions de dollars US un ordinateur qu'elle avait acheté en 1982 mais qui avait une valeur marchande d'environ 7 000 $US en 1991, à une société en commandite de la Colombie-Britannique dans laquelle elle avait une participation de 50 % -- Klink a, conformément à l'art. 20(16) de la Loi de l'impôt sur le revenu, déclaré une perte finale nette -- Les contribuables ont cherché à déduire leur quote-part de cette perte dans le calcul de leur revenu -- Le M.R.N. a refusé cette déduction -- Le juge de la Cour de l'impôt a confirmé les nouvelles cotisations au motif qu'aucune société de personnes viable n'avait survécu aux opérations de décembre 1991 et que c'était avec raison que le ministre avait refusé la déduction des pertes en vertu de la disposition générale anti-évitement contenue à l'art. 245 --1) Il existait une société de personnes à la clôture de l'année d'imposition 1991 -- Les contribuables exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser des bénéfices alors qu'ils essayeraient d'exploiter l'ordinateur sur des marchés choisis -- 2) La déduction des pertes a été refusée à bon droit en vertu de l'art. 245 -- Les opérations de 1991 ont procuré aux contribuables un avantage fiscal non négligeable -- La recherche d'un avantage fiscal était la seule raison d'être de ces opérations -- Les contribuables ont exploité une échappatoire évidente de la Loi et ont utilisé les art. 13(21) et 20(16) de la Loi pour obtenir un résultat anormal et imprévu -- L'art. 245 permet à la Cour d'intervenir en cas d'application abusive des dispositions en question et d'abus du système de déduction pour amortissement.

Impôt sur le revenu -- Sociétés de personnes -- La Cour de l'impôt a confirmé les nouvelles cotisations refusant la déduction par les contribuables de leur quote-part respective de la perte finale d'une société de personnes au motif qu'il n'existait pas de société de personnes viable -- L'acquisition par les contribuables de leur participation dans la société de personnes et l'apport dans une société en commandite de la C.-B. d'un ordinateur vétuste (le bien qui a donné lieu à la perte) étaient surtout motivés par des considérations d'ordre fiscal -- Le ministre a contesté le fait que la société de personnes continuait d'exister parce que l'utilisation projetée de l'ordinateur ne donnait pas lieu à une expectative raisonnable de profit -- La jurisprudence a évolué depuis le prononcé de la décision frappée d'appel -- Il s'agissait de savoir si le contribuable avait une intention commerciale secondaire malgré une motivation fiscale prédominante -- La Cour suprême du Canada a statué que le critère de l'expectative raisonnable de profit n'est pas pertinent aux fins de déterminer s'il existe une entreprise lorsque l'activité visée est commerciale -- Lorsqu'elles ne comportent aucun aspect personnel, les activités qui sont axées sur la production de bénéfices et qui comportent les caractéristiques d'une activité commerciale constituent une entreprise -- Les contribuables exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser des bénéfices alors qu'ils s'affairaient activement à essayer d'exploiter l'ordinateur sur des marchés choisis.

Il s'agit de l'appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt concernant des pertes qui auraient été subies par une société de personnes et dont les appelants (il y a eu jonction de cinq autres appels avec le présent appel) se sont prévalus lors du calcul de leur revenu respectif. Le 13 décembre 1991, un promoteur de la Colombie-Britannique a, avec une compagnie par l'intermédiaire de laquelle il exerçait ses activités, acquis à titre provisoire une participation de 98 % dans une société de personnes américaine, Klink Development Company, pour la somme de 51 500 $. Peu de temps après, le 20 décembre 1991, les appelants ont, avec trois autres particuliers, payé 320 000 $ pour acquérir des participations dans Klink totalisant un peu plus de 93,5 %. Le même jour, Klink a acquis une participation de 50 % dans une société en commandite de la Colombie-Britannique appelée Interfin Leasing Partnership (ILP). Comme apport à cette société de personnes, Klink a cédé un ordinateur central IBM, qu'elle avait acheté en 1982 pour la somme de 3,7 millions de dollars US mais qui avait une valeur marchande d'environ 7 000 $US en 1991. L'ordinateur était, à l'époque en cause, vétuste en Amérique du Nord. Après que Klink eut cédé l'ordinateur à IPL, des démarches soutenues ont été entreprises en vue de louer l'ordinateur dans divers pays d'Europe de l'Est et, plus tard, au Vénézuela, mais aucune de ces démarches n'a porté fruit. Lors du calcul de son revenu pour son année d'imposition se terminant le 31 décembre 1991, Klink a, conformément au paragraphe 20(16) de la Loi de l'impôt sur le revenu, déclaré une perte finale de 4 441 390 $. Les appelants ont cherché à déduire leur quote-part de cette perte dans le calcul de leur revenu pour les années d'imposition applicables. Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de tous les appelants de nouvelles cotisations dans lesquelles il a refusé la déduction de leurs parts respectives des pertes de Klink. Le juge de la Cour de l'impôt a confirmé les nouvelles cotisations au motif qu'aucune société de personnes viable n'avait survécu aux opérations de décembre 1991 et que, même si Klink avait effectivement survécu à ces opérations, la déduction des pertes avait été à juste tire refusée en vertu de la disposition générale anti-évitement contenue à l'article 245 de la Loi. Les questions en litige étaient les suivantes: 1) Les appelants faisaient-ils partie d'une société de personnes au moment où les pertes ont été subies? 2) est-ce à bon droit que la déduction des pertes a été refusée en vertu de l'article 245?

Arrêt: l'appel est rejeté.

1) La société de personnes a continué à exister après la clôture de son année d'imposition 1991 suivant le cours de la jurisprudence depuis la décision frappée d'appel. L'acquisition par les appelants de leur participation dans Klink et l'apport de l'ordinateur à ILP qui s'en est suivi étaient surtout motivés par des considérations d'ordre fiscal. Mais il restait à savoir si les appelants avaient l'intention secondaire, en tant qu'associés, de tirer profit de l'utilisation prolongée de l'ordinateur, une question sur laquelle la Cour de l'impôt ne s'est pas penchée, malgré le fait qu'elle devait le faire. L'intention constante d'exploiter l'ordinateur dans le but de réaliser un bénéfice était perçue par les appelants comme un élément essentiel du projet fiscal qu'ils avaient conçu et ils ont agi d'une manière qui était compatible avec ce projet. Lorsqu'elles ne comportent aucun aspect personnel, les activités qui sont axées sur la production de bénéfices et qui comportent les caractéristiques d'une activité commerciale constituent une entreprise. Les appelants exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser des bénéfices alors qu'ils essayaient d'exploiter l'ordinateur sur des marchés choisis. Le fait que les associés américains avaient accepté de conserver une participation dans la société de personnes pour s'assurer que celle-ci continue à exister s'accorde avec leur volonté constante d'exploiter une entreprise en commun.

2) Le ministre était d'avis que les appelants s'étaient livrés à des «opérations d'évitement» dont les avantages étaient refusés par la disposition générale anti-évitement. Il a reconnu que Klink avait correctement calculé la perte finale au monant de 4 486 940 $, sous réserve de l'application de l'article 245 qui exige de répondre à trois questions. La première question était de savoir si les opérations du 20 décembre 1991 ont procuré un avantage fiscal aux appelants. L'acquisition par les appelants de leur participation respective dans la société Klink le 20 décembre 1991, et la cession, le même jour, de l'ordinateur à ILP ont procuré aux appelants un avantage fiscal non négligeable. En fait, ils ont ainsi pu réaliser une perte totale de 4 152 700 $ (93,5 % de 4 441 390 $) à un coût de 320 000 $, soit 13 cents par dollar. La deuxième question était de savoir s'il est raisonnable de considérer que les opérations ont principalement été effectuées pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal. L'objet principal des opérations s'impose de façon évidente lorsqu'on met en contraste la valeur de la perte fiscale subie par les appelants avec la capacité de l'ordinateur de produire un revenu. La différence entre la somme payée par les appelants pour acquérir une participation dans la société de personnes (320 000 $) et la valeur de l'ordinateur à l'époque (7 000 $US) révélait aussi que d'abord et avant tout, les appelants ont payé pour acquérir une perte fiscale. La manière dont les appelants s'y sont pris pour acquérir une participation dans la société de personnes et pour faire apport de l'ordinateur à une autre société de personnes avant la clôture de son année d'imposition 1991 ne peut vraisemblablement s'expliquer que par la volonté d'obtenir l'avantage fiscal qu'ils recherchaient. La recherche d'un avantage fiscal est la seule raison pour laquelle les opérations se sont déroulées de cette manière.

Comme la réponse à la deuxième question est négative, la troisième question consistait à se demander si les opérations ont entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi dans son ensemble, abstraction faite de l'article 245. Le mécanisme de la déduction pour amortissement a pour objet de tenir compte sur une période de temps déterminée des dépenses engagées pour acquérir des biens en immobilisation qui ont véritablement servi à gagner un revenu au sens des alinéas 18(1)a) et 18(1)b) et les dispositions relatives à la «récupération» et aux «pertes finales» sont conçues de manière à rajuster les déductions totales ainsi reconnues lorsque surviennent par la suite des événements qui démontrent que le bien a fait l'objet d'un amortissement excessif ou insuffisant. En l'espèce, la dépréciation de l'ordinateur qui est à la base de la perte finale déclarée par Klink est imputable à une période au cours de laquelle l'ordinateur n'était pas utilisé en vue de gagner un revenu au sens de la Loi et l'ordinateur ne constituait donc pas un «bien amortissable». Le principe général qui limite la déduction des dépenses à celles qui ont été engagées en vue de produire un «revenu» au sens de la Loi est énoncé à l'alinéa 18(1)a). Les dispositions relatives à la récupération et aux pertes finales (respectivement, les paragraphes 13(1) et 20(16)) garantissent qu'en bout de ligne, c'est le coût réel du bien en immobilisation qui a servi à gagner un revenu au sens de la Loi qui est déduit en conformité avec la restriction générale formulée à l'alinéa 18(1)a). L'objet et l'esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l'argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi. En acquérant une participation dans Klink et en s'assurant que celle-ci continuait à exercer ses activités, les appelants ont, pour l'application des lois fiscales canadiennes, «importé» un coût en capital égal au coût historique de l'ordinateur. Ils ont immédiatement pris des mesures pour tirer profit de ce coût en faisant apport à ILP de l'ordinateur avant la fin de l'année d'imposition 1991 de Klink, déclenchant ainsi une perte finale au sens du paragraphe 20(16). Ce faisant, ils ont exploité une échappatoire évidente qui leur permettait de déduire des frais de plus de quatre millions de dollars relativement à un ordinateur qui avait une valeur approximative de 7 000 $US lorsque cet ordinateur est devenu pour la première fois un bien amortissable au sens de la Loi. L'insertion après coup du paragraphe 96(8) dans la Loi (avec effet rétroactif au 21 décembre 1992) démontre que le législateur fédéral est intervenu aussi rapidement que possible pour supprimer l'échappatoire que les appelants avaient exploitée précisément en raison du fait que le résultat obtenu constituait une anomalie, compte tenu de l'objet et de l'esprit des dispositions applicables de la Loi, qui ne donnent lieu à aucune ambiguïté. L'article 245 permet à la Cour d'intervenir lorsqu'elle a affaire à un abus dans l'application des dispositions de la Loi. Les appelants ont utilisé l'alinéa 13(21)f) et le paragraphe 20(16) de la Loi pour obtenir un résultat qui était à la fois anormal et imprévu lorsqu'on tient compte de la raison d'être de ces dispositions. Les appelants ont donc appliqué de façon abusive les dispositions en question et ils ont abusé de façon générale du système de déduction pour amortissement. C'est à bon droit que le juge de la Cour de l'impôt a statué que les pertes déduites par les appelants n'étaient pas admissibles du fait de l'article 245.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 96(8) (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 44).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 3, 9(1), 13(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 6), (21)b) (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 9), f) (mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 3; 1977-78, ch. 1, art. 6), 18(1) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126), 20(1), (16) (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14; L.C. 1988, ch. 55, art. 12), 96(1) (mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 43; L.C. 1988, ch. 55, art. 66), 111(1) (mod. par L.C. 1984, ch. 1, art. 54), 245(1) «attribut fiscal» (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 185), «avantage fiscal» (mod., idem), «opération» (mod., idem), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4) (édicté, idem), (5) (édicté, idem), (6) (édicté, idem), (7) (édicté, idem), (8) (édicté, idem).

Partnership Act, R.S.B.C. 1996, ch. 348, art. 4c).

Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1100 (mod. par DORS/78-377, art. 3; 83-340, art. 1; 91-673, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Spire Freezers Ltd. c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 391; [2001] 2 C.T.C. 40; Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367; (2001), 196 D.L.R. (4th) 193; 11 B.L.R. (3d) 165; [2001] 2 C.T.C. 11; 2001 DTC 5149; 266 N.R. 246; Stewart c. Canada (2002), 212 D.L.R. (4th) 577; 288 N.R. 297 (C.S.C.); Walls c. Canada, (2002), 212 D.L.R. (4th) 606 (C.S.C.); OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288; (2001), 17 B.L.R. (3d) 212; 29 C.B.R. (4th) 105; 2001 DTC 5471; 275 N.R. 238 (C.A.); autorisation d'appel à la C.S.C. refusée, [2001] C.S.C.R. no 522.

distinction faite d'avec:

Lea-Don Canada Limited v. Minister of National Revenue, [1971] R.C.S. 95; (1970), 13 D.L.R. (3d) 117; [1970] C.T.C. 346; 70 DTC 6271; Allied Farm Equipment Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 263; [1972] C.T.C. 107; (1972), 72 DTC 6086 (1re inst.); Oceanspan Carriers Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 171; [1987] 1 C.T.C. 210; (1987), 87 DTC 5102; 73 N.R. 91 (C.A.); Holiday Luggage Mfg. Co. c. Canada, [1987] 2 C.F. 249; [1987] 1 C.T.C. 23; (1986), 86 DTC 6601; 8 F.T.R. 94 (1re inst.).

décisions citées:

Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; 98 DTC 6505; 222 N.R. 58; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; (1999), 178 D.L.R. (4th) 26; [1999] 4 C.T.C. 313; 247 N.R. 19; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804; (1999), 179 D.L.R. (4th) 577; [2000] 1 W.W.R. 195; 69 B.C.L.R. (3d) 201; 99 DTC 5799; 248 N.R. 216; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; [1994] 2 C.T.C. 25; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; (1995), 127 D.L.R. (4th) 193; [1995] 2 C.T.C. 369; 95 DTC 5551; 186 N.R. 243.

APPEL d'un jugement par lequel la Cour canadienne de l'impôt (Duncan c. Canada, [2001] 2 C.T.C. 2284; 2001 DTC 96) a confirmé de nouvelles cotisations dans lesquelles le ministre du Revenu national avait refusé de déduire la part respective des pertes d'une société de personnes au motif qu'aucune société de personnes viable n'avait survécu aux opérations de décembre 1991 et que la déduction des pertes a été à juste titre refusée en vertu de la disposition générale anti-évitement contenue à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Appel rejeté.

ont comparu:

George E. H. Cadman, c.r. et Margaret Stanier pour l'appelante.

Patricia A. Babcock pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Boughton Peterson Yang Anderson, Vancouver, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Noël, J.C.A.: Le présent appel concerne six appels qui ont été interjetés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] (la Loi) et qui ont été instruits ensemble sur preuve commune par le juge Bowie de la Cour canadienne de l'impôt. Notre Cour a ordonné la jonction de ces six appels. Le dossier principal est l'appel interjeté dans la présente affaire. Les présents motifs seront par conséquent déposés dans les cinq autres appels (à savoir les appels interjetés dans les dossiers A-56-01, A-57-01, A-58-01, A-59-01 et A-60-01) et serviront également de motifs de jugement dans ces autres appels.

[2]Tous les appels concernent des pertes qui auraient été subies par une société de personnes et dont les appelants se sont prévalus lors du calcul de leur revenu respectif. Bien que les appels se rapportent à diverses années d'imposition comprises entre 1990 et 1993, le point en litige pour chaque année et pour chaque appelant est identique, sauf en ce qui a trait, dans certains cas, au report rétrospectif ou prospectif de certaines pertes.

Les opérations en litige

[3]Les faits sont exposés en détail dans la décision du juge de la Cour de l'impôt (Duncan c. Canada, [2001] 2 C.T.C. 2284) et il n'est pas nécessaire de les répéter. Il suffit en l'espèce de revenir brièvement sur les opérations qui ont donné lieu aux pertes dont la déduction a été demandée et sur le refus subséquent du ministre du Revenu national d'autoriser cette déduction. Les dispositions légales applicables sont reproduites à l'annexe I des présents motifs dans l'ordre dans lequel elles apparaissent dans la Loi.

[4]En décembre 1991, chacun des appelants a acheté une participation dans une société de personnes des États-Unis qui faisait affaires sous la raison sociale de Klink Development Company (Klink). Klink avait été constituée en 1979 sous le régime des lois de l'État de l'Ohio. Ses associés initiaux étaient tous citoyens et résidents des États-Unis. En 1982, Klink a acheté un ordinateur central IBM pour la somme de 3 700 000 $US. L'ordinateur a été loué à une entreprise américaine en vertu de contrats de location à long terme dont le dernier devait expirer le 31 décembre 1991. En 1991, l'ordinateur avait été totalement amorti, tant sur le plan comptable que pour l'application des lois fiscales américaines. Il était considéré vétuste pour l'Amérique du Nord.

[5]Le 13 décembre 1991, un promoteur de la Colombie-Britannique du nom de Hutton a, avec une compagnie par l'intermédiaire de laquelle il exerçait ses activités, acquis à titre provisoire une participation de 98 p. 100 dans Klink pour la somme de 51 500 $. Les associés américains initiaux ont conservé la participation de 2 p. 100 qui restait.

[6]Sept jours plus tard, le 20 décembre 1991, les appelants ont, avec trois autres particuliers, payé la somme de 320 000 $ pour acquérir des participations dans Klink totalisant un peu plus de 93,5 p. 100. Hutton et sa compagnie ont continué à détenir la partie restante des participations qu'ils avaient achetées (environ 4,5 p. 100). Le juge de la Cour de l'impôt a établi à environ 7 000 $US la valeur marchande de l'ordinateur à l'époque.

[7]Le même jour, Klink a acquis une participation de 50 p. 100 dans une nouvelle société en commandite de la Colombie-Britannique du nom d'Interfin Leasing Partnership (ILP). À titre d'apport à cette société de personnes, Klink a cédé l'ordinateur, pour lequel un montant de 50 000 $ a été porté au crédit de son compte de capital. Au même moment, Klink a cédé à ILP ses droits dans le contrat de location en cours de l'ordinateur dont la date d'expiration avait été repoussée au 31 mars 1992.

[8]La raison déclarée par les appelants pour justifier l'acquisition de leur participation dans la société Klink et l'apport de l'ordinateur à ILP était qu'ils souhaitaient continuer à tirer des revenus de l'ordinateur sur certains marchés déterminés où l'ordinateur pouvait encore produire des revenus. Il a été reconnu que l'ordinateur était, à l'époque en cause, vétuste en Amérique du Nord.

[9]Il ressort de la preuve qu'après que Klink eut cédé l'ordinateur à ILP, des démarches soutenues ont été entreprises en vue de louer l'ordinateur dans divers pays d'Europe de l'Est et, plus tard, au Vénézuela. Un consultant a été embauché, des études de marché ont été effectuées, des clients ont été approchés, des mises à niveau ont été achetées et des voyages ont été entrepris. Suivant les états financiers, environ 20 000 $ ont été dépensés à cette fin. Toutefois, aucune de ces démarches n'avait porté fruit deux ans plus tard.

[10]Lors du calcul de son revenu selon le paragraphe 96(1) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 43; L.C. 1988, ch. 55, art. 66] de la Loi pour son année d'imposition se terminant le 31 décembre 1991, Klink a, conformément au paragraphe 20(16) [édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 14; L.C. 1988, ch. 55, art. 12] de la Loi, déclaré une perte finale de 4 486 940 $. De ce montant, elle a retranché un revenu d'exploitation de 45 550 $, pour en arriver, sur le plan fiscal, à une perte nette de 4 441 390 $. Les appelants ont déduit leur quote-part de cette perte dans le calcul de leur revenu pour les années d'imposition applicables et, dans certains cas, l'excédent a fait l'objet d'un report rétrospectif ou prospectif en vertu de l'alinéa 111(1)a) [mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 54] en tant que perte autre qu'en capital.

[11]Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de tous les appelants de nouvelles cotisations dans lesquelles il a refusé la déduction de leurs parts respectives des pertes de Klink. Les nouvelles cotisations reposaient sur l'opinion du ministre selon laquelle Klink n'était pas une société de personnes qui avait survécu aux opérations conclues selon le cas le 13 ou le 20 décembre 1991. À titre subsidiaire, le ministre s'est dit d'avis que les appelants s'étaient livrés à des «opérations d'évitement» et, en vertu de la disposition générale anti-évitement énoncée à l'article 245 [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 185] de la Loi, il leur a refusé la possibilité de bénéficier des avantages fiscaux en découlant.

La décision du juge de la Cour de l'impôt

[12]Le juge de la Cour de l'impôt a confirmé les nouvelles cotisations au motif qu'aucune société de personnes viable n'avait survécu aux opérations de décembre 1991. Le juge a poursuivi en concluant que, si Klink avait effectivement survécu à ces opérations, c'était avec raison que le ministre avait refusé la déduction des pertes en vertu de l'article 245. C'est la décision qui fait l'objet du présent appel.

[13]La conclusion que la société de personnes n'existait plus après les opérations de décembre reposait sur la décision que les appelants n'avaient pas l'intention d'exploiter l'ordinateur en vue de réaliser un bénéfice, ce qui a amené le juge de la Cour de l'impôt à qualifier «[l]es réunions tenues et les mémoires établis» de «simple façade» (paragraphe 46 des motifs). Le juge de la Cour de l'impôt avait déjà conclu que l'ordinateur avait été utilisé dans le cadre d'une entreprise au cours de la brève période se terminant le 31 décembre 1991. Il a toutefois jugé que cette entreprise n'avait pas été exploitée dans le but de réaliser un bénéfice et qu'elle n'avait pas été exploitée en commun avec les associés américains (paragraphes 39, 40 et 41 des motifs).

La question de la société de personnes

[14]Je suis disposé à accepter, pour trancher l'appel, que Klink a continué à exister en tant que société de personnes valide après les opérations de décembre et qu'elle existait toujours à la fin de son année d'imposition 1991. La jurisprudence sur cette question a évolué depuis que la décision frappée d'appel a été rendue. À l'époque, les pourvois formés devant la Cour suprême dans les affaires Spire Freezers Ltd. c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 391, et Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367, avaient été instruits mais aucune décision n'avait encore été rendue. La Cour suprême a depuis rendu deux autres décisions qui ont également une incidence sur l'issue du présent appel, en l'occurrence les arrêts Stewart c. Canada (2002), 212 D.L.R. (4th) 577; et Walls c. Canada (2002), 212 D.L.R. (4th) 606.

[15]La première question sur laquelle le juge de la Cour de l'impôt était appelé à se pencher était identique à celle que la Cour suprême a formulée dans les affaires Backman et Spire Freezers, en l'occurrence la question de savoir si les appelants faisaient partie d'une société de personnes au moment où les pertes ont été subies, la date pertinente en l'espèce étant celle du 31 décembre 1991. Dans ces décisions, la Cour suprême a repris ce qu'elle avait dit dans l'arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, c'est-à-dire qu'une motivation d'ordre fiscal n'enlève rien à la validité d'une société de personnes dès lors que les trois conditions essentielles à l'existence d'une société de personnes sont par ailleurs réunies.

[16]Comme nous le verrons plus loin, il est incontestable en l'espèce que l'acquisition par les appelants de leur participation dans Klink et l'apport de l'ordinateur à ILP qui s'en est suivi étaient surtout motivés par des considérations d'ordre fiscal. Mais il restait à savoir si les appelants avaient l'intention secondaire, en tant qu'associés, de tirer profit de l'utilisation prolongée de l'ordinateur. Dans ses longs motifs, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas examiné la possibilité que les appelants aient pu avoir l'intention secondaire d'exploiter l'ordinateur en vue de réaliser un bénéfice et il n'a pas fait allusion à cette éventualité.

[17]Le juge de la Cour de l'impôt connaissait l'arrêt Continental Bank de la Cour suprême. On se serait attendu à trouver dans ses motifs le genre d'analyse à laquelle la Cour suprême s'est livrée dans les arrêts Spire Freezers et Backman. Ainsi que ces décisions le démontrent, la question à laquelle il faut s'attaquer en pareil cas est de savoir si l'on peut dire que le contribuable avait aussi une intention commerciale secondaire en plus de sa motivation fiscale principale. Il sera d'autant plus difficile d'écarter une intention commerciale déclarée lorsque cette intention est compatible avec la réalisation d'une motivation fiscale principale et que cette intention est confirmée par des éléments de preuve objectifs. Or, il semble bien que le juge de la Cour de l'impôt n'ait pas envisagé cette possibilité.

[18]Il semble acquis que, comme l'article 245 entre en jeu, les appelants se sont surtout efforcés de convaincre le juge de la Cour de l'impôt qu'ils avaient acquis leur participation dans la société de personnes principalement ou exclusivement pour un objet «véritable» (c.-à-d. pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal au sens du paragraphe 245(3) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 185]). Le juge de la Cour de l'impôt a catégoriquement rejeté cette prétention, à juste titre selon moi. Néanmoins, pour décider si la société de personnes existait toujours, il incombait au juge de la Cour de l'impôt d'aller au-delà de cette question et de décider si les appelants avaient l'intention secondaire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice.

[19]La méthode à suivre pour se prononcer sur l'existence continue d'une société de personnes qui a été créée pour des raisons fiscales est la suivante (arrêt Backman, précité, aux paragraphes 25 et 26):

Conformément à l'observation suivante, énoncée dans Lindley & Banks on Partnership, op. cit., p. 73, et adoptée dans Continental Bank, précité, par. 23: [traduction] «pour déterminer l'existence d'une société en nom collectif [. . .] il faut tenir compte du contrat et de l'intention véritables des parties ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire». En d'autres termes, pour statuer sur l'existence d'une société de personnes, les tribunaux doivent se demander si la preuve documentaire objective et les circonstances de l'affaire, notamment les actes concrets des parties, sont compatibles avec l'existence d'une intention subjective d'exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice.

Les tribunaux doivent se montrer pragmatiques dans l'examen des trois éléments essentiels d'une société de personnes. Pour déterminer si une telle société a été établie dans une affaire donnée, il faut analyser et soupeser les facteurs pertinents eu égard à toutes les circonstances. Le fait que l'existence de la prétendue société de personnes doive être examinée au regard de l'ensemble des circonstances est incompatible avec l'application mécanique d'une liste de contrôle ou d'un critère comportant des paramètres définis de façon plus précise.

[20]Appliquant cette approche dans l'affaire Backman, la Cour suprême en est arrivée à la conclusion que les appelants n'avaient pas l'intention secondaire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. Le passage-clé de l'arrêt est rédigé comme suit, au paragraphe 29:

L'appelant soutient que l'achat de la participation directe dans un bien relatif au pétrole et au gaz établit l'existence d'une intention accessoire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. Ici encore, la preuve documentaire témoigne de l'intention de créer une société de personnes. Tout juste avant les opérations en cause dans le présent pourvoi, le contrat de société a été modifié de façon à y prévoir que l'investissement dans le domaine du pétrole et du gaz était l'un des objets de la société de personnes. Peu de temps avant le retrait prévu des associés américains, la prétendue société de personnes a effectivement acquis, au prix de 5 000 $, une participation de un pour cent dans un bien relatif au pétrole et au gaz en Alberta. Cependant, comme il a été vu plus tôt, cet élément de preuve touchant l'intention doit être soupesé avec d'autres facteurs, eu égard aux circonstances propres au bien relatif au pétrole et au gaz. Après avoir examiné ces circonstances, nous ne sommes pas convaincus que les supposés associés avaient, comme il se doit, l'intention d'exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Il est difficile d'accepter qu'une entreprise ait effectivement été exploitée alors qu'aucun des facteurs pertinents en ce qui concerne l'existence d'une entreprise n'étaye cette prétention. Les supposés associés ne se sont pas présentés à d'autres personnes comme étant des fournisseurs de biens ou services tirés du bien relatif au pétrole et au gaz dans lequel ils avaient un intérêt. Ils n'avaient aucune responsabilité quant à la gestion du bien. Il n'y a aucune preuve indiquant que la prétendue société de personnes ou ses représentants ont consacré plus qu'un apport symbolique au projet en temps, attention ou travail, ou qu'ils ont contracté des obligations envers d'autres personnes relativement au projet.

[21]Par contraste, dans le cas qui nous occupe, les supposés associés se sont présentés à d'autres personnes comme étant des fournisseurs de services tirés de l'ordinateur dans lequel ils détenaient une participation. Par le biais de ses représentants, la société de personnes a consacré au projet du temps, de l'attention et du travail, et les associés ont contracté des obligations envers d'autres personnes relativement au projet. Les associés ont également conservé la propriété du bien à l'origine de la perte et ils ont continué à exploiter ce bien dans le cadre de la même entreprise pendant une brève période de temps, et par la suite dans le but d'essayer de l'exploiter sur d'autres marchés (comparer avec l'arrêt Spire Freezers, précité, au paragraphe 23). L'intention constante d'exploiter l'ordinateur dans le but de réaliser un bénéfice était perçue par les appelants comme un élément essentiel du projet fiscal qu'ils avaient conçu et ils ont agi d'une manière qui était compatible avec ce projet (voir la lettre en date du 23 décembre 1991 dans laquelle l'avocat a fait rapport de ses démarches et a souligné [traduction] «qu'il faut faire tous les efforts pour commercialiser ces produits dans les pays du bloc de l'Est», dossier d'appel, volume III, page 416).

[22]Le juge de la Cour de l'impôt s'est demandé si le contrat de société de personnes renfermait «le genre de dispositions figurant habituellement dans les contrats de société» (paragraphe 40 des motifs). La validité formelle de ce contrat n'était cependant pas contestée dans l'appel dont il était saisi. Le ministre a admis dans les actes de procédure que Klink avait été constituée en société en nom collectif sous le régime des lois de l'Ohio, et que les appelants avaient acquis des participations dans cette «société» (réponse modifiée de nouveau, paragraphe 1, où le ministre admet notamment les paragraphes 1 et 10 de l'avis d'appel; voir également les faits présumés par le ministre aux alinéas 11b), f), g) et k) de la réponse modifiée de nouveau, dossier d'appel, volume I, page 166).

[23]Il ressort en outre de la preuve documentaire que la principale raison pour laquelle le ministre a nié que la société avait continué à exister était que l'utilisation projetée de l'ordinateur sur des marchés ciblés ne donnait pas lieu à une expectative raisonnable de profit (dossier d'appel, volume V, pages 824, 828, 832, 843, 904 et 929). Le juge de la Cour de l'impôt a convenu que les prévisions de profit n'étaient pas corroborées (paragraphe 13 des motifs). Il a également conclu que les vieux associés ou les nouveaux ne pouvaient non plus s'attendre à réaliser des bénéfices au cours de la brève période se terminant le 31 décembre 1991 (fin des paragraphes 40 et 41 des motifs). (À cet égard, le juge de la Cour de l'impôt semble avoir oublié que la société aurait réalisé des bénéfices s'il n'y avait pas eu de frais d'amortissement, lesquels constituent une déduction optionnelle.)

[24]La Cour suprême a depuis statué que le critère de l'expectative raisonnable de profit ne constitue pas un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour déterminer s'il existe (ou continue d'exister) une entreprise lorsque l'activité visée est de type commercial et ne peut être considérée comme une activité personnelle (arrêt Stewart, précité, au paragraphe 47). Dans l'arrêt connexe qu'elle a rendu le même jour (arrêt Walls, précité), la Cour suprême a appliqué cet énoncé dans le contexte d'une société de personnes qui avait été constituée principalement à des fins fiscales. Il ressort de ces deux arrêts que, lorsqu'elles ne comportent aucun aspect personnel, les activités axées sur la production de bénéfices et qui comportent les caractéristiques d'une activité commerciale constituent une entreprise.

[25]En tenant compte de ce qui précède et en appliquant la méthode élaborée par la Cour suprême dans les arrêts Spire Freezers et Backman, je suis prêt à accepter que les appelants exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser des bénéfices alors qu'ils s'affairaient activement à essayer d'exploiter l'ordinateur sur des marchés ciblés. En tirant cette conclusion, je tiens à souligner que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas été en mesure de conclure que les démarches concrètes qui avaient été entreprises pour parvenir à ce but constituaient un trompe-l'oeil ou que l'ordinateur était vétuste sur les marchés où il devait être exploité.

[26]En tout état de cause, l'ordinateur a été exploité en vue de réaliser des bénéfices au moins jusqu'au 31 décembre 1991, tandis que les versements de location continuaient à être effectués conformément au contrat de location américain qui était toujours en cours de validité. Ainsi que le juge de la Cour de l'impôt l'a fait remarquer au paragraphe 39 de ses motifs:

L'arrêt Continental Bank Leasing semble toutefois indiquer clairement qu'une entreprise existait jusqu'à la fin du bail malgré la brève durée restante de la production potentielle d'un revenu, malgré le montant relativement peu élevé du revenu devant être produit et malgré la nature complètement passive du processus consistant à gagner un revenu.

[27]La conclusion subséquente suivant laquelle les associés américains n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun avec les associés canadiens au cours de cette période est, à mon humble avis, contraire à la preuve. Le fait que les associés américains aient accepté de conserver une participation dans la société de personnes pour s'assurer que celle-ci continuerait à exister (paragraphe 41 des motifs) s'accorde avec leur volonté constante d'exploiter une entreprise en commun. Qui plus est, il ressort des états financiers de Klink pour l'exercice clos le 31 décembre 1991 que les associés américains ont effectivement reçu une quote-part des bénéfices de la société pour cette période (dossier d'appel, volume IV, page 641). Aux termes de l'alinéa 4c) de la Partnership Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 348, [traduction] «la réception par une personne d'une quote-part des bénéfices d'une entreprise constitue la preuve, en l'absence de preuve contraire, qu'elle est un associé de cette entreprise». Or, en l'espèce, aucune preuve contraire n'a été présentée.

La question de la disposition générale anti-évitement

[28]La question à laquelle le juge de la Cour de l'impôt était appelé à répondre était par conséquent de savoir si c'était à bon droit que le ministre avait refusé en vertu de l'article 245 d'accorder la déduction des pertes réclamées par les appelants. Avant d'aborder cette question, le juge de la Cour de l'impôt devait être convaincu que, lorsqu'on l'examinait en faisant abstraction de l'article 245, la Loi permettait à Klink de déclarer la perte finale et aux appelants de déduire leur quote-part respective de la perte nette en résultant lors du calcul de leur revenu.

[29]À cet égard, le juge de la Cour de l'impôt a fait remarquer que l'ordinateur était le seul bien amortissable que possédait Klink avant la clôture de son année d'imposition 1991. Aux termes de l'alinéa 13(21)f) [mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 3; 1977-78, ch. 1, art. 6] de la Loi, la fraction non amortie du coût en capital de l'ordinateur pour Klink équivalait à son coût en capital moins l'amortissement total déjà autorisé en vertu de la Loi et le produit de la disposition que Klink avait reçu de ILP. Comme l'ordinateur n'avait jamais été utilisé pour gagner un revenu au sens de la Loi, aucune déduction pour amortissement n'avait été réclamée ou autorisée en vertu de la Loi. Plus précisément, aucune somme n'avait été déduite par Klink en raison de l'alinéa 20(1)a).

[30]Après avoir cité l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, de la Cour suprême du Canada--le paragraphe 40 de cet arrêt semble particulièrement pertinent--, le juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'aux termes de l'alinéa 13(21)f), la fraction non amortie du coût en capital de l'ordinateur pour Klink correspondait à son coût historique total (4 536 940 $) diminué du montant qui avait été porté au crédit des appelants en contrepartie de l'ordinateur qu'ils avaient cédé à ILP à titre d'apport à cette société (50 000 $). Appliquant le libellé clair et non ambigu de l'alinéa 13(21)f) et du paragraphe 20(16), le juge a statué que c'était à juste titre que Klink avait déclaré une perte finale de 4 486 940 $ (paragraphes 2 et 50 à 55 des motifs).

[31]Le ministre n'a pas contesté cette conclusion en appel et reconnaît donc que Klink a correctement calculé la perte finale sous réserve de l'application de l'article 245, auquel je passe maintenant.

[32]Pour appliquer l'article 245, il faut répondre à chacune des trois questions suivantes:

1. Les opérations du 20 décembre 1991 ont-elles procuré un avantage fiscal aux appelants?

2. Dans l'affirmative, est-il raisonnable de considérer que les opérations ont principalement été effectuées pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal?

3. Dans la négative, est-ce que les opérations ont entraîné, un abus dans l'application des dispositions de la Loi ou de la Loi dans son ensemble, abstraction faite de l'article 245?

[33]Les opérations dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre de l'analyse fondée sur l'article 245 sont l'acquisition par les appelants de leur participation respective dans la société Klink le 20 décembre 1991-- le 13 décembre, dans le cas de Hutton et de sa compagnie--et la cession, le même jour, de l'ordinateur à ILP. Il est acquis aux débats que ces opérations ont procuré aux appelants un avantage fiscal non négligeable. En fait, ils ont ainsi pu réaliser une perte totale de 4 152 700 $ (93,5 % de 4 441 390 $) à un coût pour eux de 320 000 $, soit 13 cents par dollar (paragraphe 57 des motifs).

[34]En ce qui concerne la deuxième question, seulement deux des six appelants ont témoigné. L'un d'entre eux, M. Langdon, a déposé que sa motivation quant à l'achat de sa participation était «uniquement» la perspective de participer au projet d'implantation d'un centre de traitement de données en Europe de l'Est. L'autre témoin, M. Young, a quant à lui insisté sur le fait que sa principale motivation était la possibilité de prendre part à l'activité du marché de l'Europe de l'Est, alors naissant. Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que ces témoins ne pouvaient pas être crus «sur ce point» (paragraphe 42 des motifs). Outre le fait qu'elle ressortissait tout à fait à la compétence privilégiée du juge de la Cour de l'impôt, cette conclusion était amplement justifiée par la preuve.

[35]L'objet principal des opérations s'impose de façon évidente lorsqu'on met en contraste la valeur de la perte fiscale subie par les appelants -- qui étaient tous en mesure d'absorber rapidement cette perte -- avec la capacité de l'ordinateur de produire un revenu. Non seulement les marchés sur lesquels il était possible de continuer à exploiter l'ordinateur étaient-ils restreints, mais encore la période propice pour faire des affaires sur ces marchés était-elle très réduite. La différence entre la somme payée par les appelants pour acquérir une participation dans la société de personnes (320 000 $) et la valeur de l'ordinateur à l'époque (7 000 $US) révèle aussi que, d'abord et avant tout, les appelants ont payé pour acquérir une perte fiscale (paragraphes 43 et 44 des motifs).

[36]De plus, ainsi que le juge de la Cour de l'impôt l'a conclu (paragraphe 44 des motifs), la manière dont les appelants s'y sont pris pour acquérir leur participation dans la société de personnes et pour faire apport de l'ordinateur à une autre société de personnes avant la clôture de son année d'imposition 1991 ne peut vraisemblablement s'expliquer que par une volonté d'obtenir l'avantage fiscal qu'ils recherchaient. Ces opérations ne représentent qu'un des nombreux moyens -- dont certains sont beaucoup plus simples -- dont les appelants disposaient pour devenir propriétaires de l'ordinateur pour l'objet véritable qu'ils soutiennent avoir été celui de ces opérations. Or, pour déclencher la perte finale et pour permettre aux appelants de se prévaloir de cette perte, il était essentiel que l'ordinateur soit acquis et cédé de la manière choisie. La recherche d'un avantage fiscal est la seule raison pour laquelle les opérations se sont déroulées de cette façon.

[37]Avant d'aborder la troisième question, il est utile de s'arrêter brièvement sur le mode de fonctionnement du système de la déduction pour amortissement qui est à l'origine de la perte finale déclarée par Klink. Lorsqu'on le reformule de façon positive, l'alinéa 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126] énonce le principe fondamental suivant lequel «[d]ans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien [. . .] sont [. . .] déductibles une dépense [. . .] engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien». L'alinéa 18(1)b) prévoit pour sa part que «ne sont pas déductibles [. . .] un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement [. . .] sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie».

[38]L'alinéa 13(21)b) [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 9] définit un «bien amortissable» comme un bien qu'un contribuable acquiert et pour lequel il obtient une déduction en vertu de l'alinéa 20(1)a), lequel permet la déduction de «la partie [. . .] du coût en capital [. . .] ou le montant [. . .] du coût en capital [. . .] que le règlement autorise». L'article 1100 [du Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (mod. par DORS/78-377, art. 3; 83-340, art. 1; 91-673, art. 1)] prescrit les taux (pourcentages) qui, appliqués à la fraction non amortie du coût en capital--calculée à l'aide de la méthode de l'amortissement dégressif à taux constant--, permettent d'établir le montant qui peut être déduit chaque année.

[39]Les rouages du système de la déduction pour amortissement se sont complexifiés considérablement en 1976 lorsque ce mécanisme a été appliqué en fonction de catégories de biens. On comprend toutefois mieux le mécanisme lorsqu'un seul bien fait partie d'une catégorie donnée comme c'était le cas de l'ordinateur détenu par Klink.

[40]Le taux annuel d'amortissement prescrit par l'article 1100 sert en règle générale à suivre la perte de valeur qu'une immobilisation subit d'année en année (je précise «en règle générale» parce qu'il existe aussi des taux accélérés qui se veulent de toute évidence des mesures incitatives). Cependant, lorsqu'il ressort d'une vente conclue sans lien de dépendance que le bien immobilisé en cause a fait l'objet d'un amortissement trop élevé (en raison du fait qu'il a été aliéné à un prix excédant la fraction non amortie de son coût en capital) ou encore qu'il a fait l'objet d'un amortissement trop bas (parce qu'il a été aliéné à un prix inférieur à cette somme), la Loi prévoit la «récupération» de l'excédent de l'amortissement par son inclusion dans le revenu, dans le premier cas (paragraphe 13(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 6]), et, dans le second cas, par la déduction du montant d'amortissement qui est inférieur à la dépréciation réelle, en obligeant dans ce dernier cas le contribuable à déduire de son revenu ce qu'on appelle couramment une «perte finale» égale à ce montant (paragraphe 20(16)).

[41]Il ressort de ce qui précède que le mécanisme de la déduction pour amortissement vise à tenir compte sur une période de temps déterminée des dépenses qui ont été engagées pour acquérir des biens en immobilisation ayant réellement été utilisés pour gagner un revenu au sens des alinéas 18(1)a) et 18(1)b) et que les dispositions relatives à la «récupération» et aux «pertes finales» sont conçues de manière à rajuster les déductions totales ainsi reconnues lorsque des événements subséquents démontrent que le bien a fait l'objet d'un amortissement excessif ou insuffisant. En pratique, ce rajustement se produit--dans le cas d'une perte finale--en raison du fait que l'alinéa 20(16)a) exige que la fraction non amortie du coût en capital du bien d'une catégorie donnée soit déduite lorsque le contribuable ne détient plus aucun bien de cette catégorie à la clôture d'une année d'imposition donnée, auquel cas le montant en question est «réputé» avoir été déduit en vertu de l'alinéa 20(1)a) lors du calcul du revenu pour l'année (alinéa 20(16)d)).

[42]En l'espèce, il est acquis que la dépréciation de l'ordinateur qui est à l'origine de la perte finale déclarée par Klink est survenue alors que l'ordinateur n'était pas utilisé en vue de gagner un revenu au sens de la Loi, et donc ne constituait pas un «bien amortissable» (comparer avec l'arrêt Lea-Don Canada Limited c. Minister of National Revenue, [1971] R.C.S. 95, à la page 99 (le juge Hall)). L'ordinateur avait une valeur d'environ 7 000 $US lorsqu'il a commencé à être utilisé en vue de gagner un revenu au sens de la Loi. Il résulte pourtant d'une lecture combinée du paragraphe 20(16) et de l'alinéa 13(21)f) que, lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1991, Klink devait déduire de son revenu le coût intégral de l'ordinateur (moins la somme portée à son crédit par suite de l'apport qu'elle avait fait à ILP), comme si l'ordinateur avait servi depuis 1982 à gagner un revenu au sens de la Loi. Bien que ce résultat découle du texte non équivoque de l'alinéa 13(21)f) et du paragraphe 20(16), il va à l'encontre de l'économie des dispositions relatives à la déduction pour amortissement, qui limitent la déduction des dépenses en immobilisations à celles qui sont engagées en vue de gagner un revenu au sens de la Loi.

[43]Le principe général qui limite la déduction des dépenses à celles qui ont été engagées en vue de produire un «revenu» au sens de la Loi est énoncé à l'alinéa 18(1)a). Le revenu visé est le «revenu du contribuable pour l'année» (articles 3 et 9). L'alinéa 20(1)a) prévoit une exception à ce principe en ce que le contribuable peut--sans toutefois y être obligé-- réclamer la déduction en question dans l'année au cours de laquelle il peut s'en prévaloir. C'est une des raisons pour lesquelles l'alinéa 20(1)a) s'applique «nonobstant» les alinéas 18(1)a) et 18(1)b).

[44]Quoi qu'il en soit, les dispositions relatives à la récupération et aux pertes finales--respectivement, les paragraphes 13(1) et 20(16)--garantissent qu'en bout de ligne (c.-à-d. lorsqu'une catégorie déterminée est vidée de tout bien), c'est le coût réel du bien en immobilisation qui a servi à gagner un revenu au sens de la Loi qui est déduit en conformité avec la restriction générale formulée à l'alinéa 18(1)a). Il n'y a aucun doute que l'objet et l'esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l'argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi.

[45]En acquérant une participation dans Klink et en s'assurant que celle-ci continuait à exercer ses activités, les appelants ont, pour l'application des lois fiscales canadiennes, «importé» un coût en capital égal au coût historique de l'ordinateur (par le jeu combiné du paragraphe 96(1) et de l'alinéa 13(21)f)). Ils ont immédiatement pris des mesures pour tirer profit de ce coût en faisant apport à ILP de l'ordinateur avant la fin de l'année d'imposition 1991 de Klink, déclenchant ainsi une perte finale au sens du paragraphe 20(16). Ce faisant, ils ont exploité ce qui ne peut être considéré que comme une échappatoire évidente qui leur permettait de déduire des frais de plus de quatre millions de dollars relativement à un ordinateur qui avait une valeur approximative de 7 000 $US lorsque cet ordinateur est devenu pour la première fois un bien amortissable au sens de la Loi.

[46]L'avocat des appelants invoque le paragraphe 96(8) qui a par la suite été inséré dans la Loi [Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] pour soutenir que les opérations en cause ne contreviennent à aucune règle ou politique non écrite. Le paragraphe 96(8) a été ajouté à la Loi par L.C. 1994 ch. 21 [art. 44], avec effet rétroactif au 21 décembre 1992. L'alinéa 96(8)a) s'applique directement au cas qui nous occupe. Il fait explicitement échec au résultat que les appelants ont obtenu en l'espèce en déclarant que le coût d'acquisition des biens amortissables détenus par une société de personnes étrangère pour le résident canadien qui devient l'associé de cette société correspond au moins élevé de sa juste valeur marchande ou de son coût en capital calculé selon les règles habituelles.

[47]L'avocat des appelants affirme que l'insertion après coup du paragraphe 96(8) démontre de façon non équivoque que les opérations en litige n'allaient pas à l'encontre de l'objet et de l'esprit de la Loi au moment où elles ont été effectuées. Je crois plutôt que ces modifications démontrent que le législateur fédéral est intervenu aussi rapidement que possible pour supprimer l'échappatoire que les appelants avaient exploitée précisément en raison du fait que le résultat obtenu constituait une anomalie, compte tenu de l'objet et de l'esprit des dispositions applicables de la Loi.

[48]D'ailleurs, l'objet et l'esprit des dispositions applicables sont tellement limpides que je me suis demandé, lors de l'instruction du présent appel, si c'était à bon droit que le juge de la Cour de l'impôt avait conclu--et que le ministre avait concédé que, lorsqu'on l'interprétait en faisant abstraction de l'article 245, la Loi permettait à Klink de déduire la perte finale. Il existe un certain nombre de décisions dans lesquelles, dans un contexte qui offre certaines ressemblances avec la présente espèce, la Cour a donné au libellé de la Loi un sens distinct en raison de l'objet et de l'esprit de la Loi (voir les décisions Lea-Don, précitée, Allied Farm Equipment Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 263 (C.A.); Oceanspan Carriers Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 171 (C.A.); et Holiday Luggage Mfg. Co. c. Canada, [1987] 2 C.F. 249 (1re inst.)). Dans toutes ces décisions, la Cour a, en se fondant sur l'économie de la Loi ou sur son objet et son esprit, refusé d'étendre l'application de la Loi à des personnes qui n'étaient pas légalement assujetties à l'impôt.

[49]Il existe toutefois une différence significative entre ces décisions et la présente affaire en ce sens qu'en l'espèce, les dispositions pertinentes ne donnent lieu à aucune ambiguïté. La fraction non amortie du coût en capital de l'ordinateur pour Klink à la fin de son année d'imposition 1991 a été calculée en stricte conformité avec l'alinéa 13(21)f) et la perte finale que Klink a déclarée était le résultat inévitable de l'application du paragraphe 20(16). Face à une telle limpidité, la Cour serait malvenue, pour les raisons exposées par la Cour suprême dans plusieurs de ses arrêts récents, de tenter de modifier le libellé des dispositions applicables de manière à parvenir à un résultat qui soit conforme à l'objet et à l'esprit de ces dispositions (arrêts Walls, précité, paragraphe 22; Stewart, précité, paragraphe 65; Shell, précité, paragraphe 40; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au paragraphe 51; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pages 326, 327 et 330; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 11).

[50]Mais surtout, je serais incapable de forcer le sens de ces mots pour l'adapter à ce que j'estime être l'objet et l'esprit des dispositions applicables. Bien que, pour les motifs qui ont déjà été exposés, il est évident que les dispositions en question sont conçues de manière à s'appliquer à des biens utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi et qu'il serait anormal de permettre à un contribuable de déduire le coût d'un bien qui n'a pas servi à cette fin, il n'en demeure pas moins que le bien en litige a été utilisé pour gagner un revenu au sens de la Loi à partir de décembre 1991. L'ordinateur est à compter de cette date devenu un «bien amortissable» tant selon la lettre que l'esprit de la Loi, de telle sorte qu'un coût quelconque doit lui être attribué. Le seul coût que la Loi prévoit dans le cas présent est le prix initial ou intégral, et je ne crois pas que je pourrais, sans empiéter sur le rôle du législateur, considérer que la Loi renferme le type de modifications que le législateur a apportées à la Loi en 1994 lorsqu'il y a inséré le paragraphe 96(8) pour contrer un tel résultat. En fin de compte, bien qu'il soit facile de discerner l'objet et l'esprit des dispositions applicables, il m'est impossible de leur donner effet selon les règles habituelles.

[51]L'article 245 permet toutefois à la Cour d'intervenir lorsqu'elle a affaire à un abus dans l'application des dispositions de la Loi. Pour les motifs que j'ai déjà exposés, je suis d'avis que les appelants ont utilisé l'alinéa 13(21)f) et le paragraphe 20(16) de la Loi pour obtenir un résultat qui était à la fois anormal et imprévu lorsqu'on tient compte de la raison d'être de ces dispositions. Les appelants ont donc appliqué de façon abusive les dispositions en question et ils ont abusé de façon générale du système de déduction pour amortissement.

[52]Pour en arriver à cette conclusion, j'applique l'article 245 comme notre Cour l'a fait dans l'arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288 (autorisation d'appel refusé le 20 juin 2002, [2001] C.S.C.R. no 522). Mais je tiens à insister sur un aspect clé de cette décision où le juge Rothstein déclare ce qui suit, au paragraphe 69:

[. . .] pour refuser un avantage fiscal, alors que la Loi a été rigoureusement respectée, pour le motif que l'opération d'évitement constitue un abus, il faut que la politique générale pertinente soit claire et non ambiguë. La Cour fera preuve de prudence en se déchargeant de la tâche inhabituelle qui lui est imposée par le paragraphe 245(4). Elle doit être certaine que même si les mots utilisés par le Parlement autorisent l'opération d'évitement, la politique générale qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble est suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l'application de la disposition ou des dispositions par le contribuable constituerait un abus.

J'estime que ce critère préliminaire bien précis a été respecté en l'espèce.

[53]Finalement, aucun allégement ne peut être accordé aux appelants en vertu des paragraphes 245(2) et 245(5) en reconnaissant comme coût la juste valeur marchande de l'ordinateur au moment où il est devenu un «bien amortissable» au sens de la Loi, compte tenu du produit plus élevé qu'ils ont reçu en contrepartie de l'apport qu'ils en ont fait à ILP. C'est plutôt la récupération de l'amortissement qui pourrait être exigible.

[54]En conclusion, c'est à bon droit que le juge de la Cour de l'impôt a statué que les pertes déduites par les appelants n'étaient pas admissibles du fait de l'article 245.

[55]Je suis d'avis de rejeter l'appel avec un seul mémoire de dépens.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Annexe I

Annexe I--Dispositions légales pertinentes

3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année, déterminé selon les règles suivantes:

[. . .]

d) en calculant la fraction, si fraction il y a, du reste établi selon l'alinéa c), qui est en sus du total des sommes qui constituent chacune une perte subie par le contribuable pour l'année au titre d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise ou d'un bien;

[. . .]

et le reste, si reste il y a, ainsi obtenu selon l'alinéa e) constitue le revenu du contribuable pour l'année aux fins de la présente Partie.

[. . .]

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

[. . .]

13. [. . .]

(21) [. . .]

b) «bien amortissable» à un moment donné d'une année d'imposition, bien qu'un contribuable acquiert et pour lequel il obtient une déduction, en vertu des dispositions réglementaires prises en application de l'alinée 20(1)a), dans le calcul de son revenu pour cette année ou pour une année d'imposition antérieure ou pour lequel il aurait droit à une telle déduction si la présente loi en comportait pas le paragraphe (26) et s'il était propriétaire du bien à la fin de l'année.

[. . .]

f) «fraction non amortie du coût en capital» existant à une date donnée pour un contribuable, relativement à des biens amortissables d'une catégorie prescrite, signifie la fraction du total

(i) du coût en capital que le contribuable a supporté pour chaque bien amortissable de cette catégorie acquis avant cette date, et

[. . .]

qui est en sus du total

(iii) de l'amortissement total permis au contribuable relativement aux biens de cette catégorie avant cette date,

(iv) pour chaque disposition, avant cette date, de biens (autres qu'un avoir forestier) de cette catégorie appartenant au contribuable, de la moins élevée des sommes suivantes:

(A) le produit de disposition des biens moins tous débours ou dépenses dans la mesure où il les a faits ou engagés aux fins de la disposition, ou

(B) le coût en capital que ce contribuable a supporté pour les biens,

[. . .]

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;    

[. . .]

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:

a) la partie, si partie il y a, du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant, si montant il y a, du coût en capital des biens, supporté par le contribuable, que le règlement autorise;

[. . .]

(16) Nonobstant les alinéas 18(1)a), b) et h), lorsque, à la fin d'une année d'imposition,

a) le total des montants déterminés aux sous-alinéas 13(21)f)(i) à (ii.2) est supérieur au total des montants déterminés aux sous-alinéas 13(21)f)(iii) à (viii), au titre des biens amortissables d'une catégorie prescrite d'un contribuable, et

b) que ce dernier ne possède plus de biens de ladite catégorie,

dans le calcul de son revenu pour l'année

c) il doit déduire l'excédent déterminé en vertu de l'alinéa a), et

d) il ne doit déduire aucun montant pour l'année en vertu de l'alinéa (1)a) à l'égard des biens de ladite catégorie,

et, l'excédent déterminé en vertu de l'alinéa a) est réputé avoir été déduite en vertu de l'alinéa (1)a) dans le calcul du revenu, pour l'année, qu'il a tiré d'une entreprise ou d'un bien.

[. . .]

96. (1) Lorsqu'un contribuable est un associé d'une société, son revenu, le montant de sa perte autre qu'une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, s'il y en a, pour une année d'imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition, selon le cas, est calculé comme si:

a) la société était une personne distincte résidant au Canada;

b) l'année d'imposition de la société correspondait à son exercice financier;

[. . .]

f) le montant du revenu de la société, pour une année d'imposition, tiré d'une source quelconque ou de sources situées dans un endroit donné, constituait le revenu du contribuable tiré de cette source ou de sources situées dans cet endroit donné, selon le cas, pour l'année d'imposition du contribuable au cours de laquelle l'année d'imposition et la société se termine, jusqu'à concurrence de la part du contribuable, et

g) la perte du contribuable--à concurrence de la part dont il est tenu--résultant d'une source ou de sources situées dans un endroit donné, pour l'année d'imposition du contribuable au cours de laquelle l'année d'imposition de la société se termine, équivalait à l'excédent éventuel:

(i) de la perte de la société, pour une année d'imposition, résultant de cette source ou de ces sources,

sur:

(ii) dans le cas d'un associé déterminé (au sens de la définition d'«associé déterminé» figurant au paragraphe 248(1), mais sans tenir compte de l'alinéa b) de celle-ci) de la société dans l'année, le montant éventuellement déduit par la société en application de l'article 37 dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition provenant de cette source ou de ces sources,

(iii) dans les autres cas, zéro.

[. . .]

111. (1) Aux fins du calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes:

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 7 années d'imposition précédentes et des 3 années d'imposition qui suivent l'année;

[. . .]

245. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et au paragraphe 152(1.11).

«attribut fiscal» S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

«avantage fiscal» Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

«opération» Une convention, un mécanisme ou un événement sont assimilés à une opération.

(2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

(3) L'opération d'évitement s'entend:

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables-- l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables-- l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

[. . .]

(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble--abstraction faite du présent article-- n'est pas visée par le paragraphe (2).

(5) Sans restreindre la généralité du paragraphe (2), en vue de déterminer les attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement:

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

(6) Dans les 180 jours suivant la mise à la poste d'un avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire, envoyé à une personne, qui tient compte du paragraphe (2) en ce qui concerne une opération, ou d'un avis concernant un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) envoyé à une personne en ce qui concerne une opération, toute autre personne qu'une personne à laquelle un de ces avis a été envoyé a le droit de demander par écrit au ministre d'établir à son égard une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire en application du paragraphe (2) ou de déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne l'opération.     

(7) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d'un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) en tenant compte du présent.

(8) Sur réception d'une demande présentée par une personne conformément au paragraphe (6), le ministre doit, dès que possible, après avoir examiné la demande et malgré le paragraphe 152(4), établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ou déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11), en se fondant sur la demande. Toutefois, une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut être établie, ni un montant déterminé, en application du présent paragraphe que s'il est raisonnable de considérer qu'ils concernent l'opération visée au paragraphe (6).

[Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1]

96. [. . .]

(8) Pour l'application de la présente loi, lorsque, à un moment donné, une personne qui réside au Canada devient l'associé d'une société de personnes, ou une personne qui est l'associé d'une société de personnes commence à résider au Canada, alors qu'aucun associé de la société de personnes ne résidait au Canada immédiatement avant ce moment, les règles suivantes s'appliquent aux fins du calcul du revenu de la société de personnes pour les exercices se terminant après ce moment:

a) dans le cas où la société de personnes détenait, au moment donné ou avant, un bien amortissable d'une catégorie prescrite, sauf un bien canadien imposable:

(i) aucun montant n'est à inclure dans le calcul des montants que représentent les éléments A, C, D et F à I de la définition de «fraction non amortie du coût en capital» au paragraphe 13(21), relativement à l'acquisition ou à la disposition du bien, effectuée avant le moment donné,

(ii) si le bien appartient à la société de personnes au moment donné, il est réputé avoir été acquis par elle immédiatement après ce moment à un coût en capital égal au moins élevé de sa juste valeur marchande et de son coût en capital pour elle, déterminé par ailleurs;

b) dans le cas où la société de personnes est propriétaire d'un bien à porter à son inventaire, sauf l'inventaire d'une entreprise exploitée au Canada, ou d'une immobilisation non amortissable, sauf un bien canadien imposable, au moment donné, le coût du bien ou de l'immobilisation, pour la société de personnes, est réputé égal, immédiatement après ce moment, au moins élevé de sa juste valeur marchande et de son coût pour la société de personnes, déterminé par ailleurs;

c) toute perte subie relativement à la disposition d'un bien, sauf un bien à porter à l'inventaire d'une entreprise exploitée au Canada ou un bien canadien imposable, par la société de personnes avant le moment donné est réputée nulle;

d) dans le cas où le montant correspondant aux 4/3 du montant cumulatif des immobilisations admissibles au titre d'une entreprise que la société de personne exploite à l'étranger au moment donné excède le total de la juste valeur marchande de chaque immobilisation admissible au titre de l'entreprise à ce moment, la société de personnes est réputée avoir disposé, immédiatement après ce moment, d'une immobilisation admissible au titre de l'entreprise pour un produit égal à l'excédent et avoir reçu ce produit.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.