A-653-00
2002 CAF 424
Procureur général du Canada (demandeur)
c.
Ken Fletcher, Claude J. Gallant, Fred W. Johnson, L. P. Leblanc, Philippe Leclerc, James A. Macleod, Steven J. Richard et J. R. Hebert (défendeurs)
Répertorié: Canada (Procureur général) c. Fletcher (C.A.)
Cour d'appel, juges Desjardins, Décary et Noël, J.C.A. -- Ottawa, 15 octobre et 5 novembre 2002.
Relations du travail -- Contrôle judiciaire d'une décision de la CRTFP selon laquelle il n'y avait aucun danger au moment de l'enquête, mais une situation dangereuse existait lorsque des agents correctionnels ont, en raison d'une pratique de «dotation minimale», refusé «techniquement» de travailler au pénitencier en application de l'art.128 du Code canadien du travail -- L'agent de sécurité a conclu qu'il n'y avait aucun «danger» au moment de l'enquête parce qu'il n'y avait aucune politique de dotation minimale en application à ce moment-là -- Le droit d'un employé de refuser de travailler pour des raisons de sécurité doit être exercé dans un contexte particulier; il ne doit pas servir de tribune pour l'analyse de la politique d'un employeur -- L'agent de sécurité était tenu d'examiner les conditions de travail telles qu'elles étaient au moment du refus de travailler et de l'enquête, mais il ne pouvait intervenir que s'il existait un danger au moment de l'enquête -- La Commission a commis une erreur de droit.
Pénitenciers -- Une pratique de «dotation minimale» en vigueur au pénitencier obligeait les agents correctionnels à travailler en groupes de deux par unité -- Sept agents ont refusé «techniquement» de travailler en application de l'art. 128 du Code canadien du travail -- L'agent de sécurité a estimé qu'il n'y avait aucune politique de dotation minimale en application au moment de son enquête et il a conclu qu'il n'y avait aucun «danger» au sens de l'art. 122 du Code -- La CRTFP, après avoir jugé qu'aucun danger n'existait au moment de l'enquête, a commis une erreur de droit lorsqu'elle a estimé qu'une situation dangereuse existait pour les unités 3 et 4.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique a accueilli en partie l'appel des défendeurs à l'encontre de la décision d'un agent de sécurité enquêteur qui avait conclu à l'absence d'un «danger» au pénitencier à sécurité maximale de Dorchester. Le 22 novembre 1999, une pratique appelée «dotation minimale» était en vigueur au pénitencier, pratique qui obligeait les agents correctionnels à travailler en groupes de deux par unité. Sept agents ont déposé une plainte en application de l'article 128 du Code canadien du travail, mais ont décidé de rester à leurs postes, ce qui équivalait à un refus «technique» de travailler. Deux jours plus tard, un agent de sécurité, dépêché au pénitencier, a estimé qu'il n'y avait aucune politique de dotation minimale en application au moment de son enquête, et il a conclu qu'il n'y avait pas de «danger» au sens du Code au même moment. La Commission a exprimé l'avis que l'agent de sécurité aurait dû se demander s'il existait un danger pour les agents à la fois «au moment de l'enquête et au moment du refus de travailler». Elle a estimé que la dotation minimale dans les unités 3 et 4 présentait une situation qui, au moment du refus de travailler, mettait en danger les agents de service dans ces unités, mais qu'il n'y avait plus aucun danger au moment de l'enquête.
Arrêt: la demande est accueillie.
Le juge Décary, J.C.A. (le juge Noël, J.C.A., souscrivant à son avis): Le point à décider est une question de droit qui est au coeur du pouvoir de l'agent de sécurité de donner des instructions en application du paragraphe 129(4) du Code. Vu qu'il s'agit d'une question d'interprétation législative qui ne fait pas appel à des connaissances spécialisées de la part du membre unique de la Commission, la norme de contrôle applicable est la décision correcte.
Les articles 128 et 129 du Code canadien du travail reposent sur le principe selon lequel un employé peut refuser de travailler s'il a des motifs raisonnables de croire qu'il existe un danger. Le simple fait que l'agent de sécurité ne puisse intervenir que s'il existe un danger au moment de l'enquête ne l'empêchait pas d'examiner le contexte tout entier, y compris les circonstances qui avaient cours au moment du refus de travailler. Selon le juge Pratte, J.C.A., dans Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor), les circonstances qui ont cours au moment du refus de travailler peuvent être à propos. Cependant, l'existence d'un danger au moment du refus de travailler ne confère pas par le fait même à l'agent de sécurité ou, éventuellement, à la Commission, le pouvoir de donner à l'employeur des instructions relatives à ce danger. Des instructions ne peuvent être données qu'à l'égard d'un danger qui existe au moment de l'enquête. La Commission, après avoir jugé qu'aucun danger n'existait au moment de l'enquête, a commis une erreur de droit lorsqu'elle a estimé qu'une situation dangereuse existait pour les unités 3 et 4. La seule option qu'avait la Commission était de confirmer le rapport de l'agent de sécurité. Le mécanisme du refus de travailler tel qu'il est exposé dans le Code est une mesure d'urgence. C'est un outil dont dispose l'employé devant une situation qui pourrait lui causer une blessure ou une maladie avant que cette situation ne soit corrigée. Le droit d'un employé de refuser de travailler pour des raisons de sécurité est un droit important, mais limité, qui doit être exercé en accord avec le contexte particulier. Ce droit ne saurait être un moyen d'obtenir une décision d'un agent de sécurité, de la Commission ou de la Cour fédérale à propos d'une politique qui n'est pas appliquée au moment de l'enquête.
Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concordants): Le paragraphe 122(1) du Code canadien du travail définit le terme «danger» comme étant un risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. D'une part, la loi prévoit que la question de l'existence d'un danger doit être décidée avant que le risque soit écarté. L'agent de sécurité est donc tenu d'examiner les conditions de travail telles qu'elles étaient au moment du refus de travailler. D'autre part, la Cour a dit dans l'arrêt Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor) que, pour que le maintien du refus de travailler soit justifié, il faut se prononcer sur l'absence ou l'existence d'un danger pour l'employé en fonction de la situation qui a cours au moment de l'enquête. Un employé ne peut maintenir son refus de travailler que si un tel danger existe. L'agent de sécurité doit se demander si le danger, dans la mesure où il existait auparavant, existe encore, et si la mesure corrective, dans la mesure où elle a été prise, a donné des résultats. La Commission ne pouvait pas substituer sa décision à celle de l'agent de sécurité sur la question ultime de savoir si le maintien du refus de travailler dans les unités 3 et 4 était justifié. Cette décision ne pouvait être prise qu'en fonction de la situation à la date de l'enquête et non en fonction de la situation à la date du refus. Par ailleurs, ni l'agent de sécurité ni la Commission n'avaient le pouvoir de considérer la «politique de dotation minimale». Le mécanisme prévu par le Code prévoit une méthode particulière d'établissement des faits pour régler une situation particulière. Il n'est pas destiné à constituer une tribune pour l'analyse de la politique d'un employeur.
lois et règlements
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 122(1) «danger» (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1), 128 (mod., idem, art. 4), 129 (mod., idem; L.C. 1993, ch. 42, art. 7).
jurisprudence
décision appliquée:
Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 3 C.F. 630; (1987), 76 N.R. 374 (C.A.).
décisions examinées:
Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990), 73 D.L.R. (4th) 364; 33 C.C.E.L. 105; 113 N.R. 224 (C.A.F.); Scott C. Montani (1994), 95 di 157; Michel Collard (1993), 92 di 49; Kavanagh c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada--Service correctionnel), 2000 CRTFP 4; [2000] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique (Fletcher c. Conseil du Trésor (Solliciteur général--Service correctionnel), 2000 CRTFP 86; [2000] C.R.T.F.P.C. no 58 (QL)) a accueilli en partie l'appel des défendeurs à l'encontre de la décision d'un agent de sécurité enquêteur qui avait conclu à l'absence d'un «danger» au pénitencier à sécurité maximale de Dorchester. Demande accueillie.
ont comparu:
Harvey A. Newman et Richard E. Fader pour le demandeur.
Edouard Kravitz pour les défendeurs Ken Fletcher, Claude J. Gallant, Fred W. Johnson et James A. Macleod.
Andrew J. Raven pour les défendeurs L. P. Leblanc, Philippe Leclerc, Steven J. Richard et J. R. Hebert.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Sauvé & Roy, Montréal, pour les défendeurs Ken Fletcher, Claude J. Gallant, Fred W. Johnson et James A. Macleod.
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour les défendeurs L. P. Leblanc, Philippe Leclerc, Steven J. Richard et J. R. Hebert.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Décary, J.C.A.: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de A. E. Bertrand, membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), en date du 20 septembre 2000, répertoriée: Fletcher c. Conseil du Trésor (Solliciteur général--Service correctionnel), 2000 CRTFP 86 et publiée à [2000] C.R.T.F.P.C. no 58 (QL). La Commission avait accueilli en partie l'appel des défendeurs à l'encontre de la décision d'un agent de sécurité enquêteur qui avait conclu à l'absence d'un «danger» au pénitencier à sécurité maximale de Dorchester (le pénitencier).
[2]La présente affaire découlait de sept refus de travailler opposés par des agents correctionnels du pénitencier, ainsi que le prévoit l'article 128 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 4], dans la partie II du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2] (le Code). Un huitième refus, dans une autre institution, a été mis en suspens jusqu'à l'issue de la présente demande.
[3]Le 22 novembre 1999, une pratique appelée «dotation minimale» était en vigueur au pénitencier, pratique qui obligeait les agents à travailler en groupes de deux par unité. Les agents ont déposé une plainte en application de l'article 128 du Code, mais ont décidé de rester à leurs postes, ce qui équivalait à un refus «technique» de travailler. En application de l'article 129 [mod., idem; L.C. 1993, ch. 42, art. 7], un agent de sécurité fut dépêché au pénitencier les 24 et 25 novembre 1999. Il a estimé que, malgré l'absence d'une politique de gestion du risque réglant les situations de dotation minimale, il n'y avait aucune politique de dotation minimale en application au moment de son enquête. Chacune des quatre unités en question disposait d'au moins trois agents, et il n'y avait pas d'autres signes de danger au pénitencier à ce moment-là. L'agent a conclu qu'il n'y avait pas de «danger» au sens du Code à la date de l'enquête.
[4]Les agents correctionnels défendeurs ont alors fait renvoyer cette décision à la Commission conformément au paragraphe 129(5) du Code.
[5]La Commission a exprimé l'avis que l'agent de sécurité aurait dû se demander s'il existait un danger pour les agents à la fois «au moment de l'enquête et au moment du refus de travailler» (décision de la Commission, au paragraphe 64). Puis elle a estimé que la dotation minimale dans les unités 3 et 4 présentait une situation qui, au moment du refus de travailler, mettait en danger les agents de service dans ces unités. Elle a aussi jugé que, au moment de l'enquête, il n'y avait plus aucun danger. La Commission a ensuite annulé la décision de l'agent de sécurité, qu'elle a remplacée par ses propres directives. Ces directives étaient cependant d'un effet limité parce que le pénitencier avait depuis appliqué, dans les unités 3 et 4, une politique permanente de dotation par trois agents.
[6]Le demandeur a alors prié la Cour d'exercer un contrôle judiciaire. Seule la partie de la décision de la Commission qui traite des unités 3 et 4 est ici en cause.
Norme de contrôle
[7]Le point à décider est une question de droit qui est au coeur du pouvoir de l'agent de sécurité de donner des instructions en application du paragraphe 129(4) du Code. Il n'y a pas de clause privative restreignant l'examen des décisions de la Commission selon la partie II du Code. Il s'agit ici d'une question d'interprétation législative qui ne fait pas appel à des connaissances spécialisées de la part du membre unique de la Commission concerné par la résolution de ce point. La norme est celle de la décision correcte.
Les positions des parties
[8]Le seul grief du demandeur dans cette demande est la conclusion de la Commission selon laquelle, lorsqu'il s'est demandé si un danger existait selon le Code, l'agent de sécurité aurait dû décider «si la dotation minimale dans chaque unité particulière du pénitencier de Dorchester constituait un danger pour l'agent de correction ou pour d'autres personnes au moment de l'enquête et au moment du refus de travailler» (non souligné dans le texte; décision de la Commission, au paragraphe 64).
[9]Le demandeur invoque l'arrêt Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 3 C.F. 630 (C.A.) (Bidulka) et l'arrêt Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990), 73 D.L.R. (4th) 364 (C.A.F.) (Bonfa), ainsi que plusieurs décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) et du Conseil canadien des relations de travail (CCRT) pour affirmer que l'unique preuve dont doit tenir compte l'agent de sécurité est la preuve qui a cours au moment de l'enquête. Comme il n'y avait aucun danger (c'est-à-dire aucune politique de dotation minimale n'était en vigueur) au moment de l'enquête, on ne pouvait conclure à l'existence d'un danger.
[10]Les défendeurs reprennent essentiellement la décision de la Commission. Ils soutiennent qu'il n'y a pas dans la loi de limite temporelle à la définition de «danger» et que l'on ne devrait y présumer aucune limite semblable. La Commission a adopté pour le Code une interprétation téléologique en estimant qu'une limite temporelle réduirait l'aptitude de l'agent de sécurité à accomplir le mandat que lui attribue la loi.
Le bien-fondé
[11]Le point à décider ici est un point précis qui doit être examiné dans le contexte des circonstances particulières du cas.
[12]L'agent de sécurité a exprimé l'avis que sa tâche était de considérer la situation telle qu'elle existait à la date de l'enquête. Il a conclu qu'il n'y avait aucun danger au moment de l'enquête.
[13]La Commission a vu la chose un peu différemment. Elle s'est crue fondée à examiner les circonstances telles qu'elles étaient au moment du refus de travailler, ainsi que les circonstances telles qu'elles étaient au moment de l'enquête conduite par l'agent de sécurité. Le demandeur soutient que la Commission n'avait pas compétence pour s'interroger sur l'existence d'un danger au moment du refus de travailler.
[14]Je crois que cet argument est sans fondement. Les articles 128 et 129 du Code canadien du travail reposent sur le principe selon lequel un employé peut refuser de travailler s'il a des motifs raisonnables de croire qu'il existe un danger. Le simple fait que l'agent de sécurité ne puisse intervenir que s'il existe un danger au moment de l'enquête ne l'empêche pas d'examiner le contexte tout entier, y compris les circonstances qui avaient cours au moment du refus de travailler. Pour comprendre la situation et déterminer s'il existe un danger sur le lieu de travail, il doit être possible d'examiner toute la preuve, qu'elle soit historique ou qu'elle soit présente au moment de l'enquête. Je ne sache pas que la jurisprudence existante interdise cette manière de voir. Selon moi, le passage suivant des motifs du juge Pratte, J.C.A. dans l'arrêt Bidulka permet d'affirmer que les circonstances qui ont cours au moment du refus de travailler peuvent être à propos (à la page 641):
Conformément à l'alinéa 86(2)b), l'agent de sécurité est clairement tenu de décider de l'existence ou de l'inexistence, au moment de son enquête, «d'une situation constituant un danger pour l'employé». La violence qui avait sévi sur les lignes de piquetage quelques jours avant l'enquête des agents de sécurité ne représentait clairement pas la situation qui existait au moment de l'enquête de ces derniers. Elle aurait naturellement été pertinente à la décision que devaient rendre les agents de sécurité si la situation n'avait pas changé depuis ces explosions de violence. Mais ils ont conclu comme ils l'ont fait précisément parce qu'ils ont jugé que la situation qui avait cours au moment de leur enquête était différente de celle qui avait existé plus tôt. Étant donné ce changement, on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'avenir ne soit que la répétition du passé.
[15]Cependant, cela dit, l'existence d'un danger au moment du refus de travailler ne confère pas par le fait même à l'agent de sécurité ou, éventuellement, à la Commission, le pouvoir de donner à l'employeur des instructions relatives à ce danger. Des instructions ne peuvent être données qu'à l'égard d'un danger qui existe au moment de l'enquête. En l'espèce, la Commission, après avoir jugé qu'aucun danger n'existait au moment de l'enquête, a commis une erreur de droit lorsqu'elle a estimé qu'une situation dangereuse existait pour les unités 3 et 4. La seule option qu'avait la Commission était de confirmer le rapport de l'agent de sécurité.
[16]Les avocats des défendeurs ont soutenu avec force qu'un danger existait au moment de l'enquête car la politique de dotation minimale, bien que non appliquée, figurait encore dans les textes.
[17]Cet argument repose malheureusement sur une incompréhension du mécanisme du refus de travailler tel qu'il est exposé dans le Code.
[18]Le mécanisme constitue une occasion particulière donnée aux employés, à un moment déterminé et à un endroit déterminé, de s'assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse. C'est la protection à court terme de l'employé qui est en jeu, non une protection hypothétique ou éventuelle.
[19]Le mécanisme est une mesure d'urgence. C'est un outil dont dispose l'employé devant une situation qui pourrait lui causer une blessure ou une maladie avant que cette situation ne soit corrigée. Voir Scott C. Montani (1994), 95 di 157, à la page 7:
Le Conseil a déclaré que le Parlement n'avait pas eu l'intention d'utiliser le mot «danger» dans son acception la plus large. Voir David Pratt (1988), 73 di 218; et 1 CLRBR (2d) 310 (CCRT no 686). Au sens du Code, le «danger» doit être perçu comme immédiat et réel. Le risque auquel sont exposés les employés doit être suffisamment sérieux pour que la machine ou la chose ou la situation engendrée ne puisse être utilisée avant qu'il ne soit remédié à la situation. En outre, il doit s'agir d'un danger que le Parlement voulait inclure dans la Partie II du Code.
Le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence. Les employés doivent y faire appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque imminent de blessures. Il ne peut s'agir d'un danger qui est inhérent au travail ou qui constitue une condition normale de l'emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de travailler; le danger doit bel et bien exister. Voir Stephen Brailsford (1992), 87 di 98 (CCRT no 921); et David Pratt, supra. Cette disposition n'a pas davantage pour objet de faire aboutir des enjeux ou des différends en matière de relations du travail. Lorsqu'une telle décision coïncide avec d'autres conflits de travail, le Conseil se soucie tout particulièrement des circonstances entourant le refus. Voir Stephen Brailsford, supra; Ernest L. LaBarge (1981), 47 di 18; et 82 CLLC 16,151 (CCRT no 357); et William Gallivan (1981), 45 di 180; et [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no 332).
[20]Le mécanisme n'est pas le moyen par lequel est atteint l'essentiel des objectifs de la partie II. Voir Michel Collard (1993), 92 di 49, à la page 4:
[. . .] En d'autres mots, l'agent de sécurité, s'il reconnaît l'existence possible de préoccupations sur les conséquences à long terme de ces produits, décide aux fins de son enquête sur le refus de travail de se limiter à l'objet précis du refus.
Cette démarche, le Conseil le reconnaît aisément, est en conformité avec l'économie d'ensemble du Code et sa propre jurisprudence en la matière. En effet, le droit de refus ne constitue, et encore demeure-t-il fort encadré comme l'a précisé le Conseil dans Atkinson, supra (pages 81-83) [Dennis c. Atkinson (1992), 89 di 76 (CCRT no 958)], qu'une partie de l'économie d'ensemble de la Partie II du Code qui vise à protéger la santé et la sécurité des travailleurs. C'est pour cette raison, entre autres, que la jurisprudence du Conseil rappelle avec insistance que ce moyen ne doit pas constituer la voie privilégiée pour promouvoir un environnement sain et sécuritaire (voir David Pratt (1988), 73 di 218; et 1 CLRBR (2d) 310 (CCRT no 686), pages 225-226; et 317-318; et Rosario Coulombe (1989), 78 di 52 (CCRT no 747), pages 63-65).
[21]Il s'agit d'un mécanisme permanent auquel un employé peut recourir dès lors qu'il a des motifs raisonnables de se retirer du lieu de travail.
[22]Il s'ensuit à mon avis que le droit d'un employé de refuser de travailler pour des raisons de sécurité est un droit important, mais limité, qui doit être exercé en accord avec le contexte particulier. Ce droit ne saurait être un moyen d'obtenir une décision d'un agent de sécurité, de la Commission ou de la Cour fédérale à propos d'une politique qui n'est pas appliquée au moment de l'enquête. Un agent de sécurité pourrait-il conclure qu'une politique qui n'est pas appliquée au moment de l'enquête constitue néanmoins un «danger», donnant ainsi à un employé le droit de refuser de travailler parce que l'employeur est de mauvaise foi ou parce qu'il est vraisemblable que la politique sera appliquée dans un avenir proche? C'est là un point qu'il n'est pas opportun de décider car il ne se pose pas dans le cas qui nous occupe. Les défendeurs ont ici atteint leur objectif. Les dispositions du Code relatives au refus de travailler ont été appliquées à leur avantage. Demander davantage, par principe, c'est aller au-delà de l'objet des dispositions.
[23]Pour des raisons évidentes, je m'abstiendrai de me prononcer sur l'effet, ou l'absence d'effet, des modifications apportées à la partie II du Code canadien du travail (mod. par L.C. 2000, ch. 20), qui sont entrées en vigueur le 30 septembre 2000, bien après les événements sur lesquels repose la présente demande.
[24]Une observation finale s'impose. Au paragraphe 48 de ses motifs, la Commission interprète les mots «au terme de l'enquête», au paragraphe 129(2) du Code, comme s'il s'agissait des conditions ou modalités de l'enquête. Cette interprétation est à sa face même erronée. Le mot «terme», employé au singulier, signifie «à l'achèvement» ou, pour employer les mots de la version anglaise, «on completion of». D'ailleurs, on serait bien en peine ici de déceler «les conditions» de l'enquête.
[25]Je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, avec dépens, d'annuler la partie de la décision de la Commission qui rescindait le rapport de l'agent de sécurité et concluait à l'existence d'une situation dangereuse pour les unités 3 et 4, et de renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvelle décision, étant entendu que le rapport de l'agent de sécurité doit être confirmé.
Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[26]Le juge Desjardins, J.C.A.: (motifs concordants): J'ai eu l'avantage de lire les motifs provisoires de mon collègue le juge Décary. Je souscris à ses motifs, mais je voudrais y ajouter certaines de mes réflexions.
[27]Le point soulevé par le demandeur porte sur la période que doit considérer l'agent de sécurité pour savoir s'«il est dangereux pour l'employé de travailler dans le lieu», lorsqu'il y a «maintien du refus» de travailler (c'est moi qui souligne), tel que ces mots doivent être compris dans le contexte du paragraphe 129(1) et de l'alinéa 129(2)b) du Code canadien du travail (le Code).
[28]Idéalement, il devrait y avoir peu ou pas de décalage entre le moment où un employé «refus[e] [. . .] de travailler» dans un lieu (c'est moi qui souligne) parce qu'il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu (alinéa 128(1)b)), et le moment où l'agent de sécurité commence son enquête, étant donné que l'employé doit «fai[re] immédiatement rapport sur la question à son employeur» (paragraphe 128(6)), que l'employeur «fait immédiatement enquête à ce sujet» (paragraphe 128(7)) et que, en cas de «maintien du refus» de travailler, l'employeur et l'employé «doivent chacun en informer immédiatement un agent de sécurité», lequel «effectue une enquête sur la question» (paragraphe 129(1)).
[29]La réalité est souvent différente.
[30]Dans l'arrêt Bidulka c. Canada (Conseil du trésor), [1987] 3 C.F. 630 (C.A.), la situation qui prévalait sur le piquet de grève s'était modifiée entre le moment où les inspecteurs des viandes avaient refusé de travailler, et le moment où les agents de sécurité avaient procédé à leurs inspections. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Bonfa (1990), 73 D.L.R. (4th) 364 (C.A.F.), le danger exposé dans la plainte avait disparu entre le moment où l'agent d'expulsion avait refusé d'escorter un Ghanéen à l'hôpital par crainte d'une maladie contagieuse, et le moment où l'agent de sécurité était arrivé, car le Ghanéen avait déjà été escorté jusqu'à l'hôpital par un autre agent. Dans l'affaire Kavanagh c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada--Service correctionnel), 2000 CRTFP 4; [2000] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL), les émanations s'étaient dissipées lorsque l'agent de sécurité était arrivé sur les lieux.
[31]En l'espèce, c'est le matin du 22 novembre 1999 que les sept agents correctionnels ont refusé «techniquement» de travailler, lorsqu'ils ont constaté que deux agents seulement étaient affectés pour chaque unité et qu'ils devaient travailler avec seulement un autre agent correctionnel dans leur unité. L'agent de sécurité a mené son enquête les 24 et 25 novembre. Lorsque les visites ont été effectuées, il a observé qu'il y avait plus de deux agents dans chacune des quatre unités et qu'il y avait aussi des employés de soutien, par exemple des employés de bureau et agents de liberté conditionnelle. Étant donné que le refus de travailler se fondait sur la dotation de seulement deux agents correctionnels, et puisqu'il devait se prononcer sur la situation telle qu'elle existait au moment de son enquête, il a conclu à l'absence d'un danger.
[32]Ce qui constitue un «danger» est ainsi défini au paragraphe 122(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1] du Code:
122. (1) [. . .]
«danger» Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié, [C'est moi qui souligne.]
[33]La loi par ailleurs prévoit que la question de l'existence d'un danger doit être décidée avant que le risque soit écarté. L'agent de sécurité est donc tenu d'examiner les conditions de travail telles qu'elles étaient au moment du refus de travailler.
[34]Par ailleurs, dans l'arrêt Bidulka, précité, à la page 641, la Cour fédérale indique à l'agent de sécurité que, pour que le maintien du refus de travailler soit justifié, il doit se prononcer sur l'absence ou l'existence d'un danger pour l'employé en fonction de la situation qui a cours au moment de l'enquête. Un employé ne peut maintenir son refus de travailler que si un tel danger existe. En l'absence d'un danger, l'employé n'a aucune raison de maintenir son refus de travailler.
[35]La Commission a senti cette divergence et pris le chemin suivant. Elle a considéré la «question» sur laquelle il convenait d'enquêter (aux paragraphes 71 et 72 des motifs de la Commission). Elle a estimé que l'agent de sécurité aurait dû se demander si la cause du refus «technique» de travailler, à savoir la dotation minimale, constituait un danger à la fois au moment de l'enquête des 23 et 24 novembre et au moment du refus de travailler, c'est-à-dire le 22 novembre 1999. L'agent de sécurité n'avait répondu qu'à la première question. La Commission a jugé que le rapport était insuffisant et a entrepris de mener sa propre analyse sur la deuxième question. Elle a conclu que les unités 3 et 4 constituaient un danger parce que, le 22 novembre 1999, seuls deux agents correctionnels étaient en service.
[36]La Commission devait, de par l'arrêt Bidulka, adopter cette perspective élargie. Les deux périodes devaient être prises en compte, c'est-à-dire la question de savoir si un danger existait «avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée», et la question de savoir si un danger existait au moment de l'enquête. L'agent de sécurité doit donc se demander si le danger, dans la mesure où il existait auparavant, existe encore, et si la mesure corrective, dans la mesure où elle a été prise, a donné des résultats.
[37]Ce que la Commission ne pouvait pas faire cependant, c'était de substituer sa décision à celle de l'agent de sécurité sur la question ultime de savoir si le maintien du refus de travailler dans les unités 3 et 4 était justifié. Cette décision ne pouvait être prise qu'en fonction de la situation à la date de l'enquête et non en fonction de la situation à la date du refus, c'est-à-dire le 22 novembre 1999.
[38]Par ailleurs, ni l'agent de sécurité ni la Commission n'avaient le pouvoir de considérer la «politique de dotation minimale». Le mécanisme prévu par le Code prévoit une méthode particulière d'établissement des faits pour régler une situation particulière. Il n'est pas destiné à constituer une tribune pour l'analyse de la politique d'un employeur.
[39]Je disposerais de cette affaire comme l'a proposé mon collègue le juge Décary, J.C.A.