T-2395-00
2002 CFPI 645
Louis Quigley (demandeur)
c.
Canada (Chambre des communes), Canada (Bureau de régie interne) et Canada (Procureur général) (défendeurs)
et
La Commissaire aux langues officielles du Canada (intervenante)
Répertorié: Quigley c. Canada (Chambre des communes) (1re inst.)
Section de première instance, juge O'Keefe--Halifax, 5 décembre 2001; Ottawa, 5 juin 2002.
Langues officielles -- La Chambre des communes offre actuellement la télédiffusion des débats et travaux parlementaires en transmettant des signaux à la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC), qui les transmet ensuite à des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) afin qu'ils soient distribués au public -- La Chambre des communes a contrevenu aux obligations linguistiques que lui impose l'art. 25 de la Loi sur les langues officielles en ne veillant pas à ce que ses débats et travaux soient offerts dans les deux langues officielles dans ses ententes avec CPAC puisque celle-ci ne s'est pas engagée, dans ces ententes, à faire en sorte que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles.
Droit constitutionnel -- Principes fondamentaux -- Privilège de la Chambre des communes concernant le contrôle de la publication de ses débats et travaux -- La Chambre des communes offre actuellement la télédiffusion des débats et travaux parlementaires en transmettant des signaux à la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC), qui les transmet ensuite à des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) afin qu'ils soient distribués au public -- La Chambre a contrevenu aux obligations linguistiques que lui impose l'art. 25 de la Loi sur les langues officielles en ne veillant pas à ce que ses débats et travaux soient offerts dans les deux langues officielles dans ses ententes avec CPAC puisque celle-ci ne s'est pas engagée, dans ces ententes, à faire en sorte que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles -- Le privilège de la Chambre concernant la publication des débats n'est pas en cause ici.
Compétence de la Cour fédérale -- Section de première instance -- La Chambre des communes offre actuellement la télédiffusion des débats et travaux parlementaires en transmettant des signaux à la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC), qui les transmet ensuite à des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) afin qu'ils soient distribués au public -- La Chambre a contrevenu aux obligations linguistiques que lui impose l'art. 25 de la Loi sur les langues officielles en ne veillant pas à ce que ses débats et travaux soient offerts dans les deux langues officielles dans ses ententes avec CPAC puisque celle-ci ne s'est pas engagée, dans ces ententes, à faire en sorte que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles -- Le privilège de la Chambre concernant la publication des débats n'est pas en cause ici -- La Cour a compétence pour appliquer la Loi sur les langues officielles.
En 1992, le Bureau de régie interne de la Chambre des communes (le Bureau) a accepté que la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC) assume les coûts de diffusion des débats et travaux de la Chambre. L'entente prévoyait notamment que la Chambre produirait et transmettrait à CPAC ses débats et travaux et ceux de certains comités dans les deux langues officielles; qu'elle transmettrait à CPAC en direct un signal de télévision et trois signaux de programmation audio: (i) un signal audio dans la langue parlée à ce moment-là (son original), (ii) un signal audio en anglais seulement et (iii) un signal audio en français seulement; et que CPAC distribuerait partout au Canada ces quatre signaux à l'ensemble des entreprises de câblodistribution. CPAC fait partie de bon nombre de forfaits offerts partout au Canada par diverses EDR, dont des entreprises de câblodistribution. Aucune entente n'a été conclue entre la Chambre et les EDR, et celles-ci peuvent choisir comme bon leur semble les signaux audio qu'elles transmettent. Selon certaines données, une technologie récente permettrait à une chaîne de télévision de transmettre un signal vidéo et deux signaux audio en même temps.
La Rogers Cable Company de Moncton (Nouveau- Brunswick) fournissait au demandeur l'accès aux présentations télévisées de CPAC en son original seulement. Incapable de comprendre les parties présentées en français, le demandeur a déposé une plainte à ce sujet auprès de la commissaire aux langues officielles du Canada. Dans son rapport, cette dernière a conclu que, même si le système mis en place par la Chambre pour la production de ses débats respecte intégralement les prescriptions de la Loi sur les langues officielles, la Chambre n'a pas veillé à ce que ces prescriptions soient respectées également en ce qui concerne le système de diffusion; que la Chambre ne pouvait pas échapper à ses obligations linguistiques en concluant, comme elle l'a fait en l'espèce avec CPAC, un contrat qui avait pour effet de séparer la production et la diffusion initiale des débats de la Chambre de la présentation ultime des signaux au public; et, enfin, que la Chambre ne respectait pas pleinement ses obligations linguistiques prévues à la partie I de la Loi. Elle a aussi conclu que la décision de la Chambre de procéder à la retransmission télévisée de ses débats et travaux a eu pour effet de l'assujettir aux obligations linguistiques prévues à l'article 22 de la Loi; que CPAC agissait pour le compte de la Chambre au sens de l'article 25 de la Loi; que la Chambre devait s'assurer que CPAC prenait les mesures nécessaires pour garantir la prestation efficace des services en question, soit la présentation télévisée des débats et travaux, aux membres du public dans la langue officielle de leur choix; et que la Chambre ne s'était pas assurée que ses débats seraient présentés dans les deux langues officielles à tous les abonnés du câble du Canada, contrevenant de ce fait aux articles 22 et 25 de la Loi ainsi qu'à l'esprit de la Loi.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une déclaration portant que la méthode utilisée actuellement par la Chambre des communes pour assurer la télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires va à l'encontre de la partie I, des articles 22 et 25 et de l'esprit de la Loi sur les langues officielles, ainsi qu'une ordonnance enjoignant à la Chambre des communes de se conformer à la partie I, aux articles 22 et 25 et à l'esprit de la Loi relativement à la prestation des services de télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires.
Il faut déterminer si la Cour a compétence pour appliquer la Loi à la Chambre ou si la Chambre peut invoquer son privilège constitutionnel inhérent concernant la publication de ses travaux; si la Chambre a manqué aux obligations linguistiques que lui impose la Loi; et quelle est la réparation convenable en l'espèce?
Jugement: Une déclaration portant que la méthode utilisée actuellement par les défendeurs pour assurer la télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires va à l'encontre de l'article 25 de la Loi est prononcée. Les défendeurs ont un an pour prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cette disposition.
Bien qu'il existe un privilège concernant le contrôle de la publication des débats et travaux de la Chambre, ce privilège n'est pas en cause en l'espèce. Comme la Chambre a fourni dans le passé et continue de fournir à CPAC les trois signaux audio -- le son original, le signal en français seulement et le signal en anglais seulement --, la question du privilège parlementaire concernant le contrôle de la publication des débats n'est pas en cause en l'espèce. CPAC offre les trois signaux aux EDR et celles-ci choisissent ceux qu'elles souhaitent diffuser. La Cour a donc compétence pour appliquer la Loi à la Chambre.
Quant à la question de savoir si la Chambre a manqué aux obligations linguistiques que lui impose la Loi, le fait est que ce ne sont pas toutes les EDR qui diffusent les trois signaux audio. Les EDR ne sont actuellement pas tenues de le faire puisqu'elles ne sont pas parties à l'entente intervenue entre le président de la Chambre et CPAC. En conséquence, si une EDR diffuse seulement le son original et qu'une question est posée en français et reçoit une réponse en anglais, une personne unilingue ne pourra pas comprendre tout l'échange.
CPAC est le véhicule utilisé par la Chambre pour communiquer au public ses débats. Les arrangements pris entre le président de la Chambre et CPAC sont visés à l'article 25 de la Loi. La Chambre transmet les signaux à CPAC, qui les transmet à son tour aux EDR afin qu'ils soient distribués au public. L'article 25 de la Loi s'applique parce que les services sont fournis par CPAC au président de la Chambre.
L'article 25 de la Loi prévoit qu'une institution fédérale (notamment la Chambre) doit, si elle utilise un intermédiaire (individu ou organisme) pour fournir des services qu'elle est tenue d'offrir dans les deux langues officielles, veiller à ce que cet intermédiaire se conforme à cette obligation. Cela n'a pas été fait en l'espèce puisque, dans son entente avec la Chambre, CPAC ne s'est pas engagée à veiller à ce que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles. La Chambre a donc manqué aux obligations linguistiques que lui impose la Loi, parce qu'elle n'a pas veillé, dans les ententes qu'elle a conclues avec CPAC, à ce que ses débats soient offerts dans les deux langues officielles. La réparation convenable en l'espèce consiste à ordonner que la Chambre et le Bureau prennent les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi dans l'année suivant la date de la présente décision.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 16(1), 17(1), 18, 19(1), 20(1).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], préambule, art. 18 (mod. par L.R.C. (1985), appendice II, no 13), 133. |
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 44. |
Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11. |
Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, art. 4. |
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. préambule, 2, 3(1) «institutions fédérales» (mod. par L.C. 1993, ch. 28, art. 78), 4, 22, 25, 76, 77, 82(1), 90. |
Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555. |
jurisprudence
décision appliquée:
New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161.
décisions citées:
R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; (1999), 173 D.L.R. (4th) 193; 121 B.C.A.C. 227; 134 C.C.C. (3d) 481; 238 N.R. 131; Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876; (1996), 178 N.B.R. (2d) 161; 137 D.L.R. (4th) 142; 454 A.P.R. 161; 37 C.R.R. (2d) 189; 201 N.R. 1; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46; 194 F.T.R. 46 (C.F. 1re inst.); Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A.).
doctrine
Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 22nd ed., by Sir D. Limon and W. R. McKay. London: Butterworths, 1997.
Fraser, A. et al. Jurisprudence parlementaire de Beauchesne: Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e éd., Toronto: Carswell, 1989.
Maingot, Joseph. Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Montréal: McGill-Queen's University Press, 1997.
DEMANDE visant à obtenir une déclaration portant que la méthode utilisée actuellement par la Chambre des communes pour assurer la télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires va à l'encontre de la partie I, des articles 22 et 25 et de l'esprit de la Loi sur les langues officielles, ainsi qu'une ordonnance enjoignant à la Chambre des communes de se conformer à la partie I, aux articles 22 et 25 et à l'esprit de la Loi relativement à la prestation des services de télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires. Une déclaration portant que la méthode utilisée actuellement par les défendeurs pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires va à l'encontre de l'article 25 de la Loi est prononcée. Les défendeurs ont un an pour prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi.
ont comparu:
Kevin Quigley et Brian C. Curry pour le demandeur.
Joel E. Fichaud, c.r. pour les défendeurs la Chambre des communes et le Bureau de régie interne.
Michael F. Donovan pour le défendeur le Procureur général.
Laura C. Snowball pour l'intervenante.
avocats inscrits au dossier:
Burchell Green Hayman Parish, Halifax (Nouvelle-Écosse), pour le demandeur.
Patterson, Palmer, Halifax (Nouvelle-Écosse), pour les défendeurs la Chambre des communes et le Bureau de régie interne.
Commissariat aux langues officielles, Ottawa, pour l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par
[1]Le juge O'Keefe: Dans la présente demande fondée sur le paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la Loi), le demandeur Louis Quigley cherche à obtenir:
1. une déclaration portant que la méthode qu'utilise actuellement la Chambre des communes pour assurer la télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires va à l'encontre de la partie I, des articles 22 et 25 et de l'esprit de la Loi; |
2. une ordonnance enjoignant à la Chambre des communes de se conformer à la partie I, aux articles 22 et 25 et à l'esprit de la Loi relativement à la prestation des services de télédiffusion publique des débats et travaux parlementaires. |
Historique de la télédiffusion des débats et travaux parlementaires
[2]Dès 1977, la Chambre des communes (la Chambre) a approuvé la radiodiffusion et la télédiffusion des débats et travaux de la Chambre et des comités parlementaires en se fondant sur des principes semblables à ceux qui régissent la publication des rapports écrits officiels des débats (voir A. Fraser, et al. Jurisprudence parlementaire de Beauchesne: Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e édition (Toronto: Carswell, 1991), au paragraphe 1121).
[3]Le Service de radiodiffusion de la Chambre des communes (SRCC) est chargé d'assurer l'enregistrement télévisé des débats et travaux de la Chambre et des comités de celle-ci. À l'origine, la présentation en direct des débats et travaux de la Chambre n'était offerte que dans la région de la capitale nationale, au moyen d'un réseau de transmission par micro-ondes. Au cours de la deuxième année de fonctionnement du réseau et jusqu'en octobre 1979, les débats ont été retransmis dans l'ensemble du pays à l'aide de vidéocassettes qui étaient distribuées aux différents services de câblodistribution. Ces services décidaient s'il y avait lieu ou non de diffuser les débats et travaux. De 1979 jusqu'en 1991, la Société Radio-Canada a diffusé les travaux de la Chambre dans les deux langues officielles sur les deux canaux parlementaires établis à cette fin.
[4]En 1992, le Bureau de régie interne de la Chambre (le Bureau) a accepté que la Chaîne d'affaires publiques par câble (CPAC) assume les coûts de diffusion des débats et travaux de la Chambre pour une période de deux ans. En août 1994, une nouvelle entente a été signée entre la Chambre et CPAC pour la période allant du 1er septembre 1994 au 31 août 2001. L'entente prévoit notamment ce qui suit:
1. la Chambre produit et transmet à CPAC ses débats et travaux et ceux de certains comités dans les deux langues officielles; |
2. la Chambre transmet à CPAC en direct un signal de télévision (vidéo) et trois signaux de programmation audio: (i) un signal audio dans la langue parlée à ce moment-là (son original), (ii) un signal audio en anglais seulement et (iii) un signal audio en français seulement; |
3. CPAC distribue partout au Canada ces quatre signaux à l'ensemble des entreprises de câblodistribution. |
[5]CPAC est un organisme à but non lucratif financé par un consortium d'entreprises de câblodistribution canadiennes. En plus des débats et travaux de la Chambre, CPAC offre également 30 heures par semaine d'émissions originales et 46 heures par semaine d'émissions de longue durée pour couvrir différents comités, conférences, audiences et événements spéciaux.
[6]Les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) sont classées en trois catégories différentes selon le nombre d'abonnés qu'elles comptent. Généralement, les EDR de la catégorie 1 comptent au moins 6 000 abonnés, les EDR de la catégorie 2 comptent plus de 2 000 abonnés, mais moins de 6 000 et celles de la catégorie 3 comptent moins de 2 000 abonnés. Selon la réglementation actuelle, la distribution du signal de CPAC ne constitue pas une obligation. Cependant, si une EDR de la catégorie 1 ou 2 choisit de distribuer ce signal, elle doit l'intégrer dans son service de base. Cette exigence ne s'applique pas aux EDR de la catégorie 3. Néanmoins, ce service fait partie de bon nombre de forfaits offerts partout au Canada par diverses EDR. Il convient de préciser que les entreprises de câblodistribution sont des EDR. Aucune entente n'a été conclue entre la Chambre et les EDR et celles-ci peuvent choisir comme bon leur semble les signaux audio qu'elles transmettent.
[7]Cependant, certaines données indiquent qu'une technologie récente permettrait à une chaîne de télévision de transmettre un signal vidéo et deux signaux audio en même temps. Cette technologie est connue sous le nom de second canal d'émissions sonores (SCES) et ces signaux atteignent les foyers dont le téléviseur ou le magnétoscope est équipé du décodeur approprié. Il existe aussi des décodeurs de SCES autonomes. En d'autres termes, un abonné équipé en conséquence qui regarde une émission de CPAC pourrait choisir lequel des deux signaux audio il désire écouter. Il appert également de certaines données que, même si les fabricants ne sont pas tenus d'équiper les téléviseurs d'un décodeur, cela se fait assez couramment depuis le début des années 1990, si bien qu'environ 50 p. 100 des foyers canadiens possèdent l'équipement nécessaire. De plus, les EDR qui décident de distribuer un signal SCES sur une seule chaîne pourraient engager des frais de mise à niveau de 500 $ à 5 000 $, selon l'équipement qu'elles possèdent actuellement (voir Avis public CRTC 2001-46).
[8]Enfin, les Canadiens peuvent avoir accès par satellite ou Internet aux signaux audiovisuels que transmet la Chambre.
La plainte du demandeur et l'enquête de la commissaire
[9]Le demandeur habite à Riverview, au Nouveau-Brunswick, et est un abonné de Rogers Cable Company de Moncton, également au Nouveau-Brunswick (Rogers Cable). À la date de la demande, Rogers Cable fournissait au demandeur l'accès aux présentations télévisées de CPAC en son original seulement. Comme le demandeur ne parle que l'anglais, il ne pouvait comprendre les parties présentées en français.
[10]Le demandeur a déposé une plainte à ce sujet auprès de la commissaire aux langues officielles du Canada (la commissaire) qui, à son tour, a mené une enquête. Conformément à la procédure énoncée dans la Loi, une copie préliminaire du rapport de la commissaire a été remise à l'institution fédérale visée par l'enquête afin que celle-ci commente le document en question. Le rapport final a été déposé en octobre 2000: Rapport d'enquête approfondie. Rapport d'enquête concernant la diffusion et la disponibilité des débats et travaux de la Chambre des communes dans les deux langues officielles, octobre 2000 (le Rapport).
[11]En ce qui a trait à l'application de la partie I de la Loi, le Rapport comporte les conclusions suivantes aux pages 6 à 9:
1. l'article 4 de la Loi doit être interprété et appliqué à la lumière de l'esprit de l'ensemble de celle-ci et cette interprétation doit tenir compte de l'objet du droit linguistique en litige, du principe d'égalité de statut et de privilège du français et de l'anglais ainsi que de la nécessité d'assurer le maintien et l'épanouissement des communautés de langue officielle (R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768); |
2. quelle que soit la méthode qu'elle choisit pour la diffusion de ses débats, la Chambre doit se conformer au principe d'accès égalitaire aux travaux du Parlement et à la prescription de bilinguisme qui en découle; |
3. même si le système qu'elle a mis en place pour la production de ses débats respecte intégralement les prescriptions de la Loi, la Chambre ne respecte pas ces prescriptions en ce qui concerne le système de diffusion; |
4. pour respecter les prescriptions de la Loi, la Chambre aurait dû prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que la télédiffusion des signaux vidéo et audio respecte les besoins de tous les membres du public canadien en matière de langues officielles; |
5. la Chambre ne peut échapper à ses obligations linguistiques en concluant, comme elle l'a fait en l'espèce avec CPAC, un contrat qui a pour effet de séparer la production et la diffusion initiale des débats de la Chambre de la présentation ultime des signaux au public et qui n'assure pas cette diffusion ultime; |
6. la Chambre ne respecte pas pleinement ses obligations linguistiques prévues à la partie I de la Loi et l'esprit de celle-ci en ce qui concerne la télédiffusion de ses débats. |
[12]Le Rapport comporte également les conclusions suivantes, aux pages 9 et 10, au sujet de la partie IV de la Loi:
1. la télédiffusion ou la publication audiovisuelle des débats parlementaires constitue un service offert au public au sens de la partie IV de la Loi; |
2. lorsque la Chambre a décidé de procéder à la retransmission télévisée de ses débats, elle est devenue assujettie aux prescriptions linguistiques édictées par l'article 22 de la Loi; |
3. il appert de l'entente entre la Chambre et CPAC ainsi que de l'ensemble des faits que CPAC agit pour le compte de la Chambre au sens de l'article 25 de la Loi; |
4. La Chambre devait donc s'assurer que CPAC prendrait les mesures nécessaires pour garantir la prestation efficace des services en question, soit la présentation télévisée des débats et travaux, aux membres du public dans la langue officielle de leur choix; |
5. la Chambre ne s'est pas assurée que ses débats seraient ultimement présentés dans les deux langues officielles à tous les abonnés du câble du Canada, contrevenant de ce fait aux articles 22 et 25 de la Loi ainsi qu'à l'esprit de la Loi. |
[13]Finalement, à la page 16 de son Rapport, la commissaire a formellement recommandé ce qui suit à la Chambre:
1. de mettre immédiatement en place, avec toutes les parties intéressées, toutes les mesures et d'entreprendre les démarches nécessaires permettant la mise en oeuvre du droit d'accès du public aux débats télédiffusés dans la langue officielle de son choix, en attendant l'avènement de moyens technologiques plus efficaces; et
2. de tenir compte des obligations linguistiques qui lui incombent en vertu de la Partie I et de la Partie IV de la Loi sur les langues officielles lorsqu'elle renouvellera ou conclura une nouvelle entente avec un tiers afin de s'assurer que ce dernier prenne tous les moyens nécessaires pour que les services de télédiffusion des débats parlementaires soient ultimement fournis dans les deux langues officielles de façon à assurer la mise en oeuvre efficace du droit d'accès du public à ces débats dans la langue officielle de son choix.
Arguments du demandeur
[14]Le demandeur soutient que la Loi devrait recevoir une interprétation large et fondée sur son objet. Plus précisément, il souligne que bon nombre des articles de la Loi trouvent écho tant dans la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. Par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (la Constitution), que dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte). Selon le demandeur, la Loi vise à protéger les droits linguistiques qui sont inscrits dans différents documents constitutionnels et à permettre une participation significative dans tous les secteurs du gouvernement, que ce soit en français ou en anglais. Le demandeur ajoute que la Loi assure l'égalité des deux langues officielles de façon que tous les Canadiens bénéficient d'un accès égal aux institutions fédérales et aient droit à des services égaux de celles-ci (voir le préambule et l'article 2 de la Loi, l'article 133 de la Constitution et les paragraphes 16(1), 17(1), 18(1), 19(1) et 20(1) de la Charte).
[15]De l'avis du demandeur, l'article 4 de la Loi protège les droits linguistiques des personnes qui participent aux travaux parlementaires et de celles qui, sans participer aux travaux en question, se fondent sur les comptes rendus officiels de ceux-ci. Tout en admettant que la Chambre n'est pas toujours tenue de présenter un compte rendu de ses travaux et débats, il fait valoir que lorsqu'elle choisit de le faire, une traduction est nécessaire. Selon le demandeur, cette interprétation est compatible avec l'arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, jugement de la Cour suprême du Canada. Le demandeur allègue que les défendeurs ne peuvent se conformer aux prescriptions découlant de la partie I de la Loi en transmettant trois signaux audio à CPAC, parce que cette façon de procéder permettrait à la Chambre, simplement en concluant une entente avec des tierces parties, d'échapper aux responsabilités qui lui incombent en vertu de la Loi.
[16]Le demandeur estime que les membres du public doivent pouvoir obtenir des services de toute institution fédérale dans l'une ou l'autre des langues officielles. De plus, les institutions fédérales sont assujetties à cette obligation, même lorsque ces services sont offerts au public pour leur compte par d'autres personnes ou organisations conformément aux articles 22 et 25 de la Loi. Le demandeur allègue que la Chambre est manifestement une «institution fédérale» visée par le paragraphe 3(1) de la Loi [mod. par L.C. 1993, ch. 28, art. 78] et qu'elle est tenue de veiller à ce que l'organisation à laquelle elle confie par contrat la diffusion des débats télévisés (CPAC) prenne des mesures pour garantir que ces débats soient finalement présentés dans les deux langues officielles.
[17]Plus précisément, le demandeur invoque le principe selon lequel le privilège parlementaire ne peut être invoqué que dans les cas de nécessité, au sens où la Chambre ne pourrait exercer ses fonctions en l'absence de ce privilège (voir J. P. J. Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e édition (McGill-Queen's University Press, 1997); Sir D. Limon et W. R. McKay, éds., Erskine May's Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 22e édition (Londres: Butterworths, 1997)). Le privilège est accordé parce que la question particulière est perçue comme une question ayant une importance vitale pour l'existence même de l'organisme législatif. Bien que Mme le juge McLachlin ait reconnu l'existence d'une catégorie de privilège qu'elle a appelé le «contrôle de la publication des débats de l'assemblée» à la page 385 de ses motifs dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (New Brunswick Broadcasting), ce privilège particulier n'a apparemment jamais été examiné auparavant. Néanmoins, le demandeur allègue, en invoquant les ouvrages de Maingot et May, que le privilège de la publication des débats et travaux est lié de près à celui d'expulser des étrangers des débats. Selon le demandeur, les deux privilèges concernent la liberté de parole et la présentation d'un compte rendu exact et fidèle, mais non la diffusion après la publication. À son avis, la Chambre peut fermer ses portes au public, mais lorsqu'elle les ouvre, elle ne peut légalement agir de façon à enfreindre les dispositions de la Loi.
[18]Le demandeur ajoute que, pour revendiquer un privilège, les défendeurs doivent prouver que l'activité à l'égard de laquelle le privilège est demandé est nécessaire au fonctionnement de la Chambre (voir Harvey c. Nouveau-Brunwick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 (Harvey)). Dans l'arrêt Harvey, Mme le juge McLachlin (maintenant juge en chef de la Cour suprême du Canada), avec qui Mme le juge L'Heureux-Dubé était d'accord, a formulé les commentaires suivants au sujet de la nécessité, aux pages 918 et 919:
Pour éviter que des abus sous le couvert d'un privilège éclipsent des droits légitimes garantis par la Charte, les tribunaux doivent examiner la légitimité d'une revendication de privilège parlementaire. Comme notre Cour l'a précisé dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, les tribunaux peuvent, à juste titre, se demander si le privilège revendiqué existe vraiment. Ce rôle de tamisage signifie que, lorsqu'on soutient qu'une personne a été expulsée ou déclarée inéligible pour des motifs non valides, les tribunaux doivent déterminer si la mesure prise est visée par le privilège parlementaire. Si la cour conclut par l'affirmative, aucun autre examen n'est nécessaire.
La jurisprudence britannique distingue les privilèges invoqués par voie de résolution d'avec les privilèges conférés automatiquement par la loi. Dans le cas des privilèges invoqués par voie de résolution, les tribunaux britanniques ont établi un principe de la nécessité, qui leur permet d'examiner si la mesure prise par voie de résolution est nécessaire au bon fonctionnement de la Chambre. L'examen relatif à la nécessité ne porte pas sur la question de savoir si la mesure en cause était nécessaire, et il n'implique donc pas un contrôle judiciaire de fond. On se demande plutôt si la dignité, l'intégrité et l'efficacité du corps législatif pourraient être préservées s'il n'était pas permis d'accomplir le genre d'acte que l'on cherche à accomplir, comme par exemple, expulser une personne de la législature ou déclarer une personne inhabile à solliciter une charge pour des motifs de corruption. Suivant cette règle dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, notre Cour s'est demandé si la résolution en cause dans cette affaire était nécessaire au bon fonctionnement de la législature et à la préservation de son intégrité. On n'a pas répondu à la question de savoir s'il y aurait lieu de se poser une question semblable lorsqu'il s'agit d'un privilège créé par voie législative, comme celui invoqué en l'espèce.
[19]Dans la présente affaire, le demandeur estime que les défendeurs ne peuvent satisfaire au critère de la nécessité, parce que l'ordonnance de la commissaire ne menace pas la dignité, l'intégrité et l'efficacité de la Chambre. Ce serait plutôt le contraire, puisque cette ordonnance garantirait à tous les Canadiens un même droit d'accès aux débats et travaux de leurs représentants élus. De l'avis du demandeur, l'examen d'une revendication de privilège fait appel à la conciliation de certains intérêts, notamment la mesure dans laquelle les personnes qui ne font pas partie d'un organisme législatif sont touchées, la nécessité pour le Parlement de réglementer ses propres travaux et le droit des citoyens de saisir les tribunaux de questions litigieuses. Dans la présente affaire, le demandeur allègue que la question ne concerne pas seulement la Chambre et ses travaux et fonctions internes, mais touche également un grand nombre de Canadiens et leur capacité de participer de façon significative et avertie aux institutions démocratiques du Canada.
[20]De l'avis du demandeur, la revendication de privilège parlementaire des défendeurs n'est qu'un argument technique que ceux-ci invoquent pour contourner leurs obligations et responsabilités découlant de la Loi. Ce «moyen de défense» n'a nullement été soulevé avant l'introduction de la présente demande. Le demandeur précise que, selon l'article 18 de la Constitution [mod. par L.R.C. (1985), appendice II, no 13], les privilèges et immunités dont la Chambre jouit doivent être prescrits par une loi du Parlement. Ces privilèges sont énoncés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1. Toutefois, dans la mesure où cette dernière loi est incompatible avec la Loi sur les langues officielles, celle-ci devrait l'emporter et donner lieu au rejet de la revendication de privilège.
Arguments de l'intervenante (la commissaire)
[21]La commissaire allègue que le paragraphe 4(3) doit recevoir une interprétation large et fondée sur son objet de façon que l'accès entier et égal aux débats et travaux du Parlement dans les deux langues officielles soit assuré. Selon l'intervenante, pour de nombreux Canadiens, la possibilité de regarder les débats et travaux parlementaires à la télévision représente une solution de rechange pratique et utile à l'obtention de copies imprimées du hansard.
[22]Selon la commissaire, en vertu du contrat qu'elle a conclu avec CPAC au sujet de la distribution et de la transmission de signaux de radiodiffusion de ses travaux et débats, la Chambre a retenu les services de CPAC pour que celle-ci transmette ces signaux pour son compte aux Canadiens. De plus, à titre de seule source de ces signaux, la Chambre est particulièrement bien placée pour fixer des exigences contractuelles préalables à la transmission de sa part des signaux en question à CPAC ainsi qu'aux accords de celle-ci avec les EDR. L'intervenante ajoute qu'une institution fédérale ne peut restreindre les droits linguistiques constitutionnels en transférant l'accomplissement de certaines de ses fonctions, dans les cas où cette institution aurait été tenue de se conformer à la Loi si elle avait accompli ces fonctions elle-même (voir Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46 (C.F. 1re inst.)). Qui plus est, souligne-t-elle, la Chambre ne peut remplir ses obligations simplement en déployant «tous les efforts voulus».
[23]La commissaire allègue que la Cour a le droit de décider si la revendication de privilège parlementaire des défendeurs est fondée. Selon la commissaire, l'examen de cette question comporte deux étapes. D'abord, la Cour doit se demander si l'activité générale qui serait apparemment un privilège parlementaire constitutionnel est effectivement reconnue à ce titre. En second lieu, elle doit chercher à savoir si l'activité à l'égard de laquelle le privilège est revendiqué fait effectivement partie des activités visées par ce privilège parlementaire constitutionnel général. Dans l'arrêt Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A.), où une personne non élue avait soutenu que le fait de réciter la prière du Seigneur tous les jours au début des travaux de l'assemblée conformément à un ordre permanent allait à l'encontre de son droit d'être traitée de façon égale et sans discrimination, le juge Finlayson a formulé les commentaires suivants au paragraphe 25:
[traduction] En conséquence, même s'il convient de dire, dans l'abstrait, que le privilège parlementaire couvre les activités qui sont nécessaires au fonctionnement de la Chambre, la «nécessité» dans ce contexte s'applique aux catégories d'activités et l'exercice particulier d'un privilège n'est pas examiné à la loupe au regard d'une norme de nécessité. Comme l'a dit Mme le juge McLachlin, une fois qu'un tribunal a décidé qu'une catégorie d'activités est nécessaire au fonctionnement indépendant de la Chambre, il ne décide pas ensuite si chaque exercice particulier du privilège est nécessaire, mais se demande simplement si l'exercice en question est visé par la catégorie de privilège reconnue. Dans l'affirmative, l'exercice n'est pas susceptible de révision par un organe externe.
[24]La commissaire convient que le contrôle de la publication des débats et travaux constitue un privilège parlementaire inhérent, et donc constitutionnel, de la Chambre, mais refuse d'admettre que celle-ci puisse contrôler la langue de publication dans le cadre de son privilège.
[25]Selon la commissaire, le privilège vise à empêcher la présentation de comptes rendus «faux et pervers» sur les débats et délibérations. Par conséquent, la Chambre doit être en mesure d'exercer son privilège à l'égard de la décision de publier ou de contrôler le contenu de la publication, mais non à l'égard de la langue dans laquelle ce contenu est publié.
[26]La commissaire ajoute que, si le privilège de la Chambre au sens historique ou générique couvre le choix de la langue, il doit être interprété de concert avec d'autres parties de la Constitution, notamment l'article 133 de celle-ci et l'article 18 de la Charte. Étant donné qu'aucune partie de la Constitution ne peut être abrogée ou atténuée par une autre partie de celle-ci, il est nécessaire de mettre ensemble et de concilier les dispositions qui pourraient être contradictoires de manière à ce que chacune reçoive le sens le plus complet qui soit (voir les arrêts New Brunswick Broadcasting et Harvey). Selon la commissaire, le libellé examiné en l'espèce est plus clair que celui qui était à l'étude dans l'arrêt Harvey; plus précisément, compte tenu de l'article 133 de la Constitution, le privilège du contrôle de la publication qui est reconnu au préambule de celle-ci ne peut couvrir la langue de publication. Bien entendu, l'article 133 de la Constitution a été renforcé plus tard par différentes dispositions de la Charte.
[27]Si la Cour rejette les arguments qui précèdent, la commissaire soutient que les articles 3 et 4 de la Loi ont eu pour effet de modifier le privilège constitutionnel canadien du contrôle de la publication de manière à exclure de ce privilège les deux langues officielles conformément à l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Selon la commissaire, la Loi préserve de manière précise à l'article 90 le privilège parlementaire en ce qui a trait au bureau privé et au personnel des parlementaires et des sénateurs, ce qui confirme que la Loi visait à modifier les dispositions constitutionnelles concernant le privilège parlementaire, sous réserve de certaines exceptions restreintes.
Arguments des défendeurs
[28]Les défendeurs allèguent que la publication des débats et travaux de la Chambre constitue l'un des privilèges inhérents de celle-ci et que, de ce fait, ce privilège bénéficie de la protection constitutionnelle. Au soutien de cette proposition, les défendeurs se fondent en grande partie sur le jugement qu'a rendu le juge McLachlin dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting. Dans cette affaire, le président de l'assemblée législative de la Nouvelle-Écosse avait exclu les caméras de télévision indépendantes de la Chambre et les tribunaux avaient subséquemment été saisis d'une demande d'ordonnance portant que cette décision allait à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Charte. De l'avis des défendeurs, la Cour a statué que les privilèges inhérents sont protégés par le préambule de la Constitution, que la décision du président de l'assemblée législative relevait du privilège inhérent de celle-ci d'exclure des étrangers de son enceinte et que les tribunaux n'avaient pas le pouvoir de réviser l'exercice de ce privilège.
[29]Les défendeurs se fondent sur les catégories de privilèges qui ont pris naissance au Royaume-Uni et que le juge McLachlin a énumérées dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, aux pages 385 et 386, notamment le contrôle de la publication des débats et travaux de la Chambre. Selon les défendeurs, ces privilèges sont préservés par l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Invoquant l'arrêt New Brunswick Broadcasting, les défendeurs ajoutent qu'il ne peut être porté atteinte aux droits constitutionnels, parce qu'aucune partie de la Constitution ne peut être abrogée par une autre.
[30]Les défendeurs allèguent qu'il s'agit en réalité d'un problème de répartition des pouvoirs et que, dans ce contexte, lorsqu'un organisme législatif exerce l'un de ses privilèges inhérents, la Cour ne saurait intervenir et réviser cette décision. En tout état de cause, les défendeurs ajoutent que la Chambre cherche actuellement une solution au problème.
[31]Si la Cour n'admet pas que la décision de la Chambre relève des privilèges inhérents de celle-ci, les défendeurs font valoir qu'ils n'ont d'aucune façon violé la Loi. D'abord, en ce qui concerne l'article 25 de la Loi, les défendeurs soutiennent que Rogers Cable ne fournit pas un service pour le compte de la Chambre. Selon les défendeurs, une personne qui agit «pour le compte» d'une institution fédérale au sens de l'article 25 est une personne sur laquelle l'institution exerce un contrôle suffisant pour pouvoir s'assurer que cette personne fournit des services bilingues. De l'avis des défendeurs, un détaillant privé qui est libre de contracter ou de ne pas contracter n'est pas assujetti à ce degré de contrôle. Même s'ils admettent que Rogers Cable pourrait être contrainte de transmettre deux signaux audio par suite de l'adoption du règlement nécessaire en application de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, les défendeurs allèguent que la Chambre et le Bureau n'ont pas ce pouvoir. Les défendeurs ajoutent que, si la Chambre était sommée d'exiger de CPAC qu'elle s'engage, dans les contrats qu'elle signe avec les entreprises de câblodistribution, à assurer la transmission de signaux audio français et anglais, de nombreux distributeurs refuseraient tout simplement de s'entendre avec CPAC, ce qui mènerait à un résultat négatif, puisque le nombre de personnes ayant accès à CPAC diminuerait et que l'accord de financement dont celle-ci bénéficie à l'heure actuelle serait en péril.
[32]Les défendeurs allèguent que, si l'interprétation que propose le demandeur devait être retenue, la Chambre serait également tenue de veiller à ce que Rogers Cable ait des employés bilingues pour répondre aux demandes de ses clients. Or, les défendeurs doutent que le commis aux ventes d'une librairie privée qui vend des publications fédérales soit tenu de s'exprimer dans les deux langues officielles en vertu de l'article 25.
[33]Selon les défendeurs, la plainte du demandeur ne met pas en cause l'esprit de la Loi ni la partie I de celle-ci. À leur avis, l'utilisation des deux langues au Parlement est protégée et tous les documents ou communications sont mis à la disposition du public dans les deux langues officielles. En d'autres termes, les défendeurs estiment qu'ils se sont conformés à leurs obligations découlant de la Loi et qu'ils ne devraient pas être tenus responsables si le demandeur ne peut avoir accès aux signaux qui sont fournis (c'est-à-dire par satellite ou Internet).
[34]En ce qui concerne les réparations demandées, les défendeurs soutiennent que la Chambre n'a pas le pouvoir de contraindre CPAC à accepter des conditions précises ni d'exiger quelque forme d'entente que ce soit entre CPAC et les EDR privées. Selon les défendeurs, la réparation qui conviendrait le mieux serait une modification du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555, ce qui ne relève pas du pouvoir de la Chambre ou du Bureau. Le procureur général du Canada fait valoir que la Cour devrait se limiter à prononcer une déclaration. Subsidiairement, la mise en oeuvre de toute ordonnance devrait être confiée au CRTC, qui est un organisme spécialisé et indépendant et est le mieux placé pour examiner des questions complexes en matière de technologie, d'économie et de politique culturelle.
[35]Questions en litige
1. La Cour a-t-elle compétence pour appliquer la Loi à la Chambre ou la Chambre peut-elle invoquer son privilège constitutionnel inhérent? |
2. La Chambre manque-t-elle aux obligations linguistiques que lui impose la Loi? |
3. Quelle est la réparation convenable en l'espèce? |
[36]Dispositions légales et constitutionnelles applicables
Les passages suivants de la Constitution sont pertinents en l'espèce:
Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande- Bretagne et d'Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:
[. . .]
18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.
[. . .]
133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
[37]Les dispositions suivantes de la Charte sont pertinentes:
16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
[. . .]
17. (1) Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.
[. . .]
18. (1) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
[. . .]
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas:
a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;
b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.
[38]L'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit:
44. Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
[39]La Loi sur les langues officielles, précitée, prévoit notamment ce qui suit:
Attendu:
que la Constitution dispose que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada et qu'ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;
qu'elle prévoit l'universalité d'accès dans ces deux langues en ce qui a trait au Parlement et à ses lois ainsi qu'aux tribunaux établis par celui-ci;
qu'elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l'emploi de l'une ou l'autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;
[. . .]
2. La présente loi a pour objet:
a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;
[. . .]
76. Le tribunal visé à la présente partie est la Section de première instance de la Cour fédérale.
77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.
(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l'expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l'avis de refus d'ouverture ou de poursuite d'une enquête donné au titre du paragraphe 58(5).
(3) Si, dans les six mois suivant le dépôt d'une plainte, il n'est pas avisé des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou du refus opposé au titre du paragraphe 58(5), le plaignant peut former le recours à l'expiration de ces six mois.
(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.
[. . .]
82. (1) Les dispositions des parties qui suivent l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux:
a) partie I (Débats et travaux parlementaires);
b) partie II (Actes législatifs et autres);
c) partie III (Administration de la justice);
d) partie IV (Communications avec le public et prestation des services);
e) partie V (Langue de travail).
[. . .]
90. La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs, privilèges et immunités dont jouissent les parlementaires en ce qui touche leur bureau privé et leur propre personnel ou les juges.
[40]La Loi sur le Parlement du Canada, précitée, prévoit:
4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:
a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;
b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possédaient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.
Analyse et décision
[41]Il ne fait aucun doute que la Chambre et ses membres jouissent de certains privilèges parlementaires. L'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, précitée, décrit ces privilèges. Il s'agit essentiellement des immunités et des pouvoirs que possédaient, au moment de l'adoption de la Constitution, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et d'Irlande et ses membres. Lorsque l'article 18 de la Constitution a été modifié en 1875 [mod. par Acte du Parlement du Canada, 1875, 38-39 Vict., ch. 38 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 13]], le Parlement canadien s'est vu conférer le pouvoir de prescrire ses privilèges, mais ceux-ci ne pouvaient pas excéder ceux qui étaient exercés par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et ses membres de cette chambre.
[42]Le juge McLachlin a indiqué ce qui suit dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, à la page 385:
L'argument pragmatique: la nécessité
J'ai déjà fait allusion à la doctrine et à la jurisprudence qui appuient la conclusion que les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges constitutionnels historiquement reconnus qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Cette conclusion sous-entend qu'en pratique les organismes législatifs doivent posséder certains pouvoirs inhérents pour bien s'acquitter de leurs fonctions.
Les privilèges constitutionnels non écrits inhérents à nos organismes législatifs peuvent-ils, en général, se justifier par la nécessité? En d'autres termes, nos organismes législatifs peuvent-ils bien fonctionner s'ils possèdent seulement les pouvoirs que leur confèrent expressément nos documents constitutionnels écrits? À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative. Par exemple, le droit constitutionnel non écrit de s'exprimer librement à l'Assemblée sans crainte de poursuites civiles est nettement important.
Parmi les privilèges spécifiques qui ont pris naissance au Royaume-Uni, il y a les suivants:
a) la liberté de parole, y compris l'immunité contre les poursuites civiles relativement à toute affaire découlant de l'exercice des fonctions de membre de l'Assemblée;
b) le contrôle exclusif par l'Assemblée de ses propres débats;
c) l'expulsion des étrangers de l'Assemblée et de ses environs;
d) le contrôle de la publication des débats et travaux de l'Assemblée.
[43]Le juge McLachlin a indiqué ce qui suit, à la page 386, au sujet du privilège en cause en l'espèce, le contrôle de la publication des débats et travaux de la Chambre:
Enfin, en ce qui concerne le droit de contrôler la publication des débats, Erskine May affirme (à la p. 85):
[traduction] Le droit d'une chambre ou de l'autre d'interdire la publication de ses débats est étroitement lié [au] pouvoir [d'exclure des étrangers]. La publication des débats d'une chambre ou de l'autre a, à maintes reprises, dans le passé, été déclarée constituer une violation de privilège, tout particulièrement des rapports faux et déformés à ce sujet . . . |
Il existe donc clairement un privilège concernant le contrôle de la publication des débats et travaux de la Chambre.
[44]La nature du privilège est analysée par le juge McLachlin dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, aux pages 379 à 385:
Les privilèges des législatures coloniales émanaient de la common law. Ces institutions modelées sur le Parlement britannique étaient réputées posséder les pouvoirs et la compétence dont dépend nécessairement leur bon fonctionnement. Ces privilèges étaient régis par le principe de la nécessité plutôt que par un événement historique et pourraient bien de ce fait ne pas reproduire exactement les pouvoirs et privilèges existants au Royaume-Uni.
Dans Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament (21e éd. 1989), le privilège est décrit de la façon suivante (aux pp. 69 et 82):
[traduction] Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont jouissent chaque chambre collectivement en tant que composante de la Haute Cour du Parlement, et les membres de chacune des chambres, pris individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s'acquitter de leurs fonctions, et qui excèdent ceux que possèdent d'autres organismes ou particuliers. Ainsi, le privilège, bien qu'il fasse partie de la loi du pays, constitue dans une certaine mesure une exemption de l'application des lois générales. |
. . .
. . . les privilèges du Parlement sont des droits «absolument nécessaires à l'exercice régulier de ses pouvoirs . . . |
Le caractère fondamental du privilège au Canada est bien énoncé par le professeur Dawson dans son ouvrage intitulé Government of Canada, op. cit., aux pp. 337 et 338:
[traduction] Les privilèges formaient en soi un ensemble spécial de règles de droit et sont devenus collectivement connus sous le nom de lex et consuetudo Parliamenti. Ils n'avaient aucun fondement juridique; en fait, ils découlaient initialement de la compétence du Parlement en tant que tribunal, et non en tant qu'organisme législatif. . . |
. . .
La lex et consuetudo Parliamenti, connue en Angleterre, n'a pas été, comme la majeure partie de la common law, transplantée au Canada. Les organismes législatifs créés à l'étranger n'étaient pas investis des privilèges et des pouvoirs du Parlement britannique, qui, comme nous l'avons déjà mentionné, étaient principalement d'origine judiciaire. Cette création impliquait toutefois que ces législatures devraient exercer certains privilèges très restreints qui étaient nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions. Toutefois, il devait s'agir de pouvoirs de protéger et non de punir, car ces derniers étaient encore considérés comme l'apanage d'un tribunal plutôt que d'un organisme législatif. |
Les analyses les plus récentes de ces questions dans le contexte canadien reprennent cette ligne de pensée. Dans son ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada (1987), Joseph Maingot reconnaît également que les organismes législatifs canadiens bénéficiaient, dès leur création, des privilèges nécessaires au maintien de l'ordre et de la discipline dans l'exercice de leurs fonctions (aux pp. 3 et 4):
Dès l'établissement au Canada de la première assemblée législative en Nouvelle-Écosse en 1758, la loi accorda à l'assemblée et à ceux qui prenaient part à ses délibérations, tous les pouvoirs jugés nécessaires pour permettre à l'assemblée et à ses membres de s'acquitter de leur mission législative. À ce titre, les députés jouissaient de la liberté de parole dans les débats. Ils étaient protégés contre toute arrestation occasionnée par un litige au civil car l'assemblée avait droit en priorité à leur présence et à leur participation. Selon une opinion ancienne, les assemblées avaient le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en séance et qui avait perturbé ou interrompu leurs travaux. Cet usage s'est développé dans le Bas et le Haut-Canada et s'est maintenu dans la Province du Canada, mais en 1842, on estimait que les assemblées de la colonie n'avaient pas le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en dehors de l'assemblée et, en 1866, on considérait qu'elles n'avaient même pas le pouvoir d'emprisonner l'auteur d'un outrage commis en présence de l'assemblée. En d'autres termes, l'assemblée devait disposer de pouvoirs de protection et de défense, et non pas du pouvoir de punir. |
Au début, les assemblées n'ont pu miser que sur leurs pouvoirs intrinsèques parce qu'elles étaient des assemblées coloniales: l'instrument juridique de leur création, une proclamation royale ou un acte du Parlement du Royaume-Uni, ne leur octroyait pas ordinairement la même immunité ou les mêmes pouvoirs que ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni, jugés incompatibles avec leur état de dépendance. Ce n'est qu'en 1896 qu'un tribunal a confirmé le pouvoir des assemblées provinciales de s'octroyer des privilèges à peu près identiques à ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni ou du Canada. Ce tribunal a précisé dans l'arrêt Fielding c. Thomas [[1896] A.C. 600] que depuis 1865, les anciennes assemblées du Canada (comme celle de la Nouvelle-Écosse) possédaient en vertu de l'art. 5 de la Colonial Laws Validity Act de 1865 le pouvoir de légiférer sur leurs privilèges. |
Les remarques qui précèdent indiquent que les organismes législatifs canadiens peuvent revendiquer en tant que privilèges inhérents les droits nécessaires à leur fonctionnement. On ne conteste pas, dans la jurisprudence, que le critère applicable est celui de la nécessité. Ainsi, dans l'arrêt Kielley c. Carson (1842), 4 Moore 63, 13 E.R. 225, le Conseil privé était appelé à examiner si le pouvoir d'incarcération pour outrage, commis en dehors de l'Assemblée, constituait une particularité juridique nécessaire à chaque législature locale canadienne. Le Conseil privé a conclu que nos organismes législatifs ne pouvaient revendiquer ce privilège et que les assemblées coloniales ne possédaient pas les droits et les privilèges dont jouissait la Chambre des communes du Royaume-Uni en vertu d'une prescription et d'un usage anciens. Toutefois, le Conseil privé n'a pas contesté que l'Assemblée législative de Terre-Neuve s'est vu conférer, dès son établissement, les pouvoirs [traduction] «nécessaires à l'existence d'un tel organisme et à l'exercice adéquat des fonctions qu'il est censé remplir». Le baron Parke affirme (aux pp. 234 et 235 E.R.):
[traduction] Conformément à ce principe, il ne fait aucun doute pour nous qu'une telle assemblée a le droit de se protéger de tous les obstacles au bon déroulement de ses travaux. Dans la pleine mesure de toute disposition qu'il peut être vraiment nécessaire d'adopter pour garantir le libre exercice de ses fonctions législatives, elle est justifiée d'agir selon le principe de la common law. |
[. . .]
Il appartient aux tribunaux de déterminer si l'on a prouvé l'existence d'une nécessité suffisante pour justifier un privilège. Le lord juge en chef Denman, dans l'arrêt Stockdale c. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1 (Q.B.), 112 E.R. 1112, affirme à la p. 1169 E.R.: [traduction] «Si la nécessité peut être prouvée, point n'est besoin d'ajouter autre chose: c'est le fondement de tout privilège du Parlement, et c'est tout ce qui est exigé.» Toutefois, il souligne qu'il appartient aux tribunaux de déterminer si la nécessité justifie l'existence du privilège revendiqué; dans l'affirmative et seulement à cette condition, les tribunaux n'en examineront pas l'exercice (à la p. 1168 E.R.):
[traduction] Dans le cas où la question relève de la compétence [de la Chambre des communes], nous ne pouvons certainement pas contester l'exercice de son jugement; toutefois, nous nous demandons maintenant si la question relève bien de la compétence de la Chambre des communes. On soutient que la Chambre peut en faire une question relevant de sa compétence en se déclarant compétente. J'ai déjà formulé ma réponse sur ce point: il est tout à fait clair qu'aucun de ces tribunaux ne pourrait s'attribuer une compétence en décidant qu'il la possède. |
Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.
Ainsi, le critère de nécessité applicable au privilège est un critère qui a trait à la compétence.
[. . .]
En résumé, il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise.
La présente demande doit être examinée à la lumière de cette jurisprudence.
[45]Question no 1
La Cour a-t-elle compétence pour appliquer la Loi à la Chambre ou la Chambre peut-elle invoquer son privilège constitutionnel inhérent?
Il est très important, pour répondre à cette question, d'exposer avec précision les faits en cause en l'espèce. Le fait que les débats de la Chambre soient télédiffusés depuis le 25 janvier 1977 n'est pas contesté. L'historique de cette diffusion et le mode de diffusion sont résumés dans le Rapport d'enquête du Commissariat aux langues officielles d'octobre 2000, aux pages 4 à 6:
a) Historique de la télédiffusion des délibérations de la Chambre des communes |
Nos enquêteurs ont appris que la Chambre des communes a approuvé, le 25 janvier 1977, la radiodiffusion et la télédiffusion de ses délibérations et de celles de ses comités en se fondant sur des principes similaires à ceux qui gouvernent la publication des rapports écrits officiels des débats. De 1979 à avril 1991, la Société Radio-Canada (SRC)/Canadian Broadcasting Corporation (CBC) a diffusé les travaux de la Chambre dans les deux langues officielles sur les canaux parlementaires établis à cette fin, grâce à une licence temporaire et à une licence d'utilisation en réseau accordée par le CRTC. Toutefois, en avril 1991, des compressions budgétaires n'ont plus permis à la SRC de financer ses chaînes parlementaires. En 1992, le Bureau de régie interne de la Chambre des communes a accepté que CPAC assume les coûts de la chaîne parlementaire pour une période de deux ans. En 1994, la Chambre des communes et CPAC ont signé l'entente mentionnée ci-dessus dans laquelle CPAC s'engage à distribuer par satellite le signal des travaux télévisés de la Chambre des communes et des comités.
b) Description de CPAC |
CPAC est un organisme à but non lucratif qui offre des services de programmation non commerciaux entièrement financés par un consortium de plus de 100 entreprises de câblodistribution canadiennes. Il s'agit d'un service national de distribution qui comporte deux grandes catégories de programmes, les délibérations de la Chambre des communes et de certains de ses comités, ainsi que les activités liées aux affaires publiques qui se déroulent partout au pays. La diffusion des débats de la Chambre a toutefois préséance sur celle des affaires publiques. Le CRTC a accordé à CPAC une licence d'exploitation pour sept ans, qui prend fin le 31 août 2002.
c) Situation actuelle |
L'entente intervenue entre la Chambre des communes et CPAC en 1994 concernant la diffusion des débats précise les obligations de chacune des parties. Essentiellement, les clauses deux et trois prévoient la production des débats dans les deux langues officielles par la Chambre des communes et la distribution aux compagnies de câblodistribution via satellite (préférablement sur Télésat Canada) du signal de télévision des débats sous trois formats audio (français, anglais et son original) et un format vidéo par CPAC. Cette entente vise, selon son libellé même, à assurer à tous les Canadiens la diffusion la plus vaste possible des signaux transmis par son service de télédiffusion.
Dans les faits et conformément à l'entente, le Service de télédiffusion de la Chambre des communes transmet à CPAC les délibérations de la Chambre des communes et de certains comités dans les deux langues officielles. Le Centre opérationnel du Service de télédiffusion transmet à CPAC en direct un signal vidéo et trois signaux audio (anglais, français et son original), et CPAC distribue ces signaux par satellite aux entreprises de câblodistribution, aux deux entreprises de distribution par satellite de radiodiffusion directe (SRD) et à Look TV, partout au Canada. Il importe de préciser toutefois que ces entreprises de câblodistribution ne sont pas parties à l'entente et que, lorsqu'elles reçoivent les signaux transmis par CPAC, elles choisissent la langue du signal audio qu'elles désirent offrir gratuitement à leurs téléspectateurs. En conséquence, selon la compagnie de câblodistribution et l'endroit où sont télédiffusés les débats de la Chambre des communes, le résultat est que le public n'a pas toujours accès, dans les deux langues officielles, à ces débats télédiffusés. Précisons par ailleurs que les entreprises de câblodistribution ne sont pas obligées de distribuer la programmation de CPAC.
Il est important également de noter qu'à l'époque (1979 à 1991) où la SRC/CBC diffusait les travaux de la Chambre dans les deux langues officielles sur ses canaux parlementaires, le CRTC a joué un rôle important parce qu'il a émis une décision facilitant aux câblodistributeurs la diffusion de ces débats. Ceci a eu pour résultat qu'environ 50 p. cent des foyers canadiens avaient accès à ces travaux dans les deux langues officielles. En 2000, environ 80 p. cent des foyers canadiens sont branchés sur le câble, ce qui signifie que la télédiffusion des travaux de la Chambre peut atteindre approximativement sept millions de foyers.
La télédiffusion des travaux de la Chambre est la version vidéo du Hansard. En raison des contraintes technologiques actuelles et du fait que le public demande davantage de canaux, un très petit nombre d'entreprises de câblodistribution choisissent de diffuser à leurs abonnés le signal audio du son original comme signal principal plutôt que les deux signaux anglais et français séparément. La grande majorité des câblodistributeurs choisissent d'offrir à leurs abonnés une combinaison de deux des trois canaux audio. Étant donné que le son original n'est pas interprété simultanément, les téléspectateurs unilingues ne peuvent donc pas comprendre une partie importante des travaux de la Chambre.
Par ailleurs, il convient de noter qu'il existe depuis quelques années une nouvelle technologie, le système multi-audio de télévision (MTS) et le second canal d'émissions sonores (SAP), qui permet à une chaîne télévisée de transmettre un signal vidéo et deux signaux audio en même temps. Ainsi, le téléspectateur peut choisir entre deux des trois signaux audio transmis par CPAC aux entreprises de distribution par câble et par satellite. Toutefois, cette technologie n'est pas bien connue et elle n'est pas facilement accessible à tous, car elle dépend du type de téléviseur et de son âge.
[46]Il ressort clairement de l'examen des faits que les défendeurs fournissent déjà à CPAC les pistes audio du son original, du français seulement et de l'anglais seulement. Il est mentionné ci-dessus que CPAC est un organisme à but non lucratif financé par un consortium de plus de 100 EDR canadiennes. CPAC est l'entité qui offre les débats de la Chambre à chaque EDR, et c'est l'EDR qui décide quel signal (français, anglais ou son original), le cas échéant, elle offrira à ses abonnés.
[47]À mon avis, le privilège de la Chambre sur la publication de ses débats n'est pas en cause en l'espèce. La décision de mettre ses débats à la disposition de CPAC en français, en anglais et en version originale a déjà été prise par la Chambre. Celle-ci n'a pas dit qu'elle exerçait son privilège pour contrôler la publication des débats en ne fournissant pas le signal audio dans l'une ou l'autre des langues.
[48]Cela est confirmé par le paragraphe 19 de l'affidavit signé par Louis Bard le 21 février 2001 et produit en preuve par les défendeurs:
[traduction] La Chambre des communes veille aussi à ce que CPAC reçoive un signal vidéo et les trois signaux audio suivants: le son original provenant de la Chambre, un signal en français seulement et un signal en anglais seulement.
[49]Compte tenu de tous ces éléments de preuve, il me semble que, comme la Chambre a fourni dans le passé et continue de fournir à CPAC les trois signaux audio -- le son original, le signal en français seulement et le signal en anglais seulement --, la question du privilège parlementaire concernant le contrôle de la publication des débats n'est pas en cause en l'espèce. CPAC offre les trois signaux aux EDR et celles-ci choisissent ceux qu'elles souhaitent diffuser. Les défendeurs ont déjà décidé de quelle manière ils veulent offrir les débats de la Chambre au public. Il s'agit là d'une décision mûrement réfléchie de leur part.
[50]Question no 2
La Chambre manque-t-elle aux obligations linguistiques que lui impose la Loi?
Le fait que le privilège ne soit pas en cause en l'espèce ne règle pas l'affaire cependant. Par suite de la décision d'une EDR, le demandeur, M. Quigley, ne pouvait pas recevoir en anglais le son de la Chambre (à tout le moins à la date de sa demande).
[51]Comme j'ai conclu que le privilège parlementaire en question ne s'applique pas dans les faits de l'espèce, il faut maintenant que je statue sur les exigences de la Loi. Le paragraphe 3(1) et les articles 4, 22 et 25 de la Loi sont reproduits ci-dessous par souci de commodité:
3. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
[. . .]
«institutions fédérales » Les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, dont le Sénat, la Chambre des communes et la bibliothèque du Parlement, les tribunaux fédéraux, tout organisme--bureau, commission, conseil, office ou autre--chargé de fonctions administratives sous le régime d'une loi fédérale ou en vertu des attributions du gouverneur en conseil, les ministères fédéraux, les sociétés d'État créées sous le régime d'une loi fédérale et tout autre organisme désigné par la loi à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou placé sous la tutelle du gouverneur en conseil ou d'un ministre fédéral. Ne sont pas visés les institutions du conseil ou de l'administration du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, celles de l'assemblée législative ou de l'administration du Nunavut, ni les organismes--bande indienne, conseil de bande ou autres--chargés de l'administration d'une bande indienne ou d'autres groupes de peuples autochtones.
[. . .]
4. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Parlement; chacun a le droit d'employer l'une ou l'autre dans les débats et travaux du Parlement.
(2) Il doit être pourvu à l'interprétation simultanée des débats et autres travaux du Parlement.
(3) Les comptes rendus des débats et d'autres comptes rendus des travaux du Parlement comportent la transcription des propos tenus dans une langue officielle et leur traduction dans l'autre langue officielle.
[. . .]
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux--auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services--situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.
[. . .]
25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu'à l'étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu'il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l'une ou l'autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.
[52]Il ressort clairement du dossier en l'espèce que la Chambre met ses débats à la disposition de CPAC en français, en anglais et en version originale. En vertu de son entente avec la Chambre, CPAC offre tous ces signaux aux différentes EDR. Ce ne sont pas toutes les EDR qui diffusent les trois signaux audio. Elles ne sont actuellement pas tenues de le faire puisqu'elles ne sont pas parties à l'entente intervenue entre le président de la Chambre et CPAC. En conséquence, si une EDR diffuse seulement le son original et qu'une question est posée en français et reçoit une réponse en anglais, une personne unilingue ne pourra pas comprendre tout l'échange.
[53]CPAC est une société constituée en vertu des lois du Canada, et ses actionnaires détiennent tous des licences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes les autorisant à exploiter des entreprises de câblodistribution. CPAC est le véhicule utilisé par la Chambre pour communiquer au public en particulier ses débats. CPAC est une entité séparée de la Chambre. C'est elle qui est responsable de la programmation et qui fournit les signaux aux EDR.
[54]À mon avis, les arrangements pris entre le président de la Chambre et CPAC sont visés à l'article 25 de la Loi. La Chambre transmet ses signaux à CPAC, qui les transmet à son tour aux EDR afin qu'ils soient distribués au public. L'article 25 de la Loi s'applique parce que les services sont fournis par CPAC au président de la Chambre.
[55]L'article 25 de la Loi prévoit qu'une institution fédérale -- et la Chambre en est une aux termes de la Loi -- doit, si elle utilise un intermédiaire (individu ou organisme) pour fournir des services qu'elle est tenue d'offrir dans les deux langues officielles, veiller à ce que cet intermédiaire se conforme à cette obligation. Cela n'a pas été fait en l'espèce puisque, dans son entente avec la Chambre, CPAC ne s'est pas engagée à veiller à ce que ses contrats de distribution avec les différentes EDR garantissent la diffusion dans les deux langues officielles.
[56]À mon avis, l'article 25 de la Loi exige que, dans toute entente conclue entre la Chambre et CPAC, comme en l'espèce, on «veille» à ce que les débats déjà fournis par la Chambre soient éventuellement diffusés dans les deux langues officielles. Par exemple, si CPAC s'était engagée, dans l'entente qu'elle a conclue avec le président de la Chambre, à négocier avec les EDR la diffusion de ses programmes dans les deux langues officielles, le problème auquel le demandeur était confronté aurait été évité.
[57]Selon la Chambre défenderesse, les EDR refuseraient de diffuser CPAC si une telle clause figurait dans les ententes. Rien dans la preuve dont je dispose n'étaie cette affirmation cependant. Quoi qu'il en soit, si l'article 25 de la Loi s'applique, comme je le pense, le simple fait que des EDR puissent refuser de diffuser les débats de la Chambre ne justifie pas que l'on ne tienne pas compte de cette disposition.
[58]Je conclus donc que la Chambre manque aux obligations linguistiques que lui impose la Loi, parce qu'elle n'a pas veillé, dans les ententes qu'elle a conclues avec CPAC, à ce que ses débats soient offerts dans les deux langues officielles.
[59]Question no 3
Quelle est la réparation convenable en l'espèce?
La réparation convenable en l'espèce consiste, à mon avis, à ordonner que la Chambre et le Bureau prennent les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi dans l'année qui suit la date de la présente décision. Compte tenu de la complexité de l'affaire, je ne me propose pas de décrire en détail les mesures devant être prises.
ORDONNANCE
[60]LA COUR ORDONNE:
1. Une déclaration portant que la méthode qu'utilisent actuellement les défendeurs, Canada (Chambre des communes) et Canada (Bureau de régie interne), pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires va à l'encontre de l'article 25 de la Loi est prononcée.
2. Les défendeurs indiqués ci-dessus doivent, dans l'année qui suit la date de la présente décision, prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi.
3. Les parties peuvent me soumettre des observations par écrit concernant les dépens.