[2013] 3 R.C.F. 215
IMM-4752-10
2011 CF 1383
Rabiul Mohammed Ashraf, Mohammed Ali Ashraf, Rahima Ashraf, Ireen Akter (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Ashraf c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Mandamin—Toronto, 12 avril; Ottawa, 13 décembre 2011.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision au sujet d’une demande parrainée de résidence permanente au titre du regroupement familial, une ordonnance interdisant au défendeur de donner suite à des allégations d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires ou pour fraude, et une directive ordonnant au défendeur d’accorder la résidence permanente — Le demandeur parrainait des membres de sa famille bangladaise — L’agent des visas a rejeté la demande parce que la mère du demandeur était interdite de territoire pour motifs sanitaires, en raison d’une insuffisance rénale — La Section d’appel de l’immigration (SAI) a conclu que la décision de l’agent des visas n’était pas valide, et a accueilli l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire, en donnant à l’agent des visas la directive de reprendre la demande — Les examens médicaux ont révélé que le taux de créatinine de la mère était supérieur à ce qu’avait indiqué le médecin des demandeurs antérieurement — Le défendeur a demandé d’autres analyses médicales — Les demandeurs ont nié que le rapport médical initial était frauduleux, et ils ont contesté la pertinence des rapports médicaux — L’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente parce que les demandeurs n’avaient pas respecté les art. 16(1) et 16(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il s’agissait de savoir dans quelle mesure l’agent des visas était lié par la décision de la SAI — Il incombe à l’agent des visas d’apprécier les faits qui lui sont soumis et de décider si la décision de la SAI est applicable ou non — L’agent des visas n’était pas obligé de s’en tenir aux conclusions de fait que la SAI a tirées dans un premier temps — La SAI n’a pas substitué sa propre décision à la décision attaquée — L’agent des visas a le droit de prendre en compte le taux de créatinine plus élevé — Toutefois, on ne peut prendre en compte des faits nouveaux en faisant abstraction du contexte — L’agent des visas est tenu de suivre la décision de la SAI s’il accepte l’opinion du médecin des demandeurs, selon laquelle l’état de santé de la mère est stable — L’agent des visas est tenu d’envoyer une lettre d’équité aux demandeurs s’il accepte l’opinion du médecin désigné, selon laquelle l’état de santé de la mère se détériore — L’agent des visas ne s’est jamais prononcé sur la question en jeu — Les demandes d’ordonnance de mandamus et de prohibition sont rejetées.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire introduite par les demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision au sujet de leur demande parrainée de résidence permanente au titre du regroupement familial, une ordonnance interdisant au défendeur de donner suite à des allégations d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires ou de déclarations inexactes et frauduleuses, et une directive ordonnant au défendeur d’accorder la résidence permanente sans demander d’autres documents que des passeports valides.
Le demandeur, Rabiul Ashraf, a demandé de parrainer les membres de sa famille bangladaise. Un agent des visas a rejeté les demandes de résidence permanente parce que la mère du demandeur était interdite de territoire pour motifs sanitaires en raison d’une insuffisance rénale chronique et que son état de santé risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, au sens de l’alinéa 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). La Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a jugé que ni le médecin, ni l’agent des visas n’avaient procédé à une évaluation personnalisée des coûts médicaux reliés à l’état de santé de la mère du demandeur, si ce n’est qu’ils avaient tenu compte du coût de deux médicaments immunodépresseurs, et que le coût de ces médicaments ne représentait pas un fardeau excessif. La SAI a conclu que la décision de l’agent des visas n’était pas valide en droit, a fait droit à l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire (motifs CH), et a obligé l’agent des visas à reprendre le traitement de la demande, conformément aux motifs de la SAI. Toutefois, une erreur a été commise, à la suite de laquelle la Section des visas a demandé que tous les membres de la famille passent un examen médical. Le médecin désigné (MD) a indiqué que la mère du demandeur présentait un taux de créatinine supérieur à celui qu’avait indiqué le médecin des demandeurs. D’autres analyses médicales ont été demandées afin de clarifier la différence des taux de créatinine. Les demandeurs ont annoncé que la mère subirait un autre examen médical, mais ont nié que le premier rapport médical était frauduleux et ont contesté la pertinence des rapports médicaux, étant donné qu’il avait été fait droit à l’appel pour des motifs CH. L’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente parce que les demandeurs ne respectaient pas les conditions du paragraphe 16(1) et de l’alinéa 16(2)b) de la LIPR.
La question principale était de savoir dans quelle mesure l’agent des visas est lié par une décision de la SAI.
Jugement : les demandes d’ordonnance de mandamus et de prohibition doivent être rejetées.
Il incombe à l’agent des visas d’apprécier les faits qui lui sont soumis et de décider si la décision de la SAI est applicable ou non. La décision de la SAI n’obligeait pas l’agent des visas à s’en tenir aux conclusions de fait que la SAI a tirées dans un premier temps. Comme dans la décision Ayertey c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), la SAI n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de substituer sa propre décision à la décision attaquée, mais a plutôt renvoyé l’affaire à l’agent des visas pour qu’il reprenne la demande conformément aux motifs de la SAI. Le taux de créatinine plus élevé constituait un renseignement nouveau dont l’agent des visas pouvait tenir compte. Toutefois, on ne peut, sans risquer d’entamer un cycle sans fin de refus et d’appels qui ne peut que frustrer les demandeurs, prendre en compte des faits nouveaux en faisant abstraction du contexte. Suivant le dossier devant la SAI, l’état de santé de la mère du demandeur et ses besoins sur le plan médical étaient stables. Si l’agent des visas accepte l’opinion du médecin des demandeurs, selon laquelle l’état de santé de la mère est stable, alors l’agent des visas est tenu de suivre la décision de la SAI. Par contre, si l’agent des visas accepte l’opinion du MD, selon laquelle l’état de santé de la mère se détériore en raison d’une insuffisance rénale, il est alors tenu d’envoyer une lettre d’équité aux demandeurs. L’agent des visas ne s’est jamais prononcé sur la question en jeu; il a plutôt demandé un autre examen médical et a, par la suite, rejeté la demande de résidence permanente. Enfin, l’allégation de fraude a amené les parties à ignorer la question en jeu, à savoir si les différentes mesures de la créatinine constituaient un nouvel élément négatif touchant l’état de santé de la mère, ou une simple fluctuation due à un facteur temporaire.
La demande de mandamus est devenue dépourvue d’effets pratiques étant donné le rejet, par l’agent des visas, de la demande de résidence permanente, et elle a donc été rejetée. La demande de prohibition a également été rejetée, étant donné qu’il a été conclu que l’agent des visas avait le droit de prendre en compte des renseignements médicaux nouveaux. Aucune autre ordonnance n’a été rendue, étant donné que les demandeurs ont interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 77 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 16(1),(2), 38(1)c), 42a), 67(1),(2), 70, 72.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Ayertey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 599.
décisions examinées :
Ashraf c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 53855 (C.I.S.R.); Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 8, [2002] 3 C.F. 257.
décisions citées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Firouz-Abadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 835.
DEMANDE de contrôle judiciaire introduite par les demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision au sujet de leur demande parrainée de résidence permanente au titre du regroupement familial, une ordonnance interdisant au défendeur de donner suite à des allégations d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires ou de déclarations inexactes et frauduleuses, et une directive ordonnant au défendeur d’accorder la résidence permanente sans demander d’autres documents que des passeports valides. Demandes d’ordonnance de mandamus et de prohibition rejetées.
ONT COMPARU
Matthew Jeffery pour les demandeurs.
Margherita Braccio pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Matthew Jeffery, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement modifiés et du jugement rendus par
[1] Le juge Mandamin : La présente demande a été initialement introduite par les demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision au sujet de leur demande parrainée de résidence permanente au titre du regroupement familial. Les demandeurs sollicitaient également une ordonnance interdisant au défendeur de donner suite à des allégations d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires ou de déclarations inexactes et frauduleuses concernant l’état de santé de la demanderesse, Mme Rahima Ashraf. Enfin, les demandeurs demandaient à la Cour d’ordonner au défendeur d’accorder la résidence permanente sans demander d’autres documents que des passeports valides.
[2] La demande de résidence permanente des demandeurs n’a pas suivi le cours habituel de traitement des demandes. Il y a d’abord eu refus de leur accorder la résidence permanente pour des motifs sanitaires, suivi d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SAI) à l’égard duquel ils ont eu gain de cause, puis, contrairement à la pratique habituelle — de ne pas revenir sur les rapports médicaux après un jugement favorable de la SAI en appel d’une interdiction de territoire pour motifs sanitaires —, une autre demande de renseignements médicaux et, par la suite, une autre déclaration d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires après réception de nouveaux rapports médicaux, une allégation de déclaration inexacte frauduleuse en matière médicale, une troisième demande de renseignements médicaux à laquelle il n’a pas été donné suite, et pour terminer une décision rejetant la demande de résidence permanente parce que l’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs répondaient aux conditions à remplir en matière d’immigration. Tout cela s’est déroulé sur une période de huit ans.
[3] J’estime que la demande de contrôle judiciaire était fondée, mais pour les motifs exposés ci-dessous je suis d’avis de rejeter les demandes de prohibition et de mandamus.
Contexte
[4] M. Rabiul Mohammed Ashraf est un citoyen canadien qui a parrainé ses parents, M. Mohammed Ali Ashraf et Mme Rahima Ashraf, et sa jeune sœur, Mme Ireen Akter, pour qu’ils obtiennent la résidence permanente au titre du regroupement familial. Les trois demandeurs sont des citoyens bangladais.
[5] M. Rabiul Ashraf a demandé de parrainer ses parents et sa sœur en juillet 2002. Son parrainage a initialement été approuvé et les demandeurs (Ali Ashraf, Rahima Ashraf et Ireen Akter) ont présenté leur demande de résidence permanente le 25 avril 2003 auprès du Haut-commissariat du Canada à Singapour.
[6] Le 18 décembre 2006, l’agent des visas a rejeté les demandes de résidence permanente parce que la mère, Mme Rahima Ashraf, était interdite de territoire pour motifs sanitaires en raison d’une insuffisance rénale chronique. Elle avait subi, par le passé, une greffe de rein et l’agent des visas a conclu que son état de santé risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au sens de l’alinéa 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[7] M. Rabiul Ashraf, le répondant, a interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI. La SAI a fait droit à l’appel le 19 mai 2009 [2009 CanLII 53855].
[9] La SAI a examiné la question des motifs d’ordre humanitaire (motifs CH). Elle a pris en compte le fait que l’appelant avait démontré qu’il avait toujours subvenu aux besoins de ses parents, qu’il était disposé à continuer à le faire après leur arrivée au Canada et que cet élément était favorable à l’appelant. La SAI a constaté que les parents de l’appelant possédaient des biens au Bangladesh et qu’ils disposaient d’économies s’élevant à environ 90 000 $. La commissaire de la SAI a estimé qu’ils ne seraient pas un fardeau pour le public canadien.
[10] La SAI a également tenu compte du fait que l’appelant souhaitait que ses parents vivent au Canada pour que ses enfants ainsi que l’enfant de son frère grandissent avec leurs grands‑parents. La SAI a conclu que, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, il existait suffisamment de motifs CH pour justifier des mesures spéciales.
[11] En bout de ligne, la SAI a conclu que le refus, de la part de l’agent des visas, d’accorder la résidence permanente pour motifs sanitaires était mal fondé en droit. La SAI a fait droit à l’appel pour des motifs CH, après avoir pris en compte les frais supplémentaires devant être supportés pour les médicaments immunodépresseurs, les ressources de la famille, et l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision.
[12] La SAI a déclaré :
Il est fait droit à l’appel. La décision de l’agent de refuser de délivrer un visa de résident permanent est cassée, et l’agent doit reprendre le traitement de la demande conformément aux motifs de la Section d’appel de l’immigration.
[13] L’agent des visas qui travaillait au Haut-commissariat du Canada à Singapour a continué à traiter la demande de résidence permanente au titre du regroupement familial présentée par les demandeurs. Le 25 juin 2009, il a inscrit la mention suivante dans le STIDI [Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration] : [traduction] « Interdiction de territoire pour motifs sanitaires de la conjointe annulée par la SAI ». L’agent des visas a fourni un affidavit qui relate ce qui s’est passé au cours du traitement de la demande de résidence permanente. Il a déclaré ceci :
[traduction] Dans les cas où un appel devant la SAI visant une interdiction de territoire pour motifs sanitaires est accueilli, le Haut‑commissariat à Singapour a pour politique d’apposer un tampon, « appel accueilli », sur les rapports médicaux pour que la section médicale ne demande pas un suivi. Cependant, dans cette affaire, une erreur a été commise et le tampon n’a pas été apposé sur les rapports médicaux.
[14] Le 25 novembre 2009, la Section des visas de Singapour a demandé que tous les membres de la famille passent un examen médical.
[15] Le 25 janvier 2010, le médecin désigné (MD), le Dr Wahab, a procédé à l’examen médical des demandeurs. Le Dr Wahab a indiqué que Mme Ashraf présentait un taux de créatinine de 2,1 mg/dl. Il a noté qu’elle lui avait remis un rapport de son médecin, le Dr Khan, daté du 19 janvier 2010, qui indiquait que son taux de créatinine était de 1,2 mg/dl. La créatinine est une substance fabriquée par le corps dont la concentration est un indicateur de la fonction rénale.
[16] Le 4 février 2010, le médecin régional a envoyé au Dr Khan (par l’intermédiaire de l’agent des visas) une lettre dans laquelle il lui demandait d’expliquer la différence entre les taux de créatinine qu’il avait signalés le 19 janvier 2010 et ceux qui avaient été indiqués par le Dr Wahab le 25 janvier 2010.
[17] Le 9 février 2010, la section des visas a envoyé une lettre demandant d’autres analyses médicales conformément à la demande transmise par le médecin régional au MD, invitant le Dr Khan à préparer un rapport récent contenant des renseignements sur l’état clinique actuel de sa patiente ou sur toute autre analyse pertinente ainsi que des précisions sur la différence des taux de créatinine.
[18] Le 18 février 2010, le conseil des demandeurs a informé la section des visas du fait que Mme Ashraf subirait un autre examen médical, mais a rappelé à l’agent des visas l’existence de la décision de la SAI et a demandé que le traitement de la demande ne soit pas retardé en raison d’éléments reliés à l’état de santé de Mme Ashraf.
[19] Le 23 février 2010, l’agent des visas a fourni une copie de la décision de la SAI à la section médicale. On trouve l’inscription suivante dans le STIDI :
[traduction] Copie de la décision de la SAI concernant l’état de santé remise aujourd’hui à la section médicale pour éviter une autre demande de suivi concernant le problème de santé dont il a été fait état en appel.
Ce même jour, l’agent des visas a informé le conseil des demandeurs par courriel que la prochaine décision médicale ne serait pas retardée à cause du problème de santé dont il était fait état dans la décision d’appel.
[20] Le 2 mars 2010, l’agent des visas a été informé du fait que Mme Ashraf avait peut‑être reçu une demande de suivi médical provenant de la section médicale et, le cas échéant, qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de cet avis.
[21] Le 2 mars 2010 également, la section médicale a envoyé un rapport à l’agent des visas qui concluait que Mme Ashraf était interdite de territoire pour motifs sanitaires en raison d’une insuffisance rénale. Le rapport médical concluait que Mme Ashraf souffrait d’une insuffisance rénale chronique au stade 4. Suivant le pronostic relatif à l’insuffisance rénale, il était raisonnable de s’attendre à une détérioration progressive de la fonction rénale de la demanderesse [traduction] « déjà constatée » et que celle‑ci exigerait des évaluations et un suivi continu de la part de néphrologues et de spécialistes du diabète et de l’hypertension. Le rapport indiquait en outre que [traduction] « la détérioration progressive d’une fonction rénale déjà réduite exigera un accès à des hôpitaux spécialisés ainsi que des services de diagnostic et de traitement, y compris la prédialyse et la greffe rénale ».
[22] Le médecin se disait d’avis que l’état de santé de Mme Ashraf risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé et que les coûts des services requis excéderaient la moyenne par habitant au Canada des dépenses pour les services de santé sur une période de 5 à 10 ans; il a conclu que la demanderesse était par conséquent interdite de territoire pour motifs sanitaires aux termes de l’alinéa 38(1)c) de la LIPR.
[23] Le 4 mars 2010, la section médicale a envoyé un courriel à l’agent des visas dans lequel elle faisait à nouveau état de ses préoccupations au sujet de l’écart important existant entre les taux de créatinine relevés par le Dr Wahab (2,1 mg/dl) et le Dr Khan (1,2 mg/dl). Le courriel mentionne :
[traduction] Paul, comme nous en avons parlé au sujet du dossier Ashraf appel accueilli, il y a deux rapports médicaux écrits par le même médecin à près de trois ans d’intervalle. Je note que la lettre de janvier 2010 est moins détaillée, mais que ce qui s’y trouve EFFECTIVEMENT est presque identique au contenu de la lettre du 7 mars. Le fait que le médecin ait fait mention d’un taux de créatinine sérique de 1,2 alors qu’en fait le rapport récent que nous avions en main indiquait qu’il était de 2,1 a retenu l’attention du Dr Dobie et suscité un suivi avant que nous apprenions qu’il s’agissait d’un dossier ayant fait l’objet d’un appel favorable.
J’aurais pu penser qu’il y avait eu une simple interversion des chiffres inscrits dans le rapport n’eût été des faits suivants : 1) le rapport est pratiquement identique au rapport précédent; 2) un néphrologue ne dirait JAMAIS que le fonctionnement du greffon est normal s’il voyait un taux de 2,1.
[24] Le 12 avril 2010, l’agent des visas a demandé qu’une rencontre avec le Dr Khan soit organisée à son cabinet de Dhaka. Il a joint le rapport médical daté du 2 mars 2010 qui différait de son rapport daté du 19 janvier 2010 et demandait à la personne chargée de rencontrer le médecin pour lui demander des explications au sujet de cette [traduction] « grossière erreur ».
[25] Le 30 avril 2010, l’agent des visas a informé le conseil des demandeurs que la section faisait enquête sur une possibilité de falsification dans le dossier. Le 3 mai 2010, l’agent des visas a également informé le conseil des demandeurs qu’ils allaient examiner le rapport médical fourni par le Dr Khan au sujet de la greffe rénale qu’avait subie Mme Ashraf. Le conseil des demandeurs a répondu le 5 mai 2010 en mentionnant qu’en raison de la décision sur la demande CH, la question de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires ne se posait plus et en précisant que la SAI était au courant des problèmes médicaux de Mme Ashraf. Le conseil niait également qu’il y ait eu fraude.
[26] Le 26 mai 2010, un représentant de la section de l’immigration du haut‑commissariat du Canada à Dhaka a rencontré le Dr Khan. La personne chargée de le rencontrer sur place a rapporté que le Dr Khan avait déclaré que le taux de créatinine sérique était de 1,20 mg/dl et non gm/dl (corrigeant une erreur typographique figurant dans le rapport du 19 janvier 2010) et avait précisé que la dernière visite de Mme Ashraf remontait au 18 mai 2010. Il a fourni une copie papier du rapport de cette visite, dans lequel figurent les renseignements suivants : [traduction] « Augmentation du taux de créatinine. Toux. Vérification de la fonction rénale ». Le rapport contenait également une note manuscrite [traduction] « s’élève maintenant à 1,4 ». Le Dr Khan a fait remarquer que la patiente souffrait d’une infection qui expliquait le taux élevé de créatinine, qui s’élevait à 1,4 mg/dl le jour de sa visite. Les agents envoyés sur place ont également déclaré que le Dr Khan avait affirmé que la patiente aurait peut‑être besoin de se faire dialyser d’ici cinq ans.
[27] Le 1er juin 2010, l’agent des visas a donné suite au rapport qu’on lui avait fait parvenir concernant la rencontre au cabinet du Dr Khan. Il a envoyé au Dr Khan un courriel dans lequel il lui demandait des explications au sujet de l’écart entre le taux de créatinine de 1,2 mg/dl indiqué dans son rapport et celui de 2,1 mg/dl figurant dans le rapport du médecin désigné. Il se demandait également si le médecin avait raison de dire que Mme Ashraf aurait besoin de dialyse d’ici cinq ans.
[28] Le Dr Khan a répondu par courriel le 2 juin 2010 qu’il avait déclaré aux agents envoyés sur place qu’il était peu probable que Mme Ashraf ait besoin de dialyse d’ici cinq ans, à moins qu’elle n’ait vraiment pas de chance. Sa fonction rénale est stable depuis la greffe. Le Dr Khan a déclaré [traduction] « toutefois, il y a eu quelques variations dans sa fonction rénale, en particulier lorsqu’elle a eu une infection, les greffes du rein s’accompagnant souvent d’infections répétées. Des taux de créatinine sérique de 1,2 mg/dl et de 2,1 mg/dl ne représentent pas des écarts importants dans son cas ».
[29] Le 10 juin 2010, la section médicale a demandé au MD d’obtenir un rapport récent du Dr Khan et des analyses du sérum de Mme Ashraf.
[30] Le 16 juin 2010, le conseil des demandeurs a à nouveau nié que le rapport médical était frauduleux et a contesté la pertinence des rapports médicaux, étant donné qu’il avait été fait droit à l’appel pour des motifs CH malgré la question de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires.
[31] Le 25 juin 2010, l’agent des visas a envoyé au conseil des demandeurs un courriel l’informant qu’il serait absent jusqu’au début du mois d’août. Il voulait démontrer au conseil que ses préoccupations étaient fondées et il avait joint les notes qu’il avait inscrites dans le STIDI pour expliquer le raisonnement des autorités de l’immigration. Les notes se lisaient ainsi :
[traduction] Parlé du dossier avec le gest. op.
Écart important entre les taux de créatinine dans les analyses effectuées par le MD (2,1) et le néphrologue (1,2). Les résultats du MD semblent indiquer que l’état de santé de la patiente est beaucoup moins bon que ce que son médecin a déclaré. Des analyses ont été effectuées à moins d’une semaine d’intervalle. La visite sur les lieux a été effectuée par des représentants de Dhaka qui ont parlé au médecin. Il a déclaré que la patiente était venue une semaine auparavant (18 mai) et que son taux était à ce moment‑là de 1,4, mais que cela était dû à une infection. Il a également déclaré qu’elle aura peut‑être besoin de dialyse d’ici cinq ans. Parler au médecin agréé qui a déclaré que si son taux est de 1,2, ce qui est normal, pourquoi pense‑t‑il qu’elle aura besoin de dialyse d’ici cinq ans. J’ai demandé au médecin pourquoi il avait pensé cela et pourquoi il y avait un écart entre les résultats de ses analyses et ceux qui ont été fournis par le MD. Il a d’abord déclaré « qu’il est très peu probable qu’elle ait besoin de dialyse d’ici cinq ans, à moins qu’elle n’ait vraiment pas de chance. » Au sujet des différences relevées quant aux taux, il a dit qu’elles ne « représentent pas des écarts très importants dans son cas ». Le médecin agréé affirme que c’est une différence très importante et que cela veut dire qu’encore une fois ses reins ne fonctionnent pas adéquatement.
Il a été fait droit à l’appel en raison du fait que le fardeau que la patiente représenterait n’était pas vraiment excessif. De plus, la demande CH a été accueillie, mais la commissaire a déclaré ce qui suit : « En examinant les motifs d’ordre humanitaire, j’ai tenu compte du montant qui constitue prétendument un fardeau excessif. Comme l’a montré le conseil de l’appelante, ce montant est de 620 $ sur une période de cinq ans. À mon avis, il s’agit d’un montant minime, et je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire que les motifs d’ordre humanitaire soient importants pour compenser la question de l’interdiction de territoire. » Les analyses et les autres renseignements fournis par le Dr Khan ont été utilisés pour guider la décision. Il semble que les analyses auxquelles il a procédé soient maintenant mises en doute. Étant donné que la décision de la SAI était fondée sur ses analyses et le traitement prodigué à sa patiente, et que c’est notamment en raison du fait qu’il a donné à penser que les taux relevés ne dépassaient guère le seuil de l’échelle Expanded Disability Status Scale que la demande CH a été accueillie, le gest. op. et l’AV estiment qu’il y a des raisons de reprendre le suivi médical, qui a été abandonné. La section médicale prépare à l’heure actuelle une lettre de suivi qui sera transmise à l’intéressée par l’intermédiaire de son représentant.
L’agent des visas concluait en disant qu’il espérait que ses notes aideraient à comprendre le raisonnement suivi et les raisons pour lesquelles Mme Ashraf devait fournir d’autres renseignements médicaux.
[32] Le 24 juillet 2010, le Dr Khan a remis un rapport « à qui de droit » au sujet de la rencontre ayant eu lieu à son cabinet. Il y indique qu’il a dans un premier temps fait corriger une erreur d’impression dans le rapport de 2007 qui aurait dû indiquer que le taux de créatinine de Mme Ashraf était de 1,2 mg/dl et non pas de 1,2 g/dl. Ensuite, il précise que les écarts entre les taux figurant dans le rapport du 19 janvier 2010 (un taux de créatinine de 1,20 mg/dl) et celui du 26 janvier 2010 (un taux de créatinine de 2,1 mg/dl) sont dus à une infection pulmonaire, et qu’il n’est pas rare que les taux de créatinine d’un patient ayant subi une greffe présentent des fluctuations en raison d’une infection. Il ajoute que la fonction rénale de Mme Ashraf est stable depuis la greffe effectuée en février 2006. Il indique en outre que par le passé elle a à plusieurs reprises présenté des fluctuations semblables. Il a rapporté qu’elle affichait un taux de 1,4 ml/dl en mai 2010. Il a déclaré aux agents ayant procédé à la vérification sur place qu’il ne pensait pas que Mme Ashraf avait un trouble rénal grave et qu’il était peu probable qu’elle ait besoin de dialyse d’ici cinq ans.
[33] Le Dr Khan a conclu en disant que Mme Ashraf était venue le voir ce jour‑là, soit le 24 juillet 2010, et qu’il avait évalué sa fonction rénale en faisant effectuer les analyses par deux laboratoires. Les taux de créatinine sérique relevés étaient de 1,36 mg/dl (Apollo Hospitals) et de 1,4 gm/dl (Square Hospitals Ltd.). Des copies des résultats des analyses effectuées par les deux laboratoires étaient jointes au rapport.
[34] Le 8 novembre 2010, on a demandé à la demanderesse de passer un autre examen médical. Mme Ashraf n’a pas donné suite à cette demande.
[35] Le 24 janvier 2011, l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente parce que les demandeurs ne respectaient pas les conditions des paragraphes 16(1) et de (2) de la LIPR qui se lisent :
16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. |
Obligation du demandeur |
(2) S’agissant de l’étranger, […] il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale. |
Éléments de preuve |
Historique de la procédure
[36] Les demandeurs ont déposé le 16 août 2010 la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR.
[37] Deux jours plus tard, le 18 août 2010, les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir une injonction pour empêcher le défendeur de refuser la demande pour des motifs sanitaires ou en raison de fausses déclarations jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande de mandamus. Cette demande d’injonction a été rejetée le 3 septembre 2010.
[38] Le 13 janvier 2011, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs, consistant en une demande de mandamus, de prohibition et de directives, a été accordée par le juge Kelen.
[39] Le 14 février 2011, les demandeurs ont déposé un appel en matière de parrainage devant la SAI concernant le rejet, le 24 janvier 2011, par l’agent des visas de la demande parrainée de résidence permanente au titre du regroupement familial.
[40] Le défendeur a par la suite présenté une requête en vue de faire rejeter la demande de mandamus, comme étant sans portée pratique. Cette requête a été rejetée par la Cour.
La décision attaquée
[41] Les demandeurs demandaient que soit prise une décision au sujet de leur demande de résidence permanente au titre du regroupement familial. Au moment où ils ont déposé leur demande, la question de savoir si l’agent des visas pouvait demander un suivi médical concernant l’état de santé de Mme Ashraf, compte tenu de la décision qu’avait rendue la SAI en appel, avait été soulevée. Malgré les objections des demandeurs, l’agent des visas a demandé que Mme Ashraf fasse l’objet d’un suivi médical; cette dernière n’a pas donné suite à cette demande.
[42] Habituellement, il ne subsiste pas de question à trancher lorsque la décision sollicitée est prise avant que la demande de mandamus soit entendue. Cependant, en l’espèce, la décision de l’agent des visas repose sur un point litigieux, à savoir la validité de la demande de suivi médical compte tenu de la décision de la SAI.
[43] Suivant le paragraphe 72(1), le recours en contrôle judiciaire de la LIPR est un recours très large. Le demandeur peut demander le contrôle judiciaire « de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire », mais la demande ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées.
[44] Malgré qu’une décision ait été prise et que les demandeurs aient interjeté appel devant la SAI, j’estime qu’il demeure entre les demandeurs et le défendeur des questions non réglées que la Cour doit examiner.
Dispositions légales
[45] Les alinéas 38(1)c), 42a), et les paragraphes 67(1), (2) et 70(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés énoncent ce qui suit :
16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. |
Obligation du demandeur |
(2) S’agissant de l’étranger, […] et la dactyloscopie et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale. |
Éléments de preuve |
[…] |
|
38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. |
Motifs sanitaires |
[…] |
|
42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants : a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas; |
Inadmissibilité familiale |
[…] |
|
67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé : a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait; b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. |
Fondement de l’appel |
(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente. |
Effet |
[…] |
|
70. (1) L’agent est lié, lors du contrôle visant le résident permanent ou l’étranger, par la décision faisant droit à l’appel. |
Effet de la décision |
[…] |
|
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation. |
Demande d’autorisation |
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation : a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées; |
Application |
[46] Les demandeurs formulent les questions en litige de la façon suivante :
1. L’agent des visas a‑t‑il le pouvoir d’examiner à nouveau la question de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, compte tenu de la décision de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle il n’y avait pas d’interdiction de territoire et qui de plus fait droit à l’appel pour des motifs CH?
2. Les préoccupations de l’agent des visas au sujet des taux de créatinine de la demanderesse sont‑elles déraisonnables?
[47] Le défendeur ne souscrit pas à cette formulation; pour lui le débat tourne autour du point suivant :
1. Le défendeur n’a pas agi de façon illégale et n’a pas retardé de façon déraisonnable le traitement de la demande de résidence permanente des demandeurs.
[48] Je formulerais les questions en litige de la façon suivante :
1. Dans quelle mesure l’agent des visas est‑il lié par la décision de la SAI?
2. L’agent des visas a‑t‑il le droit de faire enquête sur une déclaration inexacte frauduleuse concernant des renseignements médicaux relevés après la décision de la SAI?
3. L’agent des visas est‑il autorisé à demander un suivi médical en se fondant sur de nouveaux renseignements obtenus ultérieurement?
La norme de contrôle
[49] La Cour suprême du Canada a établi qu’il n’existe que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte pour les questions de droit et celle de la raisonnabilité pour les questions mixtes de fait et de droit ainsi que les questions de fait : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 50 et 53. La cour de révision peut suivre la jurisprudence qui a déterminé la norme de contrôle applicable à une catégorie de questions en particulier : Dunsmuir, au paragraphe 62.
[50] La décision d’un agent des visas dans la mesure où elle concerne l’obligation de suivre la décision de la SAI appelle l’application de la norme de la décision correcte puisqu’elle touche l’interprétation du paragraphe 70(1) de la LIPR. Par contre, la décision d’un agent des visas sur une question d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de la raisonnabilité : Firouz‑Abadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 835, au paragraphe 10.
Analyse
[51] Les demandeurs soutiennent que l’agent des visas n’avait pas le pouvoir de rejeter la demande parce qu’il était lié par la décision de la SAI en raison de l’article 70 de la LIPR. L’article 70 énonce que l’agent est lié, lors du contrôle visant le résident permanent ou l’étranger, par la décision faisant droit à l’appel.
[52] Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 70(1) de la LIPR reflète l’intention du législateur d’assurer le caractère définitif des appels, que l’agent des visas était lié par la décision de la SAI faisant droit à l’appel et qu’il ne pouvait modifier la décision d’appel.
[53] Le défendeur soutient qu’il est toujours loisible à l’agent des visas d’examiner des faits nouveaux importants qui n’ont pas été présentés à la SAI lorsqu’elle a rendu sa décision en appel. La décision de la SAI n’interdit pas un refus lorsque celui‑ci est fondé sur de nouveaux renseignements pertinents, même si le fondement légal du refus demeure le même.
[54] Le défendeur cite l’arrêt Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 8, [2002] 3 C.F. 257, dans lequel l’appelant s’était vu refuser une première fois la résidence permanente en 1995 par un agent des visas au motif qu’il était interdit de territoire au Canada en raison de ses condamnations pénales. La SAI a jugé que le refus était valide, mais qu’il y avait lieu de prendre des mesures spéciales pour des motifs CH, notamment en raison du fait qu’il s’agissait de condamnations anciennes. Lorsque l’affaire a été renvoyée à un deuxième agent des visas, celui‑ci a découvert l’existence d’autres condamnations au criminel prononcées au cours des années antérieures qui n’avaient pas été divulguées à la SAI. Le deuxième agent des visas a donc refusé la demande de l’appelant pour cause d’interdiction de territoire pour criminalité. L’appelant a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision au motif que le deuxième agent des visas ne pouvait refuser l’admission en raison d’une exigence dont la SAI avait déjà tenu compte. La Cour d’appel fédérale a examiné l’article 77 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15] de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (la version antérieure de l’article 70 de la LIPR), et a jugé que l’agent des visas avait la possibilité de tenir compte de faits nouveaux importants qui n’avaient pas été soumis à la SAI pour statuer sur une demande. La Cour d’appel fédérale a déclaré (aux paragraphes 15 et 16) :
En vertu du paragraphe 77(5), l’agent des visas doit décider si le répondant et la personne parrainée satisfont aux exigences de la Loi. C’est une enquête juridique et factuelle à la fois. Lorsque la SAI a conclu qu’une personne ne satisfait pas aux exigences de la Loi selon les faits portés à sa connaissance, mais qu’elle accorde néanmoins une mesure d’ordre humanitaire, un agent des visas ne peut pas, en vertu du paragraphe 77(5), refuser cette mesure à cette personne en se fondant sur les mêmes faits. Les mots « ces exigences » décrivant les exigences dont il est interdit à l’agent des visas de tenir compte doivent avoir le même sens que les mots précédant immédiatement « satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements ». L’agent des visas ne peut pas tenir compte des mêmes faits dont la SAI a tenu compte et en venir à une décision différente de celle de la SAI. Comme le signale l’appelant, l’agent des visas, selon le paragraphe 77(5), ne siège pas en appel ou en révision de la décision de la SAI. C’est la raison pour laquelle ont été utilisés les mots « autres que celles sur lesquelles la section d’appel a rendu sa décision ».
Cependant, la mesure accordée par la SAI se fonde sur les faits présentés à cette dernière. Lorsque des faits nouveaux sont portés à l’attention de l’agent des visas, celui‑ci doit tenir compte de la question de savoir si le répondant et la personne parrainée satisfont aux exigences de la Loi, étant donné ces faits nouveaux. Naturellement, les faits doivent être nouveaux en ce sens qu’ils ont pris naissance après l’audience de la SAI ou, comme en l’espèce, étaient connus de la personne parrainée, mais avaient été cachés à la SAI et ont été découverts par la suite. De plus, les faits nouveaux dont l’agent des visas tient compte doivent être pertinents. Un agent des visas ne peut pas sauter sur des faits non pertinents. Agir ainsi, cela voudrait dire, en effet, que l’agent des visas examinait si la personne satisfaisait aux exigences de la Loi sur pratiquement les mêmes faits pertinents dont la SAI a tenu compte. [Non souligné dans l’original.]
[55] Le défendeur cite également la décision récente Ayertey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 599. Dans cette affaire, la demande de parrainage du fils de 22 ans de la demanderesse, qui était étudiant, a été rejetée parce que la demanderesse était bénéficiaire d’assistance sociale. La SAI a fait droit à l’appel pour des motifs CH et a renvoyé le dossier à l’agent des visas avec les directives aussi données en l’espèce, à savoir « reprendre la demande conformément aux motifs de la SAI ». Pendant l’entrevue avec un deuxième agent des visas, le fils a admis qu’il n’était pas étudiant à temps plein. La demande de parrainage a donc été rejetée parce que l’agent des visas n’a pas estimé que le fils était visé par la définition d’enfant à charge.
[56] La question en litige devant la Cour fédérale dans l’affaire Ayertey était de savoir si le deuxième agent des visas était tenu d’accepter que le fils étudiait à temps plein. La Cour fédérale a constaté que la SAI n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de substituer sa propre décision à la décision attaquée, mais avait plutôt renvoyé l’affaire à un agent des visas avec les directives prévues à l’article 70. La Cour a fait remarquer ce qui suit : « Si la SAI voulait, dans sa décision de 2006, que le seul point à examiner dans l’évaluation subséquente effectuée par un autre agent des visas était les “mesures spéciales”, elle aurait substitué la décision de l’agent par une autre qui, à son avis, aurait dû être rendue — tel que prévu au paragraphe 67(2) de la LIPR » : Ayertey, au paragraphe 12. La Cour a conclu que la première décision de la SAI n’obligeait pas le second agent des visas à accepter les conclusions auxquelles était auparavant arrivé le premier agent.
[57] Je souscris à l’argument du défendeur. Tout comme dans la décision Ayertey, en l’espèce la SAI a précisé en terminant que « l’agent doit reprendre le traitement de la demande conformément aux motifs de la Section d’appel de l’immigration ». Je conclus que la décision de la SAI n’obligeait pas l’agent des visas à s’en tenir aux conclusions de fait que la SAI a tirées dans un premier temps.
L’allégation de fraude
[58] Les demandeurs soutiennent également que la décision de l’agent des visas était déraisonnable. Les demandeurs soulignent que l’agent des visas a affirmé qu’il y avait une enquête sur une allégation de fraude. Or, aucune preuve n’a été recueillie à cet effet.
[59] L’allégation de fraude découle des différences relevées dans les deux rapports concernant le taux de créatinine que présentait Mme Ashraf, rédigés en janvier 2010 par les Drs Khan et Wahab. Ces allégations semblent découler du courriel envoyé par la section médicale le 4 mars 2010, dans lequel l’auteur conteste vivement les rapports du Dr Khan, dont je reprends à nouveau le contenu :
[traduction] Paul, comme nous en avons parlé au sujet du dossier Ashraf appel accueilli, il y a deux rapports médicaux écrits par le même médecin à près de trois ans d’intervalle. Je note que la lettre de janvier 2010 est moins détaillée, mais que ce qui s’y trouve EFFECTIVEMENT est presque identique au contenu de la lettre du 7 mars. Le fait que le médecin ait fait mention d’un taux de créatinine sérique de 1,2 alors qu’en fait le rapport récent que nous avions en main indiquait qu’il était de 2,1 a retenu l’attention du Dr Dobie et suscité un suivi avant que nous apprenions qu’il s’agissait d’un dossier ayant fait l’objet d’un appel favorable.
J’aurais pu penser qu’il y avait eu une simple interversion des chiffres inscrits dans le rapport n’eût été des faits suivants : 1) le rapport est pratiquement identique au rapport précédent; 2) un néphrologue ne dirait JAMAIS que le fonctionnement du greffon est normal s’il voyait un taux de 2,1.
[60] En premier lieu, il me faut souligner qu’il ne s’agit pas d’un rapport médical. De plus, ce document n’est pas bien étayé. Les deux rapports du Dr Khan de 2007 et de 2010 sont semblables, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu des formulaires utilisés, mais ils ne sont pas « presque identiques ». Le courriel fait référence à l’appel devant la SAI, aspect qui ne fait pas partie de l’examen médical. Enfin, on y émet avec force un avis fondé sur une conjecture à savoir qu’« un néphrologue ne dirait JAMAIS que le fonctionnement du greffon est normal s’il voyait un taux de 2,1 ».
[61] À la suite du courriel, l’agent des visas a ordonné une vérification sur place, a informé le conseil des demandeurs qu’il y avait une enquête sur une fraude possible et demandé que Mme Ashraf fasse l’objet d’un suivi médical. Cependant, à l’audience, le défendeur a nié que les mesures avaient été prises sur le fondement d’une allégation de fraude médicale. Il n’y a pas non plus eu d’autre enquête à la suite de la réception de la réponse envoyée par le Dr Khan par courriel, qui faisait suite à la vérification effectuée sur place le 2 juin 2010. L’agent des visas a toutefois indirectement utilisé cette allégation pour remettre en question devant la SAI la fiabilité des résultats d’analyse fournis par le Dr Khan.
[62] À mon avis, l’allégation de fraude a inutilement compliqué le traitement de la demande de résidence permanente des demandeurs et a amené les parties à ignorer la question en jeu, à savoir le rapport du médecin agréé du 2 mars 2010 qui concluait que le taux de créatinine de 2,1 mg/dl indiquait que les reins de Mme Ashraf fonctionnaient mal et qu’elle était en conséquence interdite de territoire pour motifs sanitaires. J’ai examiné avec soin le dossier certifié du tribunal et je n’ai pas trouvé d’élément indiquant que cette conclusion ait été communiquée aux demandeurs au moyen d’une lettre d’équité.
[63] Par conséquent, la question de savoir si les différentes mesures de la créatinine constituaient un nouvel élément négatif touchant l’état de santé de Mme Ashraf ou une simple fluctuation due à un facteur temporaire comme un problème respiratoire n’a jamais été tranchée.
Nouveaux renseignements
[64] J’ai conclu que l’agent des visas n’est pas tenu de se limiter aux conclusions de fait tirées par la SAI. En vue de déterminer si l’agent des visas a le droit de prendre en compte le taux de créatinine de 2,1 mg/dl relevé lors de l’analyse effectuée en janvier par le MD, je note tout d’abord que la demande d’examen médical découle d’une erreur commise par les fonctionnaires des visas qui n’ont pas mentionné au dossier la décision de la SAI. Je note également que les demandeurs ont consenti, par l’intermédiaire de leur conseil, à ce qu’il soit procédé à un examen médical tout en mentionnant l’existence de la décision d’appel prononcée par la SAI.
[65] J’estime que le taux de 2,1 est un renseignement nouveau dont l’agent des visas pouvait tenir compte. Toutefois, on ne peut, sans risquer d’entamer un cycle sans fin de refus et d’appels qui ne peut que frustrer les demandeurs, prendre en compte des faits nouveaux en faisant abstraction du contexte.
[66] L’agent des visas a fait enquête en faisant procéder à une vérification sur place et en effectuant un suivi par courriel. Dans les deux cas, le Dr Khan a fourni des explications. Le 24 juillet 2010, le Dr Khan a également communiqué un rapport adressé « à qui de droit ». Il avait évalué, ce jour‑là, la fonction rénale de Mme Ashraf en utilisant deux laboratoires différents. Il a constaté que les taux de créatinine sérique relevés étaient de 1,36 mg/dl (Apollo Hospitals) et de 1,4 gm/dl (Square Hospitals Ltd.). Des copies des résultats des analyses étaient jointes à son rapport. Il ne semble pas que le rapport du Dr Khan ait jamais été communiqué à l’agent des visas.
[67] Suivant le dossier devant la SAI, l’état de santé de Mme Ashraf et ses besoins sur le plan médical étaient stables. Si l’agent des visas accepte l’opinion du Dr Khan selon laquelle l’état de santé de Mme Ashraf est stable, alors je pense qu’il est tenu de suivre la décision de la SAI. Par contre, si l’agent des visas accepte l’opinion de la section médicale selon laquelle l’état de santé de Mme Ashraf se détériore en raison d’une insuffisance rénale, il est tenu d’envoyer une lettre d’équité aux demandeurs.
[68] Je conclus que l’agent des visas ne s’est jamais prononcé sur la question en jeu. Il a plutôt demandé un autre examen médical et a, par la suite, rejeté la demande de résidence permanente au motif que les demandeurs n’avaient pas respecté les paragraphes 16(1) et (2) de la LIPR.
Conclusion
[69] J’estime que la demande de mandamus est dépourvue d’effets pratiques en raison des événements qui se sont produits dans le dossier, le point culminant étant le rejet par l’agent des visas de la demande de résidence permanente. La demande de mandamus est donc rejetée.
[70] Je rejette la demande de prohibition étant donné que j’ai conclu que l’agent des visas a le droit de prendre en compte des renseignements médicaux nouveaux. Il incombe à l’agent des visas d’apprécier les faits qui lui sont soumis et de décider si la décision de la SAI est applicable ou non.
[71] Je m’abstiens de rendre toute autre ordonnance étant donné que les demandeurs ont interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI. L’article 72 autorise le contrôle judiciaire de toute mesure, pourvu que les voies d’appel soient épuisées.
[72] Enfin, la présente affaire découle des actes et omission du défendeur en ce qu’il n’a pas correctement et en temps utile consigné dans le dossier la décision de la SAI, il a formulé une allégation de fraude qu’il a abandonnée par la suite, et il a omis d’agir lorsque, compte tenu des faits et des renseignements dont il disposait, la situation s’y prêtait. Il en est résulté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (les demandes de mandamus et de prohibition), une requête en injonction et une requête en rejet de la demande pour absence d’effet pratique.
[73] Les demandeurs sollicitent des dépens pour un montant de 20 000 $. Dans les circonstances de la présente demande, j’attribuerais aux demandeurs des dépens de 4 000 $.
[74] Les demandeurs souhaitaient proposer la certification d’une question de portée générale. Le défendeur s’est opposé à cette demande parce que les questions en jeu en l’espèce sont de nature factuelle. J’estime que les circonstances de la présente affaire ne soulèvent pas de question de portée générale.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
1. La demande de mandamus est rejetée;
2. La demande de prohibition est rejetée;
3. Aucune autre ordonnance n’est rendue;
4. Les demandeurs ont droit à des dépens de 4 000 $;
5. Aucune question de portée générale n’est certifiée.