A-1-02
2002 CAF 473
La Chambre des communes et l'honorable Gilbert Parent (appelants)
c.
Satnam Vaid et la Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
et
L'Association des employé(e)s en sciences sociales et le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et l'Alliance de la fonction publique du Canada et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le président de l'Assemblée législative de l'Ontario (intervenants)
Répertorié: Canada (Chambre des communes) c. Vaid (C.A.)
Cour d'appel, juges Linden, Létourneau et Rothstein, J.C.A.--Ottawa, 19 juin et 28 novembre 2002.
Droit constitutionnel -- Libertés fondamentales -- Privilège parlementaire -- Allégation de discrimination faite contre l'ancien président de la Chambre des communes par un employé de la Chambre qui avait été congédié -- Le privilège parlementaire ne s'appliquait pas en l'espèce -- La portée du privilège ne s'étend pas à l'exercice de pouvoirs de gestion comportant des atteintes aux droits de la personne -- Aucune disposition de la Loi sur les relations de travail au Parlement (LRTP) ne révélait une intention claire du Parlement visant à protéger les activités de gestion contre l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne -- La LRTP n'empêche pas l'examen judiciaire des décisions prises en vertu de la LRTP.
Droits de la personne -- Allégation de discrimination faite contre l'ancien président de la Chambre des communes par un employé de la Chambre qui avait été congédié -- Le privilège parlementaire avait été invoqué -- Compétence de la Commission des droits de la personne en matière d'enquête -- La législation sur les droits de la personne bénéficie d'un statut quasi constitutionnel; par conséquent, il est uniquement possible d'y déroger au moyen d'un texte législatif exprès clair, mais il n'existe pas de texte de ce genre en l'espèce -- La portée du privilège ne s'étend pas à l'exercice de pouvoirs de gestion comportant des atteintes aux droits de la personne -- Aucune disposition de la Loi sur les relations de travail au Parlement ne révélait une intention claire du Parlement de protéger les activités de gestion contre l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Lorsque l'intimé Vaid, chauffeur du Président de la Chambre des communes, a été congédié, parce qu'il avait censément refusé de s'acquitter des nouvelles responsabilités lui incombant selon une nouvelle description de travail et parce qu'il avait refusé un autre emploi, il a été fait droit au grief qu'il avait présenté conformément à la Loi sur les relations de travail au Parlement. Lorsqu'il est retourné travailler, on lui a dit que le poste avait été désigné comme étant [traduction] «obligatoirement bilingue» et on l'a envoyé suivre des cours de français. Par la suite, lorsqu'il a informé le Président qu'il voulait reprendre ses anciennes fonctions, il a été informé que le bureau du Président avait été réorganisé et que son poste était devenu excédentaire. L'intimé a alors déposé deux plaintes devant la Commission des droits de la personne, en alléguant que la Chambre des communes avait agi de façon discriminatoire à son endroit du fait de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique en refusant de continuer à l'employer. Dans une objection préliminaire soulevée devant le Tribunal des droits de la personne auquel l'affaire avait été renvoyée, les appelants ont affirmé que celui-ci n'avait pas compétence pour examiner les plaintes de l'intimé parce que le Président et la Chambre des communes ne sont pas assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne à cause du privilège parlementaire. Le Tribunal des droits de la personne a rejeté cette objection. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale. Il s'agissait d'un appel contre la décision rendue par la Section de première instance.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
Le juge Létourneau, J.C.A. (le juge Linden, J.C.A., souscrivant à son avis et le juge Rothstein, J.C.A., souscrivant quant au résultat seulement): La législation sur les droits de la personne, y compris la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) a toujours été considérée d'une façon différente des lois précises étant donné qu'elle bénéficie d'un statut quasi constitutionnel et que, par conséquent, il est uniquement possible d'y déroger au moyen d'un texte législatif exprès clair. Le privilège parlementaire fait partie de notre constitution. Le privilège parlementaire existe afin de permettre aux parlementaires d'exercer leurs fonctions sans être assujettis à certaines formes d'examen juridique, et avec un certain degré d'indépendance. L'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada prévoyait expressément un privilège parlementaire. Étant donné que le privilège parlementaire est enraciné dans notre constitution, les tribunaux judiciaires doivent faire preuve de retenue à l'égard de l'immunité dont jouit le Parlement. Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, on énonce un critère fondé sur la nécessité permettant de déterminer la portée du privilège parlementaire: à savoir s'il est nécessaire pour assurer la dignité et l'efficacité de la Chambre des communes. Toutefois, le privilège parlementaire revendiqué en l'espèce ne s'applique pas. Premièrement, les pouvoirs invoqués en l'espèce ne sont pas nécessaires et ils ne sont donc pas visés par le privilège tel qu'il est délimité par la doctrine de la nécessité. Deuxièmement, je ne puis constater aucune intention claire du Parlement, qu'elle soit explicite ou implicite, visant à protéger les activités de gestion contre l'application de la LCDP. Enfin, l'adoption par le Parlement de la LRTP révèle l'intention d'exclure de la portée du privilège les employés qui, comme l'intimé, sont assujettis à cette Loi.
L'existence et l'exercice des pouvoirs revendiqués en l'espèce n'étaient pas nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre des communes et au maintien de sa dignité et de son intégrité. Pareils pouvoirs ne peuvent pas échapper à l'examen judiciaire ou à d'autres mécanismes d'examen lorsqu'ils sont exercés sans qu'il soit nécessaire de le faire parce qu'ils ne relèvent pas alors du privilège, tel qu'il est délimité par la nécessité. Si l'on applique cette conclusion aux faits de la présente espèce, le privilège parlementaire revendiqué à l'égard de la gestion du personnel n'empêche pas l'examen de la nécessité de bénéficier du privilège et de s'en prévaloir lorsqu'une allégation de discrimination raciale ou ethnique fondée sur la Charte ou sur la LCDP est faite. La portée du privilège ne s'étend pas à l'exercice de pouvoirs de gestion comportant des atteintes aux droits de la personne tel qu'il est ici allégué, ce qui en fait, si la chose est établie, diminue la dignité et l'intégrité de la Chambre sans en améliorer le fonctionnement.
L'article 4 de la LRTP protège les privilèges, pouvoirs et immunités parlementaires mentionnés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Il désigne en outre un certain nombre de personnes auxquelles la LRTP ne s'applique pas. La seule interprétation raisonnable qu'il est possible de donner à l'article 4 et à la partie I de la LRTP est que le privilège parlementaire ne s'applique pas aux questions et aux personnes visées par la LRTP. La LRTP n'empêche pas l'application de la LCDP. Elle n'empêche pas non plus l'examen judiciaire des décisions prises en vertu de cette loi. L'article 2 de la LRTP prévoit que les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglemente la LRTP ne s'appliquent pas entre autres aux employés de la Chambre des communes. La LCDP ne traite pas de questions qui sont semblables à celles qui sont prévues dans la LRTP. La portée et l'objet des deux lois sont différents et les droits conférés par chaque loi sont différents. Aucune disposition de la LRTP ne révèle une intention expresse claire de priver, ou ne renferme une déclaration législative claire du Parlement privant, les employés du Parlement de la protection fournie par la LCDP en matière de droits de la personne. Même si l'article 72 de la LRTP renferme une clause privative «intégrale» ou «forte», cela ne veut pas dire qu'il fait obstacle au contrôle, mais uniquement que la cour qui procède à l'examen doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision en cause.
Le juge Rothstein, J.C.A. (concourant quant au résultat seulement): Les tribunaux des droits de la personne accomplissent leur mandat en tant qu'annexe du pouvoir exécutif. Dans la mesure où l'exercice des activités du Parlement (y compris le droit de nommer et de gérer son personnel) est soumis au privilège parlementaire, les tribunaux administratifs ne doivent pas s'y ingérer. C'est un critère de nécessité qui nous dira si le Parlement a besoin du privilège allégué pour pouvoir exercer dignement et efficacement ses activités d'organe législatif. Toutefois, le critère de nécessité ne permet pas de juger du contenu d'un privilège allégué, mais plutôt de déterminer le domaine nécessaire de compétence parlementaire exclusive ou absolue. C'est l'exercice particulier d'un privilège valide qui est soustrait à l'examen du tribunal. Cependant, le champ lui-même d'un privilège valide constitue une question préjudicielle de compétence (voir New Brunswick Broadcasting Co., juge McLachlin, à la page 384). Les matières qui échappent aux règles nécessaires pour assurer le fonctionnement digne et efficace du Parlement seront extérieures au privilège. La destitution fondée sur des motifs de distinction tels que la race ou le sexe constitueraient un exemple de situation échappant aux règles d'après lesquelles le Parlement fédéral et les législatures provinciales conduisent leurs activités (juge McLachlin dans Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876). Les actes d'un employeur en matière de nomination et de gestion du personnel qui sont inspirés de motifs contraires aux droits de la personne échappent aux règles d'après lesquelles le Parlement conduit ses affaires. Ce sont là des motifs invalides lorsqu'il s'agit d'embaucher des employés et de les renvoyer ou de les sanctionner, des motifs qui ne bénéficient pas du privilège parlementaire. Par conséquent, le privilège parlementaire ne supplante pas l'application de la LCDP aux employés du Parlement et, en l'occurrence, à M. Vaid.
La LRTP n'empêche pas non plus l'application de la LCDP à l'intimé. La portée et l'objet ne peuvent pas être les critères à appliquer pour l'expression «questions semblables» figurant à l'article 2 de la LRTP. Il faut interpréter l'expression «questions semblables» en se demandant si, selon les deux lois, des plaintes semblables peuvent être déposées et si les deux lois offrent un quelconque recours aux employés. Aucune formule restrictive n'empêche un employé de présenter un grief selon la LRTP pour une présumée violation de ses droits fondamentaux. Cependant, le droit de présenter un grief comprend tout fait portant atteinte aux conditions d'emploi de l'employé mais le droit à l'arbitrage est plus restreint. Il y a, dans le domaine des droits de la personne, des aspects pour lesquels un arbitrage n'est pas possible selon la LRTP. Pour les aspects en question, la LRTP n'offre pas de recours prenant la forme d'un arbitrage indépendant. Il faut en conclure que la LRTP et la LCDP ne réglementent pas des questions semblables. Toutefois, pour priver un individu des droits prévus par la LCDP, il faut une déclaration législative claire. Cependant, on ne sait trop dans quelle mesure, si tant est qu'il y en ait une, le législateur fédéral a voulu exclure l'application de la LCDP aux employés visés par la LRTP. En l'absence d'un langage clair dans l'article 2, je ne crois pas que le législateur fédéral ait voulu refuser aux employés visés par la LRTP le droit de déposer en vertu de la LCDP des plaintes de présumées violations de leurs droits fondamentaux dans le contexte de leur emploi.
La LRTP doit être interprétée d'une manière qui s'accorde avec le privilège parlementaire (voir le paragraphe 4(1) de cette loi). La LRTP prévoit une procédure de règlement de griefs et une procédure d'arbitrage ainsi que le renvoi à la Commission des relations de travail dans la fonction publique de l'inobservation d'une décision arbitrale. Cependant, c'est le Parlement qui conserve le droit de regard sur l'exécution d'une décision arbitrale, et en dernière analyse sur les questions d'emploi, comme le veut le privilège revendiqué. Même s'il y a tout lieu de croire qu'une décision arbitrale serait en définitive observée, le législateur fédéral a conservé son privilège de nommer et de gérer son personnel tout en offrant un recours aux employés qui s'estiment lésés par les actes d'un employeur.
lois et règlements
L'acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, appendice II, no 5].
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 3, 15, 24.
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 25 (mod. par L.C. 1994, ch. 12, art. 1), 117.02(1) (édicté par L.C. 1995, ch. 39, art. 139), 486(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 34), 495(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 75), (2), 529.3 (édicté par L.C. 1997, ch. 39, art. 2).
Human Rights Code of British Columbia, S.B.C. 1973 (2nd Sess.), ch. 119.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 5, 6, 7, 8, 9 (mod., idem, art. 12), 10 (mod., idem, art. 13), 14(1)c).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 18.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 154(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 48), (2), 180(2) (mod. par L.C. 1998, ch. 35, art. 43, 93; 2001, ch. 41, art. 101).
Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, art. 4.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, ch. 20, art. 155.1(5) (édicté par L.C. 1995, ch. 42, art. 59).
Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E-17, art. 22(2) (mod. par L.C. 1993, ch. 32, art. 12).
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 49.1(3) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 35).
Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 33, art. 2, 4, 13, 14, 62(1)b), 63(1), 68(4), 72.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 24, 91(1), 101(1) (abrogé par L.C. 1992, ch. 54, art. 73).
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-35, art. 21.
jurisprudence
décisions appliquées:
Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145; (1982), 137 D.L.R. (3d) 219; [1983] 1 W.W.R. 137; 39 B.C.L.R. 145; 82 CLLC 17,014; [1982] I.L.R. 1-1555; 43 N.R. 168; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 327 A.P.R. 181; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161; Attorney-General of Ceylon v. De Livera, [1963] A.C. 103 (P.C.); Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; (1985), 21 D.L.R. (4th) 1; [1985] 6 W.W.R. 166; 38 Man. R. (2d) 1; 15 Admin. L.R. 177; 8 C.C.E.L. 105; 85 CLLC 17,020; 61 N.R. 241; Procureur général du Canada c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1977] 2 C.F. 663; (1977), 74 D.L.R. (3d) 307; 14 N.R. 257 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Auclair c. Canada (Bibliothèque du Parlement) (2002), 43 Admin. L.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.).
distinction faite d'avec:
Thompson v. McLean (1998), 37 C.C.E.L. (2d) 170; 63 O.T.C. 321 (Div. gén. Ont.).
décisions examinées:
Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876; (1996), 137 D.L.R. (4th) 142; 37 C.R.R. (2d) 189; 201 N.R. 1; L'Institut professionnel du Service public c. Le Conseil du Trésor, [1977] 1 C.F. 304 (1re inst.); Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; (2001), 204 D.L.R. (4th) 33; [2001] 10 W.W.R. 1; 93 B.C.L.R. (3d) 1; 34 Admin. L.R. (3d) 1; 274 N.R. 116; Wellesley v. Beaufort (Duke of), [1831] 2 Russ. & M. 639; (1831), 39 E.R. 538; Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354; (1995), 126 D.L.R. (4th) 679; 95 CLLC 210-045; 185 N.R. 107 (C.A.).
décisions citées:
Ford Motor Co. of Canada Ltd. v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465; 13 C.C.E.L. (3d) 208; 158 O.A.C. 380 (C.A. Ont.); Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; (1993), 102 D.L.R. (4th) 665; 79 B.C.L.R. (2d) 273; 13 Admin. L.R. (2d) 141; 26 B.C.A.C. 241; 18 C.H.R.R. D/310; 152 N.R. 99; 44 W.A.C. 241; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; (1992), 9 O.R. (3d) 224; 93 D.L.R. (4th) 346; 12 C.C.L.I. (2d) 206; 39 M.V.R. (2d) 1; 138 N.R. 1; 55 O.A.C. 81; Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, [1986] 2 C.F. 372; (1986), 27 D.L.R. (4th) 481; 86 CLLC 14,034; 66 N.R. 46 (C.A.); Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595; 201 D.L.R. (4th) 698; 33 Admin. L.R. (3d) 123; 85 C.R.R. (2d) 170; 146 O.A.C. 125 (C.A.); Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) (1997), 32 O.R. (3d) 440; 97 O.A.C. 266 (C. div.); Landers et al. v. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158; Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24; (1988), 53 D.L.R. (4th) 29; 23 C.C.E.L. 15; 9 C.H.R.R. D/5359; 88 CLLC 17,024; 88 N.R. 150 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27; (1999), 181 D.L.R. (4th) 590; 21 Admin. L.R. (3d) 12; 250 N.R. 181 (C.A.); Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541.
doctrine
Canada. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-45, 13 mai 1986; 10 juin 1986.
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 1re sess., 33e Lég., 1er novembre 1985, p. 8267.
Hatsell, John. Precedents of Proceedings in the House of Commons, Vol. 1, 3rd ed. London: T. Payne, 1976.
Lock, G. F. «Labour Law, Parliamentary Staff and Parliamentary Privilege» (1983), 12 Industrial Law Journal 28.
May, Erskine. Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21st ed., C. J. Boulton. London: Butterworths, 1989.
Miller, Arthur S. «If "The Devil Himself Knows Not the Mind of Man," How Possibly Can Judges Know the Motivation of Legislators» (1978), 15 San Diego L. Rev. 1167.
Mullan, David. «Ocean Port Hotel and Statutory Compromises of Tribunal Independence» (2002), 9 C.L.E.L.J. 189.
APPEL d'une décision de la Section de première instance (Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2002] 2 C.F. 583; (2001), 208 D.L.R. (4th) 749; 38 Admin. L.R. (3d) 252; 14 C.C.E.L. (3d) 125; 203 F.T.R. 175) rejetant une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal des droits de la personne (Vaid c. Canada (Chambre des communes), [2001] D.C.D.P. no 15 (QL)) portant que la Chambres des communes et son président étaient assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Appel rejeté.
ont comparu:
Jacques A. Emond et Lynne J. Poirier pour les appelants.
Personne n'a comparu pour l'intimé Satnam Vaid.
Philippe Dufresne pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Peter C. Engelmann pour les intervenants, l'Association des employé(e)s en sciences sociales et le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier.
David Yazbeck pour l'intervenante, l'Alliance de la fonction publique du Canada.
James L. Shields and Alison M. Dewar pour l'intervenant, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.
Neil Finkelstein et Catherine Beagan Flood pour l'intervenant, le Président de l'Assemblée législative de l'Ontario.
avocats inscrits au dossier:
Emond Harnden LLP, Ottawa, pour les appelants.
La Commission canadienne des droits de la personne pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Caroline Engelmann Gottheil, Ottawa, pour les intervenants, l'Association des employé(e)s en sciences sociales et le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier.
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l'intervenante, l'Alliance de la fonction publique du Canada.
Shields & Hunt, Ottawa, pour l'intervenant, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.
Blake, Cassels & Graydon LLP, Toronto, pour l'intervenant, le Président de l'Assemblée législative de l'Ontario.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Dans cet appel, il s'agit de savoir si la Commission des droits de la personne est autorisée à enquêter sur une plainte de discrimination qu'un employé de la Chambre des communes qui avait été congédié a déposée contre l'ancien Président de la Chambre, ou si le privilège parlementaire empêche la tenue de cette enquête. Avant d'examiner les arguments respectifs des parties et des intervenants, il faut parler brièvement des faits, de la nature de la législation relative aux droits de la personne et du privilège parlementaire invoqué.
Les faits
[2]L'intimé, Satnam Vaid, a travaillé comme chauffeur pour trois présidents successifs de la Chambre des communes entre 1984 et 1994. Le 11 janvier 1995, il a été congédié, parce qu'il aurait censément refusé de s'acquitter des nouvelles responsabilités lui incombant selon une nouvelle description de travail et parce qu'il avait refusé un autre emploi. L'intimé a présenté un grief à l'encontre du congédiement conformément à la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 33 (la LRTP). L'affaire a été renvoyée à l'arbitrage en vertu de la LRTP. L'arbitre a entendu le grief et, dans une décision rendue le 25 juillet 1995, il s'est prononcé en faveur de M. Vaid et a ordonné que celui-ci soit réintégré dans son poste de chauffeur.
[3]M. Vaid est retourné travailler le 17 août 1995, date à laquelle on lui a dit que le poste de chauffeur avait été désigné comme étant [traduction] «obligatoirement bilingue». Étant donné qu'il n'avait pas les connaissances nécessaires en français pour reprendre son ancien emploi. M. Vaid n'a pas été autorisé à reprendre ses fonctions de chauffeur et on l'a plutôt envoyé suivre des cours de français.
[4]Dans une lettre en date du 8 avril 1997, M. Vaid a informé le Président qu'il voulait reprendre ses anciennes fonctions. Par une lettre en date du 12 mai 1997 envoyée par le bureau du Président, M. Vaid a été informé que le bureau du Président avait été réorganisé et que son poste d'attache deviendrait excédentaire le 29 mai 1997.
[5]M. Vaid a déposé deux plaintes devant la Commission, lesquelles étaient toutes deux datées du 10 juillet 1997, en alléguant que la Chambre des communes avait agi de façon discriminatoire à son endroit du fait de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique en refusant de continuer à l'employer. Le 2 octobre 2000, les plaintes ont été renvoyées à une formation du Tribunal. Dans une objection préliminaire soulevée devant le Tribunal, les appelants ont affirmé que celui-ci n'avait pas compétence pour examiner les plaintes de M. Vaid parce que le Président et la Chambre des communes ne sont pas assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP) à cause du privilège parlementaire.
[6]Le 25 avril 2001 [Vaid c. Canada (Chambre des communes), [2001] D.C.D.P. no 15 (QL)], la formation, par une majorité de deux contre un, a rejeté l'objection fondée sur le privilège parlementaire. Les appelants ont ensuite demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Le 4 décembre 2001, la Section de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire (motifs publiés à [2002] 2 C.F. 583), en confirmant que le privilège parlementaire n'empêchait pas l'application de la LCDP aux appelants et que le Tribunal avait compétence pour entendre et trancher les plaintes de M. Vaid.
[7]Les appelants interjettent maintenant appel contre la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale.
La nature de la législation en matière de droits de la personne
[8]Les droits de la personne sont reconnus partout dans les lois canadiennes, mais la LCDP fournit le cadre d'interprétation et d'application de cette législation. L'objet de la LCDP est énoncé à l'article 2 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9]:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.
[9]Le libellé de cette disposition indique clairement que l'objet de la LCDP vise, avec les autres lois, à protéger les Canadiens contre la discrimination. Ce texte législatif est unique en son genre en ce sens qu'il confirme les valeurs canadiennes fondamentales, comme l'égalité, et énonce la politique publique. Partant, la législation sur les droits de la personne a toujours été considérée d'une façon différente des lois précises étant donné qu'elle bénéficie d'un statut quasi constitutionnel et que, par conséquent, il est uniquement possible d'y déroger au moyen d'un texte législatif exprès clair. (Voir: Ford Motor Co. of Canada v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465 (C.A. Ont.); Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2. R.C.S. 536; et Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150.)
[10]Dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145, M. le juge Lamer (tel était alors son titre) a décrit comme suit la nature unique en son genre de la législation sur les droits de la personne, aux pages 157 et 158:
Lorsque l'objet d'une loi est décrit comme l'énoncé complet des «droits» des gens qui vivent sur un territoire donné, il n'y a de doute, selon moi, que ces gens ont, par l'entremise de leur législateur, clairement indiqué qu'ils considèrent que cette loi et les valeurs qu'elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu'il y a conflit.
En réalité, si le Human Rights Code entre en conflit avec «des lois particulières et spécifiques», il ne faut pas le considérer comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale.
[11]La protection accordée aux employés en matière de droits de la personne constitue donc une partie cruciale de ce que signifie le fait de vivre dans un État démocratique tel que le Canada. Et, comme la jurisprudence nous l'apprend, les lois fédérales et provinciales qui garantissent pareilles protections dans notre régime juridique l'emportent sur toute autre texte, à part la constitution.
[12]La complexité du présent appel est attribuable au fait qu'on n'a pas demandé à la Cour d'examiner simplement la portée d'une loi spécifique allant à l'encontre de la LCDP. On nous a plutôt demandé de tenter de concilier les paradigmes contraires du régime fédéral en matière de droits de la personne et de l'immunité parlementaire accordée aux députés fédéraux.
Le statut du privilège parlementaire
[13]Contrairement à une loi spécifique sur laquelle une loi relative aux droits de la personne peut avoir préséance, le privilège parlementaire fait partie de notre constitution. Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, où la Cour suprême du Canada a conclu que la législature de la Nouvelle-Écosse était autorisée à empêcher les journalistes de filmer ses débats, Mme le juge McLachlin (tel était alors son titre) a décrit le privilège parlementaire et son statut constitutionnel à la lumière de ses origines. Aux pages 378, 379, 384 et 385, le juge a donné les explications suivantes:
Dans ce contexte, le terme «privilège» indique une exemption légale d'une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties. Il est accepté depuis longtemps que, pour exercer leurs fonctions, les organismes législatifs doivent bénéficier de certains privilèges relativement à la conduite de leurs affaires. Il est également accepté depuis longtemps que, pour être efficaces, ces privilèges doivent être détenus d'une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d'une certaine autonomie à laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent porter atteinte.
[. . .]
[. . .] les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise. [Non souligné dans l'original.]
[14]Je reviendrai pour l'examiner plus à fond sur ce deuxième passage de la décision étant donné que la portée du privilège et le rôle des tribunaux judiciaires constituent le noeud du litige ici en cause.
[15]En d'autres termes, le privilège parlementaire existe afin de permettre aux parlementaires d'exercer leurs fonctions sans être assujettis à certaines formes d'examen juridique, et avec un certain degré d'indépendance. Le privilège vise à encourager le fonctionnement de la démocratie en permettant aux membres du Parlement d'entamer des discussions ouvertes sans craindre d'être poursuivis pour leurs déclarations ou pour leur conduite lorsqu'ils exercent leurs fonctions législatives.
[16]Le privilège dont bénéficie le Parlement est également conféré par la loi. L'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, prévoit expressément un privilège parlementaire, en le décrivant comme une doctrine constitutionnelle reçue par le Canada du Royaume-Uni au moment de la Confédération. Cette disposition est ainsi libellée:
4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:
a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;
b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possédaient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.
Le rapport entre les privilèges parlementaires et les tribunaux judiciaires
[17]Étant donné que le privilège parlementaire est enraciné dans notre constitution, les tribunaux judiciaires doivent faire preuve de retenue à l'égard de l'immunité dont jouit le Parlement. Le privilège parlementaire peut parfois être absolu, mais il ne s'applique pas à toutes les questions mettant en cause les parlementaires. Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, le juge McLachlin a énoncé un critère fondé sur la nécessité permettant de déterminer la portée du privilège parlementaire. Le juge a décrit comme suit l'application du critère, à la page 383:
Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.
[18]Par conséquent, pour déterminer si une question particulière relève de la compétence privilégiée du Parlement, il faut déterminer si la question à l'égard de laquelle le privilège est revendiqué est, semble-t-il, nécessaire au maintien de la dignité et de l'efficacité de la Chambre des communes. J'ai, à ce moment-ci, formulé le critère en des termes provisoires parce que, comme nous le verrons, l'énoncé exact du critère est loin d'être clair. Cela m'amène à énoncer la position que les appelants ont prise en l'espèce.
[19]En se fondant sur des précédents judiciaires, l'avocat des appelants soutient que la direction et la gestion du personnel parlementaire relèvent du privilège parlementaire. Il soutient que l'exercice de ce privilège est donc à l'abri de tout examen de la part des tribunaux judiciaires ou du Tribunal canadien des droits de la personne, et ce, même si la portée du privilège peut être examinée et délimitée par les tribunaux judiciaires: Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, [1986] 2 C.F. 372 (C.A.); New Brunswick Broadcasting Co., précité; Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A.); Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) (1997), 32 O.R. (3d) 440 (C. div.).
[20]Avec égards, j'estime que le privilège parlementaire revendiqué en l'espèce ne s'applique pas, et ce, pour les motifs suivants, que j'expliquerai d'une façon plus détaillée. Premièrement, les pouvoirs invoqués en l'espèce ne sont pas nécessaires et ils ne sont donc pas visés par le privilège tel qu'il est délimité par la doctrine de la nécessité. Deuxièmement, je ne puis constater aucune intention claire du Parlement, qu'elle soit explicite ou implicite, visant à protéger les activités de gestion contre l'application de la LCDP. Enfin, l'adoption par le Parlement de la LRTP révèle de toute façon l'intention d'exclure de la portée du privilège les employés qui, comme M. Vaid, sont assujettis à cette Loi.
La portée du privilège parlementaire, en ce qui concerne la direction et la gestion du personnel de la Chambre des communes
a) Le critère de nécessité
[21]Dans un article intitulé «If "The Devil Himself Knows Not the Mind of Man", How Possibly Can Judges Know the Motivation of Legislators» (1978), 15 San Diego L. R. 1167, l'auteur, Arthur S. Miller, souligne les problèmes qui se posent lorsque l'on tente de déterminer l'intention du législateur en examinant des textes législatifs; l'auteur fait observer [traduction] «que, pour ce qui est de nombreuses lois, un parlementaire individuel n'a tout simplement aucune intention»: page 1170. En général, les problèmes prennent de l'ampleur avec le temps puisque les principaux acteurs ne sont plus là et que la mémoire institutionnelle s'est effacée. Bien sûr, les débats parlementaires, ainsi que la doctrine et la jurisprudence, peuvent être un outil utile, mais ils ont des limites. J'admets qu'en l'espèce, il s'agit d'un des rares cas dans lesquels l'étendue de la règle de droit et l'intention du Parlement, lorsqu'il édicte des textes législatifs qui ne sont pas faciles à concilier, m'ont donné du fil à retordre. Je devrais peut-être tout d'abord souligner certains problèmes que j'ai décelés dans la jurisprudence en tentant de délimiter la portée du privilège parlementaire.
[22]Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, aux pages 379 et 380, les juges majoritaires ont cité Erskine May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament (21e éd., 1989) dans lequel l'auteur dit [à la page 82] que [traduction] «les privilèges du Parlement sont des droits "absolument nécessaires à l'exercice régulier de ses pouvoirs"» (non souligné dans l'original). Dans des motifs concordants, le juge en chef Lamer (à la page 343) a cité une remarque similaire faite par John Hatsell dans l'ouvrage intitulé Precedents of Proceedings in the House of Commons, vol. 1, 3e éd., 1976, à la page 1. Les juges majoritaires ont également mentionné une décision antérieure rendue par leur Cour dans laquelle M. le juge Ritchie avait fait remarquer que l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse n'avait pas le pouvoir de punir une infraction qui ne constituait pas un obstacle immédiat au bon déroulement de ses travaux étant donné qu'un tel pouvoir n'était pas fondamentalement nécessaire à l'exercice de ses fonctions: Landers et al. v. Woodworth (1878), 2 R.C.S. 158, aux pages 201 et 202, cité à la page 382. La Cour a ensuite adopté le critère de nécessité en définissant la portée des privilèges parlementaires, lequel était toutefois fondé sur la simple nécessité: voir page 384. Par conséquent, les privilèges parlementaires se rapportent à des droits qui sont nécessaires, mais qui sont nécessaires à quelle fin? Malheureusement, la jurisprudence relative à cette deuxième partie du critère, qui est elle-même composée de deux éléments, à savoir le fonctionnement et le maintien de la dignité et de l'intégrité de la Chambre, est loin d'être claire.
[23]Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, à la page 381, les juges majoritaires ont conclu, dans le cadre du critère de nécessité, que l'examen des ouvrages et arrêts «indiqu[e] que les organismes législatifs canadiens peuvent revendiquer en tant que privilèges inhérents les droits nécessaires à leur fonctionnement». De fait, ils se sont demandé si, dans le contexte canadien de 1992, le droit d'exclure des étrangers était «nécessaire au bon fonctionnement de nos organismes législatifs» en anglais: «necessary to the functioning of our legislative bodies»: voir page 387.
[24]Pourtant, auparavant, à la page 384, les juges majoritaires avaient résumé leur interprétation de la loi en ajoutant un qualificatif au mot «fonctionnement» et en disant que «du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement» (non souligné dans l'original). Toutefois, plus loin à la page 387, ils ont dit que le privilège était nécessaire «pour assurer non seulement l'autonomie de l'organisme législatif, mais aussi son fonctionnement efficace» (non souligné dans l'original).
[25]Les remarques des juges minoritaires dans l'arrêt subséquent Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, indiquent également l'existence d'une certaine ambiguïté au sujet de la norme de la nécessité. Les juges majoritaires se sont abstenus d'examiner la question, mais les juges minoritaires ont de nouveau examiné la portée des privilèges parlementaires. À la page 919, ils ont réitéré que le critère retenu dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. était celui de la nécessité pour le bon fonctionnement («proper functioning» dans la version anglaise) de la législature. Cependant, ils se sont ensuite demandé si le privilège revendiqué est nécessaire au fonctionnement efficace de la législature («efficient functioning» dans la version anglaise): ibid. À la page 926, ils ont conclu que «le pouvoir de frapper d'inhabilité des députés pour cause de corruption est nécessaire à la dignité, à l'intégrité et au bon fonctionnement (efficient functioning) d'une législature» (non souligné dans l'original). Je dois ajouter qu'il est peu utile de se reporter à la version française pour connaître le qualificatif exact puisque les mots «proper functioning» de la version anglaise ont été rendus en français par les mots «bon fonctionnement» et que les mots «efficient functioning» ont été rendus à un moment donné par les mots «fonctionnement efficace» (voir l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, à la page 387) et à un autre moment par «bon fonctionnement» (voir l'arrêt Harvey, précité, au bas de la page 919 ainsi qu'aux pages 922, 925 et 926, et l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., au haut de la page 385). De fait, les mots «necessary to the functioning» de la version anglaise, où le mot «functioning» n'est pas accompagné d'un qualificatif, ont été rendus en français par les mots «bon fonctionnement» comme dans le cas où la version anglaise parle du «proper functioning» (voir l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, à la page 387). Je note en passant que, dans leur demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne, les appelants ont adopté la notion d'efficacité comme critère définissant la portée du privilège parlementaire. Ils ont soutenu que le Tribunal avait commis une erreur de droit et qu'il avait omis d'«appliquer correctement le critère permettant de déterminer l'existence d'un privilège parlementaire», qui devrait être énoncé comme suit: «Si une question»--c'est-à-dire le pouvoir de nommer et de gérer son personnel--«relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de la Chambre des communes ne sauraient être maintenues» (non souligné dans l'original: voir le dossier d'appel, page 47, paragraphe V).
[26]Enfin, le deuxième élément de la deuxième partie du critère de nécessité se rapporte à la nécessité d'invoquer le privilège pour maintenir la dignité et l'intégrité de l'organisme législatif. Dans l'arrêt Harvey, précité, à la page 919, les juges minoritaires estimaient que l'examen de la question de la nécessité permettrait de déterminer si «la dignité, l'intégrité et l'efficacité du corps législatif pourraient être préservées s'il n'était pas permis d'accomplir le genre d'acte que l'on cherche à accomplir» (non souligné dans l'original). Plus loin, au bas de la page, le même critère a été réitéré, mais cette fois sous une forme disjonctive: «si le privilège invoqué est nécessaire à la dignité, à l'intégrité ou au bon fonctionnement de la législature» (non souligné dans l'original). Dans la conclusion finale, à la page 926, le critère est énoncé en des termes conjonctifs: le mot «ou» a été remplacé par le mot «et».
[27]À l'époque contemporaine, où les droits constitutionnels à l'égalité devant la loi (article 15 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]) et des droits de la personne quasi constitutionnels ont été conférés par le Parlement lui-même à chaque individu (article 2 de la LCDP), j'aurais été porté à croire que les privilèges parlementaires se rapportent aux droits qui sont absolument nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre des Communes et au maintien de sa dignité et de son intégrité. À mon avis, ces droits devraient être absolument nécessaires si un individu doit être privé des droits qui lui sont garantis par la Constitution et par la Charte ainsi que des droits fondamentaux de la personne sans qu'il lui soit possible de demander un redressement approprié devant les tribunaux judiciaires ou devant quelque autre instance. Porter atteinte, en jouissant de l'impunité judiciaire, à un droit garanti par la Charte ou à un droit fondamental de la personne n'est pas sans importance: il s'agit d'une question sérieuse. Il ne faut rien de moins qu'un critère fort rigoureux, étant donné en particulier qu'à l'article 24 de la Charte, le Parlement voulait accorder un recours judiciaire convenable et juste à toute personne victime de violation ou de négation des droits qui lui sont garantis par la Charte. Un grand nombre des droits fondamentaux de la personne ont été constitutionnalisés dans la Charte et ils bénéficient donc de la protection prévue à l'article 24.
[28]La nécessité d'adopter une interprétation conservatrice plutôt que libérale du privilège parlementaire tel qu'il se rapporte à la direction et à la gestion du personnel, à savoir la direction des affaires internes ou ce que les appelants ont appelé [traduction] «les rouages internes de la Chambre des communes» (voir le dossier d'appel, pages 46 et 47, alinéa a) et sous-alinéa (viii)), a également été soulignée en Angleterre.
[29]Dans un article intitulé «Labour Law, Parliamentary Staff and Parliamentary Privilege» (1983), 12 Industrial Law Journal 28, à la page 37, l'auteur G. F. Lock a conclu que [traduction] «les droits en matière de relations de travail sont fort éloignés de l'objet initial de cet aspect du privilège--le maintien de la liberté de parole des députés,--et l'exclusion des questions de personnel de la catégorie des «affaires internes de la Chambre» n'influerait pas sur les droits dont la Chambre a de fait besoin pour fonctionner».
[30]Dans un rapport publié le 30 mars 1999 par la Chambre des lords et par la Chambre des communes au sujet du privilège parlementaire, les auteurs, qui parlaient du droit de chaque chambre d'administrer ses affaires internes dans son enceinte, ont critiqué le caractère vague d'expressions telles que «la direction des affaires internes». Au paragraphe 241 du chapitre 5: Control by Parliament over its Affairs, voici ce qu'ils ont dit:
[traduction] Sur un point important, cet aspect du privilège n'est pas satisfaisant. L'expression «affaires internes» et les autres expressions analogues sont vagues et peuvent avoir une portée fort étendue. Selon une interprétation, elles englobent, à une extrémité du spectre, l'organisation des affaires parlementaires et, à l'autre extrémité, la fourniture d'approvisionnements et de services de base tels que la papeterie et l'entretien. À ce bout du spectre, on irait trop loin si l'on voulait par exemple dire qu'un litige portant sur la fourniture de papier pour photocopieuse ou sur le congédiement d'un préposé à l'entretien ne peut pas être tranché de la manière ordinaire par une cour de justice ou par un tribunal industriel. Ici comme ailleurs, le privilège parlementaire vise à permettre au Parlement de s'acquitter de ses fonctions à titre d'assemblée législative délibérante, et ce, sans entraves. Cet aspect du privilège sert mieux le Parlement s'il n'est pas porté à l'extrême. [Non souligné dans l'original.]
[31]Après avoir rappelé que le Parlement n'est pas un lieu de refuge contre la loi et qu'il faut établir une ligne de démarcation entre les activités de la Chambre qui doivent être protégées sous ce chef et celles qui ne doivent pas l'être, ils ont conclu, pour ce qui est de la gestion des services destinés aux membres du Parlement, que [traduction] «dans l'ensemble, ces services ne sont pas considérés comme protégés par un privilège, et ce, à juste titre». Aux paragraphes 247 et 248, voici ce qu'ils ont dit:
[traduction] La ligne de démarcation entre les activités privilégiées et les activités non privilégiées de chaque chambre n'est pas facile à définir. Selon l'approche qui correspond peut-être le mieux à une définition, les questions à l'égard desquelles les cours de justice ne devraient pas intervenir s'étendent au-delà des travaux du Parlement, mais les questions privilégiées doivent être si étroitement et si directement liées aux travaux du Parlement que l'intervention des cours de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement en sa qualité d'assemblée législative délibérante. Un exemple est la décision du Président relative à la question de savoir quelles installations se trouvant dans l'enceinte de la Chambre devraient être mises à la disposition des députés qui refusent de prêter le serment ou l'affirmation solennelle de loyauté. Mentionnons également les mesures prises par la bibliothèque de chaque chambre pour informer les membres des questions ayant un grand intérêt sur le plan politique. Pareilles mesures, si elles sont autorisées par le Président de chaque chambre, seraient à juste titre visées par le principe et ne pourraient pas faire l'objet d'ordonnances judiciaires.
Il s'ensuit que les fonctions de gestion, pour ce qui est de la fourniture de services dans une chambre ou l'autre ne sont qu'exceptionnellement assujetties au privilège. En particulier, les activités de la Commission de la Chambre des communes, organisme législatif constitué en vertu de la House of Commons Administration Act 1978, ne sont généralement pas visées par le privilège, et la gestion et l'administration des services de la Chambre ne le sont pas non plus. La limite n'est pas claire. Il arrive que la gestion des deux chambres se rapporte à des questions directement liées aux activités qui sont visées à l'article 9. Ainsi, le fonds de pension des députés est en partie réglementé par des résolutions de la Chambre. Il en va de même pour les salaires des membres et pour la nomination d'autres membres de la Commission de la Chambre des communes en vertu de l'alinéa 1(2)d) de la House of Commons Administration Act. Ces résolutions et ordonnances sont des travaux parlementaires, mais leur application ne l'est pas. [Non souligné dans l'original.]
[32]De plus, pour en revenir au critère de nécessité, je crois que le bon fonctionnement devrait être préféré au fonctionnement efficace en tant que partie du critère pertinent. En outre, le deuxième élément de la deuxième partie du critère, à savoir la dignité et l'intégrité de la Chambre des communes, devrait être de nature conjonctive. Il n'est pas difficile d'imaginer un cas dans lequel la mesure que l'on cherche à prendre puisse d'une part porter atteinte à la dignité de l'organisme législatif, mais qu'elle soit d'autre part jugée nécessaire aux fins d'un fonctionnement efficace.
[33]Ainsi, afin d'être efficace, la Chambre peut vouloir agir illicitement d'une façon discriminatoire pour atteindre ses objectifs et sacrifier ainsi sa dignité et son intégrité. Par contre, le bon fonctionnement exige à mon avis de la dignité et de l'intégrité parce qu'en absence de dignité et d'intégrité, la Chambre sera sans aucun doute discréditée à court terme et certainement à long terme; il en ira de même pour son fonctionnement et sa capacité de bien fonctionner. En d'autres termes, une institution ne fonctionne pas bien si elle compromet sa dignité et son intégrité en se livrant illégalement et illicitement à un acte discriminatoire afin d'être efficiente ou de fonctionner efficacement. De fait, l'efficience en tant que critère permettant de déterminer la portée des privilèges parlementaires peut être en soi une fin dont la poursuite pourrait justifier les moyens, tous les moyens. À mon avis, c'est la raison pour laquelle le bon fonctionnement doit être préféré au fonctionnement efficace ainsi qu'à la dignité et à l'intégrité.
[34]Ceci dit, je crois qu'il n'est pas nécessaire, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, de déterminer s'il faut appliquer un critère fondé sur la «nécessité absolue» ou un critère fondé sur la «simple nécessité». Comme nous le verrons, quel que soit le critère qu'on applique, le résultat final serait le même. Pour plus de clarté, je poserai en postulat le critère fondé sur la simple nécessité. Je supposerai que le privilège parlementaire ici en cause se rapporte aux pouvoirs de la Chambre qui sont nécessaires à son bon fonctionnement et au maintien de sa dignité et de son intégrité.
[35]Je crois qu'il est juste de supposer, comme le vicomte Radcliffe l'a dit dans l'arrêt Attorney-General of Ceylon v. De Livera, [1963] A.C. 103 (P.C.), à la page 120, [traduction] qu'«étant donné que la Chambre cherche à juste titre à limiter ses privilèges ou les privilèges de ses membres de façon à porter le moins possible atteinte à la liberté des autres, il importe de constater que ces privilèges ne s'appliquent pas à des activités qui ne relèvent pas carrément de la fonction réelle d'un membre». Telle semble essentiellement être la position prise par les juges minoritaires de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Harvey, précité, lorsqu'il a été statué que l'article 3 de la Charte «a encore pour effet d'empêcher que des citoyens deviennent inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles le Parlement et les législatures assujettissent la conduite de leurs affaires; la race et le sexe constitueraient des exemples de motifs qui tombent dans cette catégorie»: voir le paragraphe 70. Pour reprendre les termes utilisés par le vicomte Radcliffe, ce n'est pas la fonction réelle d'un membre de se livrer à la discrimination illégale fondée sur la race et le sexe parce que l'existence et l'exercice de pouvoirs discriminatoires illégaux ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre et au maintien de sa dignité et de son intégrité.
[36]À mon avis, le critère de nécessité utilisé pour définir la portée du privilège vise les deux composantes des pouvoirs revendiqués, c'est-à-dire leur existence et leur exercice. En d'autres termes, il est satisfait au critère de nécessité lorsque l'existence des pouvoirs et leur exercice sont nécessaires à la Chambre. La fonction d'examen de la Cour, dans des cas comme celui qui nous occupe où un privilège parlementaire est revendiqué, comporte à mon avis deux étapes: il s'agit en premier lieu de déterminer si les pouvoirs revendiqués doivent exister et, en second lieu, lorsque la nécessité de leur existence est établie, de déterminer si leur exercice est nécessaire au bon fonctionnement de la Chambre et au maintien de la dignité et de l'intégrité de la Chambre.
[37]Du point de vue purement pratique, l'existence d'un pouvoir dans l'abstrait signifie en soi fort peu de choses tant que ce pouvoir n'est pas réellement exercé. De fait, l'étendue d'un pouvoir est en pratique révélée par l'exercice qui en est fait. C'est alors que la question de la portée et de la délimitation entre en jeu. C'est au moment où le pouvoir est exercé que le critère de nécessité acquiert de l'importance. C'est alors qu'il faut déterminer si, comme partie intégrante de son étendue, il faut exercer ce pouvoir pour atteindre le but dans lequel il a été conféré. En l'espèce, cela veut dire déterminer s'il était nécessaire d'exercer le pouvoir pour assurer le bon fonctionnement de la Chambre et pour maintenir la dignité et l'intégrité de la Chambre.
[38]L'exigence d'une nécessité en ce qui a trait à l'existence et à l'exercice d'un pouvoir n'a rien de nouveau lorsqu'il est question de pouvoirs susceptibles d'influer sur les droits reconnus à un individu par la Constitution ou par la Charte. Le paragraphe 495(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 75] du Code criminel [L.R.C. (1985) ch. C-46] confère aux agents de la paix le pouvoir d'arrêter sans mandat une personne qui, par exemple, a commis un acte criminel. Il a été conclu que ce pouvoir devait exister afin de permettre aux agents de la paix de s'acquitter de leurs fonctions lorsqu'il s'agit d'appliquer la loi et de protéger le public. Toutefois, le paragraphe 495(2) oblige ces agents à n'exercer ce pouvoir que s'il est nécessaire de le faire, entre autres choses, pour identifier la personne en cause, assurer sa présence devant le tribunal ou empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète. Pour équivaloir à un privilège parlementaire, l'exercice par la Chambre des communes du pouvoir de gérer et de diriger son personnel dépend de la nécessité d'assurer le bon fonctionnement de la Chambre et de maintenir sa dignité et son intégrité, de la même façon que l'exercice des pouvoirs de la police dépend en général de la nécessité de protéger l'intérêt public: voir le paragraphe 495(2) du Code criminel. Lorsqu'un pouvoir existant est utilisé sans qu'il soit nécessaire de le faire, cet exercice est assujetti au contrôle judiciaire étant donné qu'il peut constituer un abus de pouvoir ne faisant pas partie de la fonction réelle de son titulaire. De fait, si l'on examine l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, où la Cour suprême a confirmé le droit de l'Assemblée législative d'exclure les étrangers de son enceinte lorsqu'elle juge qu'ils gênent les activités de l'Assemblée, il me semble que, non seulement l'existence du droit, mais aussi son exercice, devaient être nécessaires au bon fonctionnement de la législature. Encore une fois, cela ressemble aux dispositions législatives conférant le pouvoir d'exclure les membres du public de diverses audiences. Ainsi, un tribunal criminel a le droit d'exclure le public mais il peut uniquement exercer ce pouvoir lorsque, entre autres, il est nécessaire de le faire pour assurer la bonne administration de la justice ou pour empêcher de nuire aux relations internationales ou à la défense nationale: voir le paragraphe 486(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 34] du Code criminel. Un pouvoir similaire est conféré à une cour martiale en vertu du paragraphe 180(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 35, art. 43, 93; 2001, ch. 41, art. 101] de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5. De la même façon, le paragraphe 155.1(5) [édicté par L.C. 1995, ch. 42, art. 59] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, confère à l'enquêteur le pouvoir de rendre une ordonnance lorsqu'il est nécessaire de le faire pour assurer la confidentialité de l'enquête s'il est convaincu que des questions de sécurité publique ou des renseignements personnels peuvent être en cause, ou lorsque la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne serait mise en danger.
[39]On peut avec raison dire que les lois renferment maints exemples de cas dans lesquels l'exercice d'un pouvoir dépend de l'existence d'un élément ou d'éléments nécessaires. Les pouvoirs de perquisition et de saisie peuvent être exercés sans mandat à condition que la chose soit nécessaire à cause de l'urgence de la situation (voir par exemple le paragraphe 22(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 32, art. 12] de la Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E-17, le paragraphe 117.02(1) [édicté par L.C. 1995, ch. 39, art. 139] du Code criminel et le paragraphe 49.1(3) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 35] de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14). Pareille situation doit également exister conformément au paragraphe 529.3(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 39, art. 2] du Code criminel pour qu'un agent de la paix puisse pénétrer dans une maison d'habitation pour arrêter une personne sans mandat. En ce qui concerne cette disposition, l'«urgence de la situation» est définie au paragraphe 529.3(2) [édicté, idem] comme découlant de la nécessité d'éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort, ou d'éviter la perte ou la destruction imminentes d'éléments de preuve.
[40]Le recours à la force est également un pouvoir dont l'exercice doit être nécessaire. La force doit être utilisée dans des limites raisonnables. Ainsi, l'article 25 [mod. par L.C. 1994, ch. 12, art. 1] du Code criminel permet aux personnes autorisées à appliquer la loi d'employer la force nécessaire pour cette fin. Même le recours à la force qui est destiné à causer ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves est justifié dans certaines circonstances, mais uniquement lorsque cette force est nécessaire pour protéger la personne elle-même ou pour protéger toute autre personne sous la protection de cette personne contre la mort ou contre des lésions corporelles graves: voir le paragraphe 25(3) du Code criminel. Des conditions similaires sont imposées à l'égard de la force employée en vertu d'autres lois. Ainsi, le paragraphe 154(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 48] de la Loi sur la défense nationale confère le pouvoir d'employer la force nécessaire pour mettre aux arrêts une personne qui a commis ou est soupçonnée, pour des motifs raisonnables, d'avoir commis une infraction d'ordre militaire, mais exige qu'on emploie uniquement «la force raisonnablement nécessaire à cette fin» [paragraphe 154(2)].
[41]Dans le contexte de la gestion et de la direction du personnel, cette approche permet d'éviter le problème que pose la détermination de la portée ou des limites du privilège par la nature et l'importance de l'emploi, comme dans la décision Thompson v. McLean (1998), 37 C.C.E.L. (2d) 170, à la page 178, où la Division générale de la Cour de justice de l'Ontario s'est demandée si la façon dont l'employée en cause était traitée dans son emploi était [traduction] «si essentielle aux travaux de l'Assemblée législative que, si on laissait le cas de cette employée être tranché par les tribunaux, cela nuirait à une fonction parlementaire essentielle». L'emploi de chauffeur justifie-t-il davantage l'application du privilège que celui de commis de bureau ou de préposé à l'entretien? Paradoxalement, les personnes auxquelles le privilège s'appliquerait bénéficieraient d'une protection moins étendue, et ne bénéficieraient peut-être d'aucune protection, alors que les personnes qui sont aux échelons inférieurs de la hiérarchie pourraient se prévaloir d'un examen judiciaire complet. De plus, où la cour qui procède à l'examen doit-elle tracer la ligne lorsqu'elle crée, comme le juge des requêtes le mentionne, deux catégories d'employés, dont l'une a plus de chances que l'autre, lorsqu'il s'agit d'avoir accès aux tribunaux judiciaires?
[42]En résumé, en définissant la portée du privilège parlementaire de la Chambre des communes de gérer et de diriger son personnel, le critère de nécessité signifie que l'existence et l'exercice des droits revendiqués comme faisant partie du privilège doivent être nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre ainsi qu'au maintien de la dignité et de l'intégrité de la Chambre. Cela veut dire qu'un pouvoir qui est exercé sans qu'il soit nécessaire de le faire ne peut pas échapper à l'examen judiciaire ou à d'autres mécanismes d'examen parce qu'il ne relève pas alors du privilège, tel qu'il est délimité par la nécessité. Si l'on applique cette conclusion aux faits de la présente espèce, cela veut dire que le privilège parlementaire revendiqué à l'égard de la gestion du personnel n'empêche pas l'examen de la nécessité de bénéficier du privilège et de s'en prévaloir lorsqu'une allégation de discrimination raciale ou ethnique fondée sur la Charte ou sur la LCDP est faite. À mon avis, la portée du privilège ne s'étend pas à l'exercice de pouvoirs de gestion comportant des atteintes aux droits de la personne tel qu'il est ici allégué, ce qui en fait, si la chose est établie, diminue la dignité et l'intégrité de la Chambre sans en améliorer le fonctionnement.
[43]Même si je me trompe en interprétant et en appliquant le critère de nécessité que les tribunaux judiciaires ont retenu pour définir la portée de ce privilège parlementaire, je suis néanmoins d'avis que le privilège revendiqué en l'espèce ne s'applique pas, par suite de l'adoption de la LRTP par le Parlement.
b) En vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement
[44]La LRTP a été édictée en vue d'accorder aux employés du Parlement des droits de négociation collective et d'autres droits en matière d'emploi, y compris le recours à des tiers décideurs aux fins de l'exercice de ces droits.
[45]L'article 4 de la LRTP figurant dans la partie I de la Loi protège les privilèges, pouvoirs et immunités parlementaires mentionnés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, lequel a déjà été cité. Il désigne en outre un certain nombre de personnes auxquelles la LRTP ne s'applique pas:
Article 4 de la LRTP:
4. (1) La présente partie n'a pas pour effet d'abroger les droits, immunités et attributions visés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada ou d'y déroger.
(2) La présente partie ne s'applique pas au personnel des personnes ou organismes suivants:
a) le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada qui exerce les fonctions de ministre;
b) le sénateur qui exerce les fonctions reconnues de:
(i) leader du gouvernement,
(ii) leader de l'Opposition,
(iii) whip du gouvernement,
(iv) whip de l'Opposition;
c) le député qui exerce les fonctions reconnues de:
(i) chef de l'Opposition,
(ii) whip du gouvernement,
(iii) whip de l'Opposition;
d) le député qui exerce les fonctions reconnues de leader ou de whip d'un parti comptant officiellement au moins douze députés;
e) les parlementaires;
f) les membres du groupe parlementaire, si ce personnel est composé de documentalistes ou chargé de fonctions similaires;
g) les comités du Parlement, si ce personnel est temporaire.
[46]De quelle façon le mécanisme complexe de présentation et d'arbitrage des griefs, qui est également prévu dans la partie I de la Loi, doit-il être concilié avec le paragraphe 4(1) si aucune disposition de la partie I n'abroge le privilège accordé à la Chambre pour ce qui est de la gestion du personnel, ou même n'y déroge? Je souscris aux prétentions de la Commission canadienne des droits de la personne ainsi qu'à celles de l'Alliance de la fonction publique du Canada, selon lesquelles la seule interprétation raisonnable qu'il est possible de donner à l'article 4 et à la partie I est que le privilège parlementaire ne s'applique pas aux questions et aux personnes visées par la LRTP. Autrement, le mécanisme prévu dans la partie I n'aurait aucune force puisqu'il déroge au privilège parlementaire en permettant l'examen, sous tous ses aspects, de l'exercice du privilège. Toutefois, les personnes énumérées au paragraphe 4(2) à qui la partie I ne s'applique pas sont néanmoins assujetties au privilège, tel qu'il est délimité par le critère de nécessité. Dans sa forme actuelle, la LRTP crée donc deux catégories d'employés du Parlement et accorde à chaque catégorie une protection différente et inégale.
[47]Ceci dit, il reste à déterminer, comme le soutiennent les appelants, si le mécanisme établi par la LRTP empêche d'autres formes d'examen judiciaire ou administratif.
Question de savoir si les procédures de présentation de grief et le mécanisme d'arbitrage prévus dans la LRTP empêchent l'examen judiciaire et la procédure d'examen prévue par la LCDP
[48]Je suis arrivé à la conclusion selon laquelle la LRTP n'empêche pas l'application de la LCDP. Elle n'empêche pas non plus l'examen judiciaire des décisions prises en vertu de cette Loi.
a) L'applicabilité de la LCDP
[49]L'argument que les appelants ont invoqué à l'appui de la prétention selon laquelle les dispositions de la LCDP ne s'appliquent pas au Parlement et aux employés du Parlement est fondé sur l'article 2 de la LRTP, qui est ainsi libellé:
2. La présente loi, sous réserve de ses autres dispositions, s'applique, d'une part, aux personnes attachées dans leur travail, comme employés, au Sénat, à la Chambre des communes, à la Bibliothèque du Parlement ou à des parlementaires, d'autre part à ces institutions et aux parlementaires qui, ès qualités, les emploient ou qui ont sous leur direction ou leur responsabilité des documentalistes ou des personnes chargées de fonctions similaires affectés au service des membres de groupes parlementaires, ainsi qu'à ces documentalistes ou personnes; de plus, sauf disposition expresse de la présente loi, les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglementent la présente loi et les mesures prises en vertu de celles-ci, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, n'ont aucun effet à l'égard des institutions et des personnes visées au présent article. [Non souligné dans l'original.]
Avec égards, je ne suis pas convaincu que la LCDP traite de questions qui sont semblables à celles qui sont prévues dans la LRTP.
[50]Premièrement, la portée des deux lois est différente. La LRTP traite de relations de travail; c'est une loi en matière de relations de travail. De son côté, la LCDP est une loi sur les droits de la personne qui assure une protection contre la discrimination en ce qui concerne les biens, les services, les installations, l'hébergement, la publicité, incluant une protection contre les lignes de conduite discriminatoires en matière d'emploi: voir les articles 5 à 10 [article 9 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 12), 10 (mod., idem, art. 13)] de la LCDP. À mon avis, dire que la LCDP est une loi relative au travail ne constitue pas une description juste de cette loi. La LCDP comporte une dimension beaucoup plus vaste et plus fondamentale, même si un de ses aspects porte sur l'atteinte aux droits de la personne dans le contexte de l'emploi. Cependant, elle met néanmoins l'accent sur les droits de la personne, et non sur les relations de travail et sur la négociation. De plus, contrairement à la LRTP dont le champ d'application est limité à certains employés du Parlement, la LCDP et les droits de la personne quasi constitutionnels qu'elle renferme s'appliquent à tous les individus: voir l'article 2 de la LCDP.
[51]Deuxièmement, l'objet de chaque loi est différent. Comme il en a déjà été fait mention, la LRTP confère des droits de négociation collective et d'autres droits en matière d'emploi de façon à mettre les employés du Parlement dans une situation analogue à celle des fonctionnaires de l'État régis par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35: voir la déclaration que M. Hnatyshyn a faite devant la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-45, aux pages 1:74 et 1:75, 13 mai 1986. À la page 1:50 de ces procès-verbaux, M. Hnatyshyn a dit ce qui suit:
[traduction] L'établissement de bonnes relations de travail sur la Colline parlementaire exige que nous assumions la responsabilité qui nous incombe de mettre en place un régime de négociation collective qui se prête aux besoins des institutions parlementaires. [Non souligné dans l'original.]
La LRTP traite également, au moyen de l'incorporation des dispositions du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2], de la sécurité et santé au travail ainsi que des normes du travail telles que les congés et les heures de travail. Les normes incorporées s'appliquent à tous les employés du Parlement, et ce, peu importe qu'ils soient ou non organisés en vue de négocier collectivement: voir Débats de la Chambre des communes, 1er novembre 1985, à la page 8267. L'objet de la LCDP est tout à fait différent. Cette loi assure l'égalité des chances à tous les individus et permet à ceux-ci de satisfaire leurs attentes et leurs besoins dans la vie sans être victimes d'actes discriminatoires: voir l'article 2 de la LCDP.
[52]Troisièmement, les droits eux-mêmes qui sont conférés par chaque loi sont différents, comme le montre le tableau suivant produit par la Commission canadienne des droits de la personne:
LCDP Les motifs de distinction illicite prévus par la LCDP sont fondés sur: a. la race, b. l'origine nationale ou ethnique, c. la couleur, d. la religion, e. l'âge, f. le sexe, g. l'orientation sexuelle, h. l'état matrimonial, i. la situation de famille, j. la déficience, k. l'état de personne graciée (art. 2-3) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi (art. 7). Constituent un acte discrimina-toire des restrictions, conditions ou préférences fondées sur un motif de distinction illicite exprimées dans une offre ou demande d'emploi (art. 8). Constitue un acte discrimina-toire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale, de défavoriser un individu (art. 9). Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour l'employeur, l'association patro-nale ou l'organisation syndicale de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite ou de conclure des ententes qui défavorisent un individu (art. 10). Constitue un acte discrimin-atoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. (11(1)). Constitue un acte dis-criminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d'emploi (14(1)). Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. |
Partie I de la LRTP Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Aucune disposition analogue. Il est interdit de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l'emploi d'une personne, sur l'appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l'exercice d'un droit que lui accorde la partie I de la LRTP (6(2)a)). Il est interdit d'imposer une condition de travail visant à empêcher une personne d'adhé-rer à une organisation syndicale ou d'exercer un droit que lui accorde la partie I de la LRTP (6(2)b)). Il est interdit de chercher, par intimidation, à obliger un employé: (i) à adhérer--ou s'abstenir ou cesser d'adhérer --, ou encore à continuer d'adhérer à une organisation syndicale, (ii) à s'abstenir d'exercer tout autre droit que lui accorde la partie I de la LRTP (6(2)c)). La Commission n'accorde pas l'accréditation à une organisa-tion syndicale qui fait des distinctions injustes à l'égard d'un employé en raison du sexe, de la race, de l'origine nation-ale, de la couleur ou de la religion (27(3)). |
Les deux seules dispositions de la LRTP traitant de discrimination sont également liées au travail et sont destinées à protéger le droit que possède un employé d'adhérer à une organisation d'employés et de ne pas être représenté comme agent négociateur par une organisation d'employés qui traite les employés d'une façon inéquitable.
[53]De plus, il importe de répéter qu'il est bien établi qu'un texte législatif clair doit exister pour qu'il y ait exclusion de l'application de la protection assurée en matière de droits de la personne, et ce, à cause de la nature spéciale et quasi constitutionnelle de pareille législation.
[54]Comme il en a déjà été fait mention, le principe a d'abord été énoncé par le juge Lamer (tel était alors son titre) à l'égard du Human Rights Code of British Columbia [S.B.C. 1973 (2nd Sess.) ch. 119] de la Colombie-Britannique. Dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, précité, aux pages 157 et 158, le juge Lamer a dit ce qui suit:
Lorsque l'objet d'une loi est décrit comme l'énoncé complet des «droits» des gens qui vivent sur un territoire donné, il n'y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l'entremise de leur législateur, clairement indiqué qu'ils considèrent que cette loi et les valeurs qu'elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu'il y a conflit. [Non souligné dans l'original.]
Dans l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, à la page 156, la Cour a par la suite réitéré à l'unanimité ce principe:
Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. [Non souligné dans l'original.]
Notre Cour a appliqué ce principe dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.), à la page 31. Je ne puis rien voir à l'article 2 de la LRTP, ou en fait dans les dispositions de la LRTP, qui révèle une intention expresse claire de priver les employés du Parlement de la protection fournie par la LCDP en matière de droits de la personne ou une déclaration législative claire du Parlement les privant de cette protection.
[55]Les appelants se fondent également sur l'article 14 de la LRTP pour soutenir que le Parlement a reconnu un seul genre d'examen:
14. Dans le cas où une mesure prescrite par une ordonnance rendue conformément à l'article 13 n'est pas prise dans le délai imparti, la Commission fait déposer une copie de son ordonnance, un rapport circonstancié et tous les documents afférents devant chaque chambre du Parlement dans les quinze jours de séance de celles-ci suivant l'expiration du délai.
En vertu de cette disposition, un rapport doit être déposé devant chaque chambre du Parlement en cas de défaut d'observation d'une ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission des relations de travail), qui possède la compétence voulue pour assurer l'observation de la partie I de la LRTP.
[56]Je suppose qu'il est possible de répondre brièvement à cet argument en disant que le rôle attribué au Parlement en vertu de l'article 14 n'en est pas un de révision, ou qui empêche une révision, à diverses étapes de la procédure menant à la délivrance de l'ordonnance, mais qu'il s'agit plutôt d'un rôle d'organisme chargé d'exécuter en dernier ressort cette ordonnance. L'article 14 prévoit un mécanisme d'exécution n'ayant rien à voir avec le privilège: voir les Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-45, 10 juin 1986, à la page 8:22. De fait, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-35] [LRTFP], qui n'a aucun rapport avec les privilèges parlementaires, renferme une disposition similaire à l'article 24. Par conséquent, la décision Institut professionnel du Service public c. Conseil du Trésor, [1977] 1 C.F. 304 (1re inst.), à la page 312, ne fait pas autorité pour ce qui est de la thèse invoquée par l'intervenant à l'appui des appelants, à savoir que la procédure de règlement d'un différend en matière de relations de travail échappe entièrement à l'examen judiciaire. Dans cette décision-là, M. le juge Addy a reconnu que l'article 24 (auparavant l'article 21[S.R.C. 1970, ch. P-35]) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui est analogue à l'article 14 de la LRTP, prévoyait un mécanisme d'exécution. À la page 313, le juge a ajouté qu'il n'était «aucunement question que la Commission ou l'arbitre en chef aient refusé ou omis d'exercer leur compétence, ou qu'ils aient outrepassé leur compétence» en reconnaissant ainsi qu'on pouvait procéder à un contrôle judiciaire en vue d'assurer l'exercice régulier d'une compétence, même par la Commission des relations de travail.
[57]Je ne crois donc pas qu'il soit raisonnablement possible d'inférer à partir de cette disposition qu'à cause du privilège parlementaire qu'il possède, le Parlement voulait conserver le contrôle ultime en matière de relations de travail et exclure toute forme de redressement autre que le mécanisme établi dans la LRTP. Comme il en a été fait mention, l'article 24 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui, je le répète, s'applique aux fonctionnaires de l'État qui ne sont pas assujettis aux privilèges parlementaires, renferme un mécanisme similaire d'établissement de rapports. Pourtant, l'examen judiciaire ainsi que les procédures d'examen prévues par la LCDP peuvent encore s'appliquer à ces employés de la fonction publique (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.)). De plus, donner un effet aussi général à l'article 14 rendrait redondant l'article 72 de la même loi qui, est-il allégué, interdit l'examen judiciaire.
[58]En somme, ni l'article 14 ni, comme il en a déjà été fait mention, l'article 2 de la LRTP ne constituent des textes législatifs clairs éliminant les protections quasi constitutionnelles fournies par la LCDP. J'examinerai maintenant les arguments portant sur la non-disponibilité du contrôle judiciaire.
b) La possibilité d'un contrôle judiciaire
[59]En plus des arguments déjà examinés, qu'ils invoquent également pour éliminer la possibilité d'un contrôle judiciaire, les appelants se fondent sur l'article 72 de la LRTP, qui renferme une clause privative:
Révision des ordonnances
72. (1) Sauf exception dans la présente partie, toute ordonnance, décision arbitrale ou autre, instruction ou déclaration de la Commission, d'un arbitre nommé en vertu de l'article 49 ou d'un arbitre de griefs est définitive et non susceptible de recours judiciaire.
(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire--notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto--visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de la Commission, d'un arbitre nommé en vertu de l'article 49 ou d'un arbitre des griefs.
Ce genre de clause n'est pas propre à la LRTP et, à mon avis, on ne saurait l'invoquer pour soutenir que le Parlement voulait ainsi exclure tout examen judiciaire.
[60]De fait, il n'a jamais été possible de protéger complètement les tribunaux administratifs contre un examen judiciaire, et ce, malgré la présence de clauses privatives particulièrement fortes. Les premiers examens de pareilles clauses ont abouti à la conclusion selon laquelle celles-ci ne pouvaient pas éliminer complètement le contrôle judiciaire, puisque cela équivaudrait à conférer à un tribunal administratif des pouvoirs exclusivement réservés aux tribunaux judiciaires en vertu de l'acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, appendice II, no 5]] (voir Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220). Même en présence d'une forte clause privative, il était toujours possible de procéder à un examen en cas d'erreur de compétence. Telle est l'approche qui a été adoptée en 1977 dans la décision Procureur général du Canada c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1977] 2 C.F. 663 (C.A.), lorsque la présente Cour a examiné la clause privative figurant dans la LRTFP, dont le libellé, rappelons-le, était presque identique à celui de l'article 72 de la LRTP. Cette disposition, qui a été abrogée en 1992 [L.C. 1992, ch. 54, art. 73], se lisait comme suit:
101. (1) Sauf exception dans la présente loi, toute ordonnance, décision arbitrale ou autre, instruction ou déclaration de la Commission, d'un arbitre nommé en vertu de l'article 63 ou d'un arbitre de griefs est définitive et non susceptible de recours judiciaire.
[61]Dans cette décision-là, la Cour a conclu que la compétence conférée à la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], lorsqu'il s'agissait d'examiner une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui était contestée, n'était pas éliminée par l'article 101 de la LRTFP parce que les motifs de contestation se rapportaient à la compétence du tribunal.
[62]La jurisprudence plus récente a considérablement éclairci l'approche à adopter en présence d'une clause privative. Il faut maintenant se fonder sur une approche pragmatique et fonctionnelle, selon laquelle la présence et la force d'une clause privative ne constitue que l'un des facteurs utilisés pour déterminer la norme qu'il convient d'appliquer à l'examen d'une décision du tribunal. En énonçant l'approche pragmatique et fonctionnelle dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, M. le juge Bastarache, au paragraphe 30, a examiné comme suit la question de la clause privative:
[. . .] la présence d'une telle clause «intégrale» atteste persuasivement que la cour doit faire montre de retenue à l'égard de la décision du tribunal administratif, sauf si d'autres facteurs suggèrent fortement le contraire en ce qui a trait à la décision en cause. La clause privative intégrale est «celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires, qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas» [. . .]
[63]Par conséquent, même si l'article 72 de la LRTP renferme une clause privative «intégrale» ou «forte», cela ne veut pas dire qu'il fait obstacle au contrôle, mais uniquement que la cour qui procède à l'examen doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision en cause. Telle est précisément la conclusion qui a été tirée dans un jugement récent où la LRTP était en cause. En effet, dans la décision Auclair c. Canada (Bibliothèque du Parlement) (2002), 43 Admin. L.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.), M. le juge Kelen, de la Section de première instance de la Cour fédérale, examinait la décision d'un arbitre; il a modifié la décision pour le motif qu'elle était manifestement déraisonnable.
Conclusion
[64]Le privilège que les appelants revendiquent ici lorsqu'il s'agit de diriger et de gérer le personnel de la Chambre des communes accroîtrait de beaucoup l'étendue du droit à la liberté de parole que possèdent les membres du Parlement et du droit conféré à l'origine au Parlement d'exercer un contrôle sur ses travaux. La LCDP est une loi fondamentale du Canada qui garantit le droit de travailler sans être assujetti à la discrimination. Je n'ai pas à m'attarder sur l'importance que les citoyens accordent à leur droit de travailler et au droit de satisfaire leurs attentes dans la vie. En appréciant les intérêts en jeu, il faudrait accorder un poids considérable à la nature spéciale de la législation sur les droits de la personne qui émane du Parlement lui-même.
[65]Retenir la prétention des appelants telle qu'elle a été soumise par leur avocat à l'égard de la portée du privilège parlementaire, c'est mettre les droits de la personne reconnus aux employés du Parlement à l'abri des tribunaux judiciaires et des tribunaux spécialisés en matière de droits de la personne qui ont été établis pour mieux assurer la protection et la reconnaissance de ces droits. Cela permettrait également aux législatures provinciales et au Parlement de porter atteinte aux droits de la personne sous le couvert d'un organisme législatif fonctionnant bien. En outre, cela éliminerait un incitatif important destiné à encourager les parlementaires à agir conformément aux principes d'égalité et de dignité humaine garantis par la Charte et par la législation sur les droits de la personne. Je suis prêt à reconnaître que le privilège parlementaire qui est ici en question peut parfois protéger une conduite répréhensible contre l'examen judiciaire, mais je ne crois pas que l'on ait voulu utiliser ce privilège comme arme pour limiter les droits de la personne reconnus aux employés du Parlement. Je ne crois pas que le Parlement ait voulu que ses propres employés, parmi tous les Canadiens, soient les seuls à ne pas être protégés contre des actes discriminatoires illégaux ou illicites. Il serait déraisonnable de conclure que le Parlement veut prendre une position à ce point contraire aux valeurs et idéaux canadiens fondamentaux qu'il cherche normalement à défendre et à promouvoir.
[66]En conclusion, je suis d'avis que le juge des requêtes n'a commis aucune erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants. Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens.
Le juge Linden, J.C.A.: Je suis d'accord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat):
INTRODUCTION
[67]J'ai eu l'occasion de lire les motifs de mon collègue, le juge d'appel Létourneau. Je partage sa conclusion, mais il m'est impossible de souscrire complètement à son analyse. C'est pourquoi j'expose les présents motifs concourants.
LES FAITS
[68]J'acquiesce aux faits exposés dans les motifs du juge Létourneau.
LA LCDP
[69]Je reconnais aussi avec le juge Létourneau que, selon les précédents, les lois sur les droits de la personne sont particulières et de nature quasi constitutionnelle et qu'elles devraient être interprétées selon une optique libérale et téléologique.
[70]Je reconnais en outre que les dispositions de fond de la LCDP reflètent des valeurs fondamentales de la société canadienne. Pour qu'une loi de ce genre sur les droits de la personne ne soit pas applicable, il doit exister une «déclaration législative claire». Voir l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, à la page 156.
LE PRIVILÈGE PARLEMENTAIRE SUPPLANTE- T-IL L'APPLICATION DE LA LCDP?
[71]Les tribunaux des droits de la personne occupent une place particulière dans le paysage juridique et politique du Canada. Ils accomplissent leur mandat en tant qu'annexe du pouvoir exécutif. Dans l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, le juge McLachlin affirmait, au paragraphe 32:
[. . .] [les] tribunaux [administratifs] chevauchent la ligne de démarcation entre le judiciaire et l'exécutif. Quoiqu'ils exercent une fonction décisionnelle, ils fonctionnent en fin de compte dans le cadre du pouvoir exécutif de l'État, conformément au mandat confié par la législature.
Certains exégètes ont exprimé l'avis que l'arrêt Ocean Port, précité, n'empêchait pas les tribunaux administratifs, qui exercent des fonctions décisionnelles, d'être vus comme partie intégrante du pouvoir judiciaire, voire peut-être comme un quatrième pouvoir autonome. Voir David Mullan, «Ocean Port Hotel and Statutory Compromises of Tribunal Independence» (2002), 9 C.L.E.L.J. 189, aux pages 197 à 199. Cependant, quelle que soit la perspective adoptée, les tribunaux administratifs sont étrangers au pouvoir législatif. Dans la mesure où l'exercice des activités du Parlement est soumis au privilège parlementaire, les tribunaux administratifs ne doivent pas s'y ingérer.
[72]Le privilège parlementaire est prévu dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et dans l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1.
[73]Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, le juge McLachlin (tel était alors son titre) décrivait succinctement le privilège parlementaire, aux pages 378 et 379:
J'examinerai tout d'abord la tradition historique des privilèges parlementaires. Dans ce contexte, le terme «privilège» indique une exemption légale d'une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties. Il est accepté depuis longtemps que, pour exercer leurs fonctions, les organismes législatifs doivent bénéficier de certains privilèges relativement à la conduite de leurs affaires. Il est également accepté depuis longtemps que, pour être efficaces, ces privilèges doivent être détenus d'une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d'une certaine autonomie à laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent porter atteinte.
[74]Dans l'arrêt Chambre des communes c. Conseil canadien des relations de travail, [1986] 2 C.F. 372 (C.A.), le juge Pratte estimait que le droit de la Chambre des communes et du Sénat de nommer et de gérer leur personnel constituait l'un de leurs privilèges. À la page 384, il affirmait:
Or, les parlementaires considèrent, à tort ou à raison, que le droit de la Chambre et du Sénat de nommer et de contrôler les membres de leur personnel fait partie de leurs privilèges.
Le juge Hugessen est arrivé à la même conclusion, à la page 391:
Au contraire, il me semble que l'un de ces privilèges est précisément que la Chambre doit pouvoir diriger et contrôler son personnel [. . .]
[75]C'est un critère de nécessité qui nous dira si le Parlement a besoin du privilège allégué pour pouvoir exercer dignement et efficacement ses activités d'organe législatif. (Voir l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, à la page 381.) Toutefois, le critère de nécessité ne permet pas de juger du contenu d'un privilège allégué, mais plutôt de déterminer le domaine nécessaire de compétence parlementaire exclusive ou absolue. À la page 383 de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., précité, le juge McLachlin expliquait:
Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.
[76]Ce en quoi consiste le contenu d'un privilège allégué qui dépasse l'examen du tribunal, par opposition au domaine de ce privilège, qui justifie l'examen du tribunal, est expliqué par le juge McLachlin, à la page 384:
Si les tribunaux devaient examiner le mode d'exercice d'un privilège valide et conclure que, dans certains cas, le privilège a été exercé d'une façon non valide, ils se trouveraient alors à empiéter sur la compétence exclusive de l'organisme législatif, après avoir reconnu que le privilège en question relève de la compétence exclusive de cet organisme législatif. La seule chose qui peut être examinée par le tribunal est à l'étape initiale de l'examen de la compétence: le privilège revendiqué est-il un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner? L'exercice particulier d'un privilège nécessaire ne saurait alors faire l'objet d'un examen, sauf si la retenue manifestée et la conclusion formulée à l'étape initiale sont rendues inopérantes.
Selon mon interprétation de ce passage, c'est l'exercice particulier d'un privilège valide qui est soustrait à l'examen du tribunal. Cependant, le champ lui-même d'un privilège valide constitue une question préjudicielle de compétence.
[77]Selon les appelants et le président de l'Assemblée législative de l'Ontario, la conclusion selon laquelle la nomination et la gestion des employés sont sujettes au privilège parlementaire est irréfutable, le critère de nécessité est rempli, et la Cour ne peut pousser plus loin son enquête. Les intimés et les syndicats intervenants affirment que le droit d'exercer une discrimination dans l'emploi n'est pas nécessaire pour le fonctionnement digne et efficace du Parlement.
[78]Je reconnais que le pouvoir judiciaire doit montrer une retenue considérable lorsqu'il est saisi de questions impliquant un empiétement sur l'autonomie du pouvoir législatif. Cependant, je ne souscris pas à l'argument des appelants et du président de l'Assemblée législative de l'Ontario selon lequel la Cour doit admettre que le champ du privilège en ce qui concerne la nomination et la gestion des employés englobe toute matière pouvant de près ou de loin entrer sous cette rubrique. La Cour est fondée à s'interroger sur ce que signifie «nomination et gestion du personnel», c'est-à-dire à déterminer l'étendue de cette expression. Les matières qui échappent aux règles nécessaires pour assurer le fonctionnement digne et efficace du Parlement seront extérieures au privilège.
[79]Rédigeant des motifs pour elle-même et pour le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, le juge McLachlin faisait observer que la destitution fondée sur des motifs de distinction tels que la race ou le sexe constitueraient un exemple de situation échappant aux règles d'après lesquelles le Parlement fédéral et les législatures provinciales conduisent leurs activités. L'étude des situations de ce genre est une étude dans laquelle il convient de s'interroger sur l'existence d'un privilège. Il s'agit d'un rôle de tamisage. Au paragraphe 71, le juge McLachlin s'exprime ainsi:
Ce rôle de tamisage signifie que, lorsqu'on soutient qu'une personne a été expulsée ou déclarée inéligible pour des motifs non valides, les tribunaux doivent déterminer si la mesure prise est visée par le privilège parlementaire. Si la cour conclut par l'affirmative, aucun autre examen n'est nécessaire.
[80]En l'espèce, les appelants et le président de l'Assemblée législative de l'Ontario affirment que la nomination et la gestion du personnel sont visées par le privilège et échappent à l'application de la LCDP. Autrement dit, d'après eux, les appelants sont libres d'embaucher des employés et de les congédier ou de les sanctionner pour des raisons qui seraient proscrites par les dispositions de la LCDP dans le cas de tous autres employeurs soumis à la compétence du Parlement.
[81]Je dois exprimer mon désaccord. Aucune preuve ni aucune argumentation n'ont été avancées pour expliquer en quoi le droit d'exercer une discrimination, au mépris des dispositions de la LCDP, est une nécessité pour le fonctionnement digne et efficace du Parlement. Cependant, l'efficacité ne doit pas être vue isolément. Si l'on devait donner à entendre que le fonctionnement efficace du Parlement est entravé, par exemple, par une obligation de consentir des aménagements raisonnables aux employés handicapés, les considérations d'efficacité ne pourraient à elles seules justifier une revendication de privilège parlementaire. Le fonctionnement du Parlement doit être à la fois digne et efficace. Lorsqu'un employeur porte atteinte sans justification à la dignité de ses employés, il porte atteinte également à sa propre dignité.
[82]Le Parlement a voté la LCDP et l'a rendue applicable à toutes les matières relevant de sa compétence législative. La LCDP reflète des valeurs canadiennes fondamentales. Je ne puis imaginer que le fonctionnement digne et efficace du Parlement requière que, s'agissant de la nomination et de la gestion de son personnel, ses membres soient davantage soustraits aux dispositions de la LCDP qu'ils ne le sont à celles du Code criminel.
[83]Je trouve que le langage assez pittoresque du lord chancelier Brougham dans l'arrêt Wellesley v. Beaufort (Duke of), [1831] 2 Russ. & M. 639; (1831), 39 E.R. 538, bien que rendu à une autre époque et dans un autre contexte, est tout à fait adapté au cas qui nous occupe. Aux pages 547 et 548, rejetant une revendication de privilège parlementaire, il affirmait:
[traduction] Si, devant la Cour du banc du Roi, un député devait un jour oublier son honneur de représentant, et son devoir d'homme, en usant grossièrement de faux-fuyants pour se dérober à son serment, a-t-on jamais pu imaginer qu'il aurait le loisir de dire: «Certes, j'ai usé de faux-fuyants; mais je suis un notable du comté, je suis un bourgeois, ou je suis un député; certes, j'ai commis un acte qui me dégrade et me déshonore, un acte qui est l'atteinte la plus flagrante que l'on puisse porter à l'administration de la justice; certes, j'ai commis un acte pour lequel un quelconque manant eût été jeté au cachot; mais je suis un membre de la Chambre des communes, je bénéficie du privilège du Parlement, et ma personne est aussi sacrée que le serment que j'ai prêté, puis rompu».
[84]Je n'ai aucune hésitation à conclure que les actes d'un employeur en matière de nomination et de gestion du personnel qui sont inspirés de motifs contraires aux droits de la personne échappent aux règles d'après lesquelles le Parlement conduit ses affaires. Ce sont là des motifs invalides lorsqu'il s'agit d'embaucher des employés et de les renvoyer ou de les sanctionner, des motifs qui ne bénéficient pas du privilège parlementaire. Par conséquent, le privilège parlementaire ne supplante pas l'application de la LCDP aux employés du Parlement et, en l'occurrence, à M. Vaid.
LA LRTP EMPÊCHE-T-ELLE L'APPLICATION DE LA LCDP À M. VAID?
[85]Même si les violations commises par un organe législatif en matière de droits de la personne ne sont pas protégées par le privilège parlementaire, la LRTP empêche-t-elle l'application de la LCDP à M. Vaid?
[86]Le paragraphe 4(2) de la LRTP énumère les postes qui ne sont pas régis par la LRTP. Il est entendu que le poste de M. Vaid ne figure pas dans le paragraphe 4(2) et que la LRTP s'applique à l'emploi de M. Vaid comme chauffeur du président de la Chambre des communes. Il a d'ailleurs déposé un grief concernant son premier licenciement et il s'est prévalu d'une décision qui ordonnait sa réintégration.
[87]L'article 2 prévoit que les lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglemente la LRTP ne s'appliquent pas aux personnes régies par la LRTP. Voici le texte pertinent de l'article 2:
2. La présente loi, sous réserve de ses autres dispositions, s'applique, d'une part, aux personnes attachées dans leur travail, comme employés, [. . .] à la Chambre des communes, [. . .] d'autre part à ces institutions et aux parlementaires qui, [. . .] les emploient ou qui ont sous leur direction ou leur responsabilité des documentalistes ou des personnes chargées de fonctions similaires affectés au service des membres de groupes parlementaires, ainsi qu'à ces documentalistes ou personnes; de plus, sauf disposition expresse de la présente loi, [. . .] les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglementent la présente loi et les mesures prises en vertu de celles-ci, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, n'ont aucun effet à l'égard des institutions et des personnes visées au présent article. [Je souligne.]
[88]À mon avis, l'article 2 de la LRTP ne fait pas obstacle à l'application de la LCDP, ni à la compétence du Tribunal des droits de la personne pour instruire et juger la plainte de M. Vaid, qui allègue une atteinte à ses droits. Pour conclure de la sorte, je me suis demandé si la LCDP réglemente «des questions semblables» à celles de la LRTP.
[89]À maints égards, la LRTP ressemble à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, (la LRTFP), qui régit l'emploi des fonctionnaires. Cependant, dans sa relation avec les autres textes qui réglementent des questions semblables, la LRTP est à l'opposé de la LRTFP. L'article 2 de la LRTP l'emporte sur les autres lois, tandis que la LRTFP le cède aux autres lois.
[90]Le paragraphe 91(1) de la LRTFP est ainsi formulé:
91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé:
a) par l'interprétation ou l'application à son égard:
(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,
(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi. [Je souligne.]
[91]Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Boutillier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.), le juge d'appel Linden estimait que, bien qu'un arbitre désigné selon la LRTFP ait sans doute compétence pour juger une affaire de droits de la personne, sa compétence en la matière est supplantée, de par l'article 91 de la LRTFP, en faveur de la procédure prévue par la LCDP.
[92]Les recours prévus par la LRTFP et par d'autres textes ne sont sans doute pas identiques, mais cela ne suffisait pas à préserver la compétence de l'arbitre désigné selon la LRTFP. Dans l'arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.), le juge Strayer avait disposé de la question dans les termes suivants, à la page 378:
Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l'autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l'autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l'arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l'alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n'exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu'un autre recours existe à l'égard de la même plainte. Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d'obtenir une véritable réparation. [Souligné dans le texte.]
Le juge Strayer avait également fait observer que l'intention de l'article 91 était d'empêcher la compétence concurrente de plusieurs instances (aux pages 379 et 380):
[. . .] lorsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d'examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d'examiner la même question.
Dans l'arrêt Boutillier, précité, le juge d'appel Linden a estimé que l'article 91 neutralisait la compétence d'un arbitre désigné selon la LRTFP, en faveur de l'application de la LCDP.
[93]Contrairement au régime établi dans la LRTFP, la LRTP, elle, exclut les autres tribunaux administratifs qui autrement pourraient avoir compétence concurrente en même temps qu'un arbitre nommé selon la LRTP. Les mots «questions semblables», à l'article 2 de la LRTP, doivent s'entendre de plaintes semblables, qu'elles soient déposées en vertu de la LRTP ou en vertu d'une autre loi fédérale. L'expression doit également signifier que le recours offert par la LRTP, même s'il n'est pas nécessairement le même que le recours offert par l'autre loi, procure à tout le moins quelque avantage aux employés.
[94]Le juge d'appel Létourneau accepte l'argument des intimés et des syndicats selon lequel la LCDP n'a pas la même portée ni le même objet que la LRTP et par conséquent ne réglemente pas des questions semblables. Je ne puis souscrire à de tels motifs. Chaque loi fédérale a son propre objet, un objet qui sera différent de celui d'un autre texte. C'est la raison pour laquelle les lois sont séparées. L'objet de l'article 2 de la LRTP est d'éviter la répétition. Si le champ et l'objet d'un texte constituaient les critères à appliquer pour l'expression «questions semblables», il n'y aurait jamais de «questions semblables». L'article 2 de la LRTP conduirait immanquablement à la même conclusion dans tous les cas, la conclusion selon laquelle aucune autre loi ne réglemente des «questions semblables». Cela ne peut être la manière d'interpréter l'expression «questions semblables». Je crois qu'il faut interpréter cette expression en se demandant si, selon les deux lois, des plaintes semblables peuvent être déposées et si les deux lois offrent un quelconque recours aux employés. Suivant le juge d'appel Strayer, dans l'arrêt Byers Transport, précité, si la procédure prévue par la LRTP est apte à offrir une véritable réparation aux employés, eu égard à la similitude de la plainte, cela suffit à empêcher l'application d'une autre loi qui, sans cet empêchement, donnerait compétence concurrente à une autre instance.
[95]Aucune formule restrictive n'empêche un employé de présenter un grief selon la LRTP pour une présumée violation de ses droits fondamentaux. L'alinéa 62(1)b) est ainsi rédigé:
62. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l'employé a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente partie, lorsqu'il s'estime lésé:
[. . .]
b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi. [Je souligne.]
Par conséquent, des plaintes de même nature peuvent soit être soumises à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTP, soit être soumises au régime prévu par la LCDP.
[96]Selon la LRTP, lorsqu'un grief n'est pas réglé à la satisfaction de l'employé, celui-ci peut renvoyer le grief à l'arbitrage. Cependant, le droit de renvoyer une affaire à l'arbitrage n'est pas aussi étendu que le droit de présenter un grief. Le droit de présenter un grief comprend tout fait portant atteinte aux conditions d'emploi de l'employé. Le droit à l'arbitrage est plus restreint. Voici le texte du paragraphe 63(1):
63. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un employé peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
b) une mesure disciplinaire prise contre lui entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire;
c) son congédiement, à l'exception du renvoi à la suite d'une période de stage consécutive à une première nomination;
d) sa rétrogradation;
e) en cas de refus de nomination, l'évaluation de l'employeur sur son aptitude vis-à-vis des exigences du poste;
f) sous réserve du paragraphe 5(3), sa classification par l'employeur.
[97]En règle générale, il semblerait que le droit à l'arbitrage ne peut être exercé que pour des matières telles que congédiement ou mesure disciplinaire entraînant une suspension ou une sanction pécuniaire. Cela engloberait assurément le cas de M. Vaid, puisqu'il a été licencié. Cependant, le droit à l'arbitrage engloberait-il toute violation de droits fondamentaux dans le cadre d'un emploi? Il n'apparaît pas qu'un employé qui s'est plaint du harcèlement de son employeur puisse soumettre l'affaire à l'arbitrage selon la LRTP. Le droit à l'arbitrage ne semble pas non plus s'appliquer dans le cas d'un employé qui, bien qu'il n'ait pas été licencié ou qu'une nomination ne lui ait pas été refusée, s'est plaint de discrimination fondée sur une déficience. On pourrait citer d'autres exemples. Mais ceux-là suffisent pour la démonstration. Il y a, dans le domaine des droits de la personne, des aspects pour lesquels un arbitrage n'est pas possible selon la LRTP. Pour les aspects en question, la LRTP n'offre pas de recours prenant la forme d'un arbitrage indépendant.
[98]Par conséquent, la LRTP ne donne pas un droit général à un arbitrage indépendant qui engloberait toutes les plaintes en matière de droits de la personne. Je crois qu'il faut en conclure que la LRTP et la LCDP ne réglementent pas des questions semblables.
[99]L'article 2 de la LRTP prévoit que «les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglemente la présente loi et les mesures prises en vertu de celles-ci [. . .] n'ont aucun effet». Ces mots donnent à entendre qu'il faut s'en remettre aux dispositions particulières de la LRTP et de l'autre loi pour savoir si chacune réglemente des questions semblables. Par l'article 2, le législateur fédéral voulait-il que certaines plaintes en matière de droits de la personne soient résolues par un arbitre nommé en vertu de la LRTP et que les autres soient résolues conformément à la LCDP? On ne sait trop à quel niveau de décomposition il faut considérer la LCDP pour savoir si elle renferme des questions semblables à celles de la LRTP. Par exemple, l'article 7 de la LCDP est ainsi formulé:
7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
b) de le défavoriser en cours d'emploi.
Une plainte de refus de continuer d'employer un individu selon ce que prévoit l'alinéa 7a) de la LCDP peut aussi être l'objet d'un arbitrage selon la LRTP. Cependant, il n'est pas évident que toutes les questions pouvant se poser selon l'alinéa 7b) puissent l'être elles aussi. L'alinéa 14(1)c) de la LCDP est ainsi formulé:
14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu:
[. . .]
c) en matière d'emploi.
Il semblerait que le harcèlement n'est pas une question semblable qui puisse être l'objet d'un arbitrage selon la LRTP.
[100]Pour priver un individu des droits prévus par la LCDP, il faut une déclaration législative claire. Voir l'arrêt Craton, précité, à la page 156. Vu la rigueur de cette norme, je ne crois pas que l'article 2 soit suffisamment clair pour autoriser la conclusion selon laquelle les dispositions de la LCDP doivent être disséquées dans le détail avant qu'on ne puisse dire s'il y a ou non questions semblables; c'est-à-dire pour autoriser la conclusion selon laquelle les divers articles de la LCDP doivent être considérés séparément, voire pour conclure que les alinéas de tel ou tel article doivent être considérés individuellement. Certes l'article 2 vise à empêcher la répétition. Cependant, il n'est pas assez clair pour l'empêcher dans le cas de la LCDP. On ne sait trop dans quelle mesure, si tant est qu'il y en ait une, le législateur fédéral a voulu exclure l'application de la LCDP aux employés visés par la LRTP. En l'absence d'un langage clair dans l'article 2, je ne crois pas que le législateur fédéral ait voulu refuser aux employés visés par la LRTP le droit de déposer en vertu de la LCDP des plaintes de présumées violations de leurs droits fondamentaux dans le contexte de leur emploi.
[101]Cette conclusion suffit à disposer du présent appel, mais le juge d'appel Létourneau a exprimé, sur la relation entre le privilège parlementaire et la LRTP, un avis que je ne partage pas totalement. Je profite donc de cette occasion pour exprimer mon point de vue sur cette relation.
LA RELATION ENTRE LE PRIVILÈGE PARLEMENTAIRE ET LA LRTP
[102]Le paragraphe 4(1) de la LRTP confirme la permanence du privilège parlementaire malgré la promulgation de la LRTP. Le paragraphe 4(1) est ainsi formulé:
4. (1) La présente partie n'a pas pour effet d'abroger les droits, immunités et attributions visés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada ou d'y déroger.
[103]À première vue, la pérennité du privilège parlementaire semble incompatible avec les dispositions de la LRTP en matière de grief et d'arbitrage. Permettre aux employés de recourir à la procédure de règlement des griefs pour des matières intéressant leur emploi et de renvoyer lesdites matières à l'arbitrage semble porter atteinte au droit de regard que le Parlement exerce sur son personnel, un droit de regard qui censément lui est conféré par le privilège parlementaire. On serait tenté de croire que le paragraphe 4(1) devrait plutôt être ainsi formulé: «Sous réserve de la présente loi, la présente partie n'a pas pour effet d'abroger les droits» Puisque ces mots n'apparaissent pas, la LRTP doit être interprétée d'une manière qui s'accorde avec le privilège parlementaire.
[104]Lorsque le Parlement a voté la LRTP, il considérait que le droit de regard sur ses employés entrait dans son privilège. La LRTP a été votée très peu de temps après le jugement rendu par la Cour fédérale dans l'affaire Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, précitée, jugement selon lequel le droit de nommer et de gérer un personnel relevait du privilège parlementaire. La transcription des procès-verbaux du Comité législatif révèle qu'il a été expressément pris note du jugement avant que la LRTP ne soit votée. Je crois que l'on peut légitimement conclure, de la coïncidence de ce jugement et du vote de la LRTP, que, pour le législateur fédéral, la gestion et la nomination des employés relevaient du privilège parlementaire, et il ressort du texte du paragraphe 4(1) qu'il souhaitait la pérennisation du privilège parlementaire, et cela malgré l'adoption de la LRTP. (Voir Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-45, précité, 13 mai 1986, à la page 50.)
[105]Comment alors le privilège s'accorde-t-il avec la LRTP, qui prévoit une procédure d'arbitrage et de règlement des griefs ainsi que le pouvoir d'un arbitre d'accorder réparation à des employés? Selon moi, la réponse se trouve dans les mécanismes d'application de la LRTP. Selon le paragraphe 68(4), l'employeur doit prendre toute mesure que lui impose une décision arbitrale rendue sur un grief. Selon l'article 13, la Commission des relations de travail dans la fonction publique doit instruire toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur n'a pas exécuté une décision arbitrale sur un grief. Selon l'article 14, s'il n'est pas donné suite à une ordonnance de la Commission, la Commission fait déposer une copie de son ordonnance devant chaque Chambre du Parlement.
[106]Les articles 13 et 14 et le paragraphe 68(4) sont ainsi formulés:
13. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n'a pas, selon le cas:
a) observé les interdictions énoncées aux articles 6, 7 ou 8;
b) mis à effet une disposition d'une décision arbitrale;
c) mis à effet une décision d'un arbitre sur un grief;
d) respecté l'un des règlements pris en matière de griefs par la Commission conformément à l'article 71.
(2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), la Commission juge une personne coupable d'un des manquements énoncés dans les alinéas (1)a) à d), elle peut rendre une ordonnance enjoignant à cette personne de remédier à son manquement ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle juge approprié. Elle adresse en outre son ordonnance:
a) lorsque l'auteur du manquement a agi ou prétendu agir pour le compte de l'employeur, à celui-ci;
b) lorsque la personne a agi ou prétendu agir pour le compte d'une organisation syndicale, au dirigeant attitré de celle-ci.
14. Dans le cas où une mesure prescrite par une ordonnance rendue conformément à l'article 13 n'est pas prise dans le délai imparti, la Commission fait déposer une copie de son ordonnance, un rapport circonstancié et tous les documents afférents devant chaque chambre du Parlement dans les quinze jours de séance de celles-ci suivant l'expiration du délai.
[. . .]
68. [. . .]
(4) L'employeur prend toute mesure que lui impose une décision rendue à l'arbitrage sur un grief.
[107]La LRTP prévoit une procédure de règlement des griefs et une procédure d'arbitrage, ainsi que le renvoi, à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, de l'inobservation d'une décision arbitrale. Cependant, c'est le Parlement qui conserve le droit de regard sur l'exécution d'une décision arbitrale, et en dernière analyse sur les questions d'emploi, comme le veut le privilège revendiqué.
[108]Les intimés et les syndicats soutiennent que l'article 14 de la LRTP est presque identique à l'article 24 de la LRTFP, auquel n'est attaché aucun privilège parlementaire. On fait donc valoir que l'article 14 ne peut ici prêter appui à une revendication de privilège parlementaire. Les intimés et les syndicats n'ont pas indiqué l'objet de l'article 14 de la LRTP ou de l'article 24 de la LRTFP. Si effectivement les employés visés par la LRTFP ne sont pas assujettis au privilège parlementaire, l'article 24 de la LRTFP repose sur d'autres raisons. Cependant, cela ne change pas l'effet de l'article 14 de la LRTP. Le dispositif de mise en application par le Parlement, à l'article 14, s'accorde avec la déclaration de permanence du privilège parlementaire, au paragraphe 4(1) de la LRTP.
[109]Il est vrai que le Parlement a le pouvoir de ne pas donner effet à une décision arbitrale. Cependant, la décision arbitrale relève du domaine public. La visibilité publique d'une décision arbitrale dissuade un employeur de l'ignorer. Un employeur ne pourrait pas non plus se permettre d'ignorer une ordonnance arbitrale en affirmant qu'elle renferme un vice de procédure ou qu'elle est manifestement déraisonnable. Nonobstant l'indiscutable clause privative figurant dans l'article 72, si un employeur est insatisfait d'une décision arbitrale, il peut demander le contrôle judiciaire de la décision et obtenir le renvoi de l'affaire pour nouvelle décision.
[110]Il faudrait semble-t-il que les circonstances soient tout à fait inusitées pour qu'un employeur refuse de se conformer à une décision arbitrale, pour que l'affaire soit renvoyée, en vain, à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, pour que l'affaire soit ensuite déposée devant le Parlement et pour que le Parlement confirme le refus de l'employeur. D'ailleurs, dans les débats qui avaient conduit à l'adoption de la LRTP, il était établi qu'aucune affaire n'avait jamais été déposée devant le Parlement en application d'une disposition semblable de la LRTP. (Voir Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-45, précité, le 8 juin 1986, à la page 22.) Même s'il y a tout lieu de croire qu'une décision arbitrale serait en définitive observée, le législateur fédéral a conservé son privilège de nommer et de gérer son personnel tout en offrant un recours aux employés qui s'estiment lésés par les actes d'un employeur.
CONCLUSION
[111]Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis que ni le privilège parlementaire ni la LRTP n'empêchent l'application de la LCDP aux employés du Parlement.
[112]Je rejetterais l'appel, avec dépens.